L. latine 264.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 1er novembre 1663

[Ms BIU Santé no 2007, fo 158 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johannes Antonides Vander Linden, à Leyde. [a][1]

J’avais déjà appris la cruelle et très douloureuse mort du très distingué M. Adolf Vorst, [2] et suis profondément peiné par la perte d’un si grand personnage, que j’ai toujours tenu pour un homme honnête et savant. Après avoir quitté Paris, son fils est allé à Orléans, pour y être reçu docteur en droit ; [3][4] si je le vois à son retour, avant qu’il ne reparte dans votre pays, je lui parlerai du Théophraste du très distingué Caspar Hofmann. [1][5][6] Je vous remercie d’avoir été le panégyriste de cet éminent défunt, afin de couronner sa gloire après sa mort, et d’avoir été le brillant chantre de ses talents : magnum est laudari à laudato viro ; [2][7] Dieu fasse pourtant que vous, qui avez grandement mérité l’admiration de beaucoup de gens, ne receviez pas de sitôt votre éloge funèbre, mais seulement dans dans nombre d’années. J’espère que nous verrons un jour votre Oratio imprimée, puissent les dieux vous accorder la volonté et le loisir de la publier. Je vous sais profondément gré d’accueillir avec tant de bienveillance ces illustres personnages que sont nos nobles Français. Le père et le fils sont deux hommes remarquables : le premier s’appelle Christophe Leschassier, [8] c’est l’un des anciens maîtres de la Chambre des comptes (notre ami M. Le Rebours appartient à la même Compagnie) ; [9] le second, c’est-à-dire le fils, est Robert Leschassier, conseiller au Parlement de Paris. [10] L’un et l’autre sont veufs : la femme du premier, atteinte d’une longue maladie, mourut d’une hydropisie du thorax il y a trois ans ; [11][12] l’épouse du fils, après quelques mois de mariage, mourut il y a sept mois d’une variole pestilente, étant encore une belle jeune fille. [3][13][14][15] Je ne sais qui est ce troisième ; ils me l’apprendront après qu’ils seront revenus chez nous, et je leur présenterai votre Henricus. [16] Ils m’apporteront l’opuscule de Deusing ; [17] y répond-il à votre Sylvius ? [4][18] Ces controverses de novitatibus anatomicis ne sont certes guère meilleures que celles qu’on agitait jadis dans les écoles de logique de lana caprina vel de asini umbra[5][19] Dieu soit loué que votre Hippocrate progresse si joliment. [20] Mes fils vous saluent. [21][22] On parle ici de la maladie de la reine mère du roi des Anglais, tante de notre roi et fille de notre grand roi Henri. [6][23] Rien de nouveau sur les autres affaires en cours. Nos princes ne semblent avoir peur de rien, pas même que le ciel ne nous tombe dessus ; même si le tyran des Turcs [24] est suspendu au-dessus de nos têtes, et s’il semble méditer la perte de l’Allemagne et de l’Italie tout entières, et les en menacer. Quoi qu’il advienne, je ne me prosternerai jamais devant Mahomet, qui est un pseudo-prophète de la pire espèce et un vaurien d’imposteur. [25] Le roi d’Espagne [26] se préoccupe de retarder sa mort et le pape, [27] de se prolonger pour puiser joyeusement, aussi durablement qu’il pourra, les eaux issues de ses propres sources et celles des autres ; l’empereur doit se garder du Turc. [28] Vale.

De Paris, le 1er de novembre 1663.

Vôtre en tout, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fo 158 ro.

1.
V. note [1], lettre d’Eberhard Vorst, datée du 7 février 1664, pour l’exemplaire de la Botanique de Théophraste d’Érèse que Caspar Hofmann avait annoté (v. notes [13], lettre 150) et que Guy Patin avait acquis ; il l’avait prêté en 1656 à Adolf Vorst, père d’Eberhard, qui n’en avait rien fait, et tenait absolument à le récupérer après son décès, survenu le 8 octobre 1663.

2.

« il est grand d’être loué par un homme digne de louange » ; emprunt à Cicéron (Tusculanes, livre iv, chapitre xxxi), citant l’Hector proficiscens [Le Départ d’Hector], tragédie de Nævius, dramaturge romain du iiie s. av. J.‑C. :

Lætus sum laudari me abs te, pater, a laudato viro

[Je suis heureux, mon père, d’être loué par un homme louable tel que toi].

V. note [5], lettre latine 263, pour l’Oratio funebris [Oraison funèbre] d’Adolf Vorst par Johannes Antonides Vander Linden (Leyde, 1664).

3.

Guy Patin était très ami et même parent éloigné, par alliance, des Leschassier, dont il soignait la famille : v. notes [14] et [16], lettre 190, pour Christophe et son épouse Marguerite, née Miron, et [5], lettre 871, pour leur fils Robert et son second mariage, en 1666, avec Anne Brayer. En 1661, il avait épousé en premières noces Marie-Françoise Loisel, fille d’Antoine ii Loisel, conseiller au Parlement et fils aîné du jurisconsulte, Antoine i (v. notes [3], lettre 91, et [48] du Borboniana 2 manuscrit).

La variole pestilentielle (variolæ pestilentes) était une forme maligne de la variole, dont la présentation s’apparentait à celle de la peste. Le long article de Fodère sur les fièvres pestilentielles (in Panckoucke) commence par cette définition :

« Fièvres qui ressemblent beaucoup à la peste {a} par leurs ravages, excepté qu’elles sont plus fréquentes et un peu moins meurtrières, et qu’elles n’ont pas nécessairement une origine étrangère ; qu’elles peuvent être épidémiques sans contagion, ou présenter ces deux caractères à la fois ; qu’elles peuvent être avec ou sans exanthème, {b} tels que pétéchies, pourpre, miliaire, etc., mais non avec des bubons et charbons déterminés, lesquels, s’ils se présentent, offrent les mêmes résultats que la peste proprement dite ; avec cette différence enfin, que la peste peut se manifester sans fièvre […] et que dans les maladies pestilentielles il y a toujours fièvre, qui peut être de la plus grande malignité, sans la peste. » {c}


  1. V. note [1], lettre 5.

  2. Éruption cutanée, v. note [6] de la Consultation 19.

  3. Peste mise à part.

4.

En 1663, Anton Deusing a publié trois livres polémiques contre Sylvius (Frans de Le Boë, v. note [13], lettre 759) :

Au moins deux autres ouvrages de la même série ont paru en 1664 :

5.

Guy Patin dénigrait les disputes « sur les innovations anatomiques » en les comparant aux vanités proverbiales des anciens « sur la laine de chèvre ou sur l’ombre de l’âne », qui sont deux adages qu’Érasme a illustrés.

6.

L’Hippocrate de Johannes Antonides Vander Linden ne continua pas d’avancer si joliment que souhaitait Guy Patin : le livre (Leyde, 1665, v. note [11], lettre 726) ne parut qu’après la mort de son auteur.

Dans ses nouvelles de Londres, la Gazette a évoqué la maladie de la reine Henriette-Marie (v. note [12], lettre 39), mère de Charles ii, roi de Grande-Bretagne, et fille du feu Henri iv, roi de France.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 158 ro.

Clariss. viro D. Io. Ant. Vander Linden, Leidam.

De acerbo et prorsus luctuoso Cl. Viri D. Ad. Vorstij interitu, jam aud[i-]
veram, et sanè, ex de tanti viri jactura seriò doleo : Eum semper habui virum bonum
ac eruditum. Filius ejus relicta Lutetia init Aurelias, à Orléans, ut ibi fiere[t] fia[t]
Doctor Iuris : si eum videam quando revertetur, priusquam transeat ad vos, eum
monebo de Theophrasto Viri Cl. Casp. Hofmanni. Defuncto viro optimo gratul[or]
quod illi ei post fato ipse gloriæ cumulus accesserit, Te habuisse Panegyristem, [et]
laudum suarum præconem eximium : magnum est laudari à laudato viro : utinam tamen
Tu, qui plurimùm et à plurimis laudati meruisti, non nisi serò et post multos anno[s]
lauderis. Panegyricum illum tuum spero nos aliquando visuros : quod ut contingat, Dij
Tibi concedant et mentem et otium. Quod tam benevolè illustres illos viros, nobiles
nostros Gallos exceperis, gratias ago Tibi amplissimas. Duo sunt viri eximij, Pater
et Filius : ille dicitur Christophorus Leschassier, unus ex Senioribus Magistris in Camera
Comptorum : (ejusdem est ordinis noster D. le Rebours :) alter nempe filius, est
Robertus Leschassier, Consiliarius in Senatu Parisiensi : uterq. sine uxore : illius uxor
diuturno morbo conferta, ante triennium obijt ex hydrope thoracico : Filij uxor, post
aliquot nuptiarum menses, adhuc formosa juvencula, ante 7. menses perijt ex vario-
lis pestilentibus. Tertius ille quis sit nescio : hoc me docebunt posteaquam ad nos re-
versi fuerint : et ad eos deducam Henricum tuum. Deusingij libellum per eos accipiam :
an in eo respondet Sylvio vestro ? certè controversiæ istæ de Novitatibus Anatomicis, vix
meliores sunt ijs quæ olim agitabantur in Scholis quorundam Logicorum, de lana caprina, ve[l]
de umbra asini.
Deo sit laus quod tam pulchrè procedat tuus Hippocrates. Filij mei Te salu-
tant : hîc agitur de morbo Reginæ Matris regis Anglorum, Regis nostri amitæ, et Hen mag[ni]
Henrici
nostri filiæ. De alijs negotijs, nihil novi. Principes nostri nihil videntur metuere
nisi nequidem quod Cælum ruat : etiam si Turcarum Tyrannus cervicibus nostris immi-
neat, totiqueusque Germaniæ atque Italiæ perniciem meditari atque minitari videatur [:]
utrumque sors cadat, Mahometo numquam supplex ero, pessimo pseudoprophetæ, ac im-
postori nequissimo. Rex Hispanus cogitat de morte retardanda : Papa studet longævitari :
ut quam diutissimè poterit, hauriat aquas in gaudio, de fontibus suis, et alienis : Cæsar sibi debet timere
à Turca. Vale. Parisijs, 1. Nov. 1663.

Tuus ad omnia Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 1er novembre 1663

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(Consulté le 19/04/2024)

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