Autres écrits
Thomas Diafoirus (1673) et sa thèse (1670)

Le 10 février 1673, Molière donnait pour la première fois, au Palais-Royal, [1] son Malade imaginaire[1][2] avec la fameuse scène 5 de l’acte ii où Thomas Diafoirus, accompagné de son père, déroule sa thèse aux pieds d’Angélique, fille de l’hypocondriaque Argan qui veut la marier à Thomas :

« Monsieur Diafoirus. […] il n’y a point de candidat qui ait fait plus de bruit que lui dans toutes les disputes de notre École. Il s’y est rendu redoutable, et il ne s’y passe point d’acte où il n’aille argumenter à outrance pour la proposition contraire. Il est ferme dans la dispute, fort comme un Turc sur ses principes, ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnement jusque dans les derniers recoins de la logique. Mais sur toute chose, ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c’est qu’il s’attache aveuglément aux opinions de nos Anciens, et que jamais il n’a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle touchant la circulation du sang et autres opinions de même farine.

Thomas Diafoirus, tirant une grande thèse roulée de sa poche, qu’il présente à Angélique. J’ai contre les circulateurs soutenu une thèse, qu’avec la permission de Monsieur, j’ose présenter à mademoiselle comme un hommage que je lui dois des prémices de mon esprit. »

Ainsi dépeint, Thomas Diafoirus fait irrésistiblement penser à Guy Patin, avec ses idées médicales bornées, et la thèse contre la circulation qu’il avait rédigée, présidée et fait disputer le 18 décembre 1670. [2][3][4][5][6][7][8] Certains l’ont supposé, mais sans preuve bien convaincante à l’appui. [3][9] La biographie et les lettres de Patin offrent pourtant quelques bons arguments. Avant de les examiner, prenons connaissance de cette fameuse thèse qui, à ma connaissance, n’avait encore jamais été traduite et annotée. Elle pourrait bien être celle dont le jeune Diafoirus faisait l’hommage à Angélique.

Donc, le sang ne circule pas en parcourant toutes les artères et veines du corps [10]

Titre [Texte latin]

« À Dieu tout-puissant, qui est une seule et trois personnes à la fois, à la Vierge qui a engendré Dieu, et à saint Luc qui est le patron des médecins orthodoxes ; Thèse médicale à discuter le matin aux disputes quodlibétaires dans les Écoles de médecine, le jeudi 18 décembre, sous la présidence de M. Guy Patin, docteur en médecine et professeur royal.

Le sang circule-t-il continuellement en parcourant toutes les veines et artères du corps ? »

Article i [Texte latin]

« Il faut attribuer le moteur de notre vie à la chaleur ; c’est-à-dire à la nutrition, pour l’essentiel. [4][11] Par elle, la Nature produit continuellement la matière qui s’écoule en permanence et qui procure la vie ; laquelle est certes assez longue, mais pourtant pas éternelle. Pour ce faire, rien n’est plus approprié que le sang. Le chyle en est le composant premier : [12] ébauché dans la bouche et dans le gosier, il est parachevé dans l’estomac ; au sein des veines qui le propulsent alors vers le foie, il revêt déjà l’aspect du sang ; ensuite, la force propre et innée du foie l’ayant nourri, le chyle adopte la forme complète du sang authentique. [13] De là toutefois, poussé dans la veine cave et d’autres veines particulières, il se purifie et devient fort brillant. [5] De fait, le sang aime être entièrement enfermé dans ce réservoir ; et s’il était abandonné à lui-même, il n’en sortirait plus. Mais bientôt après, il en est chassé car il devient une charge pour son propre géniteur ; d’autres parties du corps le captent pour tirer de lui de quoi satisfaire leur propre faim. Le sang est donc bien en mouvement dans les veines ; mais ce n’est pas à la manière d’une rivière qui s’écoule, c’est fort lentement, et seulement à mesure qu’il s’en va et que s’en vient celui qui le remplace. » [6]

Article ii [Texte latin]

« Le sang serait perpétuellement animé d’un mouvement circulaire : venu de la veine cave ascendante dans la cavité droite du cœur, il en est chassé dans toute la substance des poumons ; ramené ensuite par l’artère veineuse dans la cavité gauche du cœur, [7] il passe dans l’aorte et les autres artères pour en être chassé dans les veines et revenir dans le cœur, en une marche circulaire rapide. [8] Telle est la douce vision d’Harvey [14] rêvant ou s’amusant, avec certes force ingéniosité ; mais qu’il s’agisse de l’observation oculaire (qui, de fait, a vu la Nature en pleine action ?) ou d’expériences incontestables, rien ne la vérifie et nul raisonnement de poids ne l’établit. De fait, quand on serre un garrot pour saigner, la force appliquée au membre fait que les veines sous-jacentes gonflent outre mesure ; la constriction, mais non pas l’accumulation de sang dans les veines sans qu’il puisse en sortir, s’accompagne de douleur. [9] Et quand une grosse artère est ouverte, il est vrai que tout le sang sort, même celui des veines, [10] parce que, transvasé par la voie des petites bouches des veines et des artères qui les réunissent partout les unes aux autres, [11] il s’échappe soit sous l’effet de son propre poids, soit sous l’impulsion des esprits ou de la Nature qui a horreur du vide, où qu’il se crée dans le corps. Les valvules de soutien qui se trouvent dans les veines ne servent absolument à rien, [15] quand bien même ils prétendent qu’elles remontent le sang, comme par des marches construites et disposées pour qu’il ne refoule pas en arrière subitement, et qu’elles freinent sa chute. » [12]

Article iii [Texte latin]

« Le circuit du sang et sa marche en boucle par tous les vaisseaux, est une production d’esprits oisifs ; c’est un pur et simple nuage, qu’embrassent ceux qui ont créé les ixions, les centaures et les monstres. [13][16][17] Il est bien sûr étonnant de voir combien cette fiction, à elle seule, obscurcirait et bouleverserait toute l’organisation des corps vivants ; à quel point les fondements de l’art médical seraient malencontreusement mis à bas ; à quel point le médecin se trouverait privé du secours que lui procurent les remèdes primordiaux, pour devenir le contemplateur inutile et oisif de la Nature terrassée et implorant de l’aide ; ou s’il faisait autrement, quel blâme il encourrait en les prescrivant avec clairvoyance. Il ne manque pourtant pas de gens qui, attirés par une si futile opinion, s’y attachent opiniâtrement, comme à un rocher, et accusent faussement l’ancien temps d’avoir été coupable de cécité. Ceux-là, s’ils ouvraient les yeux jusqu’à percevoir la lumière, excluraient très facilement du système de la Nature cette erreur que la nouveauté de la chose nous a apportée. »

Article iv [Texte latin]

« Dire que le sang circule par tout le corps est si contraire à la disposition de la Nature, que cela revient à laisser ce mouvement continu bouleverser l’ordre universel de la nutrition et à encourir les plus lourds dommages. Car si on retranche constamment au réservoir une portion du sang enfermé dans les veines, ce qui sort de chacune des parties du corps doit la combler. Pour s’accomplir entièrement, ce phénomène exige un certain temps ; mais puisque le sang s’en vient en même temps qu’il s’en va, sans jamais prendre de retard, comment peut-il s’accrocher à la vie, et s’enfoncer et se transformer dans la substance des parties ? Examinez de plus près la chose et vous comprendrez qu’elle est non seulement préjudiciable, mais vulgairement choquante, et qu’elle va en quelque façon à l’encontre du bon sens. Telles sont certes la nature et l’organisation des éléments fluides qu’ils arracheront des petits fragments et finiront par provoquer une blessure superficielle, tout comme un fleuve, si paisible soit-il, ronge et érode peu à peu les rives de son lit ; ils lécheront tous les corps, que parfois ces dégâts perpétuels finiront par faire périr. Imaginez-vous aussi que le sang n’est jamais attiré par n’importe quelle partie du corps, qui l’a choisi par quelque amour, et pour la seule raison et nécessité de se sauvegarder elle-même, mais que le cœur le pousse çà et là par pour irriguer une partie sans que soit ’elle se couvre de phlegmons, [14][18] soit elle se trouve écrasée par son affluence, qui est comme celle d’un aliment trop riche ? »

Article v [Texte latin]

« La conséquence de cette fameuse et fumeuse théorie est une perturbation qui touche autant la nature des corps que l’art médical, et sème le désordre en toutes choses. Il n’y a en effet plus de secours à attendre de la purgation[19] ni de la saignée ; [20] bien pire, il s’ensuit que la première incendie le corps, et que la seconde le corrompt et l’empoisonne presque, puisque, du fait que le sang s’est dispersé dans tout le corps, celui qui reste dans les veines est moindre en masse en en abondance. En outre, le sang se déplace plus rapidement et son propre mouvement l’échauffe ; et comme il y pénètre plus souvent, la cavité du cœur, siège et foyer de la chaleur radiante, doit lui procurer un supplément d’ardeur. Les humeurs crasses et comme endormies, elles qui s’accrochaient naguère aux tuniques des vaisseaux, d’où l’opération d’un médicament purgatif les délogeait, suivront la course du sang qui s’écoule à leur contact pour être emportées dans les profondeurs du cœur, qu’elles souilleront ; et ensuite, elles apporteront un délabrement similaire aux parties restantes du corps. Et c’est ainsi que les mortels seront massacrés en masse immense, puisque les médecins seront démunis de tout remède efficace, et que procéderont en toute impunité les maladies qu’ont engendrée soit la ferveur du sang, soit l’impureté des humeurs.

Le sang ne circule donc pas continuellement en parcourant toutes les veines et artères du corps. [15]

Jean Cordelle, natif de Ham, était le candidat en l’an 1670e de la rédemption du salut humain. » [16][21][22][23][24]

Commentaires (Loïc Capron)

En résumé : les arguments que William Harvey a employés pour démontrer la circulation du sang sont ridicules ; et c’est heureux, parce qu’une telle organisation du corps humain serait incompatible avec la vie et priverait la médecine de ses meilleurs traitements, la saignée et la purge.

C’était aller beaucoup plus loin que Jean ii Riolan [25] qui, sans pouvoir en faire une théorie vraiment cohérente, avait fini par admettre l’existence d’un mouvement circulaire allant des veines aux artères en passant par le cœur, puis des artères aux veines en passant par des anastomoses ; mais avec deux trajets possibles : l’un principal, pour le sang nutritif, qui allait du cœur droit au cœur gauche sans passer par les poumons ; l’autre annexe, pour le sang spirituel, qui traversait les poumons pour passer du cœur droit au gauche. [17] Sa théorie hybride et paradoxale aidait malgré tout Riolan à expliquer les vertus curatives de la purge et de la saignée, et à affirmer que, loin d’être nuisible, la circulation est nécessaire à la vie. [18]

Cette thèse de 1670 niait donc en bloc les plus grandes innovations physiologiques de son siècle : les circulations du sang et du chyle, l’utilité des valvules veineuses, et même la peine louable que Riolan s’était donnée pour reconnaître le génie d’Harvey, sans tout à fait perdre la face.

En 1661, la découverte de Marcello Malpighi [26] avait pourtant donné définitivement raison à la circulation du sang en démontrant la réalité des anastomoses invisibles entre les artères et les veines, dont Harvey avait seulement prouvé l’existence fonctionnelle (ce qui était déjà un gigantesque bond en avant). [19][27]

Force est malheureusement d’admettre que Guy Patin est l’auteur d’un tel carnage scientifique. Même si son latin n’est pas du meilleur cru et n’est pas farci de références aux auteurs antiques, [20] on y retrouve son ton péremptoire et ses obsessions dogmatiques sur l’infaillibilité des Anciens et sur la souveraineté de leurs remèdes. Le seul absent de marque était l’antimoine :l’arrêt que le Parlement avait prononcé en 1666 interdisait dès lors de s’en prendre impunément à lui. [21][28] Il est en outre difficilement imaginable qu’un bachelier aussi modeste que Jean Cordelle ait pu se livrer impunément et de son propre chef à de telles extravagances. C’étaient les râles amers et déchirants d’un homme, anéanti par les échecs et tombé dans la ruine, [22] que la mort allait emporter dix-huit mois plus tard. C’était mordre pour mordre, sans plus avoir de dents ni même d’os à ronger.

Mieux valait-il en rire :
Guy Patin, son entourage et Molière

Moins d’un an après le décès de Guy Patin (30 mars 1672), Molière mourut chez lui le 17 février 1673, le soir de la quatrième représentation de son Malade imaginaire. Selon plusieurs historiens, il avait eu Armand-Jean de Mauvillain pour ami et principal conseiller de ses satires médicales. [23][29] Que ce fût par lui ou par un autre, Molière était sûrement fort bien renseigné sur les docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris, les plus proches modèles dont il pouvait s’inspirer. Lesquels voulait-il exactement ridiculiser sous les traits des Diafoirus père et fils ?

Dans la scène 5 de l’acte i, s’adressant à Angélique, Argan fournit un précieux renseignement sur Thomas :

« c’est le neveu de M. Purgon, qui est le fils de son beau-frère le médecin, M. Diafoirus. »

Les Piètre ont été la plus féconde des dynasties médicales parisiennes du xviie s., et celle qui s’est le plus signalée pour son attachement aux dogmes des Anciens (Hippocrate et Galien). Anne Piètre, [30] sœur aînée du Grand Piètre (Simon ii), [31] avait épousé en 1574 Jean i Riolan, [32] pour lui donner trois enfants : Jean ii, Anne [33] et Jeanne Riolan. [34] En épousant Anne, Charles i Bouvard [35] était devenu beau-frère de Jean ii Riolan, [24] ce qui peut respectivement faire d’eux Purgon [25][36] et M. Diafoirus, le père. [37] Insigne ennemi de la circulation et de toutes les autres nouveautés médicales, Jean ii Riolan eut deux fils, mais aucun d’eux ne devint médecin.

La piste des Purgon-Diafoirus se perdrait ici si on ne devait regarder Jean ii Riolan-Diafoirus comme le père spirituel, le patron et mentor de Guy Patin : il l’avait apparemment découvert tandis qu’il végétait à corriger des épreuves d’imprimerie, [26] pour en faire son très cher élève, jusqu’à lui transmettre sa chaire du Collège de France ; en même temps que tout son hautain déni de la circulation du sang, que son intime antagoniste, William Harvey, avait conçue.

Et voilà comment Guy Patin s’identifierait à Thomas Diafoirus, fils de Jean ii Riolan-Diafoirus et neveu de Charles i Bouvard-Purgon. [38][39] Faute d’archive probante, cela peut sembler audacieux ; mais la lecture attentive des lettres de Guy Patin et leur mise en contexte ne permettent pas de trouver meilleure façon de mettre en cohérence le Thomas Diafoirus de l’acte i et celui de l’acte ii du Malade imaginaire. Ce faisant, Molière se serait mis à l’abri de foudres inopportunes, car les trois docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris dont il se serait allègrement moqué étaient tous morts en 1673 : Charles i Bouvard en 1658, Jean ii Riolan en 1657 et Guy Patin en 1672. Philippe ii Hardouin de Saint-Jacques, en dépit de sa thèse anticirculationniste du 28 avril 1672, [27][40][41][42][43] est moins plausible parce que sa biographie ne s’accorde guère avec celle de Thomas Diafoirus et qu’en outre, il appartenait au même clan médical que Mauvillain. [28]

Jean ii Riolan avait conservé un souvenir amer des services rendus à la reine mère, Marie de Médicis, [44] en accompagnant la souveraine déchue dans l’exil (1632), jusqu’à sa mort (1642). [29] Il en gardait beaucoup de rancœur à l’encontre des médecins de la cour, ce qui trouve un écho dans le propos désenchanté de M. Diafoirus (acte ii, scène 5) :

« À vous en parler franchement, notre métier [30][45] auprès des grands ne m’a jamais paru agréable, et j’ai toujours trouvé qu’il valait mieux, pour nous autres, demeurer au public. Le public est commode. Vous n’avez à répondre de vos actions à personne, et pourvu que l’on suive le courant des règles de l’art, on ne se met point en peine de tout ce qui peut arriver. Mais ce qu’il y a de fâcheux auprès des grands, c’est que, quand ils viennent à être malades, ils veulent absolument que leurs médecins les guérissent. »

On peut encore penser aux laborieuses études de Guy Patin quand M. Diafoirus dit de son fils Thomas (ibid.) :

« Lorsque je l’envoyai au collège, il trouva de la peine ; mais il se raidissait contre les difficultés, et ses régents se louaient toujours à moi de son assiduité et de son travail. Enfin, à force de battre le fer, il en est venu glorieusement à avoir ses licences. »

Le 30 mars 1624, Guy Patin avait été ajourné (jugé incapax) au baccalauréat de médecine, pour bénéficier de l’indulgence du jury, avec deux autres candidats malheureux, le 16 octobre suivant. [46] Il fut classé bon dernier des onze licenciés admis le 15 juin 1626. [47]

« Qu’eût dit Guy Patin, s’il eût assisté à l’apparition du Malade imaginaire ? » [31]


1.

Celle-là est la plus fameuse, mais Molière avait mis des médecins en scène dans plusieurs autres de ses comédies : Le Médecin volant (1659), L’Amour médecin (1665, v. note [1], lettre 835), Le Médecin malgré lui (1666), Monsieur de Pourceaugnac (1669), etc. ; sans omettre le savoureux dialogue entre le libertin Dom Juan [DJ] et son valet Sganarelle [S] déguisé (acte iii, scène 1, Dom Juan, 1665) :

« DJ. – Il est vrai que te voilà bien, et je ne sais où tu as été déterrer cet attirail ridicule.
S. – Oui ? C’est l’habit d’un vieux médecin, qui a été laissé en gage au lieu où je l’ai pris, et il m’en a coûté de l’argent pour l’avoir. Mais savez-vous, Monsieur, que cet habit me met déjà en considération, que je suis salué des gens que je rencontre, et que l’on me vient consulter ainsi qu’un habile homme ?
DJ. – Comment donc ?
S. – Cinq ou six paysans et paysannes, en me voyant passer, me sont venus demander mon avis sur différentes maladies.
DJ. – Tu leur a répondu que tu n’y entendais rien ?
S. – Moi ? Point du tout. J’ai voulu soutenir l’honneur de mon habit : j’ai raisonné sur le mal, et leur ai fait des ordonnances à chacun.
DJ. – Et quels remèdes encore leur as-tu ordonnés ?
S. – Ma foi! Monsieur, j’en ai pris par où j’en ai pu attraper ; j’ai fait mes ordonnances à l’aventure, et ce serait une chose plaisante si les malades guérissaient, et qu’on m’en vînt remercier.
DJ. – Et pourquoi non? Par quelle raison n’aurais-tu pas les mêmes privilèges qu’ont tous les autres médecins ? Ils n’ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace. Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succès, et tu peux profiter comme eux du bonheur du malade, et voir attribuer à tes remèdes tout ce qui peut venir des faveurs du hasard et des foces de la nature.
S. – Comment, Monsieur, vous êtes aussi impie en médecine ?
DJ. – C’est une des grandes erreurs qui soit parmi les hommes.
S. – Quoi? vous ne croyez pas au séné, ni à la casse, ni au vin émétique ?
DJ. – Et pourquoi veux-tu que j’y croie ?
S. – Vous avez l’âme bien mécréante. Cependant vous voyez, depuis un temps, que le vin émétique fait bruire ses fuseaux. {a} Ses miracles ont converti les plus incrédules esprits, et il n’y a pas trois semaines que j’en ai vu, moi qui vous parle, un effet merveilleux.
DJ. – Et quel ?
S. – Il y avait un homme qui, depuis six jours, était à l’agonie ; on ne savait plus que lui ordonner, et tous les remèdes ne faisaient rien ; on s’avisa à la fin de lui donner de l’émétique.
DJ. – Il réchappa, n’est-ce pas ?
S. – Non, il mourut.
DJ. – L’effet est admirable.
S. – Comment ? Il y avait six jours entiers qu’il ne pouvait mourir, et cela le fit mourir tout d’un coup. Voulez-vous rien de plus efficace ?
DJ. – Tu as raison. »


  1. « Faire grand buit dans le monde » (Littré DLF), par allusion aux fuseaux qui sont « les bâtons de la lanterne d’un moulin » (Furetière), c’est-à-dire les barres du tambour qui fait tourner (en bruyant) l’arbre de la meule.

2.

Sans la nommer, Guy Patin en a parlé au début de sa lettre à André Falconet du 14 janvier 1671 (v. sa note [1]).

Thomas Diafoirus apparaissait pour la première fois sur scène quelques mois seulement après la nomination du chirurgien Pierre Dionis (Paris 1643-ibid. 1718) comme démonstrateur d’anatomie au Jardin royal des Plantes. Il en a loué et remercié Louis xiv dans l’Épître Au roi de son Anatomie de l’homme suivant la circulation du sang, et les dernières découvertes, démontrée au Jardin royal. Par Mr Dionis, premier Chirurgien de Madame la Dauphine, {a} Chirurgien ordinaire de la feue Reine, {b} et Juré de Paris : {c}

« Ces illustres Académies protégées et fondées par Votre Majesté, en seront des monuments aussi durables que la mémoire de ses triomphes, et s’il faut descendre à des choses de moindre éclat, quoique peut-être plus utiles, ces Écoles d’Anatomie ouvertes si libéralement à tout le monde, contribueront encore à faire passer jusqu’aux siècles les plus reculés, les soins paternels dont Votre Majesté est occupée. C’est à cet établissement, Sire, que la Médecine et la Chirurgie doivent leurs lumières les plus parfaites. C’est là que la Circulation du sang et les nouvelles Découvertes nous ont heureusement désabusés de ces erreurs dont nous n’osions presque sortir, et où l’autorité des Anciens nous avait si longtemps retenus. Monsieur D’Aquin, votre premier Médecin, {d} m’ayant choisi pour démontrer à votre Jardin royal {e} les Vérités Anatomiques, je m’acquittai de cet emploi avec toute l’ardeur et toute l’exactitude qui sont dues aux ordres de Votre Majesté, mais j’ai cru, SIRE, que pour répondre entièrement à votre intention, je devais rendre publiques par l’impression mes Démonstrations d’Anatomie, afin qu’elles pussent devenir utiles à ceux même à qui l’éloignement des lieux n’a pas permis d’y assister. Votre Majesté a paru approuver ce dessein, elle a bien voulu m’accorder la permission de mettre son Nom auguste à la tête de cet Ouvrage ; j’ose donc, Sire, le lui présenter, trop heureux que mon faible talent m’ait donné une occasion de lui marquer le zèle ardent, et le profond respect avec lequel je suis, Sire, de Votre Majesté, le très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur et sujet,
Dionis. »


  1. Marie Anne Christine de Bavière, épouse du grand dauphin, Louis de France.

  2. Marie-Thérèse d’Autriche, morte en 1683.

  3. Paris, Laurent d’Houry, 1690, in‑8o de 734 pages, pour la première de très nombreuses éditions et traductions.

  4. Antoine D’Aquin, nommé premier médecin de Louis xiv en 1671 (v. note [4], lettre 666).

  5. V. note [4], lettre 60.

Les Annales du Muséum national d’Histoire naturelle, par les professeurs de cet établissement (Paris, Levrault, 1803, tome second, pages 14‑15) ont fourni d’intéressantes précisions sur la conséquence de l’installation de Dionis pour sa rivale, la Faculté de médecine :

« Ce fut probablement pour favoriser les travaux anatomiques, repris en 1672, que D’Aquin obtint, le 20 janvier 1673, une déclaration du roi, laquelle maintenant les professeurs du Jardin dans le droit de faire audit lieu toutes opérations chirurgicales, dissections et démonstrations anatomiques, ordonne qu’à cet effet le premier corps criminel leur soit délivré par préférence à tout autre, même aux doyen et docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris, nonobstant tous privilèges à ce contraires ; […] à la charge que lesdites démonstrations seront faites gratuitement et en la manière accoutumée. Cette déclaration fut signifiée le 26 février suivant à la Faculté qui y forma opposition et produisit un long mémoire dans lequel ses motifs étaient développés. Mais l’ordonnance, qui avait été provoquée par le premier médecin, fut maintenue et eut son exécution. »

3.

Chéreau (Le Médecin de Molière, page 14) :

« En vérité, on serait presque tenté de reconnaître, dans ces deux Diafoirus, Guy Patin et son fils Charles, d’autant que, trois ans avant la première représentation du Malade imaginaire, Guy Patin avait présidé (18 décembre 1670) à une thèse dans laquelle la circulation harveyenne était fort malmenée, et que Diafoirus fils, pour vaincre tout à fait la fille d’Argan, lui offre, toute roulée, une thèse de sa façon contre cette même circulation. »

Charles Patin n’a jamais écrit ou présidé de thèse sur la circulation du sang, ni proféré de propos hostiles à son encontre. Il a même plaidé le contraire dans sa :

Circulationem sanguinis a veteribus cognitam fuisse, Oratio, habita in archi-lyceo Patavino, die iii. Novembris, m. dc. lxxxv. a Carolo Patino, equite D. Marci, Doct. Medico Paris. primario practicæ extr. Professore.

[Les Anciens ont connu la circulation du sang : Discours prononcé le 3 novembre 1685 en l’Université de Padoue par Charles Patin, chevalier de Saint-Marc, {a} docteur en médecine de Paris, premier professeur extraordinaire de pratique] {b}

Il y a en effet salué les mérites de ceux qui l’ont décrite, aussi bien que critiquée (tiré à part, pages 293‑294) :

Fatemur porro non inviti, Realdum Columbum, Danielem Sennertum, et maxime Guill. Harvæum, Anglum, anatomes professorem, ita industrie ac feliciter hanc Circulationem demonstrasse, ut ejusdem prope si non inventores, saltem restitutores eximii a Posteris celebrari meriti sint ; qui solutis difficultatibus gravissimis, facillimam ejus intelligentiam præbuerint. Jo. Vallæus in academia Lugduno-Batava professor doctissimus, novis experimentis et novis rationibus eandem roboravit. Herm. Corningius, Germaniæ lumen, in academia Julia professor ; Fortunatus Plempius Lovaniensis ; Eccardus Leiknerus Erfurtinus ; Georgius Ent Londinensis ; Cornelius ab Hogelant, et Henricus Regius, Hollandi ; Fortunius Licetus Genuensis ; Renatus Cartesius ; Jo. Veslingius, Guido parens meus p.m. et præcipue Jo. Riolanus Archiater Gallus, Thomasque Bartholinus Danus, quot et quanta nomina ! controversias ad Circulationem pertinentes suis commentariis, quamvis non omnino consentientibus, luculenter illustrarunt.

[Nous convenons bien volontiers que Realdo Colombo, Daniel Sennert et surtout William Harvey, professeur d’anatomie anglais, {c} ont démontré cette circulation avec tant de zèle et de réussite qu’ils méritent d’être célébrés par la postérité comme étant, sinon ses inventeurs, du moins ses restaurateurs : après en avoir résolu les difficultés les plus ardues, ils ont expliqué à quel point elle est simple à comprendre. Jan de Wale, {d} très savant professeur de l’Université de Leyde, l’a consolidée par de nouvelles expériences et de nouveaux arguments. Hermann Conring, le flambeau de l’Allemagne, professeur en l’Academia Julia, {e} Vopiscus Fortunatus Plempius à Louvain, Eckard Leichner à Erfurt, George Ent à Londres, Cornelis van Hoghelande et Henricus Regius en Hollande, Fortunio Liceti à Gênes, René Descartes, Johann Vesling, {f} feu mon père Guy et surtout Jean Riolan, archiatre français, et le Danois Thomas Bartholin – que de célébrités et de quelle valeur ! – ont considérablement enrichi de leurs commentaires les controverses regardant la circulation sans, pour autant, tous y adhérer totalement]. {g}


  1. V. note [53] de son Autobiographie.

  2. Padoue, Imprimerie du Séminaire, 1685, in‑4o de 7 pages.

  3. V. notes [49] (notule {d}) du Procès opposant Jean Chartier à Guy Patin (1653) pour Matteo Realdo Colombo, [21], lettre 6, pour Daniel Sennert, et [12], lettre 177, pour William Harvey.

  4. V. note [6], lettre 191, pour Jan de Wale.

  5. L’Université d’Helmstedt (v. note [19], lettre 340) ; Hermann Conring a correspondu avec Guy Patin.

  6. Vopiscus Fortunatus Plempius a aussi correspondu avec Patin.

    George Ent, médecin et anatomiste anglais (Sandwich, Kent 1604-1689), était disciple et ami de William Harvey.

    Cornelis van Hoghelande, médecin de leyde (1590-1662), fut ami de René Descartes.

    V. notes [4], lettre latine 295, pour Eckard Leichner, [11], lettre 680, pour Henricus Regius, [4], lettre 63, pour Fortunio Liceti, et [19], lettre 192, pour Johann Vesling.

  7. Charles Patin tenait tous les savants qu’il citait comme les restaurateurs (restitutores), et non comme les inventeurs de la circulation du sang, considérant qu’ils avaient seulement rendus cohérents les écrits des auteurs de l’Antiquité. Cela lui permettait de mettre dans le même panthéon ceux qui l’avaient exactement comprise (Thomas Bartholin) et ceux qui avaient contesté leur découverte (son père chéri et Jean ii Riolan, qui avait été archaitre de Marie de Médicis).

4.

L’autre source de chaleur est la respiration : « L’action propre des poumons est la respiration. L’usage de la respiration est la modération de la chaleur naturelle, et la nourriture de l’esprit animal » (Jean ii Riolan, Manuel anatomique et pathologique…, 1672, livre troisième, chapitre vii, page 356).

Furetière :

« L’esprit est un corps très subtil, toujours mobile, engendré de sang et de vapeurs, porteur des facultés et commandements de l’âme par le moyen des nerfs et des muscles. L’esprit animal est défini par Galien : une certaine exhalaison de sang bénin {a} qui se subtilise dans le cerveau et se répand dans les nerfs pour leur bailler {b} sentiment et mouvement. Il est différent du vital, qui se fait dans le cœur, et se répand dans les artères pour les fonctions de la vie. {c} L’esprit animal est engendré dans les ventricules du cerveau ; il sert au sentiment et au mouvement. L’esprit vital s’engendre au cœur ; et l’esprit naturel est engendré au foie. L’animal est engendré du vital, le vital du naturel, et le naturel de la vapeur du sang. » {d}


  1. Doux.

  2. Procurer.

  3. Dans l’Antiquité, pour Aristote, les artères contenaient de l’air (comme fait la trachée-artère, qu’elles étaient supposées continuer dans tout le corps), et les veines contenaient du sang ; au xvie s., pour Jean Fernel : {i}

    « La description des artères n’est pas beaucoup différente et dissemblable de celle des veines. Car étant les conduits et les canaux de l’esprit vital répandu par tout le corps, elles doivent être portées en toutes les parties du corps. […] l’esprit beaucoup plus subtil que le sang étant tombé des extrémités des grosses artères peut passer par les conduits occultes et cachés des parties dedans ses parties plus éloignées, sans avoir aucun besoin pour cela de l’aide et de l’assistance de l’artère ; de là vient que toujours une veine accompagne l’artère, si ce n’est lorsque la diversité de leur naissance ne permet pas qu’elles se puissent joindre. » {ii}

    1. Physiologie, traduction de Paris, 1655, livre i, chapitre xii, page 175.

    2. Comme l’aorte qui n’est pas longée par une veine dans le thorax.

  4. V. notule {a}, note [1], lettre latine 32, pour les définitions de l’esprit animal (influx nerveux) et de l’esprit naturel (substances nutritives).

5.

Exposition dogmatique de la sanguification : le chyle provient des aliments qu’on croyait exclusivement absorbés dans l’estomac (sans participation de l’intestin grêle) ; dans le foie, le chyle se transforme en sang (v. note [1], lettre 404). En 1651, après la découverte des voies du chyle par Jean Pecquet, le déni de cette seconde erreur avait avait permis à Thomas Bartholin d’écrire une épitaphe du foie (1653, v. note [19], lettre 322).

6.

Fiction héritée de l’Antiquité (Aristote et Galien) qui assimilait le mouvement du sang veineux à celui des marées dans un fleuve côtier, tel le Méandre, en Carie ; comme Jean ii Riolan l’a décrit dans ses Opera anatomica vetera… (1649 ; v. note [18], lettre 192). Ce premier article de la thèse nie, en 1673, à la fois la circulation du sang (publiée en 1628) et les voies du chyle (décrites en 1651).

7.

Aujourd’hui appelée inférieure, la veine cave ascendante est le gros vaisseau de l’abdomen qui collecte le sang venu des membres inférieurs, des organes de la reproduction, des reins et du foie pour le remonter dans l’oreillette droite du cœur ; d’où il passe dans le ventricule droit pour accomplir sa petite circulation (à travers les poumons, jusqu’aux cavités gauches du cœur).

8.

L’artère veineuse (veine contenant du sang artériel « aéré », c’est-à-dire oxygéné) correspondait à l’ensemble formé par les quatre veines pulmonaires et l’oreillette gauche, qui collecte le sang sortant des poumons et le fait passer dans le ventricule gauche du cœur, d’où il va accomplir sa grande circulation (dans tout le corps) ; v. La circulation du sang expliquée à Mazarin.

9.

Phrase latine tortueuse, dont la dernière proposition est de traduction incertaine. Quoi qu’il en soit, elle fait allusion à la belle et célèbre expérience du garrot que William Harvey (v. note [12], lettre 177) avait rapportée en 1628, au chapitre onzième de son Exercitatio anatomica de motu cordis… [Essai anatomique sur le mouvement du cœur…] (pages 124‑130 de la traduction donnée par Charles Richet) :

« On distingue les ligatures serrées et les ligatures lâches.

Les ligatures sont serrées quand le membre se trouve exactement comprimé par une bande ou un lien circulaire, de manière que l’on ne sente plus battre les artères au-dessous de la ligature. C’est ce que nous faisons dans les amputations pour empêcher l’écoulement du sang. C’est ce qu’on fait pour la castration chez les animaux et la destruction des tumeurs. La ligature intercepte absolument l’afflux des éléments nutritifs et de la chaleur, et on voit ou les testicules ou les énormes tumeurs sarcomateuses se flétrir, mourir et tomber.

La compression est lâche, au contraire, quand on comprime le membre de toutes parts, mais sans causer de douleur, de sorte que les artères battent encore faiblement au-dessous de la ligature ; c’est ce que l’on fait dans la saignée. En effet, quoiqu’on fasse la compression au-dessus de l’avant-bras, on peut sentir battre faiblement le pouls des artères du carpe {a} si, avant la phlébotomie, la compression a été bien faite.

Faisons l’expérience sur le bras d’un homme, et entourons-le d’une bande, comme on fait avant la saignée, ou serrons fortement le bras avec la main. Il faudra choisir de préférence un bras maigre où les veines soient bien apparentes. Il faudra aussi que le corps, comme les extrémités, soit bien chauffé, de manière qu’il y ait une plus grande quantité de sang aux extrémités et que les pulsations soient plus énergiques ; car dans ces deux conditions, tous les phénomènes sont bien plus apparents.

La compression circulaire ayant donc été faite aussi complètement qu’on pourra la supporter, on peut d’abord observer que, du côté de la main, au-dessous de la ligature, le pouls a complètement cessé de battre au carpe ou ailleurs. Cependant, immédiatement au-dessus de la bande, l’artère continue à battre ; mais avec une diastole plus forte et plus énergique ; elle semble, près de la ligature, grossir et se gonfler à la manière d’un flot, comme si, son cours étant interrompu, elle s’efforçait de franchir l’obstacle et de continuer son cours : en ce point, elle paraît plus gonflée que naturellement. Quant à la main, elle conserve sa coloration, sa constitution ; à cela près qu’au bout d’un certain temps, elle commence à se refroidir, mais nulle parcelle de sang n’y pénètre. {b} Si cette étroite compression a été maintenue pendant quelque temps, et qu’ensuite on la relâche, comme on a l’habitude de le faire pour la saignée, voici ce qu’on observe.

Aussitôt, la main tout entière se colore, se gonfle ; les veines s’enflent, deviennent variqueuses : dix à douze pulsations des artères amènent une grande quantité de sang qui s’amasse dans la main et la remplit. Cette compression incomplète attire donc une grande quantité de sang, et cela sans douleur, sans chaleur, sans horreur du vide, sans les causes alléguées auparavant. {c} Si on applique le doigt sur l’artère au moment où on commence à relâcher la compression, on sentira recommencer les battements, à mesure que le sang, reprenant son cours, revient doucement dans la main.

Quant à la personne sur le bras de laquelle on fait l’expérience, au moment où la compression se relâche, elle sentira sur-le-champ revenir, avec les pulsations de l’artère, la chaleur et le sang qui paraît avoir franchi un obstacle. Quelque chose sur le trajet des artères semble s’être subitement gonflé et s’être répandu dans la main, qui s’est échauffée et distendue aussitôt.

De même qu’une compression étroite fait battre et gonfle les artères placées au-dessus, et arrête le pouls de celles qui sont au-dessous ; de même, une compression incomplète gonfle et fait saillir les veines et les petites artères placées au-dessous, mais non pas celles qui sont au-dessus. Bien plus, si alors on comprime les veines ainsi gonflées et dilatées, à moins qu’on emploie une très grande force, c’est à peine si l’on voit le sang traverser la ligature et distendre les veines placées au-dessus.

[…] Ce passage du sang dans les artères quand la compression est incomplète, et ce gonflement des veines placées au-dessous, nous démontrent que le sang va des artères dans les veines et non en sens contraire ; et qu’il y a ou des anastomoses entre ces vaisseaux, ou des porosités dans les tissus qui permettent le passage du sang. {d} Et pour la compression incomplète faite au pli du coude, le gonflement simultané de toutes les veines nous montre qu’il y a entre ces vaisseaux de nombreuses anastomoses. D’ailleurs, quand on pique une de ces veines avec un scalpel, pour donner issue au sang, on les voit se dégonfler toutes au même moment et se désemplir presque toutes par l’ouverture d’une seule veine. Ainsi chacun peut s’expliquer les causes de cette congestion sanguine dans la compression, et peut-être les causes de tous les gonflements. Les veines étant comprimées par cette compression incomplète ne laissent pas revenir le sang ; et cependant, la force des artères, c’est-à-dire du cœur, continue à pousser le sang en avant ; il est donc nécessaire que les parties comprises au-dessous de la ligature, ne pouvant se désemplir, se distendent. {e}

[…] Il est impossible de penser et de prouver que ces effets sont dus à la chaleur, à la douleur, ou à l’horreur du vide. »


  1. Du poignet.

  2. Si le garrottage se prolonge, la main pâlira et une douleur apparaîtra, de plus en plus intense, jusqu’à l’insupportable ; mais pousser si loin l’expérience n’est ni nécessaire ni recommandé.

  3. Avant la découverte de la circulation, on faisait appel à ces phénomènes improbables (douleur, chaleur, horreur du vide) pour expliquer le retour en masse du sang dans le membre (hyperhémie) quand on passait du garrot artériel au garrot veineux.

  4. Préconception des capillaires unissant les plus petites artères aux plus petites veines (v. infra notes [24] et [19]), seul maillon spéculatif de la circulation harvéenne.

  5. V. note [14] de La circulation du sang expliquée à Mazarin, pour l’expérience de Jean Pecquet (1654) qui confirmait brillamment l’existence fonctionnelle des capillaires.

10.

Il n’y a nul besoin d’inciser une artère pour vider tout le sang du corps d’un homme vivant ; une veine, sur un bras garrotté, y suffit, comme l’a montré Harvey au chapitre douzième de son Exercitatio anatomica (pages 133‑135) :

« Cette démonstration va nous prouver ce que je disais auparavant, c’est-à-dire que le sang passe sans interruption à travers le cœur. Nous voyons en effet que le sang passe des artères dans les veines, et des veines dans les artères. Nous voyons enfin que presque toute la masse du sang peut s’écouler par une des veines de la peau du bras, ouverte avec un scalpel, pourvu que la compression ait été bien faite. Nous voyons en outre qu’il sort avec tant de force et d’impétuosité que non seulement le sang qui était contenu dans le bras au-dessous de la ligature, mais le sang de tout le bras et de tout le corps, aussi bien celui des artères que celui des veines, s’écoule par la veine ouverte.

Aussi faut-il reconnaître que, s’il sort avec force, cela tient d’abord à ce qu’il est poussé avec force contre la ligature et que la cause première en est dans la pulsation et la puissance du cœur, car la force et l’impulsion du sang ne viennent que du cœur.

[…] En effet, si, dans la saignée, quand le sang sort avec force et impétuosité, on le laissait pendant une demi-heure s’écouler avec cette rapidité, certainement la plus grande partie du sang s’écoulerait, il y aurait évanouissement et syncope ; et non seulement les artères, mais aussi les grandes veines se videraient presque complètement de sang. Il est donc rationnel d’admettre qu’en une demi-heure, il passe au moins une aussi grande quantité de sang par le cœur de la veine cave dans l’aorte. Comptez ce qui passe d’onces de sang dans un seul bras, au-dessous d’une ligature, pendant vingt ou trente pulsations, et vous pourrez vous faire une idée de ce qui doit passer par l’autre bras, par les deux veines de chaque côté du cou, et dans toutes les autres veines du corps. Il se fait donc dans tous ces vaisseaux qui fournissent continuellement aux poumons et aux ventricules du cœur une nouvelle quantité de sang (ce sang arrive nécessairement par les veines), une véritable circulation, puisque les aliments n’y pourraient suffire et que la nutrition des tissus est loin d’en exiger autant. »

11.
Dans le chapitre onzième de son Exercitatio anatomica (page 128), William Harvey n’a pu que postuler l’existence de ces « petites bouches » (oscula), dont la mise en évidence manquait à la perfection de sa démonstration :

« Pourquoi donc voyons-nous, dans la compression incomplète, les veines se gonfler et la main s’emplir de sang ? Est-ce par les veines que le sang arrive, ou par les artères, ou par les porosités invisibles des tissus ? {a} Par les veines, cela ne se peut. Par les pores invisibles, {b} encore moins. C’est donc par les artères. »


  1. per cæcas porositates.

  2. per cæcos ductus.

12.

Jean ii Riolan (mort en 1657) avait montré plus de discernement dans son Discours des valvules des veines [Manuel anatomique et pathologique…, 1672, pages 760‑761 ; traduction de la 4e édition de l’Encheiridium anatomicum et pathologicum… (1658, v. note [37], lettre 514, De Valvulis venarum, pages 596-602)] :

« L’usage des valvules est de modérer, comme des portillons, {a} le cours et l’impétuosité du sang. Elles empêchent aux extrémités du corps que le sang ne se jette en trop grande quantité et avec trop de violence sur les parties inférieures ou déclives, quand elles sont échauffées par leur mouvement et agitation fréquente ; à moins de quoi elles seraient oppressées et accablées par l’affluence excessive du sang qui s’y porterait. Elles renforcent aussi le corps des veines, empêchant qu’elles ne se dilatent excessivement lorsqu’elles retardent le cours impétueux du sang, tandis que la nourriture s’achève. Les veines du cou, qui entrent dedans le cerveau, ont des valvules pour empêcher que quand on a la tête baissée, l’impétuosité du sang qui monte au cerveau n’accable quelque partie noble. Telles valvules sont attachées à la jugulaire interne. Harveus, très docte médecin, croit que les valvules des veines ont le même office pour la circulation du sang que les sigmoïdes du cœur, {b} afin qu’étant exactement fermées, elles résistent au sang qui, des parties inférieures, remonte en haut ; ou bien afin qu’elles empêchent que le sang ne se porte avec violence du centre aux extrémités du corps ; ou plutôt, afin que des extrémités du corps, il retourne vers le centre. Pour cette raison, les valvules sont situées de telle sorte dans les veines qu’elles regardent vers le cœur ; mais si elles empêchent le sang de s’en éloigner et de passer aux extrémités, elles résisteront au sang qui descend ; et par conséquent, il ne passera que fort peu de sang, ou point du tout, pour la nourriture des parties inférieures si ces valvules sont entièrement fermées. Pour moi, j’avoue que les valvules ont été placées aux endroits où les veines se divisent, afin que le sang des grandes veines ne se jetât impétueusement et en grande abondance dedans les petites ; autrement, il les déchirerait, ou du moins les rendrait variqueuses. » {c}


  1. Traduction atténuée de tanquam janitrices, la janitrix n’étant pas le portillon, mais « la portière, esclave chargée d’ouvrir » (Gaffiot).

  2. Insérées à la racine de l’aorte, les trois valvules sigmoïdes, pendant la diastole qui les ferme, empêchent le sang de refluer dans le ventricule gauche du cœur.

  3. Dans son propos, Riolan s’enferrait dans deux erreurs (mais il allait changer d’avis, v. infra note [17]) :

    • en ne voulant pas admettre, contre toute évidence anatomique, que les valvules veineuses des membres sont disposées et construites de manière à empêcher tout mouvement centrifuge du sang (qui l’éloigne du cœur), vers le bas, l’obligeant à suivre un cours centripète (qui le rapproche du cœur), vers le haut ;

    • en s’accrochant à l’idée que le sang va et vient dans les veines, suivant un mouvement lent, rythmé par les repas, de flux descendant (pour aller porter la nourriture en périphérie) et de reflux ascendant (pour aller prendre la nourriture, le chyle, dans le foie), comparable à l’oscillation des marées océaniques.

L’existence et la disposition des valvules veineuses ont servi d’étincelles à William Harvey pour jeter la lumière sur la grande circulation du sang (du ventricule gauche au ventricule droit du cœur). V. note [13] de la Consultation 16 pour l’histoire de leur découverte.

13.

Dans le mythe antique, Ixion, roi mythique des Lapithes, fut l’insolent amoureux de Junon ; Jupiter le précipita d’un coup de foudre dans le fleuve Tartare et ordonna à Mercure d’aller l’attacher à une roue environnée de serpents, qui devait tourner sans relâche. En sont nés les ixions (Ixiones) héros malheureux de la tragédie pathétique, mais c’était vraiment pousser très loin la phobie du mouvement circulaire.

V. note [26], lettre latine 98, pour les centaures.

14.

Phlegmon n’avait pas le sens moderne d’« inflammation [v. note [6], lettre latine 412] purulente du tissu sous-cutané ou du tissu conjonctif de soutien d’un organe » (Robert). Pour Furetière (italiques ajoutés) :

« c’est un nom général qu’on donne à toutes les apostumes et inflammations qui sont faites de sang ; et lorsqu’il est bon et louable, ne péchant que par la seule quantité, on l’appelle alors le vrai phlegmon ; mais le bâtard, c’est quand il est corrompu, et mêlé de bile, pituite ou mélancolie : alors il participe de l’érésipèle, de l’œdème ou du squirrhe. Ce sang sorti des veines y produit de la chaleur, de la rougeur, de la tension, de la rénitence, de la pulsation, et cause une grande douleur. Le bubon, carboncle, furoncle, les pustules, et autres tubercules, et tumeurs causées par le sang se réduisent au phlegmon. »

15.

A.R.S.H. : Anno Reparatæ Salutis Humanæ.

V. note [1], lettre 1001, pour les deux autres thèses de Jean Cordelle. Reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en janvier 1674 (Baron), on retrouve sa trace 49 ans plus tard : {a}

« Suivant la lettre du substitut du procureur général du roi du bailliage de Ham, {b} la délibération des officiers municipaux de cette ville, et pièces y jointes, on ne connaissait avant 1723, dans la ville de Ham, aucun établissement qui tînt de la nature de collège.

Mais le 26 juillet de cette année, Me Jean Cordelle, docteur régent en médecine de la Faculté de Paris, pour donner à la ville de Ham, sa patrie, des marques de son amour, fonda dans cette ville une école de latinité ; à la charge, entre autres, que le maître serait un ecclésiastique habitué en la paroisse de S. Pierre, à sa nomination ; et après son décès, à celle des officiers municipaux. »


  1. Tome 7e du Recueil par ordre des dates, contenant tous les comptes rendus par MM. les commissaire du Parlement, au sujet des collèges et autres établissements que possédaient dans le ressort de la Cour les ci-devant soi-disant jésuites. Avec les comptes rendus des différents collèges du ressort qui n’étaient par occupés par lesdits ci-devant soi-disant jésuites… (Paris, P.G. Simon, 1761, in‑4o, pages 57‑58)

  2. En Picardie, v. note [7], lettre latine 152.

16.

Suit la liste des Domini Doctores disputaturi [Messieurs les docteurs disputants], dont le tour était venu de disputer :

Certains, voire la majorité de ces médecins tenaient sûrement la circulation du sang pour un fait établi, et la discussion dut être animée, mais il n’en a résonné qu’un sourd écho.

17.

L’embarras de Jean ii Riolan sur la circulation est patent dans l’explication confuse qu’il en a fournie dans l’Additamentum in quo declaratur Riolani iudicium generale, de motu sanguinis in brutis et homine [Supplément exposant le jugement général de Riolan sur le mouvement du sang chez les bêtes et chez l’homme], qui est dans la 4e édition de son Encheiridium anatomicum et pathologicum… (1658, pages 504-565 ; v. supra note [12]), traduit en français sous le titre de Discours contenant le jugement du Sieur Riolan touchant le mouvement du sang, tant aux brutes qu’aux hommes, tiré de la Réponse qu’il a faite à Schlegel ; et les utilités de la circulation (Manuel anatomique et pathologique…, 1672, pages 711‑716) :

« Il n’y a personne de bon sens qui veuille soutenir que le sang soit immobile et se repose dedans les vaisseaux ; mais aussi, plusieurs sont en doute, et non pas sans raison, s’il a un mouvement perpétuel et circulaire. Car on n’a pas encore assez visiblement reconnu ni décidé de quelle façon il se meut dans nos corps : si c’est par un flux ou reflux continuel, parcourant toujours les mêmes vaisseaux, qui lui sont propres, de sorte que le sang artériel vienne et revienne dans les artères seulement ; le sang veineux de même, par ses propres vaisseaux, comme un Méandre […]. {a}

On a aussi sujet de douter si le sang passe des artères dans les veines, et réciproquement des veines dans les artères, par leurs anastomoses naturelles, ainsi qu’a cru l’Antiquité ; ou bien s’il a un mouvement circulaire continuel, qui dure jour et nuit par tout le corps ; car on est encore incertain comment ce mouvement se fait. Au rapport d’Hippocrate, il y a deux formes de sang, le veineux et l’artériel, qui se meuvent circulairement tout le long du corps, passant d’un vaisseau à l’autre, à savoir des artères dans les veines, pouvant toutefois repasser des veines dans les artères.

Depuis vingt-sept ans, le sieur Harveus, médecin et anatomiste très savant, a mis au jour un livre {b} par lequel il montre assez subtilement et artificieusement que le mouvement du sang se fait autrement. Il a trouvé des approbateurs et défenseurs de son opinion, et d’autres qui la repoussent.

Je me suis interposé entre les deux parties, suivant une opinion mitoyenne entre ceux qui l’affirment et les autres qui la nient. J’ai montré que véritablement il y a une circulation ; mais je l’ai expliquée à mon sens, et voici mon avis touchant cette controverse. Suivant Aristote, aux livres de la Physique, il y a cinq choses requises à la perfection du mouvement, à savoir : le mouvant, le mobile, les deux extrémités, de l’une desquelles le mobile passe à l’autre par un milieu, et le temps, qui mesure le mouvement. Il faut observer les mêmes choses au mouvement du sang pour en faire une démonstration parfaite.

Il est certain que le premier mouvant du sang est le cœur, lequel de soi-même a bien un mouvement naturel ; mais pour le continuer, il a besoin de quelque matière, à l’entour de laquelle il soit occupé, la recevant incessamment dans ses cavités et la chassant à mesure. C’est pourquoi le mobile est le sang veineux, que le cœur reçoit pour le convertir en artériel ; puis en un moment, le pousse dehors et le répand par tout le corps, afin de restaurer la chaleur naturelle qu’il distribue à toutes les parties du corps. Les deux extrémités, entre lesquelles le sang fait son mouvement, sont les vaisseaux circulaires, les veines et les artères, à savoir la veine cave et la grande artère, {c} avec leurs productions qui vont depuis les extrémités des pieds et des mains, par le milieu du tronc du corps. Le temps, qui mesure le mouvement de la circulation du sang, est cet espace de temps durant lequel le sang passe au travers des ventricules du cœur, et parfois à travers les poumons. Le sang artériel sortant de ce centre, je veux dire du cœur, se répandant jusques aux extrémités du corps, retourne par les veines au cœur, repassant des bouts des petites veines dedans le tronc de la veine cave.

Le sang, en faisant son chemin, est en partie attiré par les chairs des muscles et des viscères, pour leur nourriture, si par hasard elles en ont besoin, parce que l’impulsion ou mouvement impétueux du sang artériel se termine dans les artères mêmes. En partie il retourne dedans le tronc de la veine cave, pour y remplir le vide qui s’y rencontre toujours, le cœur en attirant continuellement le sang.

Or le sang allant et venant, et faisant le même chemin d’un mouvement continuel, deux ou trois fois en un jour naturel, l’espace du temps qu’il faut pour achever la circulation de ce sang peut être de douze heures, quelquefois plus bref, parfois plus long, suivant que le sang fait son mouvement plus vite ou plus lentement. Aux brutes, {d} le sang desquelles est plus grossier, la circulation d’une partie de leur sang, et même de tout, peut se faire aussi à travers des poumons. Mais en l’homme, qui a besoin d’un sang très pur, pour la génération des esprits vitaux et animaux, et pour la nourriture d’un cerveau très ample, tel qu’est le sien, la portion du sang la plus pure était nécessaire à ces usages. Or les esprits animaux de l’homme ne sont pas seulement contenus dans le cerveau, mais se distribuent aussi par toutes les chairs musculeuses. Aux bêtes brutes, l’esprit vital peut servir à cela, pourvu qu’il soit accompagné de quelque peu d’esprit animal.

Encore que tout le sang, qui se prépare dedans le foie, soit propre de soi-même et suffisant pour nourrir le corps, si est-ce {e} qu’une portion d’icelui était nécessaire pour la préparation du sang artériel, destinée à la conservation de l’humide radical {f} situé au cœur, et à la conservation du mouvement perpétuel du cœur. Car toutes les parties du corps sont fomentées, {g} ranimées et réchauffées par l’affluence continuelle de ce sang artériel, qu’elles reçoivent du cœur, duquel aussi elles se peuvent nourrir et accroître leur substance. Néanmoins, il n’est pas naturellement destiné à nourrir tandis qu’il est dans les artères, mais bien à restaurer les esprits ; et avec sa partie la plus subtile, à conserver l’humide radical, inné et enraciné en toutes les parties du corps.

Que si la masse du sang a été beaucoup épuisée par une longue famine ou par de longues et copieuses hémorragies, ou flux d’humeurs, faite par artifice ou naturellement, non seulement cette portion du sang la plus pure se circule, mais aussi tout le sang de la veine porte, {h} et celui qui est contenu dans l’habitude et circonférence du corps, afin de fournir au cœur quelque matière pour la continuation de son mouvement et la conservation de la chaleur naturelle qui, autrement, s’éteindrait en son foyer si elle n’était ressuscitée et conservée par l’affluence perpétuelle du sang. Mais nous nions que tout le sang se doive circuler par le cœur et les poumons pour acquérir la vertu non seulement vitale, mais aussi alimentaire ; celle-ci lui étant donnée non pas du cœur, mais bien du foie.

J’avoue bien que le mouvement du sang est nécessaire par tout le corps, < par > crainte qu’il ne se putréfie et corrompe, et qu’une portion d’icelui ne monte au cœur pour les usages que je viens de dire ; mais je soutiens que la circulation et passage du sang au travers du cœur et des poumons n’est pas absolument nécessaire, suivant le cours ordinaire de la Nature. Or quant à l’utilité de la circulation du sang, il y en a de deux sortes : l’une qu’en peuvent tirer les physiciens, {i} l’autre, les médecins. Considérant la circulation du sang comme physicien, je trouve qu’elle était nécessaire pour fomenter et conserver la chaleur naturelle du cœur et autres parties de tout le corps ; d’autant que la chaleur ne se peut conserver sans mouvement. Il fallait donc que le cœur fût en mouvement perpétuel ; mais il ne peut pas conserver longtemps son mouvement s’il ne lui arrive quelque matière chaude et remplie d’esprits, telle qu’est le sang. Or le sang se porte au cœur par le tronc de la veine cave ; et étant reçu ou plutôt attiré dedans la cavité droite du cœur, il passe à travers le Septum medium {j} dans la cavité gauche, où en un moment, il se change en sang artériel, beaucoup plus chaud et plus spirituel que le veineux, car il est subtilisé et épuré dans les ventricules du cœur, comme l’or mêlé se raffine dans le dernier fourneau de la coupelle. De là, il se distribue jour et nuit, par les artères, à tout le corps, pour conserver la chaleur des autres parties et les nourrir. »


  1. V. supra note [6].

  2. Exercitatio anatomica de motu cordis… [Essai anatomique sur le mouvement du cœur…] de William Harvey (Harveus), paru en 1628 (v. supra note [9]).

  3. L’aorte.

  4. Animaux privés de raison.

  5. Si ce n’est.

  6. V. note [8], lettre 544.

  7. Adoucies.

  8. V. infra notule {b}, note [18], pour la distinction entre veine cave et veine porte.

  9. Les naturalistes, ceux qui étudient les productions de la nature.

  10. Cloison médiane du cœur séparant le ventricule droit du gauche, le septum medium est ordinairement imperméable après la naissance ; mais disséquant de travers, les anatomistes anciens croyaient qu’il y subsistait un orifice de communication permettant au sang de court-circuiter les poumons (v. note [28], lettre 152, pour ce qu’en a naïvement cru Pierre Gassendi).

Le raisonnement de Riolan est tortueux et se contredit en partie ; mais tout compte fait (et en y mettant de la bienveillance), il ne s’oppose plus à Harvey que sur deux points :

  1. la grande circulation, du ventricule gauche au ventricule droit, par les artères et les veines périphériques, se ferait beaucoup plus lentement (deux ou trois fois par jour) que ne disait Harvey (autour d’une fois par minute, au repos) ;

  2. la petite circulation, du ventricule droit au ventricule gauche, par les artères et les veines pulmonaires, serait facultative, car l’essentiel du sang passerait directement des cavités droites aux cavités gauches du cœur, à travers la cloison qui les sépare.

Sans le dire clairement, Riolan avait renoncé au va-et-vient du sang dans les veines. Guy Patin, lui, y croyait encore dur comme fer en 1670. L’aveuglement de l’élève avait surpassé celui du maître !

18.

Le Discours contenant le jugement du Sieur Riolan touchant le mouvement du sang…, publié en 1658 (v. supra note [17]), est fort enthousiaste sur les utilités vitales de la circulation (Manuel anatomique et pathologique…, 1672, pages 716‑727) :

« Mais ce n’est pas assez qu’un médecin connaisse la circulation s’il ne la sait réduire à l’usage de son art, et en profiter pour la guérison des maladies. Or, considérant comme médecin les utilités de la circulation du sang, il s’en présente une infinité à mes yeux ; mais il s’en rencontrera dorénavant encore bien davantage en la méditant tous les jours et en l’observant dans les cures des maladies.

En premier lieu, les chirurgiens apprennent de la circulation du sang les moyens de bien faire la phlébotomie, de faire sortir le sang facilement par l’ouverture, et de l’arrêter en bref quand ils veulent.

[…] Pour ce qui regarde le médecin, outre les utilités susdites de la circulation du sang qui lui sont communes aussi bien qu’au chirurgien et au philosophe, il connaîtra que le reflux du sang des artères dans les veines, pour retourner au cœur, est nécessaire à éventer le sang, en exhaler une portion, le nettoyer, le diminuer et le rafraîchir ; toutes ces commodités ne se pouvant faire par les artères qui sont six fois plus épaisses que les veines […].

Or les veines sont soupiraux d’autant que {a} les vapeurs inutiles du sang, les esprits flatueux et les sérosités s’exhalent et sortent par la tendresse de leurs membranes. Et par ainsi, la masse du sang se nettoie et purifie de ses ordures les plus subtiles, et le sang bouillant des artères se rafraîchit, passant par les veines ; car il perd beaucoup de son ardeur lorsque sa chaleur et ses esprits s’exhalent à travers des membranes, se convertissant le plus souvent en sueur.

Cette utilité de la circulation n’est pas ténue puisqu’elle empêche que les parties du corps ne soient accablées par une affluence de sang trop soudaine, et que la chaleur naturelle ne soit suffoquée, comme elle serait au défaut de ce soupirail, de cette évacuation et de ce rafraîchissement continuel. Car l’abondance et l’amas de sang serai<en>t fort dangereux s’il n’avait cette distribution, qui nous délivre de ce danger si funeste par la circulation du sang.

[…] La circulation du sang nous indique les moyens de guérir les maladies des parties éloignées par des médicaments convenables, tant altératifs que purgatifs ; mêmement par des aliments et médicaments souvent continués, afin que leur vertu puisse parvenir à ces parties éloignées par le passage fréquent du sang circulé qui, étant imbu des qualités de ces médicaments, agit à la fin sur la partie affectée et change sa mauvaise disposition.

[…] La circulation du sang nous montre quand, combien, comment il faut purger les malades, supposant la séparation et différence qu’il y a entre la veine porte et la veine cave, qui n’ont point, ou du moins fort peu de communication entre elles dedans le foie. {b} Car d’autant que {a} la plupart des impuretés du corps s’engendrent et s’amassent dans la région du bas ventre, et que les excréments de la première et de la seconde concoction se retirent et se réservent dans les parties de la première région, {c} n’y ayant que le sang seul qui naturellement se répande et coule par les veines et les artères les plus grandes et circulatoires, qui ne connaîtra point qu’il faut purger au commencement des maladies, et quand elles sont un peu avancées, et en leur déclin, pourvu que la nécessité y soit, et la commodité ?

[…] Mais bientôt après la purgation, il faudra user de la saignée, laquelle désemplira les plus grands vaisseaux et modérera l’ardeur du sang. Néanmoins, il vaudra mieux faire la saignée devant la purgation ; et lorsqu’on aura pourvu en quelque façon à la plénitude des vaisseaux, < par > crainte que les humeurs renfermées dans les conduits de la veine porte et dans les parties concaves du foie n’entrent dans la veine cave. Pourvu que l’ardeur de la fièvre soit un peu apaisée et qu’il n’y ait point d’inflammation {d} en quelque partie principale, il y aura lieu de purger, le septième jour étant passé, rarement devant le septième ; encore en ce cas faut-il user de grande préméditation et de circonspection. Et pour lors, les médicaments purgatifs seront doux, bénins et minoratifs qui, en évacuant doucement, rafraîchissent sans grande douleur et sans troubler beaucoup le corps ; ce qui se fera par épicrase. » {e}


  1. Étant donné que.

    La traduction de spiracula en soupiraux est juste ; dans la phrase qui précède (non transcrite ici), Riolan attribue la paternité de l’analogie à Hippocrate, lib. de morbo sacro [au livre sur la maladie sacrée].

  2. La veine porte collecte le sang venu du tube digestif et le conduit dans le foie, qu’elle pénètre par sa face inférieure (ou concavité). Contrairement à ce que croyait Riolan, la veine porte et la veine cave inférieure (v. supra note [7]) échangent leur sang à l’intérieur du foie par un très riche réseau d’anastomoses (capillaires hépatiques veino-veineux ou système porte) ; le sang quitte le foie par les veines sus-hépatiques qui sortent de sa face supérieure (ou convexité) et se jettent, après un très court trajet, dans la veine cave.

  3. La première région était la tête, mais pouvait aussi désigner la partie haute et postérieure, dite sus-mésocolique, de l’abdomen : v. note [1], lettre 151.

  4. V. note [6], lettre latine 412.

  5. V. note [17], lettre 80, pour l’épicrase qui conclut la tirade de Riolan. Naguère professeur au Collège de France, il ne pouvait se résoudre à dire « je ne comprends plus », et s’acharnait à maintenir une impossible cohérence entre les deux intitulés de sa chaire : l’anatomie mise sens dessus dessous par la découverte de la circulation du sang puis des voies du chyle, et la pharmacie encore figée dans sa fidélité désuète aux remèdes hippocratiques (purge et saignée).

En méditant sur cette citation de Riolan et en cherchant à comprendre l’inexplicable, je me suis demandé si, douze ans plus tard, sans craindre le ridicule, Guy Patin ne voulait pas, en naviguant pathétiquement à contre-courant, redonner quelque lustre à la chaire royale d’anatomie qu’il avait héritée de son maître en 1655, mais lamentablement livrée à la décadence par faute et de compétence et d’intérêt pour cette matière, bien qu’elle fût alors le principal théâtre du progrès médical. Tout aurait sans doute été bien différent pour le prestige du Collège de France, si cet enseignement avait échu à un médecin de la trempe Jean Pecquet (v. note [15], lettre 280).

19.

V. supra notules {a} et {b}, note [11], pour les cæcæ porositates et cæci ductus d’Harvey (mort en 1657).

Marcello Malpighi (1628-1694), professeur à Bologne, est l’anatomiste du xviie s. dont l’absence dans les lettres de Guy Patin est la plus remarquable. Inventeur de la microscopie médicale, il avait apporté dès 1661 la précieuse dernière pièce qui manquait à l’édifice circulatoire sanguin : la continuité entre les plus petites artères et les plus petites veines, par l’intermédiaire du réseau capillaire, qu’il observa chez les batraciens et les reptiles. Cette découverte tient en quelques lignes de la Marcelli Malpighi de Pulmonibus epistola altera ad Io. Alphonsum Borellium [Seconde lettre de Marcello Malpighi à Giovanni Alfonso Borelli {a} sur les poumons], publiée en 1661 (tome 2, pages 329‑330) : {b}

Ex his igitur ad prima problemata resolvenda ex analogia, simplicitaque qua utitur Natura in suis operibus, colligi potest rete illud, quod alias nerveum credidi vesicis, et sinibus immixtum vas esse deferens sanguineum corpus, seu idem deferens, et quamvis in perfectorum animantium pulmonibus in medio annulorum retis aliquando vas desinere ; et hiare videatur, probabile tamen est, prout sit in cellulis ranarum et testudinum, illud vas minima ulterius propagata vasa ad modum retis habere, quæ propter exiguitatem suam exquisitam etiam sensum effugiant.

Ex his etiam summa cum probabilite illud solvi potest de mutua vasorum unione, et anastomosi, etenim si semel intra vasa Natura sanguinem volvit, et vasorum fines in rete confundit, probabile est etiam in aliis anastomosim iungere, hoc evidenter deprehenditur in ranarum vesica ab urina turgente, in qua citatus sanguinis motus per diaphana vasa mutua invicem anastomosi iuncta observatur, quin et vasa ista illum sortita sunt nexum, et progressum, quem in foliis omnium fere arborum illarum venæ, sive fibræ perpetuo designant.

[De tout cela donc, par analogie et suivant la simplicité dont la Nature fait preuve en ses œuvres, et pour résoudre les questions initialement posées, on peut conclure que le réseau, que j’avais d’abord cru être de nature nerveuse, est en réalité un vaisseau qui se mêle étroitement aux vésicules et aux alvéoles, y apportant le corps sanguin et l’en remportant ; et ce, même si dans les poumons des animaux supérieurs un vaisseau se termine parfois au milieu d’un réseau de boucles ; mais étant donné que ce vaisseau est visiblement béant, comme c’est le cas dans les logettes des grenouilles et des tortues, il émet probablement de minuscules rameaux qui se prolongent au delà, à la manière d’un filet ; en raison de leur exiguïté, ceux-là échappent même à la vue la plus perçante.

De tout cela aussi, on peut déduire avec très forte probabilité ce qui suit sur l’union mutuelle des vaisseaux et leur anastomose : de même que la Nature fait circuler le sang à l’intérieur des vaisseaux et mélange les extrémités des vaisseaux dans un réseau ; de même, une anastomose les joint probablement à d’autres. Cela se découvre clairement dans la vessie des grenouilles gorgée d’urine, où s’observe alternativement le mouvement rapide du sang au travers de vaisseaux transparents joints entre eux par anastomose. Comment alors ne pas convenir que ces vaisseaux ont choisi le même entrelacement et la même marche que les veines ou nervures dessinent à l’infini dans les feuilles de presque tous les arbres ?]


  1. Mathématicien, médecin et physiologiste (Naples 1608-Rome 1679).

  2. Bologne, J.B. Ferronius, 1661, in‑fo de 9 pages ; les pages citées en référence sont celles de la réimpression de la lettre dans les Opera omnia de Malpighi (Leyde, Petrus Vander Aa, 1687, 2 tomes en un volume in‑4o) ; elle a été entièrement traduite en français par M. Sauvalle dans le Discours anatomiques sur la structure des viscères, savoir du foie, du cerveau, des reins, de la rate, du polype [thrombus intracavitaire] du cœur, et des poumons. Par Marcel Malpighi, philosophe et médecin de Bologne…, Paris, Laurent d’Houry, 1687, in‑8o, pages 354‑372.

Voir ainsi les capillaires, c’était trouver le chaînon qui manquait encore dans le circuit du sang. Patin était trop bien informé d’ordinaire pour ne pas avoir eu connaissance de cette formidable découverte mais il n’en avait pas perçu l’immense intérêt. La lettre latine de Thomas Bartholin, datée du 30 septembre 1663 (v. sa note [4]) en fournit la preuve, car il y annonçait à Patin l’envoi de sa :

De pulmonum substantia et motu Diatribe. Accedunt Cl. V. Marcelli Malpighij de Pulmonibus Observationes Anatomicæ.

[Discussion sur la substance et le mouvement des poumons. Avec les Observations anatomiques du très distingué M. Marcello Malpighi sur les poumons]. {a}


  1. Copenhague, Henricus Gödianus, 1663, in‑8o de 127 pages.

La seconde lettre de Malpighi à Borelli sur les poumons y est intégralement reproduite (pages 119‑127), avec la figure ii de sa tabe ii, Continens cellulam simplicissimam absque intermediis parietibus aucta in magnitudine [Qui montre, en agrandissement (dans le poumon d’une grenouille), la cellule la plus élémentaire (l’alvéole) sans parois intermédiaires] :

  1. Cellulæ area interior [Aire interne de l’alvéole] ;

  2. Parietes divulsi, et inclinati [Parois écartelées et obliques] ;

  3. Arteriæ pulmonariæ truncus cum appensis ramis, quasi reticulato opere desinentibus [Tronc de l’artère pulmonaire avec les rameaux qui en émanent, se résolvant en une organisation qui ressemble à un filet] ;

  4. Venæ pumonariæ truncus parietum fastigia pererrans suis decurrentibus ramis [Tronc de la veine pulmonaire se dirigeant vers la surface des parois en recevant les rameaux qui la rejoignent] ;

  5. Vas in fundo et angulis parietum commune lateralibus, et continuatis retis ramificationibus [Vaisseau dans le fond et les angles des parois, commun ramifications latérales et continues du filet].

Crédit : Wellcome Library, London

Dans sa Diatribe (pages 43‑44), Bartholin a salué avec enthousiasme le bond que la découverte de Malpighi permettait d’accomplir en physiologie ; rien moins que l’intuition des échanges gazeux vitaux qui se font dans les poumons (auxquels on a depuis donné le nom d’hématose) :

Pro aere vel recipiendo vel efflando operas partiuntur vasa pulmonaria ad commodum cordis et corporis totius. Inspiratur aer in inspiratione pro arteriæ venosæ sanguine ventilando, densando, vel miscendo antequam cordis ventriculo sinistro infundatur. Expiratur alius in expiratione qui ex vena arteriosa cum sanguine venit, eoque expurgatur cordis fuligines, vel quod suspicor, aer flatusque superfluus in crudo sanguine. Colligitur utriusque aer in substantia ipsa pulmonum, in quam omnia vasa pulmonaria desinere videntur, hoc est, in ipsis intersitiis seu cavitatibus, quæ substantiam pulmonum componunt, ubi veluti Æoli est officina et aeris externi internique lacuna seu alveus, quia in his interstitiis collectam aquam vidit Malpighius et Mercurium ex vasis expressum, in ranæ pulmone cavitas hæc amplior aerem pro libitu diu retinet attractum. An vesicularum aliqua sit distinctio, ut aerem retineant, illæ expellant, discerni à nemine potest.

[Pour l’avantage du cœur et de tout le corps, les vaisseaux pulmonaires partagent les fonctions de recevoir l’air et de l’exhaler. Dans l’inspiration, l’air est aspiré pour éventer, condenser ou mêler le sang de l’artère veineuse, {a} avant qu’il ne se déverse dans le ventricule gauche du cœur. Dans l’expiration, un autre air est exhalé, venu de la veine artérieuse avec le sang ; ainsi purge-t-elle les suies du cœur ou, comme je le soupçonne, l’air et la flatuosité excessive qui sont contenus dans le sang cru. {b} Ces deux airs se ramassent dans la substance même des poumons, là où les vaisseaux pulmonaires semblent s’interrompre ; c’est-à-dire dans ces interstices ou cavités qui composent la substance des poumons, là où se tient, semblable à l’atelier d’Éole, {c} la fossette ou l’alvéole qui recueille l’air venu du dehors et du dedans ; parce que cette cavité est plus vaste dans le poumon de la grenouille, elle a le loisir de retenir longtemps l’air qui y a été attiré, et Malpighi y a vu de l’eau se collectant dans ces interstices, et le mercure y sortant des vaisseaux. {d} Nul ne peut établir de distinction entre des vésicules qui retiendraient l’air et d’autres qui le chasseraient].


  1. Préfiguration de l’oxygène (O2) que capte le sang des capillaires pulmonaires, drainé par les veinules pulmonaires (racine des « artères veineuses » ou veines pulmonaires) vers les cavités gauches du cœur (v. note [4] de La circulation du sang expliquée à Mazarin).

  2. Préfiguration du dioxyde de carbone (CO2) que rejette le sang « cru » (impur) des capillaires pulmonaires (ramifications de la « veine artérieuse » ou artère pulmonaire), venus des cavités droites du cœur. (v. note [3] de La circulation du sang expliquée à Mazarin).

  3. Réminiscence de Virgile (Énéide, chant i, vers 52‑55) :

    Æoliam venit. Hic vasto rex Æolus antro
    luctantes ventos tempestatesque sonoras
    imperio premit ac vinculis et carcere frenat
    .

    [Elle (Junon) se rend en Éolie. Là, dans sa vaste caverne, le roi Éole fait peser son pouvoir sur les bruyantes tempêtes et les vents rebelles, les retenant enchaînés dans leur prison].

  4. Allusion aux observations sur les poumons d’un chien fraîchement tué (et non d’une grenouille) que Malpighi a rapportées dans sa Première lettre à Borelli (page 110‑111 de la Diatribe de Bartholin : {i}

    Hoc autem tibi accidet si inflaveris arteriam pulmonariam mediante evidenti trunco in principo ejusdem lobi, deinde nodo illigaveris, videbis enim exurgentem arteriam, veluti anaglyptice sculptam se se minimis, etiam prodeuntibus vasculis ramorum arboris ad instar, vel si lubeat formiosorem habere delineationem, immisso mercurio argentæ emergent ramificationes, usque ad minima.

    An hæc vasa sinibus, vel alibi mutuam habeant anastomosim, ita ut sanguis a vena resorbeatur continuo tramité, an vero hient omnes in pulmonum substantiam dubium, quod adhuc mentem meam torquet, pro quo enodando, in cassum licet, plura, et plura molitus sum aere, et liquidis varie tinctis, sæpius enim immissam aquam nigram syphone per arteriam pulmonarem à pluribus erumpentem vidi partibus, nam facta levi compressione solet exsudare a membrana investiente, partim etiam coacervari in interstitiis, major vero copia cum commixto sanguine erumpit per venam pulmonarem, et quod mirabilius est per tracheam diluta, et minus colore tincta cum levi spuma, et ex quacumque pulmonum compressione per eandem foras exit ; in eodem item ressicato pulmone parietes vesicularum, et sinuum denigrati omnes videntur ; Quid simile etiam immisto mercurio accidere videtur, nam repleta arteria pulmonaria mercurius excurtit ad extimas propagines bifurcatas, quæ si leviter etiam comprimantur foras e membrana investiente evomitur, quandoque facto aditi in interstitia ibi pene totus colligitu ; In resiccatis etiam pulmonibus, varie, et inordinate rubescentes conspiciuntur vesiculæ, aliis albescentibus.

    [Mais cela vous apparaîtra en remplissant l’artère pulmonaire de vent par son plus gros tronc au commencement du lobe, et en liant ensuite étroitement le bout par où vous aurez soufflé pour la faire gonfler ; car pour lors, vous verrez l’artère se soulever et paraître en toutes ses ramifications, comme si elle était taillée avec le ciseau, même jusqu’à ses moindres fibres, se dilatant et s’étendant comme des branches d’arbre. Ou si vous voulez les voir tracées et représentées d’une manière encore plus belle, il ne faut que seringuer du mercure dans la même artère, en prenant les mêmes précautions ; et alors, vous verrez manifestement toutes les ramifications jusqu’aux moindres rameaux prendre une belle couleur argentée.

    Mais de savoir si ces vaisseaux s’abouchent par leurs extrémités ou par d’autres endroits, en sorte que le sang porté par l’artère soit remporté par la veine, sans interrompre son cours, ou s’ils ont des sorties dans la substance des poumons, c’est un doute qui me torture encore jusqu’ici l’esprit ; quoi que j’aie pu faire pour m’en éclaircir, et principalement en soufflant l’air dans ces vaisseaux, ou en les remplissant de liqueurs de différentes couleurs. En effet, j’ai pu voir plusieurs fois l’eau noircie, que j’avais seringuée par l’artère, sortir par plusieurs endroits ; car pour peu qu’on presse le poumon, elle exsude en partie à travers la membrane commune, et elle s’amasse aussi dans les interstices ; mais la plus grande partie sort par la veine pulmonaire, mêlée avec le sang ; et ce qui est encore plus surprenant, c’est qu’elle sort aussi par la trachée, mais plus détrempée et plus basse en couleur, avec une légère écume ; et pour peu encore qu’on comprime les poumons, elle rejaillit par la même trachée artère ; et si l’on fait dessécher ce même poumon, les parois des vésicules et des sinus paraîtront toutes noircies. Vous verrez aussi quelque chose d’approchant si vous remplissez l’artère pulmonaire de mercure, qui coulera furetant jusqu’aux dernières ramifications et qui ressortira aussi dehors par la membrane commune pour peu qu’on vienne à presser ; et quelquefois, s’ouvrant un passage dans les interstices, il s’y ramasse presque tout. Si on veut encore faire sécher les poumons, on y verra des vésicules, les unes rouges, les autres blanches, pêle-mêle en confusion].

    1. J’ai emprunté l’essentiel de ma traduction aux Discours anatomiques sur la structure des viscères… Par Marcel Malpighi… (Paris, Laurent d’Houry, 1687, in‑8o de 374 pages), pages 334‑337.

Le 2e article de la thèse de Patin montre qu’il n’avait pas compris le remarquable livre que Bartholin lui avait envoyé en 1663 : il tenait les anastomoses entre les artères et les veines pour une évidence, alors qu’avant Malpighi, nul anatomiste n’avait été capable d’en prouver l’existence matérielle (ontologique) ; tel eût été le bon argument pour réfuter la circulation sanguine avant 1661 (en ignorant les démonstrations fonctionnelles des anastomoses, v. supra note [9]), mais Patin n’y a pas même songé et s’en est pris à d’autres chimères. V. note [4], lettre latine 113, pour les motifs plausibles de son obstination à nier la circulation du sang.

20.

Comme il avait fait dans sa fameuse thèse de 1643, Estne totus homo a Natura morbus ?, tout comme dans celle de 1647, sur La Sobriété.

21.

V. note [5], lettre 873, pour cet arrêt qui marquait la fin de la guerre de l’antimoine.

22.

Voir :

23.

V. la note [16] de la lettre 336, pour Armand-Jean de Mauvillain, et le chapitre viii (§ iv‑v, pages 423‑437) des Médecins au temps de Molière… de Maurice Raynaud, pour les relations amicales de Mauvillain avec Molière.

Christian Warolin {a} m’a précédé sur la piste où la Correspondance de Guy Patin m’a mené. Tout en laissant le lecteur sur sa faim, il a en effet esquissé la même hypothèse sur l’identité des Diafoirus, (page 121) :

« Les moliéristes débattent de la participation de Mauvillain à l’information médicale dont bénéficia le comédien. {b} Que ce soit à propos de L’Amour médecin ou du Malade imaginaire, les descriptions cliniques, l’évocation des statuts ou les références au cursus médical émanent d’un praticien. Qui était mieux qualifié que Mauvillain, son ami ? À travers Filerin, Diafoirus et son ineffable fils Thomas, ou encore Purgon, ce sont Jean Riolan, Guy Patin et François Blondel que l’on fustige. {c} Comment ne pas voir l’influence exercée par Armand-Jean de Mauvillain ? Mais Molière a forcé le trait en réglant ses propres comptes avec les médecins. »


  1. Armand-Jean de Mauvillain (1620-1685), ami et conseiller de Molière, doyen de la Faculté de médecine de Paris (1666-1668), Histoire des Sciences médicales, tome xxxix, no 2, 2005, pages 113‑129.

  2. Le Molière (Paris, Gallimard, 2018, pages 400‑401) de Georges Forestier, professeur à la Sorbonne (chaire d’études théâtrales du xviie s.) et éditeur des œuvres de Molière dans la Bibliothèque de la Pléiade (2010), relate que, dans un placet écrit au roi en 1669, Molière parle d’un « fort honnête médecin, dont j’ai l’honneur d’être le malade » et « qui veut s’obliger par-devant notaires de me faire vivre trente années si je puis lui obtenir une grâce {i} de Votre Majesté », avec ce commentaire :

    « Quant à ce “ fort honnête médecin ”, dont Molière se flatte “ d’être le malade ” – ce qui ne signifie pas qu’il est malade, mais qu’il est censé avoir un médecin de famille, comme tous les privilégiés de son temps –, il ne renvoie à personne en particulier, et ce serait méconnaître le caractère parodique du placet que de rechercher une signification. S’il est vrai que des documents postérieurs à la mort de Molière désignent Armand-Jean de Mauvillain comme un ami de la famille, Molière n’aurait pas traité cet important personnage, doyen sortant de la Faculté de médecine de Paris, avec autant de désinvolture ironique : demander à son médecin de ne pas le tuer est un classique de la satire antimédicale. » {ii}

    1. Un canonicat vacant de la chapelle royale de Vincennes.

    2. « Le seul document contemporain qui rapproche Mauvillain de la famille [Molière] est une procuration du 30 juin 1675 qui le déclare (aux côtés d’autres personnages) “ ami de Marie-Madeleine-Esprit Poquelin ’’ [fille de Molière]. Trente ans plus tard, Grimarest allait en faire le meilleur ami de Molière (Vie de M. Molière, 1705) » (note de G. Forestier).

      Dont acte : il ne s’agissait sans doute pas là de Mauvillain.

    Lors d’un fructueux échange de messages que nous avons eu en avril-mai 2019, G. Forestier, qui a trouvé « très convaincante » mon identification de Thomas Diafoirus à Guy Patin, sans y voir « rien à ajouter », m’a diligemment mis en garde :

    « Quant à Mauvillain, la prudence s’imposerait […], la légende veut que ce soit lui, sous prétexte qu’on découvre sa trace dans la famille après la mort de Molière ; mais rien ne le prouve : aucun Mauvillain n’a obtenu de canonicat dans les années qui ont suivi 1669, et d’ailleurs, aucun n’était vacant ; ce placet est une pure plaisanterie. En fait, si Molière avait un conseiller en matière d’affaires de médecine, c’était son ami (cette amitié est vérifiable), le physicien Rohault, qui estimait que les progrès de l’anatomie et de la physique avaient déjà montré que tout ce qu’enseignait la médecine traditionnelle était faux, et qui présentait la “ circulation ” comme une “ découverte du siècle ”. »

    Je conviens que l’article de Warolin (2005) se réfère aux anciennes biographies de Molière pour affirmer son amitié avec Mauvillain, sans en fournir de preuve solide. Toutefois, me semble-t-il, Le Malade imaginaire, pour mordre sérieusement, exigeait de son auteur qu’il fût parfaitement avisé des rites et querelles intestines de la Faculté de médecine de Paris ; comme seul pouvait le faire un de ses docteurs régents adhérant au parti progressiste et ayant quelques comptes à régler avec les conservateurs, antistibiaux et antiharvéens : Mauvillain convenait bien à ce rôle ; ou alors l’un de ses collègues, tel, par exemple, Eusèbe Renaudot (v. note [16], lettre 104), qui avait sévèrement subi la vindicte de Patin, et dont la Gazette familiale avait encensé Molière en 1663 (pages 222‑223 du Molière de Forestier) ; mon conte n’en serait que plus joli, mais je peine à croire que le philosophe et physicien Jacques Rohault (v. notule {e}, note [1], lettre 594), qui n’appartenait pas au sérail, pût en savoir autant.

  3. V. notes [11], lettre 342, pour le redoutable François Blondel (mais sans trace de lui que j’aie su flairer dans les comédies de Molière), et [1], lettre 835, pour Filerin (alias Pierre Yvelin dans L’Amour médecin).

G. Forestier m’a en outre permis de corriger l’erreur que j’avais faite en me fiant à la légende pour écrire que Molière était « mort sur scène » : en vérité, il était de retour chez lui quand il fut pris d’une hémoptysie cataclysmique qui l’emporta en moins d’une heure, sans avoir eu le temps de recevoir les derniers sacrements et le pardon de l’Église pour avoir exercé le métier impie de comédien (pages 474‑475 du Molière de Forestier).

24.

V. Les Piètre, une dynastie médicale du xviie siècle pour la manière dont Bouvard et les Riolan s’inséraient dans leur généalogie.

25.

Ce pseudonyme de Purgon, que Molière donnait au médecin d’Argan, va comme un gant à Charles i Bouvard.

26.

V. notes [9], lettre 96, et [26], lettre 106, pour le passé probable de Guy Patin dans la correction des épreuves d’imprimerie.

27.

Le 28 avril 1672, a peine un mois après la mort de Guy Patin (30 mars), Philippe ii Hardouin de Saint-Jacques (mort en 1677) a encore présidé à Paris la thèse cardinale de François Bazin, natif de Coutances, Estne sanguinis motus circularis impossibilis ? [Le mouvement circulaire du sang n’est-il pas impossible ?], qui concluait par l’affirmative : Ergo motus sanguinis circularis est impossibilis.

Les arguments en étaient fort semblables à ceux de la thèse de Jean Cordelle et Patin : la circulation du sang est contraire à l’anatomie, à la physiologie et à la vie elle-même, car elle sèmerait la destruction dans le corps et priverait le médecin de ses plus puissants remèdes. Le deuxième article dépeint sans détour cette Apocalypse :

Ne quidem pseudocyclosis sanguini convenire potest, qua ab uno loco, puta corde, recedens sanguis per arterias in venas protrusus per easdem in idem punctum nimirum cor, redire jocose fabulatus est harveius toto divisus orbe Britannus. Eum fictitium sanguinis motum circulationis nomine donant ejus opifices, acyrologia utentes, cum iste motus imaginarius obliquus, tortuosus, et flexuosis ambagibus implexus sit, vero circulari motui e diametro oppositus. Ab illa adulterina cyclophoria, multiplicia damna exurgunt. Cor viscus omnium nobilissimum, servili muneri mancipatum, vitiosos omnes humores transmitteret ; Syphilidis materiam, Lepræ, Elephantiasis, scabei, impetiginis, rabiei, Scorbuti, affectuum Hypochondriacorum, abscessuum, febrium omnium, etiam interpolatarum, non sine maxima læsione, quæ plærumque lethalis existeret, cum a quavis maligna aura ad cor appellente lipothymia excitetur. Quomodo pulmones teneri et molles immunes erunt a labe et virulenta istorum humorum qualitate ? Quonam pacto hepar sanguinem laudabilem generaret venenatis humoribus infectum ? Spiritus vitales inquinarentur, animales vitiarentur, omnes functiones interturbarentur, naturales, vitales, animales. Solem de mundo plane tollere videntur, cor de microcosmo sisyphidæ : cum illud non solum ollæ coquinariæ, sed cloacæ atque sentinæ æquiparant, quod sapienter Medici contra e cloaca arcem faciunt. Posita illa sanguinis in gyrum flexione, nulla febris erit intermittens, exulabit arteriotomia si idem sanguis in venis et arteriis contineatur. Inutilis erit phlebotomia, nec amplius plethoræ erit remedio, quam expungunt circaneæ avis æmuli, temperando sanguini, revellendo, derivando prorsus esset ineficax : perinde erit quæ vena secetur in pleuritide, et alia qualibet inflammatione, cum sanguis universus perenni motu ad cor refluat, quia circulari motui nullus adversatur : nulla habebitur ratio lateralis affecti, nulla rectitudinis fibrarum. Refrigerationi sanguinis neutiquam inserviet, cum denuo per rotatilem illum motum in corde calefieri debeat, et minori reddita per venæ sectionem sanguinis quantitate pluries versoriam capiet, ut a putredine sanguis vindicetur repetitis circumvolutionibus, putridis proinde febribus in venæ sectione nihil amplius erit præsidii, nec crudis existentibus humoribus, quia versorio illo motu recoquentur. Purgatio admisso isto errore phanatico vix ac ne vix quidem morbis expugnandis accommodari poterit : quoniam rapidus sanguinis motus coctionem impediet, quæ quietem efflagitat, secretionem et excretionem humoris peccantis interpellabit, et catharticum circulum illum absolvens effœtum redderetur, aut taracticum. Evanida erunt alloiotica, et reliqua medicamenta. Aquæ metallicæ vires suas deponent rotatilem illum cursum absolventes. Serum in isto aheno amplius calefactum acrius reddetur, majori cum ferocia articulos impetiturum, unde graviores erunt arthritides, et atrociores rheumatismi. Sola εμετηρια citatioris istius in gyrum flexionis impetum effugerent. Sicque Medici inermes reddentur, totum in sanandis ægritudinibus naturæ negotium committentes. Quæ istius rotationis beneficio omnium erit morborum medicatrix, Medicus autem spectator erit otiosus armis suis spoliatus, solis veneficis protervus iste orbiculatus sanguinis flexus favebit, qui nunquam exhibito toxico suo fine frustrabuntur.

[Un mouvement pseudo-giratoire ne peut convenir au sang. Contre le monde entier, le Britannique Harvey en a discouru, prétendant par plaisanterie que, parti d’un unique lieu, supposé être le cœur, le sang se répand par les artères dans les veines, pour retourner au même point, à savoir le cœur, en étant propulsé à travers ces mêmes veines. Ceux qui l’ont inventé donnent le nom de circulation à ce mouvement fictif du sang ; la dénomination est impropre puisque ce mouvement fictif est oblique, tortueux et sinueux, entortillé dans des détours et à vrai dire, diamétralement opposé à un déplacement circulaire. Cette giration frelatée engendre maints dommages. Le cœur, qui est le plus noble de tous les viscères, serait rabaissé à la fonction servile de propager toutes les humeurs viciées : matières de la syphilis, de la lèpre, de l’éléphantiasis, de la gale, de l’impétigo, de la rage, du scorbut, des affections hypocondriaques, {a} des abcès, de toutes les fièvres, même intermittentes, non sans un très grand dommage qui, la plupart du temps, se montrera mortel puisque n’importe quelle vapeur maligne provoquera l’évanouissement en atteignant le cœur. Comment les poumons, qui sont délicats et mous, seront-ils à l’abri de la destruction et de la qualité virulente de ces humeurs ? Comment le foie produira-t-il un sang louable quand il sera imprégné d’humeurs empoisonnées ? Les esprits vitaux et animaux se trouveraient corrompus et gâtés, toutes les fonctions perturbées, qu’elles soient naturelles, vitales, animales. Soustraire le cœur du microcosme d’Ulysse, c’est tout à fait comme soustraire le soleil au monde : {b} le cœur devient l’égal non seulement d’une marmite de cuisine, mais aussi d’un cloaque et d’un égout ; quand contre lui, des médecins raisonnables font une citadelle d’un cloaque. {c} Une fois admise cette flexion circulaire du sang, nulle fièvre ne sera intermittente, l’artériotomie sera bannie si veines et artères contiennent le même sang. {d} La phlébotomie sera rendue inutile et il n’y aura plus de remède à la pléthore ; comme abolie par les tournoiements d’un oiseau de mauvais augure, elle deviendrait absolument impuissante à équilibrer, à soustraire, à détourner le sang. Il en ira de même pour décider quelle veine saigner dans la pleurésie, comme dans n’importe quelle inflammation, {e} quand tout le sang refluerait vers le cœur, car rien ne s’opposerait à son mouvement circulaire : {f} plus aucun compte à tenir du côté affecté, ni de la rectitude des fibres. {g} Il n’y aurait aucune utilité à rafraîchir le sang puisque ce mouvement circulaire devrait le réchauffer sans cesse dans le cœur et ferait plusieurs fois virer de bord à la fort petite quantité sang que la phlébotomie a extraite ; puisque ses circonvolutions répétées délivreraient le sang de la putréfaction, la phlébotomie perdrait son utilité dans les fièvres putrides, et il n’existerait plus d’humeurs crues car ce louvoiement continu les recuirait. Si on admet tant soit peu cette délirante erreur, il est clair que la purgation ne pourra plus servir à chasser les maladies : le mouvement rapide du sang empêchera la coction, qui requiert du calme ; il empêchera la sécrétion et l’excrétion de l’humeur peccante ; l’admettre, c’est rendre le cathartique impuissant, ou taractique. {h} Les altérants, {i} comme le reste des médicaments, seront rendus inefficaces. Laissant libre cours à ce cheminement tournoyant, les eaux minérales perdront leurs pouvoirs. Rendu plus échauffé et plus âcre dans ce chaudron, le sérum attaquera les membres avec très grande férocité : {j} les gouttes seront plus graves et les rhumatismes plus atroces. Seuls les émétiques échapperont au mouvement qu’imprime cette flexion giratoire très rapide. {k} Ainsi les médecins se trouveront-ils démunis, eux qui se consacrent entièrement au souci de soigner les indispositions de la nature. Par la faveur de cette rotation, c’est elle qui remédiera à toutes les maladies ; mais le médecin, dépouillé de ses armes, en deviendra le spectateur oisif. Cet impétueux mouvement circulaire du sang ne favorisera que les empoisonneurs, qui jamais ne trouveront de limite à prescrire leurs venins].


  1. Les aliénations mentales (v. note [4], lettre 514).

  2. Solem enim e mundo tollere videntur, qui amicitiam e vita tollunt [Ceux qui soutraient l’amitié à la vie semblent en effet soustraire le soleil au monde] (Cicéron, De l’amitié, chapitre xiii). Microcosme, ou petit monde, « ne se dit que de l’homme, qu’on appelle ainsi par excellence, comme étant un abrégé des merveilles du monde » (Furetière) ; l’allusion à celui d’Ulysse, fils de Sisyphe (Sisyphides), est obscure.

  3. Arcem ex cloaca facere est un adage latin qui sert à décrire « ceux qui portent aux nues une affaire ou un individu sans valeur » (Érasme, no 3494) ; Cicéron l’a employé au début du chapitre  xl de son Plaidoyer pour Plancius : Nunc venio ad illud extremum in quo dixisti, dum Plancii in me meritum verbis extollerem, me arcem facere e cloaca [J’en viens maintenant à votre dernier reproche : élever si haut, dites-vous, le service que m’a rendu Plancius, c’est faire une citadelle d’un cloaque]. Le dicton servait ici à ridiculiser les médecins qui érigeaient en nouveau dogme la circulation de Harvey.

  4. V. infra note [10].

  5. V. note [6], lettre latine 412.

  6. De fait, la circulation du sang mettait fin aux interminables discussions, aussi âpres que vaines, sur la meilleure veine à saigner suivant le lieu de maladie (v., par exemple, Le point d’honneur médical de Hugues ii de Salins).

  7. La « rectitude des fibres » était une autre lubie médicale que la circulation du sang réduisait à néant. Abraham Zacutus Lusitanus (v. note [7], lettre 68) a consacré le Præceptum xxxvii de son Introitus Medici a praxin [Initiation du médecin à la pratique] à l’examen du principe avicennien de rectitude : Medicus a rectitudine non recedat, etsi non appareat iuvamentum [Que le médecin ne s’écarte pas de la rectitude, quoiqu’elle n’apparaisse pas secourable] (Zacuti Lusitani… Operum tomus secundus… [Second tome des Œuvres… de Zacutus Lusitanus…], Lyon, Jean-Antoine Huguetan et Guillaume Barbier, 1667, in‑fo), avec entre autres, cette brumeuse justification (page 24) :

    Cur vero tantum possit rectitudo, et vacuationes factæ secundum rectum, citius et utilius evacuent à parte affecta, dubium arduum est : pro cuius solutione varii varie respondent, et in primis qui acutius ratiocinantur, hanc rectitudinem in filamentis oblongis, et rectis esse constituendam peruasere sibi, quia ea pars in qua vena secatur, quando filamenta recta, et oblonga extendit usque ad partem affectam, ita ut utrique sint communia, dicitur servare rectitudinem, quia habet communionem, et consensum fibrarum rectarum.

    [Il est difficile de douter que la rectitude soit dotée d’un très grand pouvoir, et que les évacuation pratiquées en droite ligne vident plus rapidement et plus efficacement la partie affectée. Pour s’en acquitter, divers auteurs répondent diversement ; et en premier, ceux qui pensent plus précisément qu’il faut se persuader que cette rectitude est organisée en filaments longs et en filaments droits ; parce que quand les filaments y sont à la fois longs et droits, la partie où l’on saigne la veine s’étend jusqu’à la partie affectée ; quand il y a convergence des deux sortes de filaments, on dit qu’on observe la rectitude, car il y a communauté et accord des fibres droites].

  8. Jeu de mots grecs entre cathartique (purgatif, propre à nettoyer) et le néologisme taractique (taraktikos, propre à perturber).

  9. V. note [23], lettre 156.

  10. Sérum est à comprendre ici dans le sens moderne de partie liquide du sang et de la lymphe, que lui a donné le Dictionnaire de Trévoux (1743-1752) :

    « Liqueur aqueuse, claire, transparente, un peu salée, qui s’épaissit sur le feu et qui fait une partie considérable de la masse du sang. Le sérum n’est point différent de la lymphe : il est porté par les artères dans toutes les parties du corps, d’où il revient en partie par les veines, et en partie par les vaisseaux lymphatiques. Le sérum qui est dans les artères et dans les veines, est mêlé avec le sang ; mais celui qui est dans les vaisseaux lymphatiques en est séparé. L’usage du sérum est de nourrir les parties du corps, et de rendre le chyle et le sang plus fluides. L’urine et la sueur ne sont que le sérum qui, en circulant, a perdu ses parties nourricières, et qui s’est empreint de sels usés et d’autres parties excrémenteuses, avec lesquelles il s’est séparé dans les glandes des reins et dans celles de la peau. L’abondance et le vice du sérum sont cause de plusieurs maladies. »

  11. Croyance naïve dans le fait que les mouvements du sang n’affectaient pas l’effet des médicaments qu’on administrait par la bouche (comme le vin émétique d’antimoine), car on croyait leur action purement locale, directement sur l’estomac.


Pour la seconde fois au cours de son décanat (v. supra note [16]), Denis Puilon tolérait qu’un bachelier disputât contre la circulation du sang. Il s’est contenté d’enregistrer cette thèse dans les Comment. F.M.P., selon la coutume et sans remarque. Bazin s’était pour tant fait remarquer lors de sa seconde quodlibétaire, présidée par Claude Quiquebeuf le jeudi 4 février 1642, sur la question An diabeti lac Asinum ? [Le lait d’ânesse convient-il dans le diabète ?] (conclusion affirmative). Le doyen et son père, Gilbert Puilon, avaient été membres du jury. La Compagnie s’en était émue et avait rudement sévi (Comment. tome xv, page 545‑546) :

Die Sabathi sexta februarii 1672. habita sunt comitia ordinaria hora decima matutina post sacrum in quibus deliberatum est super eruditione M. Francisci Bazin baccalauræi, qui die jovis precedenti respondebat de quæstione quodlibetaria. Plures censuerunt monendum esse dictum Bazin ut officio suo melius fungatur. Cæteri quorum vicit numerus voluerunt dictum Bazin remitti in biennum et sic conclusit decanus.

[L’assemblée ordinaire s’est tenue le samedi 6e de février 1672 à dix heures du matin, après la messe. On y a délibéré sur l’érudition de M. François Bazin, bachelier qui, le jeudi précédent, avait répondu sur une question quodlibétaire. Plusieurs ont jugé qu’il fallait engager ledit Bazin à mieux s’acquitter de ses devoirs. Les autres, dont le nombre a prévalu, ont voulu, que ledit Bazin soit ajourné de deux ans, et ainsi le doyen en a-t-il conclu].

Bazin fit appel de cette décision le 13 février et obtint gain de cause le 16, en étant de nouveau autorisé à s’asseoir sur les bancs des bachelies de la Faculté. Les raisons de sa punition ne sont pas mieux expliquées. Elles pouvaient tenir à sa conduite et à ses mœurs, voire au contenu de sa thèse où le diabète était présenté comme une maladie chronique des reins source de multiples complications, {a} contrairement aux idées du temps, qui le tenaient pour un simple symptôme (Jean Fernel, Pathologie, livre iii, chapitre xi, pages 181‑182) : {b}

« […] il arrive quelquefois que l’urine est fort abondante, pour avoir trop bu de vin subtil, ou d’eau, ou pour avoir pris des médicaments diurétiques, ou par la rigueur du froid, ou par quelque autre incommodité des choses externes. Quelquefois aussi cela vient du vice des reins qui attirent puissamment de toutes les parties du corps les sérosités qu’ils font sans cesse répandre, et ce mal s’appelle diabetes, {c} à cause du prompt écoulement de l’urine, laquelle étant en ce cas fort abondante, est quant et quant {d} presque blanche, subtile, et sans hypostase. {e}

Quelquefois la trop grande quantité de l’urine procède d’un mal interne, comme lorsque quelque grand amas d’eaux retenues depuis longtemps en certain lieu viennent à s’écouler, soit en l’hydropisie, soit par une crudité aqueuse qui flottait autour des viscères, d’où elle se jette sur les reins avec impétuosité, ou par la force de la nature ; de même que quand l’on a quelque perturbation du ventre qui s’exerce de soi-même. Toute l’origine de cela est le vivre, car rien ne peut sortir du corps dont la matière n’y ait été autrefois introduite. Et quoique cette évacuation < ne > débilite aucunement les forces, néanmoins l’estomac et le ventre en sont soulagés, comme s’ils étaient par ce moyen déchargés de quelque fardeau, sans que le reste du corps en demeure exténué. Mais pourtant quelquefois la masse du corps et des humeurs vient à se liquéfier et sort parmi les urines, selon que nous l’avons remarqué en un certain ivrogne d’assez bonne constitution et replet, lequel de fort gros qu’il était, devint extrêmement maigre dans l’espace d’nviron huit jours, sans être aucunement malade. {f} On tient aussi que cela procède de chaleur, ou par la violence d’une fièvre qui fait ainsi fondre les humeurs ; et lors l’urine est abondante, toutefois on ne remarque pas qu’elle soit ni blanche, ni subtile, mais enflammeuse, vineuse ou de couleur de passe, {g} avec quelque chose de gras et huileux au-dessus. {h} Et cela est un commencement de fièvre hectique. » {i}


  1. Fin du premier article de la thèse de Bazin sur le diabète :

    malorum Ilias inde dimanet : seri in fauces illapsu, tussis, angina, catarrhus ; in thoracem depluvio, dyspnœa, asthma orthonœa ; in partes superas excursu, coma, convulsio, apoplexia ; desultoria sui ob erratione, pleuritis, rheumatismus, arthritis.

    [Une iliade de maux {i} en découlera : toux, angine et catarrhe par irruption de sérosité dans la gorge ; dyspnée, asthme et orthopnée par engorgement du thorax ; coma, convulsions et apoplexie, par irruption dans les parties supérieures ; pleurésie, rhumatisme et goutte par aberrant déséquilibre de tout le corps].

    1. D’innombrables maux (v. notule {a}, note [6] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii) : sinon infinie, la liste des complications du diabète est fort longue, aiguës (coma) et chroniques (grandes et petites artères, reins, nerfs, yeux, infections, etc.).
  2. Traduction française de Paris, 1655, v. note [1], lettre 36.

    Bien qu’elle soit fort indirecte, je profite de l’occasion pour parler du diabète car elle est unique dans toute notre édition.

  3. Conforme à l’orthographe du temps.

  4. En même temps.

  5. Sédiment.

  6. Cas auquel je n’ai pas trouvé de plausible explication pathologique moderne.

  7. Texte original : flammea, vinea aut passea [couleur de flamme, de vin ou de raisin sec (passum)].

  8. Cela ne ressemble guère aux urines poisseuses du diabète sucré. Thomas Willis (v. note [8], lettre de Thomas Bartholin datée du 25 septembre 1662), en 1659, a pressenti la présence de sucre (glucose) dans les urines diabétiques ; mais elle n’a été démontrée que bien plus tard, A singular case of diabetes, consisting entirely in the quality of the urine ; with an inquiry into the different theories of that disease. By Thomas Cawley, M.D. late chief surgeon to the forces in Jamaica [Un cas singulier de diabète, consistant entièrement en la qualité de l’urine ; avec une recherche sur les différentes théories de cette maladie. Par Thomas Cawley, docteur en médecine, ancien chirurgien en chef des troupes de Jamaïque] (The London Medical Journal, 1788, pages 286‑308) :

    Allen Holford, Esq., aged thirty-four years, strong, healthy, and corpulent, accustomed to free living and strong corporeal exertions in the pursuit of country amusements, in December, 1787, was seized with diabetes ; but the cause of the great degree of emaciation and debility which gradually came on was not discovered until March 20th, 1788, at which time his urine was found to be sweet, fermentable with yeast, and two pounds, on evaporation, yielded about five or six ounces of sweet black extract, exactly ressembling that preparation of melasses made by confectioners for children, and vulgarly called coverlid.

    [En décembre 1787, M. Allen Holford, homme corpulent, solide et en bonne santé, âgé de trente-quatre ans, habitué à la vie libre et aux exercices que procurent les distractions de la campagne, fut atteint de diabète ; mais la cause de l’amaigrissement et de l’épuisement importants qui se développèrent alors progressivement ne se révéla que le 20 mars 1788, {i} quand on découvrit que son urine était sucrée, qu’elle fermentait en présence de levure et qu’après évaporation, deux livres en produisaient cinq ou six onces {ii} d’un résidu noir et sucré, ressemblant exactement aux caramels que les confiseurs font pour les enfants, préparation qui est vulgairement appelée coverlid]. {iii}

    1. Le malade mourut le 18 juin suivant. L’insuline qui lui manquait et qui l’aurait sauvé n’a été découverte qu’en 1921 par les Canadiens Frederick Banting et Charles Best.

    2. Soit 140 à 168 grammes pour 908 grammes d’urine.

    3. Je n’ai pas trouvé ce qu’était exactement cette sucrerie qui portait le nom de « couvercle » : elle devait ressembler aux roudoudous de mon enfance, coquillages remplis de sucre cuit à lécher.

    Contrairement à une légende tenace (à laquelle j’ai moi-même longtemps cru), nul n’avait parlé d’urine sucrées (ou miellées) avant Cawley, car on se contenait de les regarder (mirer, v. note [17], lettre 1033), sans les goûter, ce qui aurait permis de distinguer trois sortes de diabètes : « sucré » (insuffisance pancréatique), « salé » (insuffisance surrénale) et « insipide » (insuffisance hypophysaire).

  9. V. note [8], lettre 98, pour cette dénomination du marasme qui caractérise les diabètes sucrés les plus graves et que Bazin décrit et cherche à traiter dans le dernier article de sa thèse.

En dépit de sa provocante cardinale contre la circulation qui suivit, Bazin figure au dernier rang des six licenciés proclamés par la Faculté le 27 juin suivant (ibid. page 556) ; néanmoins, il n’eut pas accès aux actes doctoraux parisiens.

28.

Philippe ii Hardouin de Saint-Jacques et Armand-Jean de Mauvillain (tout comme Eusèbe Renaudot) avaient signé l’antimoine en mars 1652 (v. note [3], lettre 333). Durant son décanat, en 1638, Hardouin de Saint-Jacques (mort en 1677) avait même forcé l’inscription du vin émétique dans le Codex de la Faculté (v. note [7], lettre 122).

29.

Complice politique et autre médecin de Marie de Médicis, François Vautier (v. note [26], lettre 117) avait été embastillé pendant tout ce temps ; mais il avait su se relever dans la faveur d’Anne d’Autriche pour briller à la cour, tandis que Jean ii Riolan en avait été écarté (v. note [8], lettre 51).

30.

Ce « notre » inclut Guy Patin-Thomas Diafoirus, dont les lettres regorgent de mépris rageur pour les médecins « auliques » (courtisans), et particulièrement François Vautier, Antoine Vallot et François Guénault.

31.

Citation empruntée à Maurice Raynaud : Les Médecins au temps de Molière, page 416.

Jacques Gana, notre informaticien et grand érudit ès comédies musicales théâtrales, m’en a signalé une où Thomas Diafoirus est remonté sur la scène : intitulée Qui ?, elle fut créée à Paris le 9 mai 1931, au théâtre de la Potinière, sur un livret de Fernand Beissier et Louis Hennevé, et une musique de Max d’Yresne. Voici ce qu’en écrivait le critique Marcel Belvianes dans Le Ménestrel du 15 mai suivant :

« Cette opérette, qui pourrait aussi bien s’intituler “ Cherchez l’homme ”, est une petite turquerie assez gentiment tournée. […]

Je vous apprendrai donc que la nouvelle opérette de la Potinière se passe au dix-septième siècle dans le harem du sultan Bouthabou, qui s’est rendu à Versailles à la cour de Louis xiv. Les femmes sont laissées sous la garde des eunuques […] : un seul homme est avec elles, un médecin français, Thomas Diafoirus, fait prisonnier par les corsaires du sultan et qui ne semble pas bien redoutable pour la vertu de ces dames, quoi qu’ait pu affirmer son père, dans le Malade imaginaire, sur ses aptitudes à la reproduction…

Et pourtant, un enfant naît dans le harem… On le découvre dans une corbeille d’osier déposée dans un massif de fleurs, au milieu du jardin. Comme on est toujours fils de quelqu’un, le père du nouveau-né se trouve nécessairement, lui aussi, dans le harem. Qui est-il ? Nous finissons par apprendre, après bien des quiproquos et bien des perquisitions, parfois drôles, que l’un des prétendus eunuques, Ali, est en réalité un prince du meilleur sang, qui s’était introduit dans le harem par supercherie, et que c’est, naturellement, ce meilleur sang qui coule dans les veines du poupon… »

s.

Quod vivimus calori tribuendum ; quod aliquandiu, nutritioni, qua Natura dum perpetuo farcit quod continenter defluit, vitam quidem efficit longulam, non tamen æternam. Ad id operis nihil habet accommodatius sanguine, cujus materia chylus est, qui in ore guláque inchoatus, et in ventriculo perfectus, in iis per quas ad jecur contendit venis, aliqua jam sanguinis specie ornatus, ipsius jecoris ipsi sese exhibentis propria innataque vi, totam germani sanguinis formam induit. Inde tamen lapsus in Cavam aliasque insignes venas tergetur, nitetque magis. His quippe claudi omnino amat, si sibi relinquatur, nusquam egressurus. Sed mox ut suo parenti gravis, eo depulsus est, rapitur ab aliis partibus, illo suam expleturis famem. In venis itaque movetur, non ad modum procurrentis fluminis, sed perquam lentè, eóque dumtaxat gradu, quo is abit, cui succedit vicarius.

t.

Sanguinem perpetuo in orbem agi, e Cava ascendente in dextrum Cordis specum delabi, inde egressum in universam pulmonis substantiam excurrere, hinc per venosam arteriam ad lævum Cordis sinum iter reflectere, unde in Aortam reliquasque arterias, ut ab his in venas trudatur, in Cor jugi circuitu recursurus, suave est Harvæi somniantis, aut certe ingeniose ludentis commentum, nulla oculorum fide commendatum (quis enim operantem vidit Naturam ?) nullis certis experimentis, nullo rationum pondere stabilitum. Nam quod venæ inferiores, vinculo sanguinis fundendi causa injecto, præter morem tumeant, facit allata membro vis, dolorique comes constrictio, non qui in illis restitit interceptus sanguis. Et aperta majori arteria, totus quidem etiam e venis excidit sanguis, quod per hiantia coeuntium passim venarum et arteriarum oscula transfusus, vel suo pondere, vel spirituum, vel Naturæ vacuum omni corpore locum exhorrescentis impulsu excidat. Nihilo plus habent firmamenti quæ occurrunt in venis Valvulæ, quibus veluti per substratos dispositosque gradus sanguinem scandere, tum ne subito deorsum ruat, sufflaminari predicant.

u.

Sanguinis circuitio, et in orbem per vasa omnia circumductio, otiosarum mentium partus, mera nubes est, quam amplexantur Ixiones, Centauros et portenta procreaturi : Mirum quippe quantum hoc uno figmento universa viventium corporum Oeconomia obscuretur, perturbetur, quam artis Medicæ fundamenta misere convellantur : Quam Medicus principum præsidorum subsidiis destitutus, inutilis sit, et feriatus afflictæ opemque implorantis Naturæ spectator, quantum vel prudenti illorum usu mali importet. Non desunt tamen qui tam futili opinione delectati, ad eam tanquam ad saxum pertinaciter adhærescant, cæcitatisque antiquitatem insimulent. Qui si ad aspiciendam lucem oculos tantisper aperiant, facillime eum errorem, quem rei novitas attulit, Naturæ ratione depellent.

v.

Sanguinem toto corpore circumferri, adeo Naturæ instituto adversatur, ut assiduo isto motu universa nutritionis ratio evertatur, damnaque gravissima incurrantur. Nam si e sanguinis in venis reconditi penu semper aliquid demitur, ad id farciendum, quod e singulis excidit partibus : cum hæ ad suum opus explendum aliquod sibi deposcant temporis spatium : sanguis vero simul accedat, et recedat, nullibi moram faciat, quo tandem pacto ad vitam hærere, in illarumque substantiam abire et converti poterit ? Rem propius intuere, non modo inutilem esse, sed more publicanorum molestam, et semper aliquid bonæ rei auferentem deprehendes. Hæc quippe est fluentium corporum natura et ratio ; ut quemadmodum amnis quantumvis taciturnus mordet roditque paulatim alvei sui ripas ; ramenta quædam abripiant, et summo saltem vulnere degustent, quæcumque lambunt corpora, perenni detrimento tandem aliquando casura. Finge autem non jam a qualibet parte sanguinem amore quodam, suique tutandi causa et necessitate delectum prolici : sed a Corde pulsum vage currere, quæ pars eo inundante aut expers erit phlegmones, aut ejus quasi pabuli uberioris appulsu non obruetur ?

w.

Famosum fumosumque hoc dogma quanta in corporum natura, tanta in Arte Medica sequitur perturbatio, rerumque omnium confusio. Nihil enim amplius est in sanguinis missione præsidii, nihil in purgatione, quin illa corpus ipsum accendi, hac vero inquinari penéque venenari consequens est, nempe cum a fuso sanguine, qui in venis superest, mole copiaque minor sit ; et celerius moveatur, motuque ipso incandescat : et Cordis cava, sedem focumque luculenti caloris, sæpius subeundo, novum calorem induat necesse est. Qui autem prius quasi sopiti vasorum tunicis adhærescebant fœdi humores, ubi purgantis medicamenti opera emoti, cursumque præterlabentis sanguinis sequuti in Cordis penetralia deducentur, et ipsum inquinabunt, et similem reliquis subinde partibus labem importabunt : Sicque Medicis omni præstanti auxilio destitutis, morbisque ipsis, quos vel sanguinis fervor, vel humorum impuritas peperit, impune grassantibus, quam maxima mortalium strages edetur.

Non ergo sanguis per omnes corporis venas et arterias jugiter circumfertur.

Proponebat Lutetiæ Ioannes Cordelle, Hamus, A.R.S.H. 1670.

x.

Deo opt. max. uni et trino, Virgini Deiparæ, et S. Lucæ orthodoxorum medicorum patrono Quæstio medica quodlibetariis disputationibus mane discutienda in Scholis medicorum die Jovis xviii. Decembris M. Guidone Patin, Doctore Medico, et Professore Regio, Præside.

An sanguis per omnes corporis venas et arterias jugiter circumfertur ?


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Thomas Diafoirus (1673) et sa thèse (1670)

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8009

(Consulté le 19/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.