L. latine 418.  >
À Sebastian Scheffer,
le 31 décembre 1666

[Ms BIU Santé no 2007, fo 212 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Sebastian Scheffer, docteur en médecine, à Francfort.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai reçu votre bien agréable lettre, datée de Francfort le 26e d’octobre, elle m’a tout entier inondé d’une immense joie. Toutes les fois que vous m’avez écrit, je vous ai répondu, mais quelques-unes des vôtres ne me sont peut-être pas encore parvenues, comme je le crois aisément. Je n’ai vu ni ce Kornmann, [2] ni le paquet d’Iéna, et n’en ai rien entendu dire. [1] M. Persod [3] portera en toute sûreté vos lettres et les miennes. Je voudrais pourtant que vous conserviez entre vos mains ce que vous aurez à m’envoyer, jusqu’à ce que l’agréable perspective de temps plus paisibles ne luise ici pour nous ; mais en attendant, passer par Metz me paraît la voie la plus sûre de toutes. [2][4][5]

[Ms BIU Santé no 2007, fo 213 ro | LAT | IMG] Je salue votre compatriote Schönwetter, [6] en implorant sa bonne foi et lui offrant de toute sorte de services. Pour ce qui touche à mon portrait, [7] je loue votre bon cœur et votre affection pour moi, et vous remercie au plus haut point pour tant de bienveillance. Je vous rembourserai les dépenses que vous voudrez ; mais en premier et par-dessus tout, j’attends tous les écrits du très distingué Hofmann [8] dont vous avez obtenu la parution prochaine. Vous voudrez bien envoyer cela à M. Du Clos, à Metz[3] pour qu’il me le fasse ensuite parvenir. Imbu de mauvais augures et d’une fausse rumeur, vous me parlez de mon nouveau Rabelais[9] mais je n’y ai même jamais songé ; j’apprends pourtant qu’on en prépare une édition à Bruxelles. Nos libraires sont les plus menteurs, pour ne pas dire les plus mendiants, des vauriens et des conteurs de sornettes, il ne faut attribuer aucun crédit à ce qu’ils disent. [4][10] Je vous offre tout ce que vous désirez venant de notre ville, et vous l’enverrai de bon cœur quand vous m’aurez indiqué ce que vous voulez. Je n’ai jamais vu la Sciagraphia de Chabrey, [5][11][12] mais un Genevois nommé M. Widerholdt [13] m’a écrit qu’il m’enverrait quelque chose en février prochain. J’attends, entre autres, de lui un livre nouveau, dont j’ignore l’auteur, qui est intitulé L’Europe vivante[6][14] Ce Genevois est un homme honnête et fidèle, il m’est entièrement dévoué et je l’estime digne d’absolue confiance. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, ce dernier jour de décembre 1666.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Sebastian Scheffer, ms BIU Santé no 2007, fos 212 vo‑213 ro.

1.

V. notes :

2.

Le 15 septembre 1666, sur la plainte des libraires parisiens, les commissaires du Châtelet avaient saisi des livres clandestins détenus par Charles et Guy Patin (v. le début des Déboires de Carolus), et ordonné qu’on interceptât et retînt tous les paquets qui leur arrivaient de l’étranger. Cette surveillance n’allait pas tarder à se montrer efficace avec la saisie, le 24 juillet 1667, d’un tonnelet envoyé d’Allemagne à Guy et rempli de feuilles imprimées (v. note [2], lettre latine 434).

En servant de relais à ces courriers et en les réexpédiant sous une autre enveloppe, Samuel ii Du Clos, médecin de Metz, ville alors française, permettait d’esquiver l’interdiction.

3.

L’italique est en français dans le manuscrit.

V. notes :

4.

Les Œuvres de M. François Rabelais, docteur en médecine, dont le contenu se voit à la page suivante, augmentées de la vie de l’auteur et de quelques remarques sur sa vie et sur l’histoire, avec l’explication de tous les mots difficiles (sans lieu, ni nom [probablement Amsterdam ou Bruxelles, Elsevier], 1666, 2 tomes in‑16).

Guy Patin se récriait contre la rumeur qui lui prêtait l’intention d’en procurer lui-même une édition ; ce qu’il ne fit jamais, en dépit de toute la sincère admiration qu’il avait pour celui qu’il appelait familièrement « l’auteur François ».

S’il n’en était pas l’auteur, Patin n’aurait sans doute pas désapprouvé L’Imprimeur au lecteur de cette édition hollandaise :

« Ami lecteur,

Il n’est pas nécessaire que je fasse l’éloge du livre que je te présente : tout le monde sait qu’autrefois il n’y avait pas un homme d’esprit, je dis même des plus barbons, qui ne l’eût dans son cabinet, et qui ne le lût en son particulier ; et pour les gens du monde, il n’était pas bon compagnon qui ne savait pas son Rabelais ad unguem, {a} ne pouvant y avoir de bon repas qui ne fût assaisonné de quelque bon mot de cet auteur. Si l’empressement a été moindre depuis, c’est, à mon avis, que n’ayant pas la connaissance de l’histoire des particuliers de ce temps-là, on ne trouve pas si bien le mot pour rire dans la satire. La difficulté, encore, qu’il y a à bien entendre quantité de mots diminue le plaisir. {b} Ainsi, cher lecteur, pour rendre ton divertissement plus aisé dans la lecture d’un livre le plus facétieux et le plus spirituel qui fût jamais, je te le donne tel qu’il est dans les plus vieilles et meilleures impressions, accompagné de quelques observations sur les endroits les plus remarquables de l’histoire de son temps, et une explication très ample, par ordre alphabétique, de tous les mots difficiles. {c} J’y ai ajouté la vie de l’auteur et quelques remarques des traits les plus jolis et les plus plaisants de ce galant homme. Vivito et lætare. » {d}


  1. « sur le bout des ongles ».

  2. Intéressante explication des raisons pour lesquelles Rabelais a temporairement perdu sa popularité au xviie s., à contre-courant de l’admiration sans borne que lui portait Patin.

  3. Alphabet de l’Auteur François et ses annexes, à la fin du tome ii (pages 868‑946).

  4. « Vis et réjouis-toi. »

    V. note [4], lettre 574, pour les deux éditions, semblables à celle-ci, des Œuvres de Rabelais parues en Hollande en 1663. La précédente avait paru à Troyes (« Loys qui ne se meurt point » [Louis Vivant ?], 1613)


5.

Stirpium icones et sciagraphia : cum Scriptorum circa eas consensu et dissensu : ac cæteris plærisque omnibus quæ de plantarum natura, Natalibus, Synonymis, Usu et Virtutibus, scitu necessaria. Authore Dominico Chabræo, Med. Doctore. Εν ολιγοις πολλα.

[Images et sciographie {a} des plantes, avec les accords et désaccords des écrivains à leur sujet et la plupart de ce qu’il est nécessaire de savoir d’autre sur la nature des plantes, leurs naissances, leurs synonymes, leurs emplois et leurs vertus. Par Dominique Chabrey, {b} docteur en médecine. Beaucoup en peu de mots]. {c}


  1. V. notule {c}, note [3], lettre latine 142.

  2. Dominique Chabrey (Satigny, près de Genève 1610-Yverdon 1669) avait étudié la médecine à Strasbourg et à Bâle (doctorat en 1633), et exercé à Genève puis à Montbéliard, de 1635 à 1648, comme premier médecin du duc Louis-Frédéric de Wurtemberg, comte de Montbéliard. En 1648, Chabrey fut nommé médecin de la ville d’Yverdon (v. note [11], lettre 279), où Johann Bauhin avait créé un jardin botanique et laissé de nombreux manuscrits inédits (Dictionnaire historique de la Suisse).

  3. Genève, Phil. Gamoneti et Jac. de la Pierre, 1666, in‑8o : abrégé de l’Historia plantarum generalis de Johann Bauhin (Yverdon, 1650-1651, v. note [13], lettre 297).

6.

Samuel Chapuzeau (v. note [15], lettre 442) : L’Europe vivante, ou relation nouvelle, historique et politique de tous ses États, selon la face qu’ils ont sur la fin de l’année m.dc.lxvi. représentés en divers tableaux, qui en découvrent l’étendue, la qualité, le commerce, les forces, les révolutions, la religion, le gouvernement, les prétentions et les intérêts ; suivis des portraits et des alliances des rois et des princes, où il est traité de l’état de leurs cours, du génie de leurs peuples, des universités et bibliothèques célèbres, des académies d’éloquence, etc. des personnes illustres dans chaque profession. Avec un recueil des choses les plus mémorables qui se sont passées dans l’Europe depuis la paix générale, des révolutions, des prodiges, des guerres, des attentats, des traités de paix, des grands desseins, des nouvelles découvertes, des actions solennelles, des morts, des naissances, des mariages illustres (Genève, Johann Hermann Widerholdt, 1667, in‑4o) ; v. note [9], lettre latine 381, pour J. H. Widerholdt.

Même s’il s’y trouvait en compagnie de certains collègues qu’il exécrait, Guy Patin allait avoir le plaisir d’y lire son nom parmi les célébrités de France (page 314) :

« Dans la médecine, M. Patin, professeur royal en médecine, doyen de la Faculté ; MM. Valot, premier médecin du roi, Guénault, médecin de la reine, Brayer, Bachot, Blondel, Manjot qui a bien écrit, Touqet {a} qui entend fort bien les simples, et des Fougerais merveilleux pour la pratique. »


  1. Sic pour (Denis) Joncquet.

Plus loin, page 320, on lit à nouveau le nom de Patin parmi les propriétaires de bibliothèques remarquables ; et page 321, « M. < Charles > Patin le fils, très savant et curieux », parmi « les curieux de médailles qui nous éclaircissent souvent l’Histoire et nous en débrouillent les difficultés ».

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 212 vo.

Cl. Viro D. Seb. Scheffero, Medicinæ Doctoris, Francofurtum.

Suavissimam tuam accepi, Vir Cl. scriptam Francofurti, 26. Oct. quæ me totum summo
gaudio perfudit. Quotiescumque ad me scripsisti responsum dedi, sed aliquæ tuæ forsan ad me
nondum pervenerunt, quod facilè credo. Kornmannum illum et Ienensem fasciculum non vidi,
nec de eo quidquam audivi. Literæ tuæ meæq. per D. Persod tutò perferentur. Quidquid a.
a. habueris mittendum, mihi destinatum, penes Te servari velim, quousque nobis affulgeat
mitiorum temporum grata conditio : interea v. via Metensis omnium tutissima mihi videtur.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 213 ro.

Schonwetterum vestrum saluto, cujus fidem imploro, et ei obsequiorum meorum omne genus offero : quod
spectat ad effigiem meam, laudo tuum animum, et amorem in me tuum, imò et gratias ago pro tanta
benevolentia : pro sumptibus refundam quod volueris : imprimis a. et super omnia quidquid habes
Cl. Hofmanni nuper editum valde exopto, quod mittes quum volueris, à Monsieur du Clos, Med.
à Mets,
ut ad me postea dirigatur. Malis avibus et rumore falso imbutus, scribis de novo
Rabelæso, de quo numquam cogitavi : audio tamen Bruxellæ parari novam ejus editionem.
Bibliopolæ nostri sunt nugones et nebulones mendacissimi, ne dicam mendicissimi, utpote quo-
rum dictis nihil omnino fidei adhibendum. Quidquid ex Urbe nostra optaveris, offero, et libenter
mittam, si indicaveris. Sciagraphiam Chabræi numquam vidi : sed quidam Genevensis,
dictus D. Widerholdt, scripsit se aliquid missurum Febr. proximo : inter alia expecto
ab ipso librum quendam novum, cujus Authorem nescio, sub hoc titulo, L’Europe vivante.
Ille Genevensis est vir bonus, fidelis, et mihi addictissimus, ac omni fide dignus. Vale, Vir Cl.
et me ama. Parisijs, ult. Dec. 1666. Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Sebastian Scheffer, le 31 décembre 1666

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(Consulté le 19/04/2024)

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