L. latine 387.  >
À Johann Daniel Horst,
le 6 janvier 1666

[Ms BIU Santé no 2007, fo 202 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Daniel Horst, docteur en médecine, à Francfort.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Pour ne pas paraître insoucieux de votre attente, je vous écris pour vous mander que l’affaire du privilège est conclue : mon fils Robert [2] me l’a apporté hier ; il l’avait récemment reçu du secrétaire du roi qui s’était chargé de l’obtenir. J’entends le privilège des Quæstiones medico-legales de Paolo Zacchias ; [3] dans ma dernière, le 26e de novembre, je vous avais écrit à propos de leurs diverses éditions. Il est accordé pour une durée de 7 ans, moyennant la somme de vingt et deux livres tournois[1] J’ai ce privilège dans les mains, sur parchemin, [4] avec le cachet royal. C’est à vous désormais de m’indiquer à qui le confier pour vous le remettre, et si vous voulez que j’attende la venue prochaine à Paris de votre compatriote Sebastian Switzer. [5] M. Hieronymus Bauhin, [6] professeur à Bâle, m’a récemment écrit une lettre, où il me transmettait les salutations de votre fils, G. Horst. [7] Je suis heureux qu’il ne m’ait pas oublié, en dépit de la grande distance qui nous sépare maintenant. Je lui ai retourné son salut par l’intermédiaire de notre ami Bauhin et souhaite, si vous voulez bien, que vous en fassiez de même. On dit ici que la négociation de paix avec le roi et le Parlement anglais est achevée ; [8][9][10][11] je désire que cela soit vrai et que nous soyons désormais à l’abri des cruelles folies de Bellone. [12] Il s’exerce néanmoins en toute la France une guerre à bas bruit contre les partisans et les concussionnaires, gigantum fraterculi[2][13] qui ont naguère dévoré le peuple français et pillé le trésor royal, aux très rudes époques de Richelieu et de Mazarin. [14][15] La reine mère dépérit de sa longue maladie, qui n’aurait pourtant rien de cancéreux, [16] il ne s’agirait que d’une transformation squirreuse des glandes mammaires ; [3][17] mais il n’y a pas à s’en étonner car, là comme ailleurs, on se joue souvent et aisément des princes, tant ils aiment à être dupés. [18] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, ce mercredi 6e de janvier 1666.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.

Au même. [4]

Tandis que je m’apprêtais à cacheter ma lettre, je reçois la vôtre, datée du 16e de décembre. Vous n’avez pas à vous mettre en peine des exemplaires du Schenckius[19] on me les remettra sous quelques jours. Le retard n’en incombe ni à vous, ni à Beyer, [20] ni à M. Widerholdt, imprimeur de Genève, [21] qui les avait envoyés à Lyon chez un libraire paresseux : il ne s’en est pas soucié et, faute de lui avoir crié dessus, il ne s’est pas préoccupé de régler l’affaire ; [22] tant que je ne vous en aurai pas de nouveau écrit, gardez-donc le silence et n’allez plus vous inquiéter pour ce que je recevrai bientôt. [5] Une fois encore, vale et aimez-moi. Je salue M. Beyer, ainsi que Sebastian Scheffer, mon fidèle et ancien ami[23] Je vous remercie beaucoup pour tout ce que vous me promettez par l’entremise de Sebastian Switzer. Je suis heureux que vous ayez vu notre cystotomiste François Colot, [24] opérateur fort expérimenté et fort habile à ouvrir la vessie pour extraire les calculs ; [25] il est allé à Hambourg pour tailler un juif fort riche ; je souhaite que cela réussisse à Colot et que l’autre délaisse Moïse [26] pour se faire chrétien. [27] Charles, mon second fils, [28] a écrit un opuscule en français sur l’Introduction à l’Histoire par la connaissance des médailles[6] je vous l’enverrai.

Vale.


a.

Brouillon autographe d’une double lettre que Guy Patin a écrite à Johann Daniel Horst, ms BIU Santé no 2007, fo 202 vo.

1.

L’italique est en français dans le manuscrit.

V. notule {a}, note [3], lettre latine du 26 novembre 1665, pour le privilège que Johann Daniel Horst désirait obtenir en vue de donner une nouvelle édition des « Questions médico-légales » de Paolo Zacchias (Francfort, 1666).

Le Johannes Daniel Horstius L.S.P.P. (Lectori Salutem Plurimam Precatur) [Johann Daniel Horst adresse toutes ses salutations au lecteur], daté de Francfort le 1er mars 1666, explique le dessein de l’éditeur :

Ante annos viginti et novem, furente adhuc Bellona, in Professorem Medicinæ Marpurgensis Academiæ delectus, suasu Cancellarii Dn. Neseni, studiosæ Juventuti Pauli Zacchiæ Quæstiones Medico-Legales legendo et disputando tum exposui, et successu quidem satis felici. Non enim tantum docendo ego multum didici, nactus nempe amplum auditorium, sed re penitius considerata, quidam exinde ad Studium Medicum capessendum incitati sunt, numerusque Philiatrorum magno meo gaudio, ut plus haberem quod agerem, auctus est. Cum vero Dominus Sconvvetterus, Vir de Republica literaria satis bene meritus, præteritis Nundinis Autumnalis animo conciperet, prædictas Pauli Zacchiæ Quæstiones Medico-Legales, cum annexis consiliis et decretis Rotæ Romanæ ob defectum exemplarium Romanorum, Lipsiensium, Lugdunensium, Amstelodamensium, denuo, et hic quidem, typis tradere, ad ipsius petitionem, et proximi commodum, notas quasdam, olim Marpurgi conceptas, ipsi communicavi. Tomum Primum quidem et Secundum passim a pluribus mendis purgavi, et variis rebus Physicis et Medicis e Veterum et Recentiorum Philosophorum et Medicorum scriptis desumptis, et hoc signo ( ) inclusis, auxi ; Juridica autem et Theologica, atque Tomum Tertium integrum plane intactum reliqui, relinquens unicuique circa has res liberum Judicium, liberamque Mentem. Boni itaque consule, Amice Lector, qualescunque hos conatus nostros, et Opere hoc elegantissimo atque utilissimo ad Votum tuum feliciter utere.

[Voici vingt-neuf ans, tandis que Bellone était encore en furie, {a} venant d’être nommé professeur de médecine à l’Université de Marbourg, sur le conseil du chancelier Nesen, {b} j’ai proposé aux jeunes étudiants de lire les Questions médico-légales de Paolo Zacchias et d’en disputer, et ce avec un assez heureux succès. Ayant en effet réuni un ample auditoire, j’ai non seulement beaucoup appris en enseignant, mais le fait de fouiller plus profondément ce livre a incité certains de mes élèves à opter pour l’étude de la médecine, et à ma grande joie, le nombre des philiatres s’est accru, de sorte que j’en eus plus que je n’en pouvais former. Quand, lors des dernières foires d’automne, M. Schönwetter, homme qui a plutôt bien mérité de la république des lettres, {c} a conçu le dessein de rééditer ici les susdites Questions médico-légales de Paolo Zacchias, en y annexant les avis et décrets de la Rote romaine, pour corriger les défauts des éditions de Rome, Leipzig, Lyon et Amsterdam, {d} à sa demande et pour la commodité que permettait notre proximité, je lui communiquai les annotations que j’avais rédigées jadis à Marbourg. J’ai bien sûr purgé les fautes qui parsemaient le premier et le second tome, et les ai enrichis de diverses remarques touchant à l’histoire naturelle et à la médecine, que j’ai tirées des écrits des philosophes et des médecins, tant anciens que modernes ; je les ai signalés dans le texte en les mettant entre parenthèses. Je n’ai cependant touché ni aux sujets juridiques et théologiques, ni au troisième tome tout entier, laissant à chacun libre de son jugement et de son esprit sur ces matières. Trouve donc bon, ami lecteur, tout ce que nous avons entrepris, et utilise à ta guise et avec bonheur cet excellent et très utile ouvrage]. {e}


  1. En 1637, la guerre de Trente Ans (symbolisée par Bellone, déesse romaine de la guerre, v. note [3], lettre latine 29) ravageait encore l’Allemagne, et Horst était âgé de 21 ans.

  2. Anton Nesen (1582-1640) était premier professeur de droit à Marbourg depuis 1636.

  3. Johann Baptist Schönwetter, libraire-imprimeur de Francfort (v. notule {b}, note [3], lettre latine 380).

  4. V. note [17], lettre latine 380, pour ces précédentes éditions de Rome (1621-1635), Amsterdam (1651), Avignon (1655 et 1660) et Lyon (1661). Horst y ajoutait celle de Leipzig (F. Lanckisch, 1630, en 4 volumes, in‑8o), qui est probablement celle que Guy Patin tenait pour strasbourgeoise.

    V. note [33], lettre 342, pour la Rote.

  5. Le salut de Horst au lecteur est suivi des deux privilèges de son édition : celui de l’empereur Léopold ier, daté de Vienne le 18 octobre 1665 ; et celui du roi très-chrétien, Louis xiv, daté de Paris le 30 décembre 1665. Je n’ai vu nulle part les noms de Guy et Robert Patin.

2.

« petits frères des géants » (Juvénal, v. note [6], lettre latine 239).

3.

Ce passage est à l’indicatif présent dans le manuscrit (habet, sunt), mais je l’ai traduit au conditionnel car Guy Patin a blâmé ailleurs les savantes circonlocutions (squirre, scrofules) des médecins auliques pour voiler le cancer d’Anne d’Autriche, et rassurer son entourage royal (qui ne demandait qu’à en ignorer le pronostic fatal).

4.

Le bibliothécaire qui a collationné le manuscrit a pris ce long post-scriptum pour une lettre distincte.

5.

V. note [2], lettre latine 354, pour la réédition par Lorenz Strauss, gendre de Johann Daniel Horst, des Observationes medicæ rariores [Observations médicales plus que rares] de Johann Schenck von Graffenberg (Francfort, Johann Beyer, 1665) ; Guy Patin avait aidé à en obtenir le privilège royal, lié à la précédente édition française (Lyon, 1644).

V. note [1], lettre latine 388, pour la bonne réception de ces livres, quelques jours plus tard, emballés dans un tonneau qui contenait aussi les opuscules médicaux divers expédiés d’Helmstedt par Heinrich Meibomius en juillet-août 1664.

6.

V. note [6], lettre 814, pour ce livre que Charles Patin avait publié (Paris, 1665) pour se défendre contre les reproches du Journal des Sçavans sur son édition des Familiæ Romanæ… [Familles Romaines…] de Fulvio Orsini.

Dans sa double lettre, Guy Patin s’est bien gardé d’évoquer les manuscrits de Caspar Hofmann, expédiés à l’intention de Sebastian Scheffer, dont Johann Daniel Horst semblait avoir indiscrètement ouvert le paquet (v. note [11], lettre latine 381).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 202 vo.

Cl. viro, D. Io. Dan. Horstio, Med. Doctori, Francofurtum.

Ne diutius expectationi tuæ deesse videar, Vir Cl. ecce scribo, moneóque
rem esse confertam de Privilegio, quod heri mihi fuit allatum per Filium Robertum,
quod nuper acceperat à Secretario regio, qui illud impetrandum susceperat : quæs
Pauli Zacchiæ Quæstiones Medico-Legales intelligo, de quarum vaijs Editionib.
in postrema mea ad Te scripsis, 26. Nov. 1665. Impetratum fuit pro 7. annis :
pretium ejus fuit 22 lt. Turonensium : vingt et deux livres Tournois. Ecce habeo
in manibus Privilegium istud in membrana pergamena, cum cera regia : tuum erit in
posterum mihi indicare cuinam velis ut tradatur ad vos perferendum : an velis ut
expectem brevi in hanc Urbem venturum vestrum Seb. Switzer. D. Hieronymus
Bauhinus, Prof. Basil. ad me nuper scripsit, et per ejus literas me salutavit
Filius tuus G. Horstius : gaudeo quod mei non fuerit immemor factus, in tanta
locorum distantia : ei salutem reddidi, per Amicum, eandémq. per Te illi voveo,
si gratum habueris. Dicitur hîc confectum negotium de Pace cum rege et Senatu
Anglicano : quod utinam sit verum, nec nos attingant Bellonæ sævi furores :
sed in tota Gallia bellum exercetur minimè bellum in publicanos et peculato-
res, Gigantum fraterculos, qui populum Gallicanum antehac devoraverunt, et
Regis ærarium diripuerunt, durissimis illis temporibus Richelianis et Mazarinis.
Regina Parens ex vetere morbo contabescit, qui tamen nihil habet carcinomatis :
sed sunt dumtaxat glandulæ in mammis scirrhosæ factæ : nec tamen est quod
mireris quidquam in morbis enim ut et allijs rebus, Principes sæpe et facile delu-
duntur, imò ipsi volunt decipi. Vale, Vir Cl. et me ama. Parisijs, die
Mercurij, 6. Ianu. 1666.

Tuus ex animo, Guido Patin.

Eidem.

Dum cogitarem de obsignanda superiore Epistola, ecce tuam accipio 16. Dec.
scriptam : de Exemplarib. Schenkij non est quod labores, ante paucos dies
mihi reddentur : nec enim Tu et in culpa, nec Beyerus, nec D. Widerholdt, Typo-
graphus Genevensis, qui Lugdunum miserat ad ignavum quendam Bibliopolam,
qui rem ipsam neglexit, nec nisi pipulo provocatus, sese accinxit ut
negotium perficeret : sile igitur, et quiescetus esto de singulis, quæ brevi accipiam, donec
ad Te scribam. Vale iterum, et me ama. D. Beyerum saluto, ut et D.
Seb. Schefferum, veterem et constantem Amicum meum. Pro singularibus illis quæ polliceris per Seb. Switzerum, gratias ago amplissimas. Gaudeo quod videris
Cystotimum nostrum Franc. Colot, peritissimum et præstantissimum arti-
ficem in secanda vesica, et extrahendo calculo : ivit Hamburgum ut secet vesicam
Iudæi cujusdam ditissimi : quod utinam succedat Colotio, et alter derelicto Mose,
fiat Christianus. Carolus filius meus secundus scripsit libellum Gallicum, de l’Introduction à l’Hist.
par la connoissance des Medailles
, quem mittam. Vale.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Daniel Horst, le 6 janvier 1666

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(Consulté le 24/04/2024)

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