Autres écrits
Ana de Guy Patin :
Grotiana 2

Pintard (1943) pages 77‑86 (et dernière)

Fin du Grotiana

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1.

« Les œuvres de Grotius [mort le 29 août 1645 à Rostock] à publier », annoncées en 1643, ont toutes paru, à l’exception des œuvres complètes de Procope. Elles figurent dans les notes :

2.

Les versets 6:9‑16 de l’Évangile de Matthieu donnent une version courte de ce qui est devenu le Pater Noster [Notre Père], que récitent tous les chrétiens.

Hugo Grotius s’intéressait ici au verset 6:11, dont la Vulgate donne cette traduction latine : Panem nostrum supersubstantialem da nobis hodie, « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien » ; où « pain quotidien » correspond au grec αρτον επιουσιον (arton épiousion).

3.

Hugonis Grotii Annotationes in libros Evangeliorum [Annotations de Hugo Grotius sur les livres des Évangiles] (Amsterdam, 1641, v. note [2], lettre 53), pages 144‑145 (sur le passage grec commenté dans la note [2] supra) :

Longe aliud est επιουσιος quod lxx usurpant, ut significent τον εξαιρετον, aliud επιουσιος, quod eo sensu nec invenitur neque reduci potest ad ejus significationis originem. Quod si voluisset scriptor dicere supersubstantialem, dicendum fuerat υπερουσιωδη. Nam επι in compositionibus eam significationem non habet. Adde quod επι in compositione ante vocalem literam ι solet amittere. Itaque Platonici επουσιωδες vocant quod substantiæ accedit ; quæ significatio præterea hic locum non habet : denique non patiuntur Grammaticæ leges επιουσιος aliunde deduci quam a nomine επιουσα quod diem posterum significat, ut monuit Ambrosius. Hoc vero quanquam per se sufficere debebat, accedit tamen maximi ponderis argumentum ab Hieronymi testimonio, qui consultum a se scribit Hebræum Evangelii codicem quo Nazareni, hoc est Christiani εβραιζοντες, utebantur : atque ibi reperisse מתר, id autem est crastinum. Quare περι της λεξεως amplius quæri non debet : tantum restat videamus quæ sit της λεξεως significatio. Mirum enim videtur, cum Christus vetet nos esse sollicitos pro crastino die, hic tamen ab eo præcipi ut oremus dari nobis panem crastinum. Sed sciendum est, quod et ab Hieronymo est annotatum, מתר Hebræis non significare stricte diem proxime sequentem, sed quicquid futurum imminet ut Exodi xiii, 14. ubi lxx habent μετα ταυτα, Exod. xix, 10. Iosu. iv, 6. Prov. xxvii, 1. quibus locis servarunt lxx vocem αυριον : quo sensu et αυριον usurpat Lucas 13:33. Sicut et exactum tempus Hebræis dicitur תמור, id est heri. Est ergo επιουσα, omne id spatium vitæ, quod nobis emetiendum restat, incognitum nobis, Deo cognitum : επιουσιον id quod ei spatio sufficit. Multi homines incerti quamdiu sint victuri, senectutis exspectationem avaritiæ prætendunt : et sæpe quo minus est viæ, eo plus quæritur viatici. Vult Christus nos Deo hanc curam committere, ut quantum vitæ superest, tantum nobis suppeditet alimentorum : neque ita tamen ut poscamus id omne nobis repræsentari. Est enim valde illiberalis animi, non credere Deo nisi sub pignore. Quemadmodum igitur hi qui in potestate sunt patris familias et boni et sapientis et divitis, non postulabunt ut alimenta in multos annos sibi in cellis recondere liceat, sed contenti erunt dimenso diurno : ita est Christus abesse vult a nostris precibus tum dissidentiam, tum aviditatem. Est ergo hic σημερον positum pro eo quod pleniore Hebraismo diceretur σημερον σημερον, id est Luca interprete το καθ ημεραν : unde Græce καθ ημεροβιοι, Latine in diem viventes dicuntur, qui contenti sunt præsentibus neque in longum sunt solliciti : Sic est τροφην καθ ημεραν dixerunt Alexis et Antiphanes. Quod Græci interpretes Dan. i, 5 dixere το της ημερας καθ ημεραν. Ita optime cum hac prece consentit præceptum Christi quod infra est commate 34. Omninoque idem nobis aperte significat quod quotidiana Mannæ largitione olim adumbrabatur, quam historiam ita explicat Philo, ut vice interpretis sit ad hæc Christi verba : καλον το εναριθμον και μεμετρημενον, και μη το υπερ ημας λαυβαινεν πλεονεξια τουτο γε. Το της ημερας ουν εις ημεραν συναγαγετω η ψυχη, ινα μη εαυτην φυλακα των αγαθων, αλλα τον φιλοδωρον Θεον αποφηνη. Αρτον autem dixit interpres, ut exprimeret Hebræum לחﬦ, aut Syriacum לחמﬡ, quod cibum significat et peculiariter pro ciborum præcipuo, pane, usurpatur : imo, si Athenæo credimus, Syri panem non merum sed cum lacte oleo et sale λαχμαν vocabant. Sic et apud scriptorem Tobiæ i, 11 αρτοι των εθνον sunt edulia gentium, quod patebit si conferas locum Danielis i, 8. Laxior usus ad ea omnia protulit

Queis humana sibi doleat natura negatis.

Διατροφας scilicet και σκεπασματα ut Paulus loquitur i Tim. vi, 8, aut ut Philo loco, quem infra adducemus, τροφην και σκεπην. Æque late patet in jure Romano victus appelatio : comprehendit enim ea quæ esui, potui, cultuique corporis, quæque ad vivendum hominibus sunt necessaria, ut tradidit Ulpianus. Hæc sola nobis in novo federe Deus promittit, hæc sola vult a nobis postulari : neque in antecessum, sed quantum in præsens sat est : cum contra Iudæi a magistris suis didicissent magnam sibi opulentiam precari. Sensus ergo horum verborum est : Da nobis Deus victum qui ætati in posterum agendæ sufficiat : et si non placet dare annua, da menstrua, da saltem diurna : quidquid ultra dabitur, id erit adventitium.

[L’adjectif épiousios (exceptionnel) qu’emploie la Septante pour désigner ton exairéton (ce qui est exceptionnel) est entièrement différent d’épiousios (quotidien) : {a} on ne le trouve pas dans ce premier sens et il ne peut y être étymologiquement rattaché. Si le traducteur avait voulu dire supersubstantialem, il aurait dû employer hyperousiôdê (supérieur à toutes les substances). Le préfixe épi (sur, dessus) n’a pas cette signification. En outre, devant une voyelle, il est habituel de lui ôter son i (iota) : ainsi les platoniciens appellent-ils épousiôdés « ce qui s’ajoute à la substance », signification qui n’a pas sa place ici ; enfin, comme l’a fait remarquer Ambroise, {b} les règles grammaticales ne tolèrent pas qu’on dérive épiousios d’ailleurs que du nom épiousa, qui signifie « le jour suivant ». En soi, cela devrait clore le débat, mais le témoignage de Jérôme y a introduit un argument d’extrême importance, en écrivant avoir consulté le manuscrit hébreu de l’Évangile qu’employaient les nazaréens, {c} c’est-à-dire des chrétiens ébraïzontes (parlant en hébreu), et y avoir trouvé le mot machar, qui signifie « de demain ». Il n’y a donc pas à s’interroger plus loin peri tês lexéôs (sur le vocabulaire) ; il ne nous reste plus qu’à examiner quelle est la signification tês lexéôs (des mots). Puisque le Christ nous interdit d’être inquiets du lendemain, il paraît surprenant qu’il nous soit ici prescrit de prier pour que nous soit donné le pain de demain ; mais il faut savoir qu’en hébreu le mot machar, que Jérôme a mis en note, ne signifie pas strictement « le jour qui suit immédiatement », mais « tout ce qui nous guette dans l’avenir », comme on lit au verset 13:14 de l’Exode, où la Septante utilise meta tauta (à l’avenir) ; {d} elle a veillé à employer le mot aurion (demain) dans les versets 19:10 de l’Exode, {e} 4:6 de Josué {f} et 27:1 des Proverbes ; {g} et c’est aussi dans ce sens que l’emploie Luc 13:33. {h} Aussi dit-on en hébreu tiemol pour « hier ». Épiousa (demain) inclut donc tout l’espace de vie qu’il nous reste à parcourir, dont nous ne connaissons pas la durée, mais Dieu la connaît : épiousion (quotidien) représente cette durée. Quantité d’hommes ignorent combien de temps ils vivront ; ils invoquent avec avidité l’espérance de devenir vieux ; et souvent, moins il leur reste de chemin à parcourir, plus ils recherchent de victuailles. Le Christ veut que nous laissions à Dieu le soin de nous procurer ce qu’il nous faut d’aliments pour le restant de nos jours, sans que nous demandions à savoir ce que tout cela représente. Le propre d’un esprit indigne est de ne pas croire en Dieu sans garantie. Voilà donc comment ceux qui sont soumis au pouvoir d’un père de famille, qui est à la fois bon, sage et opulent, ne demanderont pas qu’il leur permette de mettre dans leurs greniers de quoi s’alimenter pendant de nombreuses années, mais se contenteront de ce qu’il leur faut pour un jour. Ainsi Dieu veut-il écarter de nos prières toute dispute et toute cupidité. Ici sémêron (aujourd’hui) est employé pour ce que dirait plus complètement l’hébraïsme sémêron sémêron (au jour d’aujourd’hui), ce que Luc a rendu par to kath êméran (aujourd’hui) ; {i} de là vient qu’en grec on appelle kath êmérobioï « ceux qui vivent au jour le jour », qui se contentent du temps présent et ne sont pas inquiets du lointain avenir ; Alexis et Antiphanes {j} ont pareillement dit trophên kath êmeran (la nourriture d’aujourd’hui). C’est ce que les traducteurs grecs ont mis pour Daniel 1:5, to tês êmeras kath êmeran. {k} Ainsi le précepte du Christ que j’ai commenté au paragraphe 34 {l} s’accorde-t-il parfaitement avec cette prière ; et en somme, la même idée exprime ouvertement ce qui était jadis voilé par l’abondance quotidienne de la manne, histoire que Philon explique en se faisant l’interprète de ces paroles du Christ : « Est beau ce qui s’en tient à son compte et à sa mesure, et non ce qui se prend par avarice, au-dessus de ce qu’il faut. Que donc l’âme fasse, jour après jour, sa provision de ce qui suffit ; et qu’elle estime non pas être gardienne de ses biens, mais que Dieu est extrêmement généreux. » {m} Le traducteur grec a aussi employé arton (pain) pour exprimer le mot hébreu lechem, ou syriaque lahmâ, qui signifie « aliment » en général, mais en particulier le pain, qui est la nourriture qu’on consomme le plus ; et même, si nous en croyons Athénée, les Syriens appelaient lakhman le pain avec du lait, de l’huile et du sel. {n} Pareillement, dans Tobie, 1:11, artoï tôn ethnon sont « les aliments des gentils », {o} ce qui vous apparaîtra clairement en vous référant au verset 1:8 de Daniel. {p} Un plus large emploi a mené à

« Tout ce dont souffre la nature humaine quand on le lui refuse ». {q}

Soit, bien sûr, diatrophas kai sképasmata (de quoi manger et se vêtir), comme dit Paul, Première Épître à Timothée, 6:8, {r} ou Philon, à l’endroit que nous citerons plus bas, trophên kai skeptên (la nourriture et l’habillement). {s} Pareillement, le mot « nourriture » figure clairement dans le droit romain, où il inclut « les mets, la boisson et les soins corporels dont les hommes ont besoin pour vivre », comme l’a écrit Ulpian. {t} Ce sont les seules choses que Dieu nous a promises dans l’Alliance, les seules qu’il veut que nous lui demandions : ne pas nous satisfaire de l’avenir, mais seulement du présent ; et contrairement aux juifs, qui l’ont appris de leurs maîtres, ne pas le prier pour qu’il nous accorde une grande opulence. Le sens des mots de Matthieu est donc : que Dieu nous donne la nourriture qui nous suffira désormais pour vivre notre vie ; et s’il ne lui plaît pas de nous le donner pour un an, qu’il le donne pour un mois, ou au moins pour un jour ; tout ce qui sera donné en plus sera imprévu]. {u}


  1. Pour simplifier la lecture de ma traduction, j’ai translittéré les mots grecs et hébreux en romain, en les accompagnant (entre parenthèses) de leur sens français.

    V. notule {b}, note [7], lettre 183, pour la Septante, traduction rabbinique grecque de l’Ancien Testament hébreu, qui sert de référence. Grotius la cite ici pour sa syntaxe, et non pour l’Évangile de Matthieu qui appartient au Nouveau Testament.

    Pour le verset en discussion (Matthieu 6:11), l’Évangile grec original emploie l’adjectif épiousios, mais dans un contexte qui peut lui donner le sens d’« exceptionnel » au lieu de « quotidien », les deux mots correspondant au latin « supersubstantialis » qu’a employé la Vulgate de saint Jérôme (v. note [6], lettre 183), et qui peut être compris comme signifiant eximius [exceptionnel] ou quotidianus [quotidien]. Le dictionnaire de Bailly ne donne à épiousios que les sens de « quotidien » et « du jour suivant ».

  2. V. note [24], lettre 514, pour saint Ambroise de Milan, docteur et Père de l’Église.

  3. V. note [36] du Grotiana 1 sur les nazaréens et pour l’Évangile de Matthieu en hébreu qu’ils auraient possédé et utilisé.

  4. Εαν δε ερωτηση ο υιος σου μετα ταυτα… [Quand ton fils t’interrogera à l’avenir…] (Septante) ;
    Cumque interrogaverit te filius tuus cras… (Vulgate).

  5. αγνισον αυτους σημερον και αυριον… [sanctifie-les aujourd’hui et demain…] (Septante) ;
    sanctifica illos hodie et cras… (Vulgate).

  6. ινα οταν ερωτα σε ο υιος σου αυριον… [dans l’avenir, lorsque vos enfants vous demanderont…] (Septante) ;
    quando interrogaverint vos filii vestri cras… (Vulgate).

  7. Μη καυχω τα εις αυριον… [Ne te glorifie pas des choses de demain…] (Septante) ;
    Ne glorieris in crastinum… (Vulgate).

  8. Πλην δει με σημερον και αυριον και τη εχομενη πορευεσθαι… [Seulement, il faut que je poursuive ma route aujourd’hui, et demain, et le jour suivant…] (texte évangélique) ;
    Verumtamen oportet me hodie et cras et sequenti die ambulare… (Vulgate).

  9. Luc 11:3 : Τον αρτον ημων τον επιουσιον διδου ημιν το καθ ημεραν [Donnez-nous chaque jour notre pain quotidien] (texte évangélique) ;
    Panem nostrum quotidianum da nobis hodie (Vulgate).

  10. Alexis et Antiphanes sont deux écrivains comiques athéniens du ive s. av. J.‑C.

  11. Και διεταζεν αυτοις ο βασιλευς το της ημερας καθ ημερα απο της τραπεζης του βασιλεως [Et le roi leur assigna jour après jour une portion des mets de la table du roi] (Septante) ;
    Et constituit eus rex annonam per singulos dies de cibis suis (Vulgate).

  12. Matthieu 6:34 : « N’ayez donc point de souci du lendemain, car le lendemain aura souci de lui-même : à chaque jour suffit sa peine » (où « lendemain » traduit le mot grec aurion du texte évangélique, et le mot latin crastinus de la Vulgate).

  13. Grotius appliquait aux paroles du Christ sur le pain quotidien une exégèse de Philon d’Alexandrie (v. note [8] du Borboniana 2 manuscrit) sur la manne dans L’Exode (16:4, v. note [7] de la 2e leçon de Guy Patin au Collège de France) ; elle est dans le livre iii (chapitre lvii, § 166, pages 256‑258) de son Commentaire allégorique des Saintes Lois (édition bilingue d’Émile Bréhier, grecque et française, Paris, Alphonse Picard et fils, 1909, in‑8o).

    Ce passage se lit aussi à la page 199 des Œuvres de Philon juif, auteur très éloquent et philosophe très grave. Contenant l’interprétation de plusieurs divins et sacrés mystères, et l’instruction d’un chacun en toutes bonnes et saintes mœurs. Translatées de grec en français par Pierre Bellier, docteur ès droits. Revues et augmentées de trois livres, traduits sur l’original grec par Fédéric < [sic] > Morel, doyen des lecteurs et interprètes du roi (Paris, Charles Chappellain, 1612, in‑8o).

  14. Déipnosophistes d’Athénée de Naucratis (v. note [17], lettre de Charles Spon, datée du 6 avril 1657), livre iii, 113b‑113c :

    « Les Grecs appellent mollet certain pain dans la pâte duquel on mêle un peu d’huile, de lait et une pointe suffisante de sel ; mais il faut que la pâte n’en soit pas pétrie ferme ; c’est aussi ce qu’on nomme pain de Cappadoce, parce que c’est surtout en cette contrée qu’on fait du pain mollet. Les Syriens appellent cette espèce de pain lachman : il est d’ailleurs excellent chez eux parce qu’il s’y mange tout chaud, et qu’il est comme de la fleur de farine. »

  15. Και οτε ηχμαλωτισθην εις Νινευη, παντες οι αδελφοι μου και οι εκ του γενους μου ησθιον εκ των αρτων των εθνων [Et lorsque je fus emmené captif à Ninive, tous mes frères et ceux de ma race mangeaient de tous les aliments des gentils] (Septante) ;
    Igitur cum per captivitatem devenisset cum uxore sua et filio in civitatem Neneve cum omni tribu sua et mones ederent ex cibis gentilium (Vulgate).

  16. Και εθετο Δανιηλ επι την καρδιαν αυτου ως ου μη αλισγηθη εν τη τραπεζη του βασιλεως και εν τω οινω του ποτου [Daniel résolut en son cœur de ne pas se souiller à la table du roi et par le vin qu’il buvait] (Septante) ;
    Proposuit autem Daniel in corde suo ne pollueretur de mensa regis, neque de vino potus ejus (Vulgate).

  17. Horace, Satires, livre i, poème i, vers 75.

  18. Εχοντες δε διατροφας και σκεπασματα, τουτοις, αρκεσθηεσομεθα [Si nous avons nourriture et vêtements, nous nous en contenterons] (texte de Paul) ;
    Habentes autem alimenta, et quibus tegamur, his contenti simus (Vulgate).

  19. Renvoi à Philon que je n’ai pas trouvé dans la suite du commentaire de Grotius sur Matthieu.

  20. Ulpian (v. note [24], lettre 206), Digeste justinien (livre xlii, titre i, section iv).

  21. Tel est le long passage dont le Grotiana recommandait la lecture. Je l’ai entièrement transcrit, traduit et annoté (en espérant ne pas l’avoir trahi) car il illustre brillamment l’érudition littéraire, tant sacrée que profane, de Grotius, et la méthode qu’il a employée pour commenter entièrement l’Ancien et le Nouveau Testament.

4.

« qui ont vécu longtemps avant le Christ ».

Cet article du Grotiana relate un dialogue direct entre Guy Patin, qui l’introduit par une remarque, à laquelle répond ensuite Hugo Grotius.

Le « Notre Père », sous le titre d’Oraison de Notre Seigneur Jésus-Christ contenant six demandes Matth. 6, est la première des prières que le ministre réformé Jérémie Ferrier (v. note [16], lettre 463) a transcrites (pages 13 vo‑ 14 ro) dans son Trésor des prières, oraisons et instruction chrétiennes, pour invoquer Dieu en tout temps… (Paris, Guillaume Auvray, 1596, in‑8o de 220 pages). Je n’y ai pas trouvé de commentaire attribuant cette prière à un autre que Jésus-Christ. L’Église catholique convient aujourd’hui (site consulté le 24 août 2019) que des sources rabbiniques ont servi à composer le « Notre Père » chrétien.

5.

« si mes brebis sont bien fécondes, tu iras couvert d’or » : vers des Bucoliques (v. note [3], lettre 8), mais avec remplacement d’aureus esto, « tu seras d’or », par aureus ibis, « tu iras couvert d’or », que Guy Patin a déjà pratiqué dans sa lettre latine 269 (v. sa note [1]).

V. note [19], lettre de Charles Spon, datée du 28 août 1657, pour la statue de bronze que la ville de Rotterdam érigea en l’honneur d’Érasme en 1622.

6.

« et nous devons la renaissance des belles-lettres à l’infinité de son érudition ».

Cet article du Grotiana prend à nouveau la forme d’un dialogue entre Guy Patin et Hugo Grotius, tous deux profonds admirateurs du génie d’Érasme.

7.

« en dépit de tout ce que moines et loyolites, hommes de genre impur, ont répandu contre lui. »

La quatrième et dernière édition des Poemata omnia [Poèmes complets] de Hugo Grotius (Leyde, 1645, v. note [2], lettre latine 133) ne contient aucun vers à la louange d’Érasme.

8.

À la mort de Louis xiii, le 14 mai 1643, la régence fut confiée à sa veuve, Anne d’Autriche, mère des deux princes (qui n’eurent jamais de petite sœur) : le roi mineur Louis xiv, alors âgé de 5 ans, et le « petit Monsieur », Philippe d’Anjou, futur duc d’Orléans, âgé de 2 ans.

Hugo Grotius était ambassadeur de Suède à Paris depuis 1634 et fut rappelé à Stockholm en décembre 1644. Son audience de congé eut lieu à Paris le 26 mars 1645 (Levantal).

On entamait alors les longs pourparlers qui aboutirent à la Paix de Westphalie (octobre 1648), marquant la fin de la guerre de Trente Ans qui ravageait l’Allemagne. La guerre parallèle de la France contre l’Espagne, dirigée par Philippe iv (« l’Espagnol »), commencée en 1635, ne s’acheva qu’à la paix des Pyrénées (novembre 1659).

René Pintard (Pintard a, note 1, page 78) cite ici les Hugonis Grotii Epistolæ quotquot reperiri potuerunt… [Épîtres de Hugo Grotius, tant qu’on a pu en retrouver…] (Amsterdam, 1687, v. note [18], lettre 498), en renvoyant à ce passage d’une lettre à Ioannes Salvius, chancelier de la reine Christine de Suède, datée de Paris le 30 mai 1643 (page 713) :

Regina Regens et per D. Chavigniacum et suo ore mihi asseveravit perstituram se in omnibus consiliis a Rege marito quondam suo institutis, et in fide erga socios ; pacem bonam a se optari, bellum non metui. Videntur tamen qui res temperant aliquid in federibus immutatum velle, qua de re agent ut puto, in Suedia per Residentem suum.

[La reine régente, par sa propre bouche et par celle de Chavigny, m’a assuré qu’elle conserverait tous les conseillers que le roi son mari a naguère nommés, et restera fidèle à ses alliés. Elle souhaite une bonne paix, une nouvelle guerre n’est pas à craindre. Il semble pourtant que certains de ceux qui dirigent ici les affaires veuillent quelque changement d’alliance ; ils agissent en ce sens, comme je pense, par leur résident en Suède].

9.

« Mets un prix à la chair humaine ».

Ce propos se lit à la fin du livre vi des :

Zosimi Comitis et exadvocati fisci, Historiæ novæ libri vi, numquam hactenus editi : Quibus additæ sunt historiæ, Procopii Cæsariensis, Agathiæ Myrrinæi, Iordanis Alani. Zosimi libros Io. Leunclaius primus ab se repertos de Græcis Latinos fecit, Agathiam redintegravit, ceteros recensuit. Adiecimus et Leonardi Aretini rerum Gothicarum commentarios, de Græcis exscriptos. Omnia cum Indicibus copiosis

[Quinze livres de la nouvelle Histoire de Zosime, {a} comte et ancien avocat fiscal, qui n’ont jamais été publiés auparavant ; auxquels ont été ajoutées les histoires de Procope de Césarée, d’Agathias de Myrrina {b} et de Jordanus Alanus. Johannes Leunclaius {c} a traduit du grec en latin les livres de Zosime qu’il a lui-même retrouvés, a rétabli le texte d’Agathias et a revu le reste. Nous avons aussi ajouté les commentaires de Leonardus Aretinus {d} sur les affaires des Goths. Le tout avec de copieux index]. {e}


  1. Zosime (ou Zozime), historien byzantin d’expression grecque au iveve s.

  2. Agathias de Myrrina (dit le Scholastique, historien grec du vie s.

  3. Jordanès ou Jornandès, historien latin d’origine ostrogothique (Alanus [Alain]) du vie s.

  4. Johann Löwenklau, historien allemand (1541-1594).

  5. Giovanni Tortelli, natif d’Arezzo (1400-1466), abbé humaniste italien.

  6. Bâle, Petrus Perna, sans date [1576], in‑fo de 115 pages.

Pages 114‑115 :

Quum autem Heraclianus omnes in Africa portus occupatos suo præsidio teneret, neque iam frumentum, vel oleum, vel ullus alius commeatus in portum Romanum adveheretur ; fames in irbe gravior, quam prius, exstitit ; dardanariis ea spe, quidquid habebant, supprimentibus ; ut omnium pecunias ad se transferrent, id consequentes pretium, quod ipsimet arbitratu suo statuissent. Quapropter ad eas angustias urbs redacta fuit, ut a sperantibus hominum quoque corpora degustatum iri, vox huiusmodi Circensibus ludis emitteretur : pretium pone carni humanæ.

Traduction du texte grec (Ouvrages historiques de Polybe, Hérodien et Zozime, avec notices biographiques, par J.‑A.‑C. Buchon, Paris, A. Desrez, 1836, in‑8o, page 746) :

« Héraclien {a} garda cependant si exactement tous les ports d’Afrique qu’il ne venait plus au port de la ville de Rome ni blé, ni huile, ni aucune autre provision. Ainsi la famine y fut plus grande que jamais, ceux qui avaient des vivres les cachant pour les vendre plus chèrement lorsque la disette serait augmentée. Le désespoir fut si extrême que plusieurs crurent qu’on serait bientôt réduit à manger de la chair humaine, et que quelques-uns crièrent dans le cirque qu’il y fallait mettre un prix. » {b}


  1. Héraclien, mort à Carthage en 413, est un gouverneur d’Afrique, qui tenta d’usurper le pouvoir d’Honorius Flavius (384-423, v. note [3] de l’Observation i).

  2. Le récit de Zosime n’attribue pas cette requête à une femme particulière, mais à quelques-uns des Romains affamés.

10.

Cette digression du Grotiana (probablement ajoutée par Guy Patin) est malvenue : v. note [31], lettre 503, pour « les écrivains de l’Histoire Auguste », dont Hugo Grotius, excellent historien, devait parfaitement savoir qu’elle s’achève à la fin du iiie s., et ne contient pas la vie d’Honorius Flavius, empereur du Bas-Empire romain (c’est-à-dire postérieur à la mort de Constantin ier s., en 337).

V. note [32] de la même lettre 503 pour les éditions annotées de l’Histoire Auguste données par Isaac Casaubon (Paris, 1603) puis par Claude i de Saumaise (Paris, 1620).

11.

Philippe de Marnix (Bruxelles 1538 ou 1540-Leyde 1598), baron de Sainte-Aldegonde, issu de la noblesse savoyarde et franc-comtoise, a joué un rôle éminent dans la lutte politique et religieuse pour l’indépendance des Provinces-Unies.

Il avait étudié la théologie à Genève sous Calvin et Théodore de Bèze, et adhéré avec ardeur à la Réforme, dont il fut l’un de ses premiers zélateurs aux Pays-Bas. Il adhéra, dès leur début, aux révoltes qui agitèrent son pays contre le joug espagnol fermement imposé par le roi Philippe ii (v. note [13], lettre 152). Chassé par le duc d’Albe (v. note [24], lettre 601) en 1567, il se réfugia en Allemagne, d’où il écrivit plusieurs vigoureux pamphlets contre les Pays-Bas espagnols et le catholicisme. À son retour en Hollande en 1571, le prince d’Orange, Guillaume de Nassau (le Taciturne, v. notule {d}, note [2], lettre latine 452), le chargea de plusieurs importantes missions diplomatiques et gouvernementales. Nommé bourgmestre d’Anvers en 1583, il défendit la ville contre le prince de Parme, Alexandre Farnèse, gouverneur des Pays-Bas espagnols (v. note [12], lettre 152), face à qui il fut contraint de céder en 1585. Il se retira alors en Hollande où, terni par cette défaite, il ne se vit plus confier que des tâches de second ordre, dont une brève ambassade en France en 1590. En fervent théologien réfomé, Sainte-Aldegonde a traduit la Bible en néerlandais, pour la rendre accessible au plus grand nombre de ses concitoyens.

12.

Sibrandus (Sybrandus) Lubbertus (Sibrand Lubbert, Langwarden, Basse-Saxe vers 1555-Franeker 1625) a enseigné la théologie calviniste à l’université de Franeker pendant 40 ans : depuis la fondation de cette académie, en 1585, jusqu’à sa mort. Il fut l’acerbe contradicteur des idées politico-religieuses défendues par Grotius dans son ouvrage intitulé :

Ordinum Hollandiæ ac Westfrisiæ Pietas. Ab improbissimis Multorum Calumniis, simulque a nupera Sibrandi Lubberti Episola, quam ad Reverendissimum Archiepiscopum Cantuariensem scripsit, vindicata : Per Hugonem Grotium eorundem Ordinum Fisci Advocatum. {a}

[La Piété des États de Hollande et de Frise-Occidentale. Hugo Grotius, leur avocat fiscal, l’a justifiée contre les calomnies malhonnêtes de nombreuses gens, et contre la lettre que Sibrandus Lubbertus a récemment écrite à l’archevêque de Canterbury].


  1. Leyde, Johannes Patius, 1613, in‑4o de 82 pages.

Cette dispute marqua les débuts de la longue querelle entre purs calvinistes (gomaristes) , partisans de la prédestination, et arminiens (remontrants), défenseurs du libre arbitre, qui faillit plonger les Provinces-Unies dans la guerre civile (v. notes [7], lettre 100, et [33] du Borboniana 7 manuscrit).

Les calvinistes célèbrent la communion pour recevoir l’esprit du Christ, mais en niant la transsubstantiation que le dogme catholique établit comme fondement de l’Eucharistie (v. note [5], lettre 952). L’article de Bayle sur Lubbert n’évoque pas les doutes religieux qui, selon Grotius, le préoccupèrent dans les dernières années de sa vie.

13.

« Ce Conrad Vorstius, professeur de théologie à Leyde, a écrit de nombreux ouvrages, dont quelques-uns ont été désapprouvés par beaucoup, parce qu’il y semble enclin au socinianisme et être favorable au parti de Socinus. »

Conradus Vorstius (Konrad von dem Vorst, Cologne 1569-Tönning, Schleswig-Holstein 1622) avait, en 1610, pris la succession de Jacobus Arminius (fondateur de l’arminianisme) dans la chaire de théologie de Leyde. Il était le théologien remontrant auquel Sibrandus Lubbertus s’était d’abord attaqué, et dont Hugo Grotius avait pris la défense (v. supra note [12]). Accusé de socinianisme (v. infra note [14]), Vorstius fut chassé de Leyde en 1612, puis définitivement banni des Provinces-Unies en 1619. Il mourut en exil. Il n’avait pas de lien de parenté avec le médecin Adolf Vorst, correspondant de Guy Patin.

14.

« Il mourut voilà 25 ans en Pologne. »

V. note [13], lettre 127, pour Lælius Socinus (Lelio Sozzini ou Socini, mort en 1562) et son neveu Faustus (Fausto, mort en 1604), fondateurs du socinianisme, secte antitrinitaire proche de l’arianisme (v. note [15], lettre 300), autrement appelée unitarisme (car il niait la Trinité divine), pour laquelle Hugo Grotius avait de sérieuses inclinations.

Lælius était l’arrière-petit-fils de Mariano Sozzini (Marianus Socinus, mort en 1467, qui vivait donc environ 200 et non 300 ans avant le moment où Grotius en parlait) et petit-fils de Bartholomæus Socinus (Bartolomeo Sozzini, mort en 1507), tous deux éminents juristes toscans, professeurs de droit à Sienne.

V. notule {b}, note [2], lettre latine 335, pour les photiniens, précurseurs antiques des sociniens. Les samosatiens, adeptes du paulanisme, étaient une secte luthérienne qui reprenait les thèses antitrinitaires de Paul de Samosate, évêque d’Antioche au iiie s. L’Encyclopédie :

« La doctrine de Paul de Samosate roulait principalement sur ce fondement : que le fils de Dieu n’était point avant Marie ; mais qu’il tenait d’elle le commencement de son être et que d’homme, il était devenu Dieu. Pour le prouver, il usait de ce sophisme : si Jésus-Christ n’est pas devenu Dieu, d’homme qu’il était, il n’est donc pas consubstantiel au père et il faut, de nécessité, qu’il y ait trois substances – une principale, et les deux autres qui viennent de celle-là. Pour répondre à ce sophisme, les Pères du concile d’Antioche {a} dirent que Jésus-Christ n’était pas consubstantiel au père, prenant le mot consubstantiel au sens de Paul, {b} c’est-à-dire corporellement. {c} Mais ils ne prirent pas ce terme dans sa signification exacte : ils s’attachèrent seulement à montrer que le fils était avant toutes choses ; qu’il n’avait pas été fait Dieu d’entre les hommes, mais qu’étant Dieu, il s’était revêtu de la forme d’esclave ; et qu’étant Verbe, il s’était fait chair. »


  1. En l’an 269.

  2. Paul de Samosate.

  3. Consubstantiel ou coessentiel (Trévoux) :

    « qui est de la même substance. Le Fils de Dieu est consubstantiel au Père. Ce terme fut choisi et adopté par les Pères du concile de Nicée {i} pour exprimer la doctrine de l’Église avec plus de précision, et pour servir de barrière et de précaution contre les erreurs et contre les surprises des ariens. […] Sandius prétend que le terme de consubstantiel était inconnu avant le concile de Nicée, mais on l’avait déjà proposé au concile d’Antioche, lequel condamna Paul de Samosate en rejetant pourtant le mot de consubstantiel. Courcelles, au contraire, a soutenu que le concile de Nicée avait innové dans la doctrine en admettant une expression dont le concile d’Antioche avait aboli l’usage. Il est vrai que le mot de consubstantiel fut toujours l’écueil des ariens, parce qu’il attaquait l’erreur dans sa source, et qu’il prévenait toutes leurs distinctions et toutes leurs subtilités. Selon saint Athanase, le mot de consubstantiel ne fut condamné par le concile d’Antioche, qu’en tant qu’il renferme l’idée d’une matière préexistante, et antérieure aux choses qui en ont été formées, et que l’on appelle coessentielles. Or en ce sens, le Père et le Fils ne sont point consubstantiels parce qu’il n’y a point de matière préexistante. L’heureuse fécondité de la langue grecque, accoutumée aux mots composés, fournit aux Pères de cette sainte Assemblée le mot d’homoousios, c’est-à-dire, consubstantiel au Père, ou de même substance que le Père, qui fermait la porte aux équivoques des ariens. Quel bruit ne firent-ils pas, par tout le monde chrétien, pour le soulever contre la nouveauté de ce mot pris, disaient-ils, de la fausse sagesse, inconnu aux apôtres, et aux trois premiers siècles de l’Église ! Ils n’appelèrent plus les orthodoxes qu’homoousiens, c’est-à-dire consubstantiels ou consubstantiateurs ; hélas ! comme nos frères nous appellent quelquefois transsubstantiateurs dans leurs écrits. » {ii}

    1. En 325.

    2. Les protestants croient en la Trinité divine, sans admettre la trasnssubstantiation eucharistique des catholiques (v. supra note [12]).

15.

Le « comte Maurice » est le nom qu’on donnait à Maurice de Nassau (Dillenburg, Hesse 1567-Breda 1625), prince d’Orange. Devenu stathouder de Hollande et Zélande un an après l’assassinat de son père, Guillaume le Taciturne, il poursuivit la guerre d’indépendance contre l’Espagne.

Maurice de Nassau avait accédé au pouvoir grâce à l’appui de Johan van Oldenbarnevelt (parfois appelé Olden Barnevelt, Amersfoort 1547-La Haye 1619), habile et très influent partisan de l’indépendance, conseiller de Guillaume le Taciturne. Grand pensionnaire des États de Hollande en 1586, il devint le principal ministre du jeune comte Maurice ; mais à partir de 1600, des dissensions se firent jour entre les deux hommes sur des motifs politiques et religieux : partisan de la paix négociée avec l’Espagne, Odenbarnevelt fut l’un des artisans de la trêve de Douze Ans (1609-1621, v. notes [6], lettre 453, et [10], lettre 529) ; dans la grande querelle théologique qui agitait la Hollande, le grand pensionnaire prit le parti des arminiens, mais le stathouder se rangea du côté des gomaristes (v. supra note [12]). Les choses empirèrent et, en 1618, sur ordre de Maurice de Nassau, Oldenbarnevelt fut arrêté avec ses partisans (dont Hugo Grotius, v. note [10], lettre 512), puis mis en procès et condamné à mort ; il eut la tête tranchée en mai 1619.

16.

Matthias ier de Habsbourg (Vienne 1557-ibid. 1619) avait maladroitement gouverné les Pays-Bas espagnols de 1578 à 1583, sans parvenir à empêcher le sécession des Provinces-Unies. Rentré en Autriche, il avait combattu les Turcs et les protestants pour le compte de son frère, l’empereur Rodolphe ii (1576-1612, v. note [39] du Borboniana 3 manuscrit) ; mais il finit par s’opposer à ce souverain malade et pervers, et le destitua de tous ses pouvoirs en 1611, avant de lui succéder en 1612. Matthias mourut en mars 1619 sans héritier légitime, ayant perdu l’essentiel de son influence politique, et laissant un empire surchauffé par les tensions entre protestants et catholiques, particulièrement en Hongrie et en Bohême (défenestration de Prague, le 23 mai 1618).

Contre l’avis du pacifique Oldenbarnevelt (exécuté en mai 1619, v. supra note [15]), Maurice de Nassau était entré dans les intrigues qui se tramaient depuis 1617 pour la succession de Matthias : il y prit le parti des protestants en envoyant argent et troupes pour soutenir son neveu, l’électeur palatin Frédéric v, devenu roi de Bohême en août 1619 ; cet appui hollandais enhardit les protestants qui affrontèrent les impériaux dans la bataille de la Montagne-Blanche (9 novembre 1620, v. note [15] du Patiniana I‑1), victoire catholique qui marqua le véritable début militaire de la guerre de Trente Ans, et qui mit fin à toute éventuelle prétention du prince d’Orange à la couronne impériale.

17.

« qu’il qualifiait de loups dans une peau de brebis. »

V. notes [32] et [33] du Grotiana 1 pour Theodorus Coornhertius (Dirck Volkertszoon Coornhert), érudit catholique (et finalement déiste opposé à toutes les doctrines chrétiennes), et pour ses déboires politico-religieux.

18.

« L’Église ne doit pas connaître le sang. À ce sujet, voyez la Bibliotheca Belgica de Valerius Andreas, page 827. »

Page 827 de la « Bibliothèque flamande » de Valerius Andreas (Louvain, 1643, v. note [3], lettre 584) :

Batavus, homo vix Latinus, novæque in Religione apud Batavos sectæ auctor et antesignatus, teste Aub. Miræo in Vita Iusti Lipsii ; edidit :

[Hollandais, qui connaissait à peine le latin, et fut le créateur et porte-étendard d’une nouvelle secte religieuse en Hollande, au témoignage d’Aub. Miræus dans la Vita Iusti Lipsii. {a} Il a publié :


  1. Vita sive Elogium Iusti Lipsii sapientiæ et litterarum Antistitis. Aubertus Miræus Bruxellensis, Canonicus et Bibliothecarius Antuerp. ex scriptis illius potissimum concinnabat.

    [Vie de Juste Lipse, champion de la sagesse et des lettres. Aubertus Miræus, {i} natif de Bruxelles, chanoine et bibliothécaire d’Anvers, l’a principalement établie à partir de ses écrits]. {ii}

    1. Aubert Le Mire, v. note [24] du Borboniana 5 manuscrit)

    2. Anvers, David Martinius, 1609, in‑4o de 40 pages.

    Pages [12 ter] (non numérotée)‑13, Miræus y défend Lipse dans la querelle qui l’a opposé à Coornhert sur les mots ure, seca [brûle, coupe] (v. note [33] du Grotiana 1) :

    Invidiam tamen (ut summa semper petit livor) effugere non potuit, quam duæ ipsi voculæ potissimum peperunt : ignem struente Theodoro Cornhertio (quem nunc Diodorum, nunc Dialogistam ipse nuncupat) homine vix Latino, et novæ in religione apud Batavos sectæ autore et antesignano. Scripserat noster, Hæreticos seditiosos ac turbidos esse puniendos : ille sic accepit, quasi dixisset, quoscumque in religione errones urendos, secandos, occidendos, libelloque vulgari lingua edito, hominem mitissimum sævitiæ apud Ordines Bataviæ accusavit ; hominem, inquam, mitissimum : cuius scripta quisquis sedate legerit, nec sævitiam nec lenitudinem increpabit, sed fatebitur viam præscriptam, quam bono generis humani iniverint hodie qui regnant. Quin imo agnoscet in lenitudinem semper fuisse proniorem, quique in hanc potius, quam in aliam partem peccandum, si modo peccandum, existimarit.

    [Cependant, il n’a pu échapper à la malveillance (cette inévitable conséquence de la jalousie) que lui valurent principalement deux petits mots : l’incendie fut allumé par Theodorus Coornhertius, homme qui connaissait à peine le latin, créateur et porte-étendard d’une nouvelle secte religieuse en Hollande (qui se donnait tantôt le nom de Diodorus, tantôt celui d’Interlocuteur). Notre Lipse avait écrit que les hérétiques séditieux et fauteurs de trouble doivent être punis : ce que son antagoniste avait entendu comme voulant dire que tous ceux qui fautent en matière de religion doivent être brûlés, coupés et occis ; et dans un libelle publié en flamand, il traduisit le plus aimable des hommes devant les États de Hollande pour cause de furie. Je dis bien le plus aimable des hommes, car quiconque aura calmement lu ses écrits n’en blâmera ni la furie ni la douceur, mais y reconnaîtra la voie que prescrivent ceux qui gouvernent aujourd’hui pour contribuer au bien du genre humain. Qui plus est, on y verra qu’il a toujours été grand adepte de la douceur, et on jugera que, s’il a jamais péché, c’est par excès d’amabilité plutôt que de furie].

  2. « Abrégé du progrès qui consiste à tuer les hérétiques et à forcer les consciences. Entre ledit Lipse et Coornhert » (Gouda, 1597, v. note [33] du Grotiana 1).

  3. V. note [32] du Grotiana 1 pour le « Livre sur la religion unique, contre un Interlocuteur » de Lipse (Leyde, 1590) et pour la « Défense du progrès » de Coornhert (Gouda, 1591).

  4. Emblemata moralia, et œconomica, de rerum usu et abusu, olim inventa et Belgicis rithmis explicata a Theodoro Cornhertio rerum politicarum suo tempore, inter Belgas peritissimo ; nunc vero variis carminum generibus recens illustrata a Richardo Lubbæo Broecmerio Frisio.

    [Emblèmes moraux et sages, sur l’us et abus des choses, que Theodorus Coornhertius, parmi les Flamands, le plus fin connaisseur des affaires politiques de son temps, a jadis trouvés et expliqués en vers néerlandais ; diverses sortes de poèmes {i} de Richardus Lubbæus Broecmerius, natif de Frise, les ont aujourd’hui de nouveau illustrés]. {i}

    1. Latins.

    2. Arnheim, Ioannes Iansonius, 1609, in‑4o de 7 feuilles, splendide ouvrage illustré dont les gravures ont été dessinées par Coornhert.

Les Van Dieryck Volckertsz Coornherts Wercken [Œuvres de Dirck Volkertszoon Coornhert] ont paru à Amsterdam, chez Iacob Aertszoon Colom en 1630, trois volumes in‑8o (et non pas in‑fo).

19.

Guy Patin a souvent exprimé les trois mêmes souhaits dans ses lettres.

20.

« comme ont été Onkelos sur Moïse et Jonathan sur les Prophètes. »

Hugo Grotius citait les ouvrages de deux éminents targumistes, ou interprètes et paraphrastes (traducteurs et commentateurs) judaïques de la Bible, dont les ouvrages sont appelés targum ou targoum (« traduction, interprétation » en hébreu) :

V. note [2], lettre latine 233, pour massorets (massorètes) et les talmudistes.

Cet article du Grotiana, comme ceux qui traitent du Pater Noster (v. supra note [3]) et des nazaréens (v. note [36] du Patiniana I‑1), témoigne de la solide érudition judaïque de Grotius, ce qui donne quelque crédit à l’idée qu’il ait pu souhaiter se convertir à la religion des rabbins (v. note [18] du Patiniana I‑4).

21.

Guilielmus Amesius (transcrit Arnesius dans le manuscrit de Vienne, v. note [12] de l’Introduction aux ana de Guy Patin) est le nom latin de William Ames (Ipswich 1576-Rotterdam 1633), théologien anglais dont Jean-Noël Paquot a donné la biographie détaillée dans les Mémoires pour servir à l’histoire littéraire des dix-sept Provinces… (Louvain, 1767, tome 9, pages 404‑420). Ames avait adhéré au puritanisme lors de ses études à Cambridge, et entreprit d’y prêcher sa doctrine avec talent, ce qui lui valut la censure de l’évêque de Londres, qui le priva de tout emploi académique ou sacerdotal. Il préféra s’exiler en Hollande, où les anglicans et le roi Jacques ier de Grande-Bretagne continuèrent à le poursuivre de leur vindicte. Amesius finit par recevoir la chaire de théologie de Franeker en 1622, université dont il devint recteur en 1626. En 1633, il fut appelé à Rotterdam pour diriger le collège que les Anglais venaient d’y ouvrir ; mais peu après, surpris une nuit dans sa chambre par une inondation maritime, il fut saisi d’une fièvre qui l’emporta en quelques jours.

22.

« Il y a eu deux Johann van Woweren. Le premier, natif de Hambourg fut d’abord luthérien. Il a été auditeur de Casaubon et a écrit […] et quelques annotations sur Minucius Felix, sur Firmicus, sur Pétrone, sur Apulée, sur Tertullien. »

Johann von Wowern (van Wouwer ou Wouwern en néerlandais, Johannes Wowerius ; Hambourg 1574-château de Gottorp, Schleswig-Holstein 1612) avait passé sa jeunesse à parcourir l’Europe et à étudier. Conseiller politique, ecclésiastique et diplomatique influent à la cour de Danemark et auprès d’Ennon iii (1563-1625), comte de Frise orientale (de 1599 à sa mort), Woverius a consacré son temps libre aux travaux érudits, essentiellement composés à partir des textes antiques qu’il avait recueillis lors de ses séjours en Italie. Le Grotiana citait ici la plus grande partie de ce qu’il a publié (sous les diverses variantes de son nom) :

23.

« Voyez la Bibliotheca Belgica de Valerius Andreas, page 587 » : {a}

Ioannes Woverius, vulgo vanden Wouwere, Antverpiæ nascitur anno Dom. m. d. lxxvi. v. Kal. Junias. Post jacta ibidem litterarum humaniorum fundamenta in Scholis S. I. Lovanii, domo et contubernio usus Iusti Lipsii, viri præstantissimi, vitam ad optima præcepta, ingenium ad artes confirmavit, ejusdem Lipsii testimonio, qui ita carum Woverium habuit, ut unum e testamenti sui Curatoribus eum esse voluerit, solumque elegerit, cujus fidei libros, scriptaque edenda et non edenda committeret. Adeoque abeuntem a se non immerito his versibus prosecutus est :

En scripto tibi pectoris recessus
Nostri pandimus, intimosque amores,
Hos habe sine fraude, et hos habebis,
Dum me terra, vel æther ipse habebit.

Post lustratas triennali peregrinatione Galliam, Hispaniam, Italiam, Germaniamque, patriæ redditus, mox in Senatorum ordinem adlectus fuit, post Finantiarum seu Ærarii Regii in Belgio Assessor, atque a Consiliis bellicis, status publicis caussa ad Regem Catholicum Philippum iv. a Sereniss. Isabella, Clara, Eugenia, Hispan. Infante etc. delegatus, ab eodem Rege Eques nominatur, et torque aureo insignitur. Scripsit dum a gravioribus Reip. muneribus adhuc immunis esset, sequentia : […]

Pluraque ipse meditabatur, quorum sera fortassis exspectatio erit, Woverio anno m. dc. xxxv. die xxiii. Septemb. ætatis anno lviii. vita functo.

[Joannes Woverius, vanden Wouwere en flamand, naquit à Anvers le 28 mai 1576. Après y avoir acquis les principes des humanités littéraires, puis étudié aux Écoles des jésuites de Louvain, il est devenu familier de la maison et de la compagnie du très éminent Juste Lipse et, au témoignage de ce maître, il a affermi ses mœurs conformes aux meilleurs préceptes et une intelligence orientée vers la pratique des sciences ; et Lipse a tant chéri Woverius qu’il a voulu en faire l’un de ses exécuteurs testamentaires, puis l’a choisi pour le seul d’entre eux, à qui il confierait ses livres et ses écrits, destinés à être ou non publiés. Au moment de le quitter, il l’a honoré de ces vers :

« Je t’écris pour t’ouvrir le tréfonds de mon cœur et te dire mon intime affection. Accepte-les franchement, et garde-les tandis que la terre, voire le ciel, me gardera. » {b}

Après avoir voyagé pendant trois ans en France, en Espagne, en Italie et en Allemagne, il revint dans sa patrie et fut bientôt reçu membre des États généraux, et ensuite assesseur des finances, ou trésor royal, en Flandre et conseiller aux affaires de la guerre. La sérénissime Isabelle Claire Eugénie, infante d’Espagne, l’envoya comme ambassadeur auprès du roi catholique Philippe iv. {c} Ce monarque l’a nommé chevalier et l’a honoré d’un collier en or. Avant d’être investi de ces très lourdes charges d’État, il a écrit ce qui suit : […] {d}

Woverius en méditait plusieurs autres, mais il a peut-être attendu trop longtemps pour le faire car il a quitté ce monde le 23 septembre 1635, en la 58e année de son âge.].


  1. Louvain, 1643, v. supra note [18].

  2. Juste Lipse mourut le 23 mars 1606. V. la lettre du 17 avril suivant où Woverius annonce à Joseph Scaliger qu’il est l’un des trois exécuteurs testamentaires de Lipse, transcrite à la fin de la note [26] du Grotiana 1.

  3. L’archiduc Albert d’Autriche (1559-1621), fils de l’empereur Maximilien ii (v. notule {g}, note [24] du Borboniana 5 manuscrit) et de l’infante Maria d’Espagne, nommé cardinal de 1577, avait quitté le chapeau en 1598.

    Il se maria et gouverna les Pays-Bas espagnols de 1598 à sa mort, avec son épouse, l’archiduchesse Isabelle Claire Eugénie (1566-1633), qui a gouverné seule de 1621 jusqu’à son décès. Elle était fille du roi Philippe ii d’Espagne, et tante du roi Philippe iv, couronné en 1621.

  4. Les œuvres de Woverius citées par Andreas et par le Grotiana sont :

    • Ioannis Woverii Antverpiensis Eucharisticum Clarissimo et Incomparabili Viro Justo Lipsio scriptum [Remerciement que Johannes Woverius a écrit au très brillant et incomparable Juste Lipse] (Anvers, Ioach. Trognæsius, 1603, in‑4o) ;

    • Assertio Lipsiani Donarii adversus gelastorum suggillationes [Défense du temple lipsien contre les railleries des bouffons] (Anvers, Ioannes Moretus, 1607, in‑4o), pour justifier la dévotion de Juste Lipse envers la Vierge Marie (v. notes [24][31] du Grotiana 1) ;

    • Ioannis Woverii Antuerpensis Panegyricus Austriæ serenissimis Archiducibus Belgicæ Clementissimis, Piissimis, Optimis Principibus Patriæ parentibus scriptus [Panégyrique que Joannes Woverius, natif d’Anvers, a écrit à l’intention des sérénissimes archiducs d’Autriche, les très cléments, pieux et bons princes et parents de la Patrie flamande] (Anvers, Ioannes Moretus, 1609, in‑8o), en l’honneur de l’archiduc Albert d’Autriche et de l’archiduchesse Isabelle Claire Eugénie ;

    • Woverius a en outre contribué à l’édition des lettres de Lipse.

24.

« par le vin et la luxure » : v. note [42] du Patiniana I‑1.

Bayle a longuement disserté sur les débauches et la vie conjugale de Baudius dans l’article qu’il lui a consacré (notes I et K). Sa note L parle de tout le mal que le redoutable Caspar Scioppius {a} a écrit de Baudius :

« Il en dit trop pour mériter d’être cru : le maquerellage le plus infâme et la magie sont les exploits qu’il lui attribue. On ne peut honnêtement mettre en français son latin. Voici donc l’original : {b}

Baudius Parisiis, ubi multis annis in concubinatu summa cum infamia, et velut quadruplatoris filium decebat, vixit non tantum magiæ deditis, incantatoribus, et sortilegis ædes suas aperuit, et concubinæ suæ filiolam ad peragenda nefaria sacra commodavit, Dæmoniumque de thesauris reconditis, inprimisque de Petronio utrum is alicubi integer exstaret, consuluit ; sed etiam amicis quibusdam majorem quandam ingenii divinitatem præferentibus ejusdem concubinæ filium, puerum non inelegantem turpissimus leno prostituit, ut cum postea tumentibus pueri mariscis scelus propalatum iri metueret, quo minus eum veneno contubernales tollerent, minime impedivit, actumque jam de misello puero fuerat nisi unius contubernalium acumine expediti fuissent, anicula, quæ morbo mederi sciret, inventa. Hæc nequaquam a me fingi, neminem paulo humaniorem Parisiis ignorare. {c}

Mais si ces choses étaient si connues à Paris, d’où vient que le premier président donne Baudius à son fils pour secrétaire dans une ambassade ? {d} Scioppius inventa cela, ou l’apprit par des contes mal fondés, et le divulgua pour se venger des injures que Baudius lui avait dites, dès avant même que le Scaliger hypobolymœus {e} eût paru. »


  1. V. note [14], lettre 79.

  2. Page 166 des Amphotides Scioppianæ [Oreillettes scioppiennes] (Paris, 1611, v. note [10], lettre 104).

  3. « Durant de nombreuses années, à Paris, Baudius a vécu en concubinage, dans la plus grande infamie et comme il convenait au fils d’un délateur : {i} non seulement il a ouvert sa maison aux magiciens, aux enchanteurs, aux sorciers, prêté la fillette de sa maîtresse pour célébrer des messes noires, et consulté le démon sur les secrets occultes, en tout premier sur Pétrone, pour savoir s’il en existait quelque part un exemplaire complet ; {ii} mais cet ignoble maquereau a aussi prostitué à certains de ses amis, qui exaltaient la prétendue très grande divinité de son génie, {iii} le fils de ladite concubine, enfant qui ne manquait pas de beauté. Après quoi, les marisques du garçon se mirent à enfler, {iv} et il craignit que son crime ne fût dévoilé car le pauvre petit refusait de plus en plus obstinément que des compères ne répandent en lui leur poison ; alors, pour que la dénonciation d’un de ceux-là n’aille les perdre tous deux, il décida de trouver une vieille bonne femme qui sût remédier à ce mal. {v} Je n’ai en rien inventé cette histoire que connaît tout Parisien tant soit peu instruit. »

    1. Dans l’ancienne Rome, le mot quadruplator désignait le délateur qui dénonçait un usurier pour obtenir le quart de l’amende qui lui était infligée. Baudius était réputé bâtard, mais Je n’ai pas compris pourquoi Scioppius accusait son père d’être un quadruplator.

    2. Le Satyricon de Pétrone était et demeure incomplet : v. note [11], lettre 792, pour le fragment découvert en Dalmatie et sa publication en 1664.

    3. Quelques lignes plus haut, Scioppius avait ironisé sur la divinité du génie que Baudius prétendait avoir pour la poésie.

    4. Dans le vocabulaire médical, les marisques sont les cicatrices fibreuses des hémorroïdes (v. note [11], lettre 253), mais elles servent ici d’euphémisme pour désigner la marge anale.

    5. J’ai ici démêlé de mon mieux le latin fort filandreux de Scioppius.

  4. Pendant son long séjour à Paris (1592-1602), Baudius avait joui de la protection du premier président Achille i de Harlay (v. note [19], lettre 469). Son fils Christophe de Harlay (vers 1570-1615), président au mortier du Parlement, avait engagé Baudius comme secrétaire pour l’accompagner dans son ambassade à Londres en 1602.

  5. « Scaliger le faussaire » de Scioppius (Mayence, 1607, v. note [10], lettre 104).

25.

« Vous avez sous les yeux un pupille cinquantenaire. »

Pupille : « fille au-dessous de douze, ou garçon au-dessous de quatorze ans ; impubère ; qui est sous l’autorité d’un tuteur » (Trévoux).

26.

V. notes :

27.

« est un genre de poisson de mer. » Ânon est le premier sens latin d’asellus (v. infra notule {b}).

Morue (Furetière) :

« poisson de mer qu’on pêche en abondance vers le Canada, et qui fait la plus grande partie de ce qu’on appelle saline. {a} La morue fraîche est un manger délicieux. On fait un prodigieux trafic de morue salée. De la morue sèche, on fait la merluche. {b} Les morues mâles valent bien mieux que les femelles. Elles se vendent en détail et à la pièce, au lieu que les autres se vendent au cent. La morue a ses dents au fond du gosier.

La meilleure morue est la morue nouvelle de Terre-Neuve, qui vient d’un grand banc vers Canada, qui a cent lieues de long, qu’on appelle le grand banc des morues. On tient que ce sont les Basques qui, en poursuivant les baleines, ont découvert le grand et le petit banc des morues cent ans avant la navigation de Christophe Colomb, aussi bien que le Canada et la Terre-Neuve de Baccalaos, qui signifie morue, parce que ces terres abondent aussi en baleines, dont ils sont fort friands ; et que ce fut un Basque terre-neuvier qui en porta la première nouvelle à Christophe Colomb, comme témoignent plusieurs cosmographes […]. {c} La morue se divise en queue, flanchet, entre-deux et crêtes de morue. En latin : morbua ou molua, ichthyocolla. » {d}


  1. Toute espèce de poisson salé pour la conservation.

  2. « Poisson de mer que les Latins appellent asellus, âne marin, qu’on nomme aussi brochet de mer [maris lucius]. […] Les Hollandais l’appellent stockvisch [ou stockfisch], c’est-à-dire poisson de bâton, parce qu’outre qu’on le fait sécher, on le frappe encore avec un bâton quand on le prépare pour le manger. C’est en effet de la morue sèche » (ibid.).

    V. note [61] de la thèse sur la Sobriété (1647) pour d’autres explications sur l’âne marin.

  3. Selon les historiens modernes, les Vikings furent les premiers colonisateurs de Terre-Neuve vers l’an 1000. Au milieu du xve s. les Bretons de Paimpol venaient pêcher dans les parages. Au début des années 1470, une expédition organisée par les rois de Danemark et de Portugal, et dirigée par deux capitaines açoriens, a établi la Terra de Bacalhao (Terre de la Morue, Codland en anglais). Colomb a mis le pied sur Saint-Domingue, dans les Caraïbes, en 1492. Certains récits donnent aussi crédit à la participation des Basques dans la découverte des Grands Bancs de Terre-Neuve avant les Bretons.

    V. note [41] de Guy Patin éditeur des Opera omnia d’André Du Laurens en 1628 pour les deux premiers voyages de Christophe Colomb (1492-1496).

  4. En grec et en latin classiques, ichthyocolla désignait la colle tirée du poisson, sans lien avec la morue, selon Pline l’Ancien (livre xxxii, chap. xxiv, § 4, Lit Pli, volume 2, page 382) :

    Ichthyocolla appellatur piscis, cui glutinosum est corium ; idemque nomen glutino eius. Hoc epinyctidas tollit. Quidam e ventre, non e corio, fieri dicunt ichthyocollam, ut glutinum taurinum. Laudatur Pontica candida, et carens venis squamisque et quæ celerrime liquescit. Madescere autem debet concisa in aqua, aut aceto nocte ac die : mox tundi marini lapidibus, ut facilius liquescat. Utilem eam in capitis doloribus adfirmant, et tetanis.

    [On donne le nom d’ichtyocolle à un poisson dont la peau est gluante ; la colle qu’on en tire porte le même nom ; cette colle enlève les épinyctides. {i} Quelques-uns prétendent que l’ichtyocolle se fait avec le ventre du poisson, et non, comme la colle du taureau, avec la peau. On estime l’ichtyocolle du Pont. {ii} Elle est blanche, sans veines, sans écailles, et se fond très rapidement. Pour l’employer il faut la couper en petits morceaux, la faire tremper dans de l’eau ou du vinaigre pendant un jour et une nuit, puis la piler avec des cailloux de mer pour qu’elle se fonde plus facilement. On assure qu’elle est bonne dans les douleurs de tête, et pour effacer les rides de la peau].

    1. Éruption cutanée inflammatoire de nature aujourd’hui inconnue.

    2. La mer Noire.

28.

« une espèce de condiment ou d’assaisonnement, une sorte de saumure. »

Note du transcripteur du Grotiana :

« Comme celle dans laquelle on nous envoie les anchois. »

V. notes [18] et [20], lettre 1019, pour la définition que Gilles Ménage a donnée du mot hareng, pour son étymologie (où halec et halex n’ont, en latin, pas de rapport crédible avec le nom moderne de ce poisson), et pour l’assimilation de la saumure à la muria des Grecs et des Arabes, et au garum des Latins.

29.

V. note [10] (paragraphe 3) du Naudæana 3, pour l’historien anversois Ludovicus Guiccardinus (Guichardin) et sa Belgiographia, traduite sous le nom de Description de tous les Pays-Bas… (Amsterdam, 1641). Le passage cité est la pittoresque leçon d’ichtyologie et d’économie halieutique qu’on y lit aux pages 28‑30 (dans une langue assez baroque que j’ai essayé de rendre intelligible) :

« Et d’autant que la matière des poissons salés est de très grande conséquence, je me suis résolu d’en dire quelque mot en particulier des trois sortes principales qu’on sale par deçà ; {a} à savoir harengs, morue et saumons ; et dirons premièrement des harengs, qui est l’espèce la plus importante. Je dis donc que le hareng (que les Latins nommèrent harec) {b} ne se trouve point en rivière d’eau douce ni en la mer Méditerranée, ni en celle d’Espagne ; voire (si je ne me trompe) ni en autres mers, sauf qu’en cet océan Septentrional. {c} Or, la grandeur, la bonté et la forme de ce poisson, étant sec et salé, est notoire à chacun ; pource, {d} laissant ce sujet, nous discourrons de son naturel et de la multitude qui s’en trouve. Cette sorte de poisson vient et sort des parties plus lointaines et extrêmes de la mer Septentrionale, lequel se jetant et terrissant {e} à grandes troupes et infinie multitude, commence se montrer en la mer Germanique d’Écosse et d’Angleterre {f} environ le temps de l’automne. Et tant plus tôt il commence à faire froid, plus tôt aussi le hareng apparaît, et sans comparaison en plus grande abondance que si l’année n’est point froidureuse ; ce qui fait juger qu’ils suivent les glaces et rigueurs de la mer glaciale ; {g} et de même, suivant la saison du temps froid ou chaud, on prend conjecture si l’année sera bonne ou non, si tardive ou saisonnée. {h} Et ainsi, les harengs s’en viennent demeurer et ensemencer leur germe en ces mers plus supportables que la glacée ; et s’y tiennent jusqu’à la fin de décembre. Quant au voyage des harengs qui tournent et sillonnent vers ces marches {i} (laissant à part ceux qui s’arrêtent aux contrées plus septentrionales, telles que sont Norvège et Suède), < c’>est de faire une longue course aux entours d’Écosse < et > d’Angleterre, et puis s’en venir tout bellement remettre en pleine mer. De sorte que (comme nous avons dit jusqu’ici et disons encore) nous voyons que tout ainsi qu’il n’y a quasi espèce d’oiseaux qui en sa saison ne s’essore {j} et ne se rende passagère, pour changer d’air et de pays, aussi n’y a-t-il presque sorte de poisson de mer, soit grand, petit, (Dieu le voulant ainsi) lequel, pour le profit de l’homme, ne change, avec le temps, et d’eau et de contrée. Et à dire vrai, il semble que pour cet effet, les harengs soient particulièrement envoyés de la nature, vu qu’ils voisinent des côtes et terrissent, {e} et se présentent et courent ; même, ils se montrent leur mufle < là > où ils voient du feu ou lumière, ou quelque humaine créature, comme s’ils vous conviaient et semonnaient {k} à les prendre. Et ne faut douter qu’ils n’aient entre eux un roi et conducteur, tout ainsi qu’on les mouches à miel ; {l} et bien que ces rois ne soient pas plus grands ni d’autre forme que les autres harengs, ainsi qu’il en advient entre les abeilles, où le roi est plus grand, si est-ce qu’il a {m} une marque sur la tête, qui semble une couronne ; et ces rois sont sont rougeâtres de couleur, et mêmement à la testière. {n} Ces rois, marchant en front et les premiers, sont suivis et accompagnés d’une effroyable main {o} et multitude de sujets ; et d’autant que ces rois ont les yeux rutilants comme le feu et qu’ils semblent, de nuit, des éclairs, on les appelle éclairs de la mer. La nourriture et pâture de ces poissons est contraire presque au naturel de tous autres, d’autant qu’ils ne se nourrissent que d’eau ; {p} laquelle, dès qu’ils < la > perdent, et soudain qu’ils sentent l’air, ils meurent sans délai quelconque. Le hareng frais est bon, quoique malsain ; et ainsi le faut cuire dès aussitôt qu’il est pris ; car autrement, et n’étant point salé, pour être d’un naturel très subtil et délicat, il ne faut {q} de se corrompre à un instant. Cette mer n’a des harengs que d’une sorte, bien qu’après qu’on les a accoutrés et façonnés, il y en a de blancs et de rougeâtres, ou tannés ; ce qui procède de la façon y accommodée, et non de l’espèce du poisson. Quant aux blancs, ils sont choisis les plus gras naturellement ; et ceci pour autant qu’étant plus aisés à être corrompus, on les sale dès qu’ils sont pris en mer, et se conservent en leurs caques {r} continuellement avec la saumure. Quant aux harengs saurets, ils sont faits des plus maigres, et les tient-on dix ou douze heures seulement au sel, puis on les dessèche à la fumée, et ainsi ils deviennent roussoyants et rougeâtres. Et tant le hareng blanc que le sauret se maintient sans corruption aucune plus que tout autre poisson sec ou salé, sauf et excepté le saumon. La pêche des harengs se commence ici près terre vers la Saint-Jean, mais il s’en prend peu, et encore ne vaut-il guère ; et pource, {d} pense et croit-on que ce sont de ceux qui l’an précédent s’étaient égarés et par trop avancés près de terre ; et c’est pourquoi, ordinairement, on va les pêcher plus avant en mer trois fois l’an, à savoir aux mois d’août, septembre, octobre et jusqu’à la mi-novembre. Toutefois, la graisse, l’abondance et le meilleur de ceci se trouve depuis la mi-septembre jusqu’à la fin d’octobre, auquel temps ce poisson s’avoie {s} plus vers le pays d’Écosse qu’en autre saison ; et pource, {d} sont en plus grand nombre ensemble, et beaucoup mieux saisonnés. {t} Vu qu’on voit évidemment que tant plus ils approchent de nous, ils demeurent aussi plus maigres, soit (comme aucuns estiment) pour être lassés du voyage, ou (comme je crois) pour le naturel de l’eau et du fonds d’icelle. Le nombre des pêcheurs et vaisseaux, et surtout de ce pays, et des Français, et aucuns d’Angleterre (mais en petite quantité), qui viennent lors, est presque infini ; mais nous parlerons de ce qui touche et à celle contrée, et à notre Province et description, comme aussi la chose lui est plus appartenante. Ainsi, je dis qu’ayant fait diligente recherche en Frise, Hollande, Zélande et Flandre (car des autres Pays-Bas on n’y envoie point de pêcheurs qui fassent à compter) combien de busces et botes (ainsi appelées par eux certaines sortes de nacelles et barquettes) vont ordinairement, et en ce temps de paix, à cette pêcherie, j’ai trouvé (quoique d’autres disent davantage) que le nombre vient jusqu’à sept cents vaisseaux ; lesquels en trois voyages des trois saisons susnommées, ainsi qu’on calcule pour vaisseau et pour voyage, ont porté chacun pour le moins soixante-dits lastes, {u} qui reviendront quarante-neuf mille lastes, chacune desquelles contient douze caques, et les caques étant capables de neuf cents jusqu’à mille harengs par pièce. Et le laste ou tonneau, on fait compte qu’il vaut d’ordinaire (l’un portant l’autre) dix livres de gros {v} à trois écus pour livre ; de sorte que, venant faire une somme totale, ceci monte à quatre cents nonante mille livres de gros, qui valent un million quatre cent soixante-dix mille écus.

La seconde des espèces principales de poisson salé est celui que l’on appelle cabelau et campedoglio, et les Français morue qui, en latin, est nommé asellus major, à cause du merlu, {w} dit en latin asellus minor. Ce poisson est si grand qu’on en trouve jusques au poids de plus de 50 livres. {x} Il est bon à manger, et frais {y} et salé ; et le pêche-t-on au même temps que le hareng, mais en plus grande abondance en cette mer voisine durant les trois mois d’hiver, et principalement en mer de Frise. {z} On en prend et sale assez pour toute l’année, et en si grande quantité que cette pêche annuelle porte de profit au pays de plus de cinq cent mille écus. »


  1. Ici, aux Pay-Bas.

  2. Étymologie fantaisiste (v. supra note [28]).

  3. Atlantique Nord.

  4. C’est pourquoi.

  5. Se dirigeant vers la terre.

  6. Ouest de la mer du Nord.

  7. Océan Arctique.

  8. À la saison ordinaire.

  9. Rivages.

  10. Ne migre.

  11. Priaient.

  12. Les abeilles.

  13. Ils ont pourtant.

  14. Partie de la tête qui entoure la bouche, barbe.

  15. Armée, banc.

  16. On ignorait alors l’existence du plancton.

  17. Il ne manque.

  18. Petites barriques.

  19. Se dirige.

  20. Mûris.

  21. Une laste représentait deux tonneaux, soit 4 000 livres (environ deux tonnes métriques).

  22. Environ cinq kilogrammes de denrée négociable.

  23. Petite morue.

  24. Environ 25 kilogrammes.

  25. La morue fraîche est, à proprement parler, le cabillaud.

  26. Morue de la mer du Nord, distincte de celle des Grands Bancs de Terre-Neuve (morue atlantique, v. supra note [27]), où les Hollandais ne partaient pas pêcher.

30.

« il s’attira la haine des deux partis. »

31.

« Voilà bien les loyolites. »

Jésuites et doctrinaires protestants ont été les plus farouches adversaires de la réconciliation des religions chrétiennes, qui aurait contraint chacune d’elles à modifier ses dogmes et ses pratiques.

V. note [21] du Patiniana 3 pour Melchior Cano et ses 12 livres de Locis theologicis [des lieux communs (citations) théologiques]

32.

V. notes [7], lettre 470 et [2], lettre latine 453, pour le Dialogus « sur les pouvoirs de la Couronne chez les Écossais » (Édimbourg, 1579, entre autres éditions) de Georges Buchanan (v. note [11], lettre 65).

33.

Étienne de La Boétie (Sarlat 1530-Le Taillan-Médoc 1563), conseiller catholique au parlement de Guyenne en 1554, poète et écrivain, est surtout connu pour avoir été l’intime ami de Michel de Montaigne et l’auteur du Discours de la servitude volontaire ou le Contr’un : condamnation de toutes les formes de la tyrannie, d’abord écrite en latin, puis publiée en français en 1576 (v. infra), pour connaître depuis un très grand nombre de rééditions.

V. note [19], lettre 176, pour François Hotman (Hotomanus) et sa Gaule française (Cologne, 1574), dénonçant les abus du pouvoir dans le massacre de la Saint-Barthélemy (1572, v. note [30], lettre 211).

Ces deux ouvrages ont été insérés dans les trois tomes des Mémoires de l’état de France sous Charles ix (Meidelbourg, 1578, v. note [7], lettre 759).

34.

« Dans l’épître introductive de sa pièce intitulée Baptistes : {a} “ Je veux aussi que ce petit livre témoigne à la postérité que vous opteriez pour le vice si, un jour, poussé par de mauvais conseillers ou par une perversion du pouvoir outrepassant votre bonne éducation, vous vous fiiez non pas à vos précepteurs, mais à vous-même, sans suivre leurs justes mises en garde. Puisse Dieu vous réserver un meilleur sort, et puisse ce qui est dans votre Salluste {b} vous inciter à faire le bien, d’ordinaire et par nature. ” »


  1. Baptistes, sive Calumnia, Tragœdia, Auctore Georgio Buchanano Scoto.

    [Baptiste, ou la Calomnie, tragédie de George Buchanan, {i} Écossais]. {ii}

    1. Mort en 1582, v. note [11], lettre 65

    2. Francfort, Andreas Wechelus, 1578, in‑8o de 32 feuillets ; le passage cité par le Grotiana est à la page A2 ve de l’épître dédicatoire à Iacobo Sexto, Scotorum regi [Jacques vi, roi d’Écosse], datée de Sterling, le 1er novembre 1576. Jacques vi était roi mineur d’Écosse depuis sa naissance en 1566 (v. note [17], lettre 287).

      Attaque contre les abus du pouvoir royal, Baptiste a été anonymement traduite en vers français : Rouen, Jean Osmont, 1613, in‑12 de 47 pages.

  2. V. note [136], lettre 166, pour l’historien Salluste qui, lors de sa riche vie politique et dans ses récits historiques, a défendu la cause du peuple romain contre celle de la noblesse.

35.

Cet article du Grotiana est intitulé : « Dessein de réfuter les Annales de Baronius. »

Écrites pour contredire les Centuries de Magdebourg (Bâle, 1574, v. note [48] du Naudæana 1), les Annales ecclésiastiques du cardinal Cæsar Baronius, (Rome, 1593-1607, v. note [6], lettre 119) avaient profondément déplu aux protestants ; mais ni Claude i Saumaise (v. note [11], lettre 51) ni Gerardus Johannes Vossius (v. note [3], lettre 53) n’ont entrepris la très lourde tâche d’en réfuter les 12 volumes.

Contre les Annales de Baronius, Isaac Casaubon a publié 16 Exercitationes de Rebus sacris et ecclesiasticis [Essais sur les affaires sacrées et ecclésiastiques] (Francfort, 1615, v. note [18], lettre 318), dont la note [16] du Borboniana 1 cite un long extrait.

36.

« Il n’a pas traduit, mais seulement revu et corrigé les autres livres. »

Les petits prophètes sont ceux auxquels sont attribués 12 des 46 livres de l’Ancien Testament, allant d’Osée à Malachie.

V. supra notule {a}, note [3] pour la Vulgate, traduction de la Bible en latin, que Hugo Grotius, comme tous les historiens modernes, n’attribuait que partiellement à saint Jérôme. Son texte, qui sert de référence canonique à l’Église romaine, n’a pas cessé d’être remanié depuis le ive s.

37.

V. supra notule {a}, note [3] pour la Septante, traduction de la Bible hébraïque en grec par « 70 Interprètes » issus des 12 tribus d’Israël (soit plus exactement 72 docteurs hébraïques), sur la demande du pharaon Ptolémée ii Philadelphe (mort en 246 av. J.‑C.).

38.

V. note [19] du Patiniana I‑1 pour les prévarications de Francis Bacon, baron de Verulam (Verulamus), qui le firent déchoir de sa charge de chancelier en 1621, et pour la supplique qu’il adressa au roi Jacques ier en 1624 en vue de retrouver sa dignité perdue. La notule {c} y explique son amnistie et sa réintégration dans la magistrature britannique subalterne en 1625.

Pison (Cnæus Calprunius Piso) fut un influent consul romain du règne de Tibère (ans 14 à 37 de notre ère, v. note [3], lettre 17). Poussé par Auguste (le premier empereur, mort en 14), Tibère avait adopté son neveu Germanicus et l’avait désigné pour lui succéder. Brillant général auréolé de victoires militaires, le jeune prince s’était acquis une grande popularité, qui faisait de l’ombre à l’empereur. En 18, Tibère envoya son fils adoptif en Orient, accompagné de Pison, nommé gouverneur de Syrie. L’année suivante, Germanicus mourut en accusant Pison de l’avoir fait empoisonner. De retour à Rome, le suspect fut traduit devant le Sénat, où Tibère vint plaider sa cause. Tacite a rapporté son discours meditato temperamento [plein de ménagements étudiés] (ce qu’on appelle aujourd’hui la langue de bois) dans le livre iii de ses Annales (chapitre xii), dont voici la seconde moitié :

Defleo equidem filium meum semperque deflebo ; sed neque reum prohibeo quo minus cuncta proferat, quibus innocentia eius sublevari aut, si qua fuit iniquitas Germanici, coargui possit, vosque oro ne, quia dolori meo causa connexa est, objecta crimina pro adprobatis accipiatis. Si quos propinquus sanguis aut fides sua patronos dedit, quantum quisque eloquentia et cura valet, juvate periclitantem : ad eundem laborem, eandem constantiam accusatores hortor. Id solum Germanico super leges præstiterimus, quod in curia potius quam in foro, apud senatum quam apud iudices de morte eius anquiritur : cetera pari modestia tractentur. Nemo Drusi lacrimas, nemo mæstitiam meam spectet, nec si qua in nos adversa finguntur.

[Je pleure bien sûr mon fils et le pleurerai toujours ; mais je n’empêche pas l’accusé de produire tout ce qui peut appuyer son innocence, ni même de dévoiler les torts de Germanicus, s’il en eut quelques-uns. Que le douloureux intérêt que j’ai dans cette cause ne vous engage pas à prendre de simples allégations pour des preuves. Si le sang ou l’amitié donne à Pison des défenseurs, qu’ils emploient tout ce qu’ils ont d’éloquence et de zèle à le sauver du péril. J’exhorte les accusateurs aux mêmes efforts, à la même fermeté. Nous aurons accordé à Germanicus un seul privilège : c’est que le procès de sa mort soit instruit dans le Sénat plutôt qu’au Forum, devant vous plutôt que devant les juges ordinaires. Que l’esprit d’égalité préside à tout le reste : ne voyez ni les larmes de Drusus, {a} ni mon affliction, ni ce que la calomnie peut inventer contre nous]. {b}


  1. Frère puîné de Tibère et père de Germanicus.

  2. Le Sénat condamna Pison à mort (ibid. chapitre xv) :

    […] durat mentem senatumque rursum ingreditur ; redintegratamque accusationem, infensas patrum voces, adversa et sæva cuncta perpessus, nullo magis exterritus est quam quod Tiberium sine miseratione, sine ira, obstinatum clausumque vidit, ne quo adfectu perrumperetur. Relatus domum, tamquam defensionem in posterum meditaretur, pauca conscribit obsignatque et liberto tradit ; tum solita curando corpori exequitur. Dein multam post noctem, egressa cubiculo uxore, operiri foris iussit ; et cœpta luce perfosso jugulo, jacente humi gladio, repertus est.

    [(…) il s’arma de courage et reparut devant le Sénat. Là il entendit répéter l’accusation ; il essuya les invectives des sénateurs, leurs cris de haine et de vengeance ; cependant, rien ne l’effraya plus que de voir Tibère impassible, sans pitié, sans colère, fermant son âme à tout sentiment. De retour chez lui, Pison feignit de préparer sa défense pour le lendemain, écrivit quelques lignes et les remit cachetées à un affranchi. Ensuite, il fit sa toilette accoutumée et, bien avant dans la nuit, sa femme étant sortie de l’appartement, il fit fermer la porte. Au lever du jour, on le trouva égorgé ; son épée était par terre à côté de lui].

Je n’ai pas trouvé de témoignage sur la harangue du roi Jacques ier, longue et ambiguë, lors du procès de Bacon devant le Parlement. La sentence, prononcée le 3 mai 1621, condamnait le chancelier déchu (1) à une amende de 40 000 livres sterling, (2) à un emprisonnement dont la durée était laissée à la discrétion du monarque, et (3) à l’interdiction perpétuelle d’occuper tout office public et de siéger au Parlement. La clémence du roi limita la peine à son dernier article.

39.

Guy Patin a parlé des abdications de l’empereur Dioclétien (en l’an 305) et de Charles Quint (en 1555) dans sa lettre du 10 avril 1654 à Charles Spon (v. ses notes [30] et [32]).

Au début de la première décade de son Histoire de la guerre de Flandre (traduite en français par Pierre Du Ryer, v. note [33], lettre 192), Famiano Strada a détaillé le discours que Charles Quint prononça à Bruxelles le 25 octobre 1555, pour annoncer son abdication en faveur de son fils, Philippe ii, et ce qu’il lui advint ensuite, jusqu’à sa mort, le 21 septembre 1558 (pages 6‑21, édition de Paris, 1651). Le regret immédiat de l’empereur déchu est décrit à l’année 1556, pages 10‑11 :

« Cependant Charles, qui, de prince si grand et si absolu qu’il était, commençait à n’être plus rien, quitta le palais au nouveau prince et se retira dans une maison privée jusqu’à ce qu’on eût équipé les vaisseaux qui le devaient emmener. Ainsi, étant parti de Zélande avec Éléonore et Marie, ses sœurs, il arriva heureusement à Laredo, qui est un port de Biscaye. […]

À peine l’empereur était-il descendu de son vaisseau, qu’une tempête, soudainement élevée au port, en éloigna la flotte avec impétuosité et mit à fond le navire impérial, comme ne devant plus porter ni l’empereur ni la fortune de l’empereur. On dit qu’aussitôt qu’il eut touché le rivage, il se mit à genoux afin de baiser la terre, et qu’il ajouta ces paroles à cette action : qu’il baisait avec respect cette commune mère de tous les hommes et que, comme autrefois il était sorti nu du ventre de sa mère, il retournait nu, volontairement et sans contrainte, dans le ventre de cette autre mère. Mais quand il fut entré dans la Biscaye et qu’ayant passé à Burgos, il vit venir au-devant de lui un si petit nombre de ces grands d’Espagne, qu’il n’avait pu attirer tout seul, n’étant plus accompagné de ces grands noms qui les attiraient autrefois en foule, alors il commença premièrement à reconnaître sa nudité. Outre cela, ayant besoin, pour récompenser quelques-uns des siens, d’une partie de cent mille écus que, d’un si grand nombre de richesses, il s’était réservés de revenu, il lui fallut attendre à Burgos plus longtemps qu’il ne voulut, et non pas sans < avoir à > se fâcher < pour > que cette somme lui fût rendue. Comme il ne dissimula point ce mécontentement, il donna à quelques-uns occasion de dire qu’à peine s’était-il dépouillé de l’Empire et de la domination souveraine, qu’il se repentit de son dessein. D’autres conjecturent qu’il en fut fâché dès le même jour qu’il l’abandonna, parce que, quelques années après, comme le cardinal de Granvelle {a} eût fait par occasion ressouvenir Philippe que le jour où l’on était le même jour de l’année que Charles, son père, avait quitté l’Empire, Philippe lui répondit aussitôt que c’était aussi le même jour que Charles avait commencé de se repentir. Cette parole, prononcée sans considération et sans certitude, acquit aisément de la croyance parmi les esprits, qui ne se purent persuader qu’on pût demeurer plus d’un jour sans se repentir d’une action si inouïe et si étrange. Peut-être aussi que Philippe ne s’imaginait pas qu’on dût louer en son père ce qu’il ne s’était pas proposé d’imiter. Pour moi, quand je considère les paroles et les actions de Charles durant les deux années qu’il vécut en homme privé, et que je regarde attentivement ce qui a été écrit touchant sa retraite, je ne vois aucune marque d’un repentir si désavantageux à sa réputation : en effet, il n’eût pas été de sa gloire de laisser aux siècles suivants une image d’une générosité si parfaite, couverte et obscurcie par les ombres du repentir. »


  1. V. notes [19][24] du Borboniana 5 manuscrit.

Jacques-Auguste i de Thou a narré l’abdication de Charles Quint dans le livre xvii de son Histoire universelle (année 1556, règne de Henri ii, Thou fr, tome 3, pages 73‑75), mais sans évoquer ses éventuels remords. Il n’en a pas non plus parlé dans sa relation de la mort de l’empereur ni dans le long éloge critique qu’il a dressé de son règne et de ses vertus (livre xxi, année 1558, ibid. pages 292‑297).

40.

Pietro Angeleri, moine bénédictin italien, fondateur de l’Ordre des célestins, a été élu pape le 5 juillet 1294, sous le nom de Célestin v. Il se montra inapte à exercer une si haute fonction et s’en démit par un acte de renonciation prononcé le 13 décembre de la même année. Il mourut en 1296, âgé de 86 ans, et fut canonisé en 1313.

Benedetto Caetani, nommé cardinal en 1281, fut élu pape le 24 décembre 1294, sous le nom de Boniface viii. Il avait rédigé l’acte de renonciation prononcé par Célestin v et on l’accusa d’avoir poussé son prédécesseur à se retirer, puis de l’avoir emprisonné jusqu’à son décès en vue d’éviter un éventuel schisme. Le règne de Boniface viii, mort en 1303, a été marqué par son intransigeance dans la volonté d’instaurer l’absolutisme théocratique de la papauté, c’est-à-dire de faire prévaloir, partout dans la chrétienté, la priorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel.

41.

V. notes [6], lettre 125, pour Guillaume Budé, et [20], lettre 392, pour Adrien Tournebœuf, dit Turnèbe.

V.  la seconde citation, dans la note [52] du Borboniana 6 manuscrit, pour les funérailles de Budé, ordonnées par son testament, qui laissèrent croire qu’il avait intimement adhéré au calvinisme, ce qu’a voulu réfuter le P. François Garrasse dans sa Doctrine curieuse (1624).

42.

V. notes :

43.

Les lettres numérales étaient « les lettres majuscules qui servent à marquer le nombre dans le chiffre romain » (Furetière). L’ordre des lettres de l’alphabet grec a aussi servi à la numérotation des séries (v. le dernier paragraphe de la présente note).

Les Oracles ou Livres sibyllins formaient initialement un recueil de prophéties écrites sous la forme de courts poèmes en vers grecs, ayant la forme d’acrostiches (v. note [32], lettre 398, pour celui que, dans un tout autre esprit, Guy Patin avait forgé sur le nom de Renaudot). Les anciens Romains accordaient très grand crédit à ces textes divinatoires qui faisaient partie de leurs rites sacrés. Détruits puis reconstitués, on les conservait précieusement. La tradition disait que le roi Tarquin le Superbe (v. note [11] du Naudæana 2) les avait achetés à une devineresse au vie s. av. J.‑C. Après l’avènement du christianisme, cette collection fut réécrite en changeant entièrement de contenu et de signification, comme l’explique cet extrait du long article que L’Encyclopédie a consacré au sujet :

« L’ouvrage moderne qui nous est parvenu sous ce nom, est une compilation informe de prophéties différentes, supposées la plupart, vers le premier ou le second siècle du christianisme, par quelques-uns de ces hommes qui, joignant la fourberie au fanatisme, ne font point scrupule d’appeler le mensonge et l’imposture au secours de la vérité.

Les livres ou vers sibyllins dont nous parlons, sont encore remplis de choses contre l’idolâtrie et la corruption des mœurs des païens, mais on a eu soin, pour accréditer ces prophéties, d’y insérer plusieurs circonstances véritables que fournissaient les anciennes histoires qui subsistaient alors, et que la barbarie des siècles postérieurs a détruites. Il est aussi fait mention dans ces vers d’une comète que l’auteur annonce devoir précéder certains événements qu’il prédit à coup sûr puisqu’ils étaient arrivés, ainsi que la comète, plusieurs siècles avant lui ; mais on attend sans doute de nous quelques détails de plus sur cette collection des vers sibyllins.

Elle est divisée en huit livres, et a été imprimée pour la première fois en 1545 sur des manuscrits, et publiée plusieurs fois depuis avec d’amples commentaires, surchargés d’une érudition souvent triviale, et presque toujours étrangère au texte, que ces commentaires éclaircissent rarement. Les ouvrages composés pour et contre l’authenticité de ces livres sibyllins, sont en très grand nombre, et quelques-uns même très savants ; mais il y règne si peu d’ordre et de critique, et leurs auteurs étaient tellement dénués de tout esprit philosophique, qu’il ne resterait à ceux qui auraient eu le courage de les lire, que l’ennui et la fatigue de cette lecture. »

V. note [2], lettre 164, pour les sibylles et pour le livre que David Blondel leur a consacré, intitulé Des Sibylles célébrées tant par l’Antiquité païenne que par les Saints Pères… (Charenton, 1649). Blondel s’y attache notamment à dénoncer l’imposture des Livres sibyllins. Le chapitre xii, Éclaircissement du sentiment de Cicéron touchant l’acrostiche attribué à la Sibylle, du livre premier décrit comment les premiers chrétiens ont cherché à détourner de prétendus oracles anciens au bénéfice de leur foi, en prenant l’exemple du plus célèbre de ces oracles (pages 54‑56) :

« Mais je passe plus outre, et dis que quand Cicéron aurait pu se persuader que les pièces gardées à Rome par les quindécimvirs {a} étaient divines, il n’aurait jamais fait ce jugement ni des 8 livres que nous avons aujourd’hui, ni des 33 vers que Constantin {b} a extraits du 8e. Il ne l’aurait pas fait de tout le corps de 8 livres, car tous les Oracles sibyllins étaient (à peu près comme les Centuries de Nostradamus) {c} des petits poèmes écrits à la suite les uns des autres, mais séparés tant à l’égard de la forme que de la matière, et disposés par acrostiches ; à cause de quoi Denys d’Halicarnasse {d} écrivait sous Auguste, et peu d’années après la mort de Cicéron, {e} “ les vers supposés à la Sibylle se découvrent par les acrostiches ” ; et Cicéron lui-même, qui avait parlé d’acrostiche au singulier, montre que l’artifice était commun à tous les carmes {f} sibyllins. “ Aux livres sibyllins, dit-il, du premier vers de chaque sentence est fait le devant et la tissure de tout le carme, par les premières lettres de cette sentence-là : cela est d’une personne qui écrit, et non d’un furieux, d’un qui apporte de la diligence, non d’un insensé. ” {g} Tellement que ces pièces n’étaient pas d’un simple, mais d’un double artifice, où le premier vers était écrit en tête et à côté, comme faisant l’entrée du poème, et contenant par ordre les premières lettres de chacun des vers suivants. […] Et de là appert que quand l’acrostiche des 33 ou 34 vers copié par Constantin et par saint Augustin {h} aurait été vraiment sibyllin, le reste des 8 livres, selon la présupposition de Cicéron et de Denys, ne l’aurait pu être, vu qu’il n’a aucune trace d’acrostiche ; mais que ces 33 vers, dont les lettres capitales expriment le nom du Sauveur, n’aient pas été ni pu être tels que les anciens chrétiens les ont crus, appert derechef parce {i} que le premier ne contient pas l’acrostiche de toute la suite et n’exprime nullement l’artifice des vers sibyllins remarqué par Cicéron. D’où s’ensuit nécessairement : 1. que celui qui a supposé tant cette partie du 8e livre que tout le reste, soit de ce livre, soit des autres, que plusieurs nous veulent aussi mal à propos faire passer pour oracles divins, avait tellement ouï parler de l’acrostiche mentionné dans Cicéron qu’il ne l’avait pas entendu ; 2. qu’à plus forte raison, jamais il n’avait eu la vue ni l’intelligence des livres sibyllins célébrés par les anciens païens ; 3. que le grand Constantin et les Pères postérieurs à Justin Martyr, comme Tertullien ou Optat, {j} éblouis par le faux lustre d’une imposture qui avait quelque apparence de piété, ont été trompés, non seulement quand ils ont reçu à bras ouvert comme divin et prophétique ce qui ne l’était pas ; mais aussi quand (y cherchant du mystère, et s’efforçant d’enchérir par-dessus l’acrostiche qu’il ont admiré sans sujet), ils ont rassemblé les lettres capitales de ces cinq mots grecs Ιησους, Χρειστος, Θεου, Υιος, Σωτηρ, pour en composer le mot ιχθυς, {k} et recueillir de là que le Sauveur est le seul poisson solitaire, et que les chrétiens sont pisciculi, les petits poissons qu’il vivifie en la piscine de son baptême ; car, encore qu’il soit très vrai que le baptême est le lavement de la régénération, et que le Seigneur (qui a été l’auteur et le consécrateur) est la source de notre vie spirituelle, le fonds d’où l’on a pensé puiser cette vérité a été très faux ; et je le remarque, non pour accuser les saints hommes qui y ont eu recours (car qui n’est sujet à surprise ?), mais pour les plaindre de ce que leur bonne foi a été si indignement pipée, et leur pitié si insolemment traduite par des effrontés qui (sans aucune honte ni conscience) ont entrepris de loger leurs songes aux places plus honorables du sanctuaire de Dieu : tantôt comme oracles prophétiques, prononcés immédiatement après le Déluge ; tantôt comme prédications apostoliques ajoutées quelque 2 400 ans après, pour les confirmer et rendre plus vénérables. »


  1. « Magistrats romains appelés ainsi de quindecim, quinze, et de vir, homme, à cause qu’ils étaient au nombre de quinze, Sylla, qui les établit pendant le temps de sa dictature, {i} ayant ajouté cinq magistrats aux décemvirs. Leur soin principal était de garder les livres des sibylles et d’exécuter tout ce qui s’y trouvait prescrit. Ils consultaient ces oracles quand le Sénat avait jugé à propos de l’ordonner, et ils mêlaient leurs avis au rapport qu’ils en faisaient. Ils avaient aussi le soin de faire célébrer les Jeux séculaires. Ces fonctions regardaient auparavant les décemvirs et les duumvirs » (Thomas Corneille).

    1. V. note [14] du Borboniana 5 manuscrit pour Sylla.

  2. Au début du ive s., l’empereur Constantin a établi le christianisme comme religion d’État (v. note [24] du Naudæana 3). Ainsi que Blondel l’écrit plus bas, Constantin a été le promoteur d’un prétendu oracle de la sibylle d’Érythrée, fondé sur l’acrostiche Ichtus (v. infra notule {k}), dit « acrostiche christologique » parce qu’il annonçait le règne du Christ, l’Apocalypse et le Jugement dernier.

  3. V. note [5], lettre 414.

  4. Rhéteur et historien grec de la fin du ier s. av. J.‑C., v. note [33] du Borboniana 3 manuscrit.

  5. Auguste a régné de 27 av. J.‑C. à 14 après (v. note [6], lettre 188). Cicéron est mort en 43 av. J.‑C. (v. note [1], lettre 14).

  6. Chants, poèmes (carmina).

  7. De la Divination (livre ii, chapitre liv), où Cicéron dénigre les oracles sibyllins en général, et en particulier celui qui annonçait la restauration de la royauté à Rome :

    Atque in Sibyllinis ex primo versu cuiusque sententiæ primis literis illius sententiæ carmen omne prætexitur. Ho scriptoris est, non furentis, adhibentis diligentiam, non insani.

    À quoi Cicéron ajoutait :

    Quam ob rem Sibyllam quidem sepositam et conditam habeamus, ut, id quod proditum est a maioribus, iniussu senatus ne legantur quidem libri valeantque ad deponendas potius quam ad suscipiendas religiones ; cum antistitibus agamus, ut quidvis potius ex illis libris quam regem proferant, quem Romæ posthac nec di nec homines esse patientur.

    [Laissons donc la Sibylle dans sa cachette et, suivant l’exemple de nos ancêtres, interdisons-nous de consulter les livres sibyllins, sauf quand le Sénat l’ordonne, et considérons-les comme destinés à apaiser des frayeurs religieuses plutôt qu’à en inspirer. Quant aux interprètes faisons en sorte qu’ils en tirent tout ce qu’on voudra, sauf un roi, car désormais à Rome ni les dieux ni les hommes ne souffriront un roi].

  8. Dans le chapitre xxiii, Prophéties de la Sibylle Érythrée touchant le Messie, livre xviii de la Cité de Dieu, Saint Augustin (v. note [5], lettre 91) a donné crédit à l’acrostiche christologique (v. infra notule {k}), l’a daté du temps de la guerre de Troie, en a fourni une traduction latine en 27 vers et l’a torturé pour montrer comment on pouvait y discerner la forme authentique d’un acrostiche (pages 590‑592, édition de Paris, Pierre le Petit, 1655, in‑4o).

  9. On déduit aussi.

  10. V. note [9], lettre 119, pour Tertullien. Justin de Naplouse, dit Justin Martyr, est un saint et philosophe chrétien du iie s. Optat, évêque de Milève (Mila en Algérie), est un théologien chrétien du ive s.

  11. Fameux « acrostiche christologique », dont le sens latin est Iesus Christus Dei Filius Salvator [Jésus-Christ fils de Dieu Sauveur].

Quant aux empereurs romains, le Grotiana faisait allusion à un autre oracle sibyllin chrétien apocryphe, ainsi commenté par L’Encyclopédie :

« Quoique les morceaux qui forment ce recueil puissent avoir été composés en différents temps, celui auquel on a mis la dernière main à la compilation se trouve clairement indiqué dans le cinquième et dans le huitième livre. On fait dire à la sibylle que l’Empire romain aura quinze rois : les quatorze premiers sont désignés par la valeur numérale de la première lettre de leur nom dans l’alphabet grec ; elle ajoute que le quinzième, qui sera, dit-on, un homme à tête blanche, portera le nom d’une mer voisine de Rome. Le quinzième des empereurs romains est Hadrien, et le golfe adriatique est la mer dont il porte le nom. De ce prince, continue la sibylle, il en sortira trois autres qui régiront l’empire en même temps ; mais à la fin, un seul d’entre eux en restera possesseur. Ces trois rejetons, κλαδοι, comme la sibylle les appelle, sont Antonin, Marc-Aurèle et Lucius Verus, et elle fait allusion aux adoptions et aux associations qui les unirent. Marc-Aurèle se trouva seul maître de l’Empire à la mort de Lucius Verus, arrivée au commencement de l’an 169, et il le gouverna sans collègue jusqu’à l’an 177, qu’il s’associa son fils Commode. Comme il n’y a rien qui puisse avoir quelque rapport avec ce nouveau collègue de Marc-Aurèle, il est visible que la compilation doit avoir été faite entre les années 169 et 177 de Jésus-Christ. »

44.

« qui a beaucoup écrit dans le style d’Apulée, dur comme le fer. C’est véritablement le docteur charretier ».

Hamaxarius est un hellénisme tiré d’amaxa, « chariot à quatre roues, traîné par des bœufs ou des mulets, pour porter des fardeaux » (Bailly). Le Grotiana explique ensuite cette cocasse allusion.

V. note [33], lettre 99, pour Apulée, à qui les puristes reprochaient son latin, fort éloigné des canons cicéroniens.

45.

V. note [6], lettre 610, pour Caspar Barthius, von Barth, génie précoce et philologue allemand mort en 1658, et pour ses 60 livres d’Adversariorum commentariorum [Commentaires critiques] (Francfort, 1648). Le Grotiana citait ici plusieurs de ses autres travaux :

Pour la religion de Barthius, Bayle dit qu’« il méditait profondément sur ce qui regarde l’éternité », avec cette note H :

« Voici le témoignage que le sieur Théophile Spizellius {a} lui a rendu : Sacrum nimirum ad Deum sinceramque pietatem Barthius meditabatur accessum : plurimis pie litteratorum ac Deo sacratorum hominum exemplis incitatus. Quo de imprimis testatur insigne Soliloquioroum opus, extremis vitæ temporibus a Barthio publicatum, flagrantissimis ad Deum suspiriis oppido plenum, et vel Augustino scriptore dignum, quod etiam hemiplecticus quotidie revolvere, et per priorum meditationum vestigia denuo cogitationes suas cælo immittere consuevit, quinimmo divinum amorem, quem intimis fibris semel imbibisset, continuis precum ejaculationibus alendum jugiter atque roborandum putavit, quousque e sacræ pariter ac literariæ solitudinis diversorio, anno ævi nostri octavo et quinquagesimo, ætatis vero septuagesimo primo emigravit. » {b}


  1. Gottlieb Spitzel (1639-1691), théologien luthérien allemand.

  2. « Barthius réfléchissait au fait que la messe donne certainement accès à Dieu et à la véritable piété, incité à cela par plusieurs exemples d’hommes de lettres qui s’étaient saintement consacrés à Dieu. En atteste tout particulièrement le recueil de Monologues que Barthius a publié dans les derniers moments de sa vie : {i} débordant de soupirs enflammés montant vers Dieu, il est parfaitement digne de la plume de saint Augustin ; même étant atteint d’hémiplégie, il avait coutume de le feuilleter tous les jours et, sur les traces de ses méditations antérieures, de laisser de nouveau monter ses pensées vers le ciel ; ou plutôt, par ces flots continus de prières, il pensait devoir fortifier et alimenter perpétuellement le divin amour qui lui avait une fois pénétré le tréfonds des entrailles ; jusqu’au jour où, en la cinquante-huitième année de notre siècle, il quitta son asile de solitude, aussi sainte que littéraire, au début de sa soixante-dixième année d’âge. » {ii}

    1. Soliloquiorum rerum divinarum libri xx [Vingt livres des Monologues sur les matières divines…] (Cygnea [Zwickau], Melchior Göpnerus, 1655, 2 volumes in‑4o).

    2. Né le 21 juin 1587, Barthius mourut le 17 septembre 1658.

46.

« Les Anekdota de Procope ou l’Histoire secrète, publiées à Rome, in‑8o, avec les notes d’Alemannus » : v. note [59] du Patiniana I‑2 pour ce livre d’authenticité contestée, imprimé à Lyon en 1623, dans l’édition de Nicolaus Alemannus.

47.

Suidas (ou Souidas), hypothétique érudit byzantin du ixexe s., est le compilateur auquel est attribuée la Souda, volumineuse encyclopédie du savoir au xe s., composée de plus de 30 000 entrées. Imprimée pour la première fois à Milan en 1499, elle a connu de nombreuses éditions et traductions (latines, anglaises, allemandes). Depuis 2014, on peut la consulter en version bilingue (grecque et anglaise) sur le site Suda on line : Byzantine Lexicography. Ce splendide outil confirme ce que disait ici Hugo Grotius en permettant d’y repérer cent références textuelles à l’Histoire secrète (Secret History) de Procope (mais cela n’établit pas qu’il l’a sûrement écrite lui-même).

La note [60] du Patiniana I‑2 fournit les liens qui permettent de trouver les multiples médisances que Procope, s’il est bien l’auteur des Anekdota, a écrites sur l’empereur Justinien et son épouse, Theodora.

48.

Avant de devenir l’« ornement pontifical propre aux souverains pontifes, patriarches, primats et métropolitains, qu’ils portent par dessus leurs habits pontificaux en signe de juridiction » (Furetière), le pallium était le manteau, originellement grec (himation), dont on se vêtait dans l’Antiquité : large bande d’étoffe rectangulaire drapée autour du corps qui reposait sur le bras gauche. La toge romaine procédait du même principe, mais se drapait différemment, en laissant de larges replis sur la poitrine, que le pallium ceignait plus étroitement.

À Rome, la toge était le vêtement des citoyens ; le pallium n’était porté que par les philosophes, les pédagogues et les autres hommes attachés à la tradition grecque, avant de devenir le vêtement distinctif des chrétiens, comme en a témoigné Tertullien dans son traité de Pallio [du Pallium], dont Claude i Saumaise a procuré une édition critique qui fait référence (Leyde, 1656, première édition à Paris, 1622, v. notes [9], notule {a}, lettre 119, et [3], lettre de Jacques Péricard, datée du 10 mars 1657).

49.

« bien que sa véritable et authentique étendue demeure inconnue. »

« L’ensemble du vieux monde » était composé de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie : le continent américain ne pouvait pas entrer dans le compte de Hugo Grotius car on n’en connaissait pas encore les dimensions exactes. V. note [19] du Patiniana I‑2 pour les fictions que, depuis l’Antiquité, nourrissaient les écrivains sur la Terre Australe inconnue (Terra Australis incognita), autrement nommée Atlantide, censée occuper le sud de l’hémisphère austral. Néanmoins, son existence n’était plus imaginaire : quelques hardis navigateurs avaient déjà accosté en Australie et en Nouvelle-Zélande, mais les contours de l’Océanie moderne demeuraient spéculatifs ; quant à l’Antarctique, objet principal des spéculations, son existence ne devint certaine qu’au xviiie s. Voici ce qu’en écrivait le Dictionnaire de Trévoux en 1752, soit un peu plus d’un siècle après le Grotiana :

« Par le voyage que la Compagnie des Indes a fait entreprendre en 1738 par les vaisseaux L’Aigle et La Marie, et dont la Relation a été donnée par le capitaine de L’Aigle dans le Journal de Trévoux en 1740, page 251, {a} il paraît que le froid est beaucoup plus grand dans l’hémisphère austral que dans le nôtre.


  1. Relation du voyage aux Terres Australes des vaisseaux L’Aigle et La Marie (Mémoires pour l’histoire des sciences et des beaux-arts, février 1740, article xii, pages 251‑276).

  2. La longitude se comptait alors de l’ouest vers l’est, de 0 à 360o depuis le méridien de référence qui passait par l’île de Fer (El Hierro, aux Canaries). Elle se compte à présent depuis le méridien de Greenwich : de 0 à +180o pour l’ouest, et de 0 à -180o pour l’est. La longitude moderne des parages où naviguait l’expédition se situe autour de -3o (3o Est), celle d’El Hierro étant de 18o 3’ Ouest.

  3. 1738.

  4. Dans l’hémisphère nord : ce qui donne une bonne idée de la distance qui séparait encore les explorateurs du pôle Sud ; à cette longitude, les berges du continent antarctique se situent aux environs de 70o S. de latitude.

  5. Environ 65 à 97 mètres.

  6. Environ 1 à 12 kilomètres.

  7. Pour célébrer la fête chrétienne du jour de sa découverte, le 1er janvier 1739, le capitaine de l’expédition de L’Aigle et de La Marie, Jean-Baptiste Lozier-Bouvet, nomma cette éminence cap de la Circoncision. Il forme la pointe nord de l’île Bouvet, qui appartient aujourd’hui à la Norvège, située à 1 700 km au nord des rives du continent antarctique (découvert en 1819) et à 2 500 km au sud-ouest du cap de Bonne-Espérance (Afrique du Sud).

50.

« je croirais que saint Augustin a pensé la même chose que Calvin. »

V. note [50], lettre 101, pour la grande et longue querelle française de la grâce : engendrée par l’Augustinus (Louvain, 1640) de Jansenius (mort en 1638, v. note [7], lettre 96), elle opposait les jansénistes, tenants (comme les calvinistes) de la prédestination, aux jésuites et à l’Église de Rome, tenants du libre arbitre. La Sorbonne, siège la Faculté parisienne de théologie, se scinda elle aussi sur ce conflit : en février 1656, bien qu’ennemie obstinée des loyolites, elle censura et exclut Antoine ii Arnauld, le plus virulent de ses docteurs jansénistes (v. notes [41], lettre 428, et [1], lettre 433).

Engagé dans la même dispute théologique qui avait enflammé la Hollande (v. supra note [12]), en opposant les purs calvinistes (gomaristes) aux remontrants (arminiens), Hugo Grotius avait pris (et conservait ici) le parti du libre arbitre.

51.

Petrus Scriverius (Peter Schrijver, Amsterdam 1576-Oudewater 1660) est un écrivain, philologue et historien hollandais qui a notamment édité les poèmes de Joseph Scaliger (Leyde, 1615, v. note [6], lettre 261).

V. notes :

52.

Issue de la Maison d’Ascanie et fondée au xiiie s. par Henri ier d’Anhalt, fils aîné légitime du duc Bernard iii de Saxe, la principauté d’Anhalt (v. note [3], lettre latine 19) n’était pas régie par la règle de primogéniture. En 1586, elle avait été partagée entre les sept fils de Joachim Ernest, puis entre cinq d’entre eux à partir de 1603, dont les surnoms étaient attachés aux villes de Dessau, Bembourg, Plötzkau, Zernst et Köthen. Une sixième principauté, l’Anhalt-Harzgerode, avait été créée en 1635.

53.

V. note [8], lettre 72, pour les huit tomes qui forment la série complète des « Dogmes théologiques » du P. Denis Petau (v. note [6], lettre 54), dont seuls les trois premiers avaient été imprimés à Paris au moment où le Grotiana a été rédigé.

54.

« Honore le démon qu’honore la cité. »

Henri Sauval, Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, {a}, tome premier, page 324 :

« François de Malherbe, {b} Normand, passa la meilleure partie de sa vie en Provence, et le reste à la cour. […] Son père changea de religion, {c} mais il ne l’imita pas, ayant souvent à la bouche ces paroles assez libertines, que le poète Prudence {d} attribue à l’empereur Gallien, Cole dæmonium quod colit civitas. » {e}


  1. Paris, 1724, v. note [41], lettre 426.

  2. V. note [7], lettre 834.

  3. François de Malherbe, le père du littérateur, était conseiller au bailliage et présidial de Caen ; il s’était converti du catholicisme à la religion réformée.

  4. V. infra note [59] pour Prudence.

  5. Publius Licinius Egnatius Gallienus a régné sur l’Empire romain de 259 à 260. Sa Vie, écrite par Trebellius Pollion, figure dans l’Histoire Auguste : nombre de ses facéties y sont relatées, mais cette sentence cynique n’y figure pas.

55.

La Cité de Dieu de saint Augustin, édition avec le texte latin ; traduction nouvelle, par Louis Moreau (Paris, L. Lesort, 1846, in‑8o, tome premier, pages 342‑343) :

« Et, en vérité, ces temples sont plus abominables que ces théâtres : actions réelles d’une part, simples fictions de l’autre. Aussi, la conduite que Sénèque prescrit au sage dans les mystères de la théologie civile, {a} est-elle, non pas une adhésion de conscience, mais une profession purement extérieure. “ Le sage, dit-il, observera toutes ces pratiques pour obéir à la loi, sans les croire agréables aux dieux, etc. {b} Ignoble cohue de divinités, que depuis longues années une longue superstition accumule ! N’oublions pas que si nous leur rendons un culte, c’est un hommage que nous devons à la coutume et non à leur réalité. ” Ainsi, ni les lois ni l’usage n’ont rien institué dans la théologie civile à dessein de plaire aux dieux, ou même d’établir leur réalité, mais cet homme que la philosophie a presque affranchi, cet homme est sénateur du peuple romain ; et il révère ce qu’il méprise, il fait ce qu’il reprend, il adore ce qu’il condamne. La philosophie lui a donné ces vives lumières qui dissipent les superstitions ; mais les lois de la cité, la coutume humaine, sans toutefois le pousser sur le théâtre, font de lui, dans le temple, un imitateur des histrions, d’autant plus criminel que ce personnage qu’il joue, la multitude peut le croire sincère. Moins funeste dans ses jeux, le comédien cherche plutôt à divertir qu’à tromper. »


  1. Saint Augustin a consacré le précédent chapitre de La Cité de Dieu (ix, livre vi) à expliquer la theologia tripertita que Varron a établie dans ses Antiquitatum rerum humanarum et divinarum libri xli [Quarante-et-un livres sur les antiquités des affaires humaines et divines] (ouvrage aujourd’hui perdu, dont les fragments ne nous sont connus que par ce qu’en ont écrit les Pères de l’Église) : les théologies civile (theologia civilis, la religion préchrétienne officielle de Rome), fabuleuse ou théâtrale (theologia fabularis, la mythologie), et naturelle (theologia naturalis, la philosophie). Le chapitre x d’Augustin commence par cette phrase :

    Libertas sane, quæ huic defuit, ne istam urbanam theoloiam theatricæ simillimam aperte sicut illa reprehendere auderet, Annæo Senecæ, quem nonnullis indiciis invenimus apostolorum nostrorum claruisse temporibus, non quidem ex toto, verum ex aliqua parte non defuit.

    [Il (Varron) n’a pas eu la liberté de flétrir hautement la théologie civile, si semblable à la théologie du théâtre, qu’il condamne ; mais cette liberté n’a pas manqué à Sénèque, philosophe, que certaines conjectures nous font croire contemporain des apôtres : liberté hardie parfois, sinon pleine et entière, présente sous sa plume, absente de sa vie].

  2. L’« etc. » du Grotiana marque le texte qu’il a éludé :

    Et paulo post : “ Quid quod est matrimonia, inquit, Deorum iungimus, et ne ie quidem, fratrum ac sororum ! Bellonam Marti conlocamus, Vulcano Venerem, Neptuno Samaciam. Quosdam tamen cælibes relinquimus, quasi condicio defecerit, præsertim cum quædam viduæ sint, ut Populonia vel Fulgora et diva Rumina ; quibus non miror petitorem defuisse

    [Et il ajoute : « Quoi ! nous formons entre les dieux des alliances impies de frères et de sœurs ! Nous marions Mars et Bellone, {i} Vulcain et Vénus, Neptune et Salacia. Nous en laissons quelques-uns dans le célibat, comme s’ils n’eussent pu trouver un parti. Cependant il se présente certaines déesses veuves, telles que Populonia, Fulgora, Rumina. Je ne m’étonne pas toutefois qu’elles n’aient point été recherchées. »…]

    1. Bellone était la sœur ou l’épouse de Mars, dieu de la guerre (v. note [3], lettre latine 29).

    La citation de Sénèque le Jeune provient des Fragments (xxxix‑xl) qu’on lui attribue, tirés de Lactance.


56.

Seul le chapitre v du livre ii de La Sagesse de Pierre Charron est consacré à la religion, il est intitulé La vraie piété, premier office de la Sagesse. Le Grotiana renvoyait à ses § 7‑8 (pages 356‑358, édition de Bordeaux, 1601, v. note [9], lettre latine 421) :

« 7. Or étant les religions et croyances telles que dit est, étranges aux sens communs, surpassant de bien loin toute la portée et intelligence humaine, elles ne doivent ni ne peuvent être prises, ni loger chez nous par moyens naturels et humains (autrement, tant de grandes âmes rares et excellentes qu’il y a eu y fussent arrivées), mais il faut qu’elles soient apportées et baillées par révélation extraordinaire et céleste, prises et reçues par inspiration divine, et comme venant du ciel. Ainsi aussi disent tous < ceux > qui la tiennent et la croient, et tous usent de ce jargon, que non des hommes ni d’aucune créature, ains de Dieu. {a}

8. Mais à dire vrai, sans rien flatter ni déguiser, il n’en est rien. Elles sont, quoi qu’on dise, tenues par mains et moyens humains : témoin, premièrement, la manière que les religions ont été reçues au monde, et < le > sont encore tous les jours par les particuliers ; la nation, le pays, le lieu donnent la religion, l’on est de celle que le lieu, auquel on est né et élevé, tient ; nous sommes circoncis, baptisés, juifs, mahométans, chrétiens, avant que nous sachions que nous sommes hommes ; la religion n’est pas de notre choix et élection ; témoin après, la vie et les mœurs si mal accordantes avec la religion, témoin que, par occasions humaines et bien légères, l’on va contre la teneur de sa religion. Si elle tenait et était plantée par une attache divine, chose du monde ne nous en pourrait ébranler, telle attache ne se romprait pas si aisément ; s’il y avait de la touche et du rayon de la divinité, ils paraîtraient partout, et l’on produirait des effets qui s’en sentiraient et seraient miraculeux, comme a dit la vérité : “ Si vous aviez une seule goutte de foi, vous remueriez les montagnes. ” {b} Mais quelle proportion ni convenance entre la persuasion de l’immortalité de l’âme et d’une future récompense si glorieuse et heureuse, ou si malheureuse et angoisseuse, et la vie que l’on mène ? La seule appréhension des choses que l’on dit croire si fermement ferait égarer et perdre le sens : la seule appréhension et crainte de mourir par justice, et en public, ou de quelque autre accident honteux et fâcheux, a fait perdre le sens à plusieurs et les a jetés à des partis bien étranges ; et qu’est cela au prix de ce que la religion enseigne de l’avenir ? »


  1. « qui n’appartient ni aux hommes ni à aucune créature, mais à Dieu. »

  2. Matthieu, 17:19, où Jésus chasse le « démon » d’un enfant épileptique et le guérit, après que ses disciples y ont échoué :

    « Alors, les disciples s’approchant de Jésus dans le privé, lui demandèrent : “ Pourquoi nous autres n’avons-nous pu l’expulser ? – Parce que vous avez peu de foi, leur dit-il. Car je vous le dis en vérité, si vous avez de la foi gros comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne ‘ Déplace-toi d’ici à là ’, et elle se déplacera, et rien ne vous sera impossible. ” »

57.

« Au-dedans comme il plaît à chacun, au-dehors comme veut le monde » : devise attribuée à Cesare Cremonini, v. note [9], lettre 60.

58.

« Il y en a une pour moi, et une pour régner. »

Le P. François Garasse a commenté cette devise dans sa Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps ou prétendus tels… (Paris, 1624, v. note [1], lettre 58), ouvrage spécifiquement dirigé contre les libertins impies. La citation se trouve dans le § v de l’exposition du livre second, maxime seconde, Les beaux esprits ne croient point en Dieu que par bienséance et par maxime d’État (page 102) :

« À toutes ces propositions, nos bons esprits prétendus attachent avec un filet d’étoupe cette belle conséquence : donc un bon esprit ne croit en Dieu que par contenance et par maxime d’État, pour s’accorder à la créance du vulgaire, pour n’être continuellement en débat, pour ne se fermer l’entrée aux compagnies et l’accès aux charges, puisqu’il faut vivre avec les vivants, parler comme fait le vulgaire et juger tout au rebours ; comme disait je ne sais quel empereur, parlant de la religion, que, quant à lui, aliam sibi, aliam servabat imperio, {a} comme nous avons d’autres habits pour la chambre, et d’autres pour paraître au dehors. » {b}


  1. « il en observait une pour lui-même, et une autre pour régner ». Cette sentence se retrouve chez plusieurs auteurs du xviie s., mais aucun ne désigne l’empereur, qualifié de « brave », qui l’a prononcée, et n’en fournit la source.

  2. La suite réfute en grand détail la totalité de cette maxime seconde.

59.

« “ Tous vénèrent un seul Dieu, qu’ils pensent leur être favorable. Nous contemplons les mêmes étoiles, le ciel nous est commun, le même univers nous entoure. Qu’importe donc la connaissance qui nous fait rechercher la vérité ? Le chemin pour parvenir à un si grand secret n’est pas unique ” Voyez le Prudence de Joan. Weizius, page 306 et ses notes page 617. »

Tout ce dernier article du Grotiana est un précieux témoignage de la profonde défiance de Hugo Grotius envers les libertins, leur scepticisme et leur athéisme larvé.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Ana de Guy Patin : Grotiana 2

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(Consulté le 29/03/2024)

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