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Au très distingué M. Thomas Bartholin, premier médecin du roi de Danemark, à Copenhague.
Très distingué Monsieur, [a][1]
Je me réjouis fort et suis extrêmement heureux que vous vous souveniez de moi, et que vous me fassiez connaître de bonnes nouvelles de votre santé par la lettre que vous m’avez écrite il y a quatre mois ; elle ne m’est pourtant parvenue qu’il y a trois jours, par un Allemand à qui un gentilhomme danois l’avait confiée, à Bruxelles, pour qu’elle me fût remise. Votre très savant Caspar Kölichen n’est pas venu à Paris, et je n’en sais pas la raison ; cependant, je suis fort affligé de ne pas l’avoir vu, étant donné qu’il m’aurait appris bien des choses à votre sujet. [1][2] Vous vous portez donc bien, et Dieu fasse que vous vous viviez encore longtemps en bonne santé, comme vous avez fait jusqu’ici pour le bien du public, avec toute votre famille. Je vous remercie tant qu’il m’est possible pour votre Panegyricus. [2] Si vous voulez envoyer à Amsterdam ce paquet que vous m’avez destiné, bien emballé, à Simon Moinet, Parisien qui habite chez Daniel Elsevier, [3][4] il paiera le prix du transport et me le fera parvenir aussitôt par voie sûre ; je vous en accuserai ensuite réception et en rembourserai la dépense. Dieu fasse que je voie votre Cista medica, et vos Centuriæ epistolarum, [3] dans lesquelles se lira mon nom, ce qui fera comprendre à la postérité que j’ai été votre ami. Je vous rendrai la pareille dans l’édition de mon Oratio isagoca pour la charge de professeur royal, que j’ai prononcé dans le Collège royal de Cambrai il y a huit ans, et que je songe à publier après que l’éminentissime cardinal Antoine Barberini, grand aumônier de France, qui dirige notre Collège, sera revenu ici. [4][5][6][7][8] Je vous dirai quelques mots d’Aubry de Montpellier, sed vera et Sibyllæ foliis certiora. [5][9][10] Jadis, encore jeune, il a été barbier en son pays ; après avoir tué un homme dans une taverne, il a fui en Italie pour échapper au gibet ; là, il s’est fait moine ; ayant abandonné le capuchon au bout de trois ans, il s’est engagé dans l’armée ; la guerre finie, il s’est refait moine ; ensuite, il s’est prétendu prêtre et a été jeté en prison pour fausse monnaie ; [11] une fois libre, il est venu à Paris où, par ses spécieuses promesses, il a dupé bien du monde, surtout des gens ignorants et le petit peuple, sous prétexte de quelque [Ms BIU Santé no 2007, fo 112 vo | LAT | IMG] médecine réformée et mystique ; mais la fourberie ayant été révélée et sa réputation de médecin s’étant éteinte, pour ne pas périr misérablement de faim, il a embrassé le métier de maquereau et a vécu quelque temps tout au bout du faubourg Saint-Germain, [12] près de Meudon, [13] avec des femmes prostituées, des putains à deux sols ; mais où qu’il soit aujourd’hui, à peine y a-t-il quelqu’un qui le connaisse. Voilà un résumé de l’histoire et de la vie d’un immense fripon et d’un charlatan absolument bon à rien et tout à fait impudent. [14] Je tiens cela presque entièrement de M. François de Bosquet, évêque de Montpellier. [15] Je voudrais pourtant que vous sachiez que ce charlatan ne s’y connaît et ne s’y entend pas plus en médecine que moi en peinture : de fait, il est grossier et ignorant en l’art de remédier, et purement asinus ad lyram. [16] Pour extraire la pierre, nos cystotomistes ne taillent pas la vessie au pubis, mais à la partie gauche du périnée. [17] Quelques-uns s’y sont essayés par le pubis, mais sans succès et l’issue n’a pas été favorable ; l’idée en a donc été rejetée, même par des médecins qui l’avaient proposée. Je fais peu de cas de ce Bils, qui est un autre agité et un insigne conteur de balivernes, et n’ai même aucune estime pour lui. [18] Quatre des nôtres sont récemment morts, dont le plus distingué était Jean Des Gorris, mais il était fort vieux, ayant atteint sa 86e année d’âge. [6][19] Dieu fasse que vous demeuriez aussi longtemps en vie, sain et intact. Je salue Messieurs vos frères. [20] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.
De Paris le 24e d’août 1662.
Votre G. P. de tout cœur. [b]
[Bartholin c, pages 89‑91 | LAT | IMG]
Le très éminent maître Nicolas Piètre, homme de remarquable science, a composé une thèse qui fut jadis disputée en nos Écoles, de secanda ad pubem vesica. [7][21] Jean Riolan, [22] neveu de Piètre par sa mère, [23] l’avait sévèrement désapprouvée comme étant mauvaise, et emplie de multiples déshonneurs et erreurs anatomiques. [24] Si vous voulez la voir, je vous l’enverrai sans peine. N’avez-vous pas vu le livre de Cervisia, récemment publié, que Marten Schoock, professeur de philosophie en l’Université de Groningue m’a dédié ? Le mois prochain, j’en attends un autre, de Fermentatione. [8][25][26][27] Les Opera omnia de Cardan en 11 tomes in‑fo paraîtront bientôt à Lyon ; [28] à Leyde, on apprête une nouvelle édition de l’Hippocrate grec et latin, avec les notes de Johannes Antonides Vander Linden ; [9][29][30] à Londres, le livre de Samuel Bochart de Animantibus sacræ Scripturæ, [31] et le Diogène Laërce grec et latin, avec les notes d’Aldobrandini, de Casaubon, de Ménage et d’autres savants ; [10][32][33][34][35] à Francfort, le Pétrone de Lotich in‑fo ; [36][37] à Genève l’Œconomia Hippocratis de Foës ; [11][38] à Anvers, l’Historia scriptorum Societatis Jesu, in‑fo ; [12][39] à Rotterdam, les Opera omnia d’Érasme, aux frais de la ville de Rotterdam, en 7 tomes in‑fo ; [40] à Lyon, les Annales ecclesiastici du cardinal Baronius ; [13][41] à Rome, le Ciaconius de Vitis pontificorum Romanorum et cardinalium, en trois tomes in‑fo ; [42] à Paris, les œuvres complètes de Procope, en grec et latin, avec la traduction et les notes du P. Maltret, jésuite de Toulouse ; [14][43][44] un autre, qui est lyonnais et se nomme Théophile Raynaud, auteur de très nombreux ouvrages, a écrit, en taisant son véritable nom, un livre fort satirique adversus Cyriacos, [45] nom sous lequel il entend les dominicains, qui sont les maîtres de l’Inquisition romaine et abusent extrêmement de leur pouvoir, au grand dam des jésuites ; [15][46][47][48] les dominicains se préparent à le réfuter et à y répondre, et parmi eux, le P. Combefis, homme d’une érudition peu commune : [16][49] à la fin, nous verrons une guerre de moines. [50] Vale, très distingué Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous avez fait jusqu’ici.
De Paris, le 26e d’août 1662.
G.P.
1. |
Ce Caspar Kölichen, dont Thomas Bartholin avait vainement annoncé la visite à Guy Patin, était un médecin danois qui est mentionné dans l’observation lxx (Sur les sueurs noires comme de l’encre) rapportée par Olaus Borrichius dans le 7e tome, page 159, de la Partie étrangère de la Collection académique… Extraits des actes de Copenhague, années 1671 et 1672 (Dijon, François Desventes, et Paris, Michel Lambert, 1766, in‑8o). Kölichen est aussi l’auteur d’une Disputatio medica inauguralis de gutta, seu morbo articulari [Thèse médicale inaugurale sur la goutte, ou maladie articulaire] (Copenhague, Henricus Gödianus, 1664), sous la présidence de Thomas Bartholin. |
2. |
Thomæ Bartholini Panegyricus, Augustissimo Regi Dn. Friderico Tertio Daniæ, Norwegiæ, Vandalorum, Gothorumque etc. Monarchæ, et primo Regnorum Hæredi, in Augusto concessu, Regiæ Academiæ nomine publicè xxiii. Octobr. 1660. dictus [Panégyrique de Thomas Bartholin, pour le très auguste seigneur Frédéric iii, roi du Danemark, de Norvège, monarque des Vandales et des Goths (v. notule {a}, note [29], lettre 401), etc. et premier héritier des royaumes, prononcé publiquement le 23 octobre 1660, par auguste permission et au nom de l’Académie royale] (Copenhague, Henricus Gödianus, sans date, in‑fo) : c’est une célébration héroïque de la résistsance de Frédéric iii contre les attaques suédoises et de sa prise du pouvoir absolu sur le royaume de Danemark, avec l’assentiment de son peuple. |
3. |
V. note [4], lettre 616, pour la Cista Medica [Corbeille médicale] de Thomas Bartholin (Copenhague, 1662). Ses deux premières « Centuries de lettres » allaient paraître à Copenhague en 1663 (v. Bibliographie, Bartholin a). |
4. |
Ce « Discours inaugural » pour sa chaire de lecteur royal, que Guy Patin a prononcé le 1er mars 1655 (v. le paragraphe daté de ce jour-là dans la lettre du 2 mars 1655 à Charles Spon), n’a jamais été imprimé et je n’en ai trouvé aucune trace manuscrite. |
5. |
« mais véridiques et plus certains que les feuilles de la Sibylle » ; Juvénal (Satire viii, vers 125‑126) :
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6. |
Guy Patin a correspondu avec François de Bosquet, évêque Montpellier de 1656 1676. V. notes :
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7. |
« sur la nécessité d’inciser la vessie au pubis », v. note [63], lettre 183, pour cette thèse de médecine présidée par Nicolas Piètre en 1635, qui concluait à l’utilité de la taille haute, sus-pubienne, dite franconienne (expliquée dans la note [2], lettre de Bartholin datée du 25 septembre 1662). |
8. |
Pour l’avoir lui-même subie deux fois (en 1640 et 1641), Jean ii Riolan a longuement disserté sur la taille vésicale dans son Encheiridium anatomicum et pathologicum [Manuel anatomique et pathologique] (Paris, 1648, v. note [25], lettre 150), livre ii, fin du chapitre xxxi, avec ce jugement sur le meilleur abord (traduction française de Lyon, 1672, pages 240‑241) : « Je n’estime pas qu’il y ait moins de sottise ni de danger dedans la façon de tirer la pierre qui nous a été décrite par Fabricius Hildanus ; {a} et je crois que le seul moyen d’y réussir est celui qui se pratique à Paris, par de très habiles gens pour la taille qui y font leur séjour, {b} et en Italie par quelques-uns de la famille des Nierses. {c} Cette façon de délivrer les malades de cette incommodité est très facile et très sûre, tant à cause des outils dont on se sert, qui y sont très propres, qu’à cause des l’adresse particulière de ceux qui les manient ; et je souhaiterais très fort que tous les autres pays eussent d’aussi habiles gens pour les soulager, comme nous en avons à Paris. » V. notes [1], lettre 719, pour le traité de Marten Schoock « sur la Bière » (Groningue, 1661), dédié à Guy Patin, et [3], lettre 723, pour son livre « sur la Fermentation » (Groningue, 1663). |
9. |
V. notes [8], lettre 749, pour les « Œuvres complètes » de Jérôme Cardan (Lyon, 1663), et [11], lettre 726, pour l’Hippocrate de Johannes Antonides Vander Linden (Leyde, 1665). |
10. |
V. notes [14], lettre 585, pour le livre de Samuel Bochart « sur les Animaux de la Sainte Écriture » (Londres, 1663), et [17], lettre 750, pour le Diogène Laërce de Londres (1664). |
11. |
L’annonce d’une réédition du Pétrone de Johann Peter Lotich était erronée (v. note [14], lettre 309) ; en revanche, on achevait alors à Genève (Samuel Chouët, 1662, in‑fo ; épître Lectori candido [à l’aimable Lecteur], datée du 19 février 1662) une nouvelle édition de l’« Économie [ou lexique] hippocratique » d’Anuce Foës (v. notes [23], lettre 7, et [3], lettre latine 209). |
12. |
V. note [19], lettre 224, pour la Bibliotheca scriptorum Societatis Jesu [Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de Jésus] du P. Philippe D’Alegambe parue en 1643 à Anvers, dont je n’ai pas trouvé d’autre édition avant celle de Rome en 1676. |
13. |
V. note [4], lettre latine 166, pour le projet de publier à Rotterdam les œuvres complètes d’Érasme, et [1], lettre 593, pour les éditions lyonnaises (1660 et 1678) des « Annales ecclésiastiques » du cardinal Baronius. |
14. |
V. notes [2], lettre 304, pour les « Vies des pontifes romains et des cardinaux » d’Alfonso Chacon (Rome, 1677), et [1], lettre 536, pour le Procope grec et latin du R.P. Claude Maltret (Paris, 1662). |
15. |
De Immunitate autorum Cyriacorum a censura. Diatribæ Petri à Valle Clausa S.T.D. Seu de Dominicana in Libros Alienorum austeritate ; in proprios, quorum hic furfures cribrantur, lenitate, ac indulgentia. Ad SS. D.N. Alexandrum P.P. vii. [L’impunité des auteurs cyriaces {a} contre la censure. Diatribes de Pietro della Valle Clausa, {b} docteur en théologie sacrée. Ou de l’âpreté des dominicains contre les livres des autres, mais de leur douceur et indulgence envers leurs propres livres, dont le son est ici tamisé. À notre très saint Père, le pape Alexandre vii]. {c}
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16. |
François Combefis (Marmande 1605-Paris 1679), patrologue et philologue dominicain, riposta au livre du R.P. Théophile Raynaud avec la : Recensiti auctores, bibliothecæ Patrum concionatoriæ, in iis, obiter fere insinuata, strictimque delibata Cyriacorum Immunitas, a censura ementiti auctoris, Petri de Valle Clausa. F. Franciscus Combefis, Congregationis S. Ludovici Ordinis F.F. Prædictorum strictioris observantiæ prolusit, necessariaque satisfactione reposuit. D’emblée, l’adresse Candido lectori [bienveillant lecteur] lève l’anonymat de Théophile Raynaud et le couvre d’opprobre : Tantorum utraque militia religiosissimorum eruditissorumque Virorum ad me delata vota, cum primum Lugdunensi PP. S. Collegio emissus, ac partim auctore amicos donante, partim charius per submissos vendente (ut nec sordes desiderarentur) ementio nomine Petri de Valle Clausa, vero autem ac explorato, Fr. Theophili Raynaudi veterani Sodalis, Regia passim urbe, ipsaque, quanta est, Gallia, famosus in Cyricos (sic ineptienti nuncupatos, cum vellet Dominicanos) Libellus percrebuit, tantæ querelæ, iis ipsis indignantibus ac frementibus, qui ipsum pridem Theophilum colerent, ac Societate amice uterentur ; ut nec ipse dissimulare potuerim, aut non morem vel ex parte illorum sanioribus consiliis gerere, quidpiam saltem obiter, fereque desultorie velitando, dum eius, quam Deo auspice ad umbilicum perduxi Bibliothecam Patrum Concionatoriam, Auctores recenseo ; id debiti exoluens, cuius ne pridem, flatigantibus amicis, reum existimabam. |
a. |
Lettre autographe de Guy Patin à Thomas Bartholin, ms BIU Santé no 2007, fo 112 ro et vo ; imprimée et augmentée (v. infra note [b]) dans Bartholin c, Centuria iv, Epistola xx. De agyrta Aubrio, et Cystotomis Parisiensibus, variisque libris novis [4e Centurie, Lettre xx. Du charlatan Aubry, des cystotomistes parisiens et de divers livres nouveaux] (pages 87‑89). |
t. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 112 vo. mysticæ Medicinæ prætextu, fucum fecit, speciosis pollicitationibus suis, |
u. |
Bartholin c, page 89. De secanda ad pubem vesica, Thesin prodibunt omnia Opera Cardani, xi. Tomis in folio. Lugd. Batav. adornatur nova editio Hipp. Græco-Latina, cum Notis Jo. Ant. van der Linden. Londini, Sam. Bochartus de Animantibus sacræ scri- pturæ : et Diogenes Laërtius, Græco-La- tinus, cum Notis Aldobrandini, Casau- boni, Menagii, et aliorum eruditorum. Francofurti, Petronius Lotichii in fol. Ge- nevæ Oeconomia Hipp. Foesii. Antverpiæ, Historia scriptorum Soc. Jesu fol. Rote- rodami, Opera omnia Des. Erasmi, sum- ptibus civitatis Roterodamensis, 7. Tomis in folio. Lugduni, Annales Ecclesiastici Card. Baronii. Romæ, Ciacconius de Vitis Pontificum Roman. et cardinalium, tri- bus tomis in folio. Parisiis Procopii Opera omnia Græco Latina cum versione et Notis, Patris Maltret, Jesuitæ Tholo- sani. Alter Lugdunensis, dictus Theophi- lus Raynaudus, multorum librorum Au- thor, scripsit quendam librum valdè sa- tyricum, tacito nomine proprio, adversus Cyriacos ; quo nomine Dominicanos intel- ligit, inquisitionis Romanæ magistros, ac ejus potentia nimis abutentes, magno Je- suitarum dolore. Ad cujus refutationem ac responsionem sese accingunt Dominica- ni, et ex iis Pater Combefis, vir erudi- tionis non vulgaris : Tandem videbimus Parisiis 26. Aug. 1662. G.P. |
s. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 112 ro. Cl. viro D. Thomæ Bartolino, Danorum Regis Archiatro, Hafniam. Apprime gaudeo serióq. lætor, Vir Cl. quod mei memineris, fecerisque, |
b. |
Le post-scriptum qui suit n’est pas dans le manuscrit, il complète la lettre imprimée (Bartholin c, Epistola xx, pages 89‑91). |