L. latine 320.  >
À Marten Schoock,
le 24 octobre 1664

[Ms BIU Santé no 2007, fo 178 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Marten Schoock, à Groningue.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je dois réponse aux deux vôtres et vous écris pour vous remercier. Où que vous soyez sur terre, que ce soit en Marche de Brandebourg ou à Groningue, [1][2] je souhaite que vous soyez en vie et en bonne santé. Je vous adresse des remerciements particuliers pour ces trois livres que vous m’avez destinés, et que M. Hendrik Vander Linden a reçus pour me les envoyer. [3] Après que je les aurai reçus, je parlerai d’eux avec le très illustre premier président du Parlement, M. Guillaume de Lamoignon. [4] Je n’ai pu obtenir ni extorquer aucun engagement sur cette liste de livres dont vous devez vous débarrasser : ils touchent aux seules belles-lettres et celui que je voulais en rendre acheteur se consacre tout entier aux affaires juridiques, principalement ecclésiastiques, regardant plutôt la curie romaine, [5] à propos de ces bénéfices monastiques dont la revendication occupe et harasse notre Grand Conseil presque tout au long de l’année. Avec le fils aîné du très illustre M. de Lamoignon, [6] je prendrai néanmoins soin de votre liste le mois prochain, c’est-à-dire après que le Palais aura rouvert, Pour ne rien vous cacher, je ne sais ce que je serai en mesure de faire, car j’ai faible espoir que quelqu’un achète jamais quoi que ce soit de tel sans l’avoir d’abord vu et agréé, ni l’avoir jugé utile et adapté à ses propres études. [6a] Mon Carolus vous salue et vous souhaite bonne chance en tout. [7] J’ai fini par recevoir votre autre lettre par l’excellent M. Paulus Fridericus Romanus, qui est tout à fait honnête homme et vraiment germanus[2] Je sais bien depuis longtemps la haute estime dont jouit le très distingué et savant M. Thomas Reinesius, [8] ou dont il devrait du moins jouir auprès de tous les gens lettrés ; j’ai même ici ses Variæ lectiones et ses Epistolæ[3] et souhaite pouvoir lui procurer ici un mécène généreux, qui satisfasse un tel homme comme il le mérite. J’ai peu d’espoir d’y parvenir, mais j’y veillerai et essaierai d’en venir à bout en faveur de ce très éminent personnage pour qui j’espère pouvoir rechercher quelque chose à nostris picis qui aureos montes colunt ; [4][9] mais pour le dire une fois pour toutes, on attendra vainement quoi que ce soit de nos libraires parisiens car ce sont de purs, pour ne pas dire de misérables vauriens, seulement occupés à faire du profit, sourds aux desseins de tous les honnêtes gens. [10] S’il reste donc à ce savant homme quelque chose à espérer en France pour la publication de ses Inscriptiones[5] je pense qu’aucun lieu n’est mieux approprié que Lyon, où vivent des libraires très riches et très pourvus de grandes ressources, tels que sont Laurent Anissson, [11] Ravaud et Huguetan, [12][13] Borde, [14] Arnaud, [15] Boissat, [16] etc. Ils tirent de somptueux profits des diverses éditions de grands auteurs qu’ils ont récemment publiées à leurs propres frais, comme le Cardan[17] le Gassendi[18] le Baronius[19] l’Albert le Grand[20 le Theatrum vitæ humanæ[21] le Sennert[22] et d’autres qu’il serait fastidieux d’énumérer. [6] S’il n’y rencontre pas le succès, il me semble que le seul à solliciter soit votre Blaeu, [23] dont j’entends dire qu’il est très opulent, car je n’estime pas que quiconque en Angleterre puisse entreprendre un si grand ouvrage. Dieu puisse favoriser votre dessein et votre voyage brandebourgeois, et faire que je vous voie et vous embrasse un jour à Paris, et que nous puissions converser ensemble ; et si cela arrive jamais, Quanti complexus, quæ gaudia ! [7][24] Je cesse et vous quitte sur ce vœu, je vous écrirai peut-être de meilleures et de plus plaisantes lettres avant la fin de cette année. Je ne veux pourtant pas oublier ce à quoi je pense devoir veiller : dites-moi, je vous prie, ce que je puis espérer de la seconde édition de votre traité de Cervisia ; n’omettez pas de vous en occuper car il a ici plu à tous les savants et enrichi pas le soin que vous y mettrez de nouveau, il leur plaira plus encore. Mettez-vous donc à l’ouvrage et songez sérieusement à cette réédition ; puisse Dieu vous le permettre ! [25] Mon Carolus, qui vous aime tant, vous salue, tout comme son frère aîné Robert, [26] qui est ici mon collègue depuis 15 ans. Dites-moi aussi, s’il vous plaît, comment me procurer ce que vous avez jadis écrit in Suetonium, de Desperatis et de Ovo[8][27][28] Vale, très éminent Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites.

De Paris, ce 24e d’octobre 1664.

Vôtre en toute franchise, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Marten Schoock, ms BIU Santé no 2007, fos 178 ro.

1.

La Marche (ou Margraviat) de Brandebourg (Mark Brandenburg en allemand, Marchia Brandeburgensis en latin) était le nom de l’État du Saint-Empire qui prit le nom de royaume de Prusse en 1701. Il avait Berlin pour capitale.

V. note [6], lettre latine 318, pour le départ de Marten Schoock auprès du grand électeur Frédéric Guillaume, à Postdam en Brandebourg, pour ne jamais revenir à Groningue. Il avait chargé Guy Patin de lui chercher un acquéreur pour les livres de sa bibliothèque.

2.

V. note [3], lettre latine 177, pour le double sens de germanus, « allemand » et « fraternel ». Je n’ai pas identifié ce Paulus Fridericus Romanus dont c’est la seule apparition dans les lettres de Guy Patin.

3.

V. notes [7] et [4], lettre 557, pour les trois livres de « Diverses leçons » (Altenbourg, 1640) et pour les « Lettres » (Leipzig, 1660) de Thomas Reinesius (v. note [10], lettre 117).

4.

« de nos griffons qui habitent les montagnes d’or » ; Plaute (Aulularia, acte iv, scène 8, vers 700‑701) :

Picis divitiis, qui aureos montes colunt,
ego solus supero
.

[À moi seul, je surpasse en richesses les griffons {a} qui habitent les montagnes d’or].


  1. V. note [31], lettre 477.

5.

Thomæ Reinesii Syntagma Inscriptionum antiquarum cumprimis Romæ veteris, quarum omissa est recensio in vasto Jani Gruteri Opere cujus isthoc dici possit supplementum ; opus posthumum Serenissimo Potentissimoque Saxoniæ Electori Divo Johanni Georgio ii. ab auctore olim consecratum, cum commentariis absolutissimis et instructissimis indicibus nunc primum editum.

[Traité des Inscriptions antiques de Thomas Reinesius, {a} et en tout premier celles de l’ancienne Rome, que l’ouvrage de Janus Grüter, {b} dont celui-ci peut être considéré comme un supplément, a omis de répertorier. Livre posthume que l’auteur avait jadis dédié à feu l’électeur de Saxe Jean Georges ii ; {c} publié pour la première fois, avec des commentaires très complets et des index très fournis]. {d}


  1. Mort en 1667.

  2. Thesaurus criticus [Trésor critique] (Francfort, 1602-1634) de Janus Grüter (v. note [9], lettre 117).

  3. Mort en 1680, v. note [9], lettre 369.

  4. Leipzig et Francfort, Johannes Ericus Hahnius, 1682, in‑fo de 1032 pages.

6.

Pour ces remarquables productions émanant des presses lyonnaises, v. notes :

7.

« Alors, que d’embrassades, que de joies ! » (Horace, v. note [2], lettre 217).

8.

Trois de ces titres de Marten Schoock figurent dans les notes :

La bibliographie complète de Schoock établie par Jean-Noël Paquot en 1764 ne contient pas d’ouvrage « sur les Désespérés », mais le mot « désespéré » se lit dans deux titres qui traitent de la papauté et du jansénisme ; il ont paru du temps où Schoock se rangeait parmi les disciples de Gisbertus Voetius (v. la lettre de Christiaen Utenbogard datée du 21 août 1656) :

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 178 ro.

Clariss. viro D. Martino Schoockio, Groningam.

Duabus tuis responsum debeo, Vir Cl. scribóq. ut gratias agam. Ubicumque
terrarum sis, sive in Marchia, sive Groningæ, utinam sanus vivas et valeas. Pro
trib. illis libris à Te mihi destinatis, quosque mihi mittendos accepit D. Henricus
Vander Linden,
gratias ago singulares : postquam eos accepero, de illis agam cum Illustriss. Principe
Senatus, D. Gul. de Lamoignon. De tuis Indicibus exuendis nihil potui impetrare nec
extundere, quod solas humaniores literas respiciant, ille v. quem emptorem facere volebam, totus
sit in rebus forensibus, præsertim Ecclesiasticis, quæ præsertim potius ad Curiam Romanam pertinent,
propter beneficia illa Monastica, de quibus vindicandis Magnum istud Consilium toto pene anno
sollicitatur atque fatigatur. Sed de illis tuis Indicibus proximo mense, i. post apertum
Palatinum, videbo cum Filio primogenito Viri Illustriss. D. de Lamoignon ; de qua re nequid Te celem, quid
facturus sim nescio : vix enim spero quemquam unquam 2 quidquam 1 simile empturum quod nisi prius
illud videbit atque probarit, et sibi in studijs idoneum atque utile judicarit. Carolus
meus Te salutat, et omnia fausta Tibi precatur. Tandem accepi alteram tuam per virum
egregium, D. Paulum Frid. Romanum, verè optimum, verè Germanum. Iampridem novi
quantæ sit, aut saltem esse debeat apud omnes literatos dignationis Vir Cl. ac eruditissimus
D. Thomas Reinesius, cujus hîc etiam habeo Varias Lectiones et Epistolas : et utinam illi
possem hîc pretiosum aliquem Mæcenatem comparare, qui Tanto viro pro dignitate satis-
faceret : quod tamen vix spero ; videbo tamen atque tentabo in gratiam Viri Cl. pro quo utinam
possim aliquid expiscari, à nostris picis qui aureos montes colunt : sed ut semel dicam,
frustra quisquam aliquid sperabit à nostris Bibliopolis Parisiensibus, qui sunt meri, ne dicam
miseri nebulones, soli lucro intenti, omnium bonorum consiliorum incapaces : itaque si quid in Gallia
supersit aliquid sperandum viro eruditissimo, pro editione suarum Inscriptionum, nullum alium
esse puto locum magis idoneum quàm Lugduni Celtarum, ubi vivunt Bibliopolæ quidam
erudilocupletissimi, ac multis opibus instructissimi, quales sunt Laur. Anisson, Ravaud
et Anisson Huguetan, Borde, Arnaud, Boissat, etc.
qui rem lautam faciunt per varias Editiones, magno-
rum Authorum qui nuper eorum sumptibus in lucem prodierunt, quales sunt Cardanus, Gassendus,
Baronius, Albertus Magnus, Theatrum vitæ humanæ, Sennertus
et alij, magnus erit quos numerare
labor. Quod si ibi non succedat, videtur mihi sollicitandus unus vester de Blaeu,
quem audio esse ditissimum : neq. enim existimo quemquam esse in Anglia, qui
tantum Opus possit aggredi. Utinam fortunet Deus consilium tuum, imò expedi-
tionem tuam Brandeburgicam : et Te aliquando Parisijs videre et amplecti, ut
tecum possim mutuas audire et reddere voces : ^ quod quidem si unquam mihi contingat, Quanti complexus, quæ gaudia ! Et in hoc voto finio ac desino,
plura forsan ac meliora et jucundiora scripturus ad Te, ante finem anni. Verùm,
nolo omittere, quod mihi curandum puto : Quid, rogo, vis ut sperem de altera Editione
Tractatus tui de Cervisia ? noli quæso ejus curam negligere, placuit hic omnibus
Eruditis, et haud dubiè secundis tuis curis illustratus, supra modum placebit.
Age ergo, et de renovanda illa editione locupletata in posterum, seriò cogita :
quod ut facias faxit Deus. Carolus meus Tui amantissimus Te salutat :
ut et Frater ejus major natu Robertus, ab annis xv. Colega meus. + Sed dic quæso, quis/ modus habendi quæ olim/ scripsisti in Suetonium ;/ de Desperatis ; et de Ovo ? Vale,
Vir præstantissime, méq. quod facis, amare perge. Parisijs, die 24.
Oct. 1664.

Tuus ære et libra, Guido Patinus.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Marten Schoock, le 24 octobre 1664

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(Consulté le 28/03/2024)

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