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Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : ii  >

De l’antimoine [a][1][2]

Voici l’idole des chimistes [3] et de tous les souffleurs qui se mêlent de la médecine. Le savant Mercurial[4] qui fut en son temps l’honneur des médecins d’Italie, a nommé l’antimoine un médicament diabolique, de l’invention de Paracelse, [5] qui le mit au jour non pas pour purger, mais plutôt pour égorger les malades. [1] Assurément, les chimistes d’aujourd’hui ne sont pas plus fins ni plus habiles que ceux qui vivaient il y a soixante ans, qui est à peu près le temps auquel Mercurial écrivait et enseignait à Padoue [6] ces vérités importantes ; tellement que l’antimoine dont on use à présent, quelque subtile préparation qu’en puissent faire ces nouveaux et prétendus philosophes, est aussi bien poison qu’il fût jamais. Il y a 82 ans que la très illustre Faculté de médecine de Paris fut assemblée, l’an 1566, par l’autorité de Messieurs du Parlement, pour donner son avis sur l’antimoine, qui fut déclaré poison par un décret solennel. [2][7] Aussi l’est-il en effet, et je ne pense pas qu’il me soit difficile de le prouver ici, comme je me le propose, pour montrer combien il est dangereux de s’en servir en la médecine, puisque nous avons tant d’autres remèdes excellents, et qui sont tenus pour infaillibles contre toute sorte de maladies.

Premièrement donc, je tiens pour certain que les anciens Grecs n’ont point connu l’antimoine pour être purgatif[8] et que le tetragonum d’Hippocrate, [9] lib. de Morbis internis[10] ne fut jamais l’antimoine des chimistes d’aujourd’hui. Pour Galien, lib. 9 de Simpl. medic. facult., il se peut faire qu’il l’ait connu sous le nom de stimmi, ou stibium ; [11] mais il ne lui attribue qu’une faculté astringente, rafraîchissante et desséchante. Dioscoride, [12] cap. 59, lib. 5, ne reconnaît l’usage de l’antimoine qu’en tant que l’on s’en sert aux remèdes externes, à cause de son astriction ; [13] outre la propriété qu’il a d’empêcher les excroissances de la chair, de nettoyer les ordures des plaies et d’en procurer la cicatrice ; ce qui est encore le sentiment de Pline. [3][14] D’où je tire cette conséquence que pas un des Anciens n’a connu la faculté purgative de l’antimoine et qu’aucun d’eux, aussi, ne s’en est servi pour en purger les malades, car ils en ont tous usé tantôt comme d’un remède externe, tantôt comme d’un fard, et quelquefois même, ils l’ont pris pour un poison.

Les Grecs et les Arabes [15] lui ont donné divers noms qu’il n’est pas besoin que je rapporte ici. J’aime mieux parler de son essence, et dire que c’est un fossile ou, si vous voulez, un suc congelé, tel à peu près que la marcassite ou que la pierre de plomb. [4][16] Thomas Erastus l’appelle un mixte, participant de la nature du verre, et qui reluit comme lui. [17] Fallope le met au rang des fossiles, [18] qui tiennent de la nature du métal et de la pierre : du métal à cause qu’il se fond ; et de la pierre pource qu’il est friable et qu’il se peut mettre en poudre. À quoi j’ajoute que Cesalpinus, très docte Italien, [19] le séparant des métaux, le nomme une pierre semblable au plomb. [5] Que si quelqu’un me demande de quels lieux on tire l’antimoine, je lui répondrai : avec Pline, qu’il se trouve d’ordinaire dans les mines d’argent ; avec Matthiole[20] qu’il y en a en divers endroits d’Italie, surtout au territoire de Sienne, [21] outre qu’on en apporte beaucoup d’Allemagne à Venise, après avoir été fondu dans les forges et réduit en masses ; [6] avec Fallope, qu’on le tire quelquefois des mines d’argent et que, souvent même, dans sa veine propre, il ne se rencontre que de l’antimoine ; avec Ramnusius, dans sa Relation du voyage d’Afrique, qu’il s’en trouve abondamment au pied du mont Atlas, [22] du côté qui regarde le midi ; [7][23][24] et avec plusieurs autres auteurs, qu’en divers lieux d’Afrique, il y en a beaucoup dans les minières de plomb, d’avec lequel il est distingué par le moyen du soufre. Quant aux espèces d’antimoine, l’on en met de deux sortes, à savoir le mâle et la femelle, dont la dernière est préférable à l’autre, pour être plus luisante, plus friable et plus rayée. Les plus experts et les mieux versés dans les matières métalliques tiennent qu’il n’est point de meilleur antimoine que celui qui brille davantage, qui paraît le plus croûteux, quand il est rompu, qui n’a ni terre ni ordure quelconque et que l’on met aisément en pièces. [8][25][26] Pour ce qui est de l’ancienne façon de le préparer, elle n’est aujourd’hui en usage que parmi les orfèvres, les fondeurs, les potiers d’étain, les faiseurs de miroirs, et chez tels autres ouvriers qui, selon que leurs desseins sont divers, le préparent diversement aussi ; de quoi je donnerais des exemples s’ils n’étaient fréquents dans les écrits de plusieurs auteurs, principalement de Dioscoride et de Pline.

Depuis que l’antimoine a été introduit dans la médecine par les souffleurs de la damnable secte de Paracelse, [27] il n’est pas à croire en combien de façons ces maîtres fourbes l’ont accommodé ; car il se voit tous les jours que, pour le bien préparer, à ce qu’ils disent, ils font des efforts pour en tirer les fleurs, [28] le verre, [29][30] le régule, [31] le soufre, [32] et ainsi du reste. Tantôt ils le calcinent diversement ; tantôt ils en font ce qu’ils appellent en leur jargon Crocus metallorum, ou foie d’antimoine ; [9][33][34] tantôt ils en tirent le régule, tantôt ils le rendent diaphorétique, [35] tantôt ils en font un bézoard minéral, [10][36] et tantôt ils le déguisent en d’autres façons étranges, dont les exemples se peuvent voir dans les écrits de Béguin[37] de Quercetanus[38] de Crollius [39] et de semblables architectes du plus pernicieux de tous les métiers. Mais quelque teinture que s’étudient de lui donner les plus célèbres chimistes d’Allemagne, d’Italie et d’Angleterre, toutes les préparations qu’ils font de cette drogue, enchérissant à l’envi les uns sur les autres, sont très dangereuses, puisque la mort s’en ensuit en la plupart de ceux qui en prennent. [40] Eux-mêmes aussi ne peuvent s’empêcher d’avouer que l’antimoine donné en substance, quelque bien préparé qu’il soit, est toujours pernicieux et nuisible, pour la vénénosité qu’il retient, sans qu’il leur soit possible de l’effacer par les degrés mystérieux de leur feu chimique. Je dirai bien plus encore : c’est que l’usage de la seule infusion qui s’en fait n’est non plus assuré que le reste, puisque partout où l’antimoine se mêle, il y a qualités vénéneuses, et du poison même.

D’alléguer au reste qu’il y ait en lui quelque faculté purgatrice, c’est vouloir démentir les plus célèbres auteurs. Dioscoride, lib. 5 cap. 83, Pline et Galien, lib. 6 de San. tuen.[3] n’en parlent que comme d’un remède altératif, et Mercurial, lib. 2 de Compos. medic., cap. 8[1] avoue que les Anciens n’usaient du tout point d’antimoine à purger les corps, mais seulement pour embellir les yeux et pour noircir les soucils. Depuis ce temps-là, les orfèvres et les fondeurs de métaux l’ont employé dans leurs ouvrages, ayant reconnu qu’il se pouvait fondre par la force du feu, comme, en effet, il contient en soi quelque partie sulfurée ; d’où vient qu’il sent le soufre, principalement quand il est brûlé. En lui se cachent encore je ne sais quels atomes d’argent, qui sont comme imperceptibles et que le feu est seulement capable de séparer. Davantage, il participe fort de la nature du mercure ou du vif-argent en diverses choses, [41] et particulièrement en ce qu’il arrache de tout le corps, avec une prompte violence, quantité d’humeurs différentes, crasses, visqueuses, lentes, séreuses, et liquides, tant par en haut que par en bas. Lui seul aussi purge tous les métaux ensemble de toute sorte d’ordures ; principalement l’or, dont il sépare le cuivre, et qu’il purifie sans aucun déchet et sans l’altérer en rien ; au lieu qu’il corrompt et détruit tous les autres métaux. Mais il ne faut pas oublier surtout qu’il a une merveilleuse affinité avec le plomb, et même qu’apparemment, il en est la matière car il se convertit en lui, dont il semble faire une quatrième espèce, comme Cardan le remarque, lib. 5 de Subt. ; [11][42] ce qu’on reconnaît visiblement quand on le cuit dans un vaisseau de terre. À raison de quoi, Grévin, savant médecin de Paris, lib. 2 de Venenis, cap. ult. quod est de Stibio, tient que l’antimoine étant de la nature du plomb, en qui il se transforme, ayant même faculté que lui, doit par conséquent être mis au rang des venins et des poisons mortifères. [12] Ceux qui font des cloches, pour leur donner un son plus retentissant et plus agréable à l’ouïe, ont accoutumé, durant la fonte, d’y mêler quelque portion d’antimoine ; comme encore les miroitiers ou polisseurs de miroirs. À quoi j’ajoute que, par ce mélange, les potiers d’étain trouvent que leur vaisselle approche du son de celle d’argent. Ces ouvriers-là demeurent d’accord que l’antimoine hâte la fonte de tous les métaux quand il y est mêlé ; d’où vient que ceux qui font des boulets pour le canon et pour les autres armes à feu y ajoutent de l’antimoine, sans lequel ils ne pourraient fondre le fer, selon le rapport de Matthiole. [13] De toutes lesquelles propriétés et de ces effets que je viens d’alléguer, Messieurs les chimistes tirent cette belle conséquence que l’antimoine servant à nettoyer, à déterger et à purger les métaux, principalement l’or, peut servir de même à purifier le sang, ainsi qu’ils parlent en leur jargon, et à purger les humeurs de notre corps ; comme s’il y avait une vraie et légitime proportion entre l’épurement des métaux et la purgation du corps humain ; ou comme si ce qui purge l’un devait être employé à purger l’autre. De même, ces nouveaux naturalistes, toujours enfumés, pour n’avoir jamais étudié que sur leur creuset, à la vapeur du charbon, et qui, bien souvent, à force de le souffler, ont réduit en cendre le patrimoine d’autrui et le leur propre, s’ils en ont jamais eu, se font accroire, tant ils sont vains, d’être les seuls philosophes qui, d’un esprit clairvoyant, pénètrent jusque dans les plus secrets mystères de la Nature. Mais jugez un peu, je vous prie, s’ils ne raisonnent pas bien, si leur conclusion est en bonne forme et si elle n’est pas appuyée des fondements d’une logique préférable à celle d’Aristote : [43] l’antimoine, disent-ils, purge l’or, purifie les autres métaux, sert à les fondre, donne un son retentissant aux cloches, aide à la fonte du fer et à faire des boulets de canon ; donc, il est bon et fort propre à purifier les humeurs du corps humain ; donc, il mérite d’être appelé cette médecine universelle et ce grand secret de la Nature, en vain jusques ici recherché par tant de monde, pour purger avec assurance toute sorte de mauvaises humeurs en toutes les maladies, et quelque endroit du corps qu’elles se rencontrent. Ne voilà pas bien débuter [14] pour des gens si raffinés, qui enchérissent, à ce qu’ils disent, sur toute la philosophie des Anciens, et qui veulent impudemment faire passer Hippocrate, [44] Platon, [45] Aristote et Galien [46] pour des rêveurs, à cause qu’ils n’ont pas été, comme eux, alchimistes, c’est-à-dire vendeurs de fumée ?

Or, sans m’amuser à considérer ici l’antimoine comme cru et tel qu’il a été connu des Anciens, il me suffit de le prendre au sens des chimistes, contre lesquels je soutiens que ce qu’ils appellent antimoine préparé est un vrai poison dont il ne faut nullement user en médecine pour la guérison des maladies. Il n’en est pas de même de l’antimoine cru, qui n’empoisonne jamais personne ; de sorte que nous appelons seulement poison et prétendons être tel celui que les chimistes préparent et dont ils se servent tous les jours, après qu’il a passé par leurs fourneaux, pour en tuer inhumainement les pauvres malades qui leur demandent secours. Le docte Mercurial, lib. 2 de comp. medic. cap. 8, dit qu’il y a environ cent ans que Paracelse commença d’user de ce médicament diabolique, non pas pour purger les corps, mais pour égorger les hommes. La dose en laquelle ils le donnent est depuis deux grains jusqu’à quatre ; Mais je vous conseille, conclut-il, de n’user jamais de cette drogue pource que, encore qu’elle semble servir quelquefois, on voit néanmoins fort peu souvent ceux qui en réchappent, dont le nombre est fort petit, parvenir à une première vieillesse. Ce que démontre encore Thomas Erastus par divers exemples produits en termes exprès contre Paracelse ; outre que j’ai vu moi-même plusieurs fois mourir misérablement ceux qui en avaient usé ; et voilà ce qu’en écrit Mercurial. [15] Ioannes Crato[47] qui a eu l’honneur d’être premier médecin de trois empereurs qui ont régné tout de suite en Allemagne, pays natal de Paracelse et de la plupart des chimistes qui l’ont suivi, au conseil qu’il donne pour se garantir de la peste[48] parle ainsi de l’antimoine : [16] Puisqu’il est certain que les corps diffèrent extrêmement les uns des autres, soit en leur tempérament, soit en leurs propriétés individues, je désire qu’un chacun soit averti que, pour se préserver de la peste, il faut avoir recours aux plus habiles médecins, tant sur le fait de la saignée que de la purgation, et non pas à ceux qui, non moins imprudemment que témérairement, donnent en tel cas de l’antimoine et du précipité, [17][49] sous prétexte qu’ils purgent tout le corps et que, même, ils en tirent toute sorte d’impuretés. Je sais bien que quelques-uns se persuadent que l’antimoine est un singulier alexipharmaque contre la peste ; mais d’autant qu’il ne diffère pas beaucoup de l’arsenic, [50] que la Nature l’abhorre comme un poison et qu’il tire les bonnes humeurs autant que les mauvaises, il se peut faire que, dans une si violente agitation de tout le corps, et une si grande évacuation que fait l’antimoine par haut et par bas, la Nature soit quelquefois soulagée jusque là-même que la pourriture qui cause la peste diminue par le fort desséchement que tout le corps en reçoit. Mais, pour tout cela, je ne croirai jamais que ce remède ne soit extrêmement dangereux ni qu’il se puisse donner à tout le monde avec assurance, étant véritable et très certain que l’antimoine et le précipité sont deux poisons pestilents et tout à fait dommageables. Que si l’on m’allègue que quelques-uns (bien qu’en fort petit nombre), pour en avoir pris, n’en sont pas toutefois morts, il ne s’ensuit pas de là pourtant qu’il en faille donner à tout le monde. C’est tout ce que j’ai à dire là-dessus en faveur de ceux qui sont dignes de cet avertissement, pour en faire leur profit. Et voilà ce qu’est l’avis de Craton.

Henricus Smetius in Miscell. medic. [51] reconnaît en l’antimoine une qualité violente, vénéneuse, et si ennemie de l’estomac que ce n’est pas sans danger qu’il vide par haut et par bas tout ce qui est dans le ventricule, [52] ou qui joint les parties voisines, étant le plus pernicieux de tous les vomitifs, après le précipité. [18]

Thomas Erastus, premier professeur en médecine à Heidelberg, lib. de occult. phar. Potest. cap. 65 et 66[5] dit que l’antimoine lui est d’autant plus suspect qu’il semble approcher de la nature du verre et que, provoquant le vomissement avec violence, il purge indifféremment toute sorte d’humeurs, bonnes et mauvaises ; qu’ainsi agissant par une qualité vénéneuse, commune et maligne, plutôt que par aucune vertu particulière, ses effets sont vénéneux et tellement ennemis de nos corps que, pour en troubler toute l’économie, il ne faut qu’une petite quantité de cette drogue homicide. Le même auteur ajoute à cela que les plus fins d’entre les chimistes n’attribuent cette malignité qu’à ce qu’ils appellent verre d’antimoine, sans avouer le même des autres préparations, qu’il soutient néanmoins être naturellement mauvaises, comme tirées d’une très mauvaise cause ; d’où il conclut que ceux-là ne sont point médecins, mais cruels et impitoyables bourreaux, qui donnent à leurs malades de l’antimoine, de quelque façon qu’il soit préparé.

Jacques Grévin, lib. 2 de venen. cap. ult., cité ci-dessus, après avoir prouvé clairement que l’antimoine est un venin, avertit les magistrats de prendre bien garde à ceux qui en donnent, n’y ayant point de poison avec lequel on puisse plus finement et plus couvertement tuer une personne, soit en quantité, soit en qualité, puisqu’il n’en faut que la grosseur d’un pois pour lui ôter la vie, et que d’ailleurs, pour être insipide et sans odeur, il peut être mêlé facilement dans un bouillon ou dans du vin et des confitures. [19]

Notre grand Fernel, honneur de la Faculté de Paris et premier médecin du roi Henri ii[53][54] lib. 5 meth. med., cap. 14[55] après avoir rapporté plusieurs remèdes purgatifs qu’il dit avoir été abolis, ou comme superflus, ou comme nuisibles, met l’antimoine au nombre de ceux qui mettent la Nature en désordre. [20] Louis Duret[56] à bon droit nommé le Génie d’Hippocrate, pour avoir été, comme il est encore, une des plus vives lumières de l’École de Paris, nomme l’antimoine des chimistes un remède pernicieux et pestilent ; de quoi demeurent d’accord encore les plus savants hommes des autres écoles, et particulièrement M. Ranchin[57] médecin de Montpellier, en son traité de la lèpre, Opusc. pag. 473, où il avoue que l’antimoine est un médicament violent, délétère et vénéneux ; ce qu’il confirme aussi dans sa Pharmacie, pag. 937[21] Petrus Monavius, Ep. Medic. pag. 312, est encore de ce même avis en ses Épîtres médicinales où, parlant de l’antimoine : C’est, dit-il, un médicament purgatif, venimeux, malin et mortel ennemi de la Nature, à quoi sert de preuve cette violente émotion de tout le corps avec laquelle il purge par haut et par bas, bien qu’on n’en ait pris qu’en fort petite quantité. J’omets les accidents très cruels qui s’en ensuivent, comme la subversion du ventricule, la perte de l’appétit, la diminution des forces ; le mauvais pouls, les éblouissements, la surdité, l’aveuglement, les tranchées insupportables, et autres événements pareils ; d’où il se voit que, de quelque façon qu’il soit préparé, il n’est aucunement à propos d’en user, vu que telles préparations ne diminuent en rien sa malignité, et qu’au contraire, elles l’augmentent encore davantage par le feu dont se servent ordinairement ceux qui le préparent[22][58] Ferdinandus Epiphanius[59] savant médecin italien, in Theor. med. et philos. pag. 270, après avoir bien examiné la nature et les qualités de l’antimoine, conclut que toutes les préparations des chimistes ne sauraient empêcher que ce soit un poison très dommageable ; sur quoi, il rapporte que les médecins de Naples l’appellent Antimonium plusquam Dæmonium, c’est-à-dire une drogue plus dangereuse et plus maligne qu’un démon, pour les cruels accidents qui en arrivent ; d’où il conclut qu’un médecin sage et craignant Dieu ne s’en doit jamais servir pour six raisons qu’il allègue, qui me semblent ne pouvoir être réfutées. [23]

Caspar Hofmannus[60] médecin des plus savants d’Allemagne et premier professeur en l’Université de Messieurs de Nuremberg, qui est à Alrdorf[61] soutient dans un livre qu’il a fait, de Medicam. Officin. cap. 90 lib. 3 de Stibio, que l’antimoine est toujours poison, de quelque sorte qu’on le prépare, et que l’infusion même en est vénéneuse. Il en dit autant en un autre endroit, cap. 18, lib. 1 eiusd. op. p. 42, où il l’appelle le Crocus Metallorum, qui est l’antimoine préparé, un venin minéral, plus dangereux, de beaucoup, que les purgatifs qui sont tirés des végétaux. Outre ceci, dans la préface de ce même livre, pleine d’invectives très justes contre les remèdes métalliques des chimistes et contre leurs diverses préparations, qu’ils fortifient de termes nouveaux pour mettre à couvert leur ignorance, il appelle leur mercure de vie, mercure de mort, et le safran des métaux, safran diabolique. En suite de quoi, il réfute judicieusement les grands abus que commettent les chimistes lorsqu’ils se servent d’une médecine toute métallique, au mépris des végétaux ; en cela, certes, d’autant plus malicieux qu’ils ne peuvent ignorer que leur usage ne soit très innocent, très utile au public et incomparablement plus assuré que les faux remèdes de tous ces ouvriers de mort, qui les composent de vif-argent, de vitriol [62] ou d’antimoine, suivant les préparations diverses que Paracelse, Crollius, Quercetanus, Turneiserus, [63] Béguin et autres souffleurs très ignorants ont enseignées. [24]

Après de si puissantes autorités que je viens de rapporter contre l’antimoine, n’est-il pas à croire que si quelqu’un en évite la malignité, il en doit plutôt remercier la Fortune [64] que l’art ou l’adresse des charlatans qui le distribuent ? Ainsi le reconnaît, avec les auteurs déjà cités, le savant Cornelius Gemma, professeur de médecine à Louvain ; [25][65] et ainsi l’avouent plusieurs plusieurs chimistes mêmes, tels que sont Duncanus Bornettus, de Præparat. medicam. chym. p. 89 ; [66] Josephus Quercetanus, lib. de Medic. spag. præp. cap. 10 ; [26] Angelus Sala, de Anatomia antimonii, cap. 3 ; [27][67] Alexander à Suchten, [68] de Secret. antim., cap. 2 ; [28] Hieronymus Reusnerus, [69] de Scorbuto, exercit. 7 ; [29] et infinis autres dont je ne parle point ici pour n’être ennuyeux.

Mais à tant de témoignages irréprochables, tirés des meilleurs auteurs, je veux ajouter de fortes preuves et des raisons invincibles pour montrer que cette drogue ou, pour mieux dire, ce poison est nuisible au dernier point et inutile, par conséquent, pour être fait médicament purgatif. Les raisons que j’ai à produire sont les suivantes.

i. L’antimoine des chimistes est un nouveau remède que Paracelse a mis en usage au dernier siècle ; tellement qu’il ne faut pas douter qu’on ne le doive tenir pour suspect, soit pour sa nouveauté, soit pour ses mauvais effets, que je ne répète point, pour en avoir amplement parlé ci-dessus.

ii. L’expérience fait voir que ceux qui en usent hâtent leur mort par la violence de ce poison, qui agit rarement sans qu’il y ait ou rupture de quelques vaisseaux, ou exulcérations des intestins ou du ventricule. [30] Qui peut donc douter qu’il ne soit vénéneux et nuisible ?

iii. L’antimoine tient de la nature du plomb et en est aussi une espèce, qui a la même force que lui quand on le brûle ; d’où il faut conclure, avec Grévin, qu’il doit être mis au nombre des poisons. [31] Comme en effet, en le cuisant, il se convertit en plomb, il s’ensuit de là qu’il est plus vénéneux que le plomb même, pour être d’une matière plus inégale et moins compacte, ainsi qu’il se prouve facilement par la vilaine senteur et la puante fumée qui s’en exhale lorsqu’on le brûle, de laquelle il faut bien se prendre garde, comme remarque Béguin, lib. 2 de Calcinat. Antimon. ; [32] et partant, il est effectivement poison.

iiii. Nous appelons poison tout ce qui, étant une fois entré dans le corps, force à tel point la Nature qu’il la surmonte et la détruit enfin, tant par la dissipation de la chaleur naturelle que par la consomption [70] des esprits. Or est-il que l’antimoine fait tout cela et que, par ses opérations contagieuses, il se découvre mortel ennemi des principes de la vie. Donc il est poison, et très dommageable.

v. Dioscoride, Pline et tous les autres bons auteurs demeurent d’accord que c’est un poison que l’argent-vif, de la nature duquel l’antimoine approche tout à fait et, par conséquent, de ses qualités naturelles ; ce qu’on reconnaît à cause qu’il gagne le haut comme lui, [33] qu’il produit les mêmes effets en beaucoup de choses et que, d’ailleurs, s’il n’avait les qualités de l’argent-vif, il ne purgerait point, comme il fait, avec précipitation et violence, par haut et par bas, tant de sortes d’humeurs différentes, crasses, lentes, visqueuses et séreuses. L’antimoine est donc venin ou, du moins, une drogue vénéneuse.

vi. Bien que l’antimoine ne soit point exactement rendu verre par les souffleurs, si est-ce [34] qu’on ne peut nier qu’après qu’il est préparé par eux, il n’ait une grande affinité avec le verre. Comment donc la chaleur naturelle du corps humain peut-elle délayer et dissoudre cette dureté du verre et la siccité qui lui est naturelle ? Il faut néanmoins que cela se fasse en chaque médicament avant qu’il attaque les mauvaises humeurs pour les chasser ; autrement, il dégénérerait en venin. Que si cette raison, bien que certaine et indubitable, ne peut satisfaire à l’obstination des chimistes qui, de peur d’en être convaincus, ne la veulent pas comprendre, qu’ils cèdent au moins au jugement des sens et que l’expérience l’emporte. Pour la rendre indubitable, l’on n’a qu’à faire avaler à un chien du verre subtilement broyé, qui produira dans le corps de cet animal les mêmes effets que l’antimoine préparé produit d’ordinaire ; d’où vient que Thomas Erastus n’assure pas sans raison que l’antimoine lui est très suspect, pour être participant de la nature du verre. [5]

vii. De dire que l’opération de l’antimoine se fait avec trop de précipitation et de violence, ce n’est nullement en faire accroire, puisqu’il se voit par épreuve que, dans une demi-heure ou environ, il tire du corps une grande quantité de sérosités et cause, en même temps, d’horribles symptômes, voire plus étranges, que ne fait aucune autre sorte de poison, quand même il serait pris en grande quantité, et qu’il y aurait aussi du mercure mêlé parmi.

viii. L’antimoine évacue, indifféremment et sans aucun triage, toute sorte d’humeurs, bonnes et mauvaises ; mais il fait vider surtout par haut et par bas beaucoup de sérosités, par un effort excessif et qui fatigue cruellement le malade ; tellement que, pour empêcher un si mauvais effet, aucun chimiste jusques ici n’a pu, avec toute son industrie, réduire ce beau remède à suivre le mouvement ou de la Nature, ou des humeurs, ou de la maladie. Car, étant donné sans distinction en toutes sortes de maladies, en tout temps, en tout âge et en tout sexe, il déploie incontinent ses forces, attaque sans aucun choix toutes les humeurs et agit si rudement sur les séreuses qu’il les tire aussi tôt d’un corps tabide [71] que d’un hydropique, [72] d’un sain que d’un malade, et d’un bilieux [73] que d’un mélancolique [74] ou d’un pituiteux, [75] s’attachant toujours aux sérosités, sans tirer l’humeur la plus aisée à vider. Comment donc les chimistes osent-ils impudemment assurer qu’il tire et purge l’humeur peccante ? La santé ne consiste-t-elle pas en un parfait tempérament des humeurs ? Cela étant, est-il possible que l’antimoine ne renverse pas cette symétrie naturelle lorsque, avec autant de précipitation que de violence, il fait sortir et vider, avec l’humeur peccante, toutes les autres humeurs qu’il rencontre ?

ix. Un médecin, s’il est sage, ne se doit servir, à purger ses malades, d’aucun remède dont il ne soit maître. Or est-il que personne ne peut maîtriser ni retenir l’antimoine depuis qu’une fois il est entré dans le corps ; car il est de lui comme d’un torrent impétueux à qui l’on oppose en vain quelque digue, puisqu’il l’emporte aussitôt par violence et par la rapidité de son cours.

x. La dernière raison que j’ai à produire est que les fondements des chimistes ne sont pas moins faibles que leurs défenses car, en premier lieu, ils disent que les Anciens, parlant des venins, n’ont fait aucune mention de l’antimoine, bien qu’après tout, pour le soutenir, ils n’apportent aucune autorité qui soit valable. Ils ajoutent à cela l’expérience de quelques particuliers qui sont réchappés d’en avoir pris et à qui ce poison a fait grâce de la vie ; mais tous ces fondements sont ruinés par Jacques Grévin, médecin fameux, lib. 2 de Venen. ca. ult. quod est de Antim.[35] dont j’ai parlé ci-devant. Que les chimistes cessent donc de vanter un si malheureux remède s’ils ne désirent pas que l’on croie qu’en faisant l’éloge de l’antimoine (quoiqu’il ne serve qu’à tuer le monde), comme quelques peuples l’ont fait autre fois de la fièvre quarte, jusques à lui dresser des autels, [36][76] ils veulent que l’on loue aussi la surdité, l’aveuglement, le rhumatisme, le crachement de sang, la paralysie, la goutte, et tels autres accidents funestes que ce poison cause et qui, par des sentiers effroyables, conduit à la mort ceux qui en usent.

Je sais bien, Messieurs les empiriques, [77] que, suivant votre coutume, vous alléguez pour réponse à ce que je viens de mettre en avant certaines raisons frivoles, et qui ne sont pas moins impertinentes que vous êtes ridicules et dignes de pitié tout ensemble. Je sais, dis-je, qu’à la fin vous m’avouerez que l’antimoine est un poison de soi, que les préparations qui en ont été faites jusques ici n’ont pu détruire ses qualités vénéneuses ; que peu de gens sont capables de les corriger, et même de le donner comme il faut, peu de malades propres à le prendre et peu de maladies convenables aux effets qui s’en ensuivent ; qu’avec tout cela, néanmoins, vous ne laisserez pas d’assurer que (et voici l’écueil où vous faites naufrage) c’est un excellent remède quand il est préparé d’une certaine façon particulière, que le commun des chimistes n’entend pas et qui est comme une connaissance infuse d’en haut aux véritables artistes. Mais, ô les plus fourbes de tous les hommes ! êtes-vous donc si peu charitables que de vouloir tenir cachée une chose que vous croyez devoir être si salutaire à tout le public ? D’où vient que vous l’en frustrez inhumainement et que, la médecine étant un don de Dieu, vous ne daignez en faire part à ses créatures ? Hippocrate et Galien, bien que païens, en ont-ils usé de cette sorte ? Nenni sans doute, et votre silence m’oblige à dire que vous ne pouvez comme eux faire des largesses de science ni donner, encore moins, ce que vous n’avez pas et ce que vous n’eûtes jamais. Car, de nous vouloir persuader que, par une particulière révélation, vous possédez le mystérieux secret de préparer l’antimoine, dont vous faites votre grand œuvre, de vouloir, dis-je, nous faire accroire que vous avez apprivoisé ce Lion furieux (terme dont vous usez ordinairement), c’est n’être pas moins visionnaires que vos confrères les chercheurs de la pierre philosophale ; [78] ou si vous voulez encore, c’est imiter leur beau jargon, quand ils se vantent d’avoir dompté le lion vert par une force extraordinaire, qui n’est donnée qu’aux seuls enfants de la science. [37] Mais à Dieu ne plaise que nous soyons si fous que d’ajouter foi à toutes ces belles fables, ni que vous soyez si éloquents aussi que de nous les faire prendre pour des vérités indubitables. Que ne dites-vous plutôt (et vous ne mentirez pas) qu’il n’y a que fourberies et qu’impostures en tout ce que vous contez de votre antimoine ? qu’assurément vous n’en avez point d’autre préparation que celle de Crollius ou de Béguin et de Semini, [38][79] qui ont dupé tant de monde, et sur l’adresse desquels vous enchérissez par une tromperie qu’on peut nommer salutaire ? Car ceux d’entre vous qui ont quelque étincelle de jugement ou tant soit peu de conscience, ayant à traiter des corps qu’ils jugent trop faibles pour être à l’épreuve de leur remède, et qu’ils ne veulent pas tuer, leur donnent de la poudre Cornacchini[39][80] ou telle autre drogue, qu’ils font passer néanmoins pour antimoine, afin que l’on croie, tant ils sont vains, qu’ils ont en effet apprivoisé cette bête enragée.

Ce sont les beaux tours de souplesse et les secrets stratagèmes dont vous avez accoutumé d’user méchamment, pernicieux empiriques, afin qu’avec une malice aussi noire qu’elle est insupportable, pour la vanité qui s’y trouve jointe, vous persuadiez aux esprits crédules que, du plus contagieux de tous les poisons, vous en tirez le plus excellent de tous les remèdes. Mais si vous prenez bien garde au mal que vous faites, vous trouverez qu’il est du nombre des plus grands crimes que vous sauriez jamais commettre, car vous êtes cause qu’à votre exemple, les autres charlatans, [81] vos semblables, donnent impunément de l’antimoine aux pauvres malades, et qu’avec ce poison, ils font une infinité d’homicides, dont vous répondrez un jour devant Dieu. Amendez-vous donc, si vous me voulez croire ; sinon, assurez-vous qu’avec toutes vos finesses, quand bien < même > elles seraient capables de vous garantir des châtiments d’ici-bas, vous ne pourrez éviter les foudres vengeurs de la justice divine. [40][82][83]

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a.

Méthode d’Hippocrate, Observation ii, pages 46‑63.

1.

Hieronymi Mercurialis Medici hac tempestate clarissimi Tractatus, de Compositione Medicamentorum, de Morbis Oculorum et Aurium. Ipso prælegente olim Patavii diligenter excepti. Et nunc primum a Michaele Columbo Philosopho et Medico editi. Cum indicibus copiosissimis

[Traités de Girolamo Mercuriali, {a} le médecin le plus distingué de son temps, sur la Composition des médicaments, et sur les Maladies des yeux et des oreilles. Il les a lui-même tirés des leçons qu’il a jadis données à Padoue. Publiés pour la première fois par Michael Columbus, médecin et philosophe. Avec de très riches index]. {b}


  1. V. note [16], lettre 18.

  2. Venise, Junte, 1601, in‑4o.

L’attaque contre l’antimoine se trouve dans le livre ii, chapitre viii, De vehementer purgantium dosi [Sur la dose des médicaments qui purgent puissamment] (page 59 vo) :

Antimonio quod stybi vocabant veteres non usi sunt maiores nostri ad purganda corpora, sed solummodo ad ornandos oculos, ad denigranda supercilia, unde Galenus 6. de val. tuen. 12. appellat mulieres στυβιτζσας quæ oculos colebant antimonio, id quod etiam habetis apud Clementem Alex. in lib. Pædagogi. Tempore nostro Theoph. Paracelsus primus cœpit uti hoc diabolico medicamento non ad purganda corpora, sed ad jugulandos homines.

[Nos aînés n’ont pas employé l’antimoine, que les Anciens appelaient stibium, pour purger le corps, mais seulement pour parer les yeux en noircissant les sourcils ; ce qui fait que Galien, au chapitre xii, livre ii de la Protection de santé appelle stibiées les femmes qui se paraient les yeux d’antimoine, {a} comme vous verrez aussi chez Clément d’Alexandrie, dans le livre du Pédagogue. {b} Dans notre siècle, Théophraste Paracelse a le premier commencé à employer ce médicament diabolique, non pour purger les corps, mais pour égorger les hommes].


  1. Dans ce livre, Galien a employé un mot grec différent du bizarre stubitzsas transcrit par Mercuriali (Kühn, volume 6, page 439) :

    Oculis vero ipsis robur adjicies, si sicco collyrio, quod ex Phrygio lapide componitur, utare, ac sic palpebris specillo inducas, ne oculi membranam intus contingas : ita namque mulieres quotidie faciunt [στιμμιζομεναι γυναικες], quum stibio oculis gratiam conciliant.

    [Vous renforcerez les yeux si vous utilisez le collyre sec, qu’on tire de la pierre de Phrygie (alun), en l’appliquant sur la conjonctive palpébrale à l’aide d’une sonde de chirurgien, afin qu’il n’entre pas en contact direct avec la conjonctive bulbaire, comme font tous les jours les femmes stibiées (stimmizomenaï gunaïkes) quand elles s’embellissent les yeux avec de l’antimoine].

    Galien a aussi parlé d’antimoine pour les yeux dans son traité des Médicaments simples, v. note [11], lettre latine 38.

  2. Clément d’Alexandrie (saint et Père de l’Église grec du iie s.) a fustigé la vanité du maquillage, mais sans parler d’antimoine, dans Le divin Maître ou le Pédagogue, livre ii chapitre x, § l :

    « Si donc Dieu condamne tout ce qu’il peut y avoir de superflu dans la manière de se vêtir et de se nourrir, de quel œil doit-il regarder l’amour immodéré des vaines parures, les couleurs d’étoffe vives et variées, les pierreries, les métaux précieux et artistement travaillés, et cet artifice des cheveux tressés et bouclés ? Que ne doit-il pas dire encore du fard dont on teint les yeux et les joues, des poils que le caprice arrache, et de toutes ces préparations et artifices trompeurs et criminels ? »


2.

V. note [8], lettre 122, pour ce décret prononcé par la Faculté de médecine de Paris le 30 juillet 1566, sous le décanat de Simon i Piètre.

3.

V. notes :

Pour le chapitre lix, De l’Antimoine, livre v des huit livres de la Matière médicale de Dioscoride, comme pour les autres mentions de cet ouvrage dans la présente observation, j’ai recouru à la traduction française avec les commentaires de Matthiole (Lyon, 1579, v. note [42], lettre 332). Dioscoride considérait en effet l’antimoine comme un pur remède externe (page 740, lignes 3‑10) :

« Il a vertu de restreindre, étouper {a} les conduits du corps, de refroidir les excroissances de chair, cicatriser et mondifier les ulcères et ordures des yeux ; il arrête le sang coulant des pannicules du cerveau. {b} En somme, il a les mêmes propriétés que le plomb brûlé. Particulièrement, il empêche que les brûlures de feu ne s’élèvent en vessies, {c} mis dessus avec graisse fraîche ; avec cire et peu de céruse {d} < il > cicatrise les exulcérations qui ont croûte. »


  1. Boucher.

  2. Méninges.

  3. Phlyctènes (cloques).

  4. Blanc d’Espagne (carbonate de plomb).

Pline l’Ancien a décrit les mêmes emplois de l’antimoine au chapitre xxxiv, livre xxxiii de l’Histoire naturelle (Littré Pli, volume 2, page 416).

4.

Marcassite (du mot arabe markazat, pyrite) : « minéral métallique dont il y a beaucoup d’espèces, car toutes les pierres qui contiennent un peu ou beaucoup de métal, sont appelées de ce nom ; mais on entend ordinairement par marcassites, trois espèces de minéraux métalliques, appelés marcassite d’or, marcassite d’argent et marcassite de cuivre. Les deux premières sont en petites boules, grosses comme des noix, presque rondes, pesantes, de couleur brune en dehors ; elles diffèrent en dedans par leurs couleurs, car l’une a la couleur d’or, et l’autre, celle d’argent, toutes deux luisantes et brillantes. La marcassite de cuivre est grosse comme une petite pomme, ronde, ou oblongue, brune en dehors, jaune et cristalline en dedans, brillante, luisante, facile à rouiller. Les marcassites sont tirées des mines métalliques ; elles contiennent beaucoup de soufre et de sel vitriolique, principalement celles de cuivre » (Trévoux).

V. infra note [31], pour la ressemblance de l’antimoine avec la marcassite de plomb.

5.

Deux chapitres du livre De occultis pharmacorum potestatibus : quid, et quotuplices ea sint : quibus in morbis, quomodo, quando, quem in curationibus usum habeant : Authore Thoma Erasto, Heidelbergensis Scholæ professore… [Des pouvoirs occultes des médicaments : quels et combien ils sont ; dans quelles maladies, quand, comment et lesquels ont une utilité dans les traitements. Par Thomas Éraste (v. note [31], lettre 60), professeur en l’Université d’Heidelberg…] (Bâle, Petrus Perna, 1574, in‑4o) traitent de l’antimoine :

Gabriel Fallope (v. note [16], lettre 427) a consacré le chapitre xxix de son Tractatus de fossilibus [Traité des fossiles] à l’antimoine ; pages 154 ro‑156 ro de son livre De Medicamentis aquis, atque de Fossilibus Tractatus pulcherrimus, ac maxime utilis : ab Andrea Marcolino Fanestri medico ipsius discipulo amantissimo collectus [Très beau et utile traité des eaux médicamenteuses et des fossiles ; recueilli par son élève bien-aimé, le médecin Andrea Marcelino Fanestri] (Venise, Jordan Zilettus, 1563, in‑4o), avec ces remarques sur sa nature et son origine :

Medicamentum hoc tot modis vocatum connumeratur ab aliquibus inter metalla, et una ratio qua moventur est quia eliquatur ab igne, ut alia metalla. Secunda ratio est quia facillime commiscetur cum metallis, ut cum stanno, ære, et reliquis. Addunt tertio quod facit ad eliquationem metallorum durorum : nam isti, qui conficiunt globos et orbes ferreos, pro tormentis, bombardas vocant vulgo, solent, quando huiusmodi pilas volunt conficere, admiscere aliquid antimonii, ut ferrum facilius eliquetur : et ita eliquatio stibio, eliquatur et ferrum. Ex his igitur omnibus colligunt, stibium esse metallicum, unde notate etiam errorem Excellentissimi præceptoris mei Brasav<o>li, qui voluit antimonium esse plumbum, et quidem diversi generis, quoniam non eliquatur, ut aliud plumbum ; præterea, quia stibium est friabile, et pulverizatur : alius autem plumbum non pulverizatur. Sed et ipse, et ii, qui putant antimonium esse metallum, errant ; nam stibium est de genere fossilium, quæ sapiunt naturam et metalli, et lapidis, quatenus enim liquatur, ut metalla, sapit naturam metallorum ; quatenus autem friabile, est de genere lapidis. Oriebant antiquitus stibium in Bithinia, prope Chalcedonem urbem ; et inde copiosum et optatissimum deferebant. Nunc autem copiosam satis habentur in agro Senensi in comitatu Sanctæ Floræ prope Castellum Selvenam vocatum, et prope Massam oppidum. Sed quicquid juius medicamenti habentur Venetiis ; defert ex Germania, ubi sunt fodinæ abundantes hac materia.

[Certains classent ce médicament, auquel on donne des noms si divers, parmi les métaux. La première raison qu’ils avancent est qu’on le liquéfie par le feu, comme les autres métaux ; la seconde est qu’il se mélange très facilement avec les métaux, comme l’étain ou le cuivre, et tous les autres ; ils ajoutent, pour troisième raison, qu’il durcit les métaux en fusion, et ceux qui fabriquent des balles et des boulets de fer, pour les machines de guerre qu’on appelle des bombardes, quand ils veulent façonner de tels projectiles, ont l’habitude d’y mêler un peu d’antimoine pour fondre plus aisément le fer ; ainsi la fusion avec de l’antimoine aide-t-elle à celle du fer. Pour tous ces motifs, l’antimoine est donc de nature métallique. Remarquez, au passage, l’erreur de mon excellent maître Brasavola {a} quand il voulait que l’antimoine fût du plomb, mais d’une variété différente, parce qu’il ne fond pas comme le plomb véritable et, surtout, parce qu’il est friable et peut se réduire en poudre, quand l’autre n’a pas cette dernière propriété. Cependant, je me trompe avec ceux qui pensent que l’antimoine est un métal car le fait est qu’il appartient au genre des fossiles, {b} et il est sage de penser qu’il a la double nature du métal et de la pierre : étant donné qu’il peut être fondu, il est raisonnable de le considérer comme un métal, mais aussi comme une pierre, dans la mesure où il est friable et peut être pulvérisé. Dans l’Antiquité, on extrayait l’antimoine en Bithynie, près de la ville de Chalcédoine, {c} d’où on en faisait venir de grandes quantités et de la meilleure qualité. Maintenant, il s’en trouve en abondance dans le pays de Sienne, dans le comté de Santa Fiora, près d’un hameau nommé Selvena, et dans les environs de la ville de Massa]. {d}


  1. Antonio Musa Brasavola, v. note [15], lettre 409.

  2. Fossile est à prendre ici au sens restreint de pierre (et non général de « ce qu’on tire de la terre en la creusant », Furetière), et en opposition avec la notion de métal : contrairement à la pierre, le métal peut fondre, mais n’est pas friable et ne peut être réduit en poudre.

  3. Chalcédoine (aujourd’hui Kadιköy en Turquie) était l’une des principales villes de Bithynie, sur la rive orientale du Bosphore.

  4. Sienne est l’une des grandes villes de Toscane ; Selvena est au sud de Santa Fiora, capitale de l’ancien comté de même nom ; Massa est une ville proche de la côte méditerranéenne.

Le chapitre ix du dernier des de Metallicis libri tres [Trois livres sur les Métaux] (Rome, Aloysius Zannettus, 1596, in‑4o) d’Andrea Cesalpino (v. note [55], lettre 97) commence par cette phrase (page 187) :

Alter est lapis Plumbo similis, quod Stimmi Græci vocant, Latini Stibium, vulgo Antimonium.

[L’autre est une pierre semblable au plomb, que les Grecs appellent stimmi, les Latins stibium, et qui est vulgairement nommé antimoine].

6.

Commentaires de Matthiole sur les six livres de Dioscoride (v. supra note [3]), livre v, chapitre lix, De l’Antimoine (page 740, lignes 17‑20) :

« Les modernes médecins, apothicaires, alchimistes, suivant les Arabes, appellent stimmi ou stibium, antimonium, car ainsi Avicenne et Sérapion {a} l’ont appelé. Il y en a plusieurs mines en notre terre de Sienne, mais le plus excellent se trouve à Massa, à Sovana et au comté de Sainte-Fior, près de la ville de Selvena. {b} D’Allemagne, on en apporte à Venise, qui est fondu aux fournaises et mis en masses. » {c}


  1. Médecin d’Alexandrie au ixe s., v. notule {a}, note [55], lettre latine 351.

  2. V. supra notule {d}, note [5] pour Massa et Selvena ; Sovana est une autre localité de Toscane, qui se situe à l’est de Sorano.

  3. Lingots.

    V. notule {c}, note [7], lettre 228, pour l’avis favorable de Mathhiole sur l’antimoine dans ses commentaires de Dioscoride

7.

Giovan Battista Ramusio (Venise 1486-Padoue 1557), diplomate vénitien, a compilé les récits de plusieurs voyageurs, dont une traduction de la Description de l’Afrique de Léon l’Africain (v. note [3], lettre latine 155). Le passage cité se trouve à la page 114 de la traduction donnée par le libraire lyonnais Jean Temporal (mort en 1571), rééditée à Paris en 1830 (tome second) :

« Chasair est une petite cité assise au désert de Numidie, prochaine Atlas environ vingt milles, près de laquelle il y a une veine de plomb et une autre d’antimoine, que les habitants mettent en œuvre, puis portent leur ouvrage à Fez ; et ne croît autre chose en tout leur territoire. »

8.

Pline, Histoire naturelle (v. supra note [3]), chapitre xxxiii, livre xxxiii (Littré Pli, volume 2, pages 415‑416) :

Duo ejus genera, mas et femina. Magis probant feminam : horridor est mas, cabiorque, et minus ponderosa, minusque radians et arenosior : femina contra nitet, friabilis, fissurisque, non globis, dehiscens.

« On en distingue deux sortes, l’un mâle, l’autre femelle. Le stibi femelle est le plus estimé ; le mâle est plus rude, plus âpre, moins pesant, moins brillant et plus sablonneux ; le femelle, au contraire, est brillant, friable et se fend en lames, au lieu de se séparer en globules. »

9.

V. notes [4], lettre 538, pour le verre d’antimoine, base du vin émétique, et [52], lettre 211, pour le crocus metallorum [safran des métaux] ou foie d’antimoine.

En expert plus averti que Guy Patin, Eusèbe Renaudot a décrit les autres préparations dans L’antimoine justifié, l’antimoine triomphant… (Paris, 1653, v. note [21], lettre 312).

10.

V. note [9], lettre 5, pour les bézoards animaux et végétaux. Eusèbe Renaudot ne prisait guère les bézoards métalliques des chimistes (pages 128‑129 de son Antimoine justifié, v. supra note [9]) :

« Ce qui se justifie principalement au fait de l’antimoine, qu’il ne leur suffit pas d’avoir préparé en toutes les façons que je vous ai fait voir, et qui ont un grand usage pour la guérison de plusieurs maladies ; mais ils s’en forgent de nouvelles chimères et diverses idoles qu’ils exaltent si hautement qu’ils nous les veulent faire passer pour des remèdes divins, les qualifiant de bézoards minéraux et métalliques, qu’ils composent en certaines constellations : de l’antimoine mêlé avec l’or, l’argent, le fer, l’étain, le plomb, le cuivre et le vif-argent ; desquels, aussi bien que des planètes qu’ils assurent verser sur eux leurs influences, ils lui font tirer des vertus célestes et extraordinaires que l’antimoine bézoardique nommé par eux Hepastrum possède, à leur dire, toutes en gros, en un degré éminent, pource qu’il est extrait de ces sept métaux avec lesquels ils le préparent d’une manière tout extraordinaire ; opérations que j’omets volontiers, pour ne fatiguer pas davantage l’esprit de mes lecteurs, aussi bien que les faux éloges dont ces zélés, pensant rehausser l’antimoine, font souvent révoquer en doute les véritables vertus qu’il possède justement, pource qu’ils en produisent d’autres sujettes à discussion ; en ce point aussi ridicules que le serait un historien, lequel, ayant à s’étendre sur de belles actions connues d’un chacun, s’amuserait à en dresser des romans et discours fabuleux. Il y a suffisamment dans l’antimoine et les divers remèdes qu’il nous fournit de quoi satisfaire au juste désir de ceux qui prennent à tâche de le combler de gloire, pour les rares qualités qu’il possède par préciput {a} sur la plupart des autres, sans en mendier ailleurs. »


  1. Préciput : « avantage qui appartient à quelqu’un dans une chose à partager, […] la même chose que le droit d’aînesse » (Furetière).

Eusèbe Renaudot n’était donc pas un adulateur aveugle et inconditionnel de l’antimoine ; il pesait les arguments avec un discernement qu’on eût aussi aimé trouver dans l’avis de Guy Patin, son intime ennemi. De fait, pour son époque, l’antimoine était certainement un médicament utile, sinon toujours efficace, pour évacuer les mauvaises humeurs qu’on croyait responsables de maladies. Il remplissait, au fond, le même office que les purgatifs végétaux, mais en étant plus énergique qu’eux et, partant, plus toxique. Quand un malade meurt, on peut souvent en accuser autant la maladie que les remèdes ; mais sans maladie, pas de remèdes, etc.

11.

Dans le livre vi (page 157), de Metallicis [Des Métaux], du traité De subtilitate [De la Subtilité] (Nuremberg, 1550, v. note [30], lettre 6),, Jérôme Cardan distingue quatre espèces de plomb (plumbum) : noir (nigrum) ou plomb commun (vulgare) ; blanc (album) ou étain (stannum) ; bismuth (bisemutum) ; et antimoine (stibium).

12.

« au livre 2 des Venins, dernier chapitre, qui traite de l’antimoine » : v. note [3], lettre 359, pour l’édition originale française ce livre de Jacques Grévin (Anvers, 1568). Il contient un vigoureux plaidoyer contre l’emploi de l’antimoine purgatif : chapitre xxxiiii, pages 294‑333, Discours de Jacques Grévin de Clermont en Beauvaisis, docteur en médecine à Paris, sur les facultés et vertus de l’Antimoine, contre ce qu’en a écrit M. Loys de Launay, médecin de La Rochelle (réimpression du livre de même titre paru à Paris en 1567).

13.

Commentaire de Matthiole sur Dioscoride (v. supra note [3]), livre v, chapitre lix, De l’Antimoine (page 740, lignes 20‑34) :

« Les fondeurs de cloches disent qu’elles rendent un son plus clair et plus agréable aux oreilles si on mêle de l’antimoine parmi l’autre matière d’icelles quand on la fond. Les potiers d’étain usent fort de l’antimoine ; ceux aussi qui font les miroirs d’acier et ceux qui fondent les lettres d’imprimerie. Le Brasav. {a} dit qu’il n’y a autre différence entre le plomb et l’antimoine, sinon que le plomb se fond au feu, l’antimoine jamais ne se fond, mais aisément on le met en poudre. Ce qui est faux, comme l’expérience le montre car l’antimoine mis sur le feu se fond et coule ni plus ni moins que le plomb ; de quoi j’ai souvent fait l’essai en faisant notre huile dudit antimoine, duquel nous usons heureusement aux ulcères malins et caverneux, car pour le purifier, il le faut fondre plusieurs fois. Et faut ici avertir les lecteurs, notre huile d’antimoine n’être pas celui duquel les alchimistes se vantent, contre toute raison et vérité, transmuer l’argent en or, ains {b} un autre bien divers : jaçoit que {c} le nôtre nous rende autant d’or que celui des alchimistes. Or, pour retourner à notre propos, c’est chose bien fausse de dire que l’antimoine ne se peut fondre au feu car, au contraire, mis au crusol {d} avec quelque autre métal, soit fer ou acier, il les fait fondre plus tôt. Pour<ce que > ceux qui font les boulets de fer pour l’artillerie assurent que jamais ils ne feraient bien fondre le fer s’ils n’y mettaient de l’antimoine. » {e}


  1. Antonio Musa Brasavola, v. note [15], lettre 409.

  2. Mais.

  3. Encore que (les alchimistes ne fassent pas plus d’or que nous avec l’antimoine).

  4. Creuset (v. supra troisième notule {a}, note [9]).

  5. V. supra note [5], pour une relation similaire dans Fallope.

14.

Débuter a d’abord eu le sens de « détourner une balle, une boule qui était auprès du but, c’est un avantage de jouer le dernier à la boule car on débute les autres » ; puis celui de commencer une partie et, de là, un discours (Trévoux) ; mais dans ce sens, le verbe est devenu intransitif.

15.

Référence à Girolamo Mercuriali citée dans la note [1] supra, dont Guy Patin traduisait la suite mot pour mot :

Dosis qua utitur est a gr. 2 usque ad 4. sed consulo vobis, ut omnino abstineatis ab hoc medicamento, quia tametsi videatur per aliquot tempus prodesse, tamen rarissimi sunt, qui utententes hoc medicamento perveniant ad primam senectam, et hoc non solum Erastus, qui contra Paracelsum scribit, quam plurimis exemplis demonstravit, verumetiam ego aliquot exempla habeo eorum, qui immature perierunt usi hoc medicamento.

16.

La source latine se trouve dans le traité De Pestilentis Febris curatione [Traitement de la Fièvre pestilentielle] de Johann Crato, {a} au début du chapitre iiii, pages 525‑526, De adultorum præservatione [Préservation des sujets adultes] :

Cum corporum magna differentia sit, non modo in temperamturis, verum etiam in individualibus proprietatibus, monendi hic omnes, quibus hoc per facultates suas licet, ut tum de purgando corpore, tum venæ sectione præservationis gratia consilium eruditi Medici sequantur, non eorum qui temere, et audacter præcipitatum, et antimonium præbent, hoc prætextu, quod omnem impuritatem e corpore tollant, et corpora ipsa vivida faciant. Scio ego etiam quibusdam Medicis persuaderi, antimonium esse singulare alexipharmacorum contra infectiones. Sed quia arsenico {b} non valde dissimile est, et natura ab eo tanquam a veneno abhorret, et cum inutilibus humoribus etiam bonos exturbat, fieri potest, ut in tanta exagitatione et hypercatarsi corpus eo veneno liberetur ; et putredo propter fortem ex<s>iccationem desinat. Carere autem periculo, aut omnibus tito præberi posse, non facile adducor, ut credam. Nam certo certius est, præcipitatum, et antimonium pestifera esse pharmaca. Nec sequitur, ob id omnibus danda esse, quia paucis, vel aliquibus, ut isti putant, profuerint. Verum de his satis, et volui eos monere, qui moneri se patiuntur. {c}


  1. Consiliorum, et Epistolarum Medicinalium, Ioh. Cratonis a Kraftheim, Archiatri Cæsarei, et aliorum præstantissimorum Medicorum, Liber quartus, nunc primum studio et labore Laurentii Scholzii Medici Vratisl. in lucem editus.

    [Quatrième livre des Consultations et Lettres médicales de Johann Crato von Crafftheim, {i} archiatre impérial, et d’autres médecins très éminents. Les travail et les soins de Lorenz Scholz, {ii} médecin de Breslau, l’ont mis en lumière pour la première fois]. {iii}

    1. V. note [2], lettre 845.

    2. V. note [18], lettre 407.

    3. Francfort, Héritiers d’Andreas Wechelis, Claudius Marnius et Ioan. Aubrius, 1593, in‑8o de 629 pages.
  2. V. note [4], lettre latine 371, pour l’arsenic.

  3. Bien qu’elle accentue légèrement la charge contre l’antimoine, la traduction de Charles Guillemeau et Guy Patin est élégante et fidèle à l’idée de Crato.

17.

Précipité avait le sens général de « substances qu’on a dissoutes dans quelque liqueur corrosive, comme de l’eau forte, et qu’on a contraintes d’abandonner leur dissolvant, et de se précipiter au fond du vaisseau, en y versant de l’eau commune ».

Il s’agissait ici du mercure précipité : « dissolution de mercure qui se fait au feu de lampe pendant deux mois, qui le réduit en poudre rouge et brillante. C’est sa meilleure préparation pour les fièvres d’accès et pour les maladies vénériennes. Le précipité blanc est du mercure revivifié, du cinabre dissous dans de l’eau forte de nitre et d’alun ; et quand on y verse de l’eau salée, on le trouve précipité au fond en substance blanche. On fait aussi un précipité jaune de mercure, et de couleur de rose, auquel on donne le nom de turbith minéral, parce qu’il trouble l’économie du corps, en purgeant avec violence toutes les humeurs » (Furetière).

18.

V. note [17], lettre 181, pour Heinrick Smet et ses Miscellanea medica [Mélanges médicaux] (Francfort, 1611). La source s’y trouve au livre ii, chapitre lxv, De viribus et Antimonii usu quadam [Quelques faits sur les effets et l’emploi de l’antimoine] (page 139) :

Audio namque calorem in eo etiam concinne præparato nullum aut perpusillum deprehendi. Certe tantus non est, a quo ventriculus ita molestetur ut a sumpto pharmaco isto molestari eum cernimus. Quo circa ignota sic etiam erit causa, licet aliquando ad ipsius cognitionem accedere propius posse videamur. Saltem illud intelligimus, temperamentum ipsum obtinuisse corpori nostro prorsus inimicum : et hinc vires ei adesse irritandi tantas, quæ expultricem facultatem cogat tanto cum impetu ex corpore bona simul cum malis ejicere instar præcipitati Mercurii ac similium venenosorum pharmacorum. Et sane Mercurii particeps ipsum esse, vel hinc intelligeremus, etiamsi nemo nos monuisset. Non aliter sane tam cito, tam violenter tam multos, tam varios, tam crassos, lentosque humores vomitum ac secessum expurgaverit.

[Et de fait, j’entends dire que, même préparé avec art, on ne doit pas trouver en lui la moindre chaleur ; mais tel n’est certainement pas le cas, car nous voyons bien qu’aucune prise de médicament n’affecte autant l’estomac que lui. La raison en est inconnue, bien qu’il nous semble pouvoir parfois mieux l’entendre : du moins, comprenons-nous qu’il a acquis ce tempérament extrêmement hostile à notre corps ; il lui confère de grands pouvoirs irritants, pour expulser, avec très grande force, ce que le corps contient de bon comme de mauvais, à l’instar du précipité de mercure et de semblables médicaments toxiques. Bien que personne ne nous en ait avisé, nous en avons déduit que l’antimoine est le parfait compagnon du mercure car il ne s’y prend pas autrement que lui pour purger, par haut et par bas, si rapidement et si violemment, une telle quantité d’humeurs diverses, tant épaisses que déliées].

19.

V. supra note [12], pour Jacques Grévin et son livre sur les Venins. Guy Patin se référait ici à son paragraphe intitulé Intérêt de la police (page 322) :

« Je désirerais en cet endroit que le magistrat, lequel a l’entretien de la police en charge, tînt la main {a} à ceci : à celle fin que le chemin fût coupé à ceux, lesquels par le moyen de cette drogue peuvent plus aisément mettre leur mauvaise volonté en exécution, car il n’y a poison par lequel on puisse plus couvertement empoisonner un homme, soit ayant égard à sa quantité, soit ayant égard à sa qualité, d’autant que la grosseur d’un pois suffira pour tirer l’âme d’un corps ; et n’ayant aucun goût ni odeur, elle ne s’apercevra pas sitôt étant mêlée parmi quelques confitures, ou parmi du vin, ou dans un potage. Bref, il ne se trouve point un boucon {b} duquel on se puisse plus traîtrement aider que de cestui-ci. Que vous servira donc, Messeigneurs, d’avoir défendu aux apothicaires de bailler du sublimé ou de l’arsenic, {c} si vous permettez et si, par connivence, vous donnez la main à cestui-ci ? » {d}


  1. Tenir la main : « prendre garde, avoir soin de l’exécution de quelque chose » (Furetière).

  2. Mot italien (boccone, bouchée) adopté en ancien français dans le sens exclusif de « mets ou breuvage empoisonné » (Littré DLF).

  3. V. notes [13], lettre 274, pour le sublimé, et [4], lettre latine 371, pour l’arsenic.

  4. Si vous lâchez la bride à celui-ci (l’antimoine).

20.

Le chapitre de la Thérapeutique universelle ou Méthode de Jean Fernel (édition française de Paris, 1655, v. note [1], lettre 36), intitulé Des médicaments purgatifs qui ne sont plus en usage (pages 383‑385), commence par ces deux paragraphes :

« Les anciens ont recommandé par leurs écrits beaucoup de médicaments purgatifs, lesquels, par une grande suite d’années, ont cessé d’être en usage comme superflus et inutiles. Les uns, parce que n’apportant que fort peu de profit, ils troublaient avec beaucoup de véhémence ; les autres, parce que n’ayant que peu ou point de vertu de faire aller à la selle, ils causaient de la fâcherie aux malades sans leur causer aucune utilité. Du premier genre sont la pierre d’Arménie, {a} l’azur, {b} le salpêtre et autres espèces de sel, la sarcocolle, le sapagénum, l’opoponax, {c} l’airain brûlé, l’antimoine, le cyclamen, la staphisaigre, le suc de thapsie, l’aigremoine. » {d}


  1. Ou bol d’Arménie, v. note [8], lettre 611.

  2. Lapis-lazuli (v. note [2] de l’observation viii).

  3. V. notes [25] et [26], lettre latine 351, pour le sagapénum (gomme séraphique) et la sarcocolle (manne des Grecs), et notule {c}, note [12] de la leçon de Guy Patin sur la manne pour l’opoponax.

  4. Les semences de la staphisaigre (staphis-agria), autrement nommée herbe aux poux, avaient la double vertu de tuer ces parasites des poils et des cheveux, et de purger.

    V. notes [16] et [59], lettre latine 351, pour le cyclamen et l’aigremoine (ou eupatoire), et [9], lettre 436, pour la thapsie.


21.

Je n’ai pas trouvé la source du propos prêté à Louis Duret contre l’antimoine.

V. note [21], lettre 117, pour les Opuscules de François Ranchin (Lyon, 1640) ; renvoi aux pages 473‑474 du chapitre iii, Savoir si l’on peut guérir la lèpre par le moyen de l’ellébore noir, du lapis-lazuli (v. note [2] de l’observation viii) et de l’antimoine, seconde section du Traité curieux de la lèpre :

« Premièrement, il est tout certain que l’antimoine et l’ellébore sont deux médicaments violents et délétères, vénéneux et, par conséquent, ennemis de notre nature. Vous me direz que par la préparation et par la correction, l’on les rend salutaires ; je le veux < bien >, mais leur effet n’est que de purger les mauvaises humeurs, et particulièrement la mélancolie noire et aduste qui est la cause de la lèpre. Or, de cette purgation ne dépend pas purement la cure des lépreux, il est question de remettre le foie et les viscères en leur naturelle température, et de guérir l’intempérature égale des parties, ce qui est impossible. »

L’autre référence renvoie à la troisième section, seconde partie du Traité des venins, dans les Œuvres pharmaceutiques de M. François Ranchin (Lyon, Pierre Ravaud, 1628, in‑8o), avec ce paragraphe, page 870 :

« Nous autres, au contraire, estimons que l’antimoine est vénéneux et purgatif tout ensemble. L’expérience nous en fait foi tous les jours par les effets, car il est un des plus violents purgatifs, surtout par vomissements, et cause des accidents fort furieux, encore que corrigé et préparé. Outre cela, il est délétère et vénéneux par sa substance, c’est pourquoi les galénistes en appréhendent l’usage, au contraire des pseudochimistes qui hasardent tout sans aucune appréhension. »

22.

Petrus Monavius (Peter Monau, Breslau 1551-Prague 1588), médecin impérial, doit sa réputation à des lettres et consultations médicales qui ont été publiées par Lorenz Scholz (v. note [18], lettre 407), mais la référence indiquée ne m’a pas conduit à la source latine de la citation.

Petrus était frère cadet de Jacobus Monavius (v. note [43] du Borboniana 1 manuscrit).

23.

Epiphanius Ferdinandus (Epifanio Ferdinando), Theoremata medica et philosophica, mira doctrinæ varietate, novoque scribendi ordine donata, et in tres libros digesta… [Propositions médicales et philosophiques, en une étonnante variété d’enseignements, données suivant un ordre nouveau d’écriture, et divisées en trois livres] (Venise, 1611, v. note [19], lettre 14), livre iii, proposition xlv, An Antimonium etiam præparatum sit venenum [L’antimoine, même préparé, est-il un venin ?] (page 270).

Après avoir en effet énoncé six raisons pour lesquelles l’antimoine, même préparé, est à tenir pour un poison, Ferdinandus en arrivait à se contredire dans la conclusion qu’il donnait à la page suivante, sous le titre Quid alii senserint [Ce que d’autres en ont pensé] :

Illud tamen non negligendum, quod quamvis antimonium venenum, seu medicamentum venenosum sit ; non ob id ab eius usu penitus abstinere debemus, ut quamplures sunt hodie Neapoli medicinam facientes, illud non antimonium, sed plusquam Dæmonium vituperantes. Nanque potest optime præparatum exhiberi multis morbis, et præparatum magnam venenositatis partem admittet. Utilissime igitur datur morbis ab atra bile, et diuturna febre consumptis, et asthmaticis, lue gallica confectis, hydropicis, et morbis omnibus existentibus in parte naturali, et vitali, infelici tamen successu datur morbis partis animalis, et uno verbo dicam morbis deploratis, a quamplurimis Dei manus solet nuncupari.

[Il est un fait à ne cependant pas négliger : bien que l’antimoine soit un poison ou un médicament toxique, nous ne devons pas nous abstenir entièrement de l’employer, comme font aujourd’hui quantité de médecins napolitains, qui le blâment en ne l’appelant pas antimoine, mais pire que démon. On peut en effet le prescrire dans de nombreuses maladies s’il est excellemment préparé, car il perd alors une grande partie de sa toxicité. On le donne donc très utilement dans les maladies venant de l’atrabile, et à ceux qui sont atteints de fièvre prolongée, qui souffrent de gêne respiratoire, qui sont atteints du mal français, {a} ou d’hydropisie, soit dans toutes les maladies qui siègent dans la partie naturelle et vitale ; mais il est inefficace dans les maladies de la partie animale {b} et, en un mot, dans les affections désespérées, que beaucoup appellent d’habitude la volonté de Dieu].


  1. La syphilis.

  2. Opposition entre les parties vitales du corps, cœur, foie, poumon et cerveau, et les parties animales, assurant les fonctions moins nobles.

24.

Les citations de ce paragraphe viennent toutes des deux livres de Medicamentis officinalibus [des Médicaments officinaux] de Caspar Hofmann (Paris, 1646, v. note [7], lettre 134), dont Guy Patin avait assuré l’édition et dont il a souvent parlé dans sa correspondance.

V. notes :

Patin ajoutait un renvoi au chapitre xviii, De helleboro utroque [Des deux ellébores (blanc et noir)] du livre i, dont le § 11 (page 42) se conclut sur cette remarque :

Fert natura nostra, a Chym-iatris præbitum crocum metallorum, Mercurium vitæ, alia venena mineralia, et non ferat hoc vegetabile, præsertim in decocto vel diluto ? Sed de hac re alibi.

[Comment notre nature tolère-t-elle le safran des métaux {a} créé par les chimiatres, le mercure de vie et d’autres poisons minéraux, sans tolérer ce végétal qu’on emploie principalement en décoction ou en dilution ? {b} Mais j’en parlerai ailleurs].


  1. V. note [52], lettre 211, pour cette préparation d’antimoine, aussi appelée foie d’antimoine, que vantaient les médecins chimistes (chimiatres).

  2. L’ellébore (v. note [30], lettre 156).

Turneiserus (Leonhard Thurneysser, Bâle 1531-Cologne 1595 ou 1596), médecin paracelsiste suisse, œuvra principalement à la cour de l’électeur de Brandebourg ; il a publié quelques ouvrages d’alchimie et d’astrologie.

25.

Cornelius Gemma (Louvain 1535-ibid. 1577), professeur de médecine à Louvain, s’est intéressé à tous les savoirs de son temps ; il est surtout connu pour ses travaux astronomiques et astrologiques. Guy Patin pouvait ici vouloir parler de l’Historia mirabilis ab assumpto antimonio [Observation merveilleuse résultant de la prise d’antimoine] qui se lit à la page 239, livre ii, de ses De Naturæ divinis characterismis ; seu raris et admirandis spectaculis, causis, indiciis, proprietatibus rerum in partibus singulis universi, Libri ii [Deux livres sur les caractérismes (signatures, v. note [5], lettre 340) divins de la Nature, ou les rares et admirables merveilles, les causes, signes et propriétés des choses dans chacune des parties de l’Univers] (Anvers, Christophe Plantin, 1575, in‑8o) :

Medicus Anglus ex Paracelsistico genere, alioqui in arte chymica valde insignis, hoc morbi genere primum correptus cum uxore, tum huic tum sibi porrexit antimonium præparatum ut vocant. Illa quidem celeriter in maniam fortissimam versa vitam morte commutavit : hic autem primo conquestus insomnia, vigiliasque continuas, a dejectione non pauca ante septimum diem in delyrium venit, (quod et ille in proximo esse satis præsenserat, et mihi præsenti quæstus fuerat, quanquam suadenti, ut ad frigida et humectantia tempestive se converteret, fidem habere non potuit) a delyrio statim ut præsagivimus factus est epilepticus : ex epilepsia in comma lethargicum venit, cui quid apoplecticum misceretur. Eo sopore detentus per triduum rursus ad insaniam rediit, horrendoque furore agitatus, non multo post expiravit, et a communi lecto communem uxori tumulum est ingressus.

Cette sorte de maladie {a} se déclara chez un médecin anglais et son épouse. Appartenant à la secte paracelsiste et de très haute réputation en l’art chimique, il administra à sa femme ce qu’on appelle de l’antimoine préparé, puis en prit lui-même. Elle passa rapidement de vie à trépas, après avoir été plongée dans une folie très furieuse. Lui, cependant, se plaignit d’abord d’insomnie et de veilles perpétuelles, avec d’abondantes déjections ; puis, avant le septième jour, il tomba dans un délire (le sentant s’installer, il m’avait fait appeler, mais il ne sut pas m’accorder sa confiance quand je voulus le persuader de recourir alors aux remèdes rafraîchissants et humectants). Du délire, il sombra bientôt dans l’épilepsie, comme nous l’avions présagé ; puis de l’épilepsie, dans un coma léthargique, auquel se mêlait quelque chose d’apoplectique. Cette stupeur l’ayant saisi pendant trois jours, il retomba dans la folie, secoué par une fureur horrifiante, et mourut peu après ; et ayant partagé son lit avec sa femme, il l’a rejointe au tombeau]. {b}


  1. Une fièvre hémitritiée (demi-tierce). Une typhoïde (v. note [1], lettre 717) est l’un des diagnostics envisageables.

  2. Jean de Renou a transcrit cette terrifiante histoire dans son Discours très docte… (Lyon, 1637) : v. note [55], lettre 211.

V. note [40], sur la triade 77 du Borboniana manuscrit pour un autre ouvrage de Gemma qui illustre ses autres intérêts, pour l’astronomie et la philosophie.

26.

Ces deux références sont à présenter dans l’ordre inverse de leur citation car la première fait appel à la seconde.

27.

Le chapitre iii (pages 12‑22) de l’Anatomia Antimonii : id est Dissectio tam Dogmatica quam Hermetica Antimonii ; Usum, proprietatem, et vires ejus declarans : Auctore Angelo Sala, Vincentino Veneto [Anatomie de l’antimoine, qui est une dissection de l’antimoine, tant dogmatique qu’hermétique, montrant son emploi, ses propriétés et ses pouvoirs. Par Angelo Sala, natif de Vicence (1576-Bützow, Poméranie 1637)] (Leyde, Godefroy Basson, 1617, in‑8o) est intitulé Quibus modis Antimonium humano corpori nocere possit : et qua ratione id præcavere oporteat [De quelles façons l’antimoine pourrait nuire au corps humain, et comment éviter cela].

28.

Le chapitre ii (pages 10‑16) du De secretis Antimonii Liber unus Alexandri a Suchten veræ philosophiæ ac medicinæ Doctoris… [Livre isolé d’Alexander von Suchten (Gdansk vers 1520-Linz 1575) sur les secrets de l’antimoine…] (Bâle, Petrus Perna, 1575, in‑8o ; première édition en allemand, Strasbourg, 1570) est intitulé De ☿ philosophici cruditate et maturatione : et contra vitrum antimonii [De la crudité et maturation du mercure philosophique, et contre le verre d’antimoine].

29.

V. note [8], lettre 427, pour le livre de Hieronymus Reusner « sur le scorbut » (Francfort, 1600), dont l’Exercitatio [Essai] vii, Curatio scorbuti [Traitement du scorbut], condamne l’emploi du verre d’antimoine : in Scorbuto exulet antimonii vitrum [on bannira le verre d’antimoine dans le scorbut] (page 456).

30.

Ulcérations superficielles de la muqueuse (revêtement intérieur) des intestins ou de l’estomac.

31.

Dans ses deux livres des Venins (v. supra note [12]), Jacques Grévin a, comme d’autres avant lui (v. supra note [5]), rapproché l’antimoine du plomb (page 296, Que c’est qu’antimoine) :

« L’antimoine est nommé par les Grecs stimme, et stibe, par les Latins ; les Arabes, qui ont été les principaux droguistes du monde, lui ont donné le nom que nous retenons. C’est un corps minéral semblable à la marcassite {a} de plomb ou à la pierre plombeuse, sinon qu’il est plus blanc et brillant, ainsi que l’écume d’argent, {b} et approche fort de la nature du plomb ; tellement que quelques-uns sont d’opinion qu’il est la même marcassite de plomb. »


  1. V. supra note [4].

  2. L’écume ou litharge d’argent est l’ancien nom de la variété de protoxyde de plomb qui a une couleur argentée.

Dans ce même ouvrage, Grévin a appelé la loi à condamner et interdire l’antimoine comme poison (v. supra note [19]).

32.

Le chapitre xii du deuxième livre des Éléments de chimie de Maître Jean Béguin (Rouen, 1637, v. note [18], lettre 288) est intitulé De la calcination de l’Antimoine (pages 231‑258). La mise en garde de Béguin est la note c de la page 236 :

« Le broyant sur le marbre ou dans un mortier de pierre ; mais il faut se garder de la fumée qui, en le broyant, s’élève, car elle est venimeuse, comme procédant du soufre de l’antimoine et du sublimé. »

Ce commentaire porte sur le début du paragraphe intitulé Autre calcination d’antimoine appelée poudre émétique ou Mercure de vie (page 234) :

« Prends quatre onces d’antimoine pulvérisé et huit onces de mercure sublimé, mêle c le tout ensemble, et le distille dans une cornue à feu de cendres […]. »

33.

Gagner le haut : s’enfuir (Furetière), comme le vif-argent (mercure) qui s’éparpille en gouttelettes quand on le presse avec le doigt.

34.

Le fait est.

35.

« au second livre des Venins, dernier chapitre, qui traite de l’antimoine » (v. supra note [12]).

36.

Febris [Fièvre] est le nom d’une divinité romaine mineure (Moréri) :

« Les Romains ont fait une divinité de la fièvre, qu’ils ont honorée, afin qu’elle ne les attaquât pas. Il y avait à Rome trois temples qui lui étaient dédiés, comme Valère Maxime le dit, l. 2, c. 5, Febrim ad minus nocendum templis colebant, quorum unum adhuc in palatio, alterum in arce Marianorum, tertium in summa parte vici longi ; in eaque remedia, quæ corporibus ægrotorum innexa fuerant deserebantur. {a} On trouve une inscription ancienne, Febri divæ, Febri sanctæ, Febri magnæ, par Camilla Amata, pro filio male affecto. {b} ce qui fait voir que l’on n’honorait la fièvre comme une déesse que pour y trouver un remède. »


  1. Livre ii, chapitre 5, Des Paroles et des faits mémorables : « ils honoraient Fièvre de temples pour amoindrir leurs maux ; l’un d’eux est encore debout sur le mont Palatin, un autre était sur la place des monuments de Marius, et un troisième, au bout de la rue Longue ; on y déposait les remèdes qui avaient été appliqués sur le corps des malades. »

  2. Camilla Amata (nom d’une femme romaine endeuillée, mais d’identité autrement inconnue) « pour son fils malade, à la divine Fièvre, à la sainte Fièvre, à la grande Fièvre ».

37.

Dans la symbolique des alchimistes, le lion vert était l’allégorie du vitriol (v. note [13], lettre 336).

Le lion furieux se réfère au surnom que les antistibiaux de la Faculté de médecine de Paris donnaient à l’antimoine, comme l’a déploré Eusèbe Renaudot à la page 4 de son Antimoine justifié… (v. supra note [9]) :

« En sorte qu’à l’imitation des peuples grossiers de Carthage qui bannirent un de leurs princes pour avoir eu la hardiesse d’apprivoiser le premier un lion, ne jugeant pas que leur liberté fût en assurance sous le gouvernement de celui qui savait adoucir une bête si sauvage, {a} ils chasseraient volontiers de leur École tous ceux qui ont trouvé les moyens de manier et employer utilement ce remède, qu’ils comparent au lion pour son naturel farouche, mais sans raison, ne le condamnant bien souvent que sur l’étiquette et sans connaissance de cause. »


  1. Note marginale de Renaudot (à laquelle j’ai ajouté les mots entre crochets, pour aider à bien la comprendre) :

    [Primus autem hominum leonem manu fractare ausus, et ostendere mansuefactum,] Hanno [e clarissimis Pœnorum traditur :] damnatus[que] illo argumento, quoniam nihil non persuasurus vir tam artificis ingenii videbatur et male credi libertas ei, cui in tantum cessisset feritas. Plin. hist. nat. l. 8 c. 16.

    [Le premier homme qu’on dise avoir osé flatter un lion de la main, et le montrer apprivoisé, est Hannon, personnage carthaginois des plus célèbres ; cela même le fit condamner : on crut qu’un homme aussi ingénieux persuaderait tout ce qu’il voudrait, et que la liberté serait en péril entre les mains de celui qui avait triomphé si complètement de la férocité. Pline, Histoire naturelle, livre viii, chapitre xvi] (même livre, chapitre xxi, dans Littré Pli, volume 1, page 327).


Jacques Perreau lui a directement répondu dans son Rabat-joie de l’Antimoine triomphant (Paris, 1654, v. note [3], lettre 380) dans ce passage contre les antimoniaux de Paris, répliquant à la mention du lion de Hannon (pages 55‑56) :

« Et ces Messieurs, tout au contraire d’un remède doux et familier, en ont fait un si furieux et si pernicieux que s’il n’est pas franc poison, il en approche de bien près ; si incorrigible et si malin qu’il fait toujours du mal, quoiqu’il paraisse parfois quelque bien ; et si traître que, tout ainsi que le lion auquel on le compare fort à propos, ne pardonne pas même à son maître qui lui fait du bien, l’étranglant tôt ou tard, lorsqu’il y songe le moins. De même cette drogue effrénée paye au bout du temps ceux qui croient se l’être rendue familière et la manient tous les jours. »

38.

Semini (parfois écrit Cemini) était la transformation italienne du nom de Jérôme de Sémigny, médecin spagirique français, qui servait dans la Maison de Gaston d’Orléans (Le Maguet, page 199). Je n’ai pas trouvé trace d’un ouvrage qu’il ait publié, mais Marie-France Claerebout, la très sagace correctrice de notre édition, est heureusement venue à mon secours en le débusquant en quatre endroits.

  1. Avis au lecteur de la thèse de Charles Guillemeau sur la Méthode d’Hippocrate, dont nous éditons les observations :

    « Et depuis peu, n’avons-nous pas vu Semini, avec sa poudre, être estimé comme un autre Esculape ? Il n’y avait point de malades où il ne fût appelé, pour une cure ou deux qu’il avait faites par rencontre ; et cependant, il s’en est allé, en une belle nuit, prenant pour excuse qu’il ne pouvait payer une somme qu’on lui demandait. En cela paraît bien qu’il n’avait pas fait grande fortune avec ses secrets. »

  2. Journal des voyages de Monsieur de Monconys (Lyon, 1665, v. note [6], lettre 825), première partie, page 174, Voyage d’Égypte, février 1647  :

    « Recette de la poudre de Cemini, je vous l’envoie telle que je l’ai reçue d’une personne d’étude, qui était bon ami de défunt M. Tole. {a}

    Une livre de rosée de mai et quatre onces de sol fin en feuilles que mettrez en un matras sigillé hermétiquement, {b} et laisserez l’espace de 7 mois (et mieux si 9) en digestion en fiente de cheval, ou feu de lampe, en façon que toute la rosée soit bleue et que le sol se mette en poudre ; puis une livre de bon antimoine de Hongrie, bien pulvérisé, que calcinerez avec un miroir aux rayons du soleil en été, le remuant toujours aux rayons du soleil, jusques à ce qu’il ne fume plus, qui est le signe de la calcination ; ce fait, vous mêlerez bien votre poudre de sol avec cet antimoine, et votre poudre sera faite. L’on prend le poids d’un écu d’or {c} de ce mélange de poudre, ou dans un bouillon, ou dans jus de pruneaux ; elle purgera admirablement et doucement, soit par le bas, ou par les sueurs et urines ; et quelquefois fait vomir lorsqu’on est trop replet, {d} mais sans violence ; c’est pour toutes sortes de fièvres malignes et maladies désespérées. Elle est un puissant purgatif et confortatif tout ensemble. C’est de là d’où je crois que le Sieur Tole le jeune a pris sujet de penser que la rosée était la matière sur laquelle il faut travailler, ainsi qu’il vous dit il y a quelque temps. »


    1. Médecin chimiste de La Rochelle, mort vers 1646.

    2. V. note [6], lettre 853, pour la rosée de mai. Le sol était le nom de l’or dans la langue des alchimistes. Un matras sigillé était une sorte de cornue en verre dont on avait hermétiquement bouché l’orifice.

    3. V. note [4] de l’observation ix pour cette manière d’exprimer une quantité de substance pharmaceutique.

    4. Lorsque le malade est trop gros et gras.

  3. Ces vers de l’Hippocrate dépaysé (Louis de Fontenettes, Paris, 1654, v. note [13], lettre 376), dans le commentaire sur l’aphorisme no 22, 2e section, « Les maladies qui proviennent de plénitude sont guéries par évacuation, celles qui proviennent de vacuité, par réplétion, et, en général, les contraires par les contraires », contre Paracelse (pages 31‑32) :

    « Sa doctrine eut pour arcs-boutants
    Les Séverins, les Quercétans, {a}
    Un Béguin, Semini, La Brosse ; {b}
    Aucuns d’eux allaient {c} en carrosse,
    Étant, pour tuer sottes gens,
    beaucoup mieux payés que sergents
    Qui mettent manants à l’aumône. »


    1. Petrus Severinus (v. note [4], lettre 631) et Quercetanus (Joseph Duchesne, sieur de La Violette, v. note [11], lettre 211).

    2. Jean Béguin (v. note [18], lettre 288) et Guy de La Brosse (v. note [3], lettre 60).

    3. Chacun d’eux allait.

  4. Jacques Perreau a mentionné Semini deux fois dans son Rabat-joie de l’Antimoine triomphant (Paris, 1654, v. note [3], lettre 380).

    • Pages 95‑96, sur la fièvre continue qui affectait Pierre de Bragelonne (1576-1660), trésorier général de l’Extraordinaire des guerres :

      « […] comme il fut question de le purger, ayant été mis en état de cela, le jour qu’on le devait faire, Semini, le donneur d’antimoine de ce temps-là, charlatan très ignorant, qu’on disait en avoir la parfaite préparation, comme se vantent toujours les hâbleurs, fut introduit dès le grand matin, qui lui fit prendre sa poudre, auparavant que la médecine ordonnée fût apportée. Il en fut purgé extrêmement, haut et bas, et de bonheur en échappa. Mais il lui demeura tout le reste de sa vie une telle faiblesse, une si étrange maigreur et une jaunisse si extraordinaire qu’il ressemblait plus à un mort qu’à un homme vivant, tant il était défiguré ; ayant toujours depuis le ventre bandé, l’hypocondre droit dur et douloureux, avec pesanteur, et les jambes enflées ; tout cela causé d’une maligne qualité imprimée au foie par ce médicament vénéneux ; à raison de laquelle ce viscère ne faisait plus, au lieu de sang louable, que des sérosités bilieuses qui lui donnaient parfois un flux de ventre fort fâcheux. » {a}


      1. Aucun autre diagnostic que celui de cirrhose ne peut expliquer cette insuffisance hépatique chronique (ascite, jaunisse, gros foie dur, œdème des pieds et des jambes), sans lien avec la prise d’antimoine.

        Est ensuite rapportée l’observation du sieur de Magny, fils de Bragelonne, qui reçut le même remède que son père. Il fut incommodé de vomissements tout le reste de sa courte vie et l’autopsie fit voir de multiples nodules dans le foie (probables métastases cancéreuses).

    • pages 195‑196, contre François Vautier :

      « […] ennemi de la bonne doctrine et de notre École, s’il en fût jamais ; lequel en dépit d’elle, voulut, après sa prison, {a} faire revivre ce fameux ou plutôt infâme remède, enseveli de longtemps dans l’oubli par la mort du Minime et de Semini. Qu’il {b} dise pourtant tout ce qu’il voudra, tous ces charlatans-là et tous ces chimistes, joints à lui et à ses sectateurs, ne pourront jamais donner une approbation authentique à cette drogue, au préjudice de la censure et solennelle condamnation prononcée par la plus célèbre faculté du monde, et suivie de la meilleure et plus saine partie de ses docteurs […]. »


      1. V. note [26], lettre 117, pour François Vautier et son long emprisonnement à la Bastille (1630-1641) en raison de ses menées politiques.

      2. Jean Chartier, disciple de Vautier et auteur de La Science du plomb sacré des sages (Paris, 1651, v. note [13], lettre 271).

39.

V. note [19], lettre latine 88, pour cette poudre purgative qui contenait pourtant bel et bien de l’antimoine.

40.

Cette observation, lassante par la répétition, le dogmatisme et la tautologie de ses arguments sans nuances, n’appartient pas au meilleur de ce qu’a écrit Guy Patin, mais rien n’autorise à lui en renier la paternité.

Comme j’ai dit dans la note [10] supra, Eusèbe Renaudot s’est montré nettement plus lucide et convaincant que Patin. Les trois premiers paragraphes de son Antimoine justifié (Paris, 1653, v. note [21], lettre 312) en attestent éloquemment (pages 1‑3) :

« Un grand orateur ayant été trouvé à l’écart, méditant sur une matière importante de laquelle il devait traiter devant les Athéniens, répondit à celui qui lui demandait la cause de cette retraite et de sa mélancolie, qu’elle procédait de la difficulté qu’il avait à retrancher de son discours tout ce qui pourrait être désagréable à ses auditeurs. {a}

Dans celui que j’ai entrepris de vous faire pour justifier l’antimoine contre les accusations qui lui ont été suscitées depuis quelque temps qu’on le poursuit avec une animosité démesurée, je suis en la même peine : je voudrais n’y employer rien qui pût déplaire à mes lecteurs ; mais je dois d’autant moins m’attendre à ce bonheur qu’il est impossible de pouvoir contenter également tant de différents goûts ; notamment sur un sujet où la plupart sont déjà prévenus de divers sentiments, comme ceux que j’ai à entretenir de ce minéral, à présent la pierre de scandale de notre médecine. En laquelle, l’ennemi commun étant venu jeter la pomme de division, aussi bien que dans l’Église et l’État, {b} il s’y est naguère formé deux puissants partis : dont l’un a dénoncé la guerre à l’antimoine et tâche de le décréditer comme un poison fatal à notre vie ; l’autre prend les armes pour combattre cette faction en faisant voir qu’il est un singulier et innocent remède, étant judicieusement employé. Et comme cette contrariété d’opinions, qui n’a toutefois encore pu faire jusqu’à présent aucun divorce dans les esprits, sur lesquels un ancien poète grec assure qu’il est quelquefois bon de contester, {c} se trouve en des personnes également recommandables par leur savoir et expérience, et nourris du même lait d’une saine doctrine et sous une même mère qui les reconnaît tous pour ses vrais et légitimes enfants. Cette seconde considération est une puissante remore {d} à l’avancement de mon dessein et il faut avouer que c’est un coup de maître de pouvoir si bien dresser cette apologie que ceux des nôtres qui se sont portés dénonciateurs contre l’antimoine n’y trouvent rien qui les puisse justement irriter.

Je leur déclare néanmoins que j’y procéderai avec toute la modération et la retenue que me pourra permettre la nature du sujet que je traite, bien que l’auteur qu’ils ont mis en besogne {e} n’ait pas fait le semblable en la satire qu’il a composée contre ce remède et ceux qui s’en servent ; dans laquelle il a si mal pris ces mesures qu’elle n’a pu même recevoir l’approbation entière ce ceux qui semblaient être engagés en ce parti. »


  1. « Plutarque en la vie de Phocion » (note marginale de Renaudot).

  2. Guerres de Religion et querelles du jansénisme.

  3. « Αγαθη δ’ ερις ηδε βροτοισιν, Hesiod. » [Cette rivalité est bonne pour les mortels, Hésiode (Les travaux et les jours, vers 24)] (note marginale de Renaudot).

  4. Un puissant frein.

  5. Claude Germain, auteur de l’Orthodoxe ou de l’abus de l’antimoine… (Paris, 1652, v. note [2], lettre 276), ouvrage auquel répondait le livre de Renaudot.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : II

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(Consulté le 29/03/2024)

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