L. latine 347.  >
À Werner Rolfinck,
le 2 avril 1665

[Ms BIU Santé no 2007, fo 187 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Werner Rolfinck, à Iéna. [a][1]

Je suis disposé à vous envoyer tous les livres que vous souhaiterez venant de cette ville, pourvu qu’ils y soient en vente. Envoyez-moi donc, s’il vous plaît, une liste des ouvrages dont vous avez besoin, comme ceux que je vous avais jadis envoyés par l’intermédiaire de notre ami M. Volckamer ; [1][2] je mettrai immédiatement mon zèle le plus empressé à les acquérir et à vous les expédier sans retard qui soit de mon fait. Loin de moi l’idée que j’aie jamais un aussi éminent auditeur que le très distingué M. Werner Rolfinck, [3] lui dont Dieu fasse que je puisse me targuer d’être l’élève ; mais la grande distance qui nous sépare nous en empêche tous deux. Je voudrais pourtant, comme écrivait jadis Joseph Scaliger à Isaac Casaubon, [4][5] je voudrais tant, dis-je, tibi μαθητευειν, [2] vous qui êtes imprégné de si remarquables connaissances, instruit et savant en tant d’exquises sciences ; et si cela se pouvait faire, bon Dieu, quanti complexus, quanta essent mea gaudia ! [3][6] je n’ose pourtant rien souhaiter de tel, quoique je l’espère. En anatomie, vous détenez la palme que, pour votre immense mérite, vous avez ravie à tous les autres. Quant à Flore [7] et à l’étude de la botanique, je vous promets un livre curieux qu’on imprime ici, qui est l’Hortus Regius Parisiensis, in‑fo ; [4][8][9] il sera achevé dans trois mois, je vous l’enverrai par l’intermédiaire de l’incomparable M. Volckamer.

[Ms BIU Santé no 2007, fo 187 vo | LAT | IMG] En 1622, ce jardin botanique de Vespasien Robin était fort exigu ; il n’en reste rien aujourd’hui, pas le moindre vestige : nunc seges est ubi Troja fuit ; [5][10][11] mais par la libéralité royale, nous avons maintenant un immense jardin, on y cultive avec soin et bonheur des milliers de plantes variées, au faubourg Saint-Victor ; [6][12][13] au mois de juillet prochain, vous en verrez la brillante image dans le livre qui surpasse toute louange et roule sous la presse. Je m’enquerrai de votre cétérac dont je n’ai jamais entendu parler ; [7][14][15] si pourtant il en existe ici, je m’en procurerai sans peine, car on ne me le refusera pas ; je vous en écrirai alors immédiatement. Nous n’avons ici rien de nouveau en librairie ; on entame cependant à Lyon une nouvelle édition de toutes les Opera de Daniel Sennert, qui contiendra pour la première fois un tome d’Epistolæ medicinales écrites par Sennert et Michael Döring ; [8][16][17] on imprime aussi à Paris quelques livres en français, qui sont excellents, mais consacrés à notre histoire. Je salue M. Volckamer et votre collègue M. Schenck. [18] Vale, très distingué Monsieur, et continuez de m’aimer.

De Paris, ce 2e d’avril 1665.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Werner Rolfinck, ms BIU Santé no 2007, fo 187 ro et vo.

1.

Allusion fort probable aux deux livres que Guy Patin avait envoyés en 1657 à Werner Rolfinck, par l’intermédiaire de Johann Georg Volckamer (v. note [1], lettre latine 81), et qui formaient une curieuse paire : la Fabrica humani corporis [Structure du corps humain] de Théophile Protospathaire (v. note [4], lettre latine 57), et les plus lestes Épîtres amoureuses d’Aristénète (v. note [10], lettre 901).

En 1662, tenant ces deux ouvrages pour un prêt ou en ne les jugeant pas à son goût, Rolfinck les avait renvoyés à leur expéditeur, qui s’en était un peu dépité (v. note [1], lettre latine 219).

2.

« être votre disciple » : v. note [13], lettre 242, pour la source de cette locution dans les Ép lat. de Joseph Scaliger. Guy Patin y a remplacé non erubesco [je ne rougis pas] par velim [je voudrais tant].

3.

« que d’embrassades, que de joies, ce serait alors pour moi ! » (Horace, v. note [2], lettre 217).

4.

V. note [3], lettre 841, pour « Le Jardin royal de Paris » par Denis Joncquet (Paris, 1665).

Flore est (Fr. Noël) :

« une des Nymphes des îles Fortunées, {a} que les Grecs appelaient Chloris. Zéphyre {b} l’aima, la ravit et en fit son épouse, conservant la fleur de sa première jeunesse et lui donnant pour douaire {c} l’empire des fleurs. Les Sabins l’adorèrent et transmirent son culte aux Romains. Les monuments antiques nous l’offrent sous la figure d’une jeune Nymphe couronnée de fleurs et tenant de la main gauche une corne d’abondance remplie de fleurs. »


  1. Séjour des bienheureux, identique aux champs Élysées (v. notule {c}, note [2], lettre 125).

  2. Vent d’occident, fils d’Éole et de l’Aurore.

  3. Biens donnés en propre à une épouse par son mari.

5.

« là croît la moisson dans les champs où fut Troie » (Ovide, v. note [2], lettre 497).

Vespasien Robin (1579-1662) était le fils, collaborateur et successeur de Jean Robin (1550-1629), botaniste et arboriste du roi sous les règnes de Henri iii, de Henri iv et de Louis xiii. Créateur du jardin botanique du Louvre, garde (démonstrateur) du Jardin royal des Plantes et fondateur du jardin médicinal de la Faculté de médecine, à la pointe de l’île Notre-Dame (aujourd’hui l’île Saint-Louis), Vespasien a parcouru l’Europe et l’Afrique occidentale. Lui et son père ont publié plusieurs ouvrages de botanique, dont l’Enchiridion isagogicum ad facilem notitiam stirpium, tam indigenarum, quam exoticarum. Hæ coluntur in horto D.D. Ioannis et Vespasiani Robin, Boranicorum Regiorum [Manuel introductif à la dénomination aisée des plantes tant indigènes qu’exotiques, qui sont cultivées dans le jardin de MM. Jean et Vespasien Robin, botanistes du roi] (Paris, Pierre de Bresche, 1623, in‑12). C’est un répertoire alphabétique, qui n’est ni commenté ni illustré, dont la principale curiosité est cette épigramme « À Vespasien Robin, simpliste du roi », signée M. E.E.M. F.I. :

« Quelle saison, ou jour, peut-on apercevoir
Flore de ses présents ne couronner ta porte ?
Quel miracle se peut d’un homme concevoir,
Dont un savant l’honneur par tes simples n’emporte ?
Le curieux chez toi trouve qui le contente ;
Que si pour seconder par le vœu son attente,
Il promet ornement aux autels, ou son roi
s’il médite honorer par présents, ou s’il veille,
Pour son ami mourant faire quelque merveille ;
Nul ne lui peut fournir si beau moyen que toi. »

6.

Italique en français dans le manuscrit.

V. note [4], lettre 60, pour le Jardin royal des Plantes médicinales, créé à Paris, au faubourg Saint-Victor, en 1635, avec Vespasien Robin dans l’éminente charge de « sous-démonstrateur de l’extérieur des plantes ».

7.

Cétérac ou langue de cerf : « c’est une plante qui jette plusieurs feuilles qui ressemblent à la scolopendre, et qui croît sur les murailles, parmi les rochers et lieux ombrageux. Elle ne porte ni tige, ni fleurs, ni graines. […] Dioscoride l’appelle splenium et hemionium ; mais Matthiole prétend que le cétérac est la vraie scolopendre, qui est un mot arabe dont se servent les apothicaires » (Furetière).

Ses autres noms de splénium et d’asplénium lui viennent du fait que cette plante était réputée soigner les maux de rate ; certains prétendaient qu’on ne trouvait pas de rate chez les porcs qui en mangeaient (Blancardus).

8.

V. note [3], lettre latine 343, pour la nouvelle édition des « Œuvres » de Daniel Sennert qu’on commençait à Lyon, parue en 1666 (cinq tomes in‑fo, dont le dernier contient deux centuries inédites de « Lettres médicales » échangées par Sennert et Michael Döring).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 187 ro.

Cl. Viro D. Guernero Rolfinkio, Ienam.

Quidquid librorum optaveris ex hac Urbe nostra, modò vænales prostent,
Tibi sum paratus mittere : sed quoniam antehac tale quid misi per Amicum
nostrum D. Volcamerum, mitte sodes, Indiculum eorum quæ requiris :
in ijs colligendis strenuam statim navabo operam, nec per me stabit quin
ea statim accipias. Absit ut talem auditorem habeam quàm Cl. virum,
D. Guern. Rolfinkium, cujus utinam possem esse discipulus : sed hoc impedit
nimia locorum distantia : vellem tamen, ut olim scribebat Ios. Scaliger
ad Is. Casaubonum
, vellem inquam tTibi μαθητευειν, tot egregijs
artibus imbuto, tot optimis disciplinis instructo ac erudito : et hoc si
fieri posset, bone Deus, quanti complexus, quanta essent mea gaudia !
sed tale quid optare quidem ausim, sed at non sperare. In Anatomicis
Tu palmam obtines, quam cæteris omnibus summo tuo merito præripuisti : quod
spectat ad Floram, et ad studium Botanicum, polliceor Tibi curiosum
librum qui hîc editur, nempe Hortum regium Parisiensem, in folio,
quem intra tres menses perfectum mittam per singularem virum D. Volcamerum.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 187 vo.

Hortus ille Botanicus Vespas. Robini anno Christi 1622. exiguus erat
admodum, hodie v. nullus est : neq. enim amplius existit : nunc seges est ubi Troja
fuit :
sed regia liberalitate hortum habemus amplissimum, in quo millia multa
variarum stirpium hodie feliciter excoluntur in suburbio S. Victoris, au
faubourg S. Victor :
cujus ideam luculentam videbis Iulio mense proximo,
in libro suprà laudato, qui currit sub prælo. Inquiram in illud tuum
Hemionium, de quo nihil quidquam unquam audivi : si tamen exstet hîc,
habebo facilè, neq. enim mihi denegabitur, túncque de eo ad Te illico
scribam. Nihil hîc habemus novi de re literaria : Nova tamen paratur editio
omnium Operum Dan. Sennerti, quæ de novo novum tomum habebit Epistolarum
Medicinalium,
auctorib. Sennerto et Mich. Doringio : idq. Lugduni Celtarum ;
Parisijs v. libri aliquot Gallici, ijq. optimi, typis mandantur : sed illi per-
tinent ad historiam nostram. Cl. virum D. Volcamerum saluto, ut et
D. Schenckium, Collegam tuum. Vale, Vir Cl. et me amare perge.
Parisijs, die 2. Aprilis, 1665.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Werner Rolfinck, le 2 avril 1665

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(Consulté le 16/04/2024)

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