L. latine 466.  >
À Sebastian Scheffer,
le 16 février 1669

[Ms BIU Santé no 2007, fo 227 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Sebastian Scheffer, docteur en médecine, à Francfort.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je répondrai en quelques mots à votre très agréable lettre écrite le 6e de décembre. Je vous remercie profondément de l’immense amour que vous avez pour moi et pour les miens. L’affaire de notre Carolus suit son chemin et j’ose bien augurer de son issue : [2] il a imprudemment fauté, il a péché puérilement et sans le savoir, et il est puni sans l’avoir mérité ; ceux qui nous ont blessés nous promettent pourtant aide et soutien, nous sommes même sur le point d’obtenir réparation ; Dieu aidant, cela nous viendra en temps opportun. Je n’ai pas vu votre ami Ludovicus Ferandus [3] et n’en ai jamais entendu parler ; j’ignore même tout à fait qui il est. Pour cette nouvelle édition de votre Introductio ad Medecinam à laquelle vous songez, je n’ai certainement rien de plus que ce que je vous ai déjà envoyé. [1] Néanmoins, si vous avez besoin de renseignements sur la vie de divers médecins, surtout français, faites-moi savoir ce que vous voulez, je vous répondrai aussitôt. Nous avons peu de portraits d’auteurs médicaux, à part ceux de Fernel, [4] de Sylvius, [5] des deux Riolan, [6][7] de René Moreau, [8] de Renou, [9] de Jacques Mentel, [10] ou le mien, ce nouveau que prépare un de nos graveurs et qu’il me promet d’avoir achevé avant mai prochain. [2][11][12] Je salue votre M. Schönwetter et lui offre tout ce que j’ai en échange de l’affection qu’il nous porte. [13] Je n’ai jamais eu aucune nouvelle de ce tonnelet que Zetzner a remis à la poste : [14] c’est celui que je réclame et attends depuis longtemps ; il contient les exemplaires du Zacchias[15] des livres de Schenck, [16] et diverses autres choses venant de vous ; Dieu fasse qu’il ne soit pas perdu. Je vous avais naguère écrit de ne rien m’envoyer, pour éviter que ça ne tombe entre les mains du syndic de la librairie ou de ses adjoints, [17] qui jettent leurs griffes sur tout ce qui est apporté ici, et d’où on ne peut rien retirer ou récupérer sans procès ; [3][18] Je ne connais absolument rien à cet art de chicaner, je suis un philosophe et un médecin, et non point un piailleur d’avocat. Je voudrais donc vous bien prévenir, très distingué Monsieur, de conserver chez vous tout ce que vous aurez à m’envoyer ; quand vous m’en aurez avisé, je vous indiquerai auquel de nos libraires vous devrez l’expédier, en mettant son seul et propre nom sur le paquet, car le mien leur est comme odieux et suspect, et doit être prudemment tu propter metum Judæorum ; [4][19] Tout se passera bien si vous respectez et observez cette précaution, au mépris de ces vauriens malveillants que rien ne satisfait, car ce sont des gueux et, pour tout dire, de puants mendiants. Je vous enverrai tout ce qui me reste des œuvres manuscrites de Caspar Hofmann, à l’intention de votre M. Götze, [20] que je salue. Faites ce que vous voulez touchant à l’épître pour le livre de Humoribus[5] [21] Je suis enfin arrivé à un accommodement avec mes braillards sur les livres que Götze m’avait envoyés : pour achever ce procès et mettre un terme aux dépenses, je leur ai laissé la moitié du tout et ai récupéré l’autre ; ces criailleurs sont à éviter, ce sont des voleurs et nous devons soigneusement nous en garder. [6] Je vous demande donc de ne rien m’expédier sans m’en avoir d’abord averti ; je prendrai alors soin de me faire délivrer votre envoi en sûreté à Paris. Vous saluerez en mon nom et de tout cœur le très distingué M. Lotich. [22] J’ai ici six très beaux calendriers qui vous sont destinés ; je vous les ferai parvenir dès que j’aurai trouvé un porteur idoine et sûr : je compte pour cela sur Öchs [23] ou sur Sebastian Switzer ; [24] quant au prix, que la paix règne entre nous ! Je recommande mon fils Charles et ma propre personne à votre bon souvenir. Vale, très distingué Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites.

De Paris, le 16e de février 1669.

Vôtre pour l’éternité, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Sebastian Scheffer, ms BIU Santé no 2007, fo 227 ro.

1.

V. note [26], lettre 484, pour l’« Introduction à la Médecine » (Introductio in universam Artem medicam [Introduction à l’Art médical complet]) de Sebastian Scheffer (Helmstedt, 1654), tirée des ouvrages d’Hermann Conring et disputée sous sa présidence. Dans sa lettre du 12 février 1660 (note [3]), Guy Patin avait annoncé à Scheffer des remarques sur son livre, en vue d’une nouvelle édition (qui ne vit jamais le jour), mais sans en garder la trace dans ses brouillons (ou du moins dans le ms BIU Santé no 2007).

V. note [4], lettre latine 461, pour l’énigmatique Ludovicus Ferandus, ami parisien de Scheffer que Patin confirmait ici ne pas connaître.

L’apparente embellie dont parlait Patin dans les déboires de Carolus n’eut pas les heureux lendemains qu’en espérait son père.

2.

La BIU Santé conserve et met en ligne les portraits de Jean Fernel, {a} Jacques Sylvius, {b} Jean i {c} et Jean ii Riolan, {d} René Moreau, {e} Jean de Renou. {f}


  1. V. note [4], lettre 2, sans légende.

  2. V. note [9], lettre 9, avec cette légende :

    iacobus sylvius ambianus medicus et professor regius parisiensis

    Natus an. 1478. denatus an. 1555. ineunte.

    Ad Pictorem

    Exprime narrantem facundâ voce Galenum
    Tractantemque manu corpora ; pictus erit.

    Ren. Moreau fecit
    .

    [jacques sylvius, natif de Picardie, médecin et professeur royal de paris

    Né en l’an 1478, mort au début de l’an 1555.

    Au peintre

    Montre-le commentant Galien avec éloquence et traitant les corps de sa main, et tu l’auras dépeint.

    René Moreau (v. note [28], lettre 6) l’a écrit].

  3. V. note [9], lettre 22, avec cette légende :

    ætatis 62. 1600.

    Effigies Ioannis Riolani
    Medici Parisiensis obiit ætatis
    66. anno salutis 1605. die 18. Octobris
    .

    [En 1600, 62e année de son âge.

    Portrait de Jean i Riolan médecin de Paris, mort en sa 66e année d’âge, le 18 octobre 1605].

  4. V. note [7], lettre 51, avec cette légende :

    io. riolanus paris. med. doct. et reg. profess. decanus

    Non riolanus, at est hic Bibliotheca vocandus,
    Quippe quod in tota discitur Arte, tenet.

    guido patinus, D. Med et Prof. Reg.

    [jean ii riolan docteur en médecine de paris et doyen des professeurs royaux.

    Il ne faut pas l’appeler riolan, mais la Bibliothèque, parce qu’elle contient tout ce que l’Art enseigne.

    guy patin, docteur en médecine et professeur royal].

  5. V. sa légende dans la note [51] de l’annexe sur le ms BIU Santé no 2007.

  6. V. note [16], lettre 15, avec cette légende :

    ioannes de renou constantiensis medicus parisiensis et regius ætat. 48.
    ex angue prudentia et sanitas

    Das quod in arte potes, sed imaginis umbram
    Pingis, et ingenii præteris omne decus.

    L. Gaultier sculpsit 1608.

    [jean de renou, natif de coutances, médecin de paris et du roi, en la 48e année de son âge.
    du serpent la prudence et la santé

    Tu donnes l’art dont tu es capable, mais tu peins l’ombre d’une image, et tout l’éclat du génie t’échappe.

    L. Gaultier l’a gravé en 1608].


Marie-France Claerebout a complété la série en découvrant le splendide portrait (non daté) de Jacques Mentel (v. note [6], lettre 14) dans la banque d’images du château de Versailles (inv.grav.lp 29 bis.62.1), avec cette légende : iacobus mentelius, patricius castro-theodoricensis. d.m.r. [Jacques Mentel, patricien de Château-Thierry, docteur régent en médecine].

Le portrait de Guy Patin, que le graveur Antoine Masson, était en train de parachever, est celui dont la partie centrale (inversée) orne le frontispice de notre édition de sa Correspondance. En arrière-plan, dans le coin supérieur gauche, on y voit une partie d’un petit tableau accroché au mur, avec une maison à flanc de colline, qui pourrait représenter le domaine champêtre qu’il possédait sur le coteau de Cormeilles (v. note [5], lettre 11). De cette gravure de Masson, Alexandre Pierre François Robert-Dumesnil a écrit dans son Peintre-graveur français, ou Catalogue raisonné des estampes… (Paris, 1836, tome ii, page 99) :

« Son portrait de Guy Patin est étonnant ; le travail ne saurait être plus bizarre, {a} mais l’effet qu’il produit est admirable. Celui de Charles Patin {b} est d’une excellente couleur, et respire la vie ; on voit le rire moqueur de ce médecin, non moins satirique que son père ; ses yeux brillent de malice. »


  1. La saillie de la partie droite du visage témoigne d’une indéniable erreur de perspective.

  2. V. note [5], lettre 898.

En offrant ces portraits d’éminents médecins parisiens à Sebastian Scheffer, Guy Patin lui signifiait qu’il n’avait pas perdu tout espoir de voir un jour une dixième partie de la Chalcographica Bibliotheca [Bibliothèque gravée], dont la neuvième et dernière avait été publiée à Heidelberg en 1664 (v. note [1], lettre latine 308). Patin y croyait tant qu’il est revenu sur son rêve dans sa lettre du 26 février 1669 (v. sa note [2]).

3.

V. note [2], lettre latine 461, pour les livres en blanc (non reliés) contenus dans ce petit tonneau égaré et pour les mésaventures judiciaires de Guy Patin avec le syndicat des imprimeurs parisiens.

4.

« par crainte des juifs » : expression de haine et de mépris, empruntée à l’Évangile de Jean (v. note [14], lettre 391), à l’encontre des pharisiens (ennemis de Jésus, v. note [14], lettre 83), c’est-à-dire, ici, des mécréants, plutôt que des juifs à proprement parler.

5.

Ce traité manuscrit « des Humeurs » de Caspar Hofmann (v. note [14], lettre 150), qui en avait adressé l’épître dédicatoire à Robert Patin (v. note [2], lettre latine 434), n’a jamais été imprimé.

V. note [2], lettre latine 433, pour la liste des autres manuscrits hofmanniens que possédait encore Guy Patin.

6.

Il s’agissait du contenu du premier des deux tonnelets décrits dans la note [1] de la lettre à Sebastian Scheffer, datée du 3 novembre 1667. Guy Patin avait donc enfin en mains les Opuscula medica [Opuscules médicaux] de Caspar Hofmann édités par Sebastian Scheffer (Francfort, 1667, v. note [14], lettre 150), où étaient la réédition de ses deux livres de Medicamentis officinalibus [Médicaments officinaux] et les premières éditions de ses traités de Calido innato et Spiritibus [la Chaleur innée et les Esprits] et de Partibus similaribus [les Parties similaires (du corps humain, v. note [7], lettre 270)].

Patin se tirait plutôt à bon compte du procès que le syndicat des imprimeurs parisiens avait engagé contre lui pour trafic illicite de livres (commis à son insu, v. note [3], lettre latine 432), après la saisie des 50 exemplaires des Opuscula d’Hofmann, le 24 juillet 1667, au Collège royal (v. note [2], lettre latine 434). Un arrangement venait de conclure l’affaire : confiscation, au profit des libraires, de la moitié des ouvrages saisis.

Cete procédure était distincte de celle dont la sentence, prononcée le 14 août 1668 (v. note [130] des Déboires de Carolus), avait été beaucoup plus sévère pour Charles Patin ; mais les chefs d’accusation étaient autrement sérieux à son encontre puisqu’ils ressortissaient au crime de lèse-majesté.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 227 ro.

Cl. viro D. Seb. Scheffero, Med. Doctori, Francofurtum.

Suavissimæ tuæ 6. Dec. ad nos scriptæ, Vir Cl. Paucis respondebo.
Gratias ago Tibi quam maximas pro immenso illo tuo in me et meos amore. Caroli
nostri negotium bellè procedit, et de ejus eventu bene sperare audeo : imprudenter
lapsus est, juveniliter et inscienter peccavit, et immeritò plectitur : nobis tamen sub-
sidium et auxilium pollicentur qui eum læsebunt, à quib. tamen etiam restitutionem sumus habituri ; commodum tempus ista cum Deo subministrabit. Lud. illum
tuum Ferandum nec vidi, nec quidquam unquam de eo audivi : et quis ille sit, planè
nescio. Quod spectat ad eam quam meditaris novam editionem tuæ Introductionis ad
Medicinam,
certè nihil habeo supra ea quæ antehac ad Te misi : si quid tamen requiras de
variorum Medicorum vita, præsertim Gallorum, fac ut intelligam quid velis, et statim respondebo.
Icones eorum qui de re Medica scripserunt paucas habemus, præter Fernelium, Sylvium,
utrumque Riolanum, Ren. Moreau, Renodeum, Iac. Mentel, et meam quam denuo
adornat unus è nostris Chalcographis, et quam omnibus suis numeris absolutam mihi pollice-
tur ante Maijum proximum. Vestrum D. Schonwetterum saluto, eiq. pro suo in nos amore,
omnia offero. De fasciculo modiolo illo Zetzneri, Aurigæ tradito, nihil unquam audivi : ille ipse est quem
jamdudum quæso et opto : in quo videlicet habentur Exemplaria Zacchiæ, Schenkij et varia
tua : utinam modiolus iste non pereat : antehac ad Te scripseram ut nihil ad me mitten-
tur, ne forsan incideret in manus Syndici aut Adjunctorum rei librariæ, qui manus
rapaces injiciunt in singula quæ huc advehuntur : et à quib. nihil retrahitur aut revocatur absque
lite : in qua arte litigandi nihil certè novi, Philosophus sum et Medicus, non rabula : Te idcirco monitum
velim, Vir Cl. ut quidquid occurret mihi transmittendum, secures in ædibus tuis, donec de ijs monitus
per Te ipsum, Tibi indicavero ad quem ex nostris Bibliopolis erit illud mittendum ac inscriben-
dum, proprio ejus nomine indicato, meo v. tanquam odioso et illis suspecto, cautè suppresso, propter
metum Iudæorum : qua cautione adhibita et servata, totum negotium bellè procedet, etiam
invitis malevolis istis nebulonibus, quib. nihil sufficit propter egestatem et putidam, ut verè dicam,
mendicitatem. Quidquid mihi superest Operum MS. Casp. Hofmanni, mittam ad Te pro vestro D. Gotzio, quem saluto. De Epistola pro libro de Humoribus, fac quod volueris.
De libris antehac missis per Gotzium, tandem egi cum istis rabulis : et ut litem finiarem terminarem, ac impensis finem imponerem, dimidiam partem illis reliqui, alteram hîc habeo ; vitandi sunt
isti rabulæ tanquam fures, et ab ijs prudenter nobis cavendum : itaque nihil mitte quæso : sed moneas primùm, et postea dabo operam ut Lutetiam tutò deferantur. Cl.
virum D. Lotichium ex animo nomine meo salutabis. Hîc habeo sex calendaria pulcherrima Tibi destinata, quamprimum mittenda si vectorem deprehendero fidum
ac idoneum : quod spero per Ochsium, vel Seb. Switzerum. De pretio, Pax nobis. Filium meum C. et meipsum Tibi commendo. Vale Vir Cl. et me, quod facis, amare perge. Parisijs, 16. Febr. 1669. Tuus æternum futurus, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Sebastian Scheffer, le 16 février 1669

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(Consulté le 18/04/2024)

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