L. latine 453.  >
À Johann Georg Volckamer,
le 6 juillet 1668

[Ms BIU Santé no 2007, fo 223 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Georg Volckamer, docteur en médecine à Nuremberg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je vous écris pour plusieurs raisons : tout d’abord, pour vous faire savoir que, par la singulière grâce de Dieu, je vis sain et sauf, et votre entier dévoué en toutes choses, c’est-à-dire dans le parfait souvenir de tous les bienfaits que j’ai reçus de vous, dont jamais je ne serai ingrat tant que je vivrai ; bien que je ne vous en aie pas rendu la pareille, j’ai l’esprit tout occupé à y parvenir. Ensuite, sachez bien qu’aucun succès n’est venu de tout ce qu’on vante sottement et stupidement chez vous sur la transfusion de sang telle qu’on la pratique ici ; [2] et que jamais cela ne réussira, car ce sont des expériences ridicules et impossibles. [Ms BIU Santé no 2007, fo 224 ro | LAT | IMG] Tout ce dessein de fortifier les malades et d’accroître leur robustesse à l’aide de ce remède est le doux délire d’un esprit inventif et oiseux, entiché de sornettes et se tourmentant en vain, sous ombre de flatteuse innovation, ut faciat rem, si non rem, quocumquomodo rem[1][3][4] Nous avons enfin obtenu la paix entre les Anglais, les Hollandais, les Suédois, les Allemands et les Espagnols. [5] Dieu fasse qu’elle dure longtemps et sans aucun piège, et que ces nouveaux adeptes de Machiavel [6] ne l’entravent ni ne la troublent ! J’entends ces gens qui trompent les grands au nom de la piété, pour accroître leur fortune personnelle, tout comme ceux que, dans son Dialogus de Jure regni apud Scotos, George Buchanan appelle finement nebulones sericati[2][7] Je vous remercie tout particulièrement pour votre amour et votre bienveillance à mon égard et à celui de mon cher Carolus ; [8] je vous prie instamment de continuer à l’aimer en tant qu’excellent et savant jeune homme. Je salue tous nos amis, mais en particulier M. Richter [9] et M. Fabricius, [10] docteur en médecine dont le fils m’a fait parvenir une disputatio medica de Medicina universali, publiée à Venise en 1666 ; [3][11] il se nomme Septimus Andreas Fabricius, [12] on me dit qu’il séjourne à Vienne ; j’ai reçu de sa part six thèses en cadeau, par l’intermédiaire de Madame Le Rebours, de Paris. [4][13] Mais dites, s’il vous plaît, quand et où mourut un homme jadis fort renommé parmi les chimistes, [14] Osvaldus Crollius, [15] auteur de la Basilica Chymica : est-ce à Prague ? Exerça-t-il jamais la médecine ? Que savez-vous d’Andreas Libavius qui, dit-on, n’a jamais approché de malades ni palpé le pouls à personne ? [16] Mais j’en termine enfin, vive et vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 6e de juillet 1668.

G.P.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fos 223 vo‑224 ro.

1.

« pour faire fortune, honnêtement, sinon par quelque moyen que ce soit » (Horace, v. note [20], lettre 181).

V. note [5], lettre latine 452, pour les tout premiers pas de la transfusion sanguine à Paris, relatés dans le Journal des Sçavans, que lisait toute l’Europe érudite. Sans le nommer, l’attaque de Guy Patin visait à nouveau son collègue Claude Tardy (v. note [35], lettre 156), principal promoteur parisien de ce traitement nouveau, mais il était fantasque et trop en avance sur les connaissances de son époque (ignorance des groupes sanguins, v. fin de la note [7], lettre 7).

2.

« fripons vêtus de soie » ; George Buchanan, De Jure regni apud Scotos, Dialogus [Dialogue (entre l’auteur et son ami Thomas Maitland) sur les pouvoirs de la Couronne chez les Écossais] (v. note [7], lettre 470 ; édition d’Édimbourg, Johannes Rosseus, 1579, page 47) :

Ecquid tibi nunc humiliter et contemptim de rege sentire videor ? Et eum (quod nuper dicebas) oneratum compedibus in legum ergastulum compingere ? An non potius in lucem et hominum cœtus, et publicum humani generis theatrum eum produco ? Non superbo spiculatorum et μαχαιροφορων {a} coetu, sericatisque nebulonibus stipatum ; sed sua tutum innocentia ; nec armorum terrore, sed populi amore munitum : nec modo liberum et erectum, sed honoratum, sed venerabilem, sacrosanctum, et augustum : cum bonis omnibus et faustis acclamationibus prodeuntem ; et quocunque progrediatur, omnium ora, oculos, et animos in se convertentem. Quæ ovatio, quis triumphus cum hac pompa quotidiana comparari potest ?

[Te semble-t-il que je parle de la royauté avec bassesse et mépris ? Ou (comme tu as dit tout à l’heure) que je barbouille le roi en lui entravant les pieds et en le jetant dans un cachot de haute justice ? Ou plutôt que je l’exhibe publiquement, en pleine lumière, dans le théâtre des comédies humaines ? Ce qui garantit sa sécurité est sa propre immunité, mais non l’insolente compagnie de ses lanciers et de ses spadassins, ou de ses fripons vêtus de soie. Il est protégé par l’amour de son peuple, et non par la terreur qu’inspirent ses armes. Il ne jouit pas seulement de la liberté et de la souveraineté : on l’honore, on le vénère, on le sanctifie, on le glorifie. Quand il se montre, on le couvre de joyeuses acclamations et de beaux discours. Où qu’il aille, les visages, les yeux et l’attention de tous se tournent vers lui. Quelle ovation, quel triomphe peuvent-ils se comparer à ce faste dont il bénéficie tous les jours ?]


  1. À titre de pure curiosité bibliologique ce mot grec (qui signifie « porteurs de sabre », ou « spadassins ») n’est pas imprimé, mais manuscrit, faute de la fonte requise dans la casse du libraire écossais.

Avec sa courte référence à Buchanan et sous prétexte de dénoncer la fragilité de la paix, Guy Patin exprimait, juste avant d’en venir à son fils Charles, sa hargne contre le pouvoir du roi et des courtisans à qui il attribuait, non sans raison, les graves ennuis qui s’accumulaient alors sur lui (v. les Déboires de Carolus).

3.

Μελετημα ιατρικον, de Medicina universali, quod, cum epimetro, synomilis suis, in Itinere Neapolitano, ad demulcendas viarum molestias, recensuit et evulgavit Septimus Andreas Fabricius, N.M.S. [Essai médical pratique, sur la Médecine universelle, que Septimus Andreas Fabricius, étudiant en médecine natif de Nuremberg (v. note [3], lettre latine 184), a composé avec ses compagnons, dans un voyage vers Naples, pour égayer les inconvénients des chemins, et publié en y ajoutant un supplément] (Venise, Scaleani, 1666, in‑4o de 10 pages), contre la pierre philosophale, prétendue panacée des alchimistes.

Ce titre ambitieux correspond à une suite disparate de six questions médicales brièvement résolues. La dernière en donne une idée, en même temps qu’elle explique pourquoi Guy Patin en est venu au médecin chimiste allemand Oswald Croll (v. note [9], lettre 181) dans la suite immédiate de sa lettre :

Sextum et Ultimum Affirmantium argumentum Oswaldus Crollius suggerit, cum inquit : Una omnium hominum communis Mumia est seu Spiritus vitæ ; sicut etiam una morborum Idea, quæ nihil aliud est, quam interceptio Spiritus vitæ. Ergo una etiam Medicina.

Respondeo : Quod hæc Crolliana Ratio valde laboret. Est quidem una omnium hominum Mumia seu Spiritus vitæ, una etiam Morborum Idea, ut loquuntur : sed in Specie, non in Individuo considerata. Medicus autem non curat Speciem, sed Individuum. Deinde, Quia plures ægrotant, quibus Calidum Nativum recte et secundum naturam constitutum est : sequitur, quod Morbus Interceptio tantum modo Spiritus Vitæ non sit.

[Oswald Croll fournit le sixième et dernier argument des postulants, quand il dit : Il existe une seule Momie, ou Esprit vital, commune à tous les êtres humains ; {a} de même, il n’y a qu’une seule Idée {b} des maladies, qui n’est rien d’autre que l’interruption de l’Esprit de vie. Il n’y a donc aussi qu’une seule Médecine.

Je réponds : Ce raisonnement de Croll m’indispose profondément. Dans leur manière de dire, {c} il n’existe certes qu’une seule Momie, ou Esprit vital, commune à tous les êtres humains, ainsi qu’une seule Idée des maladies ; mais cela vaut pour l’espèce, et non pour l’individu ; tout comme le médecin ne soigne pas l’espèce, mais l’individu. Étant donné que bien des gens sont malades alors que leur chaleur innée {d} est correctement constituée et conforme à la nature, il s’ensuit que la maladie ne peut simplement être une interruption de l’Esprit de vie].


  1. Dans la préface de sa Basilica Chymica [Royale Chimie] (édition de Genève, Pierre Chouët, 1643, in‑8o, page 202), Croll a défini ce qu’il appelait Mumia, « Momie » (distincte du cadavre embaumé dont on utilisait le baume en thérapeutique magique, v. note [9] de l’observation x) ressortissant à l’esprit vital (spiritus vitalis), ou énergie vitale, qui est Humidum et Calidum Radicale, Mumia innata, et sedem in medio Hominis corde habet, tanquam sustentaculum omnis vitæ nostræ [qui est l’Humide et le Chaud radical, la Momie innée, et qui siège au centre du cœur humain, comme le support de toute notre vie] (v. seconde notule {a}, note [2], lettre latine 31).

  2. Représentation, conception, d’où essence.

  3. Dans le langage des paracelsistes.

  4. V. première notule {a}, note [14], lettre 150.

La thèse proprement dite s’achève curieusement sur une vision du paradis empruntée à un chimiste mystique qui pourrait être l’alchimiste Guglielmo Gratarolo (Bergame 1516-Bâle 1568) ; mais elle est dénuée de tout intérêt médical et je ne me suis pas échiné à la traduire.

L’επιμετρον (epimetrum, supplément), annoncé dans le titre, est l’observation médicale d’un enfant qui avait trois serpents dans le ventre et qui les expulsa tout vivants par le fondement. En avait-il avalé les œufs ou lui étaient-ils entrés dans la bouche pendant son sommeil ? Cette futile discussion tire argument d’une lettre sur l’oviparité des reptiles écrite par Melchior Sebizius à Gregor ii Horst (v. note [33], lettre 458) en 1624.

Tout cela réjouissait fort Guy Patin.

4.

En se fiant aux relations parisiennes de Guy Patin, on peut supposer que cette dame était être Isabelle Le Rebours, épouse de Jean (v. note [2], lettre latine 242).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 223 vo.

Cl. viro D. Io. Georgio Volcamero, Med. Doct. Noribergam.

Multiplici nomine ad Te scribo, Vir Cl. ut nempe scias me vivere singulari
Dei gratia, sanum et incolumem, et valde omninoque tuum, i. tot beneficiorum à
Te acceptorum valde memorem, pro quibus ingratus numquam moriar, licet ea
non reddiderim, sum tamen animo ad ea reddenda paratissimo. Quæ apud vos ineptè
et stolidè jactantur de transfusione sanguinis hîc facta, scias velim de singulis
istis nihil successisse ; nec unquam successurum, quum sint ista ridicula et αδυνατα.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 224 ro.

Totum istud negotium de firmandis ægris, et adaugendis eorum viribus per ejus-
modi transfusionem, suave est delirium ingenij novaturientis, et hominis otiosi,
nugarum studiosi, séque blandæ novitatis prætextu frustra torquentis ut faciat rem, si non rem, quocumquo-
modo rem. Tandem videmus et habemus pacem inter Anglos, Hollandos, Sue-
cos, Germanos et Hispanos : utinam ipsa diu vigeat, nihil habeat insidiarum,
nec à novis istis Machiavelli sectatoribus impediatur aut interturbetur :
eos intelligo qui nomine pietatis Magnates decipiunt, ut rem suam privatam adau-
geant ; ut et eos qui à Georgio Buchanano, in dialogo de jure regni apud Scotos,
nebulones sericati scìte nuncupantur. Gratias Tibi ago singulares pro tuo
in nos amore et benevolentia, et in Carolum meum, quem ut amare pergas tan-
quam optimum ac eruditum juvenem, enixè rogo. Omnes nostros Amicos saluto : præser-
tim v. D.D. Richterum et Fabricium, Med. Doctorem, à cujus filio accepi Disput. Med.
de Medicina universali
, Patavij Venesijs editam, anno 1666. filius ille vocatur Septimus Andreas Fa-
bricius
, qui mihi dictus est Viennæ commoratumri : ejus nomine munusculum accepi sex Theseon
per Dominam de Rebours, Parisinam. Sed dic sodes, quandonam et ubinam obijt vir
quidam magni inter Chymistas nominis, Osvaldus Crollius, author Basil. Chymicæ :
an Pragæ, anno 1614. fecitne olim Medicinam ? Quid habes de Andrea Libavio,
qui dicitur ad ægros numaquam accessisse, nec cujusquam pulsum unquam contestasse.
Sed tandem desino. Vive, vale, Vir Cl. et me ama. Parisijs, 28. 6. Iulij, 1668. G.P.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 6 juillet 1668

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(Consulté le 29/03/2024)

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