L. latine 273.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 28 décembre 1663

[Ms BIU Santé no 2007, fo 155 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Christiaen Utenbogard, docteur en médecine, à Utrecht. [a][1]

Je vous ai récemment envoyé plusieurs lettres sous le même pli, par l’intermédiaire de M. van Ganguel, [2] et me voici pourtant qui reprends la plume. [1] Qu’est devenu votre Gisbertus Voetius ? [3] n’est-il pas toujours en vie, n’écrit-il pas de nouveaux livres ? Comment la vierge érudite de votre pays, cette dixième Muse, Maria van Schurman, se porte-t-elle, [4] et le très distingué M. Timannus Gesselius, [5] dont vous m’avez naguère envoyé l’Historia ecclesiastica ? Quel âge a cet éminent homme, n’exerce-t-il pas la médecine chez vous, ne persiste-t-il pas dans son dessein d’écrire une Historia sacra ? Les gens érudits louent ici extrêmement son ouvrage ; puisse Dieu lui permettre d’achever enfin une si grande œuvre. [2] Comment va notre M. van Diemerbroeck, [6] quel âge a-t-il à présent ? Comment se portent notre ami Marten Schoock et ses fils ? [7][8][9] Qui a-t-on désigné comme successeur au très éminent Adolf Vorst en l’Université de Leyde ? [10] On dit ici que la peste diminue fort à Amsterdam, Dieu fasse que ce soit vrai. [11] Il est chez nous seulement question de la guerre à mener en Italie au printemps prochain, [12] mais ni du Turc[13] ni du pape, [14] ni de Nicolas Fouquet ; [15] sinon qu’on imprime, dit-on, en votre Hollande des libelles apologétiques pour sa défense et pour la réfutation de ses adversaires, qu’en savez-vous ?

[Ms BIU Santé no 2007, fo 155 vo | LAT | IMG] La Chambre de Justice [16] continue ici ses poursuites contre les partisans et leurs héritiers, tous les biens desquels on a fait saisir, pour les obliger de rendre ce qu’ils ont dérobé, de bon gré ou de force. On dit que le roi s’en ira à Lyon, le mois de janvier prochain. On parle de guerre pour l’Italie, et que le roi a acheté Casal, six millions du duc de Mantoue[3][17][18]

Ce 27e de décembre. Mais voici que je reçois la vôtre datée du 9e de décembre, par votre ami M. Hoenfd, [4][19] qui m’a fait appeler et que je suis aussitôt allé visiter car il souffrait d’une fluxion de la gorge avec gêne à la déglutition, fièvre continue [20] et menace imminente d’étouffement. J’y retournerai demain pour voir si les remèdes que je lui ai prescrits lui auront été utiles et seront adaptés à son état dans les prochains jours. Il a très grand besoin de la phlébotomie qui, étant répétée une seconde fois, comme j’espère, emportera tous les suffrages et achèvera la guérison. [21] Je lui porterai celle-ci pour qu’il la joigne à ses lettres ; s’il n’écrivait pas dans sa patrie et n’acceptait donc pas ma lettre à vous envoyer, je la remettrais à Isaac, le commis de M. van Ganguel, c’est-à-dire à la voie coutumière par laquelle je vous ai récemment écrit et expédié un paquet de nombreuses lettres. Je vous enverrai sans doute ce que vous m’avez demandé dans votre dernière, mais il me faut d’abord retrouver cet Hortus Blesensis : [22][23] je me rappelle certes l’avoir vu, mais je ne sais où il s’achète ; il n’en a subsisté aucun exemplaire chez l’imprimeur, mais quelques-uns ont été dispersés et presque aucun n’est exposé à la vente ; Gaston, duc d’Orléans, l’oncle de notre roi, les avait en sa possession et conservés. [24] J’espère néanmoins découvrir ce livre d’un autre côté. [5] Sachez en attendant que votre collègue me sera très cher et très recommandé, tant pour la durée de sa maladie que durant sa convalescence ; et quand il partira d’ici, en quelque région qu’il aille, je lui remettrai des lettres de recommandation pour les amis que j’ai en divers endroits. En un mot, aussi longtemps qu’il restera ici, grâce à moi, il ne manquera de rien. Je salue de tout cœur Mesdames vos sœurs et les très chers neveux qu’elles vous ont donnés, [25][26] ainsi que M. Canter [27] et, en tout premier lieu, le très distingué Marten Schoock qu’après vous, je place volontiers devant tous les autres amis que j’ai en votre pays, en quelque nombre qu’ils puissent être. Vale, vous qui êtes la parure de ma vie, le meneur chéri de mes amis, la fleur que j’ai cueillie, et aimez-moi.

De Paris, le 28e de décembre 1663.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon manuscrit, à la fois autographe (première moitié) et dicté (seconde moitié), d’une lettre que Guy Patin a écrite à Christiaen Utenbogard, ms BIU Santé no 2007, fo 155 ro et vo.

1.

Guy Patin reprenait la plume après avoir confié à M. van Ganguel (v. note [6], lettre latine 272) les deux précédentes lettres qu’il avait tout récemment écrites à Christiaen Utenbogard, les 20 et 21 décembre 1663.

2.

Guy Patin semblait se perdre un peu dans les titres du médecin et théologien Timannus Gesselius (Timan van Gessel) : alors âgé d’environ 72 ans, il avait publié une Historia sacra et ecclesiastica [Histoire sacrée et ecclésiastique] (Utrecht, 1659, v. note [10], lettre 680), à laquelle il allait bientôt ajouter non pas une Historia sacra [Histoire sacrée], mais l’Antiqua et vera fides, et sola servans, demonstrata plurimis S.S. Scripturæ, et sanctorum Patrum testimoniis [Antique et véritable foi, et la seule à observer, démontrée par les nombreux témoignages de la très Sainte Écriture et des Saints Pères] (Utrecht, Gisbert Zijll, 1664, in‑4o).

3.

Paragraphe en italique écrit en français dans le manuscrit, langue que comprenait parfaitement Christiaen Utenbogard.

Les troupes françaises se mettaient en position dans le nord de l’Italie pour attaquer Rome, mais cette guerre n’eut pas lieu : la paix de Pise vint mettre fin en février 1664 à la vive querelle que l’affaire des gardes corses avait allumée entre le pape Alexandre vii et Louis xiv (v. note [4], lettre latine 241).

Le duc de Mantoue, Charles ii de Gonzague, mourut en 1665 sans avoir vendu Casal à la France ; mais son successeur, Charles iii, le fit en 1681. Les Lettres et négociations entre Mr Jean de Witt, conseiller pensionnaire et garde des sceaux des Provinces de Hollande et de West-Frise, et Messieurs les plénipotentiaires des Provinces-Unies des Pays-Bas. Aux cours de France, d’Angleterre, de Suède, de Danemark, de Pologne, etc. Depuis l’année 1652 jusqu’à l’an 1669. Traduites du hollandais. Tome seconde < sic > contenant les négociations de Mrs G. Boreel et C. van Beuninge, en France, depuis l’an 1660 jusqu’à l’an 1664 (Amsterdam, Jansson-Waesberge, 1725, in‑12) contiennent néanmoins un courrier de Willem Boreel (v. note [34], lettre 477) à de Witt, daté de Paris le 3 avril 1663 (page 488‑489), qui commence par ce paragraphe :

« On continue à parler ici du contrat secret que l’on dit conclu entre cette cour et l’ambassadeur extraordinaire du duc de Mantoue, pour la vente de Casal et du marquisat de Montferrat, comme d’une chose que l’on sait bien ; cependant, je ne puis encore le croire après les déclarations qui m’ont été faites en termes formels par des personnes qui sont au gouvernail. Dans la visite que M. l’ambassadeur Grimani {a} m’a donnée pour prendre congé de moi, et dans celle que je lui rendis, il me confirma, aussi bien que mardi passé le maréchal de Villeroy, {b} que M. de Lionne {c} m’avait dit la vérité, et que ce n’était qu’un bruit de la cour de Rome faisait courir pour rendre les actions du roi odieuses aux princes d’Italie et exciter leur jalousie contre la France. Si cela est, il ne faut pas ajouter foi à tout ce que l’on publie en même temps des suites de cette affaire. »


  1. V. note [6], lettre latine 213, pour Alvise Grimani, ambassadeur de Venise à Paris.

  2. Nicolas ii de Neufville, maréchal et duc de Villeroy, v. note [5], lettre 133.

  3. Hugues de Lionne, secrétaire d’État aux affaires étrangères, v. note [9], lettre 188.

4.

Première de quatre citations de ce médecin hollandais nommé Hoenfd (aussi orthographié Oenfd dans le manuscrit, prénom inconnu) dans la correspondance de Guy Patin avec Christiaen Utenbogard.

Patin a entièrement dicté la suite de sa lettre.

5.

Le mot adapturum du manuscrit n’ayant pas de sens en latin, je l’ai tenu pour une inattention du scribe de Guy Patin, qui aurait dû écrire adaperturum (radical du supin du verbe adaperire, découvrir).

V. note [74], lettre 332, pour le « Jardin royal de Blois » d’Abel Brunier (Paris, 1653 et 1655) et pour son maître Gaston d’Orléans (mort en 1660).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 155 ro.

Cl. viro D. Christ. Utenbogardo, Medicinæ Doctori, Ultrajectum.

Nuper ad Te misi plures Epistolas simul compactas, per viam D. Van Ganguel,
et tamen ecce iterum ad Te scribo. Quid factum est vestro Gisberto Voetio ? adhucne vivit,
scribitne novos libros ? quî se habet erudita illa virgo vestras, decima illa Musa,
Maria de Schurmans ? ut et Vir Cl. D. Timmanus Gesselius, cujus historiam Eccle-
siasticam antehac misisti : quam agit ætatem maximus ille vir ? facitne apud
vos Medicinam ? pergitne in eodem proposito scribendi sacram historiam ? ejus Opus
hîc à viris eruditis maximoperè laudatur : utinam liceat illi tantum Opus tandem
absolvere. Quî se habet bonus ille vir D. Diemerbroeck ? quot hodie annorum ?
quî valet amicus noster Mart. Schoockius, et ejus Filij ? quisnam successor
Cl. Viro Adolpho Vorstio designatus in Academia Leidensi ? luens pestilens hîc
fertur admodum imminuta Amstelodami : quod utinam sit verum. Hîc dumta-
xat agitur de bello in Italia gerendo, vere proximo. De Turca, de Papa, de N.
Fuqueto,
nihil : nisi quod in Hollandia vestra dicitur typis mandari quidam libelli
apologetici, pro ejus defensione, et adversariorum refutatione : de qua re quid nosti ?

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 155 vo.

La Chambre de Iustice continue ici ses poursuites contre les Par-
tisans et leurs héritiers, tous les biens desquels on a fait saisir,
pour les obliger de rendre ce qu’ils ont dérobé, de bon gré, ou de
force. On dit que le Roy s’en ira à Lion, le mois de Ianv. prochain.
On parle de guerre pour l’Italie, et que le Roy a achepté Casal,
4. six millions du duc de Mantoüe. Ce 27. Dec. Sed ecce tuam accipio datam 9. Dec.
per amicum tuum D. Hoenfd. qui quûm malè haberet à
fluxione in fauces cum impedimento deglutitionis febre
assidua, et dyspnœa et quodam presentaneæ suffocationis
periculo misit ad me eumq. statim invisi : cras ad eum
revertar ut videam quid illi profuerint et quantum idonea
illi futura sint quæ illi præscripsi remedia. Venæ sectione
potissimum indiget quæ iterum ut spero repetita pro
secunda vice omne feret punctum et curationem perficiet :
eas a hasce illi tradam ut eas includat cum suis : quod
si non scriberet in Patriam ideoque Epistolam meam
ad Te mittendam non recipiat, tradam illam Isaaco
famulo D. Van Ganguel id est viâ solitâ per quam nuper
ad Te scripsi misique fasciculum multarum Literarum.
Haud dubiè ad te mittam quæ postremis tuis postulasti,
sed prius est mihi reperiendus hortus ille Blæsensis cujus
quem quidem olim me vidisse memini, sed ubinam
prostet nescio : nullum remansit exemplar apud
Typographum, pauca tamen fuerunt distracta et ferè
nulla vænum exposita : ea sibi habebat atq; retinebat
Gasto Dux Aurelianensis, Regis nostri Patruus. Spero tamen
me ex aliqua parte illum tandem adapturum. Interim
scias mihi carissimum et commendatissimum fore Collegam
tuum, tum quamdiu ægrotabit tum quoque postquam
convaluerit. Et tum hinc discedet in quamcumque regionem
abeat commendatitias Epistolas illi tradam ad Amicos meos
quos varijs in locis habeo. Dicam verbo quamdiu hîc manebit
per me, nulla re indigebit. Dominas sorores tuas et ex
illis nepotes carissimos ex animo saluto ut et D. Canterum,
et imprimis Cl. Virum Mart. Schoockium quem post Te,
omnibus alijs meis Amicis quotquot illi esse possunt
in patria vestra lubens antepono. Vale meum decus, et me ama carum
caput Amicorum, flos delibate, et me ama.
Parisijs, 28. Dec. 1663.

Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 28 décembre 1663

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(Consulté le 24/04/2024)

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