L. latine 407.  >
À Johann Georg Volckamer,
le 8 octobre 1666

[Ms BIU Santé no 2007, fo 209 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Georg Volckamer, à Nuremberg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai reçu vos deux derniers paquets : l’un venait de M. Paul Felwinger, [2] à qui je répondrai plus tard ; [1] l’autre contenait deux très gros volumes de diverses disputations académiques, [3] dont je vous remercie de toute mon âme. Si de tels autres se présentent à vous ou se trouvent à vendre, touchant principalement à la physique ou à la médecine, je vous demande de tout cœur de me les acheter. Mais indiquez-moi, je vous prie, le montant des dépenses que vous avez faites, afin que je vous les rembourse par l’intermédiaire de M. Picques. [4] Je ne doute pas que vous ayez eu connaissance de l’incendie de Londres, [5] c’est vraiment effrayant, Dii meliora ! [2] Le très distingué M. Hannibal Sehested, [6] ambassadeur du sérénissime roi de Danemark, [7] auprès du nôtre, [8] est ici mort subitement de violente apoplexie, [9] qui était une rupture de vaisseaux avec très abondant épanchement de sang dans les diverses parties du cerveau, comme l’a montré l’autopsie faite en ma présence. [10] La cause de la mort a été un authentique coup de sang, tel que l’a appelé Aurelius Victor dans l’Epitome Cæsarum[3][11][12] survenu dans un corps charnu, obèse, trapu, plein de suc et excessivement pléthorique. [13] Beaucoup espèrent une paix, l’hiver prochain, entre Français, Anglais et Hollandais ; [14] je souhaite qu’elle aboutisse. Je salue tous nos amis, mais vous le tout premier, très distingué Monsieur. J’ai écrit à notre ami Spon [15] au sujet de l’imprimeur lyonnais, concernant M. Rolfinck, [4][16] que je salue, tout comme M. Theodor Schenck, [17] dont j’espère et attends de vous la disputatio de Plantis[5] Envoyez-moi, je vous prie, un compte des sommes que vous avez engagées pour moi, afin que je purge mon ancienne dette, et indiquez-moi ce que vous désirez venant de notre ville. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 8e d’octobre 1666.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.

Je trouverais heureux que M. Rolfinck rééditât toutes ses œuvres et en fît un recueil, car il s’y trouve beaucoup d’excellentes choses ; mais elles ont besoin d’être revues et corrigées. [4]


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fo 209 vo.

1.

V. lettre du 4 novembre 1666 à Johann Paul Felwinger.

2.

« Puissent les dieux nous ménager des jours meilleurs [nous préserver d’un tel malheur] ! » (citation abrégée de Virgile, v. note [5], lettre 33) ; v. note [2], lettre 879, pour le gigantesque incendie qui avait ravagé Londres au mois de septembre.

3.

V. note [20], lettre 104, pour l’emploi des mots ictus sanguinis et apoplexia par Aurelius Victor dans son « Abrégé des Césars ».

Les Portraits historiques des hommes illustres du Danemark, remarquables par leur mérite, leurs charges et leur noblesse, avec leurs tables généalogiques. Première partie de Tycho de Hofman (sans lieu ni nom d’imprimeur, 1746, in‑4o, page 54) relatent la mort du comte Hannibal Sehested (v. note [7], lettre 735) :

« Sehested retourna au mois de février < 1666 > avec le caractère d’ambassadeur extraordinaire à Paris. Mais les hommes qui ont quelques qualités au-dessus des autres, ont toujours quelque chose d’extraordinaire dans leur fin ; car comme on pouvait attendre encore beaucoup de ses négociations, la mort y coupa fatalement et subitement le fil de sa vie le 23 septembre 1666, à l’âge de 58 ans. Son corps fut ouvert et anatomisé, le lendemain de sa mort, par les médecins du roi de France, pour voir si on en trouverait la cause. Ils en donnèrent leur sentiment dans une lettre latine. Monsieur Giöe, {a} connu par son esprit et par son érudition, y fit son éloge par une harangue, qui sans doute a répondu au caractère de cet illustre seigneur. »


  1. Marcus Falksen Giöe, v. note [5], lettre latine 233.

Suit, en note de bas de page, la transcription du rapport anatomique :

Nos Consilarii et Medici Regii, nec non in Parisiensi Academia Doctores regentes, cum essemus vocati ad mortis, qua Perillustris Daniæ apud Gallos Legatus heri subito ereptus est, exquirendas venandasque in aperto cadavere causas, in dissectis renibus, ambobus solito mollioribus, alienumque colorem referentibus, non nihil puris comperimus et lienis, pulmonisque, tametsi cætera sana viderentur, involucra lividis maculis et quidem quam plurimis notissima, sed et sanguis sub illinium lumborum, dorsi totiusque, colli cutem largiter effusus, rubrum simul lividumque colorem induxerat. Resecto denique cranio ac cerebro tanta in hujus cavitatibus comparuit vel certe seri sanguinis copia, ut quin ab hanc unam rem repente exanimatus sit, minime dubitemus. An vero sanguis ipse e plenioribus, nec tamen ipsum capere valentibus vasis sponte sua eruperit, an in quædam ita concitatus sit, ut effractis repagulis domicilium mentis oppresserit, clam nos profitemur. Datum Lutetiæ Parisiorum, die 24. Sept. Anno 1666. Guido Patin Antiq. Decanus. E. Courtois Professor Regius.

[Nous, conseillers médecins du roi, ainsi que docteurs régents de la Faculté de Paris, ayant été appelés à rechercher et à débusquer, par ouverture de son cadavre, les causes de la mort qui a hier emporté le très illustre ambassadeur du Danemark en France, nous avons trouvé un peu de pus dans les deux reins, qui étaient plus mous qu’à l’ordinaire et présentaient une altération de leur couleur, bien que la rate et les poumons parussent sains ; {a} mais du sang épanché en abondance sous la peau des lombes, de tout le dos et du cou, leur donnait une couleur à la fois rouge et bleuâtre. {b} Ayant enfin ouvert le crâne et disséqué le cerveau, nous avons mis au jour dans ses ventricules une grande quantité de sang très certainement vieilli, sans guère douter que telle a été la raison de cette mort subite. {c} Nous déclarons ignorer si le sang a spontanément surgi de vaisseaux sains, sans pourtant coaguler, ou s’il s’est tant enflammé en quelque endroit qu’ayant brisé les parois qui le contiennent, il a comprimé le siège de la pensée.
Fait à Paris le 24e de septembre 1666.
Guy Patin, doyen d’âge. E. Courtois, professeur royal]. {d}


  1. Pour la cohérence de la syntaxe, j’ai traduit en considérant pulmonisque comme une coquille, pour pulmonesque.

  2. Sans m’acharner à trouver un sens au mot illinium (qui n’est dans aucun dictionnaire), j’ai traduit contextuellement ce qui décrit des lividités cadavériques, qui sont une accumulation normale de sang dans les parties déclives d’un corps humain maintenu couché sur le dos durant la journée qui suit la mort.

  3. V. note [15], lettre 554.

  4. Paul Courtois (v. note [5], lettre 265, seul Courtois qui ait été docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1666) était ancien doyen, charge qu’il avait occupée de 1652 à 1654, mais n’était pas professeur du Collège royal, titre qui convenait au seul Guy Patin (lui aussi ancien doyen, de 1650 à 1652, mais sans jamais avoir été l’ancien de la Faculté). Ces grossières erreurs dans les signatures permettent de conclure que la transcription de ce texte est aussi fautive en d’autres endroits : le latin n’a ni la qualité ni la précision ordinaire à Patin, et plusieurs passages (comme la phrase de conclusion) y sont difficiles, voire impossibles à traduire correctement sans interpoler ou interpréter.

Quant au diagnostic précis de l’accident artériel cérébral, il s’agissait probablement d’une banale hémorragie par rupture artérielle liée à une hypertension (maladie alors inconnue), chez un homme pléthorique âgé de 58 ans. Toutefois, depuis six mois (v. lettre du 20 mars 1666), Sehested souffrait de fièvre continue rebelle, accompagnée de symptômes divers, ce qui peut mener à supposer que son hémorragie cérébrale était la complication fatale d’un état infectieux prolongé, tel qu’une endocardite maligne lente (maladie d’Osler, décrite en 1907), atteinte bactérienne des valves cardiaques qui peut essaimer en provoquant la formation d’anévrismes cérébraux (dits mycotiques pour leur ressemblance avec des petits champignons), responsables d’hémorragie quand ils rompent (v. note [4], lettre 423). Le volume de la rate augmente habituellement dans cette affection, mais elle était qualifiée de saine dans le rapport d’autopsie, ce qui ne corrobore pas cette explication, sans toutefois l’exclure tout à fait (faute d’avoir soigneusement examiné les cavités cardiaques). V. note [2] de la lettre susdite pour le vocable hippocratique d’ακαθαρσιη [akatharsiê] que Guy Patin avait employé pour qualifier l’état de Hannibal Sehested : il peut correspondre à la diffusion d’une infection cardiaque à plusieurs viscères.

4.

V. la lettre du 20 octobre 1666 à Charles Spon (note [7]) pour le projet qu’avait un imprimeur lyonnais de préparer une édition de toutes les œuvres que Werner Rolfinck avait mises au jour. En 1666, leur nombre dépassait déjà les 120 titres et, que ce fût à Lyon ou ailleurs, nul ne s’y attaqua jamais.

5.

Depuis mai 1664, Guy Patin demandait à Johann Georg Volckamer de lui faire parvenir l’Historia plantarum generalis [Histoire générale des plantes] de Johann Theodor Schenck (Iéna, 1656, v. note [4], lettre latine 295), et s’impatientait de ne l’avoir toujours pas reçue.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 209 vo.

Cl. viro D. Io. Georgio
Volcamero, Norib.

Postremos tuos fasciculos duos accepi, Vir Cl. quorum unus erat D. P.
Felwingeri, ad quem posthac repondebo : alter erat ex duobus tomis
amplissimis, variarum Disputationum Academicarum, pro quib. gratias
ago Tibi quantas possum maximas. Si quæ aliæ posthac Tibi sese
offerant, aut occurrant emendæ, præsertim Physicæ vel Medicæ, pro ijs
Te rogo ex animo : Sed indica quæso pretium impensarum à Te factarum
ut illud Tibi restituantur operâ meâ, per D. Picques. Non dubito Tibi notum
fuisse incedium Londinensis Urbis : rem sanè horribilem : Dij meliora !
Hîc obijt morte repentina sublatus, Vir Cl. D. Annibal Sesteedt, sere-
nissimi regis Danorum ad Regem nostrum Legatus, ex apoplexia
forti, i. effusione multi sanguinis à ruptione vasorum, per varias par-
tes cerebri, quod me præsente fuit dissectum : causa mortis fuit verus ictus
sanguinis, ab Aur. Victore, in Epitome Cæsarum sic dictus, in corpore carnoso, obeso, quadrato, succi pleno, et plethoricoτατω. Multi
sperant pacem hyeme proxima inter Gallos, Anglos et Batavios : quod
utinam contingat. Omnes amicos nostros saluto. Te v. imprimis, Vir Cl.
Scripsi ad Sponium nostrum de Typographo Lugdunensi, pro Cl. Viro
D. Rolfincio, quem saluto, ut et D. Theod. Schenkium, cujus Disput.
de Plantis à Te opto peto et expecto. Mitte mihi quæso Indiculum eorum quæ
pro me impendisti, ut expungam vetus nomen : et indica mihi quid cupias ex Urbe nostra.
Vale, Vir Cl. et me ama. Parisijs, 8. Oct. 1666. Tuus ex animo, Guido Patin.

Lubens Optarem ut D. Rolfincius omnia sua scripta colligeret, et novam eorum Editionem procuraret,
multa enim eáq. optima in ijs continentur : sed extremam ejus manum requirunt.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 8 octobre 1666

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(Consulté le 29/03/2024)

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