L. latine 372.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 25 septembre 1665

[Ms BIU Santé no 2007, fo 196 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Christiaen Utenbogard, à Utrecht.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai bien reçu votre paquet de cinq lettres et vous en remercie profondément. Je salue et embrasse de tout cœur vos trois sœurs, ainsi que leurs fils, [2][3] à qui je souhaite pouvoir être utile. Ne m’envoyez plus ce que vous m’avez déjà envoyé une fois, comme le portrait de Regius, l’Explicatio mentis humanæ, etc. [1][4] Je salue M. Marten Schoock et son fils. [5][6] J’espère que nous verrons un jour une seconde édition augmentée de son livre de Cervisia[7] et les autres parutions qu’il a promises. Je me félicite de votre mise en garde sur les Apophthegmata de Baudartus : puisqu’ils sont écrits en flamand, je n’en ai pas besoin et vous sais gré de m’en avoir averti. [2][8] Si vous avez besoin de quelques exemplaires de l’Hortus regius pour vos amis, je vous les enverrai sans peine. [9][10] Je maudis, hais et haïrai cette engeance vipérine, très chère au Jupiter capitolin[11][12] pour toutes les honteuses scélératesses qu’elle a commises dans le monde entier, qui me prouvent la parfaite vérité de ce vers : Nigra cohors, quorum quidquid non dicitur ars est[3][13][14] Il court ici une rumeur sur la guerre que nous devrions déclarer contre les Anglais ; [15] Dii meliora ! [4] On parle aussi de l’empereur germanique [16] comme chef de la famille d’Autriche que le fils du roi d’Espagne sera mort ; [17][18] ainsi que de la veuve du duc de Mantoue, qui est autrichienne. [5][19][20] La reine mère vit encore, mais elle ne fait plus que respirer : [21] fort peu de gens la voient ; certains des médecins auliques allèguent un cancer, d’autres un squirre, [22] d’autres des scrofules, [23] d’autres des carnosités fongueuses ; [24] en vérité, ils ignorent ce que ce mal peut être, tant ils sont ignorants et impuissants. Tels sont les médecins des princes, qui parviennent là par les flatteries les plus indignes et par les complaisances les plus basses ; ils obtiennent ces honneurs par des prières et de l’argent, et non par leur érudition et par leur propre mérite, mais par leur fortune et leurs horrifiantes intrigues. [25] Ainsi les princes sont-ils guidés, ainsi meurent-ils. En m’envoyant son Hippocrate[26][27] M. Hendrik Vander Linden m’a récemment écrit à votre sujet. [6][28] On parle ici de la maladie du pape, [29] qui est un calcul de vessie avec ulcère du rein. [7][30][31] Beaucoup songent à la guerre, plusieurs la souhaitent et plusieurs la redoutent affreusement. Pour ma part, j’en ai absolument horreur car toutes les calamités qu’elle engendre me terrifient, et je souhaite que la paix fleurisse tant que nous vivrons. Vale.

De Paris, le 25e de septembre 1665.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Christiaen Utenbogard, ms BIU Santé no 2007, fo 196 vo.

1.

V. note [5], lettre latine 300, pour la « [brève] Explication de l’esprit humain » de Henricus Regius (Utrecht, 1657), contre René Descartes.

La Wellcome Collection met en ligne un portrait de Henricus Regius (v. note [11], lettre 680), Ultrajectinus, Medicus et Philosophus et in Patriæ Academia Medicinæ Professor [natif d’Utrecht, médecin et philosophe, et professeur en la Faculté de médecine de sa patrie].

2.

Wilhelmi Baudartii Apophthegmata Christiana, ofte Gedenkweerdige, Leersame en aerdige Spreucken, van vele en verscheydene Christelycke… [Apophtegmes (sentences mémorables) chrétiens de Wilhelmus Baudartus (Willem Baudaert, Deinze 1565-Zutphen 1640, théologien calviniste flamand)…] (Amsterdam, Stam, 1657, in‑4o, pour la 17e édition).

V. note [1], lettre 719, pour le livre de Marten Schoock « sur la Bière » (Groningue, 1661, avec dédicace à Guy Patin), qui n’a jamais été réédité.

3.

« Noire cohorte dont le talent est que nul n’en dise rien » (Charles Delorme, v. note [6], lettre 852) : les jésuites, sans les nommer.

V. note [3], lettre 841, pour le « Jardin du roi » de Denis Joncquet (Paris, 1665).

4.

« puissent les dieux nous en préserver ! » (v. note [5], lettre 33).

5.

On savait alors à Paris que le roi Philippe iv d’Espagne, oncle maternel et beau-père de Louis xiv, était très malade, mais non qu’il venait de mourir, le 17 septembre 1665. Les spéculations allaient déjà bon train sur sa succession : son fils Charles, né en 1661 et réputé débile, n’était pas en âge de régner et ne devrait guère vivre longtemps ; la régence échut naturellement à sa mère, la reine d’Espagne, Marie-Anne d’Autriche, sœur de l’empereur germanique Léopold ier (v. note [3], lettre 837). Louis xiv s’est intéressé de près à l’affaire (Mémoires tome 1, page 113, année 1666) :

« J’écoutai aussi ce qui me fut proposé par les électeurs de Mayence et de Cologne, touchant le partage qui se pouvait faire entre l’empereur et moi des États du roi d’Espagne, en cas que ce jeune prince vînt à mourir. Car, quoique la chose parût en soi peu faisable, je voulais y laisser former toutes les difficultés par l’empereur, afin de faire tomber sur lui tout le chagrin des auteurs de la proposition. »

Les ambitions de Louis xiv sur les Pays-Bas espagnols furent la cause de la guerre de Dévolution (1667-1668, v. note [3], lettre 883).

Depuis la mort (14 août 1665) de Charles ii de Gonzague, duc de Mantoue, sa veuve, Isabelle d’Autriche (v. note [3], lettre 835), fille de Léopold v d’Autriche-Tyrol, assurait la régence du duché. Sans relation avec la succession de Philippe iv, elle était alliée des Espagnols et menaçait de reprendre Casal aux Français. En 1672, sa conduite scandaleuse la fit cloîtrer dans un couvent.

6.

V. note [11], lettre 726, pour l’Hippocrate posthume de Johannes Antonides Vander Linden (Leyde, 1665), publié par son fils aîné Hendrik.

7.

La lithiase urinaire de Fabio Chigi, alors pape sous le nom d’Alexandre vii, l’avait importuné depuis fort longtemps : en 1642, quand il était nonce apostolique à Cologne, Jean ii Riolan lui avait fait tailler la vessie (v. note [3], lettre 399). Toutefois, le calcul qui lui valait un abcès du rein en 1665 ne devait plus se situer seulement dans la vessie (vesica), comme écrivait Patin, mais aussi plus haut, dans les voies excrétrices rénales (uretère, bassinet).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 196 vo.

Cl. Viro D. Christiano Utenbogardo, Ultrajectum.

Fasciculum tuum quinque Epistolarum accepi, Vir Cl. pro quoTibi gratias
ago singulares. Tres illas Sorores tuas ex animo deosculor atque saluto :
ut et earum Filios, quibus utinam prodesse possem. Quæ antehac semel
misisti, ne mittas in posterum, ut Regij effigiem, Explicat. mentis hum.
etc.
Cl. virum D. Mart. Schoockium, ut et ejus filium saluto. Utinam
aliquando videamus Editionem 2. sed auctiorem, libri de Cervisia, et alia-
quæ polliceris. De Baudartij Apophtthegmatis gaudeo eo quod monueris,
illa esse Belgico idiomate scripta : sic enim illis non indigeo, ideóq. gratias ago.
Si aliquot Exemplaribus Horti regij indigeas, pro amicis tuis, facilè mittam.
Viperinam illam progeniem, Iovi Capitolino carissimam, ob tot infanda scelera
toto Orbe perpetrata, seriò detestor, odi atque odebo : de qua mihi videtur
carmen verissimum. Nigra cohors, quorum quidquid non dicitur Ars est. Hîc
vagatur rumor quidam de bello in Anglos suscitando : Dij meliora : agitur
etiam de Imperatore Germanico, Austriacæ gentis primario, post obitum
filij regis Hispaniæ : ut et de vidua Ducis Mantuæ, et illa Austriaca.
Regina parens vivit adhuc, sed spirat tantum : à paucisssimis videtur ; ex
aulicis Medicis quidam causantur cancrum, alij scirrhum, alij scro-
phulas, alij carnes fungosas : quid sit, revera nesciunt, adeo sunt
ignari et ignavi ; tales sunt Principum Medici, qui fœdissimis adulationibus
et turpibus obsequijs eò perveniunt : dignitates illas assequuntur
precibus atque pretio, nulla eruditione, nullo suo merito, sed pecunijs et
horrendo ambitu : sic reguntur Principes, sic moriuntur. De Te nuper
ad me scripsit D. Henr. Vander Linden, dum transmisit suum Hippocratem. Hîc
agitur de morbo Papæ, calculo nempe vesicæ et ulcere renali. Multi cogitant
de bello, quod plures optant, plurimi pertimescunt. Ego sanè exhorresco,
dum me terrent tot calamitates quas bellum invehit : et utinam pax vigeat
in diebus nostris. Vale. Parisijs, 25. Sept. 1665.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 25 septembre 1665

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(Consulté le 24/04/2024)

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