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Les 11 observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648)

Dans ses lettres, Guy Patin a plusieurs fois parlé d’une retentissante thèse cardinale sur la primauté de la « Méthode d’Hippocrate », [1] contre les abus des Arabes, [2] des chimistes [3] et des pharmaciens. [4] Le bachelier Jean-Baptiste Moreau [5] l’avait disputée à Paris sous la présidence de Charles Guillemeau, [6] qui l’avait lui-même écrite. [1]

En voici la chronologie :

En éditeur scrupuleux de la Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, j’ai prêté une attention toute particulière à ce livre car, dans sa lettre du 2 octobre 1657 à Claude ii Belin, se souvenant du procès que les apothicaires de Paris lui avaient intenté en 1647, [17] Patin écrivait (en soulignant les mots que je mets en italique) :

« Je me souviens bien que je parlai contre l’abus de leurs drogues, et entre autres contre le bézoard, la thériaque et la confection d’hyacinthe et d’alkermès, dont vous trouverez quelque chose de bon dans les Observations qui sont derrière la Thèse française de feu M. Guillemeau, de l’an 1648, lesquelles sont curieuses, et de ma façon. »

Tirant légitimement argument de cette confidence, Achille Chéreau [18] (Bibliographia Patiniana, xii.‑ Additions à une thèse de Charles Guillemeau, pages 19‑21) a attribué les 11 observations de l’ouvrage à la plume de Patin :

« Guillemeau jugea même opportun, devant un succès aussi éclatant, et afin de vulgariser les idées qui étaient émises dans la thèse, de traduire en français cette dernière, de la faire imprimer et de la distribuer largement. Il fit plus encore : connaissant les talents littéraires, la verve incomparable de son ami Patin, non moins que sa haine invétérée contre les polypharmaciens [19] et les adorateurs de drogues à vertus presque suspectes, il l’invita à enrichir la traduction de sa thèse d’observations personnelles. »

Cela ne ferait pas l’ombre d’un doute si, dans son Avis au lecteur de l’édition française, Guillemeau n’avait revendiqué haut et fort leur entière paternité et pris pour lui seul les protestations qu’elles ne manquèrent pas de soulever :

« Pour donner moins de prise aux critiques et détourner les coups des médisants, qui trouvent à redire sur tout et ne font jamais rien qui vaille, j’ai pris le conseil de cinq ou six des plus fameux médecins de notre École, qui m’ont fait l’honneur de me dire leur sentiment de mon ouvrage et l’ont tous généralement approuvé. Mais d’un autre côté, j’ai été attaqué par les envieux, qui se sont efforcés de faire croire que je n’en étais pas le seul auteur. Je ne doute pas qu’un autre y eût mieux réussi que moi, mais telle qu’elle est, personne ne peut se vanter d’y avoir aucune part, s’il ne veut passer pour un imposteur et pour un fourbe qui tâche d’acquérir de la réputation aux dépens d’autrui. J’ai enrichi cette thèse d’observations et notes nécessaires pour son éclaircissement, et j’ai trouvé à propos de répondre ici à quelques objections qui m’ont été faites. »

Étant donné qu’il est difficile d’être plus clair, comment ne pas se demander si Patin, en octobre 1657, à peine un an après la mort de son ami Guillemeau (21 novembre 1656), ne se payait pas l’audace de revendiquer la paternité de ces 11 observations contre les abus de la pharmacie ? Je les ai lues attentivement pour tenter de discerner la vérité de ce qui serait une insigne forfanterie, et ma conclusion penche plutôt en faveur d’une contribution de Patin.

En dépit de mes incertitudes, c’est d’abord et surtout la contribution de ces 11 observations à ma compréhension des pratiques médicales et pharmaceutiques du xviie s. qui m’a convaincu de les insérer dans notre édition, car elles l’ont beaucoup enrichie.

Voici les titres de ces 11 textes, avec leurs liens :

  1. Du séné ;

  2. De l’antimoine ;

  3. Des remèdes cardiaques ;

  4. De l’os du cœur d’un cerf et de la corne de licorne ;

  5. Des perles ;

  6. Des pierres précieuses ;

  7. Du bézoard ;

  8. Des confections d’alkermès et d’hyacinthe ;

  9. Des apozèmes et juleps ;

  10. Du laudanum des chimistes ;

  11. De la thériaque et du mithridate.


1.

V. notes [12], lettre 155, pour Jean-Baptiste Moreau, et [5], lettre 3, pour Charles Guillemeau.

2.

« La Méthode d’Hippocrate pour remédier n’est-elle pas la plus fiable, la plus sûre et la plus remarquable de toutes ? » ; conclusion affirmative, Igitur Hippocratea medendi methodus omnium certissima, tutissima, præstantissima [Donc la…] (v. note [13], lettre 151).

Lettre à Charles Spon du 10 mars 1648 :

« La thèse de M. Guillemeau est sur la presse pour le 26e de mars. Il y parlait des apothicaires, des Arabes et de leur pharmacie, et ce bien malgré moi ; {a} mais je ne laisserai point de vous donner une copie de ce qui a été retranché. […] Comme je pressais un homme de ce parti sur ce châtrement de thèses, il me dit que tout le monde n’était point si heureusement hardi que moi […]. »


  1. C’est-à-dire : « sans que j’y fusse pour rien ».

3.

« Le fils de M. [René] Moreau [v. note [28], lettre 6] répondit merveilleusement bien sous M. Guillemeau de Methodo Hippocratea, au grand contentement de notre École et de grande quantité d’honnêtes gens qui étaient venus pour l’entendre. C’est un jeune homme de très belle et de très grande espérance. Il a prodigieusement de l’esprit et de la mémoire ; et même, la veille de Pâques fleuries [le 4 avril 1648, veille des Rameaux], il remercia, comme fils de maître, notre Faculté au nom de tous ses compagnons, par une belle harangue, laquelle dura longtemps ; et néanmoins il la prononça si bien qu’il en fut loué de tous, et Monsieur son père aussi » (lettre du 8 mai 1648).

4.

« La thèse de M. Guillemeau en trois placards est achevée, on la fait en livre in‑4o [sic pour in‑fo] de Saint-Augustin » (v. note [10], lettre du 24 mars 1648).

5.

V. notes [2], lettre 158, pour l’édition française de la thèse (Paris, 1648), et [10], lettre 153, pour sa mise en route dès mars.

6.

« la thèse française de M. Guillemeau avec ses observations a fort irrité les apothicaires de deçà, qui néanmoins en sont demeurés là, sachant qu’il est trop bien fondé en raison et qu’il a trop de crédit pour succomber à leurs attentats. Quelques médecins à qui j’en ai envoyé hors de Paris m’ont mandé qu’ils s’attendaient de ne voir plus d’apothicaires ici quand ils y reviendront. Quand vous l’aurez lue vous me ferez la faveur de nous en donner votre avis, s’il vous plaît. Nos apothicaires de deçà me font pitié, quoique je ne les aime point et qu’ils me haïssent » (v. note [1], lettre 159).

7.

V. note [16], lettre 219.

Un léger doute plane tout de même sur l’absence de réimpression de la thèse française de Charles Guillemeau publiée à Paris en 1648 : sa numérisation sur Medica, avec cet ex-libris manuscrit, Bibliotheca facultatis Medicinæ Paris. ex dono M. Hyacinthi Theodori Baron ex decani 1755 [Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris, provenant d’un don de M. Hyacinthe-Théodore Baron, ancien doyen (1750-1754, v. note [49] de l’annexe sur le ms BIU Santé no 2007), 1755], est datée bien de 1648, mais contient, sous la même reliure, la Dissertatio medica [Dissertation médicale] de Jean iii Des Gorris concernant la controverse sur la purgation dans la pleurésie déclive, imprimée en 1656 (v. la fin de la note [14], lettre 430). Rien n’autorise à affirmer qu’il s’agit d’une pure coïncidence.

En 1660, Patin a aussi parlé (v. note [5], lettre latine 131) du projet avorté de René Moreau (mort en 1656), père de Jean-Baptiste, de rééditer et d’enrichir la thèse de Charles Guillemeau, en lui donnant le titre de « Méthode particulière, avec d’excellentes Observations pratiques. ».

8.

V. note [16] de l’observation vii, pour la plus flagrante de ces preuves.

Cinq mots dans la lettre à Charles Spon du 10 mars 1648, « et ce bien malgré moi » (v. supra notule {a}, note [2]) attestent du fait que Guy Patin ne mit pas la main à la version latine de la thèse.

9.

Tels sont, par exemple, dans la seule observation xi : Servilius Damocratès (v. sa note [4]), la léthargie (note [6]), Santes de Ardoynis (note [14]), Bernhard Dessen van Cronenburg (note [17]) et Ioannes Baptista Theodosius (note [18]).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Les 11 observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648)

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(Consulté le 19/04/2024)

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