L. latine 301.  >
À Reiner von Neuhaus,
le 26 juin 1664

[Ms BIU Santé no 2007, fo 172 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Reiner von Neuhaus, à Alkmaar.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je viens de recevoir votre dernière par un gentilhomme hollandais que notre ami Rompf a mené chez moi. [2] Je vous en remercie tant que je peux, tout comme pour ce qu’elle contenait d’autre. [1] Vous dites que vous m’avez écrit depuis que vous avez reçu le livre de mon Carolus de Familiis Romanis ; [3] je ne me souviens pourtant pas que quelque chose de tel me soit parvenu de votre part. Interrogez donc votre mémoire et trouvez à qui vous aviez confié un courrier à me remettre ; mais en attendant, gardez-vous de croire que je me sois fait une piètre opinion de vous, moi qui n’ose ou ne puis en aucune façon douter de votre bon esprit ou de votre amour pour moi, ni penser à rien qui ne soit absolument et entièrement à la hauteur du très éminent M. Reiner von Neuhaus, le très honoré fils d’Edon von Neuhaus, [4] pour les mânes de qui j’ai prié depuis de nombreuses années. [2] Je tiens pour un humble présent, à peine digne de vous, ces livres que vous avez reçus et que vous appelez trop obligeamment sacram supellectilem ; [3] et si vous le voulez, je vous offre bien mieux, je suis disposé à vous envoyer ce que vous désirez, pourvu que vous me l’indiquiez. Je suis profondément peiné par la mort de notre ami, le très éminent M. Vander Linden. [5] Ô comme j’aurais souhaité qu’il eût plus prudemment veillé à sa propre santé et n’éprouvât pas une si fâcheuse horreur de la saignée ! [6] Voilà bien le généreux et primordial secours, pour ne pas dire le palladium sacré de notre art, [7] et il en avait puissamment besoin pour arrêter la fièvre dont la très pernicieuse irruption l’a si vite occis ! [4][8] On parle ici du légat, pour ne pas dire ligato a latere[5][9] du Jupiter capitolin : [10][11] il s’est rendu auprès de notre roi pour lui demander pardon au nom du pape, [12] comme tant d’autres, qui en avaient pourtant moins à se reprocher, eurent naguère coutume de faire. [6] Nous n’avons rien de nouveau sur la guerre turque. [13] Tout est incertain en nos affaires françaises : nul ne sait avec certitude ce qu’il adviendra de Fouquet, [14] jadis surintendant des finances, hormis le roi ; [15] ses décisions sont dans la main de Dieu, lui que je prie de vous conserver, très distingué Monsieur, durant de nombreuses années. Vale et aimez-moi.

De Paris, le 26e de juin 1664.

Vôtre en tout, Guy Patin.

Très distingué Monsieur,

Je vous joins une lettre que mon Carolus vous avait jadis écrite et que j’ai récemment retrouvée dans mes papiers. Peut-être ne l’avez-vous jamais vue, mais ayez-la donc, bien qu’elle ait perdu toute utilité. Je vous l’envoie seulement pour qu’elle vous fasse connaître à quel point, en ce temps-là, nous vous avions tous deux entouré d’égards. [7] Vale et aimez-moi.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Reiner von Neuhaus, ms BIU Santé no 2007, fos 172 ro.

1.

La lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 15 mai 1664, exigeait une réponse immédiate de Guy Patin (v. infra note [2]).

J’ai traduit pro aliis inclusis par « pour ce qu’elle contenait d’autre », jugeant qu’« autre » désignait les amabilités mielleuses qui abondaient dans la lettre, et non d’autres courriers que Neuhaus y aurait joints, car il n’en a pas fait état.

2.

Edon i von Neuhaus (v. note [16], lettre 126), père de Reiner, était mort en 1638.

Dans sa lettre du 4 juillet 1663 à Reiner von Neuhaus, Guy Patin lui avait annoncé l’expédition imminente du livre de son fils Charles « sur les Familles romaines » (Paris, 1663, v. note [11], lettre 736). Neuhaus avait accusé réception de l’ouvrage dans la sienne datée du 21 octobre suivant ; mais Patin disait ici ne pas l’avoir reçue et donc n’avoir pas pu y répondre, silence dont Neuhaus lui avait aimablement mais nettement fait grief dans sa dernière du 15 mai 1664.

3.

« un bagage sacré » : Reiner von Neuhaus avait employé cette pompeuse expression (supellectilem illam sacram) dans sa lettre datée du 15 mai 1664 (v. le début de la 2e page de sa transcription).

4.

L’hématophobie de Johannes Antonides Vander Linden lui venait de son pur hippocratisme qui voyait d’un mauvais œil les préceptes et les interprétations du galénisme. La probable peste foudroyante qui l’emporta (v. note [8], lettre latine 289) aurait certainement fendu le palladium (bouclier sacré, v. note [33], lettre 223) de la saignée.

5.

Légat a latere [de côté ou à part] est le terme consacré pour désigner les envoyés (légats) que le pape a pourvus de pouvoirs extraordinaires de représentation : « ce nom leur vient de ce que le pape ne donne cet emploi qu’à ses plus familiers amis qui sont toujours à ses côtés, ou à ceux qui sont de sa Maison » (Furetière).

Le bon mot de Guy Patin, ligato a latere, jouait sur les participes passés des verbes legare (envoyer) et ligare (lier) pour dire « lié par le flanc », en sous-entendant sournoisement que le cardinal Flavio Chigi, envoyé à Paris pour négocier l’application de la paix de Pise (qui mettait fin à l’affaire des gardes corses, v. note [1], lettre 735), pouvait être le propre fils plutôt que le neveu du pape Alexandre vii (Fabio Chigi).

6.

En franc gallican, Guy Patin saluait le retour à la déférence de Rome envers la Couronne de France, que l’affaire des gardes corses avait un moment mise à mal ; mais son allusion à d’autres, qui s’étaient excusés de fautes plus vénielles, ne m’a pas paru transparente.

7.

Cette lettre oubliée par Guy Patin pouvait être celle que son fils Charles (Carolus) avait écrite à Reiner von Neuhaus le 30 novembre 1662 (v. sa transcription dans la note [3] de la lettre latine 213) pour lui dédicacer son livre « des Familles romaines » et le remercier de son éloge en vers.

Pour se faire pardonner une négligence dont il se disait innocent (v. supra note [2]), Patin semblait vouloir terminer sa lettre par un rappel du sincère attachement de sa famille à l’affection de Neuhaus.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 172 ro.

Cl. viro D. Reinero Neuhusio, Alcmariam.

Postremam tuam accepi nuperrimè, Vir Cl. per nobilem Hollandum,
quem ad me deduxit Romphius noster : pro qua et alijs inclusis, gratias habeo
Tibi quam-maximas. Ab accepto libro de familijs Romanis mei Caroli, dicis
Te ad me scripsisse, nec tamen memini quidquam tuo nomine ad me pervenisse : igitur
interroga memoriam tuam, et vide cuinam tradideris aliquid mihi deferendum : in-
terea v. cave putes me sequius quidquam de Te sensisse aut cogitasse, qui de
bona mente tua, vel amore in me tuo nihil ausim vel possum suspicari, nisi omnino
et planè dignum fuerit viro præstantissimo Reinero Neuhusio, maximi viri
Edonis Neuhusij, cujus Manibus bene semper precatus sum à multis annis,
filio dignissimo : libros a. illos quos accepisti, et quos nimis officiosè vocas
sacram supellectilem, vix ego munusculum reputo Te dignum, et si volueris,
longe meliora Tibi offero, quæ mittere paratus sum si indicaveris. De Cl. viri
Lindani nostri obitu fortiter doleo : ô utinam cautiùs sibi prospexisset
vir optimus, nec à venæ sectione, generoso illo et primario ille Artis nostræ
præsidio, ne dicam sacro Palladio tam miserè abhorruisset : eo enim potissimum
indigebat ad impediendam febrem, cujus interventu pessimo tam citò fuit
suffocatus. Hîc agitur de Legato 2 Iovis Capitolini, 1 ne dicam Ligato à latere,
qui accedit ad Regem nostrum, veniam petiturus ejus nomine à quo tot alij veniam minùs calendi
antehac petere solebant. De bello Turcico nihil habemus novi. In rebus
nostris Gallicis omnia sunt adhuc incerta : quid fiet Fuqueto, regij ærarij olim præfecto
maximo, nemo certè novit præter Regem, cujus consilia sunt in manu Dei, qui
utinam te servet, Vir Cl. in multos annos. Vale, et me ama. Parisijs, 26.
Iunij, 1664.

Tuus ad omnia, Guido Patin.

Vir Cl. hîc habes Epistolam à Carolo meo olim ad Te scriptam, quam nuper
inter chartas meas reperi : eam fortasse numquam vidisti, habeas
igitur, quamvis planè inutilem, quam ideo dumtaxat mitto ut per eam
agnoscas quantum tunc temporis Te ambo coluerimus. Vale et me ama.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Reiner von Neuhaus, le 26 juin 1664

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(Consulté le 25/04/2024)

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