L. latine 350.  >
À Johann Georg Volckamer,
le 24 avril 1665

[Ms BIU Santé no 2007, fo 188 vo | LAT | IMG]

Au très distingué Johann Georg Volckamer, docteur en médecine, à Nuremberg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Puisque vous occupez très souvent mes pensées en raison des nombreux liens qui m’attachent solidement à vous, j’ose vous écrire à nouveau et vous demander de faire bon accueil à une petite liste de livres que vous voudrez bien m’acheter s’ils se vendent en votre ville ; je vous en rembourserai intégralement la dépense sans sourciller. Je voudrais aussi que vous me disiez ce que vous savez d’Oswald Crollius : [2] s’il a jamais exercé la médecine, s’il est mort à Prague en 1614, comme on le dit. Andreas Libavius [3] a certes été un savant homme, mais a-t-il été médecin et est-il bien décédé en 1616 ? Qui fut Johann Stephan Strobelberger, qui a écrit les Laureationes Medicæ, et quand est-il mort ? Il se disait le gendre d’Oberndorffer, etc. [1][4][5][6] À quel endroit Ursinus et Mœbius ont-ils quitté ce monde ? [2][7][8][9] Nous n’avons ici rien de nouveau en librairie. Que nous reste-t-il à espérer des écrits de Philippus Carolus ? [10] Comment M. Felwinger se porte-t-il ? [11] Les Hollandais s’arment puissamment pour la guerre contre l’agression des Anglais ; [12] notre roi s’évertue à les apaiser. [13] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 24e d’avril 1665.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.

[Ms BIU Santé no 2007, fo 189 ro | LAT | IMG]

Au même.

Je me souviens qu’aussitôt après avoir reçu votre envoi de livres, à savoir l’Agellius [14] de Philippus Carolus, le Florus et le Valerius Maximus et Velleius Paterculus [15][16][17] de Christ. Adamus < Rupertus >, [18] je me souviens, dis-je, qu’en les feuilletant distraitement et quasi per transennam[3][19] j’ai lu dans l’un d’eux que l’immense Joseph Scaliger [20] avait pour particularité naturelle d’éprouver une telle horreur pour le lait qu’il ne pouvait pas même s’imaginer en boire une goutte. J’ai vu cela en feuilletant l’un des trois livres susdits, mais je ne sais plus lequel ; je vous supplie donc, très distingué Monsieur, si vous connaissez cette citation, de bien vouloir me dire où elle est. Si par aventure vous ne le savez pas, recourez, je vous prie, au très distingué M. Michael Dilherr, [21] ou à quelque autre savant homme qui puisse m’instruire et m’indiquer ce passage ; mais en récompense, c’est-à-dire pour m’avoir débarrassé d’un tourment et levé le doute d’un esprit maladif, tanquam Æsculapio meo Gallum debebo[4][22][23][24] Daignez donc faire cette faveur et pardonner à un homme qui a du goût pour la curiosité érudite, et à qui cette citation fait défaut. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 24e d’avril 1665.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fos 188 vo et 189 ro.

1.

Johann Stephan Strobelberger (Graz, Autriche 1593-1630), avait étudié la médecine à Montpellier, où il fut reçu docteur en 1615. De retour en Allemagne, il obtint la place de médecin impérial aux bains de Carlsbad (Bohême, Karlovy Vary en Tchéquie). Parmi de nombreux autres ouvrages, il a vanté les eaux de Carlsbad, et chanté les louanges de l’Université de Montpellier dans :

La Joan. Stephani Strobelbergeri Phil. et Med. D. Galliæ politicæ medicæ Descriptio, de qualitatibus Regni Gallici, Academiis, Urbibus, Fluviis, Aquis medicatis, plantisque disserens… [Description de la France politique et médicale, dissertant sur les qualités du royaume de France, ses universités, ses villes, ses fleuves, ses cures thermales et ses plantes, par Johann Stephan Strobelberger, docteur en philosophie et médecine…] (Iéna, Johann Beithmann, 1621, in‑4o) contient une érudite épître dédicatoire intitulée Joannes Oberndorfferus Comes Palatinus Cæsareaus Candido ac Benevolo Lectori S. [Johann Oberndorffer, comte palatin impérial, salue le candide et bienveillant lecteur] où se lisent ces mots (pages 30‑31) :

[…] laudem etiam nostro sæculo non postremam meretur Dn. Joan-Stephanus Strobeblergerus, Sanioris e Monte Pelio Medicinæ Doctor, omnini doctrina et virtute ornatissimus ; nec non Gener mihi amicissimus…

[(…) en notre siècle, M. Johann Stephan Strobelberger, docteur de Montpellier en la très salutaire médecine, parfaitement doué en toutes sciences et vertus, n’est pas le dernier à mériter des louanges ; il est aussi mon très affectueux gendre…].

Johann Oberndorffer (1549-Ratisbonne 1625) a exercé la médecine à Graz puis à Ratisbonne où il s’attacha à la cour de plusieurs princes allemands. Les titres des quelques ouvrages qu’il a publiés le montrent intéressé par la chimie et la botanique.

V. notes :

2.

Les médecins allemands Leonardus Ursinus, professeur à Leipzig, et Gottfried Mœbius (v. note [14], lettre 523), professeur à Iéna, étaient tous deux morts en 1664.

Comme bien d’autres indices semés dans ses lettres, ces requêtes de Guy Patin prouvent son intérêt pour les détails des biographies médicales, et suggèrent qu’il alimentait des notes pour un recueil sur ce sujet (qui n’a jamais vu le jour).

3.

« comme à travers un treillis ». Per transennam inspicere [Regarder à travers un treillis] est un adage qu’Érasme a commenté (no 2049) :

proverbiali nimirum figura dictum est pro eo quod est non proprius neque singillatim, sed procul et summatim inspicere. Translatum a negotiatioribus qui mercibus quas contrectari nolunt cacellos obsciunt ; quidam etiam vitrum pellucidum opponunt ut prætereuntibus procul contemplari liceat, nec explicant eas nisi licitatori idoneo.

[se dit en proverbe pour regarder non pas de près et en détail, mais de loin et grossièrement. C’est un emprunt aux marchands qui mettent des treillis devant les articles qu’ils ne veulent pas qu’on touche ; certains les placent même derrière une vitre pour permettre aux passants de ne les voir que de loin, et ils ne l’ouvrent qu’à celui qui en offre un prix convenable].

De Christophori Adami Ruperti, in incluta Altdorph. quondam Hist. Prof. celeberrimi [Christoph Adam Rupertus, jadis très célèbre professeur d’histoire en l’illustre Université d’Altdorf] (v. note [15], lettre 656), Guy Patin citait :

V. note [3], lettre latine 295, pour l’ouvrage de Philipp Carolus sur Aulu-Gelle.

4.

« je vous devrai un coq pour avoir été mon Esculape » (v. note [12], lettre 698).

Comme Guy Patin, mais pourvu des puissantes armes de la recherche électronique, j’ai fouillé dans les trois livres qu’il citait, sans y trouver le passage sur l’horreur du lait qu’éprouvait Joseph Scaliger. L’intérêt de Patin pour ce détail venait probablement de l’aversion (idiosyncrrasie, v. note [7], lettre latine 78) qu’il éprouvait lui-même pour le fromage blanc (v. note [13], lettre latine 87).

On ne revient pourtant jamais complètement bredouille d’une recherche sur la Toile : sous la signature d’un dénommé Émile Peget, dans les Nouvelles diverses du Journal du Loiret (no 112, le 11 mai 1865), un billet (en haut de la troisième colonne) parlant des antipathies affirme (sans malheureusement citer ses sources qui ne me semblent pas être les Scaligerana) que « Joseph Scaliger tremblait en apercevant du lait » ; tout comme « la fièvre s’emparait d’Érasme dès qu’il voyait ou sentait du poisson ».

s.

Cl. viro D. Io. G. Volcamero, Med. Doctori, Noribergam.

Dum sæpius de Te cogito, Vir Cl. propter tam multa quibus sum Tibi
devinctissimus, audeo tamen iterum ad Te scribere, rogaréque ut gratum habeas
Indiculum quorundam librorum, et si volueris, mihi emendorum, si præstent in
Urbe vestra : totum pretium æquo animo refundam. Ex Te quoque scire
vellem, quid scias de Osvaldo Crollio : an unquam fecerit Medicinam ? qui dicitur
mortuus Pragæ, anno Ch. 1614. Quis fuit Andreas Libavius, vir
quidem eruditus : an Medicus ? qui dicitur obijsse anno 1616. Quis fuit et
quandonam obijt Io. Steph. Strobelbergerus, qui scripsit Laureationes Medicas ?
dicit se generum Oberndofferi, etc. Ubinam obierunt Ursius et Mœbius ? Nihil
hîc habemus novi in re libraria : ^ Quid nobis superest spe-/randum de scriptis Phil./ Caroli ? quî valet D. Fel-/vinger ? Batavi se fortiter accingunt ad bellum contra
Anglorum ferociam : de quo extinguendo seriò cogitat Rex noster. Vale, Vir
Cl. et me ama. Parisijs, 24. Aprilis, 1665.

Tuus ex animo, Guido Patin.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 189 ro.

Eidem.

Memini me quum statim accepissem libros antehac à Te missos, nempe Agel[lium]
Phil. Caroli, vel Florum, Valer. Maximum et Velleium Paterculum
Christ. Adami ; Memini inquam, quum eos quasi per transennam ac obiter
evolverem, me in uno eorum aliquo legisse, virum maximum Ios. Scaligerum
hoc habuisse sibi à natura particulare, ut abhorreret à lacte tam fortiter,
ut nequidem quemquam intueri posset lac comedentem.
Hoc obiter legi in
uno aliquo ex illis tribus suprà nominatis : sed quis ille sit nescio : ideòq.
Vir Cl. supplex Te rogo, si noveris illum locum, ut velis illum mihi indicare.
Quod si forsan nescias, recurre quæso ad Cl. Virum D. Mich. Dilherum, aut ali-
quem alium virum eruditum, qui me doceat, et locum illum mihi indicet :
Tibi v. præmio, i. pro exempto scrupulo, et averruncato ægræ mentis
dubio, tanquam Æsculapio meo Gallum debebo : fave igitur et ignosce
homunculo homini eruditæ curiositatis studioso, qui tali loco indiget. Vale,
Vir Cl. et me ama. Parisijs, 24. Aprilis, 1665.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 24 avril 1665

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(Consulté le 16/04/2024)

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