L. latine 317.  >
À Johann Daniel Horst,
le 20 septembre 1664

[Ms BIU Santé no 2007, fo 165 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Daniel Horst, docteur en médecine, à Francfort. [a][1]

Je viens tout juste de recevoir, ce 20e de septembre, vos deux lettres. Je transmettrai sans tarder à votre fils [2] celle que vous lui avez écrite. J’ai entièrement lu l’autre, qui était pour moi, mais sans pouvoir deviner quand vous l’avez rédigée car vous n’y avez mis ni jour ni mois. Votre fils se porte bien, il vit, boit et rit agréablement. Le 9e de septembre, j’ai mis fin à mes leçons publiques, [3] pour les reprendre, si Dieu veut, après la fin de février, c’est-à-dire au début du printemps (en le faisant commencer le 1er mars), [1] quand les dissections anatomiques [4] et les démonstrations chirurgicales seront terminées. Vous n’avez pas de souci à vous faire sur la santé de votre fils : il se porte et se portera désormais bien ; le véritable amour d’un père pour son fils, tel qu’est le vôtre, ne se contente pas de mots, il ne croit que ses yeux et ses oreilles ; et pourtant, dirai-je franchement, croyez-moi, croyez un ami qui écrit, parle et proclame le vrai. J’entoure de soins paternels et embrasse comme mon fils l’enfant que vous avez remis à ma confiance et à mes bonnes attentions ; il ne manquera de rien tant qu’il m’aura auprès de lui, et il m’y aura tant que je vivrai. Vous n’avez pas à vous étonner qu’il ait souffert de diarrhée et de brûlures urinaires au début de son séjour. [5] J’attribue cela à son voyage, au changement de lieu, d’air et d’eaux ; ce sont des phénomènes sur lesquels Hippocrate a écrit un livre qui vaut de l’or, [6] et qui, comme Jacques Houllier, médecin de Paris, l’a observé il y a cent ans et plus, [7] engendrent diarrhée et lientérie, [2][8] en raison de l’excessive douceur de nos eaux, [3][9] et affectent les étrangers qui arrivent à Paris depuis de lointaines contrées, etc. Il n’a rien d’anormal dans les reins ni dans la vessie, il n’aura pas besoin de térébenthine ; [10] j’aurai soin de sa santé et de ses études autant qu’il faudra. Ne vous souciez pas de son hôte chirurgien, je m’en chargerai moi-même et le lui ai fort recommandé, il s’appelle M. Gayan, rue Saint-Jacques devant les Jésuites[4][11][12] J’attendrai patiemment vos disputations et le Marcello Donati, [5][13] et vous en rembourserai volontiers le prix ; mais vous, hormis de la reconnaissance envers moi, vous ne me paierez rien, car je conviens vous devoir énormément. Souffrez que je salue ici madame votre épouse, [14] les deux Scheffer, [15][16] M. Strauss [17] et M. Lincker. [6] Je choierai votre fils tant que je pourrai. Je n’ai jamais vu le livre de Lorenzo Bellini. [7][18] Si j’avais été à Ulm quand Schroeder y est mort, [8][19] j’aurais acheté tous ses livres, thèses de médecine et de philosophie, disputations et discours académiques, etc. J’ai un remarquable ami, l’excellent M. Du Clos, [20] qui est docteur en médecine à Metz. Vous pouvez lui envoyer tout ce que vous voudrez m’adresser ; je m’occuperai de vous en faire rembourser la dépense à votre domicile, mais en réglant ici le prix du transport au messager de Metz, sans le moindre souci pour moi. J’ai un autre ami à Nuremberg, mais lui fort intime, qui est M. Johann Georg Volckamer ; [21] un autre, qui l’égale en mérite et en confiance, est M. Dinckel à Strasbourg, [22] ou encore à Bâle, Hieronymus Bauhin, [23] avec son éminent père. [24] Peut-être les connaissez-vous. Puisse Dieu nous les conserver tous, ainsi que vous-même, pendant de nombreuses années. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, ce samedi 20e de septembre 1664.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Daniel Horst, ms BIU Santé no 2007, fo 165 ro.

1.

Dans le mémoire qu’il a tenu sur ses leçons au Collège de France, Guy Patin a noté les avoir terminées le 7 septembre 1664 pour les reprendre bien plus tôt que prévu, le 26 novembre de la même année (v. note [1], lettre latine 316).

2.

Sans faire référence au traité hippocratique Περι αερων, υδατων και τοπων [De l’air, des eaux et des lieux], Jacques Houllier a défini la lientérie dans le chapitre 42 (De alvi fluxionibus [Des flux de ventre]), livre i (page 192) de ses commentaires de Morbis internis [sur les Maladies internes] (Paris, 1572, v. note [10], lettre 11) :

Læenteria, Cœliaca affectio, diarrhæa, dysenteria, immoderatas alvi fluxiones significant, sed ut nominibus, ita natura et causis distinctas. λειον Græcis læve significat, seu continuum, et nulla ex parte divulsum, sed sibi undique cohærens, æquabili superficie. Unde λειεντερια, quasi λειοτης των εντερων, lævitas intestinorum. Εστι δε ταχεια διεξοδος τον προφερο μελων αιτιων αμεταβλητων εκκρρινομενων, cum cibus et potus, qualia sumpta sunt, celeriter et ante coctionem ullam, aut exiguam, elabuntur e ventriculo et intestinis. Huic igitur duo propria sunt, quibus facile discernitur ab aliis : nempe alimenta celeriter, postquam sumpta sunt, per alvum reddi, et mutationem fere ullam coctione adepta esse. Id necesse est fieri, vel ob imbecillitatem retentricis ab intemperie, vel irritationem excretricis. Intemperies sive sit in ventriculo, sive in intestinis, quæ anadωsi inserviunt, sive in utrisque, aliquando hectica est, et in habitu, quæ scilicet in ipso corporum habitu firmata est, sic ut calore suppresso coctionem prohibeat, et cibum diluat humiditate : aliquando propter acidam pituitam diutius inhærentem, vel, ut vult Oribasius, frigidam, crassam et lentam, quæ replet rugosas et sinuosas partes, unde inducta lævitate cibus effluit.

[Lientérie, maladie cœliaque, diarrhée, dysenterie sont des noms qui désignent les flux de ventre excessifs, mais ils se distinguent par leur nature et leurs causes. En grec, λειον signifie lisse ou poli et sans aucune partie saillante, mais partout de niveau égal et de surface uniforme. Il en est venu λειεντερια, pour dire λειοτης των εντερων, polissure des intestins. {a} Une fois absorbé, tout ce qu’on mange et boit s’échappe rapidement de l’estomac et des intestins, sans avoir été digéré, ou fort peu. {b} La lientérie a donc deux caractéristiques qui la distinguent aisément des autres flux : les aliments sont vite rendus par les intestins après qu’ils ont été consommés, et n’ont presque subi aucune transformation par la digestion. Cela ne peut être que le résultat d’une intempérie, soit par affaiblissement de la capacité à retenir, soit par excitation de la capacité à expulser. Que l’intempérie siège dans l’estomac ou dans les intestins, s’ils sont sujets à la soustraction, {c} ou dans les deux à la fois, elle est parfois continue, et ancrée dans la complexion, étant alors bien sûr solidement établie dans la conformation même du corps, de sorte qu’ayant supprimé la chaleur, elle empêche la digestion et détrempe les aliments du fait de l’humidité ; parfois, elle est le fait d’une pituite acide qui reste trop longtemps attachée, ou comme veut Oribase, {d} d’une pituite froide, épaisse et visqueuse qui emplit les parties rugueuses et plissées, les rendant lisses pour permettre aux aliments de glisser]. {e}


  1. Traduction de lævitas intestinorum donnée par Furetière dans son article sur la lientérie (semble-t-il directement inspiré de Jacques Houllier, mais avec, à mon avis, un contresens sur les « deux sortes » de la maladie) :

    « C’est une espèce de flux de ventre provenant d’une intempérie du ventricule [de l’estomac], et qui consiste en une trop hâtive déjection des viandes, avant qu’elles soient digérées, lorsqu’elles sortent presque de même qu’on les a prises. Ainsi, c’est une maladie de l’estomac, et non pas de l’intestin, quoique quelques-uns disent qu’il y en a de deux sortes : l’une qui procède de la débilité de la vertu rétentrice de l’estomac ; l’autre de l’irritation de l’expultrice, qui se fait par l’abondance ou l’acrimonie des humeurs. Ce mot vient du grec leienteria, quasi leiotis ton enteron, c’est-à-dire polissure des intestins, qui est la cause que les excréments en coulent incontinent dehors. »

  2. Traduction d’un passage des commentaires de Galien sur les Aphorismes d’Hippocrate (livre vi, chapitre i), concernant celui qui énonce que « Dans les lientéries prolongées, la survenue d’un renvoi acide est un signe favorable, s’il n’existait pas auparavant ».

  3. J’ai traduit anadωsi par « soustraction » (anadusis en grec).

  4. V. note [9], lettre latine 61.

  5. Dans son commentaire, Jacques Houllier ne fait pas allusion à la diarrhée des voyageurs dont parlait ici Guy Patin.

3.

Guy Patin jugeait « bien pure et bien nette » l’eau de la Seine, cloaque où les Parisiens s’abreuvaient alors ordinairement et sans la moindre crainte (lettre du 15 décembre 1670 à André Falconet).

4.

Italique en français dans le manuscrit.

5.

Seconde réédition (Francfort, 1664, v. note [28] de la Leçon de Guy Patin sur le laudanum et l’opium) par Gregor ii Horst (la première était de 1613), augmentée d’un 7e livre, des De Medica Historia mirabili libri sex. Marcello Donato serenissimi Mantuæ et Montisferrati Principis a Secretis et Consiliario Authore. Opus varia lectione refertum Medicis non solum utile, sed et cæteris bonarum artium studiosis pergratum futurum. Cum duplici indice [Six livres sur la Narration médicale étonnante. Par Marcello Donati, conseiller secrétaire du sérénissime prince de Mantoue et Montferrat. Ouvrage empli de connaissances variées qui sera non seulement utile aux médecins, mais agréable aux autres personnes qui s’appliquent à l’étude des arts nobles] (Mantoue, Franciscus Osana, 1586, in‑8o ; v. note [12], lettre latine de Thomas Bartholin, datée du 18 octobre 1662, pour une édition de 1597).

6.

Johann Daniel Horst avait épousé Elisabeth Schupp, née en 1618, fille de l’écrivain allemand Johann Balthasar Schupp (1610-1661).

Je n’ai trouvé aucune information sur le dénommé Lincker, dont c’est ici la seule apparition dans toute la correspondance de Guy Patin.

7.

Cet ouvrage a fait date dans les progrès de la médecine :

Exercitatio Anatomica Laurentii Bellini Florentini de Structura Renum.

[Essai anatomique de Lorenzo Bellini, natif de Florence, {a} sur la structure des reins]. {b}


  1. Lorenzo Bellini (1643-1704) professa la médecine et la philosophie à Pise). Il a laissé son nom aux tubes collecteurs du rein qui acheminent l’urine de plusieurs néphrons (unités de filtration) vers les calices rénaux, qu’il a décrits dans ce livre.

  2. Padoue, Matthæus Cadorinus, 1660, in‑8o, illustré de 11 figures, pour la première de plusieurs éditions, dont celle de Leyde, 1711, où une planche donne une splendide représentation des tubules découverts par Bellini.

    L’édition de Strasbourg, 1664, est dédiée à Johann Daniel Horst par Jacob Henrik Paulli (v. note [7], lettre de Thomas Bartholin datée du 30 septembre 1663), en date de Strasbourg le 14 octobre 1664, avec cette introduction :

    Necessitatem mihi imposuit amica tua flagitatio, et meum promissum, ut perlecta Laurent. Bellini de structura et usu renum Exercitatione, quam mihi nuper e vestra urbe discedenti, Lutetiam ad illustr. dn. Guidonem Patinum Regis Christianiss. Archiatrum famigeratissimum transmittandam commisisti, quid de illa meo judicio statuendum sit, Tibi rescribam.

    [Votre amicale insistance m’a imposé l’obligation de tenir ma promesse de vous écrire, une fois que j’aurai entièrement lu l’Essai de Lorenzo Bellini sur la structure et la fonction des reins, de vous écrire ce que j’en aurai pensé. J’étais alors sur le point de quitter votre ville et vous m’aviez demandé d’en remettre, à Paris, un exemplaire à l’illustre m. guy patin, très célèbre archiatre du roi très-chrétien]. {i}

    1. Sic pour professeur royal.

      Dans sa lettre du 2 juillet 1665 à Simon i Paulli, Patin a mentionné sa rencontre avec son fils Jakob Hendrik. Il ne l’avait pas encore vu le 20 septembre 1665 et n’avait donc pas reçu de lui le livre de Bellini, ce qui lui faisait écrire de bonne foi à Horst ne l’avoir jamais vu.


8.

Johann Schröder (v. note [36], lettre 395) était mort à Francfort le 30 janvier 1664.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 165 ro.

Cl. viro Io. Dan. Horstio, Med. Do[ctori, F]rancofurtum.

Ecce nunc nunc, 20. Sept. binas tuas accipio, et eodem momento,
ad Filium tuum mitto quam ad eum scripsisti. Tuam ad me statim et
avidè perlegi, sed quando scripta sit divinare non potui, neq. enim diem, neque
mensem apposuisti. Filius tuus bene habet, vivit, bibit et ridet suaviter.
Finem imposui publicis meis Prælectionibus 9. Sept. quas iterum inchoabo, post
finitum Februarium, i. primo vere, incluente Martio, si Deus voluerit ; per-
ductis ad finem dissectionibus Anatomicis et Operationibus Chirurgicis. De
Filij tui valetudine non est quod cures : valet et valebit in posterum :
verus amor Patris in Filium, qualis est tua στοργη, sibi verba dari non patitur,
vix credit quod videt, quod audit : et tamen, liberè dicam, crede mihi, crede amico
vera scribenti, loquenti et prædicanti. Fidei meæ et curæ meæ commissum à Te,
paternis curis suscipio, et paternis ulnis amplector ; nulla re indigebit,
quamdiu me habebit : habebit a. quamdiu vivam. Quod antehac malè habue-
rit ex diarrhœa et urinæ ardore, non est quod mireris : hoc imputo ejus pere-
grinationi, loci, aeris et aquarum mutationi : de quibus aureum librum scripsit
Hipp. et observatum ante annos centum et supra, fuit à Iac. Hollerio, Medico
Paris.
extraneos, et qui ex longinquis regionibus Lutetiam appellunt, diar-
rhœæ atque lienteriæ fieri obnoxios, propter aquarum nostrarum lenitatem
nimiam, etc. Nihil habet vitij in renibus, nec in vesica : terebinthina non
indigebit : ejus valetudinis et studiorum curam habebo quantum suffi-
ciet. De hospite chirurgo ne cures, mecum erit iste labor, et eum illi
seriò commendavi : vocatur Mr Gayant, ruë S. Iacques, devant les
Iesuites.
Disputationes vestras et Marcellum Donatum patienter expectabo, et
totum pretium libenter refundam : Tu v. nihil solves, præter gratum animum,
longè enim plura me Tibi debere profiteor. Patere ut hîc salutem D. uxorem
tuam, utrumque Schefferum, D. Straussium, et D. Linckerum. Filio
meo tuo quantum in me erit favebo. Laur. Bellini librum numquam vidi.
Si Ulmæ fuissem quando diem suum obijt Schroderus, omnes ejus libellos emissem,
Theses Medicas et Philosophicas, Disputationes et Orationes Academicas, etc. Habeo
insignem amicum, virum optimum, D. du Clos, Doct. Medicum in Civitate
Metensi, ad quem mittere potes quidquid ad me pervenire volueris : pretium
emptionis Tibi curabo refundi in tuis ædibus : hîc v. rhedario Metensi
vecturæ pretium persolvam : nec me labor iste gravabit : alium habeo
amicum Noribergæ, sed intimum, D. Io. Georgium Volcamerum : alium parem
meritis atque fide, D. Dinckel, Argentinæ : alium Basileæ, Hier. Bauhinum,
cum Parente optimo : eos omnes fortasse nosti : quos omnes utinam servet Deus,
ut et Te ipsum, in multos annos. Vale, Vir Cl. et me ama. Parisijs,
die Sabb. 20. Sept. 1664.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Daniel Horst, le 20 septembre 1664

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1350

(Consulté le 19/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.