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Mélancolie sympathique
[consultation, 1634]

Consultation pour M. Simon, président à Chartres, souffrant de mélancolie sympathique, 1634. [a][1][1][2][3][4][5][6]

Très distingué Monsieur, [2][7][8][9]

Tandis qu’une pénible et tenace affection tourmente jour après jour le très bienveillant président, en le torturant de diverses manières, je suis bien navré de ne pas avoir à vous procurer ou suggérer de traitement qui soit entièrement sûr et certain pour aider ce très noble personnage à se débarrasser d’un si grand mal. Puisque vous m’en priez, voici ma brève réponse à votre claire et élégante lettre ; sans sembler refuser de vous donner mon opinion sur son cas, je me vois pourtant contraint de ne rien faire d’autre que répéter, encore et encore, les mêmes choses sur les mêmes sujets.

Ce très noble personnage souffre d’une mélancolie ; elle est encore pourtant si discrète qu’elle trouble à peine ses fonctions et occupations coutumières, hormis peut-être que survient de temps à autre cet importun symptôme qui est propre à tous les mélancoliques, consistant en une crainte fort remarquable, bien qu’irraisonnée, de perdre ses biens et sa famille. Il est admirable et déplorable que notre art n’ait jusqu’ici établi aucun remède capable d’apaiser ou de chasser la pensée, aussi fausse que frivole, qui hante et assaille le divin temple de Pallas qu’est son esprit. [3][10] Toutefois, pour autant que je puisse en juger, la première atteinte du mal est une intempérie fixe et opiniâtre des viscères nutritifs des hypocondres : [11] il en émane une humeur noire et féculente, ou plutôt une exhalaison, qui s’insinue presque sans relâche, mais insensiblement et à la dérobée, dans le siège de l’esprit, ce qui provoque et entretient cette céphalée opiniâtre. La même cause est responsable de son mal de tête et de son comportement extravagant : c’est l’humeur âcre et maligne, collectée et accumulée dans les conduits de viscères qui sont depuis longtemps frappés par cette intempérie, tout imprégnés et remplis qu’ils sont d’une très abondante saburre. [12] Si nous la laissons s’y putréfier, en séjournant là plus longtemps, il faudra redouter que les manifestations de sa malignité n’occasionnent dorénavant des symptômes plus rudes et bien pires, et qu’enfin elle ne provoque une affection idiopathique, particulière au cerveau. [4][13] Voilà ce que nous devons légitimement redouter, comme vous l’avez parfaitement remarqué. Le beau et [Ms BIU Santé no 2007, fo 243 vo | LAT | IMG] simple raisonnement, le discours clair et bien articulé dont use le patient, la manière aisée et naturelle dont il s’acquitte de toutes ses fonctions, marquent ouvertement que c’est plutôt l’exhalaison ou l’humeur maligne qui a embarrassé sa faculté directrice, que quelque autre atteinte de la tête, cause de maladie mélancolique propre au cerveau et d’hallucination idiopathique. Ajoutez que cette affreuse ordure, qu’il a récemment évacuée par l’intestin sous l’effet des laxatifs les plus bénins, atteste, bien plus qu’il n’est nécessaire, du fait que la source de tout le mal doit être attribuée aux viscères déréglés et mal disposés. [5] J’en déduis que ce symptôme a jusqu’ici été sympathique et je crois qu’avec les autres manifestations qui l’accompagnent, il est responsable du fait que les périodes de lucidité soient nombreuses et de longue durée, alors que, si l’affection était protopathique, il n’y en aurait pas ou elles seraient, du moins, plus rares et plus brèves. Pourtant (et à vrai dire, je le crains passablement), la persistance de cette rêverie délirante nous avertit qu’une mélancolie deutéropathique menace d’attaquer, si on ne lui barre promptement la route, car la longue durée de la souffrance et la succession continue des crises provoquent outrage et ruine dans le cerveau. [6][14] C’est la raison pour laquelle, afin de détourner ce péril et d’ôter définitivement à la maladie toute occasion de récidiver, le très noble malade doit désormais observer consciencieusement et scrupuleusement les prescriptions qui suivent. En tout premier lieu, il respectera le régime alimentaire réfrigérant et humidifiant que vous lui avez prescrit auparavant suivant les règles de l’art. [15] Si l’intestin est paresseux, on l’excitera par des lavements [16] ou des cathartiques doux. [17] Le patient se gardera tant qu’il pourra de toute passion de l’âme, etc. Quant aux remèdes, le clystère, la phlébotomie, [18] la purgation [19] et le bain [20] emporteront tous les suffrages. La phlébotomie est non seulement utile, mais indispensable : elle doit être pratiquée aux deux bras, tour à tour, et en tenant compte de la résistance du patient, pour atténuer l’impulsion de l’humeur sauvage et pour éteindre ce sombre incendie qui se cache à l’intérieur des viscères. Après que vous aurez eu soin d’accomplir cela, vous en viendrez à la purge : [21] pour qu’elle soit secourable au malade, de manière simple, sûre et rapide, vous veillerez à l’administrer pendant huit jours consécutifs en employant la casse [22] et le séné [23] en décoction [Ms BIU Santé no 2007, fo 244 ro | LAT | IMG] convenable ; afin que l’intestin se vide plus promptement, on y ajoutera, tous les deux jours pendant huit jours, une once et demie de sirop laxatif de roses. [24] Après que le malade se sera remis de la susdite purgation, s’il ne se porte pas mieux et si l’état de ses forces l’autorise, on le purgera de nouveau et de la même façon pendant autant de jours consécutifs que vous l’estimerez alors nécessaire, selon la qualité des humeurs qu’il aura rejetées et selon la résistance qu’il aura de reste. Je pense qu’il faut lui épargner les médicaments plus chauds et plus rudes, ne camarinam moveant et crabrones irritent[7][25][26] Quand le corps aura été ainsi préparé, qu’il se plonge quotidiennement, pendant quelques jours, dans un demi-bain d’eau tiède, [27][28] sans fumigation ni parfum. Ensuite, on réitérera les plus puissants remèdes que sont la phlébotomie et la purgation. Voilà les traitements, certes peu nombreux, mais éprouvés et aisés à administrer, que je mettrai devant tous les autres. Si le très distingué malade les emploie, nous espérons que, par un singulier bienfait de Dieu, il sera libéré d’un hôte aussi importun et opiniâtre. [8]

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a.

Manuscrit autographe de Guy Patin ; Pimpaud, Document 12, pages 44‑49.

1.

Les Mémoires de la Société archéologique de l’Orléanais (Orléans, Blanchard, Chartres, Garnier, et Paris, Derache, 1855, in‑8o, tome troisième, pages 253) contiennent la transcription d’une lettre, datée du 19 mai 1628 (sans lieu), que François d’Orléans-Longueville (1570-1631), comte de Saint-Paul et duc de Fronsac, a écrite à Étienne Simon, écuyer, seigneur de Villiers-le-Comte, conseiller du roi, président au présidial, et lieutenant-général au bailliage et siège présidial de Chartres. Cette archive identifie vraisemblablement le noble malade qui était le sujet de cette consultation.

Le même recueil contient une autre lettre (pages 269‑270), datée de Paris, le 5 juillet 1645, écrite par le secrétaire de la duchesse d’Orléans à « Monsieur Simon [sans prénom], conseiller du roi et président au bailliage et siège présidial de Chartres », ce qui peut laisser penser qu’il survécut au mal dont il souffrait en 1634.

Dans le chapitre ii, livre cinquième de sa Pathologie (Paris, 1655, v. note [1], lettre 36), intitulé Les symptômes de la faculté principale, Jean Fernel a décrit (en 1554) la mélancolie, en tant que maladie mentale (pages 312‑315) ; elle permet d’aborder la difficile consultation qui suit avec une idée assez précise sur la manière dont Guy Patin pouvait concevoir cette affection (« folie »), aujourd’hui qualifiée de psychiatrique :

« La mélancolie {a} est une aliénation d’entendement, par laquelle ceux qui en sont attaqués pensent, disent ou font des choses absurdes ou grandement éloignées du jugement et de la raison ; et tout cela avec crainte et tristesse, lesquelles Hippocrate prend toutes deux pour des signes très certains de mélancolie. {b} Ceux qui commencent à devenir mélancoliques ont l’esprit abattu, lâche et fort hébété. Ils négligent et leur personne et leurs affaires, la vie leur est fâcheuse et très désagréable, quoiqu’ils en appréhendent grandement la privation. {c} Le mal étant déjà fort enraciné, ils se figurent beaucoup de choses en l’esprit et en la pensée, et profèrent des paroles d’extravagance, mal à propos et confusément ; et ce, presque toujours, de choses tristes. Les autres s’imaginent qu’ils ne doivent pas même parler, mais pensent qu’il leur faut passer toute leur vie dans la retraite et dans le silence ; ils fuient en suite, {d} tant qu’ils peuvent, la compagnie et la présence des hommes ; plusieurs cherchent les solitudes et se plaisent quelquefois à errer parmi les sépulcres des morts, {e} ou à se cacher dans les cavernes affreuses, et hurlent souvent comme des loups, d’où vient que ce mal est lors proprement appelé lycanthropie. {f} Il y a une infinité de ces mélancoliques parce que ces rêveries se font diversement selon < ce > qu’a été autrefois l’application de l’esprit, et la condition de la vie. Car, comme Aristote l’a remarqué, de même que le vin opère conformément à la nature et aux mœurs de ceux qui le boivent, ainsi s’accommode la mélancolie à la constitution de ceux qui en sont attaqués. Il y en a beaucoup qui rêvent sans fièvre, lesquels, passant pour mélancoliques, si principalement ils sont tristes et craintifs, ne sont pas malaisés à gouverner et ne font rien de violent ; parce que la folie mélancolique vient d’humeur froide, au lieu que toutes les autres sortes de folie sont causées par la chaleur. […]

La mélancolie vient d’une humeur noire et féculente, ou de quelque vapeur de même nature, qui attaque le siège de l’entendement ; et cette humeur, quelquefois, croupit en la rate et aux parties voisines d’icelle ; quelquefois, elle s’amasse en la tête seulement ; et d’autres fois, elle se répand dans les veines, et même par tout le corps ; ce qui fait que la mélancolie est ou hypocondriaque, ou primitive, ou universellement causée par le vice de tout le corps.

L’hypocondriaque, qu’on nomme aussi flatueuse, est la moins fâcheuse de toutes. Elle s’excite par la sympathie de l’hypocondre gauche, {g} d’où s’élève une vapeur noire et obscure vers les organes de l’esprit. Les signes en sont remarquables au-dessous des entrailles, où le battement des artères est véhément et fâcheux, comme Hippocrate même l’a remarqué. Si les veines des entrailles battent, c’est marque ou de trouble, ou de délire : les entrailles sont échauffées par l’ardeur de l’humeur, sans néanmoins exciter la soif car, la digestion de l’estomac étant lésée, la bouche est humectée de beaucoup de salive ; d’où s’ensuivent aussi des rots, des vents, des bruits et des flottements. {h} Souvent, il survient quelque douleur et palpitation de cœur, {i} et même quelquefois une suffocation. Après avoir mangé des viandes trop chaudes {j} et difficiles à digérer, il s’élève une vapeur chaude qui augmente tant les symptômes susdits que toutes les sortes de rêverie mélancolique ; au lieu que tout cela se diminue par les viandes rafraîchissantes, par les déjections du ventre, par le vomissement et par les rots. Il s’en rencontre aussi plusieurs qui ont quelque tumeur dure et douloureuse en la rate ou au mésentère, et autres semblables marques de tels symptômes. En d’autres, lors principalement qu’ils sont devenus tels par l’adustion de la bile jaune, et que ce n’est pas la seule lie mélancolique, mais la bile noire qui s’est rendue fâcheuse, on ne s’aperçoit point qu’il s’y soit fait un manifeste amas d’humeurs. {k}

La mélancolie primitive, en laquelle le cerveau est le premier affecté, soit qu’elle procède du vice particulier d’icelui, ou du désordre de tout le corps, se reconnaît en ce qu’on est travaillé sans que les entrailles soient offensées, et qu’il se retrouve des signes qui démontrent que l’humeur mélancolique abonde et prédomine en la tête, ou par tout le corps. » {l}


  1. V. note [5], lettre 53, pour l’étymologie et le triple sens de ce mot.

  2. Aphorismes, 6e section, no 23 (Littré Hip, volume 4, page 569) : « Quand la crainte ou la tristesse persistent longtemps, c’est un état mélancolique [mélagcholikos toioutos.] »

  3. Tous ces symptômes évoquent ce qu’on appelle aujourd’hui un syndrome dépressif, état dont la forme la plus profonde conserve le nom de mélancolie. Fernel semble toutefois avoir préféré l’idée de mort imminente à celle de suicide.

  4. Par conséquent.

  5. Les tombeaux, les cimetières.

  6. De lukos, loup, et anthropos, homme, en grec : « fou furieux et mélancolique qui court la nuit et qui outrage [effraie] ceux qu’il rencontre. Le peuple l’appelle loup-garou et s’imagine qu’il court aux avents de Noël » (Furetière).

    Sans aller jusque-là, Molière a mis en scène la mélancolie sous les traits d’Alceste, Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux (1666, v. note [2], lettre 861).

  7. V. notes [4], lettre 188, et [6] infra, pour la notion de sympathie, et [4], lettre 514, pour les deux significations, anatomique et mentale, qu’avaient les hypocondres et les viscères qu’ils contiennent (la rate et l’estomac pour le côté gauche). Fernel définissait ici la forme de mélancolie sur laquelle allait disserter Patin.

  8. Borborygmes (v. note [5] de l’Observation 20).

  9. V. note [5] de l’observation viii.

  10. Riches et grasses, qui excitent la chaleur corporelle.

  11. L’adustion est la combustion. La phrase est doublement énigmatique : par sa conclusion et par la distinction qu’elle établit entre la bile noire (atrabile ou mélancolie) et la « lie mélancolique » (qui semble être un mélange de plusieurs humeurs).

  12. Guy Patin redoutait cette seconde forme, plus grave et difficile à soigner, et voulait en écarter l’éventualité (ou la survenue secondaire).

    V. note [25] du Borboniana 6 manuscrit pour l’insomnie comme manifestation de la mélancolie.


2.

Cette consultation est probablement adressée à Louis Patin, seul médecin de Chartres dont Guy Patin ait parlé : sans dire qu’il lui était apparenté, il a signalé sa mort récente dans le post-scriptum de la lettre à Charles Spon datée du 21 février 1662 (v. sa note [15]). Mes recherches à son sujet ont abouti à deux attestations.

3.

Assimilation du cerveau au temple de Pallas Athéna (Minerve) par probable réminiscence de la légende contant que la déesse de la sagesse était issue de la divine cervelle de Zeus (Jupiter) : v. note [12], lettre 300.

4.

Idiopathique (v. notes [2], lettre 509, et [6] infra) qualifie ici une affection devenue autonome du cerveau, évoluant pour son propre compte, après avoir été amorcée par un phénomène de sympathie émanant des viscères de l’hypocondre gauche (principalement la rate, réservoir de l’atrabile, v. note [5], lettre 61) ; c’est-à-dire la transformation de la mélancolie « hypocondriaque » en mélancolie « primitive », bien plus fâcheuse, telle qu’expliquée par Jean Fernel (v. supra note [1]), qui a directement inspiré le raisonnement de Guy Patin.

5.

Argument des plus spécieux : le malade n’avait pas de symptômes digestifs ; la purge lui avait tout bonnement, et bien naturellement, déclenché une évacuation intestinale ; et Guy Patin s’imaginait que ces matières étaient l’« affreuse ordure » qui, par sympathie, provoquait la mélancolie du patient.

6.

Le livre premier, Ce que c’est que la maladie, chapitre iv, De la maladie par communication (pages 11‑13) de la Pathologie de Jean Fernel (v. supra note [1]) éclaire à nouveau très opportunément le propos de Guy Patin :

« Partant, {a} la maladie qui se fait par communication ne doit ni simplement ni absolument être appelée maladie, car il y a deux sortes d’indispositions ou constitutions contre nature, dont l’une est propre à la partie affectée, et l’autre ne lui advient que par sympathie et communication. L’indisposition propre à la partie, ou l’idiopathie, {b} est un effet contre nature produit en la partie par quelque chose qui en altère immédiatement la disposition ; mais l’indisposition par sympathie est un effet contre nature communiqué à la partie par le vice d’une autre, ce qui se fait en trois façons.

L’une est quand la partie reçoit quelque chose qui lui est envoyée d’ailleurs, outre l’ordonnance de la Nature. {c} Ainsi, les humeurs subtiles ou les vapeurs corrompues, qui montent du ventricule à la tête, troublent quelquefois l’entendement, et quelquefois excitent la douleur par la distension ou érosion des méninges ; d’autres fois, elles représentent aux yeux de vaines et feintes images, comme s’ils étaient travaillés de quelques suffusions. {d}

L’autre est quand l’écoulement et influence de la faculté trouve de l’empêchement, qui la retient et en prive la partie, comme : lorsque l’épine du dos est affectée d’inflammation ou d’obstruction, il survient une résolution des cuisses, en sorte qu’elles perdent tout sentiment et mouvement ; et < lorsque > les nerfs optiques étant bouchés, les yeux ne peuvent plus rien voir. {e}

La troisième sorte de maladie par communication se fait quand la matière nécessaire pour agir ne peut arriver jusqu’au lieu où elle doit aller ; par exemple, s’il y a de l’obstruction aux poumons, ou que les muscles des côtes soient relâchés, ou la poitrine étant percée, parce qu’en aspirant, {f} il ne sort pas assez de vent du poumon pour atteindre jusqu’au larynx, la voix, qui en est l’action, est ou supprimée, ou même perdue. Semblablement, une grande obstruction des veines qui vont vers le foie empêche que le sang ne soit distribué par tout le corps, et fait que le corps devient languissant à faute de nourriture et, enfin, tombe en atrophie. {g}

Or, en quelque façon que ce soit que la partie, ou naturelle ou animale, {h} reçoive de l’incommodité par communication, on dit bien qu’elle est affectée, qu’elle souffre, puisque l’action d’icelle ou périt tout à fait, ou est du moins, en quelque sorte, empêchée. Toutefois, elle n’est pourtant pas malade, et cette sienne affection n’est point une maladie, n’étant pas immédiatement attachée à la partie même. C’est pourquoi on ne lui applique pas les remèdes ; et si on les y applique, ils ne lui servent pas beaucoup. Partant, {a} quand la maladie est en quelque partie, l’action d’icelle est nécessairement offensée ; et non pas au contraire, car il ne s’ensuit pas que, l’action de la partie étant offensée, la partie soit aussitôt semblablement malade. Mais enfin, la partie qui a été travaillée par la communication d’une autre contracte quelquefois, de là, un mal qui lui devient propre, et la sympathie se tourne en idiopathie. Or, combien que ce mal soit devenu propre, si n’est-il pas {i} primitif, mais postérieur et de la seconde passion. Les Grecs nomment celui-là protopathie, et cettui-ci deutéropathie ou hystéropathie. {j} Ainsi, d’une maladie en vient une autre, et souvent un même mal est et maladie, et cause de maladie. Ceci suffise pour faire entendre ce qu’est une maladie. »


  1. Par conséquent.

  2. V. supra note [4].

  3. Contre l’ordre naturel des choses.

  4. La suffusion est un épanchement d’humeur. Cette première forme de sympathie était celle que Patin invoquait dans le cas analysé, qu’il estimait venir des viscères nutritifs des hypocondres (dont l’estomac, ou ventricule, fait partie).

  5. Ces deux exemples correspondent respectivement à : (1) la paraplégie (paralysie et insensibilité de la moitié inférieure du corps) par lésion de la moelle épinière dans le canal rachidien ; (2) la cécité par lésion des nerfs optiques. L’anatomie fonctionnelle du système nerveux en fournit désormais l’explication rationnelle et directe (immédiate), sans besoin de recourir à la sympathie (bien que les noms de sympathique et parasympathique restent attachés au système nerveux autonome, c’est-à-dire indépendant de la volonté).

  6. En expirant : aspirer avait le sens de « pousser son haleine au-dehors » (Furetière). Toute lésion thoracique entravant l’expulsion de l’air (asthme, paralysie des muscles respiratoires, plaie étendue de la paroi) affecte la faculté d’émettre les sons (parler, chanter, crier).

  7. Explication de la cachexie (ou phtisie, v. note [3], lettre 66) proposée avant la découverte de la circulation sanguine.

    Le point essentiel de toute cette description de la sympathie par Fernel est qu’il n’y faisait intervenir aucune influence occulte ou surnaturelle, telle qu’en rêvaient les paracelsistes avec, par exemple, leur poudre de sympathie ou leur onguent hopliatrique (v. note [28] de L’homme n’est que maladie).

  8. Traduction fidèle au latin d’origine (quomodocunque seu naturalis seu animalis pars consensu laboret) : probablement Fernel voulait-il distinguer la structure de l’organe et sa fonction (nuance qu’on rend aujourd’hui par les adjectifs organique et fonctionnel).

  9. Il n’est pas à tenir pour.

  10. Pour Littré DLF, la protopathie (de protos, premier en grec) était, comme l’idiopathie, une « maladie première, celle qui n’est ni précédée ni produite par une autre ». À l’opposé, la deutéropathie (de deutéros, second) était un « état morbide qui se développe sous l’influence d’une autre maladie » ; Fernel lui donnait aussi le nom d’hystéropathie (de ustéros, qui vient derrière).

    Essentiel et symptomatique sont les synonymes modernes de protopathique et deutéropathique (v. note [1] de la Consultation 13).

7.

« pour ne pas remuer la camarine, ni irriter les frelons ». V. notes [8], lettre 407, et [8], lettre 386, pour les explications de ces deux adages anciens par Érasme (avec référence à Plaute dans le second).

8.

Les références (non dites mais fidèles) aux enseignements de Jean Fernel (v. supra notes [1] et [6]), le style, pompeux et très révérencieux (car il s’agissait d’un éminent malade atteint de folie), le double renvoi aux Adages d’Érasme (v. supra note [7]), le choix des remèdes prescrits, tout dans cette fort instructive consultation permet d’affirmer qu’elle est de Guy Patin, et probablement de lui tout seul, en tenant son speramus final, « nous espérons », pour un nous singulier d’autorité (v. note [1] de la Consultation 3).

s.

Ms BIU Santé 2007, fo 243 ro.

Consilium pro Præside Carnutensi, D. Simon,
melancholia sympathica laborante. 1634.

Vir clariss. cùm acerbus et contumax affectus æqui-
ssimum Præsidem in dies exagitare et varijsque
modis cruciare perseveret, non parum doleo mihi deesse
tanto expugnando morbo tutissima et certissima
aliqua quæ in viri nobiliss. gratiam afferam tibique
proponam præsidia : quamvis tamen eadem de ijsdem dum-
taxat iterúmq. repetere mihi necesse sit, ne tamen
tibi roganti eiq. postulanti renuere videar, quid de
hac re sentiam denegare videar, eleg tersæ tuæ ac
eleganti epistolæ hoc à me habebis breve responsum.

Melancholia morbus est quo laborat vir nobiliss.
eo tamen adhuc remissionis gradu, ut vix in solitis ejus
munijs et actionibus quid simile deprehendatur, nisi fortè
quod per quædam intervalla recurrat importunum illud
symptoma omnium melancholicorum proprium, metus
nimirum, jsque insignis excisarum rerum et attritæ
familiæ, quamvis sine causa. Mirum profectò et mi-
serandum, tanq. levi tanq. falsa quàm futili cogitatione, divinam
Palladis arcem, ut et ipsam mentem occupari et opprimi,
neq. hactenus in arte nostra positum fuisse, ut ullo
præsidio extingui posset aut aboleri. Sanè, quantum ego
conijcio, prima mali labes est fixa et præstan firmáque nutritio-
rum et hypochondriacorum viscerum intemperies, à quibus
ater ac fæculentus humor, aut saltem vapor in mentis
sedem indeficienter ferè, sensim tamen et latenter irrepantens,
antiquum inveteratum illum capitis dolorem fovens ac faciensat ac foveat.
Idem auctor cephaleæ qui existit absurdæ illius desipi-
entiæ, acer et malignus humor, in viscerum jampridem
intemperatorum, multáq. saburra infectorum et infar-
ctorum ductibus collectus et cumulatus, quem si
diutius inibi putrescere et stabulari patiamur, verendum
erit ne posthac acerbiora multóq. deteriora suæ maligni-
tatis indicia, invehant afferant symptomata, tandémq. proprium ipsique
cerebro idiopathicum invehat affectum, à quo jure
merito nobis cavendum optimè annotasti. Bella et

t.

Ms BIU Santé 2007, fo 243 vo.

facilis quâ utitur ratiocinatio, distinctus et articulatus
quo utitur sermo, expeditúsq. et naturalis omnium suarum
functionum obeundarum modus, apertè designant rectricem
ejus facultatem vapore aut maligno humore + à visceribus/ sursum as-/cendente potiùs præ-
peditam esse, quàm ab ullo humore alio capiti impacto, et
qui melancholicum παθος et ιδιοπαθικον phantasma
in ipso cerebro committat. Adde quod, tetra illa illuvies, quam
per nuper alvum lenioribus etiam pharmacis irritatam
nuper dejecit, totius mali causam ab intemperatis et
malè moratis visceribus repetendam esse satis superque
testatur, unde infero sympathicum hactenus fuisse
hoc symptoma, quod unum ut credam et hæc cetera
faciunt, quod dilucida utplurimum eáq. longiora habeat
intervalla, quæ si protopathicus esset affectus, aut
nulla essent, aut saltem breviora et contractiora
evaderent. Admonet tamen, (et revera non parum metuo,)
minatúrq. perseverans insanam melancholicum illud desipientis aberrantis phan-
tasiæ deliramentum, nisi maturè eatur obviam, in
procinctu esse deuteropathicam melancholiam, diu-
turnitate patiendi continuáq. malorum serie, cerebro
vitium ac labem contrahente. Quamobrem ut impendens
cerebro periculum avertatur, et ut tandem aliquando
omnis revertendi occasio morbo præcludatur, hæc nobiliss.
viro sedulò ac diligenter in posterum sunt observanda.
Imprimis victus rationem observet refrig. et humect.
qualis antea ex arte fuit à te præscripta : si
torpeat alvus, sollicitetur enematis vel catharticis
blandioribus : ab omni affectu quantum in eo erit, sibi caveat,
etc. Quod ad præsidia attinet, alia i[…]um universum corpus, atq.
adeo focum morbi respiciunt : alia v. suscipientem
partem. Ratione totius corporis viscerúmq. nutritiorum,
crebra enemata conveniunt etc.
omne ferent punctum,/ enemata,/ cacochymiam/ punctum venæ/ sectio, purgatio,/ balneum et/ v Venæ sectio non tamen utilis,
sed etiam necessaria, ex utroq. cubito, partitis vicibus, et
pro virium modulo celebranda, ad retundendum
efferi humoris impetum, et extinguendum cæcum
illud quod intus delitescit viscerum incendium : quod
ubi fieri curaveris, ad catharsin devenies, quam ut ut faci-
liùs, tutiúsq. ac citiùs ei opem ferat, per octo dies
continuos adhiberi curabis ex cassia et senâ in decocto

u.

Ms BIU Santé 2007, fo 244 ro.

convenienti, à qua ut promptiùs feratur alvus, secundo
quoq. die per octiduum, addetur syrup. ros. solutiv.
℥jß. ubi cùm verò à postrema catharsi per aliquot dies
quieverit, nisi meliùs habeat, virésq. non reclament,
iterum eodem modo repurgabitur per tot dies continuos
quot ei tum temporis necessarium esse tecum reputabis, pro ratione
humorum quos deijci per alvum deijcient, et præsenti
virium robore. Calidiora et acriora medicamenta ei fu-
gienda censeo, ne camarinam moveant et crabrones
irritent. Sic præparato corpore descendat per aliquot
dies in semicupium aquæ egelidæ, fumo et odore carentis :
postea verò iterum recurrat ad majora præsidia, venæ
sectionem et purgationem. Hæc sunt pauca quidem, sed
probata et euporista quæ ceteris omnib. anteponerem
remedia, quib. si utatur vir clariss. speramus fore
ut singulari Dei beneficio, tam importuno et contumaci
hospite liberetur.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Consultations et mémorandums (ms BIU Santé 2007) : 12

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(Consulté le 25/04/2024)

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