[Ms BIU Santé no 2007, fo 158 ro | LAT | IMG]
Au très distingué M. Johannes Antonides Vander Linden, à Leyde. [a][1]
J’avais déjà appris la cruelle et très douloureuse mort du très distingué M. Adolf Vorst, [2] et suis profondément peiné par la perte d’un si grand personnage, que j’ai toujours tenu pour un homme honnête et savant. Après avoir quitté Paris, son fils est allé à Orléans, pour y être reçu docteur en droit ; [3][4] si je le vois à son retour, avant qu’il ne reparte dans votre pays, je lui parlerai du Théophraste du très distingué Caspar Hofmann. [1][5][6] Je vous remercie d’avoir été le panégyriste de cet éminent défunt, afin de couronner sa gloire après sa mort, et d’avoir été le brillant chantre de ses talents : magnum est laudari à laudato viro ; [2][7] Dieu fasse pourtant que vous, qui avez grandement mérité l’admiration de beaucoup de gens, ne receviez pas de sitôt votre éloge funèbre, mais seulement dans dans nombre d’années. J’espère que nous verrons un jour votre Oratio imprimée, puissent les dieux vous accorder la volonté et le loisir de la publier. Je vous sais profondément gré d’accueillir avec tant de bienveillance ces illustres personnages que sont nos nobles Français. Le père et le fils sont deux hommes remarquables : le premier s’appelle Christophe Leschassier, [8] c’est l’un des anciens maîtres de la Chambre des comptes (notre ami M. Le Rebours appartient à la même Compagnie) ; [9] le second, c’est-à-dire le fils, est Robert Leschassier, conseiller au Parlement de Paris. [10] L’un et l’autre sont veufs : la femme du premier, atteinte d’une longue maladie, mourut d’une hydropisie du thorax il y a trois ans ; [11][12] l’épouse du fils, après quelques mois de mariage, mourut il y a sept mois d’une variole pestilente, étant encore une belle jeune fille. [3][13][14][15] Je ne sais qui est ce troisième ; ils me l’apprendront après qu’ils seront revenus chez nous, et je leur présenterai votre Henricus. [16] Ils m’apporteront l’opuscule de Deusing ; [17] y répond-il à votre Sylvius ? [4][18] Ces controverses de novitatibus anatomicis ne sont certes guère meilleures que celles qu’on agitait jadis dans les écoles de logique de lana caprina vel de asini umbra. [5][19] Dieu soit loué que votre Hippocrate progresse si joliment. [20] Mes fils vous saluent. [21][22] On parle ici de la maladie de la reine mère du roi des Anglais, tante de notre roi et fille de notre grand roi Henri. [6][23] Rien de nouveau sur les autres affaires en cours. Nos princes ne semblent avoir peur de rien, pas même que le ciel ne nous tombe dessus ; même si le tyran des Turcs [24] est suspendu au-dessus de nos têtes, et s’il semble méditer la perte de l’Allemagne et de l’Italie tout entières, et les en menacer. Quoi qu’il advienne, je ne me prosternerai jamais devant Mahomet, qui est un pseudo-prophète de la pire espèce et un vaurien d’imposteur. [25] Le roi d’Espagne [26] se préoccupe de retarder sa mort et le pape, [27] de se prolonger pour puiser joyeusement, aussi durablement qu’il pourra, les eaux issues de ses propres sources et celles des autres ; l’empereur doit se garder du Turc. [28] Vale.
De Paris, le 1er de novembre 1663.
Vôtre en tout, Guy Patin.
Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fo 158 ro.
« il est grand d’être loué par un homme digne de louange » ; emprunt à Cicéron (Tusculanes, livre iv, chapitre xxxi), citant l’Hector proficiscens [Le Départ d’Hector], tragédie de Nævius, dramaturge romain du iiie s. av. J.‑C. :
Lætus sum laudari me abs te, pater, a laudato viro
[Je suis heureux, mon père, d’être loué par un homme louable tel que toi].
V. note [5], lettre latine 263, pour l’Oratio funebris [Oraison funèbre] d’Adolf Vorst par Johannes Antonides Vander Linden (Leyde, 1664).
Guy Patin était très ami et même parent éloigné, par alliance, des Leschassier, dont il soignait la famille : v. notes [14] et [16], lettre 190, pour Christophe et son épouse Marguerite, née Miron, et [5], lettre 871, pour leur fils Robert et son second mariage, en 1666, avec Anne Brayer. En 1661, il avait épousé en premières noces Marie-Françoise Loisel, fille d’Antoine ii Loisel, conseiller au Parlement et fils aîné du jurisconsulte, Antoine i (v. notes [3], lettre 91, et [48] du Borboniana 2 manuscrit).
La variole pestilentielle (variolæ pestilentes) était une forme maligne de la variole, dont la présentation s’apparentait à celle de la peste. Le long article de Fodère sur les fièvres pestilentielles (in Panckoucke) commence par cette définition :
« Fièvres qui ressemblent beaucoup à la peste {a} par leurs ravages, excepté qu’elles sont plus fréquentes et un peu moins meurtrières, et qu’elles n’ont pas nécessairement une origine étrangère ; qu’elles peuvent être épidémiques sans contagion, ou présenter ces deux caractères à la fois ; qu’elles peuvent être avec ou sans exanthème, {b} tels que pétéchies, pourpre, miliaire, etc., mais non avec des bubons et charbons déterminés, lesquels, s’ils se présentent, offrent les mêmes résultats que la peste proprement dite ; avec cette différence enfin, que la peste peut se manifester sans fièvre […] et que dans les maladies pestilentielles il y a toujours fièvre, qui peut être de la plus grande malignité, sans la peste. » {c}
- V. note [1], lettre 5.
- Éruption cutanée, v. note [6] de la Consultation 19.
- Peste mise à part.
En 1663, Anton Deusing a publié trois livres polémiques contre Sylvius (Frans de Le Boë, v. note [13], lettre 759) :
[Écho contre la forêt. Ou Sylvius qui se punit lui-même. Avec un appendice sur la fonction du foie et de la bile ; de même qu’un essai sur la question de savoir si la médecine est une science ou un art. Opposé à la querelle de Sylvius] ; {a}
[Recherche anti-sylvienne sur la chaleur innée {b} et la chaleur accrue du sang dans le cœur ; où sont pesés à l’aune de la vérité, épluchés et réfutés les soupçons, les opinions et les conjectures du très célèbre Franciscus Sylvius, comme lui-même les dit, et même ses véritables inepties et sornettes] ; {c}
[Recherche anti-sylvienne sur le mouvement du cœur et des artères, qui pèse à l’aune de la vérité, épluche et réfute les inepties et les sornettes du très célèbre Jacobus Sylvius, docteur et professeur de médecine]. {d}
Au moins deux autres ouvrages de la même série ont paru en 1664 :
[Recherche anti-sylvienne sur le signe pathognomonique {a} des fièvres, débattue en l’illustre Université de Groningue et des Ommenlanden. Avec une Préface {b} concernant l’Épître injurieuse de Sylvius. {c} par Anton Deusing…] ; {d}
Guy Patin dénigrait les disputes « sur les innovations anatomiques » en les comparant aux vanités proverbiales des anciens « sur la laine de chèvre ou sur l’ombre de l’âne », qui sont deux adages qu’Érasme a illustrés.
Loquitur de morosis in amicitia, qui quantumlibet frivola de causa litem cum amico suscipiunt.
[On dit des gens chagrins en amitié que ce sont ceux qui, pour n’importe quelle raison frivole, engagent un procès contre leur ami].
Proinde sunt qui credant hoc adagii primum ab auctore Demosthene natum fuisse, fabulam hujusmodi referentes : Cum aliquando Demosthenes quendam in causa capitali defenderet, ac iudices haberet parum attentos, sed dicenti obstreperent, ille, Paullisper, inquit, aures mihi præbete, si quidem rem narrabo novam, ac lepidam, atque auditu iucundam. Ad quæ verba cum illi jam aures arrexissent, adolescens, inquit, quispiam asinum conduxerat, rerum quiddam Athenis Megaram deportaturus. Inter viam autem cum æstus meridianus ingravesceret, depositis clitellis, sub asino sedens, eius umbra semet obtegebat. Cæterum id agaso non sinebat, hominem inde depellens, clamansque asinum esse locatum, non asini umbram. Alter item ex adverso tendebat, asseverans etiam umbram asini sibi conductam esse. Atque ita inter eos acerrima rixa in longum producta est, ita, ut etiam ad manus venerint : hoc pertinaciter affirmante, non conductam esse asini umbram, illo pari contentione respondente, umbram etiam asini conductam esse. Demum in ius ambulant. Hæc locutus Demosthenes, ubi sensisset iudices diligenter auscultantes, repente cœpit a tribunalibus descendere. Porro revocatus a iudicibus, rogatusque ut reliquum fabulæ pergeret enarrare : De asini, inquit, umbra libet audire, viri causam de vita periclitantis audire gravamini.
[Certains pensent aussi que la primeur de cet adage appartient à Démosthène et racontent l’histoire que voici. « Un jour qu’il plaidait dans une affaire capitale et qu’il était face à des juges peu attentifs, ce qui l’empêchait de bien discourir, il leur dit : “ Écoutez-moi un instant, je vais vous raconter une histoire, et elle est nouvelle, plaisante et agréable à entendre. ” À ces mots, ils dressèrent l’oreille et il reprit : “ Se rendant de Mégare {a} à Athènes pour quelque affaire, un jeune homme avait loué un âne. Chemin faisant, comme la chaleur de midi lui pesait, il fit poser le bât à terre et s’assit sous l’âne pour s’abriter de son ombre ; ne permettant pas qu’il en fît ainsi, l’ânier délogea le garçon de là, proclamant qu’il avait loué l’âne et non son ombre ; l’autre prétendait le contraire, affirmant qu’il avait aussi payé pour l’ombre de l’âne. Tant et si bien qu’une très vive dispute s’engagea bientôt entre eux, au point qu’ils en vinrent aux mains : à l’un qui criait n’avoir pas loué l’ombre de l’âne, l’autre répondait le contraire ; et finalement, ils se rendent au tribunal. ” Quand il eut dit cela et perçu que les juges l’écoutaient attentivement, Démosthène commença à descendre de la tribune. Aussitôt, les juges le rappelèrent et lui demandèrent de leur raconter la suite de l’histoire : “ Il vous plaît d’entendre parler de l’ombre d’un âne, dit-il, quand vous rechignez à écouter la cause d’un homme menacé de mort ” »].
- Ville d’Attique, Mégare (v. notule {a}, note [5], lettre latine 264) se situe à mi-chemin entre Corinthe et Athènes ; la distance à parcourir était d’une quarantaine de kilomètres.
L’Hippocrate de Johannes Antonides Vander Linden ne continua pas d’avancer si joliment que souhaitait Guy Patin : le livre (Leyde, 1665, v. note [11], lettre 726) ne parut qu’après la mort de son auteur.
Dans ses nouvelles de Londres, la Gazette a évoqué la maladie de la reine Henriette-Marie (v. note [12], lettre 39), mère de Charles ii, roi de Grande-Bretagne, et fille du feu Henri iv, roi de France.
« Le 27e du passé, qui était le 15e de la maladie de la reine, elle se trouva le matin beaucoup plus indisposée qu’à l’ordinaire, bien qu’elle eût passé la nuit précédente avec assez de tranquillité. Le soir, elle sentit quelque soulagement ; et ayant encore très bien reposé la nuit suivante, sans aucun remède, elle demeura dans cet état tout le jour 29e. Mais depuis, son mal s’est tellement augmenté qu’elle est presque abandonnée des médecins. »
« Le premier de ce mois, la reine eut un redoublement de fièvre si violent que l’on douta plus que jamais de sa guérison ; mais sa maladie s’est depuis si notablement diminuée qu’on espère qu’elle sera bientôt en état d’une parfaite convalescence. »
« Depuis le 7e de ce mois, la santé de la reine s’est tellement fortifiée que l’on ne doute point qu’elle ne soit bientôt aussi parfaite qu’auparavant ; ce qui cause beaucoup de joie en cette cour. »
Ms BIU Santé no 2007, fo 158 ro.
Clariss. viro D. Io. Ant. Vander Linden, Leidam.
De acerbo et prorsus luctuoso Cl. Viri D. Ad. Vorstij interitu, jam aud[i-]
veram, et sanè, ex de tanti viri jactura seriò doleo : Eum semper habui virum bonum
ac eruditum. Filius ejus relicta Lutetia init Aurelias, à Orléans, ut ibi fiere[t] fia[t]
Doctor Iuris : si eum videam quando revertetur, priusquam transeat ad vos, eum
monebo de Theophrasto Viri Cl. Casp. Hofmanni. Defuncto viro optimo gratul[or]
quod illi ei post fato ipse gloriæ cumulus accesserit, Te habuisse Panegyristem, [et]
laudum suarum præconem eximium : magnum est laudari à laudato viro : utinam tamen
Tu, qui plurimùm et à plurimis laudati meruisti, non nisi serò et post multos anno[s]
lauderis. Panegyricum illum tuum spero nos aliquando visuros : quod ut contingat, Dij
Tibi concedant et mentem et otium. Quod tam benevolè illustres illos viros, nobiles
nostros Gallos exceperis, gratias ago Tibi amplissimas. Duo sunt viri eximij, Pater
et Filius : ille dicitur Christophorus Leschassier, unus ex Senioribus Magistris in Camera
Comptorum : (ejusdem est ordinis noster D. le Rebours :) alter nempe filius, est
Robertus Leschassier, Consiliarius in Senatu Parisiensi : uterq. sine uxore : illius uxor
diuturno morbo conferta, ante triennium obijt ex hydrope thoracico : Filij uxor, post
aliquot nuptiarum menses, adhuc formosa juvencula, ante 7. menses perijt ex vario-
lis pestilentibus. Tertius ille quis sit nescio : hoc me docebunt posteaquam ad nos re-
versi fuerint : et ad eos deducam Henricum tuum. Deusingij libellum per eos accipiam :
an in eo respondet Sylvio vestro ? certè controversiæ istæ de Novitatibus Anatomicis, vix
meliores sunt ijs quæ olim agitabantur in Scholis quorundam Logicorum, de lana caprina, ve[l]
de umbra asini. Deo sit laus quod tam pulchrè procedat tuus Hippocrates. Filij mei Te salu-
tant : hîc agitur de morbo Reginæ Matris regis Anglorum, Regis nostri amitæ, et Hen mag[ni]
Henrici nostri filiæ. De alijs negotijs, nihil novi. Principes nostri nihil videntur metuere
nisi nequidem quod Cælum ruat : etiam si Turcarum Tyrannus cervicibus nostris immi-
neat, totiqueusque Germaniæ atque Italiæ perniciem meditari atque minitari videatur [:]
utrumque sors cadat, Mahometo numquam supplex ero, pessimo pseudoprophetæ, ac im-
postori nequissimo. Rex Hispanus cogitat de morte retardanda : Papa studet longævitari :
ut quam diutissimè poterit, hauriat aquas in gaudio, de fontibus suis, et alienis : Cæsar sibi debet timere
à Turca. Vale. Parisijs, 1. Nov. 1663.
Tuus ad omnia Guido Patin.