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Au très distingué M. Thomas Bartholin, à Copenhague.
Très distingué Monsieur, [a][1]
Matthias Moth, [2] le fils de votre archiatre, [1][3] m’a remis votre très agréable lettre. Je l’ai plaisamment et gentiment accueilli, en votre nom et en celui de son très distingué père ; il pourra compter sur moi chaque fois qu’il aura besoin de mon aide. Je l’ai avisé de certaines choses qu’il doit faire ici : [4] au printemps prochain, il verra extraire le calcul par un cystotomiste très aguerri, François Colot, qui est fort de mes amis ; [5][6] si je puis, il verra aussi d’autres choses, mais il lui sera difficile d’assister aux dissections anatomiques car les mois d’hiver se terminent ; [7] on y a publiquement ouvert les cadavres de quatre femmes, sur l’un desquels on a démontré des opérations de chirurgie ; [8] il viendra aussi au Collège royal de Cambrai où je professe. [9][10] Vous ne m’avez pas fait savoir si vous avez bien reçu le Hollierus, in‑fo, que je vous avais envoyé, [11] avec les commentaires de Louis Duret, [12] Valet [13] et Jean Haultin ; [14] je suis encore dans l’incertitude, veuillez donc bien m’écrire afin de m’en donner des nouvelles. [2] Les imprimeurs parisiens sont extrêmement, et même excessivement engourdis. La difficulté des temps les a presque réduits à la mendicité ; ils sont seulement attachés à faire du gain, ce qui ne leur a guère réussi ; ils n’osent donc rien entreprendre, ils n’apprêtent et ne publient pas grand-chose, hormis quelques comédies en français et autres sornettes courtisanes. [15] J’avais confié à Laurent Anisson, libraire de Lyon, [17] l’Apologia pro Galeno de Caspar Hofmann, [16] dont j’avais ici le manuscrit. Elle a enfin vu le jour ; [18] c’est le meilleur des livres qu’il a écrits, je vous en enverrai un exemplaire à la première occasion. J’en ferai aussi parvenir un pour M. Simon Paulli, que je salue obligeamment. [19] Je souhaite que vous acheviez votre Celse [20] car je pressens qu’il sera meilleur que tous les autres, dont aucun ne m’a encore satisfait. Mon collègue Mentel [21] nous avait fait espérer le sien, mais je n’en attends plus rien : il vieillit un peu plus chaque jour et il promet, mais il ne produira plus jamais rien, [22] vitæ summa brevis spem nos vetat inchoare longam ; [3][23] il est entré en sa 70e année.
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Un médecin de Genève, M. Bonet, [24] a confectionné un Pharus medicorum en réunissant toutes les œuvres de Guillaume Baillou, jadis médecin de Paris ; [25] j’en ai la première partie, j’attends la seconde. [4] La lecture de ce livre servira de guide aux jeunes médecins qui se préparent à étudier la doctrine d’Hippocrate, [26] en les incitant à l’embrasser vigoureusement et vertueusement, et à poursuivre de leur haine les fraudes et les ruses des chimistes. [27] Voilà bien tout ce que je souhaite ! Mais dites-moi, s’il vous plaît, ce que vous avez parmi vos livres ou vos thèses contre ce fameux antidote qu’est la thériaque : [28] j’ai en tête d’écrire une thèse de médecine à son sujet, [29] où je conclurai qu’elle ne convient en aucune manière dans la fièvre pestilente, [30] en raison de la chaleur ardente et de la force indomptable et maligne de l’opium qu’elle contient, [31] etc. C’est à très juste titre, me semble-t-il, que Pline l’a appelée compositio luxuriæ : cui enim bono tot simplicia tam diversæ naturæ ? quo Deorum monstrante istam perfidiam ? Natura paucis contenta est, etc. [5][32] Tant de coûteux médicaments, compliqués et disparates, ne rompent pas la violence d’une si grave maladie et ne peuvent en aucune manière favoriser sa guérison, ad populum phaleras ! [6][33] Les sages ne doivent pas flouer le peuple, même s’il veut l’être. Pour Aristote, en sa Métaphysique, [34] proprium scientis est docere ; [7] il faut donc éduquer ces jeunes qui, conduits par de fausses croyances, jettent de la poudre aux yeux des malades avec leur polypharmacie. [35] Si vous connaissez deux nobles Danois que j’ai soignés ici, MM. Douë et de Rosenkrantz, [8][36] je vous prie de les saluer de ma part, ainsi que les deux Wormius [37][38] et nos autres amis. Vale, très distingué Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites.
De Paris, le 1er avril 1660.
Vôtre de tout cœur, Guy Patin.
1. |
V. note [1], lettre latine 5, pour Poul (Paulus) Moth, premier médecin du roi de Danemark, Frédéric iii (v. note [34], lettre 219) depuis 1651. Son fils, Matthias Moth (1649-1719), étudiait la médecine sous la conduite de Thomas Bartholin. Éloy n’en a pas fait un éminent praticien : « Il ne paraît cependant pas qu’il ait fait dans la suite beaucoup d’usage des connaissances qu’il avait acquises dans l’art de guérir. Il trouva mieux son compte à se jeter dans les affaires politiques et civiles, dont on lui confia le département peu de temps après son retour dans sa patrie. C’est dans ces sortes d’emplois qu’il passa le reste de sa vie ; mais il est bien apparent qu’il les dut plutôt à la passion que le roi Christian v {a} avait conçue pour sa sœur, {b} qu’à la supériorité de ses talents. » {c} |
2. |
V. note [14], lettre 738, pour la réédition (Paris, 1664), dédiée à Guy Patin et publiée avec son aide, des Opera omnia practica [Œuvres pratiques complètes] (ou Maladies internes) de Jacques Houllier avec ses propres commentaires, et ceux de Louis Duret, Antoine Valet et Jean Haultin. Patin les avait envoyées dès leur parution à Thomas Bartholin et lui en avait demandé son avis au début de sa lettre du 10 avril 1664. Il lui avait de nouveau tiré l’oreille à ce propos dans celle du 10 décembre suivant. Sans doute fâché de ne pas avoir obtenu de réponse, Patin (et on le comprend, car il s’agissait d’un ouvrage de grand prix) ne lui avait plus écrit depuis. Sa bonne mémoire (aidée par les brouillons de ses lettres latines) lui permettait de rappeler à Bartholin les règles de la courtoisie en répondant à son mot de recommandation pour le jeune Matthias Moth, fils de l’influent archiatre de Copenhague (v. supra note [1]). Ce qui semble un détail insignifiant mène néanmoins à oser espérer que le ms BIU Santé no 2007 contient une série quasi complète des lettres latines de Patin, couvrant la période 1652-1669 : je n’y ai guère trouvé de lacunes flagrantes ; de tout notre corpus, qui compte 511 lettres latines (actives ou passives), seules 53 proviennent de recueils imprimés ou d’autres collections manuscrites conservées ailleurs (Collège de France, BnF ou bibliothèques étrangères). |
3. |
« la vie est courte et nous interdit les longues espérances », référence à Horace (v. note [12], lettre 98) qui semblait alors hanter l’esprit de Guy Patin (v. note [3] de sa lettre du 28 février précédent). V. notes :
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4. |
V. note [1], lettre 935, pour le Pharos Medicorum [Phare des médecins] (Genève, 1668, première partie qui n’eut jamais de suite) de Théophile Bonet (v. note [2], lettre 909) qui voulait publier les œuvres médicales complètes de Guillaume de Baillou (v. note [19], lettre 17), son modèle pour la connaissance des maladies. |
5. |
« composition conçue pour le luxe : à quoi bon tant de médicaments simples de si diverses natures, quel dieu malfaisant leur a enseigné ces duperies ? La nature se contente de peu, etc. » ; succession de deux emprunts, v. notes :
V. note [1], lettre 1001, pour la thèse contre l’emploi de la thériaque dans la peste, que Guy Patin méditait alors et qu’il présida le 5 mars 1671. |
6. |
« clinquant bon pour le peuple ! [À d’autres, mais pas à moi !] » (Perse, v. note [16], lettre 7). |
7. |
« le propre de celui qui sait est d’enseigner » ; Aristote (Métaphysique, livre i, § 15, traduction de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, 1879) :
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8. |
V. note [11], lettre latine 255, pour Janus Rosenkrantz (Rosecrans dans le manuscrit), malade à Paris en août 1663 ; mais Guy Patin n’a jamais précédemment mentionné son compatriote nommé Douë. |
a. |
Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Thomas Bartholin, ms BIU Santé no 2007, fo 230 ro et vo. |
s. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 230 ro. Cl. viro D. Thomæ Bartholino, Hafniam. Suavissimam tuam accepi, Vir Cl. per Matthiam Moth, archiatri |
t. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 230 vo. annum superat. Quidam Medicus Genevensis, D. Bonnet, consarcinavit ex Operibus omnibus |