Autres écrits
Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-1  >

Pages 1‑50 [1]


1.

« Le cœur pense, le poumon parle, le fiel agite les colères, la rate fait rire, le foie incite à aimer. »

Évrard de Béthune (Ebrardus Bethuniensis), grammairien flamand du xiiie s., semble être la source de cette citation, qui se lit dans son ouvrage intitulé Græcismus [Hellénisme]. Dans l’édition latine de Johann Wrobel, {a} ce sont les vers 106‑107, page 186 du chapitre xix, De verbis mixtis [Les mots mixtes]. La seule variante est l’emploi du mot iram [la colère] pour iras [les colères].

Alstedius (Johann Heinrich Alsted), qui n’était pas médecin, cite ce distique dans son Encyclopædia, {b} livre xiii, Physicæ Pars vi [6e partie de l’Histoire naturelle], chapitre vi, De hominis essentia [L’essence de l’homme], Regula xviii. Anatomia infimi ventris [Règle xviii. Anatomie de l’abdomen] (volume 2, page 183).


  1. Breslau (Wroclaw), Guilelmus Koebnerus, 1887, in‑8o de 319 pages.

  2. Lyon, 1649, v. note [11], lettre 203.

Le commentaire attribué à Guy Patin est plausible car il possédait ce livre et a dédaigné les compétences médicales de son auteur dans sa lettre du 6 mars 1650 (note [6]) : « aussitôt vous admirerez l’impertinence de ceux qui se mêlent d’un métier qu’ils n’entendent point. »

V. notes :

2.

« La fille de Cujas avait vu que les immenses travaux de son père lui valaient une éternelle gloire. Ne pouvant égaler un si éminent géniteur en intelligence, elle a fait comme elle a pu avec son corps. »

V. notes [49] et [50] du Patiniana I‑4 pour la mauvaise réputation de Suzanne Cujas, fille du très éminent Jacques i Cujas, pour ce quatrain latin (attribué à Edmond Mérille) et pour l’anecdote de l’horoscope. Antoine Teissier, compilateur et annotateur des Éloges de Jacques-Auguste i de Thou (Leyde, 1715, v. note [12] du Faux Patiniana II‑2), a repris tout cela, mais ne peut pas avoir inspiré L’Esprit de Guy Patin car, au moment de sa rédaction (1709), ces détails ne figuraient pas dans les seules éditions disponibles des Éloges (Genève, 1683, Utrecht, 1698). Comme celle-ci, les nombreuses références masquées à Teissier que contient L’Esprit de Guy Patin mènent à se demander s’il n’y a pas lui-même mis la main.

Le Borboniana 2 manuscrit (v. sa notes [63]) a détaillé les trois mariages consécutifs de Suzanne Cujas.

Je n’ai pas identifié « Q.N. ».

3.

Une plus longue citation de Cicéron précise son propos au sujet des récits historiques (Lettres familières, livre v, xii, avec mise en exergue du passage cité) :

Nihil est enim aptius ad delectationem lectoris quam temporum varietates fortunæque vicissitudines : quæ etsi nobis optabiles in experiendo non fuerunt, in legendo tamen erunt iucundæ, habet enim præteriti doloris secura recordatio delectationem.

[Rien n’est en effet plus propre à la volupté du lecteur que les caprices du temps et les vicissitudes de la fortune : bien qu’il eût mieux valu pour nous n’en avoir pas fait l’expérience, la lecture lui en sera agréable, car la réminiscence des peines passées procure une rassurante délectation].

4.

Jacques de Cailly (1604-1673), seigneur de Reuilly et de La Mothe-Crécy, originaire d’Orléans, était gentilhomme ordinaire du roi, chevalier de l’Ordre de Saint-Michel. Il s’est fait connaître par ses épigrammes, publiées sous son anagramme dans le Nouveau recueil de diverses poésies du chevalier d’Aceilly (Paris, Michel Brunet, 1671, in‑12 de 228 pages, soit un an avant la mort de Guy Patin). Le distique que citait l’éditeur de L’Esprit de Guy Patin y figure, intitulé D’un Homme de mauvais entretien, et de bonne chère (page 62).

Guy Patin aurait appelé « notre ami G. » celui qui supportait l’ennuyeuse conversation de « C.R.C.H.E. » pour profiter de son excellente table. S’il est bien la source de cet article, je me hasarde à proposer que « G. » était Gabriel Naudé, grand ami de Patin, et « C.R.C.H.E. », le cardinal de Richelieu, car ils ont entretenu d’étroites relations : Naudé aurait pu être l’agent du cardinal en Italie (v. note [7] du Naudæana 3), il fut son bibliothécaire pendant quelque mois en 1642 (v. note [9], lettre 3), et le ministre le sollicita pour arbitrer en 1641 la querelle sur l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ (v. note [35], lettre 243).

5.

6.

Vitruve, Marcus Vitruvius Pollio, fameux architecte et ingénieur romain du ier s. av. J.‑C., est auteur des De Architectura libri decem [Dix livres d’Architecture], dont Guy Patin aurait pu lire une des nombreuses éditions latines (mais sans en avoir jamais parlé dans les lettres que nous avons de lui). Claude Perrault les a traduits, commentés et illustrés. {a} Patin n’a pas eu accès à cet ouvrage, mais j’ai emprunté à Perrault la traduction du passage qu’il citait sur la description d’Halicarnasse, fondée par le roi Mausole {b} (livre ii, chapitre viii, pages 43‑44) :

« En la pointe droite de la colline, il bâtit le temple de Vénus et de Mercure auprès de la fontaine de Salmacis, qu’on dit rendre malades d’amour ceux qui boivent de son eau : {c} ce qui est une chose si peu vraie qu’elle mérite bien d’être expliquée afin qu’on sache pourquoi cette fausse opinion s’est répandue dans le monde.

Il est certain que ce qu’on dit de la force que cette fontaine a pour rendre efféminés ceux qui en boivent n’est fondée que sur ce que son eau est fort claire et fort agréable à boire, car lorsque Mélas et Arénavias menèrent une partie des habitants de la ville d’Argos et de Træsène pour habiter en ce lieu, ils en chassèrent les Barbares cariens et lélègues {d} qui, s’étant retirés dans les montagnes, se mirent à faire des courses sur les Grecs et à ravager tout le pays par leurs brigandages. En ce temps-là, un des habitants ayant reconnu la bonté de cette fontaine, y bâtit une loge, dont il fit un cabaret garni de tout ce qui était nécessaire, espérant y faire quelque gain ; et en effet, il réussit si bien en son exercice que les Barbares y vinrent comme les autres, et s’accoutumèrent, en vivant avec les Grecs, à la douceur de leurs mœurs, et changèrent leur naturel farouche volontairement et sans contrainte. De sorte que ce qu’on dit de la vertu de cette eau ne se doit point entendre de la mollesse dont elle corrompe {e} les âmes, mais de la douceur qui a été inspirée dans celles des Barbares à cette occasion. » {f}


  1. Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1673, in‑fo de 325 pages ; v. note [6], lettre 698, pour Claude Perrault, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris (en 1642) et fameux architecte français du xviie s.

  2. Halicarnasse était un port de la mer Égée en Carie (actuelle Anatolie). V. notule {a}, note [45] du Faux Patiniana II‑3, pour le roi Mausole.

  3. Salmacis (L’Encyclopédie) est le « nom d’une Nymphe tellement amoureuse d’Hermaphrodite [v. note [2] du Naudæna 3], fils de Mercure et de Vénus, que l’ayant surpris comme il se baignait dans une fontaine de Carie, elle se jeta dedans et en l’embrassant étroitement, elle pria les dieux de les unir pour jamais. Sa prière fut exaucée, leurs deux corps n’en firent plus qu’un, où était néanmoins conservé le sexe de l’un et de l’autre. La fable ajoute que depuis cette fontaine située près d’Halicarnasse fut nommée Salmacis, et que tous ceux qui s’y baignaient devenaient efféminés. »

  4. Mélas était un des Argonautes (v. notule {b} de la triade 82, note [41] du Borboniana 11 manuscrit) venus d’Argos et de Træsène, dans le Péloponnèse, pour coloniser la Carie. Arénavias était probablement un autre membre de l’expédition. Lélègues et Cariens étaient les aborigènes (Barbares) qui peuplaient cette contrée.

  5. Sic pour corromprait.

  6. Libre traduction du passage latin cité par L’Esprit de Guy Patin, qu’on peut rendre plus littéralement par : « Cette eau ne s’est pas acquis telle réputation par quelque impudique et malsaine corruption, mais parce que la douceur de l’amabilité a attendri les esprits des Barbares. »

Je n’ai pas identifié celui que Guy Patin aurait ici qualifié de « médecin nouveau » et « grand mythologiste » (spécialiste des fables antiques).

7.

« Non parce qu’il prend la cire, mais à cause du chevet {a} de l’église dont il assurait l’entretien et la garde. » {b}


  1. L’étymologie latine du mot « chevet » est sujette à deux interprétations :

    1. capitium, ouverture du vêtement romain antique par laquelle on passait la tête, est l’explication retenue par Le Grand Robert, qui aboutit à l’ablatif singulier, capitio, ici employé par L’Esprit de Guy Patin ;

    2. Gilles Ménage (suivi par Littré DLF) a opté pour capetum, « diminutif de capo, qu’on a dit pour caput [tête] » (Origines de la langue française, Paris, 1650, page 214).

    Furetière a habilement combiné les deux en définissant chevet comme un « oreiller long et rond rempli de plume, sur lequel on met la tête quand on est couché ; on l’appelle autrement traversin ; on dérive ce mot de capitium, ou caput lecti [tête de lit], ou plutôt de chef [caput]. »

  2. Une édition plus tardive des Origines de Ménage {i} définit ainsi chévecier, page 192 (sic pour chevecier dans Furetière ou Littré DLF) :

    « Dignité ecclésiastique. C’est celui qui a soin du chevet de l’église, c’est-à-dire du fond de l’église, depuis l’endroit où la clôture commence à tourner en rond. Comme les chéveciers en plusieurs églises ont soin du luminaire, et qu’ils prennent le reste de la cire qu’on emploie dans ces églises, plusieurs ont cru que capicerius, qui est le mot latin dont on a appelé le chévecier, avait été fait a capienda cera ; {ii} mais il a été fait de caput capitis, {iii} capitium, capicium, capiciarius, capicerius. »

    Furetière (1690) a donné un autre avis sur chevecier :

    « Celui qui est le chef, qui a la première dignité dans plusieurs églises collégiales. C’est la même chose que ce qu’on appelle trésorier en d’autres, parce qu’il garde le trésor de l’église, qui sont les chefs {iv} et reliques des saints. Meursius et Vossius {v} l’ont appellé capicerius, a capiendis ceris. {ii} En beaucoup d’endroits on l’appelle luminier, parce qu’il a soin du luminaire de l’église. »

    1. Paris, Jean Anisson, 1694, in‑4o.

    2. De celui qui prend la cire [cera] ou les cires [ceris] (des cierges).

    3. Chef de la tête.

    4. Têtes (crânes).

    5. V. notes [9], lettre 443, pour Jan Van Meurs, et [20], lettre 352, pour l’Etimologicon de Gerardus Johannes Vossius (Amsterdam, 1662).

    Ces deux références lexicographiques viennent d’éditions postérieures à la mort de Patin et, plutôt que sa conversation, me semblent avoir inspiré les rédacteurs du Patininana.


8.

Raphaël Trichet du Fresne (Bordeaux 1611-Paris 1661), littérateur et collectionneur (de livres, de médailles), a été bibliothécaire de Christine de Suède en 1653, à la suite de Gabriel Naudé (v. note [36], lettre 301). Trichet est auteur d’une Brève Histoire de l’institution de toutes les religions. Avec leurs habits gravés par Odoard Fialetti, Bolonnais (Paris, Adrien Menier, 1658, in‑4o en deux parties de 45 et 72 pages), utile répertoire franco-italien illustré des principaux ordres monastiques du xviie s.

Le pied mesurait 32,4 centimètres et la toise valait 6 pieds (1,95 mètre) ; une toise carrée équivalait donc à quelque 3,8 mètres carrés. L’empan, distance qui va de l’extrémité du pouce à celle de l’auriculaire, tenus en extension, valait trois quarts de pied (24,3 centimètres), sans les bâtonnets que Naudé dissimulait dans ses gants. Pour la vente des livres en lots, seule comptait la quantité.

L’article n’a de sens que si l’on entend Guy Patin par « cet auteur ».

9.

V. notes :

Cabus est « l’épithète {a} des choux qu’on appelle autrement pommés. On le dit aussi des laitues, quand elles sont transplantées et crues en pommes. Rabelais feint que ce fut d’une sueur de Jupiter que naquirent les choux cabus. {b} Ce mot vient de capitatus, ou bien de caputus {c}, selon Ménage » (Furetière).


  1. Opposée à frisé.

  2. Hilarant prologue du Quart Livre où Rabelais imagine la peine que Jupiter rencontra pour régler un différend entre un chien et un renard :

    « Les destins étaient contradictoires. La vérité, la fin, l’effet de deux contradictions ensemble fut déclarée impossible en nature. Vous en suâtes d’ahan [de fatigue]. De votre sueur tombant en terre naquirent les choux cabus. »

  3. En forme de tête : en lien avec cet étymon, Ménage écrivait « cabuts ».

Les rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin ont probablement tiré cette anecdote du Dictionnaire de Louis Moréri, qui la rapporte à la fin de son article sur Commynes (Amsterdam, 1698, tome 2, page 227).

10.

Histoire des grands chemins de l’Empire romain, contenant l’origine, progrès et étendue quasi incroyable des chemins militaires, pavés depuis la ville de Rome jusqu’aux extrémités de son Empire. Où se voit la grandeur et la puissance incomparable des Romains ; ensemble, l’éclaircissement de l’Itinéraire d’Antonin et de la Carte de Peutinger. Par Nicolas Bergier, {a} avocat au siège présidial de Reims, {a} livre i, chapitre xxiii, De la troisième nature de deniers employés aux ouvrages des grands chemins par les particuliers (§ 5, page 87) :

« La seconde manière de deniers gratuits consistait en dons et libéralités de certaines sommes que quelques-uns mettaient aux mains des commissaires ou des questeurs qui avaient charge de fournir aux frais des ouvrages des grands chemins. Nous en avons un exemple en une inscription antique, que Rosinus dit être en la ville de Rome, et Gruterus, en la ville d’Assise en Ombrie, {c} par laquelle on voit qu’un médecin nommé P. Decimius. L. Heros. Merula, autrefois de servile condition, et un chirurgien oculiste, nommé Clinicus, font de grands dons au public, savoir : le médecin, de cinquante mille sesterces, d’une part, qui sont trois mille cinq cents livres de notre monnaie, et de trois cent mille sesterces, d’autre, qui valent xxj. mille livres, pour faire poser des statues au temple d’Hercule ; et le chirurgien donne au public deux mille sesterces d’une part, valant soixante et dix mille livres, en reconnaissance de la dignité de sévirat {d} dont il avait été honoré, et trois cent sept mille sesterces d’autre, pour être employés au pavement des grands chemins. C’est le vrai sens de la présente inscription :

p. decimius. p.l. eros
merula. medicus
clinicus chirurgus
ocularius vi. vir
hic pro libertate dedit h..s
Iↄↄↄ
hic pro seviratu in remp.
dedit h..s
o-o o-o
hic in statuas ponendas in
aedem herculis dedit h..s

hic in vias sternendas in
publicum dedit h..s
 Iↄↄ o-o
hic pridie quam mortuus est
reliquit patrimonii
h..s
o-o . » {e}


  1. Nicolas Bergier (1567-1623).

  2. Paris, C. Morel, 1622, in‑4o de 856 pages, avec joli frontispice.

  3. V. notes [8], lettre d’Adolf Vorst, datée du 4 septembre 1661, pour Joannes Rosinus, et [9], lettre 117, pour Janus Gruterus.

  4. Le sévirat, seviratus ou sexviratus, était chez les anciens Romains la dignité de sévir (sevir augustalis ou sex vir, vi. vir), attribuée chaque année à six affranchis de haut mérite.

  5. « P. Decimius P.L. Eros Merula, médecin clinique, chirurgien oculiste, sévir, a donné : 700 sesterces pour sa liberté ; 2 000 sesterces à la république pour son sévirat ; 30 000 sesterces pour mettre des statues dans le temple d’Hercule ; 30 850 sesterces au public pour paver les routes. La veille de sa mort, il a laissé un patrimoine de 700 000 sesterces. »

    h..s désigne le grand sesterce qui en valait mille petits et était estimé équivalent à environ 95 livres tournois. Les sommes varient selon l’interprétation des symboles romains : j’ai choisi celle qui m’a paru la plus plausible, soit 350 pour o-o, et 10 000 pour  (avec mes excuses aux lecteurs dont le navigateur internet n’affiche pas correctement les caractères que j’ai utilisés).

    Quoi qu’il en soit, Guy Patin (ou le rédacteur de son Esprit) avait raison de fustiger Bergier, car cette inscription n’attribue pas les donations à deux personnes distinctes, mais à une seule, le dénommé P. Decimius P.L. Eros Merula, qui se targuait de quatre titres :

    1. affranchi {i} qui conservait son double nom, celui de son ancien maître, P. Decimius, et celui qu’il portait étant esclave, Eros Merula ;

    2. médecin clinique, {ii} aujourd’hui qualifié de clinicien, c’est-à-dire exerçant au chevet {iii} du patient ; clinicus désignait également le malade alité et le croque-mort ; l’histoire ecclésiastique a aussi appelé cliniques « ceux qui reçoivent le baptême au lit de la mort » (Trévoux) ;

    3. chirurgien oculiste, {iv} c’est-à-dire opérant les yeux ; {v} mais Bergier, qui était juriste, s’est grossièrement mépris en parlant d’un « chirurgien oculiste, dénommé Clinicus » ;

    4. et sévir. {vi}

      1. P.L., P. liberatus, « affranchi de ou par P. [Decimius] ».

      2. Medicus clinicus.

      3. Ou au lit, klinê en grec.

      4. Chirurgus ocularius.

      5. V. note [8], lettre 387, pour l’exemple de François Thévenin.

      6. Sex vir, v. supra notule {b}.

11.

L’Esprit de Guy Patin relevait ici les propos contradictoires de deux auteurs grecs de l’Antiquité.

  1. Strabon, {a} Géographie, livre xiii‑1, chapitre 54 (traduction d’Amédée Tardieu, 1909) :

    « On sait, en effet, qu’Aristote, en laissant à Théophraste son école, {b} lui avait laissé tous ses livres ; or il avait été le premier, à notre connaissance, à faire ce qu’on appelle une collection de livres, en même temps qu’il donnait aux rois d’Égypte l’idée de former leur bibliothèque. Des mains de Théophraste, ladite collection passa à celles de Nélée, qui, l’ayant transportée à Scepsis, {c} la laissa à ses héritiers ; mais ceux-ci étaient des gens grossiers, illettrés, qui se contentèrent de la garder enfermée, sans prendre la peine de la ranger. Ils se hâtèrent même, quand ils apprirent avec quel zèle les princes de la famille des Attales, dans le royaume desquels Scepsis était comprise, faisaient chercher les livres de toute nature pour en composer la bibliothèque de Pergame, de creuser un trou en terre et d’y cacher leur trésor. Aussi ces livres étaient-ils tout gâtés par l’humidité et tout mangés aux vers, quand plus tard les descendants de Nélée vendirent à Apellicôn de Téos, {d} pour une somme considérable, la collection d’Aristote, augmentée de celle de Théophraste. »


    1. Au ier s. av. J.‑C., v. note [5], lettre 977.

    2. V. notes [15], lettre 80, pour Aristote (ive s. av. J.‑C.), et [7], lettre 115, pour Théophraste d’Érèse, son neveu et disciple.

    3. Nélée de Scepsis (en Mysie), philosophe grec, fut disciple et héritier d’Aristote et de Théophraste.

    4. Apellicôn de Téos (en Ionie, près d’Éphèse), bibliophile grec du iie s. av. J.‑C., établit une bibliothèque à Athènes, que Sylla (v. note [14] du Bornoniana 5 manuscrit) transporta à Rome.

  2. Athénée de Naucratis, {a} Déipnosophistes (Banquet des sages), livre i, chapitre 4 (traduction de M. Lefebvre de Villebrune, 1889) :

    « Larensius {b} avait un si grand nombre d’anciens livres grecs qu’on ne peut mettre en parallèle avec lui aucun de ceux qui ont pris tant de peine pour former les plus fameuses bibliothèques de l’Antiquité, tels que Polycrate de Samos, Pisistrate, tyran d’Athènes, {c} Euclide l’Athénien, Nicocrate de Chypre, les rois de Pergame, le poète Euripide, {d} le philosophe Aristote, Théophraste, Nélée, qui devint possesseur des bibliothèques de ces deux derniers, et dont les descendants les vendirent à Ptolémée Philadelphe, {e} roi de ma patrie, dit Athénée. {f} Ce prince les fit transporter dans sa belle bibliothèque d’Alexandrie, {g} avec les livres qu’il acheta à Rhodes et à Athènes. Ainsi nous pouvons appliquer à Larensius ces deux vers d’Antiphane : “ Il est sans cesse avec les Muses et les livres ; car c’est là qu’on doit chercher le vrai but de la sagesse. ” Ou l’on dirait de lui avec Pindare : “ Il goûtait autant de plaisir dans le parterre des Muses, que nous à nous divertir souvent à une bonne table avec nos amis. ” » {h}


    1. Au ieriie s. de notre ère, v. note [17], lettre de Charles Spon, datée du 6 avril 1657.

    2. Le riche et érudit hôte romain, fictif ou réel, du banquet décrit par Athénée.

    3. Polycrate, tyran de l’île de Samos au vie s. av. J.‑C., était contemporain de Pisistrate, tyran d’Athènes.

    4. Euclide (Ευκλειδης) fut archonte d’Athènes au tout début du ive s. av. J.‑C. Aucun des commentateurs d’Athénée que j’ai consultés n’a identifié Nicocrate (Νικοκρατης) de Chypre. V. note [16], lettre 290 pour Euripide (ve s. av. J.‑C.).

    5. Pharaon du iiie s. av. J.‑C., v. note [37] du Grotiana 2.

    6. Athénée relate une conversation de table à laquelle il participe et parle de lui à la troisième personne.

    7. V. note [9], lettre 453.

    8. V. note [3], lettre 530, pour Pindare, poète grec du ve s. av. J.‑C.

Voilà deux citations qui auraient pu faire le miel de Guy Patin, grand bibliomane fort imbu de sa riche bibliothèque. Cet article du Faux Patiniana ne vient pourtant pas de lui. Sa substance se lit dans la note D de Bayle sur le grammairien grec Tyrannion (édition de Bâle, 1702, tome 3, page 2895) :

« Voilà deux choses en quoi Athénée est contraire à Strabon. Ce dernier assure qu’Aristote est le premier qui ait fait une bibliothèque, et qu’il enseigna aux rois d’Égypte l’art d’en dresser une. Athénée nomme bien des gens qui ont amassé beaucoup de livres avant Aristote. »

12.

« Ce qui est surtout curieux et digne de remarque, c’est qu’on admire plus que les productions terminées les derniers morceaux des artistes, ceux mêmes qu’ils ont laissés imparfaits, comme l’Iris d’Aristide, les Tyndarides de Nicomaque, la Médée de Timomaque, et ce tableau d’Apelle dont nous avons déjà parlé, la Vénus. »

V. notes :

13.

Notice d’Émile Littré (Littré Pli, Artistes cités par Pline, volume 2, page 589), à propos de Timomaque (Timomachus) :

« Peintre de Byzance, {a} vécut du temps du dictateur César, {b} pour qui il peignit Ajax et Médée. César plaça ces tableaux dans le temple de Venus Genitrix ; il les avait payés quatre-vingts talents (393 600 francs). Timomachus avait fait plusieurs autres tableaux ; mais celui qui passait pour son chef-d’œuvre était la Gorgonne. » {c}


  1. Alors future Constantinople, v. note [5], lettre 578.

  2. Jules César (ier s. av. J.‑C., v. note [18], lettre 34).

  3. Ce passage est dans le même livre xxxv de Pline (v. supra note [12]) : Littré Pli, volume 2, page 484.

L’« entretien des curieux » est à comprendre comme la dépense (premier sens du mot « entretien » donné par Furetière) qu’ils engageaient pour orner leur « cabinet de curiosité » (musée privé), en prenant parfois de « mauvais morceaux » pour de « précieux ornements ». V. note [8], lettre 261, pour une description de l’étude (la bibliothèque) de Guy Patin, et les tableaux et gravures qui le décoraient ; ces ornements étaient peu somptueux, mais ses milliers de livres en faisaient la principale richesse.

Toutefois, le contenu (à la livre tournois près) et la morale de cet article ne viennent pas de l’« esprit » de Patin, mais bel et bien de l’article du Dictionnaire de Pierre Bayle sur Timomaque (édition de Bâle, 1702, tome 3, page 2892).

14.

Sénèque le Jeune (v. note [2], lettre 64), Agamemnon, acte ii, vers 240‑243 (avec mise en exergue du vers cité) :

referamur illuc, unde non decuit prius
abire ; vel nunc casta repetatur fides,
nam sera numquam est ad bonos mores via :

quem pœnitet peccasse pæne est innocens.

[Revenons-en donc à ce dont nous n’aurions pas dû nous écarter ; retrouvons maintenant une irréprochable fidélité ; il n’est jamais trop tard pour reprendre le chemin de la bonne conduite : qui se repent d’avoir fauté est presque innocent].

« Monsieur D.M. » n’est ici qu’un leurre. Je ne crois plus du tout au hasard (v. supra notes [11] et [13]) quand je lis la même citation de Sénèque dans l’article que Pierre Bayle consacre à Prudence (v. note [59] du Grotiana 2) : il l’emploie pour philosopher sur ce poète chrétien qui s’est publiquement repenti de ses débauches de jeunesse (édition de Bâle, 1702, tome 3, page 2517, notule b, note D).

15.

V. notes :

De sinistre mémoire, le gibet de Monfaucon s’élevait sur la colline homonyme, au nord-est de Paris, hors les murs, près de l’actuelle place du Colonel-Fabien (à la limite des actuels xe et xixe arrondissements). Y étaient édifiées à demeure les monumentales « fourches de la grande justice » de la ville.

L’affaire dont parlait ici L’Esprit de Guy Patin fit grand bruit et a laissé d’abondantes traces dans les chroniques. Le Tableau historique et pittoresque de Paris, depuis les Gaulois jusqu’à nos jours {a} en a donné un bon résumé en commentant la description d’une sépulture qui était dans l’église des Mathurins (tome troisième, deuxième partie, pages 639‑641) :

« Sur la droite du cloître de cette maison, à côté d’une petite statue de la Vierge, on trouvait une tombe plate sur laquelle étaient représentés deux hommes enveloppés dans des suaires. Autour de la tombe était gravée l’épitaphe suivante :

Hic subtus Jacent Leodegarus du Moussel de Normania, et Olivarius Bourgeois de Britannia oriundi, clerici scholares, quondam ducti ad justitiam sæcularem, ubi obierunt, restituti honorifice, et hic sepulti. Anno Domini 1408. die 16. mensis Maii. » {b}

Saint-Victor y a ajouté cette note :

« Sur une table de bronze encastrée dans la muraille, une inscription française, gravée en relief, offrait ce qui suit :

“ Ci-dessous gisent Léger du Moussel et Olivier Bourgeois, jadis clercs-écoliers, étudiants en l’Université de Paris, exécutés à la justice du roi Notre Sire, {c} par le prévôt de Paris, l’an 1407, le vingt-sixième jour d’octobre, pour certains cas {d} à eux imposés ; lesquels, à la poursuite de l’Université, furent restitués et amenés au parvis Notre-Dame, et rendus à l’évêque de Paris, comme clercs, et au recteur {e} et député de l’Université, comme suppôts d’icelle, à très grande solennité, et de là, en ce lieu furent amenés pour être mis en sépulture, l’an 1408, le seizième jour de mai ; et furent lesdits prévôt et son lieutenant démis de leurs offices, à ladite poursuite, comme plus à plein appert par lettres patentes et instruments sur ce cas. {f} Priez Dieu qu’il leur pardonne leurs péchés. Amen. ”

Ces deux écoliers étaient coupables de meurtres et de vols sur le grand chemin. Le prévôt de Paris, Guillaume de Tignonville, {g} les fit arrêter. L’Université les réclama, prétendant que cette affaire devait être portée devant la justice ecclésiastique. Le prévôt, sans s’embarrasser de ces oppositions, fit pendre les deux criminels. L’Université cessa aussitôt tous ses exercices, et pendant plus de quatre mois il n’y eut dans Paris ni leçons ni sermons, pas même le jour de Pâques. Comme le Conseil du roi ne se laissait point ébranler, elle protesta qu’elle abandonnerait le royaume et irait s’établir dans les pays étrangers, où l’on respecterait ses privilèges : cette menace fit impression. Le prévôt fut condamné à détacher du gibet les deux écoliers. Après les avoir baisés sur la bouche, il les fit mettre sur un chariot couvert de drap noir et marcha à la suite, accompagné de ses sergents et archers, des curés de Paris et des religieux. Ils furent ainsi conduits comme le dit l’inscription : d’abord au parvis Notre-Dame, où le recteur les reçut de ses mains et les fit inhumer honorablement. {h} Le prévôt de Paris fut destitué de sa charge ; mais ayant été nommé par le roi premier président de la Chambre des comptes, moyennant le pardon qu’il vint demander à l’Université, il obtint qu’elle ne s’opposerait point à son installation. »


  1. Par Jacques-Maximilien Benjamin Bins de Saint-Victor (1772-1858), Paris, Librairie classique-élémentaire, 1824, 8 volumes in‑8o.

  2. « Sous cette dalle gisent Léger du Moussel, natif de Normandie, et Olivier Bourgeois, natif de Bretagne, clercs-écoliers, jadis traduits devant la justice séculière, qui les a exécutés, puis honorablement réhabilités et ici inhumés. Le 16 mai 1408. »

  3. Charles vi.

  4. Délits.

  5. V. note [3], lettre 595.

  6. Autrement dit : « comme en témoignent plus amplement les lettres patentes et actes authentiques sur cette affaire. »

  7. Guillaume de Tignonville, mort en 1414, a été prévôt de Paris de 1401 à 1408, puis président de la Chambre des comptes. Il s’est aussi illustré en littérature au travers de quelques ouvrages poétiques et philosophiques ({BnF Data).

  8. L’attachement de l’Université à ses droits et prérogatives, qui en faisait une institution ecclésiastique, allait, uniquement pour la forme, jusqu’à « faire grève » et à rendre les honneurs à deux de ses écoliers criminels que la justice séculière (c’est-à-dire royale) avait condamnés et pendus, en humiliant sévèrement le magistrat qui avait prononcé la sentence.

La teneur de cet article s’accorde bien avec les ergots sur lesquels Guy Patin se dressait chaque fois que l’honneur et les prérogatives intouchables de l’Université parisienne étaient mis en question.

16.

Cette plaisante anecdote m’a conduit à deux articles des Éloges d’Antoine Tessier {a} sur d’insignes admirateurs italiens de Cicéron au xvie s.

  1. Le latiniste italien Marcantonio Majoragio {b} n’était pas cardinal et son vrai nom était Antonio Maria Conte (tome premier, pages 237‑238) :

    « Majoragio garda le nom d’Antoine Marie le Comte jusqu’à ce qu’il fût professeur à Milan et qu’il eût mis au jour quelques oraisons et la défense de Cicéron contre Cælius Calcagninus. {b} Mais comme il était fort scrupuleux dans le choix des mots latins, et qu’il n’en voulait employer aucun qui ne fût en usage parmi les anciens auteurs, {c} il ne voulut pas mettre devant ses autres ouvrages le nom de Marie, qui est un nom de femme, et qui d’ailleurs est inconnu aux Latins, et il le changea en celui de Marc, l’ayant placé devant celui d’Antoine ; et parce que le nom de Comte eût pu faire croire qu’il portait un titre fort au-dessus de sa condition, et que par là Érasme, Sebastien Gryphius et quelques autres avaient été trompés, il prit le nom de Majoragio qui était celui de son père. » {d}

  2. Le propos de Teissier sur le cardinal Pietro Bembo {e} lève tous les doutes sur la source (ibid. page 20) :

    « Bembo a écrit avec beaucoup d’élégance en latin et en italien, comme en font foi plusieurs beaux ouvrages qu’il a donné au public en k’une et en l’autre langue. Il imita Cicéron avec tant de soin et de scrupule qu’il n’employait aucun mot qui ne se trouvait en ses œuvres et l’on assure que, de peur de gâter son style et de corrompre sa belle latinité, il ne lisait ni son bréviaire ni la Bible. {c} Il faisait tant de cas du talent qu’il avait d’écrire en latin qu’il professait qu’il ne le changerait pas avec le marquisat de Mantoue. »


    1. Leyde, 1715, v. supra note [2].

    2. V. première notule {a}, note [37] du Naudæana 2.

    3. J’ai mis en italique les passages qui font écho à l’article du Faux Patiniana.

    4. Sic pour le nom de sa ville natale.

    5. V. note [67‑1] du Naudæana 1.

17.

Les armoiries étaient peintes sur un tableau en forme d’écu (bouclier), qu’on accrochait ordinairement à une tenture murale. Les exhiber dans une église était une pieuse manière de faire durer son souvenir dans l’esprit des fidèles du lieu. La ruse du trou, employée pour empêcher qu’on les décrochât, se comprend aisément.

Ni « D.C. » ni « Le B. » ne sont sûrement identifiables. Si cette anecdote émane bien de Guy Patin et à titre de pure hypothèse, « Le B. » pourrait être Jérôme i Bignon (v. note [12], lettre 164), qui avait enjolivé son nom en « Le Bignon » : il possédait des armoiries distinctives (Popoff, no 616), mais je ne lui ai pas trouvé de seigneurie.

18.

Le Dictionnaire de Moréri (Lyon, 1683) cite ce distique dans son article sur Joconde {a} (tome 2, page 305), en vantant ses multiples talents :

« Il savait la théologie, la philosophie, les belles-lettres et les langues, ce qui lui acquit beaucoup de réputation. Joconde fit un voyage à Rome où il fit une recherche particulière de toutes les antiquités, comme de l’architecture, de la sculpture et des inscriptions, dont il composa un livre qu’il envoya à Laurent de Médicis. {b} Il composa des observations sur les Commentaires de César, et il fut le premier qui dessina le pont que cet empereur fit faire sur le Rhin. {c} Joconde s’arrêta aussi à la cour de l’empereur Maximilien, où il enseigna les langues à Scaliger ; {d} et étant venu à Paris, il fit bâtir, l’an 1507, le pont Notre-Dame {e} et le Petit-Pont. On y voit encore, sur une table de marbre, ce distique que Sannazar fit à ce sujet :

Iucundus geminum imposuit tibi Sequana Pontem
Hunc tu iure potes dicere Pontificem
. {f}

Budé reconnaît que Joconde fut son maître dans l’architecture, et qu’il lui expliqua les livres de Vitruve, sur lesquels ce religieux fit des commentaires. {g} On dit que ce fut par son moyen qu’on trouva dans une bibliothèque de Paris la plupart des Épîtres de Pline qu’Alde Manuce imprima. » {h}


  1. Johannes Jucundus (Giovanni Giocondo, Jean Joconde), franciscain (cordelier), né à Vérone vers 1433, mourut en 1515.

  2. Sous le titre de Mundus novus [Nouveau Monde], Jucundus a traduit de l’italien en latin et publié en 1503 une lettre que le navigateur Amerigo Vespucci (Florence 1454-Séville 1512) avait envoyée à Laurent de Médicis, dit le Magnifique (1449-1492) ; mais il s’agit d’un récit de voyage et non d’un recueil d’antiquités.

  3. Il existe au moins quatre éditions (parues entre 1513 et 1543) des commentaires de Jucundus sur les œuvres de Jules César. Le futur dictateur de Rome (qui n’en fut jamais empereur) a fait construire deux ponts en bois franchissant le Rhin près de Coblence, en 56 et 53 av. J.‑C.

  4. V. notes [4], lettre 692, pour Maximilien ier, qui a régné sur l’empire germanique de 1493 à 1519, et [5], lettre 9, pour Jules-César Scaliger (né en 1484), qui servit à la cour de ce souverain.

  5. La construction des six arches en pierre du pont Notre-Dame (v. note [73], lettre 219), qui va de la rive droite de la Seine à l’île de la Cité, fut achevée en 1507. Dans son prolongement, le Petit-Pont joint l’île à la rive gauche.

  6. « Pour toi, Seine, Jucundus a édifié deux ponts !
    Tu peux à juste raison le dire pontife. »

    Littré DLF a glosé sur l’origine du mot pontife, pontifex (v. note [41], notule {c}, du Grotiana 1) : « de pons, pont, et facere, faire, parce que, dans l’ancienne Rome, les pontifes étaient chargés du pont Sublicius [premier et plus ancien pont de Rome sur le Tibre], qui était sacré. Mais cette étymologie n’est rien moins que certaine. On en a proposé quelques autres parmi lesquelles on peut relever : facere in ponte, sacrifier sur le pont ; en effet, les pontifes sacrifiaient sur le pont Sublicius et y accomplissaient certaines cérémonies. On a aussi rapporté le ponti du composé à l’osque pomtis, cinq ; cela signifierait les cinq sacrificateurs, et serait analogue à quinquevir. »

    V. note [38] du Naudæana 2 pour Sannazar (Jacopo Sannazaro).

  7. Jucundus a donné une édition latine des dix livres de Vitruve sur l’architecture (v. supra note [6]). Un exemplaire de 1523 (sans lieu ni nom, in‑8o), conservé à la BnF (Gallica), porte une annotation manuscrite attribuée à l’humaniste Guillaume Budé (v. note [6], lettre 125).

  8. Alde Manuce l’Ancien (v. note [16], lettre latine 38) a donné une des premières éditions des Lettres de Pline le Jeune (Venise, 1508).

19.

Cet article, dont je n’ai pas identifié les protagonistes, dénonçait les « précautions » ou « tours d’adresse » à double détente des « gens de pratique » (juristes, praticiens du droit) : leurs stratagèmes cherchaient, grâce à des complices (hommes de paille dont la fidélité n’était pas toujours infaillible), à détourner une part des biens que leur épouse laisserait en mourant, car ils ne revenaient normalement pas au veuf, mais aux enfants du ménage.

Procureur est ici employé dans son sens premier et large de celui « qui est chargé de la procuration d’autrui, qui traite en son nom » ; et non pas dans le sens judiciaire restreint, devenu commun, d’« homme du roi, [soit] la partie publique » (Furetière).

20.

Ces deux articles reprennent :

Dans notre édition de L’Esprit de Guy Patin, j’ai partout mis “ entre guillemets anglais ” les passages qui y ont été empruntés à ses lettres.

21.

Bonaventure Des Périers (vers 1510-1543), valet de chambre et secrétaire de Marguerite de Valois, reine de Navarre, {a} a laissé, en dépit de sa courte existence (à laquelle il aurait lui-même mis fin), une assez copieuse œuvre littéraire (en vers et en prose), qui est encore fort estimée de nos jours. On lui attribue le Cymbalum mundi. {b}

Un apologue est une « instruction morale qu’on tire de quelque fable inventée exprès. “ C’est un exemple fabuleux qui s’insinue avec d’autant plus de facilité et d’effet, qu’il est plus commun et plus familier ” (La Fontaine) » (Trévoux). Celui de Des Périers, intitulé L’Avarice. À Hélias Boniface, d’Avignon, figure dans ses Œuvres françaises {c} (tome 1, pages 88‑89) :

« Voyant l’homme avaricieux,
Tant misérable et soucieux,
Veiller, courir et tracasser,
Pour toujours du bien amasser
Et jamais n’avoir le loisir
De s’en donner à son plaisir,
Sinon quand il n’a plus puissance
D’en percevoir la jouissance,
Il me souvient d’une alumelle, {d}
Laquelle, étant luisante et belle,
Se voulut d’un manche garnir,
Afin de couteau devenir, {e}
Et, pour mieux s’emmancher de même,
Tailla son manche de soi-même.
En le taillant, elle y musa, {f}
Et, musant, de sorte s’usa
Que le couteau, bien emmanché,
Étant déjà tout ébréché,
Se vit grandi par plus de neuf {g}
D’être ainsi usé tout fin neuf ;
Dont fut contraint d’en rire aussi
Du bout des dents, et dit ainsi :
“ J’ai bien ce que je souhaitais,
Mais pas ne suis tel que j’étais,
Car je n’ai plus ce doux trancher,
Pour quoi tâchais à m’emmancher. ”
Ainsi vous en prend-il, humains,
Qui nous avez entre vos mains,
Hormis qu’on peut le fil bailler
Au tranchant qui ne veut tailler ; {h}
Mais à vieillesse évertuée {i}
Vertu n’est plus restituée. » {j}


  1. V. note [38] du Borboniana 10 manuscrit.

  2. V. notule {a}, note [23], lettre 449.

  3. Édités par Louis Lacour (Paris, P. Jannet, 1856, 2 tomes, in‑8o).

  4. « Fer délié [mince] et plat qui fait le tranchant ou la lame des épées, couteaux, poignards, etc. » (Furetière).

  5. Afin de devenir couteau.

  6. Elle s’y attarda par plaisir.

  7. Neuf fois.

  8. Rendre son tranchant à la lame qui ne veut plus couper.

  9. Velléitaire.

  10. Le sens de cette fable ne paraît guère obscur, qu’on l’entende au premier degré, ou surtout au second, avec allusions et homophonies fort salaces, dont je ne donnerai que deux indices : « suça » pour « s’usa », « Ce vit grandit par plus de neuf » pour « Se vit grandi par plus de neuf ».

    Guy Patin (ou son porte-plume), me semble-t-il, n’aurait pas ingénument transcrit ces vers s’il n’y avait éprouvé « un vrai plaisir de trouver quelque finesse ».


22.

Nul docte « V.R. », avocat et auteur d’un « ouvrage sur les matières ecclésiastiques », ne figure dans notre édition : il demeure donc dans l’ombre de l’anonymat où Guy Patin (ou les rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin) a souhaité le confiner, en paraphrasant le vieil adage Verba volant, scripta manent [Les paroles s’envolent, les écrits restent] (v. note [19], lettre 251).

23.

Les deux premiers de ces trois articles sont tirés mot pour mot de deux lettres que Guy Patin a écrites à Charles Spon :

Le troisième, sur la vente de la bibliothèque de Naudé à son ancien patron, le cardinal Mazarin, est une adaptation du 5e paragraphe daté du 25 avril, dans la même lettre du 1er mai. Patin n’y a bien sûr pas écrit qu’elle serait « lue trois fois moins » en tombant dans les mains du cardinal : il savait bien que la Bibliothèque mazarine était une des rares de Paris qui fût ouverte au public (v. note (v. notes [22], [23] et [33], lettre 279).

24.

Dans Les Œuvres de Clément Marot, {a} de Cahors, valet de chambre du roi, {b} cette épigramme « À Maurice Scève, Lyonnais », {c} est imprimée à la page 413 ; elle est ailleurs intitulée « Pourquoi l’auteur ne veut pas apprendre à chanter ».


  1. Mort en 1544 (v. note [27], lettre 396), dont il est utile de rappeler ici que son inclination pour la Réforme lui a valu de sérieux déboires (v. infra note [33]).

  2. Né et mort à Lyon, 1501-1564.

  3. Lyon, Guillaume Roville, 1547, in‑8o de 527 pages.

Pour cet article liant la musique à l’abus de boisson, je me suis évertué à donner du sens à la « maxime bachique » qui précède les vers de Marot (ici qualifié de « naturel », au sens de sincère, spontané).

Sous réserve d’une meilleure proposition, voici ma version de l’incompréhensible première phrase de cet article alambiqué :

« Anacréon l’a fort bien dit, et les calvinistes le disent aussi : ceux qui boivent le plus, ce sont les musiciens. »

25.

Les Lacédémoniens ou Spartiates {a} (Trévoux) :

« furent des barbares jusqu’à Lycurgue, {b} qui les poliça et leur donna des lois. Il établit un Conseil composé de trente-deux conseillers, dont le roi était un. Ce Conseil ne pouvait rien conclure sans le consentement du peuple. Le roi Theopompus établit les éphores, qui étaient comme les tribuns du peuple à Rome. {c} Ils balançaient l’autorité du roi et celle du Sénat. Les Lacédémoniens élevaient leurs enfants avec beaucoup de soin et fort durement, et dans les exercices du corps les plus violents. Ils accoutumaient aussi les filles aux mêmes exercices. Ils inspiraient à la jeunesse beaucoup de respect pour les magistrats et pour les vieillards. Ils leur donnaient de l’horreur de l’ivrognerie et de l’intempérance en leur faisant voir des esclaves ivres, et leur faisant remarquer toutes les impertinences qu’ils faisaient et qu’ils disaient en cet état. {d} Ils avaient un amour inconcevable de leur liberté, et une envie pareille de dominer sur les autres peuples de la Grèce. Ils parlaient peu et disaient beaucoup en peu de mots. Il y a une infinité de bons mots des Lacédémoniens, qui sont pleins des sentiments les plus nobles, et qui marquent un grand courage et de grandes âmes. {e} Les Lacédémoniennes accouchaient ordinairement, et se délivraient de leurs enfants, sur un bouclier, ainsi qu’on le remarque dans Aristophane, en sa comédie intitulée Lysistrata, {f} et dans Nonnus, en ses Dionys., l. 41. {g} où il dit que Vénus voulut accoucher sur un livre de la Nymphe Béroé, comme les Lacédémoniennes […]. Les Lacédémoniennes déguisées en soldats défendirent vaillamment leur ville contre les Messéniens, qui étaient venus pour la surprendre, en l’absence de leurs maris. »


  1. Lacédémon, fils de Zeus et de la pléiade Taygète, a donné son surnom à la ville de Sparte (v. note [2], lettre latine 265), capitale de la Laconie, dans le Péloponnèse.

  2. Vers le ixe s. av. J.‑C., v. note [15] des Préceptes particuliers d’un médecin à son fils.

  3. Théopompe a régné sur Sparte au viie s. av. J.‑C. V. note [2], lettre 762, pour les éphores.

  4. Plutarque, Sur les moyens de réprimer la colère (traduction de Dominique Ricard, 1743) :

    « La colère a des effets terribles, elle en a de ridicules ; il n’est point de passion plus odieuse et plus méprisable. Il est bon de la considérer sous ce double rapport. Je ne sais si j’ai bien ou mal fait, mais le premier remède que j’ai employé contre cette maladie a été de l’observer dans les autres, à l’exemple des Spartiates, qui, pour guérir leurs enfants de l’amour du vin, leur faisaient voir les ilotes ivres. »

    Les ilotes étaient les esclaves spartiates.

  5. L’expression « à la spartiate » a perpétué la sobre rigueur des Lacédémoniens dans notre langue (sans parler de leurs sandales).

  6. V. note [34] du Borboniana 7 manuscrit.

  7. Nonnos de Panopolis (Égypte), poète grec du ve s. auteur de 24 chants Dionysiaques.

26.

Le mot enseigne a conservé le premier sens, commercial, qu’il avait au xviie s. (Furetière) :

« signe, marque publique et évidente qu’on met en quelque endroit pour trouver quelque personne ou quelque chose. Les marchands mettent une enseigne à leurs boutiques, afin qu’on les reconnaisse. Ils enveloppent leurs marchandises dans une image de leur enseigne. Ils payent un droit au voyer {a} pour poser leur enseigne, pour changer d’enseigne. Quand on vend un logis, pour le désigner, on dit “ où pend pour enseigne ”. Il est défendu aux marchands et aux artisans de changer ou d’usurper les enseignes ou les marques les uns des autres. »


  1. Officier responsable de la voirie (v. note [16], lettre 357).

Avant la numérotation des immeubles (à la fin du xviiie s.), les enseignes permettaient de les situer dans leur rue. Une raison du succès que connut le Bureau d’adresse de Théophraste Renaudot (v. note [6], lettre 57) fut de les avoir répertoriées. Sous le pseudonyme d’Abraham Du Pradel, Nicolas de Blégny (mort en 1722), chirurgien de Saint-Côme qui se disait aussi apothicaire et médecin, fondateur d’une curieuse académie empirique, émule des Renaudot, a publié un Livre commode des adresses de Paris, dont l’édition de 1692 a été rééditée par Édouard Fournier (Paris, Paul Daffis, 1878, 2 volumes in‑16). Le contenu, très incomplet et mal organisé, est fort décevant, mais on y voit en annexe la Liste des avis du Bureau d’adresse pour les années 1670, 1688 et 1689 (volume 2, pages 302 et suivantes).

Ces deux sources ne m’ont pas permis d’identifier « Monsieur M.M.R.D. », dont la précieuse collection d’enseignes, continuée après son grand-père et son père, n’a, me semble-t-il, jamais fait l’objet d’un ouvrage imprimé. L’Esprit de Guy Patin y voyait un moyen pour tout curieux malveillant de connaître les origines plébéiennes de riches familles qui se targuaient de plus noble ascendance.

27.

Cet article reprend, avec quelques altérations, les propos que Guy Patin a tenus à Charles Spon au début de sa lettre datée du 22 août 1645. V. ses notes [1][3], pour les commentaires sur les deux citations latines :

En écrivant « Le Docteur… », l’éditeur de L’Esprit de Guy Patin était infidèle à la plume de Patin, car il ne se servait jamais de « Docteur » comme d’une civilité placée devant un nom propre : dans sa lettre à Spon, il lui disait « votre docteur nouvellement métamorphosé qui maltraite sa femme… », pour lui parler du médecin lyonnais Lazare Meyssonnier, calviniste alors récemment converti au catholicisme, qu’il tenait pour fou.

28.

« Un Pont est passé dessus les eaux, les abus de boisson sont passés dessus l’autre Pont,
Il a péri tremblant de fièvre, lui qui était un tremblement de terre. »

Nouvel emprunt (v. supra note [27]) à la lettre que Guy Patin à écrite à Charles Spon le 22 août 1645 (v. sa note [7]).

29.

Je ne suis pas entièrement venu à bout de ce bizarre catalogue de viandes consommables, sinon comestibles.

30.

Vers 1024 (acte iv, scène 2) des Troyennes de Sénèque le Jeune :

« Nul n’est malheureux s’il n’est pas comparé aux autres. »

V. note [30], lettre 99, pour la goutte et les atroces douleurs de ses crises d’arthrite aiguë (« goutte bien formée ») ; mais l’objection de L’Esprit de Guy Patin n’est pas des plus convaincantes car elle passe de la souffrance morale de Sénèque à la torture physique du podagre.

31.

Reprises (avec quelques variantes mineures) de propos que Guy Patin a tenus à Charles Spon dans ses lettres des :

32.

Les médecins ne recevaient pas les clients chez eux, mais se rendaient à leur domicile : soit seuls, pour la visite ; soit accompagnés de collègues, pour la consultation, où plusieurs praticiens confrontaient leurs avis (v. note [5], lettre 32). La pratique médicale demandait de nombreux déplacements dans la ville, à pied, ou à dos de mule ou de cheval.

Ce propos du Faux Patiniana est plausible dans la bouche de Guy Patin : il passait une bonne partie de son temps à courir dans Paris pour voir les malades, et a consacré le chapitre v de son Traité de la Conservation de santé aux bienfaits et méfaits de l’exercice physique.

33.

L’Enfer de Clément Marot de Cahors en Quercy, valet de chambre du roi. Item : aucunes Ballades et Rondeaux appartenant à l’argument. Et en outre plusieurs autres compositions du dit Marot, par ci-devant non imprimées {a} est une critique de la justice, en 488 vers, que le poète a composée pendant son emprisonnement, au Châtelet de Paris puis à Chartres, en 1525-1526, pour accusations d’hérésie et de mœurs impures. {b} L’Esprit de Guy Patin en citait les vers 95‑98 qui appartiennent au paragraphe intitulé La diversité des avocats (pages 8‑9), en y substituant simplement, au début du premier vers, « Ce sont criards » à « Par ces crieurs », comme voulait l’élision des vers 88‑94 qui précèdent, sur les débats entre accusation (procureur) et défense (avocat) :

« Que toujours l’un l’autre ne veuille mordre,
Dont raison veut qu’ainsi on les embarre, {c}
Et qu’entre deux soit mis distance et barre,
Comme aux chevaux, en l’étable hargneux.
Minos {d} le juge est de cela soigneux
Qui, devant lui, pour entendre le cas,
Fait déchiffrer tels noisifs altercas {e}
Par ces crieurs,… » {f}


  1. Lyon, Étienne Dolet, 1544, in‑8o de 63 pages.

  2. L’Enfer ne figure pas dans les Œuvres publiées à Lyon en 1547 (v. supra note [24]).

  3. Séparer par des barreaux.

  4. Fils mythique de Zeus, roi de Crète et juge des enfers.

  5. Querelleuses contradictions.

  6. Dans la suite, la « cautèle » est la ruse, la défiance.

Un sophiste est (Furetière) :

« celui qui fait des surprises dans l’argumentation, qui a dessein de tromper ceux qu’il veut persuader. Ce mot qui est maintenant odieux, était autrefois honorable, et signifiait simplement, comme dit saint Augustin, {a} un professeur d’éloquence […]. Selon Suidas, {b} on le donnait indifféremment à tous ceux qui étaient excellents en quelque art ou science que ce fût, comme théologiens, jurisconsultes, médecins, musiciens, poètes et orateurs […]. Il était encore en honneur au xiie siècle chez les Latins du temps de saint Bernard ; mais il commença à s’avilir en Grèce dès le temps de Platon, à cause de Protagoras et de Gorgias {c} qui en ont fait un trafic sordide, en vendant l’éloquence à prix d’argent. Sénèque appelle les sophistes, charlatans. Ce sont les scolastiques qui les ont rendus odieux par les termes d’antéprédicaments, de grandes et de petites logicales, de quiddités, etc. » {d}


  1. Au ve s., v. note [5], lettre 91.

  2. Au ixexe s., v. note [47] du Grotiana 2.

  3. Au ve s. av. J.‑C., v. note [17], lettre 176.

  4. Vocabulaire scolastique pour distinguer les arguments du sophisme, « raisonnement captieux qui induit en erreur, qui n’a que de l’apparence, et point de solidité » (ibid.), et de la sophistique (v. note [44], lettre 332).

34.

Ovide, Pontiques (lettres écrites depuis Tomis, dans le Pont-Euxin, où le poète endurait l’exil), livre i, épître ii, vers 121‑123, souhaitant qu’Auguste ne soit pas un empereur cruel :

« Mais un prince lent à punir et prompt à récompenser, et qui gémit chaque fois qu’il est contraint d’être féroce, toujours à l’affût de la victoire pour pouvoir épargner les vaincus. »

35.

Pausanias le Périégète (v. note [41] du Borboniana 8 manuscrit), Le Tour de la Grèce, livre vii, chapitre 23, description de l’Achaïe, au nord du Péloponnèse (traduction de l’abbé Nicolas Gédoyn, 1796) :

« Quand on a passé le Charadros on aperçoit quelques ruines de l’ancienne ville d’Argyra, et à main droite du grand chemin on trouve une fontaine qui porte encore ce nom. Le fleuve Sélemnos a son embouchure auprès ; ce qui a donné lieu à un conte que font les gens du pays et que je vais rapporter. Selon eux Sélemnos fut autrefois un beau jeune berger qui plut tant à la Nymphe Argyra, que tous les jours elle sortait de la mer pour le venir trouver. Cette passion ne dura pas longtemps : il semblait à la Nymphe que le berger devenait moins beau, elle se dégoûta de lui, et Sélemnos en fut si touché qu’il mourut de déplaisir. Vénus le métamorphosa en fleuve ; mais tout fleuve qu’il était, il aimait encore Argyra, comme on dit qu’Alphée, pour être devenu fleuve, ne cessa pas d’aimer Aréthuse. La déesse ayant donc pitié de lui, encore une fois, lui fit perdre entièrement le souvenir de la Nymphe. Aussi croit-on dans le pays que les hommes et les femmes, pour oublier leurs amours, n’ont qu’à se baigner dans le Sélemnos, ce qui en rendrait l’eau d’un prix inestimable, si l’on pouvait s’y fier. »

L’Esprit de Guy Patin a accommodé à son goût l’article du Grand Dictionnaire de Moréri sur le Sélemne (Amsterdam, 1698, tome 4, page 368).

36.

V. notes [4], lettre 692, pour Isabelle, reine de Castille, et Ferdinand, roi d’Aragon, premiers « souverains catholiques » d’Espagne, et leur fille Jeanne, dite la Folle, et [18], notule {c}, du Borboniana 8 manuscrit pour le mariage de Jeanne avec Philippe de Habsbourg, qui donna naissance à Charles Quint.

Pour les veuves inconsolables, la police est à prendre au sens large de justice : « lois, ordre et conduite à observer pour la subsistance et l’entretien des États et des sociétés. En général il est opposé à barbarie » (Furetière).

37.

Ces deux articles reprennent (avec quelques variantes) et prolongent deux passages tirés de lettres que Guy Patin a écrites à Charles Spon, dont les manuscrits ont depuis été perdus.

  1. Lettre du 16 novembre 1645 :

    • somptueusement accueillis à Paris, les ambassadeurs de Pologne venaient chercher Marie de Gonzague pour en faire leur reine (v. notes [1] et [2] de ladite lettre). Aucun pape du xvie ou du xviie s. n’a jamais quitté Rome pour visiter Paris (ni aucune autre capitale étrangère) ;

    • Guy Patin ne se tint pas toute sa vie à l’écart des mondanités (v. note [3] de ladite lettre) et des réjouissances populaires : ses lettres ont décrit quelques grands cortèges royaux dans la capitale, et les comptes rendus de son décanat (1650-1652) l’on montré très fier et flatté de ses visites aux plus grands personnages du royaume.

  2. La lettre du 30 août 1655 a traité des très vives querelles entre Jean ii Riolan et Jean Pecquet sur les voies du chyle (v. sa note [1]).

38.

L’Esprit de Guy Patin reprenait mot pour mot la deuxième phrase de Guy Patin dans sa lettre à André Falconet du 28 octobre 1659, mais je n’ai pas trouvé l’origine de la légende sur la colère de Minerve.

39.

Sages conseils d’Horace (ouvrage cité, vers 38‑41), précédés de leur traduction française.

Guy Patin a cité une partie de ces vers dans sa lettre du 24 décembre 1658 à Charles Spon (v. sa note [11]), mais c’était à propos de deux apprentis médecins, Tobias Baugartner et son collègue dénommé Bouge.

Si cet article vient vraiment de Patin, le « fils de M. F. » pourrait être Noël Falconet (fils d’André, v. note [2], lettre 388) qui logea chez lui et dont il supervisa les études parisiennes de 1658 à 1662.

40.

Ovide, Héroïdes, épître v, vers 105‑106, dont la traduction précède, à propos d’une épouse infidèle.

Le commentaire qui suit porte sur la pudeur fragile qu’on applique vainement à cacher les défauts qu’on a pris. Horace l’a mieux dit (Épîtres, livre i, lettre 10, vers 24) :

Naturam expelles furca, tamen usque recrret.

[Chasse ta nature à coups de fourche, elle reviendra toujours].

41.

Les vers cités ne sont pas de Clément Marot, {a} mais de Joachim Du Bellay, {b} sous-titrés « Le guerrier, le casanier, le courtisan », à la page 8 ro de son :

Ample discours au roi, sur le fait des quatre états du royaume de France, {c} composé par J. Du Bellay, gentilhomme angevin, peu de jours avant son trépas, {d} à l’imitation d’un autre plus succinct, auparavant fait en vers latins par Messire Michel de l’Hospital, {e} à présent chancelier de France, et après mis en français par ledit Du Bellay. {f}

Seuls deux mots y méritent explication :

Ces propos sont douteux venant de Guy Patin : outre la fausse attribution des vers cités, n’ambitionnait-il pas de quitter la roture (tiers état) quand, dès 1631, il avait orné son nom et son portrait d’armoiries et d’une fière devise ? {g}


  1. V. supra note [24].

  2. Noblesse, clergé, tiers état et toute-puissance royal.

  3. V. note [14], lettre 739.

  4. En 1560.

  5. V. note [3], lettre 102.

  6. Paris, Fédéric Morel, 1568, in‑4o de 30 pages.

  7. V. notes [2], lettre latine 231, et [4], lettre latine 234.

42.

Cet article reprend, avec de très minimes variantes, un célèbre passage de la lettre que Guy Patin a écrite à André Falconet le 27 août 1648 (v. ses notes [2][4]). Je dis célèbre parce que son propos et sa suite (que L’Esprit de Guy Patin n’a pas transcrite) sont tenus pour probants par ceux qui classent Patin parmi les « libertins érudits » du xviie s. (mais un peu hâtivement à mon sens, v. note [9], lettre 60).

V. note [3], lettre 159, pour la traduction du vers d’Ovide :

« Sobre, il fuit le vin et n’aime que l’eau pure »

43.

Ces deux articles sont tirés de lettres à André Falconet :

44.

L’auteur de ce quatrain est le poète Claude de Malleville (Paris 1597-1647), membre de l’Académie française en 1634, qui fut l’un des familiers du maréchal François de Bassompierre (v. note [10], lettre 85). C’est la deuxième strophe d’une longue pièce intitulée Sur une belle gueuse (c’est-à-dire une mendiante, et non pas une dame de charité), imprimée dans les Poésies du Sieur de Malleville (Paris Augustin Courbé, 1649, in‑4o, pages 173‑177).

Vraisemblablement sans relation avec cet article du Faux Patiniana, Guy Patin, en date du 8 juin 1652 et alors doyen de la Faculté de médecine, a fait état d’un don de 300 livres qu’il a remis, au nom de l’Université, à de nobles dames qui quêtaient pour les pauvres de Paris : v. note [24] des Affaires de l’Université en 1651-1652.

45.

« Accommoder de toutes pièces » est à prendre dans le sens juridique de « libérer de tout grief ».

Je n’ai trouvé aucun ouvrage imprimé au xviie s. qui corresponde à ce projet littéraire : parmi les quelques traités à avoir défendu l’égalité des sexes, {a} nul n’a fondé ses arguments sur Juvénal écrivant

« La censure acquitte les corbeaux, mais condamne les colombes », {b}

en faisant des corbeaux les hommes, et des colombes, les femmes. {c}

L’Irlandais Richard Steele (1672-1729) a été un des fondateurs de The Spectator, journal quotidien qui a paru en 1711 et 1712. Son numéro 11 (13 mars 1711) portait sur le vers de Juvénal, dans sa double version latine et anglaise, The doves are censur’d, while the crows are spar’d. Son texte est devenu le discours ix (pages 58‑65) publié dans Le Spectateur, ou le Socrate moderne, où l’on voit un portrait naïf des mœurs de ce siècle. Traduit de l’anglais. {d} Il s’agit d’un spirituel plaidoyer en faveur du sexe dit faible, fondé sur le discours d’une dénommée Arietta et sous-titré :

« La rigueur des lois tombe sur d’innocentes femmes, et l’on épargne des scélérats. » {e}


  1. Comme le très confidentiel De Excellentia fœminei sexus de Jan van Beverwijk (Dordrecht, 1636, v. note [12], lettre de Samuel Sorbière écrite au début 1651) ou L’Égalité des hommes et des femmes de Marie de Gournay (1622, v. notule {c}, note [17] du Borboniana 5 manuscrit).

  2. V. note [25], lettre 432.

  3. Guy Patin a cité sept fois ce vers dans ses lettres, pour fustiger la bienveillance des puissants à l’égard des moines (21 janvier 1656), des jésuites (22 février 1656), des avortements criminels (20 mars 1665), du Journal des Sçavans (20 mars 1665), de la censure politique (27 janvier 1651), des courtisans dociles (27 octobre 1660) et des prévaricateurs (27 octobre 1660), mais jamais pour confronter les vertus des deux sexes. Il l’utiliserait ici pour dénoncer l’injuste sort des femmes, dont on est surpris qu’il s’inquiétât, étant donné sa misogynie ordinaire (v. notule {d}, note [1], lettre 600).

  4. Amsterdam, David Mortier, 1714, in‑12 de 456 pages.

  5. Cette référence est fort anachronique relativement à Patin, mais l’est beaucoup moins par rapport à son Esprit (1709), dont les rédacteurs auraient pu connaître Steele et avoir avoir eu vent de ses intentions. Je n’irai pourtant pas jusqu’à garantir la véracité absolue de mon explication, mais le l’ayant dénichée, il m’était difficile de ne rien en dire.

46.

Cet article adapte en abrège le long paragraphe, daté du 6 mai1649, dans la lettre que Guy Patin a écrite à Charles Spon le 14 du même mois (v. ses notes [29][39]) ; mais en y enlevant une partie de son sel.

47.

« “ Quand l’un vient à chanceler, un autre le soutiendra ; mais tant pis pour l’isolé car s’il vient à tomber, nul ne sera là pour le relever ! ” {a} Mes livres sont ceux qui me soutiennent et me relèvent quand j’en ai besoin. » {b}


  1. L’Ecclésiaste, 4:10, sur la solidarité du groupe.

  2. Touchant retour de Guy Patin sur sa bibliothèque (v. supra note [11]), mais rien ne certifie qu’il ait vraiment tenu ce propos.

48.

J’ai corrigé ces vers de L’Hymne de très illustre prince Charles, cardinal de Lorraine. Par P. de Ronsard, Vendômois, pour les rendre conformes à l’édition originale (Paris, André Wechel, 1559, in‑4o de 4 feuilles, page 10 vo), mais en modernisant leur orthographe. Le cardinal Charles de Lorraine (v. notule {g}, note [21] du Borboniana 5 manuscrit) fut l’un des protecteurs de Ronsard, qui a aussi publié une suite de son Hymne (Paris, Robert Estienne, sans date, une feuille in‑4o, dont le privilège est daté de février 1558).

49.

Cet article reprend et étend un commentaire qui est à la fin de la lettre à Charles Spon du 18 juin 1649 (v. sa note [71]).

Guy Patin manquait singulièrement d’humilité en omettant de convenir qu’il n’avait lui-même plein accès aux textes des auteurs grecs que grâce à leurs traductions latines (v. infra note [56] pour un retour sur celles des poésies). V. note [6], lettre 6, pour une liste des quelques ouvrages d’Hippocrate et de Galien traduits en français au xvie s., ce qui les rendait intelligibles à ceux qui ignoraient le latin, comme les chirurgiens et les apothicaires. Au grand dam des catholiques, la Réforme luthérienne avait engagé le même effort de vulgarisation pour les textes sacrés.

50.

Cet article reprend en partie, avec quelques modifications, les passages de quatre lettres que Guy Patin a écrites à Charles Spon :

  1. le 8 octobre 1656 (premier paragraphe, v. ses notes [2][4]), mais un compliment sur le talent constant de Sénèque a remplacé la citation du chœur des Troyennes où il nie l’immortalité de l’âme (v. supra note [30]) ;

  2. le 2 juin 1657 (dernier paragraphe, v. ses notes [5][8]), avec un complément où Patin compare les historiens infidèles aux auteurs de romans (genre littéraire que Patin méprisait et prétendait ne jamais lire) ;

  3. le 10 août 1657 (8e paragraphe daté du 6 août, v. sa note [29]), avec un développement différent ;

  4. le 6 novembre 1658 (3e paragraphe, v. sa note [7]). J’ai corrigé le latin fautif de l’épitaphe transcrite dans L’Esprit de Guy Patin, qui se traduit par : « Il a su la grammaire, qu’il enseigna pendant nombre d’années, et cependant, il ne put décliner le tombeau ». Le commentaire qu’on en lit ici ne figure pas dans les éditions imprimées de la lettre (dont le manuscrit est perdu).

51.

« Rome surpassera toutes les merveilles, la nature y a rassemblé tout ce qui a existé par toute la Terre » (Properce, Élégies, livre iii, xxi, vers 17‑18).

Malheureusement non daté, ce projet de voyage à Rome, nourri par Charles Patin, dut rester longtemps en sommeil : Guy Patin n’en a jamais parlé dans sa correspondance et a toujours vivement déconseillé aux jeunes gens de visiter cette ville ; quant à Charles lui-même (Carolus), dans son Autobiographie, il n’a mentionné Rome qu’à la période italienne tardive de son exil, postérieure à la mort de son père (1672).

52.

Empruntée mot pour mot au Dictionnaire de Louis Moréri (Lyon, 1674, pages 268‑269), {a} cette définition des censeurs romains ressemble étrangement au début de celle du Dictionnaire de Trévoux (1743-1752) :

« Censor, Censitor. C’était autrefois un des premiers et des plus importants magistrats de Rome. Il avait le soin de l’intérêt public et de la correction des mœurs. C’était comme le réformateur des mœurs et de la police. Les censeurs furent créés l’an 311e de Rome, {b} lorsque le Sénat eut remarqué que les consuls, trop appliqués aux affaires de la guerre et aux expéditions militaires, ne pouvaient veiller assez exactement aux affaires privées. Les deux premiers furent Papirius et Sempronius. Chacun leur était soumis, puisqu’ils avaient droit de reprendre tout le monde. Les censeurs étaient au nombre des grands magistrats. Au commencement ils furent tirés du Sénat ; mais depuis que les plébéiens purent aspirer au consulat, ils parvinrent aussi à la dignité de censeur. La coutume était d’en élire deux ; l’un de famille patricienne, l’autre de famille plébéienne ; et quand l’un des deux mourait dans le temps de son emploi, l’autre sortait de charge, et on en élisait deux nouveaux. M. Rutilius fut le premier du peuple qui ayant été fait dictateur en < l’an > 402e de Rome, après avoir été deux fois consul, demanda aussi la charge de censeur. Publius Philo, dictateur ennemi des patriciens, en 414, porta une loi par laquelle il fut ordonné que l’un des censeurs serait pris d’entre les plébéiens. Elle fut en vigueur jusqu’en 622, que les deux censeurs furent élus d’entre le peuple. Depuis on en reprit du peuple et du Sénat. Cette charge était si considérable qu’on ne l’obtenait qu’après avoir passé par les autres, et on trouva étrange que Crassus {c} en eût été pourvu avant que d’avoir été ni consul ni préteur. Cette magistrature fut d’abord établie pour cinq ans ; mais cet usage ne dura pas neuf ans seulement après l’institution des censeurs. Mamercus Emilius dictateur fit porter une loi qui régla que la censure ne durerait qu’un an et demi, et qui fut observée depuis à la rigueur. Le censeur avait le droit d’exclure les sénateurs qu’il jugeait indignes de cette dignité, et de casser les chevaliers qui ne remplissaient pas bien leurs devoirs, en les privant du cheval public. Les censeurs faisaient aussi la taxe, et l’estimation des biens et des facultés de tous les citoyens de Rome, pour imposer le tribut à proportion de ce que chacun possédait. Cicéron a décrit très précisément les fonctions de cette charge. Elles se réduisent au dénombrement du peuple, à la correction des mœurs, à l’estimation des biens de chaque citoyen, à l’imposition des taxes selon les facultés d’un chacun, à la surintendance des tributs, à la défense des temples et au soin des lieux publics. Les gens du roi, {d} les magistrats de police ont des fonctions qui répondent en quelque sorte à cette charge, et ils peuvent être appelés les censeurs des mœurs. Il y a même un magistrat dans la République de Venise, qui est chargé de ce soin, et qui est six mois en charge. »


  1. V. note [30] du Faux Patiniana II‑7.

  2. Rome a été fondée en 753 av. J.‑C., sa 311e année d’existence correspond à l’an 442 av. J.‑C.

  3. V. note [3], lettre 199.

  4. Corps judiciaire défini dans notre glossaire ; v. note [69] de L’ultime procès de Théophraste Renaudot contre la Faculté, pour le censeur de la Faculté de médecine de Paris.

53.

Je n’ai identifié ni « M. A.D. » ni son livre censuré par les théologiens de la Sorbonne. Il est impossible d’attribuer sûrement ce propos à Guy Patin.

Pour le plaisir de spéculer sans prétendre avoir dénoué l’anigme, A et D sont les première et dernière lettres du patronyme d’Antoine ii ArnaulD, qui eut bien des déboires avec la Sorbonne, notamment en 1656 après la parution de ses deux Lettres défendant le jansénisme (v. notes note [40] et [41], lettre 428, et [1] et [43], lettre 433).

54.

Ces trois articles sont tirés de lettres que Guy Patin a écrites à ses amis lyonnais.

  1. Le commentaire sur la mort de Catherine Janson est un emprunt, abrégé et modifié, au premier paragraphe de celle du 26 juillet 1650 (et non 1649) à Charles Spon : v. ses notes [1][11] ; la remarque finale est une addition originale.

  2. Le passage sur Tanaquillus Faber (Tanneguy Le Fèvre) transcrit fidèlement le début de celle du 14 janvier (et non juin) 1659 à Spon : v. ses note [1] et [2] ; la fin sur les sots, est un ajout inédit.

  3. Le distique latin écrit sur l’horloge du Palais de justice de Paris est celui que Patin a prié Noël Falconet de copier dans son cahier, en en avisant son père, André Falconet, dans celle du 15 août 1659 (v. sa note [1]) :

    « La machine qui partage si justement les heures en deux fois six, exhorte à servir la justice et à observer les lois. »

    Le vers écrit sous la pendule de la Grand-Chambre du Palais est un complément original :

    « La dive Thémis régit les mœurs, comme la pendule fait des heures. »

55.

Cette sensationnelle histoire occupe les pages 293 ro‑300 vo (année 1612) de La Continuation du mercure Français, ou Suite de l’histoire de l’auguste régence de la reine Marie de Médicis, sous son fils, le très-chrétien roi de France et de Navarre Louis xiiie : {a}

« Vatan est une petite ville en Berry, entre Issoudun et les frontières de la Touraine, en laquelle il y a un château assez bon.

Durant les troubles de la Ligue, les deux derniers seigneurs de Vatan, frères, se sont rendus signalés < sic > par plusieurs combats, sièges et entreprises pour le parti royal : l’aîné < étant > mort au siège d’une place sans enfants, le cadet, que l’on nommait Du May, {b} demeura seul seigneur de Vatan, n’ayant que des sœurs ; lequel, sans se marier et sans venir que fort peu en cour, vivait humblement en son château, se fit de la Religion prétendue réformée et s’adonna fort aux mathématiques, dont il en faisait même imprimer un livre quand il fit l’acte que nous rapporterons ci-après, dont il perdit la vie, l’honneur et les biens.

Il était de la riche taille, blond et la face longue, brave gentilhomme, mais d’une humeur assez bizarre. Le roi Henri iv l’avait aussi assez reconnu pour tel. Il était tant ami de ses amis qu’il lui en a coûté la vie. »

Un dénommé Thomas Robin, fermier général des gabelles, met au jour un trafic de faux sel organisé par un sieur de Jaufosse, voisin et ami de Vatan. Le prévôt des maréchaux de Tours arrête Jaufosse et deux de ses complices. Par représailles, Vatan enlève et séquestre un fils de Robin, surnommé Belamy. Saisi de cette affaire, le Conseil du roi ordonne, le 10 octobre 1611, d’arrêter Vatan, lequel se barricade dans son château. Le Conseil ordonne d’assiéger la place et envoie une petite armée pour en venir à bout.

« Les habitants de Vatan voyaient bien qu’ils ne pouvaient faillir de recevoir une grande perte ; ils se retirèrent la plupart aux villes voisines.

Le lieutenant en la justice avec un habitant vinrent même en Cour pour remontrer qu’ils étaient très humbles sujets, mais que leur gentilhomme était le maître de leur ville. Ils dirent de lui plusieurs choses ; mais on rit de ce qu’ils assuraient que depuis trois ou quatre ans, ayant hanté un nommé Genest, il était devenu magicien, et faisait imprimer un livre de magie à Paris, où ledit Genest était exprès pour en solliciter l’impression. Ils prenaient magie pour mathématique, car c’était des commentaires en latin sur le dixième livre d’Euclide. Ce pauvre Genest en eut telle peur et prit tellement l’épouvante de ce bruit qu’il se retira de Paris, laissa l’impression à demi faite, et en mourut peu après ; toutefois, depuis, le livre a été achevé d’imprimer. » {c}

Après quelques volées de canon, la troupe investit le château et se saisit de Vatan. Conduit à Paris, il est jugé par le Parlement qui, le 2 janvier 1612, le condamne à mort, et ordonne la saisie de tous ses biens et la destruction de son château.

« À quoi il ne répondit rien, sinon : “ Hé bien ! il faut que je serve d’exemple. ” S’étant relevé, il demanda un ministre pour le consoler. Le greffier lui dit qu’il ne savait pas où il en demeurait un, mais que, s’il y avait là aucun de ses amis qui en connût, il pouvait le lui faire venir librement ; et que s’il eût voulu quelque autre homme d’Église, il lui en ferait venir présentement, ce qu’il refusa ; même un s’étant présenté, il le repoussa avec menaces s’il l’importunait.

Attendant la venue d’un ministre, l’exécuteur le laissa promener, pour le froid qu’il endurait, bien qu’il eût un manteau de bure grise doublé de velours gris, mais il n’avait qu’un habit léger de satin gris. Le ministre venu, lui dit peu de choses car il parlait toujours et se consolait lui-même. Quelques-uns de sa religion l’étant venu voir, ils voulurent tous ensemble chanter les Psaumes. Fuzil, curé de Saint-Barthélemy qui était là pour lors, et les autres prisonniers catholiques ne le voulurent souffrir et l’empêchèrent, leur disant qu’ils y pouvaient consoler à la mort ceux de la Religion, mais d’en faire exercice dans leur chapelle, qu’ils ne l’endureraient point.

Ce bruit apaisé, sur les trois heures, on s’achemine pour le mener au supplice ; et disant adieu au ministre, on remarqua qu’il lui dit par quatre fois : “ Monsieur, priez Dieu pour moi, et je prierai là-haut bien pour vous ”, pource que ceux de cette religion ne croient pas que les vivants puissent prier pour les défunts, ni les défunts pour les vivants.

À ceux qu’il reconnaissait, “ Adieu mon ami, leur disait-il, il faut que je serve d’exemple. ” Il était seul dans le tombereau, priant le long du chemin jusqu’à la Grève, où monté sur l’échafaud, la dextérité de l’exécuteur fut telle qu’en resserrant les ciseaux dont il lui avait coupé le derrière de ses cheveux, et lui demandant s’il voulait être bandé, il lui coupa la tête. {d}

Voilà quelle a été la fin du sieur de Vatan. Son cœur confessa ses fautes, ses yeux les pleurèrent, sa langue en demanda pardon à Dieu, et sa mort a servi pour la réparation de son crime.

Depuis, par la clémence et bonté de la reine, sur la prière que lui en firent Messieurs le maréchal de la Châtre, Châteauneuf et Villeroy, {e} la sœur du sieur de Vatan, et qui devait être son héritière, a obtenu de Sa Majesté le don de la confiscation des biens de son frère : tellement que, par ce don, le château de Vatan n’a point été rasé. »


  1. Paris, Étienne Richer, 1613, in‑8o de 1 008 pages.

  2. Le véritable nom de ce gentilhomme était Florimond Du Puy, baron de Vatan, petite ville du Berry, dans l’actuel département de l’Indre.

  3. Ce passage a directement inspiré l’article de L’Esprit de Guy Patin.

    Euclide est le très célèbre mathématicien grec qui vécut aux environs du ve s. av. J.‑C., dont les Éléments sont composés de 13 livres. Le travail de Vatan a bel et bien paru :

    Euclidis Elementum decimum, in quo singularum Demonstrationum lineæ, et superficies, tam Commensurabiles, et Incommensurabiles, quam Rationales, et Irrationales, accurate numeris exprimuntur. Authore Florimondi Puteano, Vatani Domino

    [Dixième Élément d’Euclide, où les mathématiques de chacune des déductions démontrent exactement les lignes et les surfaces, qu’elles soient commensurables ou incommensurables, et rationnelles ou irrationnelles. Par Florimond Du Puy, sieur de Vatan]. {i}

    L’épître de l’imprimeur au lecteur explique la genèse du livre :

    Igitur cum Algebram, ex Stifelii Algebra didicissem, eamque manu scriptam ab amico traditam vidissem, quam primus sub una tantum regula reduxit (quod pace Clavii sit dictum) volui exercitationis gratia experiri tentare, an ex iis, quæ ex eo didiceram, librum hunc ad usum applicate fas esset : Quantum enim ad cognitionem illius, satis ex demonstrationibus Clavii eram edoctus. Sed quoniam (ut ipsemet Clavius dixit) nemini concessum est, hunc 10. Euclidis librum ad usum revocare, qui Algebram ignorat. Dubitans etiam adhuc de meo in hac arte ingeniolo, mirum in modum desideravi, hanc provinciam suscipere, ut inde de meis vigiliis hac in re susceptis iudicare possem. Quot sudores, quot labores pertulerim qui exactam huius libri notitiam habuerunt, vel qui hunc Mathematicorum crucem nominavere, intelligent. Sæpissime enim fateor, me a proposito quasi deterritum fuisse, spinarum multitudine, et nisi aliquem fructum studiosis adferre putassem, certe opus imperfectum reliquissem.

    [Ayant appris l’algèbre dans l’Algebra de Stifelius, {ii] et vu qu’un ami {ii} l’avait transcrite à la main et qu’il a été le premier qui l’ait ramenée à une seule règle (ce qui est dit pour la tranquillité de Clavius), {iii} j’ai voulu, à titre d’exercice, oser demander à ceux qui m’ont instruit de cela s’il ne serait pas juste d’y consacrer ce livre, car les démonstrations de Clavius m’avaient clairement fait comprendre l’importance qu’il y attache ; mais (comme Clavius l’a dit lui-même), il n’a été donné à personne de rétablir l’utilité du 10e livre d’Euclide car il ignore l’algèbre. {iv} Même en doutant de ma maigre capacité en ce domaine, j’ai étonamment désiré m’atteler à cette tâche, pour être capable de porter un jugement sur le prix des veilles que j’y ai consacrées. Comprendront combien de suées et de labeurs j’ai dû endurer ceux qui prendront la juste mesure de ce livre et ceux qui ont donné le nom de croix des mathématiciens à la question qu’il traite. J’avoue avoir très souvent été découragé par mon projet, par ses innombrables épines, et si je n’avais pas pensé procurer quelque profit aux chercheurs, je ne serais certainement pas venu à bout de cet ouvrage]. {v}

    1. Paris, Ioannes de Heuqueville, 1612, in‑fo de 161 pages illustré de nombreuses figures.
    2. Michael Stifel, moine luthérien allemand mort en 1567 a brillé par ses travaux en mathématiques et dû sa célébrité à l’Arithmetica integra (Nuremberg, 1544), dont le 3e et dernier est consacré à l’algèbre.

    3. Probablement Genest mais sans le nommer, pour lui éviter d’être poursuivi après l’exécution de Vatan.

    4. Christophorus Clavius, mathématicien jésuite allemand mort en 1612, traducteur des Éléments d’Euclide en latin (1574)

    5. Euclide fondait ses démonstrations sur la géométrie ; la difficulté était de comprendre celles de ce livre, qui classe les grandeurs irrationnelles sans recourir à l’algèbre (inventée par les Arabes au ixe s.).

    6. En dépit de sa belle histoire, le livre de Vatan ne semble pas avoir fait date dans l’histoire des mathématiques.
  4. Habile décapitation exécutée par surprise.

  5. La reine était Marie de Médicis. Claude de La Châtre de La Maisonfort (1536-1614), ancien capitaine de la Ligue, s’était rallié à Henri iv et avait été nommé maréchal de France en 1593. V. notes [13], lettre 10, pour Charles de L’Aubespine, marquis de Châteauneuf, et [5] du Borboniana 8 manuscrit pour Nicolas i e Neufville, sieur de Villeroy.

    Marie Du Puy, sœur de Florimond, mourut sans descendance. Par cousinage et après quelques procès, la terre de Vatan fut érigée en marquisat et échut, par mariage, à Robert Aubry (ou Aubéry, v. note [22], lettre 463).

56.

Distique de John Owen, intitulé In gulonem quemdam [Sur un certain glouton], {a} dont voici ma (mauvaise) traduction (en prose) :

« Tu as englouti autant de coupes que ta panse peut en supporter : fort peu de gens résistent aux méfaits des coupes, {b} quand elles nuisent au plus grand nombre. »


  1. Épigramme 12, page 206, Appendix des Epigrammatum (Amsterdam, 1647, v. note [41] du Borboniana 10 manuscrit).

  2. Jeu de mots impossible à traduire sans perdre l’homophonie entre pocula, « coupes », et paucula, « fort peu de gens ».

Guy Patin revenait sur les traductions (v. supra note [49]) qu’il a notamment blâmées dans sa lettre 332 (v. ses notes [39][45]) ; mais il n’a jamais cité Owen dans les écrits qu’on peut lui attribuer avec certitude. Je le vois mal lui emprunter une épigramme pour montrer la difficulté de traduire les vers latins, quand sa mémoire et ses cahiers débordaient d’autres exemples.

57.

Transcription à peine retouchée du premier paragraphe de la lettre que Guy Patin a écrite à André Falconet le 6 septembre 1649 (et non 1659) : v. ses notes [1] et [2].

58.

« Je connais de ci de là un époux si inquiet des mœurs de son épouse qu’il ne supportait pas, sans geindre suspicieusement, les souris qui trottinaient dans sa chambre » (Ad Nationes [Aux Nations], livre i, iv).

59.

L’infortuné « H.P. » n’est pas identifiable en se fondant sur notre édition. Le grain de sel pourrait être une réminiscence de Catulle disant Nulla in tam magno est corpore mica salis [Dans tout ce grand corps il n’y a pas un grain de sel] (v. note [42], lettre 487).

60.

Ces quatre articles reprennent autant de lettres de Guy Patin.

  1. Celle du 6 septembre 1649 à André Falconet identifie le « nommé T… » comme étant Claude Tardy, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris : v. ses notes [7][9]. Les quelques fragments ajoutés par L’Esprit de Guy Patin ne proviennent sans doute pas du manuscrit, aujourd’hui perdu, de cette lettre, car ils se sont contentés de prélever dans la version imprimée de la correspondance de Guy Patin.

  2. L’article sur l’Encyclopédie d’Alstedius (v. supra note [1]) vient intégralement de celle du 2 novembre 1649 à Pierre Garnier ou André Falconet, v. sa note [1].

  3. Le propos sur Désiré Hérauld vient de celle du 5 novembre 1649 à Charles Spon (v. sa note [2]) ; le paragraphe sur le mépris dans lequel il convient de tenir les attaques imprimées est une addition originale.

  4. La Chiromance de Marin Cureau de La Chambre (Paris, 1653) est traitée de la même manière dans le 13e paragraphe daté du 20 novembre de la lettre du 25 novembre 1653 à Charles Spon (v. ses notes [60][62]) ; la fin, sur le « goût particulier de Patin » est un complément inédit, mais douteux.

61.

Ce propos, en italique, n’est pas de Guy Patin, mais de Savinien de Cyrano de Bergerac (v. note [5], lettre 93), qui le tient à la fin de sa lettre xiii, Contre les sorciers (Œuvres diverses, Paris, Charles de Sercy, 1654, in‑4o, pages 95‑96) :

« Ce n’est pas, comme je vous ai déjà dit, que je doute de la puissance du Créateur sur ses créatures ; mais à moins d’être convaincu par l’autorité de l’Église, à qui nous devons donner aveuglément les mains, je nommerai tous ces grands effets de magie la gazette des sots, ou le Credo de ceux qui ont trop de foi. »

Patin a certes pu lire ce texte, mais il serait fort surprenant qu’il se le soit approprié sans en citer la source. À mes yeux, cette imposture, que n’excusent pas les italiques de L’Esprit de Guy Patin, n’est pas anodine : c’est un des petits coups de pinceau qui entretiennent la thèse de son appartenance au mouvement « libertin érudit », auquel adhère ici indiscutablement Cyrano.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Ana de Guy Patin : L’Esprit de Guy Patin (1709), Faux Patiniana II-1

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(Consulté le 19/04/2024)

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