[Ms BIU Santé no 2007, fo 112 vo | LAT | IMG]
Au très distingué M. Ernst Scheffer, [1][1] docteur en médecine à Francfort.
Très distingué Monsieur, [a][2]
Je viens de recevoir votre lettre datée du 20e de juillet, que m’a apportée le fils de M. Öchs, [3] avec une élégie nuptiale. Dieu fasse que le mariage vous soit heureux, favorable et prospère. Je ne sais si M. Lotich, votre compatriote, vous aura remis la lettre que je vous ai écrite il y a un mois. [2][4] Sans vouloir vous importuner, je vous prie de l’aller voir et de la lui réclamer ; s’il m’écrit par la voie que je lui ai indiquée, empruntez-la aussi et insérez dans son paquet vos lettres à me remettre. Je n’ai pas encore eu la visite de votre étudiant en droit, non plus que de votre apparenté ; [5] j’attendrai patiemment l’un et l’autre. Vous avez donc vu M. von Pentzenau, qui est un savant gentilhomme ; [6] il a pu vous conter bien des choses à mon propos. Quand vous le verrez, je vous prie de le saluer, ainsi que son fils, qui est un jeune homme honnête et bien élevé. Mais dites-moi, s’il vous plaît, comment va et ce que fait M. Johann Daniel Horst, médecin de Darmstadt, [7] très grand ami du même von Pentzenau. Je n’ai pas encore vu votre dernière lettre, que vous aviez remise à M. de Tournes, imprimeur à Genève, [8] avec les trois paquets du Vorburgius, et n’en ai rien entendu dire. [3][9] Si vous m’indiquiez dans vos lettres quelque chose dont vous avez besoin et qui me permette de vous rendre service, soyez assuré que je n’y manquerais en aucun cas. J’approuve votre dessein de faire réimprimer l’opuscule du très distingué Hofmann ; mais pour alléger la dépense de l’imprimeur, avisez-le que je prendrai à mon compte 50 exemplaires de cette édition originale, dont j’aurai soin de vous régler le prix à Francfort. [4][10] Je vis jadis le livre de Champier de claris medicinæ Scriptoribus, [5][11] chez notre collègue [Ms BIU Santé no 2007, fo 113 ro | LAT | IMG] M. René Moreau, professeur du roi, [12] mais ne fis cependant que le voir, car les œuvres de cet homme ne sont plus en vente et ne se trouvent pas facilement. Il circule sous sa signature quantité de choses que d’autres ont écrites, auxquelles il a attaché son nom : voyez Jules-César Scaliger en son Ata, poème extrêmement piquant et caustique, où il n’a pas ménagé les médecins de Montpellier. [6][13] De tels écrits sont aujourd’hui rares dans les boutiques des libraires, peut-être les néglige-t-on parce que d’autres, assurément meilleurs et plus brillants, les ont suivis. Champier est en effet mort à Lyon en l’an du Christ 1544 ; notre Fernel n’avait alors encore rien écrit, lui qui a été le prince des savants modernes et qui dirige la famille de ceux qui ont terrassé la barbarie de nos Écoles et l’en ont chassée. [14] Je chercherai pourtant ce traité et l’achèterai s’il se présente. J’ai parfois vu quelques opuscules de cet auteur, mais ils sont écrits en demi-barbare, [15] je les ai donc laissés de côté. Mes fils vous retournent votre salut. [16][17] Ces deux derniers mois, sont ici morts quatre des nôtres, dont le plus éminent était Jean Des Gorris, le plus ancien maître de notre École, âgé de 85 ans. [7][18] Notre surintendant des finances, Nicolas Fouquet, est encore en sûreté dans la prison du roi. Quem das finem Rex magne laborum, dolorum et tot lacrymarum ejus familiæ ? [8][19][20] comme disent ses alliés et amis, et ceux que l’issue d’une si lente affaire plonge dans l’inquiétude et dans le doute. On imprime avec ardeur le Cardan à Lyon, [21] l’Érasme à Rotterdam, [22] l’Hippocrate grec et latin à Leyde, avec des notes de Johannes Antonides Vander Linden, [9][23][24] le Diogène Laërce à Londres, avec les notes de divers auteurs, en particulier d’Aldobrandini, de Casaubon, de Ménage et d’autres savants hommes ; [10][25][26][27][28] au même endroit, on met sous la presse l’ouvrage le plus grand et le plus attendu de Samuel Bochart, [29] théologien de Caen, de Animantibus sacræ Scripturæ. [11] J’ai envoyé la lettre que vous aviez jointe à l’excellent M. Mocquillon. [30] Vale, excellent homme, et aimez-moi.
De Paris, ce 16e d’août 1662.
Votre Guy Patin de tout cœur.
1. |
La suscription suggère que Guy Patin a destiné sa lettre à Wilhelm Ernst Scheffer (alors âgé de 72 ans, v. note [47], lettre 183), père de Sebastian (avec qui Patin correspondait alors très régulièrement) ; mais le contenu la désigne assurément comme étant adressée au fils : en particulier les allusions à un mariage récent, à une lettre que Patin lui avait écrite un mois auparavant (v. infra note [2]) ou au projet de publier un inédit de Caspar Hofmann (v. infra note [4]). Je l’ai donc rangée sans hésitation parmi les lettres à Sebastian Scheffer, avec un nouveau lapsus calami de Patin sur son prénom (il lui est arrivé plusieurs fois de l’appeler Stephan, v. notes [1], lettre latine 139, ou [1], lettre latine 168). |
2. |
Lettre du 7 juillet 1662 à Sebastian Scheffer que Guy Patin avait insérée dans la sienne de même date à Johann Peter Lotich. Le carmen nuptiale (élégie nuptiale ou épithalame) que Patin avait reçue de Scheffer ne pouvait célébrer que son propre mariage. |
3. |
Sebastian Scheffer avait annoncé à Guy Patin les douze tomes in‑fo des Joannis Philippi Vorburgici, vulgo a Vorburg, præpositi monasterii Grandis-Vallis, consiliarii Moguntini, et Herbipoliensis, Historiarum [Histoires de Johannes Philippus Vorburgicus, von Vorburg en allemand, supérieur du monastère de Grandvelle (Franche-Comté), conseiller de Mayence et de Wurtzbourg], qui ont été publiés en divers endroits de 1645 à 1660. Ils embrassent l’histoire romaine et germanique depuis la fondation de Rome jusqu’à l’an 877 (mort de Charles le Chauve, empereur d’Occident, petit-fils de Charlemagne). Johann Philipp von Vorburg (Delsberg, Delémont dans le canton suisse du Jura 1596-Francfort 1660), homme politique catholique germanophone, a accompli des missions diplomatiques au service de la principauté épiscopale bavaroise de Wurtzbourg durant la guerre de Trente Ans. Patin n’a accusé réception de ce volumineux ouvrage qu’au début de sa lettre du 10 avril 1663 à Scheffer. Franz Johann Wolfgang von Vorburg, neveu de Johann Philipp, lui en avait généreusement fait cadeau. |
4. |
V. note [1], lettre latine 171, pour l’Isagoge medica [Introduction à la médecine], première des trois Chrestomathies manuscrites de Caspar Hofmann, dont Guy Patin possédait les deux autres. |
5. |
Domini Symphoriani Champerii physici Lugdunensis Libelli duo. Primus de Medicinæ claris scriptoribus in quinque partibus Tractatus… [Deux petits livres de Symphorien Champier, {a} médecin natif du Lyonnais. Le premier est un Traité en cinq parties sur les illustres écrivains de médecine…]. {b}
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6. |
V. note [7], lettre 548, pour les virulents vers de Jules-César Scaliger contre Symphorien Champier dans son long poème intitulé Ata. |
7. |
Les trois autres morts récents de la Faculté de médecine de Paris étaient Robert Tullouë, Jean i de Bourges et Jean Chartier (bête noire de Guy Patin). |
8. |
« Quel terme, puissant roi, fixes-tu aux peines, aux douleurs et aux larmes de cette famille ? » (adaptation de Virgile, v. note [5], lettre 791). |
9. |
V. notes : |
10. |
V. note [17], lettre 750, pour les « Dix livres de Diogène Laërce sur les vies des philosophes illustres » (Londres, 1664, grec et latin), avec leurs non moins illustres traducteur et commentateurs. |
11. |
V. note [14], lettre 585, pour le Hierozoïcon [Bestiaire sacré] de Samuel Bochart « sur les Animaux de la Sainte Écriture » (Londres, 1663). |
a. |
Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Sebastian Scheffer, ms BIU Santé no 2007, fo 112 vo‑113 ro. |
s. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 112 vo. Cl. viro D. Ern. Scheffer, Med. Doctori, Francofurtum. Ecce tuas accipio, Vir Cl. 20. Iulij scriptas, et filio Domini Ochs |
t. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 113 ro. nostrum D. Ren. Moreau, Prof. regium : sed vidi tamen : neq. enim obvia pro- Tuus ex animo Guido Patin. |