L. latine 199.  >
À Reiner von Neuhaus,
le 22 juin 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 108 vo | LAT | IMG]

Au très brillant M. Reiner von Neuhaus, gymnasiarque d’Alkmaar.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai reçu votre très douce et très agréable lettre, papavere sesamoque sparsam ; [1][2] jamais on ne m’en a envoyé de plus aimable que celle-là. Que vive pour l’éternité la mémoire du très distingué Edon von Neuhaus, [3] dont j’ai toujours pieusement prié les mânes depuis le moment où me sont parvenus ses écrits, dignes de louange immortelle et dont j’ai recommandé la lecture à mes auditeurs. [4] Je lui dois surtout de vous avoir pour ami ; mais vous, très distingué Monsieur, vive et vale pendant plus d’années qu’en a vécu Nestor ; [2][5] et, comme je le désire ardemment et comme vous me le promettez avec bienveillance, continuez d’aimer celui qui est tout à vous, ce Guy Patin qui sera entièrement vôtre toute sa vie et en toute sincérité. Voilà la seule chose dont je vous supplie, en mémoire de votre père et de toutes les Muses dont, bouleversé par un immense amour, je respecte les rites sacrés. Je ne reconnais pas, dans vos écrits et dans tous les livres que vous avez publiés, ce que vous appelez tenuem illam tuam Minervam ; [3][6] quand, bien plutôt, j’y reconnais sans peine une plume vive et racée, nourrie par une immense érudition. Vous m’appelez grand, moi qui suis tout petit parmi la foule des savants ; je dois cela à votre bienveillance, n’étant grand que de corps, mais la tête inclinée devant tous les gens lettrés, dont vous menez la famille, loin au-dessus de vos semblables. Je voudrais donc, très distingué Monsieur, que vous ne sachiez qu’une seule chose, c’est que je vous admire et vous vénère comme une grande étoile d’extraordinaire clarté dans le ciel des lettres. Je penserai avoir accompli quelque chose de grand et digne de la palme si vous voulez m’aimer ne serait-ce qu’un tout petit peu, quand bien même je suis docteur de classe inférieure et tout à fait minuscule parmi les lettrés. Bonne chance à notre ami Rompf, [7] excellent homme et du petit nombre des savants. Mon fils Charles, [8] docteur en médecine de Paris âgé de 28 ans, a consacré et dépensé ses heures perdues à étudier quantité de médailles, en or, en argent et en bronze, si bien qu’il a pu en composer une histoire complète : il a donné du lustre, corrigé, augmenté de moitié et enrichi le livre de Fulvio Orsini de Familiis Romanis, qui a jadis été publié à Rome ; [4][9] et ce par faveur du roi très-chrétien, qui a voulu qu’on lui communiquât tout ce qu’il a de rare et précieux [Ms BIU Santé no 2007, fo 109 ro | LAT | IMG] en son palais du Louvre. [10][11] De nombreux amis, appartenant à la bande des érudits, lui ont envoyé des poèmes de félicitations et de louanges à placer en tête du livre. Si, dans la même intention, vous vouliez secouer votre génie fécond, vous qui êtes un Roscius en l’art poétique, [12] et écrire quelques vers, quatre ou six, vous nous gratifieriez d’un immense bienfait. Si vous faisiez cela, vous enchaîneriez solidement à vous et le père, et le fils. Mettez-vous donc à l’ouvrage, très distingué Monsieur, faites-nous, s’il vous plaît, une ode joyeuse et envoyez votre lettre à Amsterdam, à Simon Moinet, le Parisien qui réside chez les Elsevier. [5][13] Nous vous supplions de nous accorder cela ; et si vous désirez quoi que ce soit venant de notre France, indiquez et même ordonnez-le-moi, et je céderai aussitôt à votre volonté.

De Paris, ce jeudi 22e de juin 1662.

Vôtre de tout cœur et jusqu’au tombeau, Guy Patin, docteur en médecine de Paris et professeur royal.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a envoyée à Reiner von Neuhaus, ms BIU Santé no 2007, fos 108 vo et 109 ro ; imprimée dans Neuhaus, Centuria vi, Epistola xx (pages 30‑31).

1.

« parsemée de pavot et de sésame » ; emprunt, peut-être ironique, de Guy Patin à Pétrone (Satyricon, dernière phrase du chapitre i) :

Et ideo ego adulescentulos existimo in scholis stultissimos fieri, quia nihil ex his, quæ in usu habemus, aut audiunt aut vident, sed piratas cum catenis in litore stantes, sed tyrannos edicta scribentes quibus imperent filiis ut patrum suorum capita præcidant, sed responsa in pestilentiam data, ut virgines tres aut plures immolentur, sed mellitos verborum globulos, et omnia dicta factaque quasi papavere et sesamo sparsa.

[Donc, à mon sens, le résultat le plus clair des études est de rendre nos enfants tout à fait stupides : de ce qui se présente en réalité dans la vie, ils n’entendent rien, ils ne voient rien ; on ne leur montre que pirates, les chaînes à la main, attendant leurs victimes sur le rivage ; que tyrans rédigeant des arrêts pour commander aux fils d’aller couper la tête de leur père ; qu’oracles préconisant, pour chasser la peste, l’immolation de trois vierges ou davantage ; que phrases s’arrondissant en pilules bien sucrées. Faits et pensées, tout est parsemé de pavot et de sésame]. {a}


  1. Dès l’Antiquité, les graines de sésame ont servi à parfumer les friandises, et celles de pavot, à engourdir l’esprit.

2.

V. notes [16], lettre 126, pour Edon i von Neuhaus (mort en 1638), père de Reiner, et [31], lettre 146, pour la légendaire longévité de Nestor.

3.

« votre pauvre Minerve », v. note [2], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 13 juin 1662, pour une interprétation plausible de cet aveu latin de (fausse) modestie neuhusienne.

4.

V. note [11], lettre 736, pour les Familiæ Romanæ in antiquis numismatibus… [Familles romaines dans les médailles antiques…] de Charles Patin (Paris, 1663), réédition fort augmentée du livre de Fulvio Orsini (Rome, 1577).

5.

V. note [11], lettre 736, pour les douze pièces latines congratulatoires qui suivent la préface les Familiæ Romanæ de Charles Patin, avec ces vers de Reiner von Neuhaus, directement inspirés de ce que Guy Patin lui écrivait ici :

Excellenti viro D. Carolo Patino. Med. Paris. Antiquatum Scrutatori Eximio.

In Morinis etiam Patinum numen adorat
Ingenium quisquis Pallada sanus amat :
Iamque stupet natura duos, Natumque Patremque,
Et dubium, primam cui ferat illa facem.
Phænices ambo, ac fame melioris amantes,
Et rarum ingenij par gravitate sui.
Hoc unum inuentis Guidonis, Carolus addit,
Ut veterum excutiat scrinia sacra Ducum :
Et sese in media mittat penetralia Vestæ,
Mireturque illic Cælipotentis opus.
Ad quæ Rex illi vestigia regia signat,
Et vult Atlante hoc munia tanta geri.
Plus auro, plus ære nites, plus vellere Phryxi,
Carole, dum magni rem facis ipse Iovis.

Reinerus Neuhusius, I.C.
Alcmariæ, ciɔiɔclxii. Kal. Iul
.

[À l’excellent M. Charles Patin, médecin de Paris, remarquable fouilleur d’antiquités.

Chez les Morins {a} aussi, la majesté divine vénère le génie des Patin, car quiconque est sage aime Pallas ; {b} et déjà la Nature s’étonne qu’il y en ait deux, le fils et le père, sans savoir dire auquel elle présente le plus brillant flambeau. Ce sont deux phénix, ils se passionnent pour ce qu’il y a de meilleur et, chose rare, ils sont égaux en vigueur d’esprit. Aux trouvailles de Guy, Charles ajoute une seule chose : il a scruté les archives sacrées des princes ; et il s’est jeté au cœur du sanctuaire de Vesta, {c} où il a admiré l’ouvrage du maître du ciel. À cette fin, le roi mit ses antiquités à sa disposition et voulut qu’un Atlas {d} se chargeât d’une si grande tâche. En faisant le profit du grand Jupiter, Charles, tu brilles plus que l’or, plus que le bronze, plus que la toison de Phrixos. {e}

Reiner von Neuhaus, jurisconsulte.
À Alkmaar, le 1er juillet 1662]. {f}


  1. Peuple maritime de la Belgique (Flandre).

  2. Athéna des Grecs, Minerve des Romains, déesse de la sagesse, de la guerre et des arts (v. note [13], lettre 6).

  3. Temple de Rome où on entretenait le feu sacré (v. note [8], lettre latine 103).

  4. Titan qui portait la voûte céleste sur ses épaules, v. note [3], lettre de Neuhaus datée du 24 juin 1663.

  5. Toison d’or du bélier Chrysomallos que Phrixos offrit au roi Éétès.

  6. V. note [1], lettre de Neuhaus datée du 4 juillet 1662 (julien, 14 juillet grégorien) pour un commentaire sur cette date (à interpréter comme le 11 juillet grégorien).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 108 vo.

Cl. viro D. Rein. Neuhusio, Gymnasiarchæ Alcmarino.

Vir Cl. Suavissimam et mellitissimam tuam accepi Epistolam,
papavere sesamóq. sparsam, qua nullam unquam accepi gratiorem.
Vivat in æternum memoria Viri Cl. Edonis Neuhusij, cujus manibus
bene semper precatus sum, ab eo tempore quo ejus scripta immortali laude digna
ad me pervenerunt, et quorum lectionem Auditoribus meis sæpius commendavi.
Illi potissimum debeo quod Te amicum habeam : Tu v. Vir Cl. vive et vale
per annos plusquam Nestoreos, méq. quod vehementer cupio, et quod bene-
volè polliceris, amare perge eum qui totus est tuus, Guidonem Patinum,
ære et libra planè tuum tota vita futurum. Hoc unum à Te peto supplex,
ac enixè postulo, per manes paternos, et omnes Musas quarum sacra fero ingenti
perculsus amore. Tenuem illam tuam Minervam quam dicis, in scriptis tuis et sin-
gulis in lucem emissis à Te libris, non agnosco : quin potiùs stylum vegetum
ac generosum, multiplici eruditione conditum facilè agnosco. Magnum me vocas,
inter omnes eruditos minimum ; hoc debeo tuæ benevolentiæ, corpore dumtaxat
magnus, et in omnes literatos, in quib. familiam ducis, Tuiq. similes maximè
propensus : hoc unum igitur scias velim, Vir Cl. Te colo atque veneror tam-
quam magnum sidus eximiæ claritatis in cœlo literario : et magnum quid
atque palmarium præstitisse putabo, si me etiamsi minorum gentium
Doctorem, ac inter literatos viros planè minimum, vel tantillum amare volueris.
Bene sit Romphio nostro, viro optimo, ac inter paucos erudito. Filius meus
Carolus, Doctor Med. Paris. anno æt. 28. subsicivas horas tradidit atque
impendit in Notitia adipiscenda multorum Numismatum, aureorum, argen-
torum ac ærorum, adeo ut ex ijs possit historiam integram contexere :
librum Romæ antehac editum Fulvij Ursini, de Familijs Romanis, illustra-
vit, emendavit et dimidia parte adauxit atque locupletavit, Christianis-
simi Regis beneficio, qui voluit ut ei communicarentur quæcumque habet in sua Lupara,

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 109 ro.

rara et pretiosa. Multi amici ex eruditorum grege, gratulatoria et laudatoria
Carmina illi miserunt initio libri præfigenda ; si velles fœcundum pectus concutere,
Tu qui Roscius es/ in arte poetica, et in eandem rem 2 aliquot 1 versus pangere, 4. aut 6. summo nos beares beneficio ; quod si
feceris, Parentem et Filium fortiter obstrinxeris : age igitur Vir Cl. et si placet,
cothurnum soccum poeticum induce, ac Epistolam tuam mitte Amstelodamum, ad Sim.
Moinet, Paris
. apud Elzevirios commorantem. Hoc à Te supplices petimus : Tu v.
si quid optes ex Gallia nostra, indica nobis, imò impera, et habebis me statim
obsequentem. Scriptum Parisijs, die Iovis, 22. Iunij, 1662. Tuus ex animo, et
usque ad aras

Guido Patinus, Doctor Med. Paris. et Prof. regius.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Reiner von Neuhaus, le 22 juin 1662

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(Consulté le 19/04/2024)

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