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Au très distingué M. Heinrich Meibomius, docteur et professeur à Helmstedt. [a][1]
Ô que votre lettre m’a été douce et aimable ! Elle m’assure de votre bonne santé et de votre affection pour moi, bien que je n’aie jamais douté de l’une ni de l’autre ; je vous en sais donc profondément gré. J’avais déjà appris la mort de votre protecteur, prince et mécène des savants ; [2] utinam colligetur anima ejus in fasciculo viventium, [1][3] et y reçoive la récompense qu’il a très justement méritée pour son amour envers les savants. Je souhaite que nous arrivent sous de bons auspices et fausto pede [2][4] vos jeunes compatriotes qui pensent venir à Paris et m’y apporter vos présents académiques. [5] Que Dieu fasse réussir leur voyage et leur évite de tomber dans les mains des soldats espagnols qui pillent la Flandre tout entière. Je recevrai certainement avec reconnaissance ce que vous aurez envoyé, mais n’omettez pas de m’en indiquer le prix, je vous le rembourserai sur-le-champ, soit par l’intermédiaire de M. Bec, [6] soit par celui de quelque marchand de Hambourg qui vous le rendra ; ou bien alors, je le verserai à ces jeunes gens qui m’auront apporté votre paquet. Je n’ai pas encore vu votre Georg Engelbert car j’étais absent quand il a déposé votre lettre chez moi ; ne doutez pas qu’à cause de vous, il obtiendra tout ce qu’il me demandera. Il visitera quand il voudra les bibliothèques de nos illustres personnages et je lui serai utile par tout autre moyen en mon pouvoir. Je salue votre collègue Rolfinck, [7] il m’a écrit il y a peu de temps et je lui répondrai plus tard. Je me réjouis fort que Marten Schoock [8] soit en vie et se porte bien, mais Dieu fasse qu’il ne se ruine pas la santé avec tant de labeurs accablants et quasi herculéens. Puisse-t-il vivre encore longtemps pour achever heureusement les travaux qu’il a entrepris, et enfin faire paraître la seconde édition de son livre de Cervisia, qu’il m’a promise. [3][9] Vous me faites grand plaisir en m’annonçant la nouvelle édition du Josephus par Johannes Bosius, professeur à Iéna ; [4][10][11] Joseph Scaliger avait jadis songé à faire de même, s’il avait encore vécu trois ans de plus, mais le destin a mis fin à de si grands projets. [5][12] Samuel Petit, théologien de Nîmes, avait eu la même idée en tête ; pour s’être trop opiniâtré à étudier, il est mort phtisique en Occitanie il y a 20 ans. [6][13][14] Ce savant homme de Normandie, ami de notre Bigot, [15] est Samuel Bochart, qui a écrit de Geographia sacra et qui a publié, voici trois ans en Angleterre, un grand ouvrage de Animantibus sacræ Scripturæ ; [16] j’ignore pourtant ce qu’il nous prépare désormais, tant en raison de son grand âge que du curieux opuscule qu’il a en mains de Paradiso terrestri, qu’il fait depuis longtemps espérer à tous les érudits. [7] Vous connaissez l’adage des Hébreux, cité par notre de Thou, [17] Iuvenes mori possunt, senes diu vivere non possunt. [8][18] Je me réjouis qu’on imprime [Ms BIU Santé no 2007, fo 214 vo | LAT | IMG] le livre de Cervisia de votre très distingué père ; Dieu fasse qu’il paraisse vite. [9][19][20] Mes fils vous saluent, [21][22] ainsi que le petit garçon de mon aîné, mon petit-fils, [23] que vous avez vu ici, et que nos trois épouses. [24][25][26] Je salue la vôtre en retour et vous souhaite toute prospérité, à vous et à votre famille. [10][27][28] Nous ne savons rien d’assuré sur notre guerre contre l’Anglais, [29] non plus que sur le Danois, [30] le Suédois [31] et les Hollandais ; [32] et encore bien moins sur la paix avec les Britanniques, comme sur la guerre du printemps prochain aux Pays-Bas espagnols ; [33] quoi que puissent marmonner et murmurer certains des nôtres, qui sont avides de nouvelles, désirent la guerre, et haïssent l’état présent et pacifié de notre nation, qu’ils voudraient tant voir troublée et bouleversée. Quelques politiques spéculatifs, pour ne pas manquer de quoi gazouiller et babiller, imaginent qu’une nouvelle guerre aura lieu l’été prochain dans le royaume de Pologne, pour l’empereur [34] et contre le tsar ; [35] mais je ne les crois pas. [11] M. Hannibal Sehested, [36] ambassadeur du Danemark, est ici mort subitement il y a cinq mois, αποο της φιλολαγνιης ; dignus morte perit qui mortua vivus adorat ; merito suspecta libido est Quæ Venerem affectat sine viribus : Turpe senex, miles, turpe senilis amor ! [12][37][38][39] On publie à Francfort-sur-le-Main [40] de nouveaux traités médicaux de Caspar Hofmann, [41] Doctor incomparabilis, mais je n’en sais encore rien de certain. Pour les livres d’ici, il n’y a rien, hormis les fables auxquelles sont habitués les marchands du Palais, des romans du Palais. [13] Si parmi les livres de votre père, vous avez quelque chose contre la thériaque, [42] écrivez-m’en je vous prie. Si vous connaissez un médecin de Lübeck nommé Georg Friedrich Lorenz, [43] vous le saluerez, s’il vous plaît, de ma part. Vive, vale et aimez-moi.
De Paris, le 18e de février 1667.
Vôtre de tout cœur, Guy Patin.
1. |
« Dieu fasse que son âme soit recueillie dans le sachet des vivants » ; Samuel i (25:29) :
Le duc Auguste de Brunswick-Wolfenbüttel, dit le Jeune (v. note [1], lettre 428), était mort le 17 septembre 1666, âgé de 87 ans. |
2. |
« d’un pied heureux », Horace (Épîtres, livre ii, ii, vers 37‑38) :
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3. |
V. notes [1], lettre 719, pour le livre de Marten Schoock « sur la Bière » (Groningue, 1661, dédicacé à Guy Patin), qui n’a jamais été réédité, et [6], lettre latine 318, pour l’installation définitive de Schoock dans le duché de Brandebourg en 1664. Guy Patin a annoncé sa mor dans sa lettret à André Falconet datée du 27 juillet 1668. |
4. |
Johannes Andreas Bosius (Boesius, Bose ; Leipzig 1626-Iéna 1674), philologue et professeur d’Histoire à Iéna, n’a pas donné d’édition de Flavius Josèphe (v. note [18], lettre 95), mais allait publier une thèse intitulée : C.B.D. in Periocham Flavii Josephi de Jesu Christo, Exercitatio historico-critica προ παρασκευασικη : in qua inter alia prolixe disseritur de chronologia scriptorum Eusebii, et corruptelis chronici Eusebiani. Quam in florentissima Jenensium Academia Præsidente Ioanne Andrea Bosio, Historiarum Professore ordinario, ad d. Aprilis publice discutiendam proponit M. Joannes Jacobus Porzelius Isna Algavus. |
5. |
V. notes [6] et [7], lettre 483, pour le projet que nourrit Joseph Scaliger d’éditer les œuvres de Flavius Josèphe ; mais il y renonça, autant par l’approche de la mort que par son impossibilité d’accéder à des sources manuscrites fiables. |
6. |
V. note [8], lettre 483, pour ce projet avorté de Samuel Petit (v. note [17], lettre 95). |
7. |
Guy Patin prisait fort les ouvrages de Samuel Bochart, v. notes : |
8. |
« Les jeunes peuvent mourir, les vieillards ne peuvent pas vivre longtemps » (v. note [9], lettre 145). |
9. |
V. note [14], lettre 760, pour le livre de Johann Heinrich Meibomius « sur la Bière » (Helmstedt, 1668). |
10. |
En septembre 1664, Heinrich Meibomius avait épousé Anna Sophia Daetrius (1640-1727), fille du théologien luthérien allemand Brandanus Daetrius (1607-1688). Meibomius avait rendu visite à Guy Patin entre janvier 1666 (date de sa précédente lettre) et février 1667. Son ami parisien l’avait apparemment reçu chez lui en présence de sa famille :
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11. |
V. note [1], lettre 900, pour le traité d’Adrusovo (30 janvier 1667) qui avait instauré une paix fragile entre les Polonais et les Russes. Instable et harcelée par les Turcs et les Tartares, l’Europe centrale restait en grande effervescence. |
12. |
« victime de sa débauche : “ est digne de mourir celui qui, vivant, adore les choses mortes ” ; “ justement suspect est le vieillard qui, n’ayant plus de forces, poursuit encore le plaisir ” : “ honte au soldat trop vieux, honte au vieil amant ! ” » Les trois mots grecs sont suivis de trois emprunts latins :
V. note [3], lettre latine 407, pour la mort d’Hannibal Sehested à Paris le 23 1666. Guy Patin l’avait soigné dans sa dernière maladie ; mais le médecin (comme il arrive parfois) conjurait son échec en en jetant la responsabilité sur les honteuses débauches de son patient. La maladie est un péché, et la mort sa punition… |
13. |
L’italique est en français dans le manuscrit. Les galeries du Palais de justice de Paris appartenaient au Domaine du roi et abritaient quantité de boutiques que la Couronne louait à des marchands en tous genres. Au public qui affluait, ils proposaient principalement des frivolités, comme des ouvrages de littérature distrayante ; ces romans que Guy Patin méprisait et reléguait à l’usage des courtisans et des dames oisives ; des « romans de gare », pourrait-on dire aujourd’hui. Guy Patin affublait Caspar Hofmann du titre grandiloquent de « Docteur incomparable » (attribué ailleurs, entre autres, à saint Augustin ou à Joseph Scaliger), attendant impatiemment la parution de ses Opuscula (Francfort, 1667, v. note [2], lettre latine 344), que Sebastian Scheffer finissait de préparer, en les ornant d’un portrait de Patin. |
a. |
Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Heinrich Meibomius, ms BIU Santé no 2007, fo 214 ro et vo. |
s. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 214 ro. Cl. viro, D. Henr. Meibomio, Med. Doctori et Prof. Helmstadium. O suavem et amicam Epistolam tuam, quæ de tua valetudine, tuóq. in me amore certiorem |
t. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 214 vo. de Cervisia gaudeo typis mandari : utinam brevi prodeat in lucem. Filij mei Te salutant, et |