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Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit  >

Ms BnF Fr 9730 page 45 [1]


1.

« Enfant tyran ! tu mourras de tabès ou de poison. »

V. note [56] du Borboniana 2 manuscrit pour Lambertus (Ludophus Pithopœus) et son épigramme contre Marc-Antoine Muret. Je n’ai pas trouvé ce vers dans les Poemata de Lambertus (Spire, 1595), mais on y lit un propos très ressemblant dans la pièce intitulée In Carolum ix. Valsium, Galliæ Regem [Contre Charles ix de Valois, roi de France] (pages 435‑436) :

Nullos esse Deos, inane cœlum,
Credit Valesius, probatque, quod se
Factum, dum putat hoc, ait potentem.
Falso te tamen, puer Tyranne,
Exemplo proprio, putasse. Tandem
Discere incipies, nimisque sero,
Cum diris cruciatibus peremtus,
Spectaclo miserabili et stupendo,
Iusta cuncta Dei potentis ira,
Toto cropore sanguinem profundens,
Vitam cum fremitu impio relinques.
Nuper millia quod tui piorum
Cuncta per loca regni et innocentum,
Instar crudivori et lupi rapacis,
Immani nimium, ferino et ausu,
Dolo perfidiaque abominanda,
Per blandam speciem sacri iugalis,
Dum Regi propriam locans sororem,
Cæde et sanguine polluis tuorum,
Sævus publica festa nuptiarum,
Mactasti innumera, et cruore campos
Implesti fluvios, lacus et urbes,
Cum tui generis probro perenni.
Disces vah puer et tyranne disces,
Esse, quod scelera hæc videtque et odit,
Iustum numen, et haud inane cœlum
.

Eitelber. < sic > Non. Septembr. 1572.

[Le Valois croit qu’il n’existe aucun Dieu et que le ciel est vide : ce qu’il a fait le prouve, et il pense qu’on le dit puissant pour cette raison ; mais ton propre exemple, enfant tyran, prouve que c’est à tort que tu as pensé cela. Tu commenceras à l’apprendre, mais bien trop tard, le jour où, anéanti par d’effrayantes tortures, en proie à une désolante et stupéfiante vision, quand la juste colère de Dieu tout-puissant répandra tout le sang que tu as dans le corps, tu quitteras la vie dans un mugissement sacrilège. Voilà peu, tandis que tu donnais ta propre sœur à un roi, sous la flatteuse apparence d’une messe de mariage, tu as profané la célébration publique des noces par le meurtre et le sang de tes sujets : {a} comme rendu furieux par la sauvage et épouvantablement cruelle audace d’un loup prédateur et carnassier, par une ruse et une abominable perfidie, tu as massacré par milliers d’innocentes et pieuses gens en tous lieux de ton royaume ; pour la durable infamie de ta lignée, tu as rempli de leur sang champs, villes, fleuve et lacs. Toi, l’enfant, tu apprendras, et toi, le tyran, tu sauras alors qu’il existe un Dieu juste, qui voit et exècre ces crimes, et que le ciel n’est pas vide.

Heidelberg, le 5 septembre 1572]. {b}


  1. Célébration, le 18 août 1572 à Paris, du mariage de Marguerite de Valois, sœur du roi Charles ix, avec Henri iii, roi huguenot de Navarre (et futur roi Henri iv de France), suivi, le 24 août, jour de la Saint-Barthélemy, du début des massacres qui ensanglantèrent tout le royaume (v. note [30], lettre 211).

  2. Dans le calendrier julien (vieux style) : 15 septembre du calendrier grégorien (nouveau style).

Le plus probable, me semble-t-il, est que quelque plume protestante a repris l’idée et deux mots de Lambertus, puer tyranne, pour forger un vers à prétention prémonitoire : Charles ix est mort le 30 mai 1574, rongé par le tabès (phtisie ou consomption, probablement tuberculeuse), {a} avec rumeurs d’un empoisonnement que l’autopsie n’a pas confirmé. Le rapport en a été transcrit à la page 856 des Œuvres de chirurgie de Jacques Guillemeau, {b} avec cette incontestable description d’une pleurésie purulente, {c} que nul poison, autre que le bacille tuberculeux, ne sait provoquer :

Pulmo qui in partem sinistram Thoracis incubebat, a costis illegitimis ad claviculas usque totus lateri adhærebat, ita firmiter, et obstinate, ut avelli potuerit sine dilaceratione, et discerptione cum putredine substantiæ et, in qua sese prodidit vomica rupta, e qua colluvies purule<n>ta, putrida et graveolens effluxit, cuius tanta fuit copia, ut in asperam arteriam redundarit, et præclusa respiratione præcipitis et repentini interitus causam attulerit.

[Le poumon gauche tout entier, depuis les côtes flottantes jusqu’à la clavicule, adhérait à la paroi, si solidement et fermement qu’il ne pouvait en être séparé sans dilacération ni déchirure ; avec pourrissement de sa substance, qu’un abcès rompu avait envahie, et d’où s’était écoulée une ordure purulente, gâtée et fétide, en si grande abondance qu’elle avait inondé la trachée-artère, et provoqué une mort subite et prompte en bloquant la respiration]. {d}


  1. V. note [9], lettre 93.

  2. Rouen, Jean Viret, François Vaultier, Clément Malassis et Jacques Besongne, 1649, in‑fo de 863 pages, 3e édition : v. note [15], lettre 219, pour leur auteur, Jacques Guillemeau, et leur édition de 1598.

  3. V. note [10], lettre 40.

  4. Les autres viscères (incluant le cerveau) étaient intacts. Dix médecins, dont Louis Duret et Simon i Piètre, ont assisté (præfuerunt) à l’ouverture du corps (autopsie) et huit chirurgiens, dont Ambroise Paré et Jacques Guillemeau, l’ont effectuée (administrarunt). V. note [15], lettre 554, pour la mort subite, ici due à l’inondation des voies respiratoires par la rupture d’un volumineux abcès pulmonaire.

2.

« Voyez page 561, vers la fin de ses œuvres in‑16. {a} Sur Hieronymus Vida, voyez de Thou, tome 2, page 361. » {b}


  1. Marci Hieronymi Vidæ Cremonensis, Albæ Episcopi, Opera, quorum catalogum sequens pagella continet.

    Œuvres de Hieronymus Vida natif de Crémone, évêque d’Albe, {i} dont la page suivante {ii} procure le sommaire]. {iii}

    1. Marco Girolamo Vida (Crémone 1485-1566), évêque d’Albe (Piémont) en 1533, est auteur d’une abondante production poétique latine, réunie dans plusieurs éditions.

    2. Poemata omnia, tam quæ ad Christi veritatem pertinent, quam ea quæ haud plane disiunxit a fabula, utraque seorsum ab alteris [Poèmes complets : tant ceux qui touchent à la Parole du Christ, que ceux qu’il n’a pas tout à fait dissociés du récit profane, les uns étant séparés des autres], en deux séries :

      1. Hymni de rebus divinis, nunc primum editi [Hymnes sur les choses divines, publiés pour la première fois] et Christiados libri vi [Six livres de la Christiade (histoire de Jésus-Christ)] ;

      2. De Arte poetica libri iii [Trois livres sur l’Art poétique], De Bombyce libri ii [Deux livres sur le Ver à soie], Scachia liber  [Livre sur Scachia] (allégorie guerrière), Bucolica, Eclogæ iii [Trois Églogues bucoliques] et Carmina diversi generis, pleraque non antehac edita [Poèmes de divers genres, dont la plupart n’ont encore jamais été publiés].

    3. Lyon, héritiers de Sebastianus Gryphius, 1559, in‑8o de 569 pages.

    Cette édition n’est pas in‑16, mais la page indiquée, 561, est le début d’un poème de 6 pages, intitulé Gelelmi Vidæ et Leonæ Oscasalæ parentum manib. [Aux mânes de mes parents, Guglielmo Vida et Leona Oscasala], où Vida déplore amèrement de ne pas avoir pu voir ses parents une dernière fois avant leur mort, disant par exemple (pages 562‑563) :

    Ah dolor, ah pietas, non flens morientia pressi
    Lumina, funereum non sum comitatus honorem.
    Non potui vestro vobis in tempore adesse
    Gratus luce magis, vita iucundior ipsa.
    Non potui vobis spectabilis affulsisse,
    Cum mihi mutato cursu fortuna veniret
    Lætior, et nunquam optatos afferret honores,
    Quos adii vestri tantum memor, haud mihi parcens,
    Cui placitam Musis potius traducere vitam
    Fixum erat, atque humile rerum altas discere causas
    .

    [Quel chagrin ! quelle piété filiale ! je n’ai pas étreint vos lueurs mourantes, je n’ai pas suivi vos funérailles. Je n’ai pu être auprès de vous au bon moment, trouvant plus plaisantes la lumière et la vie même. Je n’ai pas pu vous apparaître dans tout mon éclat, quand une plus heureuse fortune eût dû me faire changer de route et ne jamais m’écarter des honneurs que je souhaitais seulement rendre à votre mémoire, sans épargner ma peine ; à quoi j’ai préféré consacrer agréablement ma vie aux Muses, et humblement apprendre les causes profondes des choses].

  2. Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou, livre xxxviii, année 1566, règne de Charles ix (Thou fr, volume 5, pages 121‑122) :

    « Le 27e de septembre, la mort enleva Marc-Jérôme Vida, de Crémone, {i} que Clément vii avait fait évêque d’Alba sur le Tanaro, {ii} trente-cinq ans auparavant. Il fut le premier parmi les Italiens, après Jacques Sannazar, {iii} qui fit servir la poésie aux choses saintes. Il illustra sa province par ses poésies aussi pures qu’élégantes, et il rendit tranquillement son âme à Dieu avec la même piété qu’il avait vécu. Il fut enterré dans son église d’Alba ; et depuis, ses concitoyens, à qui il avait rendu de grands services, lui firent de magnifiques funérailles, avec des éloges publics, dans la grande église, où il y eut un concours prodigieux. » {iv}

    1. V. note [37], lettre 500.

    2. Alba est une ville du Piémont, dans la province de Coni. Le Tanaro est un affluent du Pô. V. note [50], lettre 292, pour le pape Clément vii (1523-1534).

    3. Jacopo Sannazaro, v. note [38] du Naudæana 2.

    4. Grande affluence de fidèles.

3.

« en histoire naturelle, en agriculture, en connaissance des chevaux et autres animaux. »

4.

« “ Pour retarder le trépas de son père mourant, il préféra connaître les vertus des herbes et la manière de remédier, et exercer sans gloire un art silencieux. ” {a}

Voyez le Thesaurus rerum absconditarum de Jo. Talentonius, page 250. {b} Voyez l’Apologie de M. Naudé, pages 631, 624, 608. » {c}


  1. Énéide, chant xii, vers 395‑397 : Apollon (v. note [8], lettre 997), pris d’une vive affection pour Iapyx (ou Iapis), fils d’Iasus, s’était plu à lui offrir « ses arts et offices, l’art augural, la cithare, les flèches rapides » ; mais Iapyx (que les critiques ont identifié à Antonius Musa, médecin de l’empereur Auguste, v. note [8] des pièces liminaires du Traité de la Conservation de santé), préféra l’art de remédier, en vue de soigner son père en sa dernière maladie.

    V. note [2], lettre 100, pour une référence de Nicolas Bourbon à ce vers dans l’épigramme qu’il composa à la gloire de Guy Patin à la suite de son procès gagné contre Théophraste Renaudot en 1642 (v. note [3], lettre 90).

  2. Ioannis Talentonii, Philosophi et Medici clarissimi, Philosophiamque, et Medicinam tum Practicam, tum Theoricam in Parmensi Gymnasio, et alibi, summa cum laude professi, et prositentis, Variarum et reconditarum rerum Thesaurus in quatuor libros divisus. In quibus difficiliores in omni fere disciplinarum genere loci explicantur ; Quæsitis aliquot gravissimorum virorum obscurissimis respondetur ; Diversarum rerum nomina, naturæ, et munera declarantur ; Varii ritus occultæque aperiuntur Historiæ ; aliaque demum, tum rara, tum obscura traduntur, enodantur, extricantur, illustrantur.

    [Trésor des choses diverses et secrètes de Johannes Talentonius, {i} très brillant philosophe et médecin, qui a professé, au premier rang et avec grand honneur, la philosophie et la médecine, tant pratique que théorique, à la Faculté de Parme, et ailleurs. Divisé en quatre livres où : sont expliqués les passages très ardus en presque tous les genres de savoirs ; est répondu aux interrogations les plus obscures des auteurs les plus sérieux ; sont exposés les noms, natures et fonctions de diverses choses ; sont mis au jour divers rites et histoires occultes ; et sont enfin relatés, dénoués, démêlés et illuminés quantité de faits, tant rares que de mystérieux]. {ii}

    Le chapitre v du livre ii (pages 250‑259) porte sur les vers de Virgile cités par le Borboniana, avec cet argument, résumé dans le sommaire de l’ouvrage :

    Ut Vergilium defendamus, ne de Medicinæ gloria quibusdam in versibus detraxisse dicatur, eam apellando artem mutam, reiecta prius illorum opinione, qui eam sic ab eo vocatam esse, dicunt, quod ad summos honores homines non efferat, et illorum sententia, qui sic fuisse appellatam voluerunt, quod tota illius vis in operationibus, et remediis potius, quam in sermonibus, et eloquentia consistat, quasi ab omni ipsa abhorreat ornata dicendi ratione (cuius opinionis auctorem ostendimus fuisse Tiraquellum) non solum veram loci illius Virgiliani expositionem, et nominis huiusmodi, quod medicinæ attribuit, veram afferimus rationem, sed monstramus etiam, cur inglorium illum, qui artem huiusmodi exerceat, appellarit Virgilius, quod maiorem ignominiam secum ferre videtur, quam si ars dicatur muta, quod ab aliis non fuerat animadversum, et tantum abesse, ut Poeta de huiusmodi arte, acerbe sit locutus, ut de ea honorificentissime senserit, præstantemque descripserit Medicum.

    [Notre but est de défendre l’idée que Virgile, en certains de ses vers, n’a pas dénigré la gloire de la médecine en la qualifiant d’« art silencieux ». Nous rejetons d’abord l’opinion de ceux qui disent qu’il l’a ainsi appelée car elle n’élève pas les hommes aux plus hauts honneurs ; puis l’idée d’autres, dont Tiraqueau {iii} a été le promoteur, voulant qu’il l’ait ainsi dénommée car elle tire sa force d’opérations et de remèdes plutôt que des discours et de l’éloquence, comme si elle avait en horreur le talent de bien parler. Enfin, nous présentons non seulement la véritable explication de ce passage virgilien et le véritable sens du mot qu’il applique à la médecine, mais nous montrons aussi pourquoi Virgile a dit être « sans gloire » celui qui exerce ce métier, expression qui paraît lui conférer grande ignominie, comme s’il s’agissait d’un « art muet » : ces gens n’ont pas remarqué que le poète a employé des mots rudes, mais était fort loin de croire que ce métier n’est pas parfaitement honorable, car c’est un remarquable médecin qu’il a dépeint].

    1. Johannes Talentonius (Giovanni Talentoni, 1542-1620).

    2. Francfort, Collegium Musarum Palthenianum [Collège des Muses de Zacharias Palthen], 1605, in‑8o de 778 pages.

    3. Andreæ Tiraquelli Regii in Curia Parisiensi Senatoris, Commentarii de Nobilitate et Iure primigeniorum. Quarta hæc eademque postrema editione, ab auctore ipso diligentissime regogniti, et tertia amplius parte locupletati. Cum indice copiosissimo,

      [Commentaires d’André Tiraqueau (v. note [2], lettre 597), conseiller du roi au Parlement de Paris, sur la Noblesse et le Droit d’aînesse. Revus par l’auteur lui-même et augmentés d’une troisième partie, en cette quatrième et dernière édition (Lyon, héritiers de Gulielmus Rovillius, 1602, in‑fo de 690 pages). Avec un index très fourni] ;

      avec renvoi de Talentoni à son chapitre xxxi (pages 168‑354), An ars medicinæ nobilitate deroget [Si le métier de médecin déroge à la noblesse], § 415, pages 310‑311, Medici parabolani dicti , et quare. Medicos minime loquaces esse decet [Les médecins sont dits parabolains (soignants) et pou quelle raison. Il sied aux médecins d’être fort peu bavards].

  3. Renvoi à trois passages de l’Apologie pour tous les grands personnages qui ont été faussement soupçonnés de magie de Gabriel Naudé (Paris, 1625, v. note [5], lettre 608), chapitre xxi, Du Poète Virgile.

    1. Pages 631‑632, sur l’accusation de magie portée contre Virgile :

      « De sorte que tout le nœud de l’affaire ne consiste plus maintenant qu’à savoir quelle a été la première cause et origine de ce soupçon, qui ne peut venir assurément que de la connaissance des mathématiques, en laquelle Virgile avait tellement pénétré, suivant le rapport de Macrobe, Donatus, la Cerda, {i} et le commun consentement de tous les auteurs, que nonobstant qu’il fût excellent philosophe et très expérimenté médecin, l’on peut toutefois dire que la première de ses perfections, après la poésie, était ce qu’il savait en l’astronomie et autres parties des mathématiques, {ii} lesquelles ayant toujours été plus sujettes à être soupçonnées de magie que toutes les autres sciences, c’est ce qui a mû tous ces faibles esprits à se confirmer en cette sinistre opinion qu’ils avaient déjà conçue de lui à cause de sa pharmaceutrie, et huitième églogue, où il si doctement représenté, comme dit Apulée, vittas molles et verbenas pingues, et thura mascula, et licia discolora, {iii} et tout ce qui appartient à la magie, qu’il ne pouvait manquer d’être soupçonné de l’avoir pratiquée, par ceux à qui l’ignorance et la barbarie de leurs siècles ne permettai<en>t pas de savoir qu’il l’avait traduite mot pour mot de Théocrite […]. »

      1. V. notes [2], lettre 52, pour Macrobe, et [12], lettre 224, pour Juan Luis de la Cerda. Ælius Donatus est un grammairien latin du ive s.

      2. Convaincante démonstration des liens très étroits qui existaient alors (mais surprennent aujourd’hui) entre les mathématiques, l’astrologie et l’astronomie.

      3. Pharmaceutrie est l’adaptation française de Φαρμακευτριαι, Pharmaceutriaï [Les Magiciennes], titre de la iie Idylle de Théocrite (v. note [6], lettre 606), qui a directement inspiré à Virgile la 8e églogue de ses Bucoliques, en lui donnant ce même sous-titre. C’est une longue suite de recettes magiques et thérapeutiques échangées par deux bergers, nommés Damon et Alphésibée.

        Apulée (v. note [33], lettre 99) en a parlé dans son Apologie (chapitre 30, § 6‑7), à propos de la magie :

        At si Virgilium legisses, profecto scisses alia quæri ad hanc rem solere. Ille enim, quantum scio, enumerat vittas molles et verbenas pingues et thura mascula et licia discolora.

        [Si tu avais lu Virgile, tu aurais sûrement su qu’on se procure à cet effet d’autres matières. Autant qu’il me souvienne, il énumère les molles bandelettes, et les grasses verveines, et l’encens mâle, et les bandeaux de diverses couleurs].

        Cela correspond aux vers 65‑66 et 73‑75 de Virgile :

        Effer aquam, et molli cinge hæc altaria vitta
        verbenasque adole pinguis et mascula thura […].
        Terna tibi hæc primum triplici diversa colore
        licia circumdo, terque hæc altaria circum
        effigiem duco ; numero deus impare gaudet.

        [Apporte de l’eau et enveloppe ces autels de molles bandelettes ; brûle la grasse verveine et l’encens mâle (…) D’abord, j’entoure ton image de trois bandeaux de diverses couleurs, et je la promène trois fois autour de cet autel ; le nombre impair plaît au dieu].

    2. Pages 624‑625, sur les fables invraisemblables que certains auteurs ont brodées sur la vie de Virgile, dont celle disant (pages 611‑612) que « le sage Virgile fit une mouche d’airain sur l’une des portes de la ville de Naples, laquelle, durant l’espace de huit ans qu’elle demeura au lieu où il l’avait mise, empêcha qu’aucune mouche ne pût entrer dans ladite ville ; qu’en icelle il fit faire une boucherie dans laquelle la chair ne sentait ni ne se corrompait » :

      « Et pour moi, je trouve que Scaliger {i} avait raison de se moquer de l’un de ces chasse-mouche, lequel ayant fait une petite platine gravée de diverses figures et caractères, sous une certaine constellation, pour l’employer à cet effet, il ne l’eut pas sitôt placée sur ses fenêtres qu’il y eut une grosse mouche, plus hardie que les autres, qui la vint étrenner de son ordure. Le troisième qui nous pourrait ébranler par son autorité est Tostat, évêque d’Avila, {ii} qui met Virgile au rang de ceux qui ont pratiqué la nécromancie ; et ce à cause de ce qu’il avait lu, comme il dit lui-même dans le seizième livre de la Chronique du moine Helinand, de la mouche et de la boucherie qu’il avait fait<es> à Naples. »

      1. Jules-César Scaliger (v. note [5], lettre 9), le père de Joseph.

      2. V. note [53], lettre 183.

    3. V. note [22] du Naudæana 3, citation 1, pour la référence aux pages 608‑609.

5.

« C’est pourquoi Virgile, qui n’était pas tenu pour le dernier des sorciers, dit :

“ Les incantations peuvent faire descendre la Lune du ciel, Circé y a recouru pour transformer les compagnons d’Ulysse. Dans les prés, l’enchantement brise le froid serpent, etc. ” {a}

Et ailleurs :

“ J’ai vu transplanter des moissons d’un champ dans l’autre. ” {b}

Ou encore :

“ Elle promet par ses incantations de libérer les esprits qu’elle veut, [et d’en accabler d’autres de durs tourments,] d’arrêter le cours des fleuves, d’inverser le cours des astres. La nuit, elle anime les âmes mortes. Tu verras la terre gronder sous ses pieds et les frênes descendre des montagnes, etc. ” {c}

Page 115 de l’édition latine. {d}

Pour des louanges de Virgile, voyez les prolégomènes de Pontanus, et la Cerda. » {e}


  1. Bucoliques, églogue viii, vers 69‑71, en corrigeant l’erreur qui a placé le 3e vers au-dessous du Et alibi, dans la Démonomanie imprimée comme dans le Borboniana manuscrit (alors qu’il continue les deux précédents).

    V. note [7] du chapitre vii du Traité de la Conservation de santé pour Circé.

  2. ibid. vers 99.

  3. Énéide, chant iv (vers 486‑491), à propos d’une prêtresse berbère, avec omission du vers 488, Quas velit, ast aliis duras immittere curas, dont j’ai ajouté la traduction entre crochets.

    J’ai aussi corrigé la transcription fautive du manuscrit dans le vers 489 : fulmina [fleuves] pour sidera [astres].

  4. Dans l’édition française de la Démonomanie de Jean Bodin, {i} le chapitre ii du livre second est intitulé Des invocations tacites des malins Esprits, et ces deux citations de Virgile, « qui était en réputation de grand sorcier » se lisent fo 60 vo.

    Nicolas Bourbon, préférant ne pas lire les livres en français, se référait à la page 115 des :

    Io. Bodini Andegavenis de Magorum Dæmonomania libri iv. Nunc primum e Gallico in Latinum translati per Lorarium Philoponum.

    [Quatre livres de Jean Bodin, natif d’Angers, sur la Démonomanie des sorciers. Traduits pour la première fois du frnçais en latin oar Lotarius Philoponus]. {i}

    1. Paris, 1580, v. note [25], lettre 97.

    2. Bâle, Thomas Guarinus, 1581, in‑4o de 488 pages.
  5. V. note [17], lettre latine 7, pour l’édition de Virgile en 17 livres par Jacobus Pontanus (Augsbourg, 1599). Ses prolégomènes (introduction), nommés Prodidagmata, contiennent un chapitre i intitulé Vita, et mores Poetæ [Vie et mœurs du Poète] (pages 1‑4, édition de Lyon, Jean Pillehotte, 1604, in‑4o), je n’y ai rien lu sur les talents magiques de Virgile.

    V. supra note [4], notule {c‑1‑i}, pour Juan Luis la Cerda, autre jésuite qui a commenté Virgile.

Quant à la mort du prince des poètes latins, évoquée à la fin de cet article du Borboniana, elle est survenue, selon les témoignages de ses contemporains, à Brindisi, en sa 51e ou 56e année d’âge, le x. Calend. Octob. [10e jour précédant les calendes d’octobre (22 septembre)] de l’an 15 av. J.‑C.

6.

« “ Les Muses étaient en émoi quand mourut Valens, {a} le chantre des sœurs d’Uranie, mais elle fut sa seule compagne. ” {b} […] Il mourut à Meung sur la Loire {c} le 25 septembre 1587 »


  1. V. note [10], lettre 990, pour Germain Valens (Vaillant) de Guelis, magistrat et évêque qui a commenté Virgile.

  2. Uranie était celle des neuf Muses (v. ce mot dans notre glossaire) qui présidait à l’astronomie et à l’astrologie. On peut comprendre que Valens disait n’avoir pas de penchant pour Uranie, mais (selon son ironique épitaphe) guère de talent pour ses huit sœurs qu’il avait caressées.

  3. Le château de Meung-sur-Loire dans l’Orléanais (actuel département du Loiret, à environ 20 kilomètres au sud-ouest d’Orléans) était la résidence des évêques d’Orléans. L’église collégiale du lieu est dédiée à saint Lifard (ou Liphard, moine du vie s., fondateur du monastère de Meung). La collégiale de Saint-Aignan était l’église de l’ancienne abbaye homonyme.

Jacques de Varade, conseiller au Parlement de Paris en 1541, mourut en 1571. {a} Henri Sauval, dans ses Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, {b} tome troisième, page 643, ajoute qu’il avait épousé Michelle Vaillant de Guelis, sœur de Germain ; et qu’à la mort de Jacques, leurs deux fils, Germain et Jean, {c} avaient été mis sous la tutelle de Jérôme de Varade, {d} médecin du roi Charles ix, et frère de Jacques.


  1. Popoff, no 2417.

  2. Paris, 1724, v. note [41], lettre 426.

  3. V. infra note [7].

  4. V. note [7], lettre 550.

7.

« à son sujet, voyez de Thou, tome 4, page 208. »

8.

Ce sont les titres latins de deux dialogues du rhéteur satirique grec Lucien (Lucian) de Samosate, {a} dont Nicolas Perrot d’Anblancourt a traduit les œuvres en français, {b}

9.

« “ sur la mort de Peregrinus ”. Voyez le Lucien édité par Jen Benoît, {a} tome 2, page 756, dans l’argument, {b} et page 766, {c} et tome 1, page 879. » {d}


  1. Cette addition marginale du Borboniana renvoie à trois passages des Luciani Samosatensis Opera omnia [Œuvres complètes de Lucien de Samosate] éditées par Jean Benoît (Saumur, 1619, deux tomes in‑8o, v. note [5], lettre 774).

    J’ai aussi consulté la traduction française de Nicolas Perrot d’Ablancourt (Paris, 1654, v. supra note [8]), mais seulement pour mémoire parce que celle d’Eugène Talbot (Paris, Hachette et Cie, 1912, 2 tomes in‑16) est beaucoup plus fidèle au texte grec.

  2. L’Argumentum de « La mort de Peregrinus » n’est pas un texte de Lucien, mais un préambule de Jean Benoît (tome 2, page 756). Il y résume la vie et les idées de Peregrinus (Peregrinos), dit Protée, philosophe grec du iie s. Converti au christianisme, ses coreligionnaires le chassèrent de leur communauté en raison de ses thèses tenues pour hérétiques :

    Insectatur hic Lucianus, arrogantiam et insanam gloriæ cupiditatem, præcipue Philosophorum, ut cuius gratia plerique omnia audeant. Atque eius rei exemplum, Peregrini huius mortem describit, qui ut famam aliquam sui relinqueret, in Olympiis constructo rogo, seipsum in ignem ultro coniecerit, atque ita extinxerit. Quanquam autem potissimum ea commemorat, quæ circa mortem illius acta sunt, id quod etiam inscriptio ac titulus pollicentur, interim tamen et vitam eiusdem, et facinora persequitur, a quibus progressus ille, ad hoc genus studiorum postremo sese contulerit, et hoc sub aliena persona, a qua ipsum etiam modum et caussam mortis, in qua præcipue nitebantur sectatores illius, refelli ac refutari facit. Nimirum ut eam invidiam a seipso removeret. Apparet enim illis tum temporibus Peregrini nomen, non ita vile apud multos fuisse, præsertim imperitiores, quibus facti huiusce novitas admirationem incusserat. Quemadmodum et ex A. Gellio animadvertere licet, qui ipse quoque honorificam illius mentionem facit libro 12, cap. 11. Cæterum fuit hic Peregrinus, philosophus quispiam ex severioribus illum Stoicæ disciplinæ professoribus (Lucianus Cynicum videri vult) patria Parianus, ex Ponto, temporibus Traiani vivens, æqualis Epicteto, Dioni, Musonio, etc., quem se Gellius vidisse quoque ait, Athenis extra urbem in tugurio quodam habitantem. A principio Christianorum quoque religionem aliquandiu secutus fuit, sed mox ad philosophiam relapsum, ab illis, ut Luciano placet, propter ritus ipsorum neglectos atque præteritos, repudiatus.

    [Lucien s’attaque ici à l’arrogance et au désir insensé de gloire qu’on rencontre surtout chez les philosophes, et qui poussent la plupart d’entre eux à commettre toutes les audaces. Pour illustrer cela, il décrit la mort de ce Peregrinus qui, lors des Jeux olympiques, pour s’acquérir quelque réputation posthume, fit édifier un bûcher, se précipita dans le feu et y périt. Comme le promet le titre de son récit, Lucien relate principalement cet événement, mais il s’attache aussi à la vie et aux forfaits de ce personnage : d’où il est venu ; à quel genre d’études il s’est ensuite consacré, et ce sous une autre identité ; à quoi ont tenu les modalités et la cause de sa mort ; sur quoi s’appuyèrent principalement ses sectateurs. Lucien décrit toutes ces choses pour les contredire et les réfuter, et assurément pour s’affranchir lui-même de toute accusation de jalousie à l’égard de Peregrinus. Il est en effet clair que, pour bien des gens, surtout des ignorants, le renom que ce personnage s’est acquis de son vivant n’était guère méprisable, car la nouveauté de ce qu’il a fait leur a inspiré de l’admiration. Il est par exemple permis de prendre garde à Aulu-Gelle qui mentionne honorablement Peregrinus au chapitre 11 du livre xii. {i} Du reste, ce philosophe fut l’un de ceux qui professaient la doctrine stoïque (Lucien veut le faire paraître cynique). Il était originaire de Parion, dans le Pont, et a vécu au temps de Trajan, contemporain d’Épictète, de Dion, de Musonius, etc. {ii} Aulu-Gelle dit aussi l’avoir vu à Athènes, où il demeurait dans une espèce de chaumière hors les murs de la ville. {i} Initialement, il a suivi quelque temps la religion des chrétiens, mais il est bientôt retourné à la philosophie après que, selon Lucien, ils l’eurent chassé de leurs rangs pour avoir négligé et omis leurs rites].

    1. Aulu-Gelle, Nuits attiques, loc. cit. :

      Philosophum nomine Peregrinum, cui postea cognomentum Proteus factum est, virum gravem atque constantem, vidimus, cum Athenis essemus, deversantem in quodam tugurio extra urbem. Cumque ad eum frequenter ventitaremus, multa hercle dicere eum utiliter et honeste audivimus. In quibus id fuit, quod præcipuum auditu meminimus. Virum quidem sapientem non peccaturum esse dicebat, etiamsi peccasse eum dii atque homines ignoraturi forent. Non enim pœnæ aut infamiæ metu non esse peccandum censebat, sed iusti honestique studio et officio. Si qui tamen non essent tali vel ingenio vel disciplina præditi, uti se vi sua ac sponte facile a peccando tenerent, eos omnis tunc peccare proclivius existimabat, cum latere posse id peccatum putarent inpunitatemque ex ea latebra sperarent. “ At si sciant, inquit, homines nihil omnium rerum diutius posse celari, repressius pudentiusque peccabitur. ” Propterea versus istos Sophocli, prudentissimi poetarum, in ore esse habendos dicebat :

      Προς ταυτα κρυπτε μηδεν, ως απανθ’ ορων
      Και παντ’ ακουων, παντ’ αναπτυσσει χρονος.

      Alius quidam veterum poetarum, cuius nomen mihi nunc memoriæ non est, “ Veritatem Temporis filiam esse ” dixit.

      [Pendant mon séjour à Athènes, j’ai vu le fameux philosophe Peregrinus que, dans la suite, on surnomma Protée, homme grave et constant, qui habitait une espèce de chaumière hors des murs de la ville. Je lui ai souvent rendu visite et, par Hercule ! l’ai entendu tenir maints propos honnêtes et utiles. Entre autres, disait-il, un homme sage ne fautera pas, quand bien même les dieux et les hommes ignoreraient qu’il a fauté. Il jugeait en effet que ce qui empêche de fauter n’est pas la crainte de la punition ou de l’infamie, mais le souci et devoir de justice et d’honnêteté. Cependant, si leur intelligence ou leur instruction ne prédisposaient pas simplement les gens à ne pas fauter naturellement et spontanément, ils seraient profondément enclins à fauter, en pensant pouvoir cacher leur faute et en espérant que cette excuse leur conférerait l’impunité. « Mais, disait-il, si les hommes savent qu’absolument rien ne peut demeurer très longtemps caché, ils mettront plus de retenue et de prudence à pécher. » Il ajoutait qu’il fallait donc avoir à la bouche ces vers de Sophocle, le plus sage des poètes :

      N’espérez pouvoir rien cacher,
      le temps voit, entend et dévoile tout
      .

      Un autre poète ancien, dont le nom m’échappe sur l’instant, dit que « La vérité est la fille du temps »].

    2. Parion était une ville de Mysie, dans le Pont (v. note [48], lettre 348). Trajan a régné de 98 à 117 (v. note [2], lettre 199). Le philosophe grec Épictète (v. note [2], lettre 530), l’historien Dion Cassius (v. note [35] du Borboniana 6 manuscrit) et le philosophe stoïcien romain Musonius Rufus étaient contemporains de Peregrinus.
  • Dans Benoît, la page 766 du tome 2 correspond aux § 15‑16 de « La mort de Peregrinus ». Le philosophe est accusé d’avoir tué son père en l’étouffant, et revient imprudemment à Parion (Perrot d’Ablancourt, tome 2, pages 421‑422, et Talbot, tome 2, pages 388‑389) :

    « § 15. Ainsi l’effervescence n’était point calmée, mais l’accusation devenait imminente, et il allait avant peu s’élever quelque orateur contre lui. Le peuple témoignait hautement son indignation : on plaignait ce bon vieillard, que tout le monde connaissait, d’avoir été si affreusement mis à mort. Mais voyez comment le prudent Protée trouve moyen de parer à tout et d’éviter le danger : il s’avance dans l’assemblée de ses compatriotes, les cheveux longs, enveloppé d’un mauvais manteau, une besace sur l’épaule, un bâton à la main, en vrai costume de tragédie ; affublé de la sorte, il déclare qu’il leur abandonne tout le bien que lui a laissé son vénérable père, qu’il en fait un don public. À ces mots, tout le peuple, gens pauvres et toujours avides de largesses, se met à jeter des cris : “ Vive le philosophe ! vive le patriote ! vive le rival de Diogène et de Cratès ! » {i} Cependant, les ennemis de Peregrinus ont la bouche close, et si quelqu’un eût essayé de parler du meurtre, il eût été lapidé sur-le-champ.

    § 16. Peregrinus reprend donc sa vie errante, accompagné dans ses courses vagabondes par une troupe de chrétiens qui lui servent de satellites et subviennent abondamment à ses besoins. Il se fit ainsi nourrir pendant quelque temps ; mais ensuite, ayant violé quelques-uns de leurs préceptes (on l’avait vu, je crois, manger de la viande prohibée), il fut abandonné de son cortège et réduit à la pauvreté. Il imagine alors, en manière de palinodie, de redemander à sa ville natale la donation qu’il lui avait faite, et il présente à l’empereur une requête à l’effet d’obtenir que ses biens lui soient restitués sur son ordre ; mais ses compatriotes avaient, de leur côté, envoyé une députation qui rendit sa réclamation inutile, et il fut sommé de laisser les choses dans l’état où elles étaient, vu que sa donation était toute volontaire. »

    1. V. note [5], lettre latine 137, pour Diogène le Cynique, dont Cratès de Thèbes fut un disciple (au ive s. av. J.‑C.).

  • Toujours dans Benoît, la page 879 du tome 1 appartient au § 25 du traité Alexander seu Pseudomantis [Alexandre ou le faux prophète], histoire d’un faux prophète contemporain de Lucien ; Perrot d’Ablancourt ( tome 1, pages 533‑534) et Talbot (tome 1, pages 463‑464) :

    « Déjà cependant plus d’un homme sensé, se réveillant comme d’une profonde ivresse, commençait à s’élever contre l’imposteur, et notamment tout ce qu’il y avait de sectateurs d’Épicure : insensiblement, l’on perçait à jour, dans les villes, tout ce charlatanisme et cet appareil de comédie. Alors, pour servir d’épouvantail à ses ennemis, il s’écria dans un oracle que le Pont était rempli d’athées et de chrétiens qui osaient blasphémer indignement contre lui ; il ordonnait de les chasser à coups de pierres à tous ceux qui voudraient se rendre le dieu propice. Au sujet d’Épicure, il rendit un oracle à peu près en ces termes : quelqu’un lui ayant demandé ce que ce philosophe faisait dans les enfers, il répondit “ Chargé de chaînes de plomb, il est assis dans un bourbier ”. Sois étonné ensuite de la gloire à laquelle son oracle s’était élevé, quand tu vois de la part des visiteurs des questions aussi ingénues et aussi profondes ! Au surplus, il avait déclaré à Épicure une haine implacable et sourde ; et l’on comprend bien pourquoi : à quel autre, en effet, un fourbe, un charlatan, ami des prestiges, ennemi du vrai, peut-il déclarer la guerre à juste titre qu’à Épicure, dont l’œil perçant pénétrait la nature de toutes choses, et qui seul connaissait réellement la vérité ? À l’égard des disciples de Platon, de Chrysippe ou de Pythagore, {i} ils étaient les amis d’Alexandre, qui vivait avec eux dans une paix profonde. Mais “ l’inflexible ” Épicure, c’est la qualité qu’il lui donnait, était son ennemi acharné, parce qu’il apprend avec raison à tourner tous ces sortilèges en ridicule et en plaisanterie. »

    1. Philosophes déistes, opposés à l’athéisme d’Épicure (v. note [9], lettre 60).

  • 10.

    Le Borboniana puise quatre autres passages dans « La mort de Peregrinus » (v. supra note [9]). Ils correspondent aux pages 762‑763 et 766 de l’édition latine (Jean Benoit, Saumur, 1619), aux § 11‑13 et 16 de la traduction établie par Eugène Talbot (Paris, 1912) et, pour mémoire, aux pages 418‑420 de Nicolas Perrot d’Ablancourt (tome 2, Paris, 1654).

    Voici les deux premiers paragraphes en entier et le début du troisième, dans la traduction de Talbot (tome 2, pages 386‑387), avec mise en italique des fragments cités en latin par le Borboniana :

    « § 11. Ce fut vers cette époque qu’il se fit instruire dans l’admirable religion des chrétiens, en s’affiliant en Palestine avec quelques-uns de leurs prêtres et de leurs scribes. Que vous dirai-je ? Cet homme leur fit bientôt voir qu’ils n’étaient que des enfants ; tour à tour prophète, thiasarque, {a} chef d’assemblée, il fut à lui tout seul, interprétant leurs livres, les expliquant, en composant de son propre fonds. Aussi nombre de gens le regardèrent-ils comme un dieu, un législateur, un pontife, égal à celui qui est honoré en Palestine, où il fut mis en croix pour avoir introduit ce nouveau culte parmi les hommes. {b}

    § 12. Protée ayant donc été arrêté par ce motif, fut jeté en prison ; mais cette persécution lui procura pour le reste de sa vie une grande autorité et lui valut le bruit d’opérer des miracles et d’aimer la gloire, opinion qui flattait sa vanité. Du moment qu’il fut dans les fers, les chrétiens, se regardant comme frappés en lui, mirent tout en œuvre pour l’enlever ; mais ne pouvant y parvenir, ils lui rendirent au moins toutes sortes d’offices avec un zèle et un empressement infatigables. Dès le matin, on voyait rangée autour de la prison une foule de vieilles femmes, de veuves et d’orphelins. Les principaux chefs passaient la nuit auprès de lui, après avoir corrompu les geôliers : ils se faisaient apporter toutes sortes de mets, lisaient leurs livres saints ; et le vertueux Peregrinus (il se nommait encore ainsi) était appelé par eux le nouveau Socrate.

    § 13. Ce n’est pas tout, plusieurs villes d’Asie {c} lui envoyèrent des députés au nom des chrétiens pour lui servir d’appuis, d’avocats et de consolateurs. On ne saurait croire leur empressement en de pareilles occurrences : pour tout dire en un mot, rien ne leur coûte. Aussi Peregrinus, sous le prétexte de sa prison, vit-il arriver de bonnes sommes d’argent et se fit-il un gros revenu. Ces malheureux se figurent qu’ils sont immortels et vivront éternellement : en conséquence, ils méprisent les supplices et se livrent volontairement à la mort. Leur premier législateur leur a encore persuadé qu’ils sont tous frères. Dès qu’ils ont une fois changé de culte, ils renoncent aux dieux des Grecs et adorent le sophiste crucifié {d} dont ils suivent les lois. Ils méprisent également tous les biens et les mettent en commun, sur la foi complète qu’ils ont en ses paroles. En sorte que s’il vient à se présenter parmi eux un imposteur, un fourbe adroit, il n’a pas de peine à s’enrichir fort vite, en riant sous cape de leur simplicité.

    § 16. Peregrinus reprend donc sa vie errante, accompagné dans ses courses vagabondes par une troupe de chrétiens qui lui servent de satellites et subviennent abondamment à ses besoins. » {e}


    1. hellénisme : θιασαρχης (thiasarquês), chef de confrérie rituelle (θιασοςthiasos).

    2. « Ce passage est fort controversé. Je me suis guidé d’après les meilleurs critiques » (note de Talbot).

    3. Asie Mineure, Proche-Orient.

    4. Traduction atténuée de ανεσκολοπισμενον εκεινον σοφιστη [aneskolopismenon ekeinon sophistên, « ce sophiste empalé »], où sophistên signifie « charlatan » : crucifixum illum præceptorem [ce précepteur crucifié] dans Benoit, « le Crucifié » dans Perrot d’Ablancourt.

    5. Début du § 16 de « La mort de Peregrinus » : v. supra notule {c}, note [9].

    11.

    Ce sont deux références supplémentaires à Lucien sur Jésus-Christ, dans l’editio Salmuriensis (édition gréco-latine de Jean Benoit, Saumur, 1619, v. supra note [9]).

    1. Φιλοπατρις, η διδασκομενος (Philopatris, ê didaskoménos), Philopatris, seu qui docetur [Philopatris, ou celui qui instruit], dialogue entre Triéphon, Critias et Cléolaüs, est ainsi résumé par Nicolas Perrot d’Ablancourt (Paris, 1654, tome 2, page 558), qui a habilement traduit didaskoménos par le « catéchumène » :

      « On doute qu’il soit de Lucien. Du reste, il contient des railleries contre les premiers chrétiens, et quelques-unes contre le christianisme ; mais il ne faut pas s’étonner si, parlant mal de sa religion, il ne dit pas du bien de celle des autres. »

      La page 1003 (tome 2) de Benoit y correspond au § 17 de Talbot (Paris, 1912, tome 2, page 528) :

      « Critias. “ […] Dis-moi : les actions des Scythes {a} sont-elles également enregistrées dans le ciel ? ”
      Triéphon. “ Elles le sont toutes, s’il est vrai qu’il y ait quelque homme de bien {b} parmi les nations. ”
      Critias. “ Mais il faut une grande quantité de scribes dans le ciel pour écrire tant de choses. ”
      Triéphon. “ Parles-en mieux et ne plaisante point sur un dieu si habile ; mais, docile catéchumène, laisse-toi persuader, si tu veux vivre dans l’éternité. Car si ce dieu a pu étendre le ciel comme une peau, affermir la terre sur les eaux, former les astres et tirer l’homme du néant, qu’y a-t-il d’étonnant qu’il puisse écrire dans un livre toutes les actions des hommes ? Lorsque tu t’es construit une maison et que tu y as conduit serviteurs et servantes, aucune de leurs actions ne te reste inconnue ; à combien plus forte raison Dieu, qui a fait tout l’univers, ne connaîtra-t-il pas aisément et les actions et les pensées ? À l’égard de tes dieux, il y a longtemps que les hommes sensés les regardent comme un jeu de cottabe. ” » {c}


      1. V. note [19], lettre 197.

      2. Traduction exacte du mot χρρστος (chrêstos) employé par Lucien, mais que nos deux autres interprètes ont rendu différemment : Chrestus (et non par Christus), en latin, pour Benoit ; « Christ », en français, pour Perrot d’Ablancourt (page 566).

      3. κοτταβος (kottabos) dans Lucien, Cottabis dans Benoit, « des chimères » dans Perrot d’Ablancourt : le cottabe était un « jeu d’origine sicilienne et très en vogue dans les parties de plaisir des jeunes Athéniens ; il consistait d’ordinaire à jeter le reste d’une coupe de vin dans un bassin de métal en invoquant le nom d’une femme aimée ; si le jet produisait un son vibrant, c’était signe d’un amour partagé » (Bailly).

    2. La page 888 (tome 1) de Benoit appartient au traité « Alexandre ou le faux prophète » (v. notule {d}, note [9] supra), avec deux altérations : 1. le début est une addition du Borboniana (Nemo Christianus, nemo Atheus ingrediatur [Que nul chrétien, nul athée n’y pénètre]) ; 2. la dernière phrase est tronquée. Il s’agit du discours que prononçait Alexandre à l’ouverture des trois jours de fête religieuse qu’il avait institués à Rome pour ses initiés ; en voici la traduction de Talbot (tome 1, page 468, § 38) :

      “ Que tout athée, chrétien ou épicurien, venant espionner nos mystères, soit banni de ces lieux, mais que tous les croyants fidèles au dieu soient initiés sous d’heureux auspices ! ” Aussitôt après, commençait l’expulsion. Il disait le premier : “ À la porte les [chrétiens ! ”. Et la foule tout entière répondait : “ À la porte les] épicuriens ! ” » {a}


      1. Benoit (avec mise entre crochets du passage tronqué par le Borboniana) : Foras pellantur [Christiani. Tum multitudo acclamabat universa, Foras pellantur] Epicurei.

        La traduction de Perrot d’Ablancourt (Paris, 1654, tome 1, page 538) est ici fidèle au texte grec.


    12.

    V. note [47] du Grotiana 2, pour Suidas, hypothétique auteur de l’encyclopédie byzantine intitulée Souda, dont l’entrée lambda 683 (Suda On Line) est consacrée à Loukianos (d’après l’anglais, traduit du grec) :

    « Lucien de Samosate, surnommé le blasphémateur ou le calomniateur ou, pour mieux dire, l’athée, parce qu’en ses Dialogues, il a ridiculisé ce qu’on disait des dieux. Il a vécu au temps de l’empereur Trajan, {a} et après lui. Il a débuté comme juriste à Antioche en Syrie, mais faute d’y avoir trouvé le succès, il s’est consacré à l’écriture, et ce sans discontinuer. On raconte qu’il a été tué par des chiens, pour s’en être sauvagement pris à la vérité car, dans sa Vie de Peregrinus, il a attaqué le christianisme, et – le vaurien ! – il a diffamé le Christ en personne. Il en a été suffisamment puni en cette vie, mais dans la vie future, il partagera une part du feu éternel avec Satan. »


    1. Le Borboniana a remplacé Trajan par son successeur Hadrien (Adrian, v. note [40], lettre 99).

    Le Tragodopodagra de Lucien (v. notule {b}, note [7], lettre 12) peut laisser croire que son auteur était lui-même goutteux, tant il y décrit bien les tortures de la maladie (v. la traduction d’Eugène Talbot, Paris, 1912, tome 2, pages 534‑540).

    13.

    « Claudien {a} aurait pu sembler un poète chrétien, si saint Augustin ne l’avait nié, au chapitre 26, livre v de La Cité de Dieu, {b} par ces mots : “ Le poète Claudien, bien qu’opposé au nom de Jésus-Christ, l’a pourtant loué en disant :

    Ô prince excessivement chéri de Dieu, [pour qui, du fond de ses antres, Éole déchaîne ses armées hostiles,] pour qui combat le ciel, et les vents se liguent et volent à l’appel de tes trompettes ! ” {c}

    Voyez le commentaire de Luis Vives sur ce passage. {d} Orosius aussi s’est ainsi exprimé, au chapitre xxxv du livre vii : “ L’un des leurs, poète certes éminent, mais païen des plus opiniâtres, a porté dans ces vers, à la gloire et de Dieu et de l’homme, etc. ” » {e}


    1. V. note [10], lettre 138, pour Claudianus (Claudien ou Claudian), poète latin du ive s.

    2. V. note [5], lettre 91, pour saint Augustin, théologien, docteur et Père de l’Église au iveve s. ; le passage qui suit (traduit dans la notule {d‑iii} infra) est à l’endroit mentionné de La Cité de Dieu, son plus célèbre ouvrage.

    3. Claudien, Panégyriques, Éloge ii, pour le troisième consulat d’Honorius, vers 96‑98. J’ai mis entre crochets le fragment (païen) qu’Augustin a omis : cui fundit ab antris Æolus adversas acies, où la transcription du Bornoniana a malencontreusement remplacé hiemes [hivers] par acies [armées].

    4. Une bien utile remarque historique et philologique sur ce passage se lit en effet dans les commentaires de Jean-Louis Vivès sur La Cité de Dieu de saint Augustin, {i} livre v, note d, colonne 332 :

      Hunc Ægyptum fuisse vulgarior est opinio, et sic tradit Possidonius, qui fuit eius familiaris : non Rhodius ille philosophus, sed præsul quidam Afer. Ad carmen natus fuit, quod elegantissime scripsit, poetico vir ingenio, et ad superstitionem propensior : tametsi de Christo extat carmen ejus nomine inscriptum, quod credo ab eo Honorii gratiam compositum, ut fuit assentator maximus. Hi versus quos Augustinus citat, sunt in Panegyrico de tertio Honorii consulatu, quos in Honorii potius quam Theodosii laudem scripsit, et si de hac ipsa Alpina victoria loquens, quam fatis et felicitati Honorii citius quam Theodosii pietati per assentationem plusquam scurrilem adscribit. Sic enim ait :

      Victoria velox
      Auspiciis effecta tuis : pugnatis uterque.
      Tu fatis, genitorque manu : te propter et Alpes
      Invadi faciles : cauto nec profuit hosti
      Munitis hæsisse locis : spes irrita valli
      Concidit, et scopulis patuerunt claustra revulsis.
      Te propter gelidis Aquilo de monte procellis
      Obruit adversas acies revolutaque tela
      Vertit in autores, et turbine reppulit hastas.
      O nimium dilecte deo, cui fundit ab antris
      Æolus armatas hyemes, cui militat æther :
      Et conjurati veniunt ad classica venti.

      Sic in codicibus Claudiani legitur : apud Augustinum aliter. Fortasse ad eum tunc ferebantur modum, quo Augustinus scripsit, qui fuit illorum temporum æqualis. Tametsi in vetere libro Coloniensi sic habetur :

      O nimium dilecte deo, cui militat æther :
      Et conjurati veniunt ad classica venti.

      Eodem modo apud Orosium, et Diaconum.

      [Selon l’opinion la plus répandue, ce poète était originaire d’Égypte, ainsi que l’a relaté Possidonius (non pas le philosophe de Rhodes, mais l’évêque africain), {ii} qui fut son familier. Né pour la poésie, qu’il a fort élégamment écrite, ce fut un homme de talent, mais puissamment enclin à la superstition. Bien que ces vers qu’on lui attribue parlent du Christ, je crois qu’il les a écrits en l’honneur d’Honorius, {iii} car il a été le plus grand de ses encenseurs. Ceux que cite Augustin viennent du Panégyrique sur le troisième consulat d’Honorius, qu’il a plutôt écrit à la louange d’Honorius qu’à celle de Théodose ; et quand il parle de cette victoire alpine, il l’assigne bien plus à la destinée et à la félicité d’Honorius qu’à la piété de Théodose, {iv} et ce par adulation plus que facétieuse. Ainsi dit-il en effet :

      « Tes auspices ont hâté la victoire : vous avez tous deux pris part au combat, toi par ta destinée, et ton géniteur par sa valeur. Grâce à toi, les Alpes sont envahies sans efforts : en vain la prudence arrête l’ennemi sur des lieux hérissés d’un rempart ; le rempart croule et avec lui l’espérance ; les retranchements abattus ouvrent un passage. Grâce à toi, l’aquilon, du haut de la montagne, roule des masses de neige glacée sur les bataillons ennemis, il fait rebrousser les traits contre l’armée adverse, et, de son souffle, il repousse leurs javelots. Ô prince excessivement chéri de Dieu, pour qui, du fond de ses antres, Éole déchaîne ses hivers armés, pour qui combat le ciel, et les vents se liguent et volent à l’appel de tes trompettes ! » {v}

      Voilà ce qu’on lit dans les manuscrits de Claudien, mais Augustin en use différemment. Peut-être était-ce la manière dont on citait Claudien du temps où a écrit Augustin, qui était son contemporain. Voici pourtant comme on le lit sans un vieux livre conservé à Cologne :

      « Ô prince excessivement chéri de Dieu, pour qui combat le ciel, et les vents se liguent et volent à l’appel de tes trompettes ! »

      On le trouve à l’identique dans Orosius et dans Diaconus]. {vi}

      1. Bâle, 1542, v. notule {d}, note [14], lettre 409.

      2. Possidonius, évêque de Calame, en Numidie, mort vers 437, a appartenu à la communauté monastique qu’Augustin avait fondée à Hippone. Vivès avertissait de ne pas le confondre avec Possidonius de Rhodes, philosophe stoïcien grec du ier s. av. J.‑C.

      3. Honorius Flavius a été empereur romain d’Occident de 384 à 423 (v. note [3] de l’Observation i de Guy Patin et Charles Guillemeau).

      4. Quand il citait les vers de Claudien, Augustin glorifiait très explicitement le père d’Honorius, Théodose (v. note [3] de l’Observation i de Guy Patin et Charles Guillemeau), pour sa victoire, aidée par Dieu, contre l’usurpateur Eugenius, allié aux Francs (bataille du Frigidus, dite de la rivière froide, en septembre 394, près d’Aquilée, dans le Frioul) :

        « Il accable de toute la puissance de sa foi la formidable armée de son ennemi ; vainqueur plus encore par ses prières que par son épée. Des soldats qui avaient combattu dans cette journée nous ont dit qu’il s’était levé du côté de Théodose un vent si violent que les traits leur échappaient des mains pour fondre sur l’ennemi et que les traits de l’ennemi revenaient contre lui-même. »

      5. Dans son Panégyrique à Honorius, Claudien ne cite pas le nom de Théodose, mais il semble désigné quand il parle du père (genitor) se son héros, quoiqu’il pût s’agir de Dieu, géniteur de tous les hommes. Combattant côte à côte, tous deux sont aidés par une intervention miraculeuse ; mais Vivès, le sagace humaniste, me paraît avoir raison de penser qu’Augustin s’est trompé en prenant pour Théodose le « prince » (mot ajouté pour la clarté de la traduction, mais qui ne figure pas dans le texte latin) que Claudien apostrophait.

      6. Comme Orosius (v. infra notule {e}), Florus Diaconus (le diacre Florus de Lyon), théologien du ixe s., a commenté saint Augustin.

    5. Paulus Orosius (Paul Orose, Paulo Orosio), religieux espagnol du ve s., a composé sur la demande d’Augustin d’Hippone les :

      Adversus Paganos, (quos vocant) Historiarum libri septem.

      [Sept livres des Histoires des (gens qu’on appelle) Païens].

      J’ai consulté l’édition de Cologne (Jaspar Genepæus, 1542, in‑8o de 516 pages),

      Nunc denuo cum manuscriptis exemplaribus aliquot collati, diligentiusque multo quam antehac unquam excusi, cum indice rerum in ipsis contentarum copiosissimo.

      [À nouveau collationnés sur quelques exemplaires manuscrits, et imprimés beaucoup plus soigneusemment qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent, avec un très copieux index des matières qu’ils ocntiennent].

      Le passage cité s’y trouve à la page 488, livre vii, chapitre xxxv, intitulé :

      Theodosius imperator Cæsar Augustus quæ bella gesserit. Interim de Maximi, Adragastii et Valentiniani interitu, deque Arbogaste et Eugenio tyranno per Theodosum deletis.

      [Les guerres qu’a menées l’empereur Cæsar Augustus Theodosius. La mort de Maxime (co-empereur), d’Andragathius (général romain) et de Valentinien (autre co-empereur), et la destitution d’Abrogast et d’Eugenius par Théodose].

      J’y ai mis en exergue et en contexte le passage cité par le Borboniana, où Orosius affiche son scepticisme sur les circonstances surnaturelles de la victoire emportée par Théodose :

      Eugenius captus atque interfectus est. Arbogastes sua se manu perculit. Ita et hic duorum sanguine bellum civile restrictum est, absque illis decem millibus Gothorum, quos præmissos Theodosio Arbogastes delesse funditus fertur, quos utique perdidisse lucrum, et vinci vincere fuit. Non insulto obtrectatoribus nostris. Unum aliquod ab initio urbis conditæ bellum proferant, tam pia necessitate susceptum, tam divina felicitate confectum, tam clementi benignitate sopitum, ubi nec pugna gravem cædem, nec victoria cruentam exegerit ultionem : et fortasse concedam, ut non hæc fidei Christiani ducis concessa videantur, quamvis ego hoc testimonio non laborem, quando unus ex ipsis poeta quidem eximius, sed paganus pervicacissimus, huiusmodi versibus et Deo, et homini testimonium tulit, quibus ait : “ O nimium dilecte Deo, tibi militat æteher, Et coniurati veniunt ad classica venti. “ Ita cælitus iudicatum est inter partem etiam sine præsidio hominum de solo Deo humiliter sperantem, et partem arrogantissime de viribus suis et de idolis præsumentem. Theodosius aiunt composita tranquillataque repub. apud Mediolanum constitutus diem obiit.

      [Eugenius fut capturé et mis à mort. Arbogast, quant à lui, se tua de sa propre main. C’est ainsi et alors que, par le sang de ces deux hommes, cessa la guerre civile, sans compter ces dix milliers de Goths {i} envoyés par Théodose que, dit-on, Abrogast a entièrement anéantis, avantage qu’il a de toute façon perdu, puisque sa victoire a tourné en défaite. Je ne veux pas ici faire insulte à mes détracteurs : je les laisse prétendre que, depuis la fondation de Rome, ce fut l’une des rares guerres à avoir été entreprise par pieuse nécessité, menée avec si divine félicité et apaisée avec si clémente magnanimité qu’aucun combat n’y a coûté de lourd massacre, ni la victoire, de châtiment sanglant ; mais peut-être leur concéderais-je que tout cela ne semble pas avoir été lié à la foi du chef chrétien, {ii} bien que je ne m’embarrasse pas de ce témoignage que l’un des leurs, poète certes éminent, mais païen des plus opiniâtres, {iii} a porté dans ces vers, à la gloire et de Dieu et de l’homme, où il dit : « Ô prince excessivement chéri de Dieu, pour qui combat le ciel, et les vents se liguent et volent à l’appel de tes trompettes ! » Ainsi a-t-on jugé, en haut lieu, entre la partie qui met humblement son espérance en Dieu seul, même sans secours des hommes, et celle qui compte très arrogamment sur ses propres forces et sur ses idoles. On dit qu’après avoir rétabli et pacifié les affaires publiques, Théodose s’est installé à Milan où il est mort]. {iv}

      1. Les Goths étaient alliés de Théodose dans sa guerre contre Eugenius (usurpateur impérial) et Abrogast (général franc).

      2. Théodose.

      3. Claudien.

      4. Le 17 janvier 395. Théodose est fêté comme saint dans les rites orthodoxes et arméniens. L’Église romaine l’avait excommunié en 390 en raison d’un gigantesque massacre qu’il avait ordonné à Thessalonique. Après sa mort, l’Empire romain se scinda entre ses deux fils : Honorius en Occident et Flavius Arcadius en Orient.

    Quand les théologiens les interprètent, il devient décidément bien difficile de savoir ce qu’ont exactement voulu dire les auteurs laïques de l’Antiquité.

    14.

    « Sur Claudien, voyez la Theologia naturalis de Raynaud, page 910 ; {a} voyez les témoignages de divers auteurs dans le Claudianus de Barthius, et Barthius lui-même dans ses Adversaria. » {b}


    1. V. note [2], lettre 648, pour la « Théologie naturelle » (Lyon, 1622) du R.P. Théophile Raynaud (v. note [8], lettre 71).

      La page 910 appartient au chapitre intitulé Hostes providentiæ [Les ennemis de la providence], article iv, Obstruitur os loquentium iniqua [Est fermée la bouche de ceux qui profèrent des insanités], question ii, distinction viii. Raynaud y condamne les écrivains athées, tout particulièrement Épicure, Lucrèce et Claudien, mais pour ce dernier, à la page suivante (911, fin du § 150) :

      Et in eandem classem refertur Claudianus a Pico l. de provid. parte 2. c. 17 propter illa eius verba :

      Sæpe mihi dubiam traxit sententia mentem,
      Curarent superi terras, etc.

      Quod si ille vere ex animi sententia scripsit, nec tantum a exprimendum Euripidis dictum, cessat dubitatio quænam fuerit eius religio. Constatque eum non modo inter Paganos quibus eum accensuit Aug. 5. Civit. c. 16 et quidem pervicassimos ut addit Oros. 7. histor. c. 65. (male repugnantibus nonnullis qui eum Christianum esse crediderunt, propter quædam de Christo carmina Claudiano Mamerto Viennensi Presbytero tribuenda ;) sed inter providentiæ hostes, et de Atheismo suspectos esse numerandum.

      [Et Picus range Claudien dans la même catégorie, au chapitre 17, 2e partie du livre de la Providence, {i} en raison des paroles qu’il a proférées :

      Sæpe mihi dubiam traxit sententia mentem,
      Curarent superi terras, etc.
       {ii}

      S’il a écrit cela en toute sincérité, et pas seulement pour reprendre le propos d’Euripide, {iii} il ne subsiste aucun doute sur sa religion : il est clair qu’il faut le compter non seulement parmi les païens, comme a fait Augustin, au 5e livre, chapitre 16 de la Cité de Dieu, et même des plus opiniâtes, comme a ajouté Orosius au 7e de ses Histoires, chapitre 65 {iv} (ce à qu’ont mal contredit les auteurs qui l’ont cru chrétien, en se référant à ses poèmes sur le Christ, qui doivent être attribués à Claudianus Mamertus, prêtre viennois), {v} mais aussi parmi les ennemis de la providence et les gens suspects d’athéisme].

      1. Jean Pic de la Mirandole (v. note [53] du Naudæana 2), De Providentia Dei contra Philosophastros [Sur la Providence de Dieu, contre les philosophâtres] (loc. cit. pages F iii ro de l’édition de Strasbourg, Ioannes Grüninger, 1509), chapitre intitulé :

        Duas colligi male philosophantium opiniones : non minus inter sese quam cum providentia pugnantes : alteram causarum omnium ordinis necessarii, Alteram ipsarum causarum concursus temerarii.

        [J’ai recueilli deux opinions des mauvais philosophes : ils ne combattent pas moins contre eux-mêmes que contre la providence, à la fois sur toutes les causes de son ordonnancement nécessaire, et sur les convergences accidentelles des dites causes].

        Outre Claudien, Pic s’attaque à Athénagoras (philosophe chrétien du iie s.), qui a imité ses deux vers.

      2. Claudien, Invectives contre Rufin, trois premiers vers du livre i, dont Raynaud a éludé la suite, an nullus inesset Rector, et incerto fluerent mortalia casu, pour aboutir à cette profession sceptique :

        « Jai souvent eu l’esprit partagé entre deux opinions : si les dieux veillent sur les terres, ou si les mortels n’ont pas de guide et sont le jouet du hasard. »

      3. Euripide (v. note [16], lettre 0290), L’Athénien :

        « Jamais homme qui croit que les dieux existent conformément aux lois n’a de plein gré commis un acte impie ou proféré une parole criminelle ; il n’a pu le faire que souffrant de l’une des trois choses suivantes : soit, comme je l’ai dit, l’idée qu’ils n’existent pas ; soit, en second lieu, qu’ils existent, mais n’ont aucun souci des humains ; soit enfin qu’ils sont faciles à fléchir et se laissent retourner par des prières et des sacrifices. »

        Cité par Maria Michela Sassi, L’art subtil d’Euripide de critiquer les dieux sur la scène (Philosophie antique, 18, 2018, pages 169‑191).

      4. Ces deux références à saint Augustin et à Paulus Orosius sont détaillées dans la note [13] supra.

      5. Claudien Mamert, théologien chrétien du ve s., natif de Vienne en Dauphiné, dont le nom identique prête à une douteuse confusion avec le poète Claudien.
    2. V. note [45] du Grotiana 2 pour le Claudien (Hanau, 1612) de Caspar von Barth (Barthius, v. note [6], lettre 610). Dans les pièces liminaires les De Claudiano Testimonia veterum auctorum, et nonnullorum ex recentibus [Témoignages des auteurs anciens et de quelques modernes sur Claudius Claudianus] couvrent huit pages. On y lit, parmi quantité d’autres, ceux d’Augustin d’Hippone et d’Orose, commentés dans la note [13] supra.

      J’y ajoute ce bref avis de Jules-César Scaliger, qui n’était pas un critique indulgent ; il est tiré du livre vi (bas de la 2e colonne, page 321) de ses Poetices [Poétiques] (v. notes [5], lettre 407) :

      Maximus Poeta Claudianus, solo argumento igniobliore oppressus, addit de ingenio, quantum deest materiæ. Felix in eo calor, cultus non invisus, temperamentum iudicium, dictio candida, numeri non adfectati, acute dicta multa sine ambitione.

      [Quant au génie, l’immense poète Claudien, qu’on a accablé sur le seul argument de sa basse extraction, a comblé tout ce qui lui manquait en la matière. Chez lui se trouvent une heureuse chaleur, une élégance qui n’est pas odieuse, une modération des jugements, un discours brillant, une scansion sans afféterie, quantité de choses énoncées avec acuité et sans faste].

      L’index des 60 livres d’Adversariorum commnetariorum [Commentaires critiques] de Barth (Francfort, 1624) renvoie à 14 pages éparpillées dans l’ouvrage. Mon attention s’est portée sur celle qui est intitulée Claudianus utrum Christianus [Claudien a-t-il été chrétien ?] : le chapitre vii du livre i (colonnes 13‑16) est entièrement consacré à cette question ; y est défendue l’idée que seule une interprétation tendancieuse des vers de Claudien autorise à nier son paganisme, mais sans tenir compte du fait qu’il écrivait essentiellement pour flatter des empereurs qui, eux, étaient vraiment chrétiens.


    15.

    Épigramme xxxvi, intitulée De Theodoro et Hadriano [Sur Theodorus et Hadrianus] qui figure à la page 337 (première partie) du Claudien de Caspar von Barth (Hanau, 1612, v. supra note [14], notule {b}) :

    « Mallius {a} s’adonne au sommeil, et la nuit et le jour. Pharius {b} ne dort pas, il rapine les biens, tant sacrés que profanes. Peuples d’Italie, appelez de tous vos vœux que Mallius veille et que Pharius dorme ! » {c}


    1. Flavius Mallius ou Manlius Theodorus, est un consul romain chrétien (nommé en 399), protecteur de saint Augustin ; Claudien lui a consacré un de ses Panégyriques (qui ne laisse bien sûr pas penser qu’il fût un éternel endormi).

    2. Hadrianus Pharius (c’est-à-dire natif de Pharos, autre nom d’Alexandrie d’Égypte) était magister officiorum [maître des offices] sous les empereurs Théodose et Honorius, c’est-à-dire leur principal conseiller ou ministre.

    3. En citant ces vers satiriques de Claudien, Nicolas Bourbon ironisait sur le cardinal de Richelieu, principal ministre de Louis xiii, personnifié par le rapace et insomniaque Pharius ; et sur Claude de Bullion, son surintendant des finances de 1632 à 1640 (v. note [6], lettre 17), quant à lui assimilé au somnolent Mallius.

    16.

    « il leur exhibe ses parties génitales ».

    V. note [9], lettre 40, pour Zaga-Christ, insigne imposteur qui se disait prince d’Éthiopie et qui résidait alors à Paris. Le Borboniana a déjà fait état des attributs dont la nature avait généreusement doté cet homme (v. note [32] de sa première partie), tout comme le Naudæana 1 (v. sa note [11]), qui a parlé de polyorchidie.

    On appelait Grenadins « Les Arabes, ou Maures, chassés d’Espagne par Ferdinand et Isabelle, et réfugiés en Barbarie [Afrique du Nord], s’appellent encore aujourd’hui Grenadins, parce que le royaume de Grenade était le seul pays qu’ils tinssent encore en Espagne » (Trévoux).

    « Cajoler se dit plus particulièrement à l’égard des femmes et des filles auxquelles on fait l’amour, qu’on tâche de séduire par de belles paroles, et à force de leur dire des douceurs et des flatteries. Le faible des femmes, c’est d’aimer qu’on les cajole. Une honnête femme ne se doit jamais laisser cajoler » (ibid.).

    V. note [4], lettre latine 435, pour l’île d’Utopie imaginée par Thomas More en 1516.

    17.

    Antoinette Saulnier, née Allamant, était l’épouse de François, conseiller aux Enquêtes reçu en 1612, mort en 1649 (Popoff, no 2254).

    V. note [3], lettre 83, pour l’aventure que « la Saulnier » eut avec Zaga-Christ, contée par Tallemant des Réaux.

    18.

    « ont vu ce qu’était jouir de la plus complète liberté ; ils font maintenant l’expérience de ce qu’est vivre dans la plus complète servitude. Voyez le début de la Vie de Julius Agricola dans Tacite. »

    Cneius Julius Agricola (40-93), général romain qui s’est illustré dans la conquête de la Grande-Bretagne, était le beau-père de Tacite, qui a écrit sa vie et dressé son éloge. Cette citation s’inspire de sa préface (chapitre ii, § 3), où l’auteur (né en 58) regrette le temps de la République romaine, remplacée par la dictature de Jules César, puis par l’institution de l’Empire :

    Dedimus profecto grande patientiæ documentum ; et sicut vetus ætas vidit quid ultimum in libertate esset, ita nos quid in servitute, adempto per inquisitiones etiam loquendi audiendique commercio.

    [Nous avons vraiment fait preuve d’une immense patience. Nos aïeux ont vécu la plus complète liberté, et nous voilà dans la plus profonde servitude. Les enquêtes de renseignement nous ont même ôté le droit de parler et d’écouter].

    19.

    V. note [15], lettre 551, pour le triste destin du valeureux maréchal de Biron qui fut condamné à mort et exécuté en 1602, pour crime de haute trahison.

    Par lettres patentes données à Paris le 25 août 1601 et registrées au Parlement le 25 septembre, le roi avait instauré une Chambre de justice (v. note [8], lettre 221) pour débusquer et punir les abus des financiers (partisans ou traitants) par tout le royaume. Cette Chambre fut révoquée en octobre 1604.

    Bien que cela fût advenu sous le règne de Henri iv, Nicolas Bourbon louait hautement la mansuétude de ce roi, et déplorait les faiblesses de son fils, Louis xiii, à l’égard de Richelieu, devenu son ministre aussi implacable que tout-puissant.

    20.
    V. note [2], lettre 384, pour Philippe-Emmanuel de Gondi, général des galères (v. note [62], lettre 101) en 1598. En 1625, à la mort de son épouse, il s’était démis de cette charge, puis était entré dans la congrégation de l’Oratoire.

    Son brillant fils qui disputait sa licence de théologie en Sorbonne était Jean-François-Paul (né en 1613, v. note [18], lettre 186) qui allait devenir coadjuteur de l’archevêque de Paris, son oncle, puis le très célèbre cardinal de Retz, nommé en 1652. Il était alors abbé commandataire de l’abbaye de Notre-Dame de Buzay (dans le Pays de Retz, près de Machecoul), dont il ne possédait plus que le titre car il en avait affermé les bénéfices en 1633 (Mémoires, page 225).

    V. note [31], lettre 310, pour l’abbé de Souillac, Henri de La Mothe-Houdancourt (né en 1612, évêque de Rennes en 1639). Il était frère cadet de Philippe, le futur comte-maréchal (nommé en 1642, v. note [10], lettre 115), et de Daniel de La Mothe du Plessis Houdancourt, évêque de Mende en 1625, mort le 5 mars 1628 lors du siège de La Rochelle (v. note [27], lettre 183). Ces trois fils étaient nés du troisième mariage de leur père avec Louise Charles du Plessis-Picquet, lointaine apparentée du cardinal de Richelieu.

    V. notes :

    21.

    Tout le savant auditoire de Sorbonne s’esclaffa quand l’abbé de Souillac voulut dire « J’ai chez moi d’autres tomes où cela ne se lit point » ; et ce à cause des mots alia toma, accusatifs pluriels d’alium tomum, qui est un solécisme (faute de syntaxe) jugé inexcusable et hilarant, car profondément barbare dans le latin d’un postulant à une licence de Sorbonne : tomus [tome, volume] est un substantif masculin (et non neutre) et le bon cas accusatif pluriel eût bien sûr dû être alios tomos.

    Le cordelier saisit la balle au bond pour ajouter, en jouant sur les mots toma et Thoma : « Parce que tu as vu, Thomas, tu as cru ; bienheureux ceux qui ne verront pas et croiront. » Il se référait aux versets de l’Évangile de saint Jean (20:27‑29) où saint Thomas, l’un des douze apôtres, ne veut pas croire en la résurrection du Christ crucifié, lequel lui dit alors :

    « “ Porte ton doigt ici : voici mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais croyant. ” Thomas lui répondit : “ Mon Seigneur et mon Dieu ! ” Jésus lui dit : “ Parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux qui croiront sans avoir vu. ” »

    Écrivant bien plus tard, le cardinal de Retz n’a pas manqué de narrer l’épisode dans ses Mémoires (pages 231‑234) :

    « Le succès que j’eus dans les actes de Sorbonne me donna du goût pour ce genre de réputation. {a} Je la voulus pousser plus loin et je m’imaginai que je pourrais réussir dans les sermons. On me conseillait de commencer par de petits couvents, où je m’accoutumerais peu à peu. Je fis tout le contraire. Je prêchai l’Ascension, la Pentecôte, la Fête-Dieu dans les Petites-Carmélites, en présence de la reine {b} et de toute la cour ; et cette audace m’attira un second éloge de la part de M. le cardinal de Richelieu ; car, comme on lui eut dit que j’avais bien fait, il répondit : “ Il ne faut pas juger des choses par l’événement ; {c} c’est un téméraire. ” J’étais, comme vous voyez, assez occupé pour un homme de vingt-deux ans. […]

    La licence de Sorbonne expira ; il fut question de donner les lieux, {d} c’est-à-dire déclarer publiquement, au nom de tout le Corps, lesquels ont le mieux fait dans leurs actes ; et cette déclaration se fait avec de grandes cérémonies. J’eus la vanité de prétendre au premier lieu, et je ne crus pas devoir céder à l’abbé de La Mothe-Houdancourt, qui est présentement l’archevêque d’Auch, {e} et sur lequel il est vrai que j’avais eu quelques avantages dans les disputes.

    M. le cardinal de Richelieu, qui faisait l’honneur à cet abbé de le reconnaître pour son parent, envoya en Sorbonne le grand prieur de La Porte, {f} son oncle, pour le recommander. Je me conduisis, dans cette occasion, mieux qu’il n’appartenait à mon âge ; car aussitôt que je le sus, j’allai trouver M. de Ranconis, évêque de Lavaur, {g} pour le prier de dire à M. le cardinal que, comme je savais le respect que je lui devais, je m’étais désisté de ma prétention aussitôt que j’avais appris qu’il y prenait part. Monsieur de Lavaur me vint retrouver, dès le lendemain matin, pour me dire que Monsieur le cardinal ne prétendait point que M. l’abbé de La Mothe eût l’obligation du lieu à ma cession, mais à son mérite, auquel on ne le pouvait refuser. La réponse m’outra ; je ne répondis que par un souris {h} et par une profonde révérence. Je suivis ma pointe {i} et j’emportai le premier lieu de quatre-vingts voix. M. le cardinal de Richelieu, qui voulait être maître partout et en toutes choses, s’emporta jusqu’à la puérilité : il menaça les députés de la Sorbonne de raser ce qu’il avait commencé d’y bâtir, et il fit mon éloge, tout de nouveau, avec une aigreur incroyable. » {j}


    1. D’audacieux écrivain et orateur.

    2. Anne d’Autriche.

    3. Le résultat.

    4. L’enseignement et les actes de la licence étant achevés (ayant « expiré »), il fallait procéder à l’examen final pour classer chacun des candidats (lui attribuer son lieu). L’épreuve (orale ou, du moins, sans trace imprimée que j’aie su trouver) se déroulait le 29 janvier 1638 (Bertière b, page 66).

    5. Henri de La Mothe-Houdancourt, abbé de Souillac (v. supra note [20]), a fini sa carrière comme archevêque d’Auch de 1662 à 1684.

    6. Amador de La Porte (v. supra note [20]), commandeur dans l’Ordre de Malte, était alors grand prieur de France.

    7. Charles-François Avra de Ranconis, ami de Richelieu, a été évêque de Lavaur de 1636 à sa mort, en 1646.

    8. Sourire (ironique ou défiant).

    9. « J’allai de l’avant ».

    10. Aussitôt après, le lauréat partit se faire oublier quelque temps en Italie.

      La relation de Nicolas Bourbon, faite à chaud, montre qu’il avait bien pesé les talents du jeune Gondi et pressenti la remarquable carrière, politique, ecclésiastique et littéraire, qui l’attendait.


    22.

    En 1633, Pierre de Gondi (vers 1602-1676) avait épousé sa cousine, Catherine de Gondi, héritière du duché de Retz (v. note [4], lettre 728). Il jouit de cet apanage dès 1634 (bien que son beau-père, Henri de Gondi, ne mourût qu’en 1659), mais sa carrière pâtit lourdement de son incurie financière et des inconduites de son cadet, Jean-François-Paul.

    Général des galères en 1626, à la suite de son père, Pierre de Gondi avait vendu sa charge en 1635 à François de Vignerod, marquis de Pont-de-Courlay, frère de la duchesse d’Aiguillon et neveu de Richelieu (v. note [41], lettre 519).

    23.

    François de Rosset (ici Du Rosset, 1571-1619) a été un littérateur polygraphe et traducteur polyglotte : outre son Don Quixote de la Manche (dont les lettres et autres écrits de Guy Patin n’ont jamais parlé), les notes [10], lettre 295, et [13] de l’Observation xi de Patin et Charles Guillemeau, donnent deux exemples de sa production. Il a connu son plus grand succès avec ses :

    Histoires mémorables et tragiques de ce temps. Où sont contenues les morts funestes et lamentables de plusieurs personnes, arrivées par leurs ambitions, amours déréglées, sortilèges, vols, rapines, et par autres accidents divers.


    1. Paris, Pierre Chevalier, 1619, in‑8o de 732 pages, parmi plus de 35 rééditions au xviie s., dont la première en 1614.

    La dernière des 22 histoires (pages 703‑730), scandaleuses et sordides, contenues dans ce recueil est intitulée De la cruauté d’une femme exercée sur son mari ; de sa fin malheureuse, et de celle de son amoureux. Elle se déroule au temps où « Henri le Grand, de qui les malheurs ont élevé la gloire au plus haut trône de la vertu, venait de recevoir de son peuple de Paris autant de témoignages de fidélité qu’il avait reçu de marques de rébellion, quand un zèle inconsidéré que les boutefeux allumaient en l’âme de toutes sortes de personnes, emportaient même une infinité de gens de bien à la félonie » ; c’est-à-dire plutôt en 1594 qu’en 1599.

    Le Borboniana résume bien l’affaire, en ajoutant la véritable identité des protagonistes : dans le livre, le « riche marchand de vin », « M. Antoine », est masqué sous le nom de Corneille (oiseau réputé pour sa longévité), et sa fort jolie femme, sous celui de Calamite (sobriquet transparent) ; quant à l’amant meurtrier, « Jumeau », c’est un Gascon surnommé Cilandre (sans signification que j’aie su trouver) :

    « il arrive un jour que Corneille, en revenant de la ville et entrant dans son logis surprend Cilandre, qui suçait avec ses lèvres le miel de la bouche de sa femme assise en une chaise à la basse-cour de son logis » ; pour cinquante écus, Cilandre fait assassiner Corneille par deux reîtres, dans quelque campagne proche de Paris où ce pauvre homme aime se promener ; le lieutenant criminel identifie les coupables que le Parlement condamne à mort. « Il y eut plusieurs grands de la cour qui osèrent importuner Sa Majesté pour le salut de cette femme, non moins belle qu’exécrable ; mais notre grand monarque, à qui les homicides commis en trahison étaient mortellement odieux, ne voulut jamais prêter l’oreille à cette grâce. »

    Dans le livre, les amants maléfiques ne se marient pas, et n’y sont cités ni Juvisy (v. note [43], lettre 242) ni « M. de Beaumarchais », qui pourrait être Vincent Bouhier, le trésorier de l’Épargne dont la maladie est décrite dans la surprenante Consultation 20 conservée dans les archives de Patin (v. sa note [16]).

    Ce fait divers scandaleux, peu digne de mémoire, surprend dans la bouche de Nicolas Bourbon : peut-être voulait-il simplement montrer qu’il en savait plus que Rosset là-dessus ; l’ancienneté des faits exclut qu’il puisse s’agir d’une addition de Guy Patin (ce qui n’excuserait pas la trivialité du propos).

    24.

    « il exerçait la médecine gratuitement ».

    V. notes :

    La première notule {b} de cette note [8] de la lettre susdite lève un coin de voile sur la famille de François Alfeston ; mais les recherches approfondies que Pierre Horguelin a menées dans les archives et publiées sur Le blog de Collesson Horguelin de Châlons en Champagne (consulté le 9 janvier 2020) le précisent fort utilement.

    Nicolas Bourbon était donc fort bien renseigné sur les protagonistes des grandes affaires politiques qui avaient récemment secoué sa Champagne natale.

    25.

    « “ C’est superstition d’espérer que Dieu est plus favorable en Espagne qu’en France, à Rome qu’à Paris ; ou de demander la rémission des péchés depuis de lointaines contrées ; ou d’attacher le secours de Dieu à quelque lieu ; ou de voyager sur l’opinion soit d’une récompense, soit d’une absolution pour une faute. Un pèlerinage est plus une question de foi que de géographie. Le véritable objet des pèlerinages est de ramasser l’agent du peuple : c’est le vil commerce {a} de la religion. Enfin, c’est tyrannie et marché corrompu qu’imposer un pèlerinage à un pécheur, ou qu’épargner la peine d’en faire un à celui qui s’y est astreint par un vœu, en remplaçant les souffrances du corps par une forte somme d’argent. ” Voyez la Lettre de Grégoire de Nysse sur ceux qui vont à Jérusalem, traduite par Pierre Du Moulin, page 25. » {b}


    1. Cauponatio est un néologisme latin (qu’on lit sous d’autres plumes), dérivé du verbe cauponari, « traiter une affaire au cabaret, maquignonner » (Gaffiot).

    2. Cette référence, ajoutée dans la marge du manuscrit, renvoie à la :

      γρηγοριου επισκοπου νυσσης περι των απιοντω νεις Ιεροσολυμα. Gregorii Episcopi Nissæ de euntibus Ierosolyma, Epistola. Latine versa, et notis illustrata a Petro Molineo, cum ejusdem tractatu de Peregrinationibus et altero de Altaribus et Sacrificiis Christianorum. Accedunt Indices locupletes.

      [Lettre de Grégoire, évêque de Nysse, {i} sur ceux qui vont à Jérusalem. Traduite en latin par Petrus Molineus {ii} et éclairée de ses notes. Avec son traité des Pèlerinages, et un autre sur les Autels et les Sacrifices des chrétiens. De riches index y ont été ajoutés]. {iii}

      1. Grégoire de Nysse, contrée du Pont-Euxin (identifiée à Niskar en Turquie) dont il fut évêque au ive s., tenu pour le Père grec des théologiens, est saint et Père de l’Église (toutes confessions chrétiennes comprises).

      2. Le pasteur calviniste Pierre i Du Moulin, v. note [9], lettre 29.

      3. Hanau, Claudius Marnius et héritiers de Joan. Aubrius, 1607, in‑8o de 103 pages ; ouvrage dédié au Nobilissimo et amplissimo viro Josepho Scaligero Julii Cæsaris F. [Très noble et très grand M. Joseph Scaliger, fils de Jules-César]. Du Moulin a échangé des lettres avec Scaliger, mais sa Correspondance n’a parlé que de l’édition de Grégoire donnée par Isaac Casaubon (Paris, 1606, v. note [19] du Naudæana 1).

      Le Borboniana a tiré mot pour mot sa citation du traité de Du Moulin, dont le titre complet est De Perigrinationibus Tractatus. Status controversiæ ponitur. Pontificorum pro peregrinationibus ex sacra Scriptura argumenta diluuntur [Traité des Pèlerinages, où est présenté l’état de la controverse, et sont éludés à partir de la Sainte Écriture les arguments des pontifes en faveur de tels voyages] : début du chapitre i, pages 33‑34, de l’édition susdite.


    26.

    « Ci-gît Adrien vi, qui n’a rien fait de plus malheureux en sa vie que de gouverner. »

    27.

    « […]. Voyez la Vie d’Adrien vi par Paul Jove, dans le 2e tome de ses Vitæ virorum illustrium. »

    Le latin qui précède cette référence n’est pas exactement conforme à ce qui se lit dans la Hadriani vi Vita [Vie d’Adrien vi], tome ii, pages 99‑129 (avec son portrait) des Vitæ [Vies] de Paul Jove. {a} Bien que ce texte ne soit pas d’une limpide et admirable latinité, je préfère en donner l’exacte transcription (pages 127‑128), pour la placer dans son contexte, avec mise en exergue des passages empruntés et indication, dans les notules, des altérations apportées par le Borboniana :

    Ultimo inquirere punireque decreverat iuventutis corruptores ; eius enim criminis non omnino falsa suspicione, urbs ipsa conniventib. legib. infecta credebatur. Qua inopinata et gravi severissimæ legis mentione, maculosos quosdam cum aulæ tum civitatis, veluti desperata pub. securitate, terruerat adeo, ut non defuerint petulantissimi iuventes, qui Ioanni Antracino pontificis medico postes festa fronde per intemppestam noctem protinus exornarent, cum titulo uncialibus literis inscripto in hæc verba : Liberatori Patriæ S.P.Q.R. scilicet ut eo ioculari elogio non medicus uti veneficus aut imperitus, sed maiestas ipsa sanctissimi pontificis, qui salutari censura uti dignum erat principe Christiano, urbem atque aulam probrosis vitiis repurgare cogitasset, non obscure carperetur. Enimvero ea est natura populorum, ut quum dissolutæ vitæ licentia gaudeant, præsentis semper principis mores detestentur, superiorum vitam commemoratis virtutibus in cœlum ferant : eius vero qui defuncto sit successurus mores et consilia uti plena prudentiæ, liberalitatis, atque iustitiæ futura pronuncient.

    [Juste avant de mourir, il avait décrété qu’on recherchât et qu’on punît les corrupteurs de la jeunesse ; et cette accusation, dont le soupçon n’était pas entièrement infondé, portait à croire que des lois trop indulgentes avaient corrompu la cité même de Rome. L’annonce, désagréable et inattendue, d’une loi si rigoureuse désespérait fort certaines gens de mauvaises mœurs, tant de la cour que de la ville, qui la tenaient pour une menace contre la tranquillité publique. À tel point qu’il ne manqua pas de {b} jeunes gens fort impudents qui décorèrent sur l’heure la porte de Giovanni Antracino, médecin du pape, {c} de guirlandes de fleurs, avec cette inscription en lettres capitales, Au libérateur de la patrie, du Sénat et du peuple romain. Par cet ironique éloge, ils voulaient non pas signifier que le médecin fût empoisonneur ou incapable, mais brocarder ouvertement la salutaire censure qui avait rendu la majesté même du très saint pontife digne d’un prince chrétien, en méditant de purger la ville et la cour de leurs vices infâmes. Tant il est vrai que la nature des peuples est telle que, quand eux se vautrent dans les débauches d’une vie dissolue, ils détestent toujours les mœurs de celui qui les dirige maintenant, et portent aux nues le souvenir de la vie qu’ont menée ceux qui l’ont précédé ; mais ils proclament que les mœurs et les décisions de celui qui succédera au défunt déborderont de sagesse, de libéralité et de justice]. {d}


    1. Bâle, 1577, v. note [27], lettre 925.

    2. Le Borboniana a remplacé tout ce préambule, plus aisé à comprendre qu’à traduire en français, par : « et c’est pourquoi ».

    3. « médecin d’Adrien vi » dans le Borboniana : Giovanni Antracino, natif de Macerata (Marches), a enseigné et pratiqué la médecine avec grand renom, à Padoue et à Rome ; il s’est aussi fait connaître par son talent à versifier, mais n’a pas laissé d’ouvrages médicaux.

    4. Bayle a repris une partie de ce texte dans sa note S sur Adrien vi.

    Jove a conclu sa Vie sur la sépulture et les épitaphes de ce pape (page 129) :

    Conditus est Hadianus temporario monumento in æde Divi Pietri, juxta Pios Picholominæ familiæ pontifices cum hos titulo : Hadrianus sextus hic situs est, qui nihil sibi infelicius in vita duxit, quam quod imperaret. Cæterum Guliermus Enchavordius cardinalis egregia gratissimi animi liberalitate non multo post magnifici operis sepulchrum extruxit in templo Deiparæ Virginis Germanorum ad Circum Flaminium, in quo marmoreis pluribus signis, clarissimarum virtutum effigies erudita arte repræsentavit : quarum auspiciis Hadrianus humanæ fortunæ fastigium immortali cum laude esse adeptus, et demum moriens, certissimum inter cœlites nunquam interituræ felicitatis locum optimorum omnium iudicis meruisset. […]

    Hæc carmina sepulchro fuerunt affixa.

    Quam potes merito optimoque iure
    Inter pontifices Pios iacere
    Maximæ pietatis Hadriane.

    Insignis pietas tua, Hadriane
    Viventi tibi profuit, decusque
    Aurei diadematis paravit,
    Iure id me hercule, at æquius tuæque
    Certius pietatis hoc trophæum est,
    Defunctus quod honoribus tot, inter
    Duos contigerit Pios iacere.

    [Adrien fut d’abord mis dans un tombeau provisoire, aux côtés des deux papes Pie issus de la famille Piccolomini, {a} avec cette inscription : Hadrianus sextus hic situs est, qui nihil sibi infelicius in vita duxit, quam quod imperaret {b} Peu de temps après, cependant, le cardinal Willem van Enckenvoirt, par la remarquable générosité d’un esprit profondément reconnaissant, lui fit élever un magnifique mausolée dans l’église Sainte-Marie des Allemands près du Cirque Flaminius. {c} Plusieurs sculptures de marbre y représentent avec grand art ses plus brillantes vertus. Sous leurs auspices, Hadrianus est parvenu au faîte de la destinée humaine avec immortelle gloire ; et maintenant qu’il est mort, au jugement de tous les honnêtes gens, il mériterait très certainement sa place parmi les sommités célestes dont la félicité demeurera à jamais. {d} (…)

    Ces vers ont été gravés sur son tombeau.

    « Pour ta très grande piété, Adrien, tu méritais parfaitement de reposer entre les deux papes Pie.

    De ton vivant, Adrien, Ton insigne piété t’a été utile. Elle t’a valu d’être paré d’un diadème d’or. Comme tu le méritais justement ! mais, maintenant que tu es mort, cette récompense de ta piété est plus juste et plus solide que celle de reposer entre deux papes Pie. »] {e}


    1. V. note [3], lettre 344, pour Pie ii (1458-1464, Enea Silvio Piccolomini). Son neveu, Pie iii, Francesco Todeschini Piccolomini, n’avait régné que pendant 26 jours en octobre 1503.

    2. V. supra note [26] pour la traduction de cette première épitaphe.

    3. Fondée avec un hospice par de riches pèlerins néerlandais au xive s., cette église porte en italien le nom de Santa Maria dell’Anima. Elle est située au centre de Rome, près de l’esplanade du Cirque Flaminius (Flamine), qui jouxte le Champ de Mars.

      Ce transfert d’Adrien vi hors de la basilique pontificale fut plutôt lié à sa nationalité qu’à l’hostilité que son origine étrangère, sa doctrine et son gouvernement avaient fait naître au sein de l’Église romaine.

    4. Soupçonné de bienveillance doctrinale à l’égard du luthéranisme, frisant l’hérésie, Adrien vi n’a pas été béatifié et ne le sera sans doute jamais.

    5. Cette épitaphe ironique, jouant sur le sens premier du nom Pie (Pius, Pieux), fut gravée sur le premier tombeau d’Adrien, sous celle qui figure plus haut (notule {b}). Elle n’a pas survécu au temps.

      Voici celle qu’on peut encore lire sur le monument définitif de Santa Maria dell’Anima, imprimée dans l’Histoire des papes et souverains chefs de l’Église… Par feu M. Du Chesne {i}, vivant conseiller du roi en ses Conseils, historiographe de France… {ii}, tome second, pages 385‑386) :

      Hadrianus vi. Pont. Max.
      Ex Traiecto insigni
      Inferioris Germaniæ urbe.
      Qui dum rerum humanarum
      Maxime aversatur splendorem
      ultro a Proceribus
      ob incomparabilem
      Sacrarum disciplinarum
      Scientiam
      Ac prope divinam castissimi animi
      Moderationem
      Carolo v. Cæsari Augusto
      Præceptor
      Ecclesiæ Derthusensis antistes,
      Sacri Senatus patribus collega,
      Hispaniarum Regnis præses,
      Reipublicæ denique Christianæ
      Divinitus Pontifex absens
      Adscitus.
      Vixit annos lxiv. menses vi.> dies xiii.
      Decessit xviii. Cal. Octobris
      Anno a Partu Virginis m. d. xxiii.
      Pontificatus sui Anno secundo.

      Wilhelmus Enchavortius
      Illius benignitate et auspiciis
      Tit. SS. Ioannis et Pauli
      Presbyter Card. Derthusensis
      Fac. cur.

      Proh dolor ! quantum refert, in quæ tempora rei optime cuiusque virtus incidat.

      Quo Romanorum sextus pater atque Sacerdos
      Hoc etiam pietas conditur in tumulo.

      [Le souverain pontife Adrien vi était originaire d’Utrecht, célèbre ville de Germanie inférieure. Tandis qu’il délaisse volontiers la splendeur des choses humaines, les grands l’appellent alors, en raison de son incomparable connaissance des doctrines sacrées et de la modération presque divine de son très vertueux esprit, pour être précepteur de l’auguste empereur Charles Quint. Évêque de Tortosa, cardinal membre du sacré Collège, régent des royaumes d’Espagne, il est enfin élu, bien qu’absent, pontife de la République chrétienne. Il a vécu 64 ans, 6 mois et 13 jours. Il est mort le 14 septembre de la 1523e année suivant l’accouchement de la Vierge, en la seconde année de son pontificat.

      Par les soins de Willem van Enckenvoirt, que la bienveillance et la protection de cet homme a fait cardinal prêtre du titre des saints Jean et Paul, et évêque de Tortosa. {iii}

      Quelle douleur, hélas ! et comme il importe, en ces temps, que la vertu inspire au mieux les actes de chacun !

      Ô piété ! En ce tombeau repose aussi le sixième père et prêtre des Romains]. {iv}

      1. André Du Chesne, v. note [36], lettre 1019.

      2. Paris, Guillaume Le Bé, 1653, 2 tomes in‑fo, revue, corrigée et augmentée par François Du Chesne, fils d’André, avocat en Parlement et historiogrape de France ; première édition à Paris, 1616.

      3. V. supra note [26] pour l’explication et les dates de cette biographie.

      4. La numérotation des premiers pontifes romains varie : pour l’Église de Rome, le sixième fut officiellement d’Alexandre ier ; mais dans le livre de Du Chesne (tome premier, page 10‑11), il s’agit d’Évariste, que Rome désigne aujourd’hui comme le cinquième. Évariste ayant été inhumé à Saint-Pierre, sans doute s’agissait-il ici d’Alexandre, dont les restes ont été répartis dans plusieurs églises longtemps après son martyre.

    28.

    « morose et haï de bien des gens. »

    29.

    « et “ obligé de vivre aux dépens d’autrui ”, il finit par mourir à Paris, l’an 1579. Voyez à son sujet de Thou, tome 3, page 356, {a} et Sainte-Marthe. {b} “ Je n’ajouterai qu’une chose : je puis tout supporter, mais je ne peux supporter un jugement pédantesque ” (Joseph Scaliger, livre i des Ausonianarum lectionum, page 81). » {c}


    1. Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou (livre lxviii, règne de Henri iii, nécrologie de l’année 1579, Thou fr, volume 8, page 155) :

      « J’ajouterai à ces savants hommes Louis Le Roy de Coutances. Comme à une connaissance parfaite qu’il avait de la langue grecque et de la latine, il joignait beaucoup d’habileté dans toutes les sciences, il consacra tous ces talents à l’ornement et à la perfection de notre langue, et il apprit à Platon et à Aristote à s’exprimer en français, par les belles traductions qu’il donna de leurs ouvrages, qu’il enrichit encore de notes très curieuses. Enfin, le caractère de ce génie élevé, incapable des soins vils que demandent les besoins ordinaires, lui ayant fait négliger ses affaires domestiques, cet homme, qui jusqu’alors n’avait vu personne au-dessus de lui, obligé de vivre aux dépens d’autrui {i} dans sa vieillesse, termina sa course par une mort digne du regret de tous les gens de lettres, mais qui ne pouvait lui être que fort agréable. »

      1. Latin d’origine : quadra vivere coactus (Thuani Historirarum sui temporis, Paris, 1614, tome 10, page 266).

    2. L’éloge de Louis Le Roy par Scévole i de Sainte-Marthe (livre iii, pages 269‑271) {i} éclaire le vers de Jochim Du Bellay : {ii}

      « Mais je ne puis taire ici que cet homme, tout habile qu’il était, se rendit insupportable dans le jugement qu’il faisait des ouvrages d’autrui. Il n’y eut presque point d’auteur de son temps qui fût exempt de ses mordantes censures. Et comme cette odieuse liberté qu’il prenait de reprendre chacun l’eut porté un peut trop témérairement à critiquer les œuvres de Jochim Du Bellay, cet excellent poète, qui s’était acquis une grande réputation dans le monde, ne demeura pas sans repartie. Il composa contre lui des vers si gaillards et si piquants que ce fameux critique servit longtemps de jouet et de risée à toute la cour. Si bien que, d’homme louable qu’il était, il ne passa plus depuis, parmi les courtisans, que pour un homme insolent et ridicule. »

      1. Traduction de Guillaume Colletet, Paris, 1644, v. note [13], lettre 88.

      2. V. supra note [28].
    3. Iosephi Scaligeri Iul. Cæs. F. Ausonianarum lectionum libri duo. Ad optimum et eruditissimum virum Eliam Vinetum Satonem

      [Deux livres de Leçons de Joseph Scaliger, fils de Jules-César, sur Ausone. {i} Dédiés à l’excellent et très savant Élie Vinet, {ii} natif de Saintonge]. {iii}

      La page 81 du livre i, chapitre xx, traite de poèmes dont certains discutent l’attribution à Ausone, mais il n’y est question ni de Regius ni de Du Bellay :

      Nam ut illa sine nomine auctoris in veteribus libris reperta, Virgilio diu attributa fuerunt : ita hoc delicatum elegidion non nisi veteri cuidam, ac etiam ultra ætatem Virgilii poetæ adscriptum fuisset. Sed non omnium est de his sententiam ferre. Odi profanum vulgus, et arceo ; quid mirum si mysteria hæc non norunt, qui ad eorum penetralia nunquam accesserunt ? Quare taceant, si sapiunt ; quorum ego iudicia Poetis non pluris facio, quam ipsorum poemata ; quanquam, ut ingenue fatear, pro illis manum quidem verterim. Eos igitur missos faciamus. Unum addam : omnia ferre possum, pædagogicum iudicium ferre non possum.

      [Étant donné que, dans les vieux livres, ont les trouve sans nom d’auteur, on a longtemps cru qu’ils étaient de Virgile. De même a-t-on pas attribué cette délicate élégie à quelque ancien, et même à Virgile, bien qu’il fût d’un tout autre âge. Je hais le peuple inculte et le fuis : pourquoi s’étonner si ceux qui n’ont pas accédé à la profondeur de ces sanctuaires ignorent ces mystères ? Qu’ils se taisent donc s’ils ont quelque entendement : je ne fais, moi, pas plus de cas de leurs jugements sur plusieurs poètes, que de leurs propres poèmes. Toutefois, avouerais-je ingénument, je ne me soucie pas même d’eux. Oublions-les donc. Je n’ajouterai qu’une chose : je puis tout supporter, mais je ne peux supporter un jugement pédantesque]. {iv}

      1. V. note [9], lettre 335.

      2. V. note [61] du Borboniana 2 manuscrit.

      3. Sans lieu ni nom, 1588, in‑8o de 255 pages.

      4. Mise en exergue de la phrase citée par le Borboniana.

    30.

    « s’abstient entièrement de boire du vin »

    Jean Dorat (Daurat ou d’Aurat, Auratus, Limoges 1508-Paris 1588), poète érudit et helléniste, a consacré une grande partie de son existence à enseigner à Paris dans plusieurs collèges, puis dans la chaire de langue grecque du Collège royal de France (1560). Pierre Ronsard fut l’un de ses plus célèbres élèves. Dans sa note E sur Dorat Bayle a parlé de ses relations avec Joseph Scaliger (v. note [5], lettre 34) sans dire qu’il avait été son sous-maître (« les régents ont souvent des sous-maîtres pour enseigner leurs écoliers avec plus de soin », Furetière).

    V. notes :

    La correspondance de Joseph Scaliger contient de nombreux propos sur Claude Dupuy Chasteigner d’Abain (1538-1632), mère de Henri-Louis. En 1567, elle avait épousé son cousin Louis Chasteigner, qui fut toute sa vie fidèle au catholicisme. Selon les éditeurs de la Correspondence de Scaliger (Genève, 2012), elle se serait convertie au calvinisme en 1595, après la mort de son mari, lors d’un voyage à Rome (Biographical Register, volume viii, page 77) ; mais la conversion de Scaliger fut bien antérieure à cela : en 1567 selon le Grotiana 2 (v. sa note [2]).

    Quoi qu’il en soit, cette édition exhaustive genevoise de 2012 contient trois lettres en français que Mme d’Abain a écrites à Scaliger, établi à Leyde : elles sont datées des 18 novembre 1595, 19 janvier 1596 et 4 janvier 1607. Il y est presque uniquement question d’affaires domestiques ; toutefois, dans la troisième (1607), elle dit son intention de s’installer à Châtellerault « pour y avoir plus de consolation aux prêches », c’est-à-dire aux offices calvinistes. Pour concilier ce que disent la Correspondence de Scaliger , le Grotiana et le Borboniana, le plus probable me semble qu’initialement huguenote, elle devint catholique au moment de son mariage (1567), puis revint à la Réforme en 1595, une fois veuve ; et enfin, plus tard, son fils la ramena dans le giron de la religion romaine.

    31.

    « mais à tort ».

    32.

    Je n’ai pas trouvé de source, française ou latine, qui corresponde mot pour mot à cette citation, mais François i de La Mothe Le Vayer {a} a illustré la même idée dans son traité De la Vertu des païens, {b} seconde partie (pages 177‑179), De Zénon, Cypriot [sic] de la ville de Citie, et de la secte stoïque, en parlant de leur éthique :

    « Elle n’a été nulle part si répréhensible que dans la morale où, non contente de mépriser les biens du corps et de la fortune, comme choses indifférentes, avec des termes moins recevables à cause de leur nouveauté, elle se fait remarquer par une infinité d’extravagances qui lui sont propres. […] Selon cette façon hardie de proposer tout ce qu’on se peut imaginer, ils maintenaient que toutes les vertus étaient tellement semblables entre elles que l’une n’avait pas plus de perfection que l’autre […].

    La doctrine des contraires les obligeait à dire le même de ce qui est opposé à la vertu : toutes sortes de fautes étaient semblables, et il n’y avait point de crimes qui ne fussent égaux ; comme en matière de fausseté, ce qui est faux l’est tellement qu’on ne peut pas dire qu’il y ait rien qui le soit davantage. Celui qui vit à cent lieues de Rome n’en est pas plus absent qu’un autre qui se promène aux environs. {c} Le pilote qui brise son vaisseau chargé de paille n’est pas moins à reprendre que s’il l’était d’or ou de pierreries. Et la raison est une ligne qu’il n’importe pas de combien vous passiez, depuis que vous l’avez une fois franchie. Avec ces belles comparaisons, on ne commettait pas plus de mal en tuant son père qu’en coupant la gorge à un poulet, et l’on armait la main de tous les scélérats à faire les plus grandes méchancetés, comme si ce n’eussent été que des bagatelles. »


    1. V. note [14], lettre 172.

    2. Paris, 1642, v. note [36] du Naudæana 3.

    3. Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres (v. note [3], lettre 147), Zénon (livre vii, chapitre 120, page 863) :

      « Car si une vérité n’est pas plus vraie qu’une autre, une erreur n’est pas plus erronée qu’une autre. De même, chaque tromperie l’est autant qu’une autre et chaque faute l’est autant qu’une autre Car celui qui est à cent stades de Canope et celui qui n’en est qu’à un stade ne sont ni l’un ni l’autre à Canope. De la même façon, celui qui faute plus et celui qui faute moins ne sont ni l’un ni l’autre dans le droit chemin. »

    V. note :

    33.

    Au sein du calvinisme hollandais, les antagonistes les plus acerbes des arminiens de Rotterdam, tenants du libre arbitre (v. note [7], lettre 100), étaient les gomaristes d’Amsterdam, inspirés et menés par le théologien Franciscus Gomarus (Franz Gomar ou Francisco Gomaro, Bruges 1563-Groningue 1641), professeur de théologie à Leyde, défenseur intransigeant de la prédestination. Les Provinces-Unies furent au bord de la guerre civile pendant les premières décennies du xviie s. Il s’agissait, en somme, de la forme protestante de la querelle de la grâce divine qui opposa tout aussi vivement, dans le catholicisme, jésuites et jansénistes. L’affaire se solda par une victoire des gomaristes néerlandais, tandis que sombra le jansénisme français. Gisbertus Voetius (v. note [8], lettre 534) est le gomariste dont la correspondance de Guy Patin a le plus parlé.

    V. note [17], lettre 287, pour le roi Jacques ier d’Angleterre.

    34.

    Gilles Bourdin (Ægidius Burdinus, Paris vers 1517-ibid. 1570), seigneur d’Assy, « avait fait de bonnes études, et suivit le barreau avec succès, ce qui le fit choisir pour remplir la charge d’avocat général au Parlement, où il fut reçu en 1544, puis celle de procureur général en 1557 » (Popoff, no 2535). La « chaire » dans laquelle il lisait chez lui était un siège, un fauteuil.

    Bourdin a publié plusieurs ouvrages de droit, en latin et en français. Son opposition à la Réforme est attestée par l’Édit du roi sur la punition et peine de mort à ceux qui seront trouvés avoir conversé en la convention des sacramentaires, ou leur avoir en ce donné faveur ou support (Lyon, Antoine du Rosne, 1559, in‑8o de 6 pages), qu’il a rédigé et signé. Dans ce titre, « avoir conversé » signifie s’être convertis, et les « sacramentaires » sont ceux qui ont contesté le dogme du Saint Sacrement (ou transsubstantiation, v. note [5], lettre 952), c’est-à-dire les luthériens, les calvinistes et les anabaptistes (Trévoux).

    Lysistrata est une comédie en un acte d’Aristophane {a} qui décrit une révolte des femmes contre la domination des hommes. Sa première traduction latine (non commentée) figure parmi les Aristophanis, comicorum principis, Comœdiæ undecim, e Græco in Latinum, ad verbum translatæ, Andrea Divo Iustinopolitano interprete. {b} Bourdin n’en a pas donné d’édition répertoriée dans les catalogues, mais il a publié et commenté, entièrement en grec, les Thesmosphories, autre comédie du même auteur :

    Τα του Αιγιδιου Βουρδινου σκολια ει την των του Αριστοφανου Θεσμοφοριαζουσων.

    [Scolies {c} de Gilles Bourdin sur les Thesmospories d’Aristophane]. {d}


    1. V. note [7], lettre 952.

    2. « Onze Comédies d’Aristophane, le prince des comiques, fidèlement traduites du grec en latin, par Andreas Divus, natif de Capodistria (Koper en Slovénie) », Bâle, héritiers de Cratander, 1539, in‑8o, première édition en 1532.

    3. Commentaires.

    4. Paris, Joannes Lodovicus Tiletanus, 1545, in‑4o de 71 pages, ouvrage dédié (toujours en grec) Φραγκισκω τω της Φραγκιας Βασιλει [à François roi de France].

    Le Borboniana citait deux références pour étayer son propos.

    35.

    Vers tiré de l’hommage qu’Horace (poète latin du ier s. av. J.‑C., v. note [3], lettre 22) a rendu à Homère (père grec de la poésie au viiie s. av. J.‑C., v. note [9], lettre 43) dans son Art poétique (vers 149‑153) :

                                                    Et quæ
    desperat tractata nitescere posse relinquit
    atque ita mentitur, sic veris falsa remiscet,

    primo ne medium, medio ne discrepet imum.

    [Il laisse de côté ce qu’il n’espère pas pouvoir traiter avec éclat, et il a tant d’imagination, il mêle si bien la réalité à la fiction, que le milieu n’est pas en désaccord avec le début, ni la fin avec le milieu]. {a}


    1. J’ai mis en exergue le vers cité : le Borboniana y a remplacé ne (« pour ne pas que », conjonction qui demande le subjonctif, discrepet) par nec (« et ne pas », qui demande l’indicatif, discrepat).

    Comme celle de Galien, le père gréco-romain de la médecine au iie s. (v. note [6], lettre 6), la réalité historique d’Homère n’a jamais été indubitablement établie :

    V. note [4], lettre 239, pour Hésiode. Suivant un parallèle historique plus parlant, les biblicistes modernes ont montré que le Pentateuque (cinq premiers livres de la Bible, Torah des juifs) a probablement été rédigé à la même époque (vers le viiie s. av. J.‑C.) que L’Iliade et L’Odyssée.

    36.

    « dans [ses] livres de Poétiques. »

    J’ai corrigé en libros le libris du manuscrit. V. notes [14] supra, notule {b}, pour les sept Libri poetices [Livres de (critiques) Poétiques] de Jules-César Scaliger, où il a encensé Virgile en dénigrant Homère, et [1] du Naudæana 1 pour l’acerbe riposte de Leo Allatius sur ce sujet (il était lui-même natif de Chio).

    37.

    « Voyez les prolégomènes de Juan Luis la Cerda sur Virgile. »

    Les Prolegomena sont les « Pièces liminaires » que Juan Luis la Cerda a placées en tête de son édition critique des œuvres de Virgile (déjà citée plus haut, v. supra note [4], notule {c‑1‑i}). Elles figurent au début des Bucolica et Georgica [Bucoliques et Géorgiques] (Lyon, 1619, v. note [2], lettre 125), sous le titre de P. Virgilii Maronis Elogia [Éloges de Publius Virgilius Maro], composés d’un Proœmium [Préambule] et de 7 chapitres.

    Les principales remarques sur Homère se trouvent dans le chapitre iv, Elogia sumpta ex comparatione Virgilii cum poetis aliis, Græcis et Latinis [Éloges tirés de la comparaison de Virgile avec les autres poètes, grecs et latins], avec quatre paragraphes (fos B3 ro‑[B6] ro) intitulés Proximus Homero [Très proche d’Homère], Par Homero [Égal d’Homère], Maior Homero [Plus grand qu’Homère], De Homero [Au sujet d’Homère]. Le passage le plus parlant se trouve au début de ce dernier paragraphe : {a}

    Abrumpo hic Virgilii Elogia rediturus post longum excursum. Destinavi enim interserere Homeri vitia, quæ reperi, non omnia, nam hic labor infinitus, sed aliqua. Ad hanc rem triplex me ratio movet. Prima, ut appareat liquidior laus Virgilii, præstansque illius supra Homerum virtus. Altera, ut videant Poetæ, non posse se tuto Homericis credere ; decipientur enim, et inanem reddent Poesin, si nimium Homero fidant : opus est forti iudicio, quale habuit Maro, ne abripiantur impetu Græcæ orationis, et carmen perdant. Tertia, ut me a calumnia liberem, aliosque viros ævi huius : immerito enim reprehendimur, quod Homerum reprehendamus. Rem totam confero ad ea, quæ scripsere contra illum Plato, Dio Chrysostomus, Scaliger. Quanti, et quales viri !

    [J’interromps ici les Elogia de Virgile, auxquels je reviendrai après une longue digression. J’ai en effet décidé d’y insérer les défauts d’Homère que j’ai repérés : pas tous, bien sûr, car ce serait une tâche sans fin, mais quelques-uns. Trois raisons me poussent à cela. La première est de rendre ma louange de Virgile plus limpide, en montrant que son mérite surpasse celui d’Homère. La deuxième est de faire voir aux poètes qu’ils ne peuvent se fier les yeux fermés à Homère, car ils s’égareront et rendront leur poésie insipide s’ils lui accordent trop de crédit : il leur faut posséder un solide jugement, égal à celui dont jouissait Maro, {b} pour ne pas succomber à l’élan de l’éloquence grecque, et ne pas ruiner leur talent poétique. La troisième est d’écarter toute médisance, tant à mon encontre qu’à celle d’autres auteurs de ce siècle, car nous ne méritons pas d’être blâmés sous prétexte que nous blâmons Homère. Quant à tout mon réquisitoire à sa charge, je m’en réfère à ce que Platon, Dion Chrysostome {c} ou Scaliger ont écrit contre lui : voyez s’il ne s’agit pas là de grands esprits !]


    1. Mes recherches sur les Elogia ont grandement bénéficié du remarquable travail de John Roberts : il en a transcrit, traduit (en anglais) et commenté l’ensemble dans sa thèse pour le doctorat en lettres classiques (Doctor of Philosophy in Classics) de l’Université de Warwick, intitulée The Prolegomena of la Cerda’s Commentary on Virgil… [Les Prolégomènes du Commentaire de la Cerda sur Virgile] (août 2013, disponible en ligne)

    2. Surnom de Virgile.

    3. Ou Dion de Pruse, v. note [3], lettre latine 322.

    38.

    « il met Musæus devant tous les autres, sans même citer Homère. »

    39.

    « […] Voyez le livre xviii, chapitre xiv, des Lectionum Variarum de [Marc-]Antoine Muret, au 2e tome du Thesaurus criticus, page 1215. »

    La note [38] supra (v. ses secondes notules {a}‑{b}) a déjà cité ce chapitre de Marc-Antoine Muret (dont j’ai corrigé la numérotation, iv pour xiv), imprimé dans le « Trésor critique » de Janus Grüter (Francfort, 1604, tome ii, pages 1215‑1216). Il s’agit de son dernier paragraphe, à propos de Virgile et Cicéron, dont voici la transcription et la traduction complètes (avec mise en exergue du passage cité à la fin) :

    Excudent, inquit, alii spirantia mollius aera,
    Orabunt causas melius.

    cum tamen Cicero hanc gloriam Græcis, præripuisse credetur. Apertius autem libro octavo, cum Catilinam appellasset,

                                                    et te Catilina minaci
    Pendentem scopulo, furiarumque ora trementem,

    cujus invidiæ fuit, statim ad Catonem transire : de Cicerone, cujus virtute pestis illa patriæ oppressa erat, verbum nullum facere ? Cujus ornandi nulla certe justior esse potuit occasio. His argumentis fateor, vix videre me, quid pro Virgilio responderi queat.

    [“ D’autres façonneront plus délicatement ”, dit-il, {a} “ des bronzes qui respirent la vie, ils plaideront plus éloquemment dans les procès ”,

    quand on croirait pourtant que Cicéron a surpassé la gloire des Grecs. Au chant viii, après avoir parlé de Catilina,

    “ … et toi, Catilina, accroché au rocher d’où tu es menacé d’être précipité, tremblant sous les cris des Furies ”, {b}

    il fait voir plus ouvertement encore sa jalousie quand il passe directement à Caton, {c} sans même dire un mot de Cicéron : lui dont la vertu avait accablé cette peste de la patrie, lui dont il ne pouvait y avoir plus juste occasion de louer les mérites ! Sur de tels arguments, j’avoue peiner à voir comment défendre Virgile]. {d}


    1. Au cours de leur promenade dans le pays des ombres, Anchise parle des Romains à Énée (v. note [14], lettre d’Adolf Vorst, datée du 4 septembre 1661), son fils, en les comparant aux Grecs : Énéide, chant vi, vers 847 et 849.

    2. Énéide viii, vers 668‑669.

      V. notes [3], lettre 470, pour Catilina, criminel d’État dont Cicéron avait obtenu la condamnation à mort, [33], notule {a}, lettre 7, pour le « rocher » (scopulus, la roche tarpéienne), et [35], première notule {d}, lettre 399, pour les Furies.

    3. Vers suivant (670) : secretosque pios, his dantem iura Catonem [et à l’écart, les hommes pieux, à qui Caton (le Censeur, v. note [5] de Guy Patin contre les consultations charitables de Théophraste Renaudot) donnait des lois].

    4. La Cerda a cité Muret dans ses Elogia de Virgile (v. supra note [37]), mais en éludant bien sûr cette vigoureuse attaque.

    40.

    Le Borboniana renvoie à deux critiques supplémentaires de Virgile.

    41.

    V. notes :

    Bien moins connues que son Histoire universelle, les œuvres poétiques de Jacques-Auguste i de Thou sont latines et certaines ont été publiées :

    Il semble fort exagéré de comparer son talent à celui de Virgile, mais l’amitié de Nicolas Bourbon pouvait excuser de telles hyperboles.

    Tout en bas de la page, dans la marge inférieure, le long du bord, le copiste du manuscrit a écrit :

    « M. Petau, conseiller en la 5e des Enquêtes. »

    V. note [13], lettre 238, pour Paul Petau qui siégea au Parlement de Paris de 1588 à sa mort, en 1614. Je ne suis pas parvenu à le relier à l’un des propos contenus dans ce feuillet.

    42.

    « Voyez Sainte-Marthe en ses Elogia, {a} et Jacques de Thou, tome i, page 808, en l’an de grâce 1600 [sic pour 1560]. » {b}


    1. Dans les Éloges de Scévole i de Sainte Marthe, {i} celui de Joachim Du Bellay, « le premier qui reçut les Muses que Ronsard venait d’amener en France », est dans le livre ii, pages 136‑139, avec ce passage sur sa carrière publique :

      « La surdité, qu’il avait contractée pendant son voyage en Italie, {ii} empêcha qu’il ne se trouvât ordinairement à la cour du roi, où la douceur et l’élégance de ses écrits le faisaient voir de fort bon œil. […] Mais comme il commençait à quitter cette sorte d’écrire un peu satirique, où une chaleur de jeunesse l’avait facilement engagé, et à renoncer à cette liberté d’esprit qu’il avait tant chérie, pour méditer d’autres ouvrages plus sérieux et plus dignes d’un homme qui s’était voué à l’Église, il advint qu’après qu’il eut été, par la faveur du cardinal Du Bellay, {iii} désigné archevêque de Bordeaux, il mourut à Paris, soudainement, d’une paralysie, âgé seulement de 35 ans, {iv} et fut enterré dans l’église de Notre-Dame, où il était archidiacre, le premier jour de janvier de cette année qui vit < s’>allumer le flambeau des guerres civiles, par le tumulte d’Amboise {v} Ainsi la mort de notre Du Bellay fut autant moins à regretter qu’il sembla que, par une spéciale faveur du ciel, il fut garanti de ce fatal tison, qui menaçait de mettre bientôt en feu toutes les provinces du royaume. Ce qui advint en 1560. »

      1. Traduction française de 1644, v. supra note [29].

      2. De 1553 à 1557, entre les âges de 31 et 35 ans.

      3. V. notule {b‑3}, note [15] du Faux Patiniana II‑3.

      4. Sic pour 37.

      5. Mars 1560, v. note [13], lettre 113.

        Une surdité survenue au début de la trentaine et une apoplexie survenue cinq ans plus tard permettent d’évoquer une atteinte syphilitique du système nerveux.
    2. Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou, livre xxvi, règne de Charles ix, année 1560 (Thou fr, volume 3, page 621) :

      « Joachim Du Bellay était de la même famille, {i} dont il se montra digne par les agréments de son esprit. Il mourut à Paris, d’une paralysie, le 1er de janvier de la même année. Dans une fortune fort au-dessous de l’élévation de ceux dont je viens de parler, il se distingua par ses poésies françaises. On loue entre ses ouvrages les Tristes, qu’il composa à Rome étant à la suite du cardinal Du Bellay, son cousin, ses Jeux rustiques et un recueil de vers qu’il dédia à Marguerite duchesse de Savoie. {ii} Il ne réussit pas dans les vers latins qu’il fit durant son séjour à Rome. » {iii}

      1. Dans les pages précédentes, Thou avait aussi fait les éloges funèbres du roi de Suède, Gustave ier Vasa (grand-père de Gustave ii-Adolphe), d’Andrea Doria (condottiere et amiral de Gênes), et de Jean Du Bellay.

      2. Marguerite de France, fille de François ier, duchesse de Berry, puis de Savoie (v. note [5], lettre 359).

      3. On sent là comme une pointe de dédain pour Du Bellay, mais la postérité a tranché sans appel. Toutefois, dans son éloge (v. supra notule {a}), Sainte-Marthe n’en a pas dit moins sur le talent littéraire de Du Bellay :

        « Ce que je dis regarde principalement la poésie française qu’il composa dans sa jeunesse ; car, comme à la suscitation du cardinal Du Bellay, son parent, il se fût mis à composer des vers latins pendant son voyage à Rome, il fit bien paraître, au jugement des doctes, qu’il est bien difficile à un seul homme de réussir également en deux diverses choses ; spécialement quand il veut embrasser de hautes matières après s’être exercé sur de petits sujets. Comme chaque langue a ses grâces particulières, cette molle délicatesse qui semble être attachée et propre à la langue française ne s’accommode pas toujours bien avec cette gravité sévère et cette dignité pompeuse de la langue romaine. »

    43.

    L’« édition gréco-latine » renvoie aux :

    Philostrati Lemnii Opera quæ extstant… Græca Latinis e regione posita ; Fed. Morellus Professor et Interpres Regius cum mnss. contulit, recensuit : et hactenus nondum Latinitate donata, vertit.

    [Toutes les œuvres connues de Philostrate de Lemnos {a}… Directement transposées du grec en latin ; Fédéric Morel, {b} professeur et interprète royal, les a collationnées avec les manuscrits et revues, et les a traduites dans un latin qui ne leur avait encore jamais été donné à ce jour]. {c}


    1. Aussi appelé Philostrate d’Athènes, v. note [41], lettre 99.

    2. Ou Frédéric Morel, v. note [6], lettre latine 355.

    3. Paris, Marc Orry, 1608, in‑fo grec et latin juxtalinéaires de 914 pages.

    Pour illustrer ces deux citations, j’ai recouru au :

    Philostrate, de la Vie d’Apollonius Thyanéen {a} en viii. livres. De la traduction de B. de Vigenère {b}, Bourbonnais. Revue et corrigée sur l’original grec par Fed. Morel, lecteur et interprète du roi. Et enrichie d’amples Commentaires par Artus Thomas, sieur d’Embry, Parisien. {c}


    1. Ou de Tyane, v. note [4], lettre 986.

    2. Blaise de Vigenère, v. note [18] du Patiniana I‑3.

    3. Paris, Abel l’Angelier, 1611, in‑4o de 759 pages.

      Dans son étude intitulée L’Énigme « Artus Thomas, sieur d’Embry, Parisien » (Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, tome 124, mars 2017, no 1, pages 85‑112, en ligne sur OpenEdition Journals), Grégory Thomas n’est pas parvenu à certainement identifier ce chroniqueur prolifique, mais sa contribution aux études historiques est indiscutable : il a notamment édité volumineuse Histoire de la Décadence de l’Empire grec, et établissement de celui des Turces par Chalcondile Athénien (Paris, Abel l’Angelier, 1612, in‑fo richement illustré de 1 114 pages), et œuvré à continuer trois ouvrages de Blaise Vigenère, dont cette Vie d’Apollonius.


    44.

    « Suétone sur Vespasien, chapitre vii et les Histoires de Tacite, à la fin du livre iv : […]. »

    Ces deux citations touchent aux « miracles » accomplis par Vespasien à Alexandrie (v. supra note [44]), mais décrits cette fois par deux historiens romains tenus pour sérieux.

    1. Suétone, Vies des douze Césars, Vie de Vespasien, chapitre vii :

      Hic cum de firmitate imperii capturus auspicium ædem Serapidis summotis omnibus solus intrasset, ac propitiato multum deo tandem se convertisset, verbenas coronasque et panificia, ut illic assolet, Basilides libertus obtulisse ei visus est ; quem neque admissum a quoquam et iam pridem propter nervorum valitudinem vix ingredi longeque abesse constabat. Ac statim advenere litteræ, fusas apud Cremonam Vitelli copias, ipsum in urbe interemptum nuntiantes. Auctoritas et quasi maiestas quædam, ut scilicet inopinato et adhuc novo principi, deerat : hæc quoque accessit. E plebe quidam luminibus orbatus, item alius debili crure sedentem pro tribunali pariter adierunt, orantes opem valitudini demonstratam a Serapide per quietem : restituturum oculos, si inspuisset ; confirmaturum crus, si dignaretur calce contingere. Cum vix fides esset ullo modo successuram, ideoque ne experiri quidem auderet, extremo hortantibus amicis palam pro contione utrumque temptavit, nec eventus defuit. Per idem tempus Tegeæ in Arcadia instinctu vaticinantium effossa sunt sacrato loco vasa operis antiqui, atque in iis assimilis Vespasiano imago.

      [Là, il congédie tout le monde et pénètre seul dans le temple de Sérapis pour le consulter sur la solidité de son pouvoir. Après s’être pleinement acquis la faveur du dieu, il se retourne et lui apparaît l’affranchi Basilidès qui lui offre de la verveine, des couronnes et des gâteaux, suivant la coutume établie dans ce lieu ; mais nul n’a vu entrer cet homme ; depuis longtemps, ses membres perclus lui interdisent presque de marcher et il est bien connu qu’il demeure fort loin de là. {a} Peu après arrive une lettre annonçant que ses troupes ayant été défaites à Crémone, Vitellius a été tué à Rome. {b} À Vespasien, souverain, nouveau et plutôt imprévu, manquent encore l’autorité et la majesté ordinaires à son rang. Il va bientôt les acquérir : deux hommes de la plèbe, l’un aveugle et l’autre boiteux, se présentent devant son prétoire ; ils le prient de leur rendre la santé car, pendant leur sommeil, Sérapis {c} a assuré au premier que ses yeux reverront si l’empereur leur crache dessus, et au second, qu’il retrouverait ses jambes s’il daigne le toucher du pied. Comme il n’y voit aucune chance de succès, Vespasien n’ose pas même s’y essayer ; mais ses amis l’y exhortent, et finalement il tente la double expérience devant le peuple assemblé, et l’issue est conforme à son attente. Vers le même temps, à Tégée, en Arcadie, sur l’indication des devins, on déterre des vases antiques, qui étaient enfouis dans un lieu sacré, et on y voit un portrait en tout point semblable à Vespasien].


      1. Ce premier phénomène merveilleux fait intervenir un personnage qui n’est pas Apollonius.

      2. En l’an 69, la proclamation de Vespasien à Alexandrie provoqua une courte guerre civile en Italie ; elle aboutit à la défaite et à la mort de son rival, l’éphémère empereur Vitellius.

      3. V. supra note [43], seconde notule {e}.

    2. Tacite, Histoires, livre iv, chapitre lxxxi (traduction limitée au passage cité dans le Borboniana) :
    3. « Un quidam issu de la plèbe alexandrine, connu pour avoir les yeux ruinés, se jette à ses genoux et implore en gémissant la guérison de sa cécité : averti pas le dieu Sérapis, que ce peuple, soumis aux superstitions, adore devant tous les autres, il supplie le prince de daigner lui cracher sur les joues et autour des yeux. Un autre, malade de la main, sur la foi du même dieu, prie César de la lui fouler du pied. Vespasien les repousse d’abord avec moquerie. Comme ils insistent, le prince réfléchit, partagé entre la crainte de ternir sa réputation, l’insistance de ces deux hommes et les encouragements de ses courtisans. Enfin, il ordonne aux médecins de lui donner leur avis sur la possibilité de vaincre cette cécité et cette paralysie par opération humaine. Les médecins opinent avec nuance : chez le premier, la perception de la lumière n’est pas entièrement abolie, et elle reviendra si on ôte ce qui la voile ; chez le second, les articulations engourdies retrouveront leur vigueur première si on leur procure de salutaires massages ; et peut-être que les dieux ont eu à cœur de choisir le souverain pour l’instrument de leur surnaturelle intervention ; et enfin que la gloire d’une guérison reviendra à César, quand le ridicule d’un échec retombera sur ces misérables. Alors donc, dans l’idée que tout cela peut servir sa bonne fortune, qu’il n’y a plus rien d’incroyable, Vespasien, le visage joyeux, devant la multitude des spectateurs qui s’est levée, exécute ce qui lui est ordonné. Aussitôt, la main retrouve le mouvement et l’aveugle revoit la lumière. Voilà les deux prodiges que les témoins présents racontent encore aujourd’hui, quand mentir n’a plus d’intérêt pour personne ; etc. »

    45.

    Le Borboniana revenait aux deux éditions de La Vie d’Apollonius par Philostrate citées dans la note [43] supra.

    Les pages 625 (2e partie) de l’édition française (Blaise Vigenère, Paris, 1611) et 382 de « l’édition gréco-latine » (Fédéric Morel, Paris, 1608) appartiennent bien au même chapitre iii du livre viii, Apologie d’Apollonius à Domitien, où il se défend de ce dont il avait été accusé envers lui ; mais il ne la prononça pas.

    Après le règne de son frère aîné Titus (79-81), Domitien devient empereur à son tour (de 81 à 96, v. note [8], lettre 851), emprisonne Apollonius et le traduit en justice pour le trouble qu’il sème dans l’Empire. Vigenère traduit ainsi le fragment du plaidoyer d’Apollonius :

    « Car si j’invoque Jupiter pour prendre en main mon innocence, sous le soin et protection duquel je ne veux pas nier d’avoir vécu jusques ici, mes accusateurs crieront et diront que j’use d’enchantements, et que je pêle-mêle {a} et confonds les choses divines avec les humaines, les célestes et les terriennes. Par quoi nous nous prévaudrons de l’aide et faveur de celui-là que la plupart des hommes tiennent pour mort, ce que je n’avoue pas : {b} c’est votre bon et vertueux père, Sire, qui faisait de moi une telle estime que vous devez faire de lui, car il vous engendra ; et il fut de moi fait empereur. Je l’appellerai donc à mon aide et à la défense de ma cause, ici devant vous, etc. » {c}


    1. Mettre pêle-mêle, mélanger.

    2. Dans son délire prophétique, Apollonius niait que Vespasien fût bel et bien mort en 79, et revendiquait sa protection.

    3. Traduction en italique du passage cité par le Borboniana. Ensuite, grâce à ses pouvoirs surnaturels, Apollonius disparaît comme par magie et se soustrait à la justice de Domitien.

    46.

    J’ai transféré cet article depuis la page 58, pour conclure la série sur Apollonius.

    47.

    « jusqu’au jour où ce Dieu tout-puissant nous relèvera du poste que nous occupons ici-bas. »

    Je n’ai pas trouvé de source à cette citation. Il y en a pourtant vraisemblablement une, car on lit un propos similaire sous la plume de Guy Patin, dans sa lettre latine à Adolf Vorst datée du 3 janvier 1662, en commentaire d’une citation de Virgile (v. sa note [9]) :

    De voto tuo gratias ago singulares, et superstes futurus sum, neq. de statione discessurus nisi jusserit summus ille Imperator, vitæ ac necis nostræ summus arbiter ac dispensator.

    [Je vous remercie particulièrement pour vos vœux, je survivrai et n’abandonnerai pas mon poste, à moins que le tout-puissant Maître ne l’ait ordonné, lui qui est le suprême arbitre et administrateur de notre vie et de notre mort].

    48.

    La riche méditation du Borboniana sur la lassitude de vivre qui mène à se suicider ou à se laisser mourir commence par quatre citations.

    1. L’épître vii, livre iii des Lettres de Pline le Jeune commence ainsi :

      Modo nuntiatus est Silius Italicus in Neapolitano suo inedia finisse vitam. Causa mortis valetudo. Erat illi natus insanabilis clavus, cuius tædio ad mortem irrevocabili constantia decucurrit.

      [On m’a récemment annoncé que Silius Italicus {a} s’est laissé mourir de faim dans sa campagne de Naples. La cause de sa mort est la mauvaise santé. Il lui était venu un clou incurable, dont le dégoût {b} l’a poussé à chercher la mort avec une fermeté inébranlable].


      1. Silius Italicus est un poète et politique latin du ier s. apr. J.‑C., auteur d’une épopée en 17 chants, intitulé Punica [La Guerre punique].

      2. Clavus, « clou », a aussi les sens médicaux de tumeur et d’induration [verrue, poireau, cor] (Gaffiot). Cette acception est passée dans la langue française, où un clou est « une espèce de petit furoncle, un petit bouton ou gale qui vient à suppuration » (Furetière), soit un synonyme de furoncle (Littré DLF). Les traducteurs ont habituellement parlé ici de « tumeur incurable », mais avec son « cor qu’il avait au pied », Nicolas Bourbon badine en en faisant un mal des plus courants et des plus bénins. Entre les deux, et en ancien spécialiste des maladies vasculaires, je propose d’évoquer une gangrène liée à la mauvaise irrigation sanguine du pied : comme les cors, ces lésions se situent aux points de friction des orteils contre le soulier ; elles sont de petite taille, mais creusantes (souvent jusqu’à l’os) et atrocement douloureuses (surtout en position couchée), et ne cicatrisent pas spontanément. Tout cela en fait des « clous » incurables, dont la persistance, l’aspect et l’odeur de pourriture, et les tourments provoquent le dégoût (tædium) du patient, à entendre comme la lassitude de vivre (tædium vitæ). Il n’y a donc là rien pour faire sourire un médecin qui connaît le latin.

    2. Cornelius Nepos (v. note [1], lettre 815), Vies des grands capitaines, Vie de Pomponius Atticus (à qui Cicéron a écrit ses Lettres à Atticus, v. note [1], lettre 14), livre xxv, chapitre xxi :

      Tali modo cum vii et lxx annos complesset atque ad extremam senectutem non minus dignitate quam gratia fortunaque crevisset – multas enim hereditates nulla alia re quam bonitate consecutus est – tantaque prosperitate usus esset ualetudinis, ut annis xxx medicina non indiguisset, nactus est morbum, quem : initio et ipse et medici contempserunt. Nam putarunt esse tenesmon, cui remedia celeria faciliaque proponebantur. In hoc cum tres menses sine ullis doloribus, præterquam quos ex curatione capiebat, consumpsisset, subito tanta vis morbi in imum intestinum prorupit, ut extremo tempore per lumbos fistulæ puris eruperint. Atque hoc priusquam ei accideret, postquam in dies dolores accrescere febresque accessisse sensit, Agrippam generum ad se accersi iussit et cum eo L. Cornelium Balbum Sextumque Peducæum. Hos ut venisse vidit, in cubitum innixus : “ Quantam ” inquit “ curam diligentiamque in valetudine mea tuenda hoc tempore adhibuerim, cum vos testes habeam, nihil necesse est pluribus verbis commemorare. Quibus quoniam, ut spero, satisfeci, me nihil reliqui fecisse, quod ad sanandam me pertineret, reliquum est, ut egomet mihi consulam. Id vos ignorare nolui. Nam mihi stat alere morbum desinere. Namque his diebus quidquid cibi sumpsi, ita produxi vitam, ut auxerim dolores sine spe salutis. Quare a vobis peto, primum, ut consilium probetis meum, deinde, ne frustra dehortando impedire conemini. ”

      Traduction de Jean de Kermoysan (1841) :

      « Atticus était parvenu à l’âge de 77 ans. Il avait vu s’accroître son crédit, sa fortune même ; car plusieurs personnes l’avaient fait leur héritier, seulement par considération pour son caractère et les qualités qu’on admirait en lui. Il avait toujours joui d’une santé parfaite, n’ayant pas eu besoin de médecin pendant 30 ans, lorsqu’il fut atteint d’une maladie à laquelle on fit d’abord peu d’attention. On crut que c’était un ténesme, {a} et l’on n’ordonna que des remèdes prompts et faciles. Il passa trois mois dans cet état, sans autre douleur que celle du traitement. À la fin, le mal se jeta dans les intestins et dégénéra en fistule maligne. {b} Depuis quelque temps Atticus s’était aperçu des progrès de la maladie. Il se sentit attaqué de la fièvre, fit appeler son gendre Agrippa, et avec lui L. Cornelius Balbus et Sextus Peducæus. {c} Lorsqu’il les vit, il s’appuya sur son coude et leur dit : “ Il est inutile de vous rappeler l’attention et les soins que j’ai apportés au rétablissement de ma santé : vous en avez été les témoins. Je crois vous avoir satisfaits à cet égard et n’avoir rien négligé pour ma guérison ; il ne me reste plus qu’à me satisfaire moi-même. Je n’ai pas voulu vous laisser ignorer ma résolution : je suis décidé à ne plus nourrir mon mal ; tous les aliments que j’ai pris ces jours-ci n’ont prolongé ma vie que pour augmenter mes douleurs, sans espoir de salut. Je vous prie donc d’approuver mon dessein et de ne point vous y opposer : vos efforts seraient inutiles. ” »


      1. V. note [20], lettre 198, pour ce symptôme de souffrance rectale.

      2. Possible fistule d’un cancer rectal, ouverte dans le bas-ventre.

      3. Généraux et politiques romains, Agrippa et Balbus étaient amis d’Octave, le futur empereur Auguste. Peducæus était un intime ami de Pomponius Atticus.

    3. Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou, livre lxii, année 1576, règne de Henri iii (Thou fr, volume 7, page 362), sur la mort de Jérôme Cardan (v. note [30], lettre 6) :

      « Il était d’ailleurs très versé dans l’astrologie judiciaire. Ses prédictions dont l’événement {a} parut souvent au-dessus de toutes les règles de l’art, infatuèrent bien des gens de {b} cette espèce de science. Mais le comble de la folie, ou plutôt de l’impiété, fut de vouloir assujettir le Créateur lui-même aux lois chimériques des astres. C’est pourtant ce que Cardan prétendit en tirant l’horoscope de Jésus-Christ. {c} Il mourut âgé de 75 ans moins trois jours, l’an et le jour qu’il avait prédits, c’est-à-dire le 21 septembre. On crut que pour ne pas en avoir le démenti, il avança sa mort en refusant de prendre aucun aliment. »


      1. L’issue, c’est-à-dire l’exactitude.

      2. Inspirèrent à bien des gens un engouement ridicule pour.

      3. V. note [17] du Patiniana I‑1

    4. Pour son triple intérêt, médical, éthique et littéraire, l’épître xii (livre i) de Pline le Jeune sur la goutte {a} de son mentor, le sénateur romain Quintus Corellius Rufus, mérite une transcription intégrale :

      Iacturam grauissimam feci, si iactura dicenda est tanti viri amissio. Decessit Corellius Rufus et quidem sponte, quod dolorem meum exulcerat. Est enim luctuosissimum genus mortis, quæ non ex natura nec fatalis videtur. Nam utcumque in illis qui morbo finiuntur, magnum ex ipsa necessitate solacium est ; in iis vero quos accersita mors aufert, hic insanabilis dolor est, quod creduntur potuisse diu vivere. Corellium quidem summa ratio, quæ sapientibus pro necessitate est, ad hoc consilium compulit, quamquam plurimas vivendi causas habentem, optimam conscientiam optimam famam, maximam auctoritatem, præterea filiam uxorem nepotem sorores, interque tot pignora veros amicos. Sed tam longa, tam iniqua valetudine conflictabatur, ut hæc tanta pretia vivendi mortis rationibus vincerentur.

      Tertio et tricensimo anno, ut ipsum audiebam, pedum dolore correptus est. Patrius hic illi ; nam plerumque morbi quoque per successiones quasdam ut alia traduntur. Hunc abstinentia sanctitate, quoad viridis ætas, vicit et fregit ; novissime cum senectute ingravescentem viribus animi sustinebat, cum quidem incredibiles cruciatus et indignissima tormenta pateretur. Iam enim dolor non pedibus solis ut prius insidebat, sed omnia membra pervagabatur. Veni ad eum Domitiani temporibus in suburbano iacentem. Servi e cubiculo recesserunt – habebat hoc moris, quotiens intrasset fidelior amicus – quin etiam uxor quamquam omnis secreti capacissima digrediebatur. Circumtulit oculos et “ Cur ” inquit “ me putas hos tantos dolores tam diu sustinere ? – ut scilicet isti latroni vel uno die supersim. ” Dedisses huic animo par corpus, fecisset quod optabat.

      Adfuit tamen deus voto, cuius ille compos ut iam securus liberque moriturus, multa illa vitæ sed minora retinacula abrupit. Increverat valetudo, quam temperantia mitigare temptavit ; perseverantem constantia fugit. Iam dies alter tertius quartus: abstinebat cibo. Misit ad me uxor eius Hispulla communem amicum C. Geminium cum tristissimo nuntio, destinasse Corellium mori nec aut suis aut filiæ precibus inflecti ; solum superesse me, a quo revocari posset ad vitam. Cucurri. Perveneram in proximum, cum mihi ab eadem Hispulla Iulius Atticus nuntiat nihil iam ne me quidem impetraturum : tam obstinate magis ac magis induruisse. Dixerat sane medico admoventi cibum κεκρικα, quæ vox quantum admirationis in animo meo tantum desiderii reliquit.

      Cogito quo amico, quo viro caream. Implevit quidem annum septimum et sexagensimum, quæ ætas etiam robustissimis satis longa est ; scio. Evasit perpetuam valetudinem ; scio. Decessit superstitibus suis, florente re publica, quæ illi omnibus carior erat ; et hoc scio. Ego tamen tamquam et iuvenis et firmissimi mortem doleo, doleo autem – licet me imbecillum putes – meo nomine. Amisi enim, amisi vitæ meæ testem rectorem magistrum.

      In summa dicam, quod recenti dolore contubernali meo Calvisio dixi : “ Vereor ne neglegentius vivam. ” Proinde adhibe solacia mihi, non hæc : “ Senex erat, infirmus erat ” – hæc enim novi – sed noua aliqua, sed magna, quæ audierim numquam, legerim numquam. Nam quæ audivi quæ legi sponte succurrunt, sed tanto dolore superantur. Vale.

      Traduction de C. Sicard (1954) :

      « Je viens de faire une perte cruelle, si ce terme est assez fort pour exprimer le malheur qui nous enlève un si grand homme. Corellius Rufus est mort, et mort de son plein gré, ce qui avive ma douleur. C’est en effet la mort la plus affligeante que celle dont on ne peut accuser ni la nature ni la fatalité. Car lorsque nos amis finissent leurs jours par la maladie, nous trouvons tout de même toujours une grande consolation dans la nécessité même ; ceux, au contraire, que nous ravit une mort volontaire nous laissent une douleur inguérissable parce que nous croyons qu’ils auraient pu vivre longtemps encore. Corellius a été poussé à cette résolution par un motif suprême, qui, aux yeux des philosophes, tient lieu de nécessité, alors qu’il avait toutes sortes de raisons de vivre : une conscience irréprochable, une excellente réputation, un crédit puissant, et de plus, une fille, une femme, un petit-fils, des sœurs, et avec tant d’objets d’affection, de véritables amis. Mais il luttait depuis si longtemps contre une si cruelle maladie que tous ces avantages offerts par la vie cédèrent devant les raisons de mourir.

      À trente-deux ans, je l’ai entendu de sa propre bouche, il fut saisi de la goutte aux pieds. C’était un legs de son père, car souvent les maladies, comme autre chose, nous sont transmises par une sorte d’héritage. Grâce à la sobriété et à un régime sévère, il réussit, tant qu’il fut dans la force de l’âge, à vaincre et à mater cette maladie. Tout dernièrement, comme elle s’aggravait avec la vieillesse, il y opposait son énergie morale, quoiqu’il endurât des souffrances atroces et d’insupportables tortures ; car désormais le mal n’était plus localisé dans les pieds, mais se portait tour à tour dans tous les membres. J’arrivai un jour chez lui au temps de Domitien, et le trouvai couché dans sa villa de la banlieue. Les esclaves quittèrent la chambre – c’était l’usage chez lui, quand un ami intime entrait – sa femme même, quoique d’une discrétion à toute épreuve, se retirait aussi. Après avoir jeté les yeux autour de lui : “ Pour quel motif, dit-il, croyez-vous que je supporte si longtemps ces terribles douleurs ? C’est pour survivre, ne serait-ce qu’un jour, à cet infâme brigand. ” {b} Si on lui eût donné des forces égales à son courage, il aurait exécuté ce qu’il souhaitait.

      Le ciel cependant exauça son vœu ; alors, satisfait, pensant qu’il pouvait désormais mourir tranquille et libre, il rompit tous les liens nombreux, mais plus faibles, qui le rattachaient à la vie. Les maux empiraient, il tenta de les adoucir par le régime ; ils persistaient, son courage l’en délivra. Depuis deux, trois, quatre jours déjà il refusait toute nourriture ; sa femme, Hispulla, m’envoya un ami commun, C. Geminius, porteur de ce triste message : “ Corellius a résolu de mourir ; il ne se laisse fléchir ni par mes prières, ni par celles de sa fille ; il n’y a plus que vous qui puissiez le rattacher à la vie. ” Je courus. J’approchais de leur demeure, quand, envoyé encore par Hispulla, Julius Atticus m’annonça que je n’obtiendrais plus rien moi non plus, tant il s’endurcissait dans son obstination. N’avait-il pas dit au médecin qui lui présentait des aliments : J’ai décidé, parole qui a laissé dans mon cœur autant d’admiration que de regret.

      Je songe quel ami, quel homme j’ai perdu. Sans doute il avait achevé ses soixante-sept ans, ce qui fait une vie assez longue même pour les plus robustes, je le sais ; il s’est libéré de souffrances continuelles, je le sais aussi ; il est mort laissant les siens vivants, l’État, qui lui était plus cher que tout, en pleine prospérité, je le sais encore. Et pourtant je le pleure, comme s’il était mort jeune et plein de santé ; je le pleure, dussiez-vous m’accuser de faiblesse, comme un deuil personnel. J’ai perdu, oui, j’ai perdu le témoin de ma vie, mon guide et mon maître.

      Je vous répéterai enfin ce que j’ai dit dans le premier accès de la douleur à mon ami intime Calvisius : “ Je crains de vivre désormais avec plus de négligence. ” Adressez-moi donc des consolations, non pas celles-ci : “ Il était vieux, il était malade. ” Je les connais, mais des consolations nouvelles, puissantes, que je n’aie jamais entendues, jamais lues. Tout ce que j’ai entendu ou lu se présente spontanément à ma pensée, mais se trouve trop faible pour mon immense chagrin. Adieu. »


      1. V. note [30], lettre 99.

      2. L’empereur Domitien, intime ennemi de Corellius Rufus, fut assassiné en septembre 96.

    49.

    « “ Frappez mes mains de paralysie, rendez mes pieds faibles et boiteux ; faites-moi pousser une énorme bosse sur le dos ; déchaussez-moi toutes les dents : si la vie me reste, tout ira bien. Quand même je serais attaché sur la croix du supplice, conservez-moi la vie. ”

    “ De là ce vœu répugnant de Mécène, ” dit Sénèque dans sa lettre ci, “ où il ne refuse ni les mutilations, ni les difformités, ni finalement le supplice du poteau, pourvu qu’au milieu de tant de maux, la vie lui soit conservée. ” »


    1. Ce passage des Épîtres à Lucilius (dont l’ordre est ici inversé) a été cité par Guy Patin dans sa lettre latine du 14 janvier 1666 (v. sa note [6] pour mon commentaire).

    50.

    Ces deux références décrivent la descente aux enfers des deux héros synonymes, Ulysse et Énée (Odysseus et Æneius, v. note [14], lettre latine d’Adolf Vorst, datée du 4 septembre 1661).

    1. Dans L’Odyssée d’Homère (chant xi, vers 484‑491), Ulysse dialogue avec l’âme d’Achille (traduction de Leconte de Lisle, avec francisation des noms propres) :

      « “ Vivant, nous, Argiens, {a} nous t’honorions comme un dieu, et maintenant tu commandes à tous les morts. Tel que te voilà, et bien que mort, ne te plains pas, Achille ! ” {b} Je parlai ainsi, et il me répondit : “Ne me parle point de la mort, illustre Ulysse ! J’aimerais mieux être un laboureur, et servir, pour un salaire, un homme pauvre et pouvant à peine se nourrir, que de commander à tous les morts qui ne sont plus. ” »


      1. Peuple d’Argolide (Péloponnèse).

      2. V. notule {b}, note [41] du Borboniana 9 manuscrit.

    2. Virgile Énéide (chant vi, vers 434‑439) aborde un thème différent, dans Énée visitant les enfers :

      « Tout près de lui se tiennent les accablés, ces innocents qui se sont donné la mort de leur propre main. En haine de la lumière, ils ont rejeté la vie. Comme ils voudraient maintenant endurer pauvreté et durs labeurs là-haut au grand air ! Les divines lois s’y opposent, le sinistre marais et ses lugubres eaux {a} les emprisonnent, cernés par les neuf méandres du Styx. » {b}


      1. Dans le vers 438, la transcription du Borboniana a fait passer deux locutions du singulier au pluriel : fas obstat [la divine loi s’y oppose] remplacé par fata obstant [les divines lois s’y opposent], et unda [l’eau] par undæ [les eaux].

      2. V. note [28], lettre 334.

    51.

    « Il n’est pas permis de se donner soi-même la mort : voyez là-dessus le commentaire de D. Salvaing de Boissieu sur L’Ibis d’Ovide, page 43. {a} Sur la légitimité du suicide {b} chez les Anciens, voyez les Loci communes theologici de Jo. Gerhardus, tome 3, page 106, {c} Serarius in Machabeos, in‑fo, page 476, {d} et Cicéron au livre i des Tuscul. quæst., dans l’édition de Joan. Benenatus. » {e}


    1. Publii Ovidii Nasonis, Equitis Romani, Libellus in Ibin : Dionysii Salvagnii Boessii, Equitis Delphinatis opera, qua restitutus, qua illustratus, qua explanatus.

      [Libelle d’Ovide, chevalier romain, in Ibin : {i} Denys Salvaing de Boissieu, {i} chevalier dauphinois, en a rétabli, commenté et expliqué le texte]. {ii}

      1. Ovide a proféré 644 vers d’invectives « contre Ibis », personnage d’identité incertaine.

      2. V. note [30], lettre 349.

      3. Lyon, Antoine Pillehotte, 1633, in‑4o de 128 pages.

      La page 43 correspond à une des observationes [remarques], intitulée De his qui se ipsos interficiunt. De vulturibus nonnulla. Locus ex Metamorp. illustratus [De ceux qui se tuent eux-mêmes. Quelques propos sur les vautours. Un passage des Métamorphoses est expliqué], commente le vers 146 : Sive manu, facta morte, solutus ero [Soit que je meure de ma propre main].

      Salvaing de Boissieu y passe en revue les avis judiciaires, philosophiques et religieux sur la mort volontairement infligée à soi-même, que divers auteurs de l’Antiquité ont prononcés : tolérance chez de nombreux écrivains grecs et romains, mais sévère et formelle condamnation chez les juifs et les chrétiens. Les détails et le reste ne m’ont pas paru dignes d’être cités.

    2. J’ai mis suicide en italique parce que : 1. Voltaire est réputé avoir été le premier, vers 1740, à employer le mot suicide, en le définissant comme « l’homicide de soi-même » ; 2. le mot grec donné par le Borboniana, αυτοχειρια (autokheiria, « meurtre accompli de sa propre main ») traduit très exactement la même idée de mort volontaire.

      En dépit des exemples antiques (stoïques païens), le suicide inspirait une telle frayeur que, sauf en grec, il n’existait pas de simple mot, français, anglais ou latin, pour le qualifier. Dans ses écrits, Guy Patin en a toujours parlé soit en décrivant le mode opératoire (lettres 274, 407, 480, 496, 514, 951), soit en recourant à des métaphores explicites : « se tuer » (lettre 149), miserandum mortis genus [déplorable genre de mort] (lettre 150), « s’est empoisonné » (lettre 960), morbus per sapientiam mori [maladie où l’on meurt par la raison] (thèse de 1643, L’homme n’est que maladie). Le suicide était rigoureusement prohibé par les lois civiles et canoniques qui le tenaient pour une infamie absolue, passible des plus extrêmes punitions : exposition publique du corps, ensuite abandonné « à la voirie » (v. note [16], lettre 357), confiscation des biens, excommunication. Seule pouvait l’expliquer la plus extrême folie (mélancolie).

      Voltaire (Dictionnaire philosophique, 1764) :

      « Je ne ferai ici que très peu de réflexions sur l’homicide de soi-même ; je n’examinerai point si feu M. Creech eut raison d’écrire à la marge de son Lucrèce, “ Nota bene que quand j’aurai fini mon livre sur Lucrèce, il faut que je me tue ”, et s’il a bien fait d’exécuter cette résolution […]. {i} Je ne veux point éplucher les motifs de mon ancien préfet, le P. Biennassès, jésuite, qui nous dit adieu le soir, et qui le lendemain matin, après avoir dit sa messe et avoir cacheté quelques lettres, se précipita du troisième étage. Chacun a ses raisons dans sa conduite. Tout ce que j’ose dire avec assurance, c’est qu’il ne sera jamais à craindre que cette folie de se tuer devienne une maladie épidémique, la nature y a trop bien pourvu : l’espérance, la crainte sont les ressorts puissants dont elle se sert pour arrêter presque toujours la main du malheureux prêt à se frapper. »

      1. Thomas Creech, né en 1659 à Blandford, professeur de lettres à Oxford, éditeur des six livres de Lucrèce sur la Nature des choses (1695), « devint en 1700 amoureux d’une fille dont il ne put se faire aimer, quoique bien d’autres, dit-on, trouvaient aisément accès auprès d’elle. Il en conçut tant de chagrin qu’il se désespéra et se pendit sur la fin de juin de la même année » (Moréri).

    3. Locorum theologicorum cum pro adstruenda veritate, tum pro destruenda quorumvis contradicentium falsitate per Theses nervose, solide et copiose explicatorum… Autore Johanne Gerhardo, SS. Theol. D. et in Academia Jenensi Profess…

      [Citations théologiques vigoureusement, solidement et copieusement expliquées par des thèses, tant pour établir la vérité, que pour détruire la fausseté de certains contradicteurs… Par Johannes Gerhardus, {i} docteur en très sainte théologie de l’Université d’Iéna…]. {ii}

      La page 106 du tome iii (1613) correspond à l’importante section de l’ouvrage qui condamne l’idolâtrie catholique, c’est-à-dire l’adoration des représentations de Dieu ou des saints. Je n’y ai rien lu sur le suicide. En revanche, la même page du tome ii (1611) me semble mieux correspondre au propos du Borboniana :

      Damasc. […] duas constituit desertionis species, aleram vocat οικονομικην και παιδευτικην dispensativam et correctoriam, cum salutis et correctionis causa, inquit, laudem nominis sui interdum fideles deserit, quemadmodum Christus se derelictum conqueritur Psal. 22, vers. 1 ; alteram nominat τελειαν και απογνωστικην cum Deo universa, quæ ad salutem sunt, faciente, incorrigibilis et immedicabilis vel insanabalis manet homo, justoque Dei judicio deseritur a superna gratia, quemadmodum Spiritus Domini recessit a Saule 1 Sam. 16, v. 14. […].

      [Damascène {iii} (…) a établi deux sortes d’abandon. Il appelle le premier oïkonomikên kaï païdeutikên, « préservatif et instructif » : j’approuve, dit-il, que, pour les sauver et les corriger, Il {iv} délaisse temporairement ceux qui sont fidèles à son nom, comme quand le Christ s’est plaint d’avoir été abandonné (Psaumes 22:1). {v} Il qualifie le second de téléaï kaï apognôstikên, {vi} quand Dieu ayant tout fait pour le sauver, l’homme demeure irrémédiablement incorrigible, c’est-à-dire incurable, et quand, par équitable jugement de Dieu, la grâce d’en haut l’abandonne à jamais, comme quand l’Esprit du Seigneur s’est retiré de Saül (Samuel i 16:14) {vii} (…)].

      1. Johannes Gerhardus (Johann Gherard, 1582-1637) était aussi et surintendant (supérieur ecclésiastique luthérien) d’Hendburg (Thuringe).

      2. Iéna, Tobias Seinmannus, 1610-1622, 9 tomes in‑4o, pour la première édition.

      3. Saint Jean Damascène, docteur et Père de l’Église au viiie s. : La Foi orthodoxe, livre ii.

      4. Dieu.

      5. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Je gémis, et le salut reste loin de moi ! »

      6. Résigne et désespéré.

      7. « l’Esprit de Yahvé s’était retiré de Saül et un mauvais esprit, venant de Yahvé, lui causait des terreurs. »
    4. Le chapitre intitulé An, seipsum interficiendo, peccarit Razias hic ? [Ce Razis a-t-il péché en se donnant la mort ?] (pages 474‑476) du In Sacros Divinorum Bibliorum Libros, Tobiam, Judith, Esther, Machabæos, Commentarius, nunc multis in locis auctus et recognitus, addito Indice Rerum præcipuarum locuplete. Auctore Nicolao Serario, Rambervillano, Lotharingo, e Societate Iesu [Commentaire sur les Livres sacrés de la sainte Bible, Tobias, Judith, Esther, Maccabées, maintenant revu et augmenté en de nombreux endroits, avec l’addition d’un riche index des principales matières. Par Nicolaus Serarius (v. note [16], lettre latine 98), natif de Rambervillers en Lorraine, prêtre de la Compagnie de Jésus] (Mayence, Balthasarus Lippius, 1610, in‑fo) porte sur le 2e livre des Maccabées (14:41‑46).

      Ce terrifiant récit biblique décrit la mort volontaire de Razis, surnommé le Père des juifs, cerné de toutes parts par les soldats de Nikanor, général de Démétrius ier :

      « [Il] dirigea son épée contre lui-même ; il choisit généreusement de mourir plutôt que de tomber entre des mains criminelles et de subir des outrages indignes de sa naissance. Son coup ayant manqué le bon endroit, dans la hâte du combat, et les troupes se ruant à l’intérieur des portes, il courut bravement en haut de la muraille et se précipita avec intrépidité sur la foule. Tous s’étant reculés aussitôt à une certaine distance, il s’en vint choir au milieu de l’espace vide. Respirant encore, et enflammé d’ardeur, il se releva tout ruisselant de sang et, malgré de très douloureuses blessures, il traversa la foule en courant. Enfin, debout sur une roche escarpée, et déjà tout à fait exsangue, il s’arracha les entrailles et, les prenant de ses deux mains, il les jeta sur la foule, priant le Maître de la vie et de l’âme de les lui rendre un jour. »

      Après de nombreuses citations, le chapitre de Serarius se termine sur ce paragraphe (page 476) :

      Atque ista, opinor, suspexit, voluitque Litteratissimus ille Lipsius, ne cui eius forte pro Stoicis, disputatiuncula fraudi sit ; cum in Cent. 3 ; epist. 26. scriberet. Quæris, ait, an sapienti fas aut ius consciscere sibi mortem ? Olim id disputatum, nunc decisum ; et scis quid hac in re statuant religionis nostræ leges, quas improbe solicitemus. Et postea, Nihil desinio (absit, absit) præter definita piis, sapientibusque viris. Ideoque popularis illa quidem, falsa tamen similitudo est, dum ait : Ut in domo conducticia si habitem, nihil peccem, si paulum exeam ante diem pensionis : ita hic videtur. Falsa inquam similitudo est quia ante pensionis diem, e domo illa exire, est suo ipsius iure cedere, nullique iniuriam inferre, nullius leges perumpere. At qui citius quam a Deo iubeatur, e vita properat, in alienum ipse ius, quod penes rempublicam, et Deum ipsum est ; invadit, iis iniuriam facit ; naturæ, Deique leges violat. Divus porro Thomas hoc loco, posteriorem etiam de Razia opinionem non improbare videtur.

      [Et cet homme très instruit qu’est Lipse a, je pense, pesé et voulu dire ces mots afin que nul n’aille, d’aventure, lui forger quelque mauvaise querelle sur son adhésion au stoïcisme, quand il écrivait sa lettre xxvi de la centurie iii : {i} Tu me demandes, dit-il, si un homme sain d’esprit a ou non droit de se donner la mort. Cela a jadis été débattu, mais la cause est maintenant entendue : tu sais ce que les lois de notre religion statuent là-dessus, et nous aurions tort de les malmener. Et plus loin : Je n’établis rien (et loin, très loin de moi cette idée), hormis ce que de pieux et sages personnages ont défini. Quoique facile, sa comparaison est donc fausse quand il dit : De sorte que si, louant la maison que j’habite, je ne commets aucune faute, me semble-t-il, en la quittant avant l’échéance de mon bail. Cette comparaison est fausse, dis-je, parce que quitter cette maison avant l’échéance du bail, c’est certes faire valoir son bon droit, ne faire de tort à personne, n’enfreindre aucune loi ; mais qui se hâte de quitter la vie plus tôt que Dieu le prescrit, se met hors du droit, qui n’appartient qu’à l’État et à Dieu lui-même : il les attaque et leur nuit ; il viole les lois de la nature et de Dieu. Qui plus est, sur ce point, saint Thomas ne semble pas non plus désapprouver cette dernière opinion sur Razis]. {ii}

      1. Iusti Lipsii epistolarum selectarum Chilias… [Millier de lettres diverses de Juste Lipse…] (Avignon, 1609, v. note [12], lettre 271), lettre xxii (et non xxvi) de la iiie centurie (pages 142‑143), à P. Regemorterus, datée de Leyde un 24 janvier, sans année (mais probablement en 1587 ou 1588, d’après les lettres qui la précèdent et la suivent).

      2. Serarius a mentionné plus haut dans ce chapitre (page 547) l’opinion de Thomas d’Aquin, conforme à la sienne et à celle de saint Augustin (v. notules {d} et {k}‑{n}, note [52] infra).

    5. La M.T. Ciceronis Philosophicorum librorum pars prima, id est… Tusculunarum quæstionum libri v, ex Dionys. Lambini Monstroliensis emendatione [Première partie des livres philosophiques de Marcus Tullius Cicéron, qui contient… les cinq livres des Questions tusculanes, avec les corrections de Denis Lambin, natif de Montreuil-sur-Mer (v. note [13], lettre 407)] (Paris, Ioannes Benenatus, 1573, in‑8o) est le 7e des 9 tomes que totalisent les Opera omnia [Œuvres complètes] de Cicéron publiées par les imprimeurs parisiens Jacques Du Puis (Jacobus Puteanus, 1566-1591) et Jean Bienné ou Bien-Né (Johannes Benenatus ou Bene-Natus), correcteur de lettres grecques en l’Université de Paris, mort en 1588.

      La page 4425 correspond, dans les éditions plus récentes, au chapitre xxx du livre i des Tusculanes. Par exception et à titre d’exemple, j’en donne une transcription parfaitement fidèle à l’orthographe, à la typographie et à la ponctuation d’origine :

      Itaque commemorat, vt cygni, qui non ſine cauſa Apollini dicati ſunt, ſed quòd ab eo diuinationem habere videantur, qua prouidentes quid in morte boni ſit : cum cantu & voluptate moriantur: ſic omnibus & bonis, & doctis eſſe faciendum. nec verò de hoc quiſquam dubitare poſſet, niſi idem nobis accideret, diligenter de animo cogitantibus, quod iis ſæpe vſu venit, qui acriter oculis deficientem ſolem intuerentur, ut adſpectum omnino amitterent : ſic mentis acies ſe ipſam intuens, nonnumquam hebeſcit, ob eámq. cauſam contemplandi diligĕtiam amittimus. Itaq. dubităs, circumspectans, hæſităs, multa aduersa reuertens, tamquam ratis in mari inmenso nostra vehitur oratio. Sed hæc & vetera, & à Graecis. Cato autem sic abiit è vita, vt cauſam moriendi nactŭ ſe eſſe gauderet. Vetat enim dominans ille in nobis deus, iniuſſu hinc nos ſuo demigrare. cùm verò cauſam iuſtam deus ipse dederit, ut tunc Socrati, nunc Catoni, sæpe multis : næ ille, medius fidius, vir sapiens, lætus ex his tenebris in lucem illam exceſſerit : nec tamen illa vincula carceris ruperit. leges enim vetant. ſed, tanquam à magistratu, aut ab aliqua poteſtate legitima, ſic à deo euocatus, atque emissus, exierit. tota enim philosophorum vita, ut ait idem, commentatio mortis est.

      Œuvres complètes de Cicéron publiées par Désiré Nisard (1841, avec de minimes modernisations) :

      « On a consacré les cygnes à Apollon parce qu’ils semblent tenir de lui l’art de connaître l’avenir ; et c’est par un effet de cet art que, prévoyant de quels avantages la mort est suivie, ils meurent avec volupté, et tout en chantant. {i} Ainsi doivent faire, ajoutait Socrate, tous les hommes savants et vertueux. {ii} Personne n’y trouverait la moindre difficulté s’il ne nous arrivait, quand nous voulons trop approfondir la nature de l’âme, ce qui arrive quand on regarde trop fixement le soleil couchant. On en vient à ne plus voir. Et de même, quand notre âme se regarde, son intelligence vient quelquefois à s’émousser, en sorte que nos pensées se brouillent. On ne sait plus à quoi se fixer, on retombe d’un doute dans un autre, et nos raisonnements ont aussi peu de consistance qu’un navire battu par les flots. Mais ce que je dis là de Socrate est ancien et tiré des Grecs. Parmi nous, Caton est mort dans une telle situation d’esprit que c’était pour lui une joie d’avoir trouvé l’occasion de quitter la vie. {iii} Car on ne doit point la quitter sans l’ordre exprès de ce dieu, qui a sur nous un pouvoir souverain. Mais, quand il nous en fait lui-même naître un juste sujet, comme autrefois à Socrate, comme à Caton, et souvent à bien d’autres, un homme sage doit, en vérité, sortir bien content de ces ténèbres, pour gagner le séjour de la lumière. Il ne brisera pas les chaînes qui le tiennent captif sur la terre, car les lois s’y opposent ; mais lorsqu’un dieu l’appellera, ce sera comme si le magistrat, ou quelque autre puissance légitime, lui ouvrait les portes d’une prison. Toute la vie des philosophes, dit encore Socrate, est une continuelle méditation de la mort. »

      1. V. notule {b}, note [8], lettre 325.

      2. V. note [36] de la Leçon de Guy Patin sur le Laudanum et l’opium pour la fin de Socrate, condamné à mourir par empoisonnement (la fameuse ciguë).

      3. Caton d’Utique, dit le Jeune, politique romain du ier s. av. J.‑C., ami de Cicéron, était arrière-petit-fils de Caton l’Ancien (v. note [5] de Guy Patin contre les consultations charitables de Théophraste Renaudot). Voyant la République s’effondrer, il préféra mourir en se perçant le corps d’une épée à Utique (Tunisie) en l’an 46 avant notre ère.

    52.

    « Voyez les Monita sacra de Mangotius, tome 3, pages 34‑36. »

    Dans les Adriani Mangotii Goudani Soc. Iesu Monita sacra ex S. Scriptura et SS. Patribus potissimum collecta, variis in locis ad Clerum et populum dicta, omnibus utilissima. Pars tertia [Avis sacrés qu’Adrianus Mangotius (Adrien Mangot), prêtre de la Compagnie de Jésus, natif de Gouda (1554-Anvers 1629), a tirés de diverses sources, principalement de la Sainte Écriture et des saints Pères de l’Église ; destinés au clergé et aux laïques, et extrêmement utiles à tous. Troisième partie] (Anvers, Hieronymus Verdussen, 1615, in‑8o), ces trois pages (pages 34‑36) appartiennent au Monitum vi, qui porte sur cette parole du Christ (Jean 12:25), Qui odit animam suam in hoc mundo, in vitam æternam custodit eam [Qui hait sa vie en ce monde la conservera en la vie éternelle] :

    Cleombrotus lecto Platonis libro, ubi disputat de immortalitate animæ, de muro se præcipitantem dedit. De quo extat epigramma Callimachi e Græco translatum.

    Vita vale, muro præceps delapsus ab alto,
    Dixisti moriens, Ambrociota puer :
    Nullum in morte malum credens, sed scripta Platonis,
    Non ita erant animo percipienda tuo.

    Et Hegesias Philosophus tantum valuit eloquentia, ut mala vitæ huius repræsentando, eorum miseranda imagine, audiendum pectoribus inserta, multis voluntariæ mortis appetendæ, cupiditatem ingenerarit. Ideoque a Rege Ptolomæo ulterius hac de re disserere prohibitus est, ut testatur Valer. Max. Sic et Cato Uticentis, lecto paulo ante mortem Phædone Platonis, ne in manus hostis perveniret, sibi manus intulit ; de cuius morte quid potissimum dicam, ait August. nisi quod amici eius etiam docti quidam viri, qui hoc fieri prudentius dissuadebant, imbecillioris quam fortioris animi, facinus esse censuerunt ? quo demonstraretur non honestas turpia præcavens, sed infirmitas adversa non sustinens. Factum tamen Catonis laudat Seneca, et viri fortis esse seipsum occidere, docet in lib. de Providentia. Et alibi, Si, inquit, inutile ministeriis est corpus, quidni oporteat educere animam laborantem ? Prosiliam ex ædificio putrido, et ruenti. Male ais, ô Seneca, et multa bene dicta, uno polluis male dicto. Miror unde tam tristis sententia tanti viri pectus invaserit, inquit Petrarcha. Et Plinius iunior de Corellio, qui fame se enecavit, ut morbi cruciatus evaderet ; dicit, quod eum summa ratio, quæ sapientibus pro necessitate est, ad hoc consilium compulit. Impetu quodam ad mortem currere, inquit, commune cum multis ; deliberare vero et causas eius expendere, utque suaserit ratio, vitæ mortisque consilium suscipere, vel ponere, ingentis est animi. Idem eodem lib. de alio scribit, qui idem decreverat, si medici morbum iudicassent insuperabilem.

    Adferebant Donatistæ ad authoritatem sceleris quo seipsos perdebant, exemplum Raziæ, ex lib. Machab. Ad quod D. August. Quamvis, inq., homo ipse fuerit laudatus, factum tamen eius narratum est, non laudatum : et iudicandum potius quam imitandum ante oculos constitutum. Non sane nostro iudicio, sed doctrinæ sacræ in Scripturis expressæ, a qua ille longe abfuit, quæ ita ait : Omne quod tibi applicitum fuerit, accipe ; et in dolore sustine, et in humilitate tua patientiam habe. Non fuit iste vir eligendæ mortis Sapiens, sed ferendæ humilitatis impatiens. Scriptum quidem est, quod voluerit nobiliter et viriliter mori, nunquid ideo sapienter ? Dicit Scriptura, Innocentem et iustum non occides : aut innocens et iustus fuit iste Razias, aut non : Si non fuit, cur proponitur imitandus ? si fuit ? quare interfector innocentis, et iusti, id est, ipsius Raziæ, insuper putatur esse laudandus ? Similiter loquitur de Lucretia Romana, quam Romani maxima prædicatione laudare solent : Quod seipsam, inquit, quoniam adulterium pertulit, etiam non adultera, occidit, non est pudicitiæ charitas, sed pudoris infirmitas. Puduit enim eam turpitudinis alienæ in se commissæ, etiamsi non secum : et Romana mulier laudis avida, nimium verita est, ne putaretur, quod violenter passa est, cum viveret, libenter passa, si viveret. Aut adultera fuit, aut pudica. Si adultera, cur laudata ? si pudica, cur occisa ? Nec ista est animi magnitudo < recte nominabitur, > ubi quisque non valendo tolerare vel quæque aspera, vel aliena peccata, ipse se interimit. Magis enim < mens > infirma depræhenditur, quæ ferre non potest vel duram <sui> corporis servitutem, vel stultam vulgi opinionem : maiorque animus merito dicendus est, qui vitam ærumnosam magis potest ferre, quam fugere ; et humanum iudicium, maxime vulgare, quod plerumque caligine erroris involvitur, præ conscientiæ luce ac puritate contemnere.

    [Après avoir lu le livre où Platon débat sur l’immortalité de l’âme, Cléombrote s’est résolu à se précipiter du haut d’un rempart. Callimaque en a fait cette épigramme, traduite du grec :

    Adieu la vie ! as-tu dit, enfant d’Ambracie quand tu t’es précipité de la haute muraille, croyant qu’il n’y a aucun mal en la mort ; mais ce qu’a écrit Platon ne devait pas s’emparer à ce point de ton esprit. {a}

    Et le philosophe Hégésias brilla tant par son éloquence que, dépeignant les maux de cette vie, et en imprimant la déplorable image dans l’esprit de ses auditeurs, il a fait naître chez nombre d’entre eux le désir de se donner volontairement la mort. {b} C’est pourquoi le roi Ptolémée a plus tard interdit de débattre sur ce sujet, comme en atteste Valère Maxime. {c} Caton d’Utique connut un sort semblable : ayant lu le Phædon de Platon peu avant de mourir, il se tua de sa propre main pour ne pas tomber aux mains de ses ennemis. « Sur la mort de cet homme, qu’ajouterai-je d’essentiel », dit Augustin, « sinon que ses amis et même certains savants hommes le dissuadaient de commettre ce crime, jugeant qu’il témoignait de la faiblesse plutôt que de la force de l’esprit, car il ne révèle pas la noblesse d’une âme qui se protège du déshonneur, mais son incapacité à supporter l’adversité ? » {d} Sénèque loue cependant ce qu’a fait Caton, et il enseigne, dans son livre De la Providence que se donner soi-même la mort est une preuve de courage. {e} Ailleurs, il dit aussi : Si le corps est incapable de remplir ses fonctions, pourquoi ne pas délivrer une âme qui souffre ? Je bondirais hors d’un édifice délabré en train de crouler. {f} Tu parles mal, ô Sénèque ! et par ces seuls mots, tu souilles les nombreuses bonnes choses que tu as dites. Je m’étonne qu’une si lugubre sentence ait envahi le cœur d’un si grand homme, juge Pétrarque. {g} Pline le Jeune, quant à lui, dit de Corellius, qui s’est laissé mourir de faim pour se soustraire aux tortures de la maladie : C’est qu’il a été poussé à cette résolution par un motif suprême, qui, aux yeux des philosophes, tient lieu de nécessité {h} « Courir au-devant la mort en proie à quelque impulsion », ajoute-t-il, « est commun à bien des gens ; mais il appartient aux grands esprits de réfléchir mûrement aux motifs de cet élan et de les peser avec soin, et de n’obéir qu’à la raison pour prononcer ou écarter un arrêt de vie et de mort. » {i} Ailleurs, dans le même livre, il écrit d’un autre qui prit la même décision quand les médecins l’eurent jugé incurable. {j}

    Pour légitimer le crime qui les menait à se perdre eux-mêmes, les donatistes s’en rapportaient à l’exemple de Razis, qui figure dans le livre des Maccabées. {k} Saint Augustin s’en est indigné : Bien que cet homme soit loué, son acte ne l’est pas ; il nous est raconté et mis sous les yeux pour être jugé plutôt qu’imité. Et ce, non seulement selon notre propre sentence, mais selon la sainte doctrine exposée dans les Écritures, laquelle énonce : « Accepte tout ce qui t’advient, endure les vicissitudes de ton humiliation et sois patient. ” Cet homme n’a pas fait preuve de sagesse en choisissant la mort : il n’a simplement pas supporté d’endurer l’humiliation. Il est certes écrit qu’il a voulu mourir noblement et courageusement, mais était-ce sagement ? L’Écriture dit “ Tu ne tueras pas l’innocent et le juste. » Ce Razis a-t-il ou non été innocent et juste ? S’il l’a été, alors pourquoi l’estimer louable quand il a été l’assassin de l’innocent et du juste qu’il était lui-même ? {l} Il parle pareillement de Lucrèce, cette Romaine que ses concitoyens ont coutume de porter aux nues, et il dit : Qu’elle se soit elle-même donné la mort pour avoir commis l’adultère, n’est pas dévotion à la chasteté, mais faiblesse face à la honte, car elle a eu honte du crime qu’un autre a commis contre elle, quoique sans son consentement. Elle a trop craint, la fière romaine, dans sa passion pour la gloire, de laisser croire que, si elle vivait encore, ce qu’elle a souffert violemment de son vivant ne l’ait été volontairement. Elle fut soit adultère soit chaste, mais pourquoi la louer si elle fut adultère, et pourquoi s’être tuée si elle fut chaste ? {m} « Et il est injuste d’appeler grandeur d’âme cette faiblesse qui rend impuissant à supporter son propre mal ou les fautes d’autrui. Rien ne marque mieux une âme faible que de ne pouvoir se résigner à l’asservissement du corps et à la folie de l’opinion. Il y a plus de force à endurer une vie misérable qu’à la fuir, et les lueurs douteuses de l’opinion, surtout celle du vulgaire, ne doivent pas prévaloir sur les pures clartés de la conscience »]. {n}


    1. Cléombrote (Cleombrotus) d’Ambracie (port d’Épire, sur la côte adriatique de la Grèce continentale) n’est connu que pour ce fait remarquable chanté par Callimaque (poète grec du iiie s. av. J.‑C.). Tout ce qu’on sait d’autre sur ses motifs est que Platon (Phædon, chapitre ii), l’avait mentionné comme absent lors de la mort de son maître Socrate.

      Parmi bien d’autres, Montaigne en a parlé (Essais, livre ii, chapitre iii) :

      « Cleombrotus Ambraciota ayant lu le Phædon de Platon, entra en si grand appétit de la vie à venir que, sans autre occasion, il s’alla précipiter en la mer. Par où il appert combien improprement nous appelons désespoir cette dissolution volontaire, à laquelle la chaleur de l’espoir nous porte souvent, et souvent une tranquille et rassise inclination de jugement. »

      On peut se demander si c’est la honte d’avoir failli à Socrate ou le désir de connaître les délices de l’au-delà qui poussa Cléombrote à se jeter dans le vide.

    2. Diogène Laërce (livre ii, 86) a rangé Hégésias de Cyrène, philosophe grec du iiie s. av. J.‑C., parmi les disciples d’Aristippe (v. note [57], lettre 211), en le surnommant Peisithanatos, « Celui qui conseille la mort », c’est-à-dire l’apologiste du suicide.

    3. Mangot a emprunté tout le début de ce paragraphe aux Faits et paroles mémorables (livre viii, chapitre 9) de Valère Maxime (v. note [7], lettre 411). V. note [37] du Grotiana 2 pour le pharaon Ptolémée ii Philadelphe.

    4. Saint Augustin, La Cité de Dieu (v. supra note [13], notule {b}), livre i, chapitre xxiii.

      V. supra note [51], sous-notule {ix}, pour Caton d’Utique, dit le Jeune.

    5. Sénèque le Jeune, De la Providence (chapitre 3, § 4) :

      Ignominiam indicat gladiator cum inferiore componi, et scit eum sine gloria vinci qui sine periculo vincitur. Idem facit fortuna : fortissimos sibi pares quærit, quosdam fastidio transit ; contumacissimum quemque et rectissimum aggreditur, adversus quem vim suam intendat : […] experitur […] venenum in Socrate, mortem in Catone. Magnum exemplum nisi mala fortuna non invenit.

      [Le gladiateur se déshonore d’avoir en face un trop faible adversaire : il sait que tel a vaincu sans péril triomphe sans gloire. {1} Ainsi fait la Fortune : elle cherche à rivaliser avec les plus braves, et laisse avec dégoût les autres sur le bord de son chemin ; elle s’attaque aux plus opiniâtres et aux plus vertueux, et déchaîne contre eux toute sa force. Elle tente (…) le poison chez Socrate, la mort chez Caton. Ce n’est pas la mauvaise fortune qui trouve de grands exemples].

      1. Il est arrivé à Pierre Corneille d’emprunter la matière de ses plus célèbres vers (Le Cid, ii, 2).
    6. Ce sont deux extraits de la lettre lviii à Lucilius.

    7. Commentaire de Pétrarque (v. note [17], lettre 93) sur la lettre de Sénèque : De Remediiis utriusque fortunæ [Les Remèdes aux deux fortunes], chapitre 118, De voluntaria in seipsum manuum iniectione [L’assaut volontaire de soi-même par sa propre main].

    8. Lettre entièrement transcrite et traduite dans la note [48] supra (4e citation).

    9. Emprunt légèrement retouché à l’épître xxii, livre i, de Pline le Jeune.

    10. « Clou » et mort de Silius Italicus : v. la citation 1 de la note [48] supra.

    11. V. la notule {d} de la note [51] supra pour ce passage de la Bible et son commentaire par Nicolaus Serarius.

      Principalement connus par ce que saint Augustin a écrit à leur sujet, les donatistes étaient les adhérents au schisme de Donat le Grand, évêque de Cases-Noires en Numidie (actuelle ville de Négrine en Algérie) au ive s., à la suite d’une contestation sur la nomination de l’évêque de Carthage. Sans entrer dans les détails de leur opposition aux rites et aux dogmes chrétiens, certains d’entre eux, dénommés les circoncellions ou scotopistes s’adonnaient frénétiquement au brigandage et au meurtre. L’Encyclopédie parle d’eux en termes effrayants :

      « Donat les appelait les chefs des saints, et exerçait par leur moyen d’horribles vengeances. Un faux zèle de martyre les porta à se donner la mort : les uns se précipitèrent du haut des rochers, ou se jetèrent dans le feu ; d’autres se coupèrent la gorge. Les évêques ne pouvant par eux-mêmes arrêter ces excès de fureur, furent contraints d’implorer l’autorité des magistrats. On envoya des soldats dans les lieux où ils avaient coutume de se répandre les jours de marchés publics : il y en eut plusieurs de tués, que les autres honorèrent comme de vrais martyrs. Les femmes perdant leur douceur naturelle, se mirent à imiter la barbarie des circoncellions, et l’on en vit qui, sans égard pour l’état de grossesse où elles se trouvaient, se jetèrent dans des précipices. »

    12. Lettre cciv d’Augustin (série iii), écrite à Dulcitius en 420, avec références à L’Ecclésiastique, 2:4, et à L’Exode, 23:7.

    13. Augustin (La Cité de Dieu, livre i, chapitre xix) sur le suicide de la malheureuse Lucrèce (v.  note [5] du Faux Patiniana II‑4) après son viol (relaté par Tite-Live, Histoire de Rome, livre i, chapitres lvii‑lx).

    14. Ibid, chapitre xxii (avec rétablissement de mots importants que Mangot a omis, insérés entre chevrons dans son texte latin).

    Voilà donc ce que Nicolas Bourbon, au travers des nombreux auteurs qu’il citait, pensait du suicide. En 2020, pourtant, sa riche analyse étonne un médecin car il y considère principalement l’anorexie volontaire des incurables, avec une incompréhension gênée face aux maladies mentales mortelles qui ont aujourd’hui pris une place prépondérante dans ce vaste sujet, comme une, voire la préoccupation majeure de la psychiatrie : les « mélancoliques », c’est-à-dire les aliénés, ne valaient alors probablement pas la peine qu’on se préoccupât de leur sort autrement qu’en les blâmant comme coupables de crime scandaleux, haïssable et lourdement puni ; gare à qui manquait son coup ! Guy Patin en a parlé dans les mêmes termes dans quelques-unes de ses lettres et dans sa thèse de 1643 (v. supra note [51], seconde notule {b}).

    53.

    Cet article, bien plus badin que le précédent, n’en est pas moins précieux pour notre édition, car il procure une preuve indubitable que Guy Patin connaissait parfaitement le Borboniana manuscrit et l’avait en sa possession : il l’a cité partiellement (sans les vers), mais mot pour mot, dans le 4e paragraphe du mémoire, écrit de sa propre main trois ans plus tard (1641), contre les consultations charitables de Théophraste Renaudot (« Page 60… », v. ses notes [8] et [9]), pour la défense de son collègue et ami René Moreau (v. note [28], lettre 6).

    Curieusement, Tallemant des Réaux (tome i, page 370) cite le même quatrain dans son historiette sur le courtisan libertin Guillaume i de Bautru, comte de Serrant : {a}

    « La meilleure chose qu’il ait faite, c’est un impromptu {b} pour réponse à un que lui avait envoyé M. Le Clerc, intendant des finances, {c} qui était de Montreuil-Bellay. {d} Or, l’on dit en proverbe : Les clercs de Montreuil-Bellay qui boivent mieux qu’ils ne savent écrire. {e} Voici ce que c’est… » {e}


    1. V. note [15], lettre 198.

    2. Littré DLF sur impromptu : « tout ce qui est fait sur-le-champ et sans préparation. […] Lat. in, “ en ”, dans, et promptu, “ visibilité, mise dehors ”, de promere, “ étaler, faire voir ” ; in promptu veut dire “ visiblement, publiquement, aux yeux de tous ” ; in promptu aliquid facere, “ faire quelque chose sous les yeux des assistants ” ; de là la transition à faire une chose sur-le-champ, à la minute, devant vous. »

      Ce genre de pièce poétique écrite au pied levé portait le nom de silve (v. note [40] du Borboniana 6 manuscrit).

    3. Thomas ii Le Clerc, seigneur de Blicourt, n’était pas seulement « premier commis de M. de Puisieux » (Pierre Bruslart, vicomte de Puisieux, secrétaire d’État en 1606, disgracié en 1624) : {i} dans son Nobiliaire de Picardie… {ii} Jean Haudicquer de Blancourt le dit seigneur de Blicourt, dans le Beauvaisis, conseiller d’État puis intendant des finances en 1623, marié en 1607 à Suzanne le Sergent, fille de Claude, auditeur des Comptes ; Thomas ii était le 3e fils de Thomas i, seigneur du Plessis, époux de Marguerite Louchard (en 1556), avait été enseigne puis lieutenant dans le régiment de Picardie, et commissaire des guerres en 1594.

      1. V. note [8], lettre 49.

      2. Paris, Robert-Jean-Baptiste de la Caille, 1693, in‑4o de 578 pages, page 117.

    4. Montreuil-Bellay, en Anjou (Maine-et-Loire), était le chef-lieu d’une importante élection de 57 paroisses. Elle possède toujours un imposant château qui appartenait alors à Henri ii d’Orléans, duc de Longueville (v. note [22], lettre 39), beau-frère du Grand Condé et du prince de Conti. Outre Thomas Le Clerc, le médecin René Moreau y avait vu le jour (en 1587).

      Dans un article intitulé La Cérémonie de l’abbé sans l’eau à Montreuil-Bellay, {i} P. Marchegay donne cette description du lieu :

      « Montreuil-Bellay, dit Joseph Grandet {ii} dans une note manuscrite conservée parmi les papiers de M. Toussaint Grille, {iii} est une petite ville du diocèse de Poitiers, pour le spirituel, et pour le temporel, d’Anjou, ressortissant de Saumur. Il y a un prieuré de bénédictins fondé pour douze moines, réduit à huit, puis présentement à quatre, dont deux sont l’un curé, et l’autre vicaire de la paroisse ; il vaut 4 000 livres de rente et dépend de l’abbaye de Saint-Nicolas (d’Angers). Le duc de Brissac est seigneur de Montreuil-Bellay, baronnie qui vaut 11 000 à 12 000 livres de rente. Le château est assez beau et situé sur une éminence. Dans la cour du château est une magnifique chapelle, dédiée à Notre-Dame dans son Assomption, servant d’église collégiale à treize chanoines, dont les prébendes {iv} valent 300 livres, quatre enfants de chœur, un sacristain. »

      1. Revue de l’Anjou et de Maine-et-Loire, publiée sous les auspices du Conseil général du département et du Conseil municipal d’Angers, Angers, Cosnier et Lachèse, 1854, in‑8o, troisième année, tome deuxième, chapitre i, pages 81‑82.

      2. Joseph Grandet (1646-1724), prêtre d’Angers, a laissé des mémoires sur l’histoire religieuse.

      3. Toussaint Grille (1766-1850), moine augustin puis prêtre jusqu’en 1793, devint directeur de la bibliothèque municipale d’Angers et fut toute sa vie un grand collectionneur de manuscrits.

      4. V. note [6] du Borboniana 10 manuscrit.
    5. P. Marchegay a mis ce proverbe sur le dos des chanoines de Montreuil-Bellay, dans sa note (1), page 82 :

      « Avant 1626, ces chanoines, nommés par le baron, n’étaient pas très lettrés, témoin le vieil adage cité par Bruneau-Tartifume : {i} Les clercs de Montreuil-Bellay, qui boivent mieux qu’ils n’écrivent. Ce dicton était trop peu flatteur pour ne pas provoquer des protestations nombreuses. Au dernier siècle notamment un curé de Montreuil cultivait la poésie, et ses amis se gardaient bien de tenir ses œuvres secrètes. Un mauvais plaisant, auquel on les avait communiquées, décocha contre lui l’épigramme suivante, qui a été aussi recueillie par M. Toussaint Grille :

      “ Vous me demandez mon suffrage
      Sur les vers de notre curé ;
      Bien volontiers, sans persiflage,
      Mes amis, je vous le dirai :
      Ah, loin que je blesse
      le moins du monde son orgueil,
      Pour bénir l’eau, {ii} pour chanter la grand’messe,
      Vive le curé de Montreuil ! ” »

      1. Les manuscrits de Jacques Bruneau de Tartifume (1574-1636), chroniqueur d’Anjou, sont conservés à la bibliothèque d’Angers.

      2. Chaque année, depuis 1522, le dimanche de Pentecôte, en expiation d’une insulte proférée contre le seigneur du lieu, l’abbé prieur de Montreuil-Bellay offrait une pièce de vin aux habitants, puis l’un d’eux était jeté dans la rivière (et aussitôt repêché). La coutume fut abolie en 1767.
    6. Suit le quatrain de Bautru, que je n’ai pas vu imprimé ailleurs.

    54.

    « Nous avons un grand prêtre capable de compatir à nos faiblesses. »

    Abréviation de l’Épître de Paul aux Hébreux (4:15, dans la latin de la Vulgate) :

    Non enim habemus pontificem qui non possit compati infirmitatibus nostris : tentatum autem per omnia pro similitudine absque peccato.

    [Car nous n’avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout, d’une manière semblable, à l’exception du péché].

    Bontif est un vieux mot français, qui signifiait « bon, débonnaire ».

    V. notes :

    55.

    « “ La Judée, égarée par l’Esprit malin, répand que les disciples du Christ rotent le vin doux dont ils se sont soûlés. ” {a} […]

    “ Ils parlent les langues de tous les peuples ; les foules des gentils en sont saisies de stupeur ; elles croient imbibés de vin doux ceux que l’Esprit avait remplis. ” {b}

    Voyez les hymnes qu’on a coutume de chanter le jour de Pentecôte. »

    56.

    Moïse, premier prophète biblique (peut-être vers le xvie s. av. J.‑C.), auteur présumé de la Torah (cinq premiers livres de la Bible, Loi ou Pentateuque, rédigée vers le viiie s. av. J.‑C.), a fondé le judaïsme, d’où est né le christianisme, sur le Décalogue (Dix Commandements ou Loi Mosaïque), qu’il a reçu de Dieu en haut du mont Sinaï ; il est aussi reconnu par l’Islam (fondé au viie s. de notre ère) comme envoyé de Dieu. Le Borboniana s’interrogeait ici sur le rayonnement de sa religion (mosaïsme) au cours de l’Antiquité gréco-romaine : d’abord à peu près inexistant, car limité aux élus du petit peuple d’Israël, ses préceptes se sont répandus dans l’Empire romain sous la forme du christianisme, avec un zèle inépuisable à propager sa foi et ses rites.

    57.

    Notus in Iudæa Deus, in Israël magnum nomen eius [En Judée, Dieu est connu ; en Israël, grand est son nom] (Psaumes 76:2).

    58.

    Iugum enim meum suave est, et onus meum leve est [Oui, mon joug est aisé, et mon fardeau léger] (paroles de Jésus dans Matthieu 11:30).

    59.

    « ils priaient et ils pleuraient, en proclamant Jésus crucifié ».

    60.

    « […] Voyez la préface d’Érasme à More dans la Folie ; avec le commentaire de Listrius. »

    61.

    « […] Voyez Grotius de Veritate Religionis Christianæ, page 561, édition de Paris, 1640. »

    Cette page du traité de Hugo Grotius de Veritate Religionis Christianæ. Edition Nova, annotationibus in quibus testimonia [sur la Vérité de la religion chrétienne. Nouvelle édition, à laquelle ont été ajoutées des annotations contenant les preuves de ce qu’il dit] {a} correspond à la note k, livre vi, pages 198‑199 :

    Tandemque evenit, ut ubique multi essent Christiani nomine, re paucissimi.] Salvianus libro iii. de Gubernatione Dei : Præter paucissimos quosdam qui mala fugiunt, quid est aliud omnis cœtus Christianorum quam sentina vitiorum ?

    [« Et enfin, il advint que quantité de gens prirent le nom de chrétiens, mais fort peu l’étaient en fait. ») Salvianus, iiie livre de Gubernatione Dei : {b} « Hormis un fort petit nombre qui ont fui le péché, en quoi toute assemblée de chrétiens est-elle autre chose que l’égout des vices ? »]


    1. Je me suis référé à l’édition de Paris, 1640, v. note [36] du Grotiana 1.

    2. Salvianus, dit Salvien de Marseille, est un rhéteur latin et prêtre chrétien du ve s., originaire d’Allemagne. Il a écrit vers 450 ses De Gubernatione Dei, et de iusto præsentique eius iudicio libri viii [Huit livres sur le Gouvernement de Dieu, et sur son équitable et efficace jugement].

      Cette phrase se trouve à la page 85, livre iii, dans la seconde édition tirée de la bibliothèque de Pierre Pithou (Paris, Sébastien Cramoisy, 1617, in‑12 de 328 pages). Celle qui la suit est plus rude encore :

      Quorum enim quemque invenies in ecclesia non aut ebriosum, aut helluonem, aut adulterum, aut fornicatorem, aut raptoremn aut ganeonem, aut latronem, aut homicidam ? et quod his omnibus peius est, prope hæc cuncta sine fine.

      [En trouveras-tu un dans l’Église qui ne soit ou ivrogne, ou goinfre, ou adultère, ou fornicateur, ou usurpateur, ou débauché, ou voleur, ou meurtrier ? Et bien pire, chez tous ces gens, tout cela est presque sans limite !]


    62.

    « “ Toute chair a corrompu son propre passage ici-bas ” […] » (Genèse, v. note [10], lettre 752).

    Le Borboniana imprimé de 1751 a ici mis fin à son article xli (pages 281‑283), après en avoir supprimé les plus âpres passages, avec ce commentaire (note (a), page 283) :

    « Ceci est outré. L’auteur convient plus haut qu’il y a de bons chrétiens. L’Église catholique n’en a jamais manqué, et n’en manquera jamais ; et c’est aussi dans ce sens qu’on l’appelle sanctam Ecclesiam Catholicam [sainte Église catholique]. »

    63.

    « La malignité, l’injustice et l’impiété de notre temps ne souffrent pas cela, et ne méritent pas un si grand bienfait. On le traiterait indignement si, en ce rebut des siècles, il nous mettait sous les yeux ce trésor, cette gemme chrétienne. »

    Ce latin est de Nicolas Bourbon, je l’ai traduit en tenant pour pluriels (patiuntur et merentur) les verbes singuliers de la première phrase (patitur et meretur), ce qui obéissait à une règle coutumière au xviie s.

    V. notes [16], lettre 86, pour Nicolas Rigault, et [6], lettre 133, et [13], lettre 195, pour ses éditions des œuvres de Tertullien, qui avaient commencé à paraître en 1628. L’ayant recherché sans succès, je pense que son texte intitulé « La Personne du chrétien, au temps de Tertullien » est demeuré à l’état de manuscrit. Cette vaine recherche m’a mené au  :

    Bibliothecæ Thomasianæ sive locupletissimi Thesauri ex omni scientia librorum præstantissimorum rarissimorumque quos olim possedit Gottofredus Thomasius de Troschenreut et Wiedersberg. Volumen i. continens libros compactos ad Theologiam spectantes.

    [Volume i de la Bibliothèque thomasienne ou le plus riche Trésor des livres très rares et remarquables, portant sut tous les savoirs, qu’a jadi possédés Gottofredus Thomasius de Troschenreut et Wiedersberg, {a} contenant les livres reliés traitant de théologie]. {b}

    On y lit ce surprenant passage, page 425, ouvrage no 3589 : {c}

    Parum a Guid. Patini sententia absum, quam ex excerptis quibusdam Gabr. Naudæi mss intellexi : Si l’on voyait aujourd’hui un chrétien de la primitive Église, on se moqu<er>ait de lui. Nec vulgaria in hoc argumento Nic. Rigaltio deberemus, si librum, quem in bibliotheca sua prelo paratum, et character christiani ævo Tertulliani inscriptum servabat, luce donasset, quod non passam, nec tantum beneficium meritam sæculi nostri iniquitatem et impietatem Patinus ibidem existimabat.

    [Je ne suis guère éloigné du jugement de Guy Patin, que j’ai compris avoit été tiré de certains manuscrits de Gabriel Naudé : {d} « Si l’on voyait aujourd’hui un chrétien de la primitive Église, on se moquerait de lui. » Nous aurions dû à Nic. Rigault des avis peu communs sur ce sujet, s’il avait publié le livre, prêt à être imprimé, qu’il conservait dans sa bibliothèque, intitulé Character Christiani ævo Tertulliani ; et au même endroit, Patin estimait que l’injustice de notre siècle n’eût pas souffert cela, ni mérité un si grand bienfait]. {e}


    1. Le médecin et bibliophile allemand Gottfried Thomasius von Troschenreuth und Wiedersberg (Leipzig 1660-Nuremberg 1746).

    2. Nuremberg, Wolfg. Schwartzkoffius, 1765, in‑8o de 649 pages contenant une liste de 6 118 ouvrages, compilée et annotée par Georg Wolfgang Panzer.

    3. Dans la section consacrée à l’histoire ecclésiastique, sur un ouvrage de Gottfr. Arnolds, intitulé Abblidung der ersten Christen [Représentation des premiers chrétiens] (Altona, 1722).

    4. Sic pour Nicolas Bourbon.

    5. On pourrait en conclure que Panzer avait eu accès à une copie du Borboniana manuscrit (car le commentaire attribué à Patin ne figure pas dans le Borboniana imprimé en 1751), mais il se réfère à une source, Io. Diecman. opusc. German. p. 557, dont j’ai identifié l’auteur (Johann Diecmann, 1647-1720) mais non l’ouvrage.

      Il est surtout distrayant de voir que ne date pas d’aujourd’hui la liberté d’attribuer à Patin, les yeux fermés, des propos qui sont dans ses ana.


    64.

    « “ Tertullien se glorifiait jadis, devant les Césars, que parmi les Cassius, les Niger, les Albinus, les Sigerius, les Parthenius, qui avaient tué des empereurs, il ne s’en soit trouvé aucun qui fût chrétien. {a} En ce temps-là, pourtant, il ne manquait pas de prétexte à faire valoir les attentats contre les chrétiens, et ils ont supporté les plus cruels tyrans de leur Église, qui étaient souvent eux-mêmes ennemis de leur propre patrie et propre famille. Ils n’ont manqué ni de courage ni d’audace pour être torturés au nom de leur religion, jusqu’à mourir, pour les plus résolus d’entre eux. Sincèrement et profondément plantée dans les esprits chrétiens, la fidélité à la loi divine s’épanouissait pourtant, et ceux qui avaient en tête les préceptes apostoliques ne savaient ni ergoter, ni chicaner, ni tricher. Ils honoraient de leur respect, de leurs bons offices, de leur obéissance, le pouvoir, les magistrats, les princes qu’il avait plu à Dieu de mettre en place. Ils jugeaient qu’oser quoi que ce fût à son encontre, par complot ou par force, était en soi le pire des méfaits ” ; et autres propos remarquables que tient Rigault dans son Apologeticus, page 66. » {b}


    1. Apologétique de Tertullien, chapitre xxxv, § 9 :

      Unde Cassii et Nigri et Albini ? Unde qui inter duas laurus obsident Caesarem ? Unde qui faucibus eius exprimendis palæstricam exercent ? Unde qui armati palatium irrumpunt, omnibus tot Sigeriis atque Partheniis audaciores ? De Romanis, nisi fallor, id est de non Christianis.

      [D’où sont donc sortis les Cassius, les Niger, les Albinus ? Ceux qui assassinent leur prince entre deux bosquets de laurier ; ceux qui s’exercent dans les gymnases, pour les étrangler habilement ; ceux qui forcent le palais à main armée, plus audacieux que les Sigerius et les Parthenius ? Si je ne me trompe, tous ces gens-là étaient romains, c’est-à-dire non chrétiens].

      Cassius pourrait être Avidius Cassius, mort en 175, après avoir passé sa vie à comploter contre plusieurs empereurs, mais sans en avoir tué aucun ; de même pour Pescennius Niger et Clodius Albinus, qui disputèrent tour à tour sans succès le pouvoir impérial à Septime Sévère dans les années 190. Les affranchis Sigerius et Parthenius ont participé au meurtre de Domitien en l’an 96.

    2. La citation qui précède (entre guillemets anglais) figure mot pour mot à la page 16, chapitre viii, {i} de l’ouvrage intitulé :

      Apologeticus pro rege Christianissimo Ludovico xiii. adversus factiosæ Admonitionis calumnias, in causa Principum federatorum. Auctore Nicolao Rigaltio.

      [Apologétique en faveur du roi très-chrétien Louis xiii rejetant les calomnies d’une Admonition factieuse contre la cause des princes alliés. Par Nicolas Rigault]. {ii}

      1. Il n’existe pas de « page 66 » dans ce petit livre, dont le chapitre viii est intitulé :

        Rex salva religionis ; Catholicæ conscientiæ Rætis auxilia misit. Non licuit Vallis Telinæ populis Catholicis arma adversus Rætos capere. Principum in subditos jura religione non mutantur. Exemplum veterum Christianorum

        [Roi, viens au secours de la religion ! Par conscience catholique, il a envoyé des secours aux Grisons. {1} Il n’a pas permis aux habitants catholiques de Valteline {2} de prendre les armes contre les Grisons. La religion ne modifie pas les droits des princes sur leurs sujets. L’exemple des anciens chrétiens].

        1. V. note [28], lettre 240.

        2. V. note [7], lettre 29.

      2. Paris, Josephus Boüillerot, 1628, in‑4o de 32 pages.

    65.

    « a toujours été de douteuse vertu ».


    Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Ana de Guy Patin : Borboniana 7 manuscrit

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    (Consulté le 28/03/2024)

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