L. latine 255.  >
À Thomas Bartholin,
le 13 août 1663

[Ms BIU Santé no 2007, fo 160 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Thomas Bartholin, à Copenhague.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai reçu votre dernière de la propre main de notre ami M. Biermann ; [2] j’y répondrai par ces quelques lignes. [1] Je loue Dieu tout-puissant que vous viviez et vous portiez bien, et souhaite que ce soit pour de nombreuses années. L’Arétée de Pierre Petit progresse lentement, [3][4] par l’insouciance de l’imprimeur. [5][6] Personne n’aura avant deux mois l’Hollierus cum Commentariis variorum[2][7] J’ai mis le Fulvius Ursinus[8] avec d’autres opuscules de mes fils [3][9][10][11] et d’autres auteurs, dans le paquet que j’ai confié à M. Biermann ; il m’a solennellement juré de vous le remettre en mains propres. Je souhaitais y inclure deux autres livres, savoir l’Hollierus variorum, in‑fo, et le Fienus de Signis morborum[12][13] mais il faut attendre qu’on en ait achevé l’impression ; [4] je vous les enverrai le moment venu, quand l’excellent M. Hannibal Sehested, [14] votre ambassadeur, s’en retournera au Danemark ; avec d’autres livres s’il s’en présente. Je vois beaucoup de fautes dans la 3e édition des de Scriptis medicis de M. Vander Linden ; [15] il les corrigera une fois prévenu, comme j’espère. [5] Puisse Dieu vous donner le loisir et la santé pour vous permettre de publier le Celse de Johannes Rhodius, [16][17] qui a été un excellent homme ; ce faisant, vous gratifierez, heureusement et sans nul doute, la république médicale et tout le monde savant d’un très grand bienfait. [6] Cette poudre fébrifuge [18] en a trompé plus d’un et il ne peut rien y avoir de vrai dans tous les mensonges et toutes les fourberies que commettent tant de vauriens asservis à Mercure, [7][19] à savoir les boutiquiers, pharmaciens, [20] chimistes, [21] loyolites [22] et autres gens âpres au gain ; ceux-là n’ont d’autres motifs et soucis que de tromper le monde avec leur zèle à innover ; et ils gagnent de l’argent tant qu’ils peuvent. Cette duperie ne m’en a pourtant jamais imposé, parce que j’ai en horreur tant les nouveautés que les fraudes et impostures de notre métier. [8] Il est ici question de guerre en Lorraine pour assiéger et prendre Marsal, [23] ce que notre roi entreprendra dans les trois jours, [24] à moins que les deux princes qui restent dans cette famille de Lorraine lui donnent une raison de changer d’avis. [9][25][26] Nous avons ici le livre nouveau et savant du très distingué Samuel Bochart, de Animantibus sacræ Scripturæ ; [27] le mois prochain, nous en espérons un autre aussi bon, savoir le Diogenes Laertius avec les notes et les commentaires de divers érudits. [10][28] Nous avons ici un gentilhomme danois, M. Rosenkrantz, [11][29][30] qui souffre dangereusement d’une corruption du poumon et d’un affaiblissement du foie, avec flux de ventre sale et fétide, et fièvre lente ; [31][32] le tout épuise misérablement ses forces, qu’affaiblit l’opiniâtreté d’une longue maladie. De nombreux remèdes lui ont été administrés, suivant l’art et la méthode, mais en vain, nihil author Apollo subvenit[12][33][34] J’ai consulté avec les hommes les plus expérimentés, Pierre Hommetz et Paul Courtois, [35][36] et nous n’avons obtenu aucun résultat.

                                             Cessere magistri
Phillyrides Chiron, Amythaoniusque Melampus
[13][37][38][39]

Vale et aimez-moi. Je renvoie leur salut à tous vos amis.

De Paris, ce 13e d’août 1663.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a envoyée à Thomas Bartholin, ms BIU Santé no 2007, fo 160 vo ; imprimée dans Bartholin c, Centuria iv, Epistola xcviii (pages 503‑504), De curatione fœdi profluvii alvi [Guérison d’un affreux flux de ventre], datée du 13 août 1663, pour la première partie ; v. notes [a], lettre latine 256, et [a], lettre latine 260, pour deux autres fragments de cette lettre publiée en 1667.

1.

Réponse de Guy Patin à la lettre de Thomas Bartholin datée du 21 juillet 1663.

2.

V. notes [3], lettre 731, pour l’édition d’Arétée de Cappadoce par Pierre Petit, parue incomplète à Londres en 1726 (mais dont Gabriel Cramoisy avait alors entrepris l’impression à Paris), et [14], lettre 738, pour la réédition (Paris, 1664), dédiée à Guy Patin, de Jacques Houllier de Morbis internis [sur les Maladies internes] « avec les commentaires de divers auteurs » (les siens propres et ceux de trois autres savants médecins).

3.

V. notes [11], lettre 736, pour l’édition augmentée par Charles Patin (Paris, 1663) des Familiæ Romanæ [Familles romaines] de Fulvio Orsini (Fulvius Ursinus), et [2], lettre 157, pour le discours de paranymphe médical de Robert Patin prononcé en 1648 et publié bien plus tard (ibid. 1663).

4.

V. notes [2] supra, pour l’« Houllier de divers auteurs », et [2], lettre 776, pour le livre de « Fienus (Thomas Feyens) sur les Signes des maladies » (Semiotice, Lyon, 1663).

5.

V. notes [2], [3] et [4], lettre de Thomas Bartholin, datée du 21 juillet 1663, pour les fautes qu’il avait repérées dans la 3e édition des livres « sur les Écrits médicaux » de Johannes Antonides Vander Linden (v. note [3], lettre latine 26), et dont il avait averti Guy Patin.

6.

V. note [2], lettre latine 127, pour le Celse de Johannes Rhodius, irrémédiablement détruit et resté inédit, contrariant les efforts que Thomas Bartholin lui a consacrés.

7.

Mercure est le dieu latin (Hermès des Grecs) à qui (après Apollon, v. infra. note [12]) la mythologie attribuait le plus de fonctions. Il était notamment tutélaire des voyageurs, des marchands et des filous.

Quant à son image, Noël ajoute que :

« Des monuments le présentent avec la bourse à la main gauche, et à l’autre un rameau d’olivier et une massue ; symboles l’un de la paix, utile au commerce, l’autre, de la force et de la vertu nécessaires au trafic. En qualité de négociateur des dieux, il porte le caducée, {a} emblème de paix, et qui a de plus la vertu d’amener sur les paupières des mortels le sommeil et les songes. Les ailes qu’il porte à son bonnet, à ses pieds, à son caducée, marquent sa légèreté à exécuter les ordres des dieux, surtout celui de conduire aux enfers les âmes des morts, et des les en ramener. »


  1. Avec deux serpents enroulés, quand le caducée médical (ou bâton d’Esculape) n’en a qu’un seul (v. notule {g}, note [5], lettre 551).

8.

Guy Patin s’offusquait rageusement de la relative bienveillance que, dans sa lettre datée du 21 juillet 1663, Thomas Bartholin avait exprimée à l’égard du quinquina (poudre fébrifuge du Pérou, encore dite des jésuites qui l’en avaient rapportée, v. note [7], lettre 309).

9.

Les deux Lorrains, le duc Charles (Charles iv de Lorraine, v. note [37], lettre 6) et son frère, le prince François (Nicolas-François de Lorraine, v. note [32], lettre 1023), ne changèrent pas d’avis. Louis xiv quitta donc Paris le 25 août pour Metz avec son armée et revint à Vincennes le 5 septembre, qui fut le lendemain du jour où la place de Marsal (v. note [1], lettre 524) se rendit au roi.

10.

V. note [14], lettre 585, pour le livre de Samuel Bochart « sur les Animaux de la Sainte Écriture » (Hierozoïcon, Londres, 1663), et [17], lettre 750, pour le « Diogène Laërce » commenté par de savants auteurs (ibid. 1664).

11.

Ce noble danois appartenant à une très grande famille scandinave était Janus Rosenkrantz (1640-1695). Fils de Jorgen (v. note [13], lettre de Thomas Bartholin, datée du 30 septembre 1663), Janus était tombé gravement malade à Paris et guérit heureusement en septembre 1663. Il s’est distingué, comme son père, par sa vertu et son savoir ; grand collectionneur de livres et propriétaire de la plus grande bibliothèque de Copenhague, il devint conseiller d’État et un des députés pour le trésor royal.

12.

Virgile, Énéide, chant xii, vers 405‑406 :

Nulla viam Fortuna regit, nihil auctor Apollo
subvenit
.

[La Fortune {a} ne l’aide en rien ; Apollon, {b} son protecteur, ne lui procure aucun secours].


  1. Déesse qui décidait de la chance et de la malchance (v. note [9], lettre 138).

  2. Entre maintes autres attributions, Apollon était dieu de la guérison par les remèdes (v. note [8], lettre 997).

13.

« Les maîtres de l’art, Chiron, fils de Philyre, et Mélampe, fils d’Amythaon, l’ont abandonné » (Virgile, Géorgiques, livre iii, vers 549‑550).

V. note [5], lettre 551, pour Chiron, le centaure guérisseur. Noël dit de Mélampe, prince d’Argos, fils d’Amythaon et d’Idomène, et neveu de Jason, qu’il :

« s’adonna à la médecine et devint très habile dans la connaissance des plantes. Il entendait jusqu’au langage des animaux. Les filles de Proetus {a} ayant perdu l’usage de la raison, Mélampe les guérit par l’ellébore, qu’on nomma depuis melampodium, {b} et épousa une des filles du roi. Ce prince, après sa mort, fut honoré comme un demi-dieu ; on offrait des sacrifices sur son tombeau ; il fut même compté au nombre des dieux de la médecine. »


  1. Roi d’Argos, six générations avant le siège de Troie.

  2. V. note [27], lettre 395, pour cet autre nom de l’ellébore noir.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 160 vo.

Clariss. viro Thomæ Bartholino, Hafniam.

Vir Cl.
Postremam tuam accepi propria manu nostri Cl. D. Biermanni : cui, paucis
ecce respondebo. Laus sit Deo Opt. max. quod vivas et valeas : utinam
in multos annos. Petri Petiti Areteus lentè procedit per supinam Typothetæ
negligentiam. Hollerium, cum variorum Commentarijs nemo habebit ante
duos menses, Fulvium Ursinum inclusi cum alijs filiorum meorum libellis,
et aliorum Scriptorum, in fasciculo quem Tibi perferendum tradidi Cl. viro
D. Biermanno, qui sanctè mihi juravit seipsum propria manu Tibi redditurum.
Habebam in animo duos alios ibidem includendos : nempe Hollerium variorum,
in folio : et Fienum, de signis morborum :
sed prius expectandus finis
editionis : tunc temporis ad Te mittam, quando Vir eximius, Dom. Annibal Sestedt, Lega-
tus vester, in Daniam revertetur ; cum alijs si prostent. In 3. illa Editione
libri D. Vander Linden, de Scriptis Medicis, video multa emendanda, quæ
monitus, ut spero, emendabit. Utinam per otium et valetudinem Tibi liceat
in lucem emittere Corn. Celsum Io. Rhodij, viri optimi : quod si feceris,
maximo haud dubiè beneficio Remp. medicam totius Orbis eruditi feliciter
beabis. Febrifugus ille pulvis multos fefellit : nec vera esse possunt
quæ de illo mentiuntur et impune fingunt tot nebulones Mercurio
addicti, nempe Seplasiarij, pharmacopæi, Chymistæ, Loïolitæ, et alij
Lucripetæ : qui hoc unum agunt et student, ut aliquem decipiant Novitatis
suæ studio : et rem agant pro modulo virium. ^ Mihi tamen numquam/ imposuit istud figmen-/tum, utpote qui à novi-/tatib. abhorreo æquè ac/ à fraudibus et im-/posturis Artis. Hîc agitur de bello Lotha-
ringico, pro obsidiendo et capiendo Marsalio : ad quod Rex ipse dicitur
intra triduum profecturus, nisi mutandi consilij rationem subministrent
duo illi Principes qui supersunt de Familia
Lotharena.
Hîc habemus novum ac eru-
ditum librum Cl. Viri Sam. Bocharti, de Animantibus sacræ Scripturæ :
intra mensem alterum speramus æquè bonum, nempe Diogenem Laertium,
cum Notis et Commentarijs variorum eruditorum
. Hîc habemus nobilem Danum,
D. de Rosenkrantz, periculosè decumbentem, ex diaphthora pulmonis,
et atonia hepatis, cum fœdo et fœtido alvi profluvio, lentáq. febre,
quæ vires ejus ex diuturni morbi contumacia languidas miserè atterunt :
Ex arte et methodo multa illi fuerunt redhibita remedia : sed frustra : nihil
author Apollo subvenit
 : Consultores habui viros peritissimos Petrum Hom-
mets et Paulum Courtois ;
nec quidquam profecimus : cessere magistri
Phillyrides Chiron, Amythaoniúsque Melampus.
Vale et me ama.
Amicos omnes tuos resaluto. Parisijs, die 13. Aug. 1663.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Thomas Bartholin, le 13 août 1663

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(Consulté le 28/03/2024)

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