L. latine 290.  >
À Johann Georg Volckamer,
les 10 et 28 mars 1664

[Ms BIU Santé no 2007, fo 167 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Georg Volckamer, à Nuremberg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Tandis que je suis dans l’attente impatiente de ce que vous m’avez envoyé par l’intermédiaire de M. Picques, [2] parce qu’il faut se soumettre à la force supérieure, en l’occurrence à la loi et à l’édit de notre prince qui, par crainte de la contagion, a interdit que tous les navires chargés d’abondantes marchandises ayant mis la voile à Hambourg ou à Amsterdam n’abordent à Rouen, sauf à avoir complété quarante jours de mer, après la quarantaine ; [1][3][4][5] tandis, dis-je, que s’écoule ce délai, voici que l’édit du roi est annulé et révoqué parce que la peste est en train de régresser, s’étant atténuée dans ces contrées. J’espère qu’ainsi je recevrai bientôt ce que vous avez depuis longtemps acheté pour moi et qui a jusqu’ici été arrêté en chemin. En attendant, je vous sollicite à nouveau pour l’acquisition de quelques livres dont je vous joins la courte liste. Tandis que je vous écris, il me vient de Hollande la très funeste et déplorable nouvelle de la mort à Leyde du très distingué M. Johannes Antonides Vander Linden. [6] J’en suis profondément attristé. Il préparait une nouvelle édition de notre Hippocrate, qui n’est pas encore terminée. [2][7][8] Ce fut un homme excellent et doté d’une érudition peu commune, ainsi que le plus constant des amis. Dieu veuille que son âme repose en paix. {Mais dites-moi, je vous prie, qui est ce Phil. Carolus, professeur d’Altdorf, qui est devenu papiste ? Où cet honnête homme vit-il aujourd’hui et que fait-il ?} [3][9] Voilà hélas cinq mois qu’un autre est mort à Leyde, M. Adolf Vorst, [10] remarquable professeur de botanique qui, de son vivant, a été un très éminent et excellent personnage : ainsi donc, cette Université de Leyde a été amputée de deux membres en peu de temps. Nous n’avons ici rien de nouveau en librairie, tant la pauvreté publique engourdit misérablement et honteusement nos imprimeurs. [11] Comment MM. Richter, [12] Felwinger, [13] Conring, [14] Rolfinck, [15] ces illustres Sénons de votre pays, [4][16] se portent-ils ? Je les salue tous de tout cœur.

De Paris, le 10e de mars 1664.

Ce 22e de mars, j’ai enfin reçu le paquet que je désirais vivement et je vous en remercie tout particulièrement. J’y ai trouvé cette Pharmacopœa Ollingeriana [17][18] et le livre de M. Felwinger, [5][19][20] avec environ 30 disputations médicales. [21] Leonardus Ursinus, professeur de botanique à Leipzig, [22] m’a écrit qu’il m’enverrait quelque chose par votre intermédiaire, j’entends des thèses de cette sorte. [23] Après que vous m’en aurez indiqué le montant, j’en rembourserai toute la dépense avec gratitude à M. Picques. On parle ici de l’ambassadeur d’Espagne [24] qui a fort irrité le roi en consacrant beaucoup d’argent à corrompre un certain individu, qui est le copiste du premier commis de M. de Lionne, secrétaire d’État qui a les Affaires étrangères ; [6][25][26] sur ordre du roi, [27] ce traître a été jeté en prison ; væ proditori, væ capto, væ misero[7][28] Il a été pendu en Grève, [29][30][31] il était de Nuits en Bourgogne[32] Vous connaissez ce passage machiavélique [33] de Scioppius : Legatus est vir bonus (voluit forsan dicere callidus) peregre missus ad mentiendum, Reipublicæ causa, vel saltem Regis sui[8][34] Vale et aimez-moi. J’approuve fort ces thèses que j’ai récemment reçues, je vous en remercie, ainsi que du livre de M. Felwinger ; je suis prêt à vous en rembourser toute la dépense.

De Paris, le 28e de mars1664.

Tout à vous, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fo 167 vo.

1.

Italique en français dans le texte.

V. note [6], lettre 7, pour contagion comme synonyme de peste.

Quarantaine (Panckoucke) :

« Nom qui dérive de quarante jours, espace de temps auquel Hippocrate, d’après Pythagore, attribuait le pouvoir d’achever plusieurs choses, et que l’on a longtemps cru être nécessaire ou suffire pour mettre à l’abri du soupçon de l’existence d’une maladie ; transporté ensuite au séjour que sont obligés de faire dans un lieu séparé ceux qui sont affligés d’une maladie contagieuse, ou qui en relèvent tout récemment, ou qui arrivent d’un endroit infecté ou soupçonné, avant d’être introduits librement dans la société ; sans que l’on suive le nombre de jours déterminé par le sens de ce mot, mais seulement le nombre relatif au besoin des circonstances. La quarantaine est vraiment l’âme de toute prophylactique des affections contagieuses, et cette vérité a été reconnue dès les temps les plus anciens […]. Mais comme l’infection peut s’attacher aux choses inanimées et aux êtres vivants, avec de grandes différences dans les résultats ; comme aussi elle peut n’être que soupçonnée, sans exister réellement, quoique la quarantaine ne soit pas moins commandée par le salut public, de là des différences dans l’exercice de cette précaution qui la divisent en quarantaine des marchandises, quarantaine des malades, quarantaine de simple observation. »

Cette remarque sur la peste de Hollande renforce la supposition que Johannes Antonides Vander Linden en fût mort à Leyde le 5 mars 1664 (v. note [8], lettre latine 289).

2.

V. note [11], lettre 726, pour les Opera omnia [Œuvres complètes] d’Hippocrate en grec et latin par Johannes Antonides Vander Linden, qui parurent en 1665 par les soins de son fils Hendrik, et pour les quatre vers latins que Guy Patin a écrits en hommage à son ami.

3.

Guy Patin a rayé cette digression (mise entre accolades), la jugeant sans doute incongrue à cet endroit.

Philippus Carolus était mort en 1639 (v. note [3], lettre latine 295).

4.

Guy Patin s’était déjà servi de cette référence aux anciens Gaulois sénons pour glorifier Simon ii Piètre dans sa lettre latine du 22 avril 1650 à Johann Georg Volckamer (v. sa note [7]).

5.

Designatio alphabetica medicamentorum omnium in officina pharmaceutica Öllingeriana Noribergæ prostantium : adjuncta passim medicamenta componendi Methodo succincta, et insertis compositionibus quibusdam Medicorum fama celebrium experientia multiplici comprobatis ; in tres partes divisa : quarum prior, Medicamenta Dogmatica, posterior, Cymica seu Spagyrica, ulterior, Simplicia trium Regnorum, complectitur, a Georgio-Erasmo Öllingero, Pharmacopæo Seniori conscripta.

[Liste alphabétique de tous les médicaments qui se trouvent dans l’officine pharmaceutique öllingérienne à Nuremberg, jointe en maints endroits à une méthode succincte pour associer les médicaments entre eux, avec certaines compositions que l’expérience étendue de médecins renommés a approuvées. Elle est divisée en trois parties : la première contient les Médicaments dogmatiques, la suivante, les chimiques ou spagiriques, et la dernière, les simples des trois règnes. {a} Écrite par Georgius Erasmus Öllingerus, {b} pharmacien en chef]. {c}


  1. Animal, végétal et minéral.

  2. Georg Erasmus Öllinger était probablement descendant de Georg (1487-1557), lui aussi pharmacien de Nuremberg.

  3. Nuremberg, héritiers de Johann Andreas Endter et Wolfgang le Jeune, 1663, in‑12, avec approbation du Collège des médecins de Nuremberg et longue épître à eux adressée. V. référence 7 de la note [16], lettre latine 16, pour la précédente pharmacopée de Nuremberg, publiée en 1535, et rééditée en 1598 et 1612.

V. note [7], lettre latine 251, pour l’édition par Johann Paul Felwinger du commentaire des 12 livres de la Métaphysique d’Aristote par Wilhelm Ernst Soner (Iéna, 1657).

6.

Ce passage en italique est en français dans le manuscrit, avec ajout de « copiste du » au premier jet d’écriture.

Hugues de Lionne (v. note [9], lettre 188) a lui-même expliqué cette histoire d’espion dans sa correspondance.

7.

« malheur au traître, malheur au captif, malheur au misérable » (Jérémie, 45:3) :

Dixisti væ misero mihi quoniam addidit Dominus dolorem dolori meo laboravi in gemitu meo et requiem non inveni.

[Tu as dit « Malheur au misérable que je suis ! ». Le Seigneur accumule pour moi peines sur douleurs, je suis épuisé à force de gémir et ne trouve aucun répit].

Il y a divergence sur le pays d’origine de l’espion La Pause : Toulouse pour Hugues de Lionne, Nuits-Saint-Georges (Côte-d’Or) pour Guy Patin. V. note [9] de la lettre latine suivante, pour un complément d’information sur le sort de cet espion.

8.

« Un ambassadeur est un homme honnête (peut-être a-t-il voulu dire rusé) envoyé à l’étranger en vue d’y mentir pour servir l’intérêt public de son État, ou du moins de son roi » : v. note [7], lettre 787, pour cette citation de Scioppius (Caspar Schoppe) et son contexte.

La phrase en italique qui précède ce latin machiavélique (v. note [62], lettre 211) est en français dans le manuscrit.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 167 vo.

Cl. viro D. Io. Georgio Volcamero, Noribergam.

Dum ex Te, Vir Cl. per D. Piques aliquid expecto non invitus, quoniam
vi majori cedendum est, nempe legi et edicto Principis nostri, qui pestilentiæ
metu vetuit ne quæ naves onerariæ mercibus multibus onustæ ex Hamburgo
vel Amstelodamo solventes, Rothomagum appellerent, nisi post Quadra-
genam perfectam, après la Quarantaine ; dum inquam ejusmodi tempus
effluit, ecce Regis edictum rescinditur atque revocatur, propter in his locis
cessantem et sedatam pestilentiam : sicque futurum spero, ut brevi accipiam
quæ jampridem à Te pro nobis empta, hactenus hæserunt in via. x. Martij.
Interea v. Te rogo pro paucis quibusdam libris mihi emendis, quorum hîc
habes Indiculum. Sed ecce dum scribo, pessimus et ingratissimus mihi ad-
fertur nuntius, ex Hollandia, nempe Virum Cl. D. Io. Anton. Vander-
Linden,
Leidæ obijsse : de quo fortiter doleo : Hippocratis nostri novam
Editionem adornaverat, quæ ad finem nondum pervenit. Vir fuit optimus ac
eruditionis non vulgaris, et amicus certissimus : utinam Manes ejus placidè quies-
cant. Verùm, Sed dic sodes, quis ille Phil. Carolus, Prof. Altorphinus, antehac Papista
factur ? Ubinam hodie vivit bonus ille vir, et quid agit ?
+ Ante quinque menses
Leidæ mortuus est alter Professor Botanicus, vir egregius, D. Ad. Vorstius,
qui dum viveret, fuit vir præstantissimus ac optimus : sicq. duplex vulnus
accepit à paucis mensibus Academia illa Lugduno-Batava. + Verùm, etc.
Nihil hîc habemus novi in re literaria, adeo frigent et turpiter et miserè
nostri Typographi, propter egestatem publicam. Quî valent apud vos
illustres illi Senones, D. Richterus, Felwingerus, Conringius, Rolfinkius, quos
omnes ex animo saluto. Parisijs, x. Martij, 1664.

Tandem exoptatum fasciculum accepi 22. Martij, pro quo Tibi
gratias ago singulares : in eo deprehendi Pharmacopœam illam Olinge-
rianam
, et librum D. Felwing. cum Disput. Medicis circiter 30. Scripsit
ad me Leon. Ursinus, Lipsiensis Prof. Botanicus, se per Te aliquid ad
me missurum : quod de ejusmodi Thesibus intelligo. Sumptus omnes grato animo
refundam D. Picques, postquam indicaveris. Hîc agitur de Legato Hispanico,
qui Regem nostrum sibi habet uratum, quod pecunia multa dicatur corrupisse
unum quendam, le Copiste du premier Commis de Monsieur de Lionne, Secretéaire d’Estat, qui
a les affaires estrangeres
 : proditor ille Regis jussu fuit conjectus in car-
cerem : væ proditori, væ capto, væ misero. Il a été pendu en Greve : il estoit de Nuis en Bourgogne. Nosti ilud Scioppianum :
Legatus est vir bonus, (voluit forsan dicere, callidus,) peregrè missus ad
mentiendum, Reipublicæ causa : vel saltem Regis sui. Vale, et me ama.
Theses illas nuper à me acceptas admodum probo : pro ijs gratias ago, ut et D.
Felwingero : omne pretium paratus sum refundere : Parisijs, 28. Martij, 1664.

Tuus ex asse, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, les 10 et 28 mars 1664

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(Consulté le 20/04/2024)

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