Autres écrits
Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-7

Pages 300‑380 (et dernière) [1]

Notre ami M. D…, qui est un savant modeste et qui ne veut point être connu, m’envoya il y a quelques jours un petit manuscrit qu’il appelle sa conversation ambulante ou l’enjouement de sa solitude. Pour se délasser d’une étude austère et pénible, il s’applique à recueillir les principaux traités de l’histoire qui l’intéressent davantage.

« Je me suis aperçu que l’esprit se relâche par les ouvrages mêmes de l’esprit. Vous en ferez l’épreuve si vous le souhaitez : comme je ne crois rien hasarder avec vous, je m’oblige de fournir tout ce qui me sera adressé dans ce genre récréatif. » [1][2]

La « Conversation ambulante » de Monsieur D…
ou les 98 emprunts de L’Esprit de Guy Patin au Grand Dictionnaire de Louis Moréri (pseudo-Moreriana)

  1. Moréri 1707, tome 1, page 592 – Homme ne fut jamais plus studieux que le cardinal Bessarion[3] sa grande application à l’étude fut même cause de ce qu’il ne monta pas sur la chaire de saint Pierre. Après la mort de Paul ii[4] les cardinaux avaient élu pape Bessarion. Trois d’entre eux étant allés chez lui pour lui en annoncer la nouvelle, Nicolas Perrot, [5] son camérier, ne voulut jamais leur ouvrir la porte du cabinet où il étudiait. Piqués de ces refus, ils se retirèrent et élurent Sixte iv[6] Le cardinal Bessarion ayant depuis appris ce qui s’était passé, en témoigna son ressentiment à Perrot, car il n’y a personne qui puisse voir sans regret échapper une telle dignité. Paul Jove, [7] qui rapporte cette particularité, ajoute qu’il lui dit : « Perrot, ton incivilité me coûte la tiare, et elle te fait perdre un chapeau de cardinal. » [2]

  2. Moréri 1707, tome 4, page 859 – Nous n’avons de Monsieur de Vaugelas [8] que deux ouvrages considérables, qui sont les Remarques sur la langue française et sa traduction de Quinte-Curce. [9] Il y a travaillé l’espace de trente ans afin de la rendre parfaite. Monsieur de Balzac [10] a dit au sujet de cette belle traduction : « L’Alexandre de Quinte-Curce est invincible, et celui de Vaugelas est inimitable. » On remarque une heureuse repartie que fit Vaugelas au cardinal de Richelieu [11] qui, pour l’engager au travail du Dictionnaire de l’Académie[12] avait fait établir sa pension de 2 000 livres. Le cardinal de Richelieu le voyant entrer dans sa chambre et prêt à le remercier de sa libéralité, le prévint et lui dit : « Hé bien, Monsieur, vous n’oublierez pas du moins dans le Dictionnaire le mot de pension ! – Non, Monseigneur, répondit Vaugelas, et moins encore celui de reconnaissance. » Rien n’a jamais été répliqué si à propos. [3][13]

  3. Moréri 1707, tome 1, page 204 – Une des belles fortunes qui se soit faite dans l’Église est celle de Jacques Amyot, évêque d’Auxerre et grand aumônier de France. [14] Son père était un courroyeur de la ville de Melun. [15] La crainte du fouet le fit sortir très jeune de la maison paternelle. Il tomba malade dans la Beauce et demeura étendu sur un chemin ; un cavalier charitable le mit en croupe derrière lui et le conduisit jusqu’à Orléans, [16] où il lui procura place dans l’hôpital ; aussitôt qu’il fut guéri, on le renvoya ave seize sols pour son voyage. Arrivé à Paris, il fut obligé d’y demander l’aumône ; une dame le prit chez elle pour suivre ses enfants au collège. Il profita de cette occasion et cultiva le génie merveilleux que la nature lui avait donné pour les belles-lettres ; surtout, il excella dans la langue grecque. Sous peine de favoriser les nouvelles opinions, il se retira en Berry chez un gentilhomme qui le chargea de l’éducation de ses enfants. Henri ii [17] vint loger par hasard dans la maison de ce gentilhomme ; Amyot composa une épigramme grecque à l’honneur du roi, à qui elle fut présentée par les enfants dont il conduisait les études. Le roi voyant ce que c’était : « C’est du grec, dit-il en jetant le papier, à d’autres ! » Monsieur de l’Hospital, [18] depuis chancelier, qui accompagnait le roi, lut l’épigramme, la trouva admirable et dit au roi que si ce jeune homme avait autant de vertu que de génie, il méritait d’être précepteur des Enfants de France. Cela mit Amyot en crédit, il obtint l’abbaye de Bellozanne, [19] et eut ordre enfin d’aller au concile de Trente, [20] où il prononça cette judicieuse et hardie protestation qui nous reste. À son retour, il commença d’exercer sa charge de précepteur des Enfants de France auprès du dauphin, qui fut depuis le roi François ii[21] et le fut aussi de Charles ix [22] et de Henri iii[23] On dit qu’un jour, durant le souper du roi Charles ix, la conversation étant tombée sur Charles Quint, [24] on loua cet empereur d’avoir fait son précepteur pape, c’était Adrien vi[25] Le roi regarda Amyot et dit : « Si l’occasion se présentait, j’en ferais bien autant pour le mien. »

    Quelque temps après, la charge de grand aumônier de France vaqua, elle lui fut donnée. La reine mère, [26] qui avait eu d’autres vues, fit appeler Amyot, où elle lui tint ce fier discours : « J’ai fait bouquer les Guise, les Châtillon, les connétables et les chanceliers, les princes de Condé et les rois de Navarre, et je vous ai en tête, petit Prestolet. » Amyot eut beau protester qu’il n’avait pas voulu accepter cette charge, la conclusion fut que s’il la conservait, il ne vivrait pas vingt-quatre heures : c’était là le style de ce temps-là. Amyot prit le parti de se cacher pour se dérober également à la colère de la mère et aux libéralités du fils. Le roi, inquiet de ne le point voir, attribua cette absence aux menaces de la reine. Il s’emporta si fort qu’elle fit dire à Amyot qu’il pouvait paraître et qu’elle le laisserait en repos. [4][27] Ce grand homme ayant eu le chagrin de voir mourir les trois monarques qu’il avait eu l’honneur d’instruire, se retira dans son diocèse, où il mourut le 7 février 1593, âgé de 79 ans. Il fit par son testament un legs de 1 200 écus à l’hôpital d’Orléans en reconnaissance des seize sols qu’on lui donna pour venir à Paris.

  4. Moréri 1707, tome 2, pagec 800‑801 – Félibien [28] rapporte un trait bien généreux des Fouckers : [29] ils avaient amassé de grandes richesses et étaient connus dans l’Allemagne pour les plus opulents négociants. Charles Quint passant en Italie, et delà par la ville d’Augsbourg, [30] leur fit l’honneur de loger chez eux. Pour lui marquer leur reconnaissance, ils le régalèrent d’un fagot de cannelle, [31] marchandise, comme l’on sait, de très grand prix ; et lui ayant montré une promesse d’une somme considérable qu’ils avaient de lui, ils y mirent le feu et en allumèrent le fagot. Cette action plut sans doute à l’empereur : il devenait quitte d’une dette que les affaires ne lui permettaient pas alors de payer facilement. [5]

  5. Moréri 1707, tome 2, pages 22‑23Caligula [32] affectait de représenter en sa personne toutes les divinités : pour être appelé le nouveau Jupiter, [33] il se fit dorer la barbe et prenait un foudre à la main ; tantôt, il se parait du trident de Neptune, [34] du caducée de Mercure, [35] de la lyre d’Apollon, [36] du bouclier de Mars [37] et de la massue d’Hercule ; [38] quelquefois, il s’habillait comme Vénus, [39] avec une couronne de myrrhe, [40] quelquefois comme Diane, [41] avec le javelot et le carquois. Lorsque, lassé de ressembler aux dieux, il voulait rentrer dans la condition des hommes, son habit ordinaire était un manteau brodé d’or, enrichi de perles et de diamants. Souvent, pour se donner la réputation de brave, il endossait le corselet d’Alexandre, [42] qu’on avait tiré de son tombeau, et presque toujours, il marchait avec les ornements triomphaux la couronne d’or et de laurier, le bâton d’ivoire, la robe bordée de pourpre et la casaque brochée à palmes. [6][43]

  6. Moréri 1707, tome 4, page 95 – Les rois de France n’ont pas été les premiers qui aient fait publier des ordonnances rigoureuses contre le luxe. Il y avait chez les Romains la loi Oppia, ainsi nommée du nom de C. Oppius, tribun du peuple : [44] cette loi défendait l’excessive dépense des habits, et même l’usage des carrosses ; il n’était pas permis aux dames romaines de porter plus d’une demi-once d’or sur leurs robes, encore ne devaient-elles être que d’une seule couleur ; elles ne pouvaient aussi aller en carrosse dans la ville ou à mille pas environ, à moins qu’elles ne fussent engagées par une cérémonie de religion et par la nécessité bienséante d’assister aux sacrifices. Au reste, il faut remarquer que cette loi ne fut exécutée que pendant vingt ans. Les femmes, toujours ambitieuses de paraître magnifiques, exercèrent tant de brigues qu’elles la firent abolir. Elles n’attendent pas aujourd’hui que la loi soit abolie car elles ne laissent pas, malgré les défenses, de continuer leur luxe et d’augmenter leur faste. [7][45]

  7. Moréri 1707, tome 3, page 475 – Il est étrange que les Romains, si judicieux dans leurs lois, aient autorisé un crime le plus directement opposé à la justice : ils consacrèrent un temple à la déesse Laverne[46] qu’ils croyaient être l’intendante des larcins et la protectrice des voleurs ; ce temple leur servait d’asile et ils pouvaient en assurance y aller partager le fruit de leur brigandage. Horace a ainsi exprimé le caractère de cette divinité : [47]

    Pulchra Laverna
    Da mihi fallere, da justo sanctoque videri,
    Noctem peccatis et fraudibus objice nubem
    [8]

    Quelle religion, qui adorait des divinités auxquelles on pouvait faire de telles prières, et adresser des vœux aussi criminels !

  8. Moréri 1707, tome 2, page 209 – La joie produit quelquefois des accidents aussi funestes que la plus grande tristesse. Chilon[48] un des sept Sages de la Grèce ; [49] mourut de plaisir en embrassant son fils qui avait été couronné aux Jeux olympiques. [9][50]

  9. Moréri 1707, tome 2, page 697 – Le pape Étienne vii[51] successeur de Formose, [52] fâché de ce que ce pape avait été transféré du siège de Port [53] à celui de Rome, regarda cette action comme une espèce de concubinage, d’adultère, de bigamie, car il disait que c’était quitter une épouse légitime pour en prendre une nouvelle, contre les lois. Étienne vii, peut-être plus animé par la haine qu’il avait contre Formose que par un vrai zèle de religion, fit déterrer son corps et l’ayant mis, revêtu des ornements pontificaux, dans la chaire papale, il lui reprocha qu’il avait violé les règles de l’Église et le condamna, comme s’il eût été vivant : on le dépouilla des ornements sacrés, on lui coupa les trois doigts qui lui servaient à donner la bénédiction, et on le jeta ensuite dans le Tibre avec une pierre au col. Quand même Formose aurait mérité une condamnation si rigoureuse, cette punition exercée après sa mort scandalise plus la religion qu’elle n’est capable d’en maintenir la pureté. [10][54]

  10. Moréri 1707, tome 2, page 652 – Quelques auteurs attribuent à Eschyle[55] poète grec, l’invention de la tragédie. Sans entrer dans cette dissertation, une remarque suffit : les représentations de ses pièces étaient si terribles que, la première fois qu’il fit jouer les Euménides, plusieurs enfants qu’on avait menés au théâtre y moururent de frayeur, et quelques femmes grosses y accouchèrent. Ce grand succès n’empêcha pas que Sophocle, [56] beaucoup plus jeune que lui, ne lui fût préféré. [11][57]

  11. Moréri 1707, tome 3, page 172 – Le philosophe Hegesias[58] qui vivait du temps de Platon, [59] avait le don de persuader, jamais homme n’a été plus pathétique. Si nous en croyons Valère Maxime, [60] les paroles de ce philosophe exprimaient tellement, dans l’esprit de ses auditeurs, l’usage des choses qu’elles représentaient, qu’ayant parlé des maux de la vie, la plupart de ceux qui l’écoutaient prenaient la résolution de se tuer de leurs propres mains. [61] Afin d’empêcher le cruel effet d’une si vive persuasion, l’on défendit à Hegesias de prononcer de semblables discours. [12]

  12. Moréri 1674, page 633 – Qu’il est bien vrai que le mérite n’est pas toujours récompensé, et que la fortune est rarement l’apanage de la science ! Homère était si misérable qu’il se vit contraint de mendier son pain. [13][62] Si le sort d’un bon poète fut tel, doit-on plaindre celui des mauvais auteurs qui languissent dans la misère ? ou plutôt, n’est-on pas en droit d’envier la fortune de quelques gens qui parviennent sans esprit, et qui vivent honorablement de leurs biens, pendant que leurs écrits les déshonorent ?

  13. Moréri 1707, tome 2, page 194 – Le maréchal Taunequi du Châtel[63] grand favori du roi Charles vii[64] eut pour récompense de ses importants services un triste exil. Une preuve qu’il ne le méritait pas, ou qu’il conservait toujours une parfaite reconnaissance pour son maître, fut l’empressement qu’il eut de revenir à la cour, quoique fort âgé, sitôt qu’il apprit la mort de ce prince : il dépensa 30 000 écus pour les funérailles de Charles vii, que tout le monde avait négligées. Cette générosité a donné lieu à l’inscription mise depuis sur le drap mortuaire du roi François ii, « Où est maintenant Taunequi du Châtel ? ». Par là, on reprochait aux courtisans le peu de soin qu’ils avaient < à > rendre les derniers devoirs à leur maître. [14]

  14. Moréri 1707, tome 3, pages 257‑258 – Le Sénat avait mis un rude impôt sur les femmes de Rome. Aucun avocat n’osant parler en leur faveur, Hortensia [65] prit seule le parti de toutes les personnes de son sexe : elle plaida leur cause devant les triumvirs avec tant d’éloquence et de feu qu’elle obtint que la plus grande partie de l’argent qu’elles devaient payer leur soit remboursé. [15][66]

  15. Moréri 1707, tome 1, page 237 – Aulu-Gelle [67] rapporte qu’un esclave nommé Androclus [68] prit la fuite et se cacha dans une caverne. Là il trouva un lion qui le caressa en lui présentant le pied, d’où il lui arracha une épine. Quelque temps après, cet esclave fut exposé aux bêtes dans l’amphithéâtre ; le lion, qui avait aussi été pris et mis dans le même lieu, reconnut son bienfaiteur et le défendit. Cette aventure surprenante valut la liberté à Androclus. [16]

  16. Moréri 1707, tome 3, page 599Lycurgue, roi de Thrace, [69] voyant que ses sujets étaient trop adonnés au vin, [70] fit arracher toutes les vignes de son royaume. Les poètes ont pris là occasion de feindre que ce roi était ennemi de Bacchus [71] et que les dieux, pour le punir, avaient permis que, dans le transport d’une fureur violente, il se coupât les jambes. [17][72]

  17. Moréri 1707, tome 4, pages 240‑241Phocion[73] général d’armée des Athéniens, avait trois belles qualités : il était bon citoyen, grand orateur, illustre capitaine. Alexandre eut plusieurs occasions d’estimer son courage et son désintéressement. Lorsque ce roi mourut, le peuple d’Athènes voulut faire des réjouissances publiques parce qu’il se trouvait débarrassé d’un ennemi puissant et d’un vainqueur toujours terrible. Phocion s’y opposa adroitement, soit qu’il crût toujours indigne de se réjouir de la mort d’un grand homme, soit qu’il voulût faire entendre aux Athéniens que braves comme ils étaient, ils n’avaient point d’ennemis à craindre. Aussi les fit-il alors souvenir qu’ils n’avaient perdu qu’un seul homme contre Philippe [74] dans la bataille de Chéronée. [75] Le peuple, qu’un trop grand mérite blesse, condamna injustement Phocion comme traître à sa patrie ; mais les Athéniens connurent bientôt le tort qu’ils avaient eu de le faire mourir. Pour réparer une faute si grande, ils élevèrent une statue et condamnèrent à mort Agnonidès, [76] son accusateur. Une chose bien digne de la générosité de Phocion, interrogé avant que de mourir s’il n’avait rien à dire à son fils, [77] fut de répondre qu’il lui recommandait seulement d’oublier les injures du peuple athénien. Il s’en souvint, ce fils tendre et reconnaissant, car par ses soins, les auteurs de la mort de son père se virent condamnés à celle qu’ils méritaient. [18][78]

  18. Moréri 1707, tome 2, page 731 – On n’est jamais blâmé de se montrer jaloux des prérogatives de son rang. Quintus Fabius Maximus, fils d’un ancien dictateur, [79] voyant son père qui venait à lui sans descendre de cheval, lui envoya dire de mettre pied à terre. Bien loin de murmurer contre l’orgueil apparent de son fils, il l’embrassa et lui dit : « Je voulais voir si tu savais ce que c’est d’être consul. » Cet illustre romain, plus dévoué à l’honneur de sa patrie que sensible aux complaisances de la nature, aimait mieux avoir un fils qui sût maintenir à propos les droits de sa charge que de se voir à contretemps respecté par un consul, à qui lui-même devait alors du respect. [19]

  19. Moréri 1707, tome 2, page 732 – Un médecin célèbre dans le seizième siècle nommé Fabrizio [80] avait en partage deux choses très rares : une science fort étendue, un désintéressement parfait. Il exerçait son art gratuitement ; les amis piqués de reconnaissance l’obligèrent d’en recevoir des marques ; il mit tous leurs présents dans un cabinet particulier où l’on voyait cette inscription sur la porte : Lucri neglecti lucrum[20][81] La République de Venise [82] lui assigna un revenu de deux mille écus, et l’honora d’une statue et d’une chaîne d’or.

    Nous n’avons point de médecin en France qui soit curieux d’une telle inscription. Moi-même, qui me pique quelquefois de désintéressement, je ne voudrais pas que tout le monde me connût cette qualité : des gens qui ne l’auraient pas en abuseraient ; et faciles à retenir leur argent, ils se moqueraient du médecin qui mépriserait les richesses.

  20. Moréri 1707, tome 4, page 526 – Jean-Baptiste Sapin[83] conseiller au Parlement de Paris, envoyé à Tours et en Espagne en qualité d’ambassadeur de Charles ix, roi de France, fut pris par un parti de la garnison d’Orléans. Le chef du parti, violant toute sorte de droits, le fit pendre dans la place de l’Étape, [84] la condamnation < étant > fondée sur ce qu’il avait persécuté ceux qui faisaient profession de la Religion évangélique. [85] On apporta à Paris le corps de cet illustre conseiller. Le Parlement prit la défense et déclara solennellement que c’était lui-même qu’on avait outragé indignement. Il lui rendit en corps les derniers honneurs par de magnifiques funérailles dans l’église des Augustins, [86] où est dressée cette épitaphe digne d’un vrai défenseur de la foi ; la glorieuse cause de sa mort y est marquée en ces termes :

    Quod antiquæ et Catholicæ Religionis adsertor fuisset, turpissimæ morti addictus < … > honestam et gloriosam pro Christi nomine et Christiana Republica mortem perpesso.

    Ainsi le nom de Jean-Baptiste Sapin malgré l’infamie de son supplice, dont toute la honte retombe sur les huguenots, fera toujours très grand honneur à ces illustres descendants. C’est la juste réflexion du Père Maimbourg [87] qui rapporte ce trait dans son Histoire du calvinisme[21]

  21. Moréri 1707, tome 2, page 556 – Horace [88] se moque ingénieusement d’un nommé Druso, misérable historien qui vivait du temps d’Auguste : [89] comme il était fort riche et qu’il prêtait de l’argent aux uns et aux autres, il obligeait ses débiteurs d’entendre et d’applaudir ses ouvrages. [22] Quand de certains auteurs voudront me lire leurs pièces, il faudra que je leur doive ou qu’ils payent entièrement ma complaisance. Encore y en a-t-il de si pitoyables que tout l’or du monde ne m’engagerait pas de les approuver.

  22. Moréri 1674, pages 372‑373 – On dit d’un avare qu’il a l’âme crasse, je porte l’origine de cette expression jusqu’au consul Crassus[90] qui était extrêmement riche et qui, pour le devenir encore plus, faisait un vil commerce d’esclaves. Il acquit tant de biens qu’il fit un festin public au peuple romain ; il donna même à chaque citoyen autant de blé qu’il en pouvait manger durant trois mois. Ses richesses se montaient à près de cinq millions : aussi n’estimait-il pas un homme opulent s’il n’avait de quoi entretenir une armée. Son avarice était insatiable, il pilla le trésor du Temple de Jérusalem [91] et emporta de la Judée des dépouilles inestimables. Ce lâche et vil attachement au bien lui fit entreprendre la guerre contre les Parthes ; ils le prirent, lui coupèrent la tête et l’apportèrent à Clau, l’un de leurs rois ; [92] ce prince fit couler de l’or fondu dans la bouche de Crassus afin d’assouvir la passion qu’il avait eue pour les richesses. [23][93][94]

  23. Moréri 1707, tome 3, page 753Mermeroë[95] capitaine persan, après avoir passé sa jeunesse dans les fatigues de la guerre et se voyant réduit à ne pouvoir marcher ni se servir de ses bras, se fit porter en litière au milieu des troupes pour y donner conseil et inspirer du courage. La récompense de ses belles actions fut l’honneur que l’on faisait aux personnes de mérite : selon la coutume des Persans, ses parents exposèrent son corps en pleine campagne sans autre sépulture, persuadés, suivant la superstition extravagante du pays, qu’ayant vécu en homme de bien, il ne manquerait pas d’être aussitôt dévoré par les chiens ou par les bêtes féroces, ce qui était pour eux la marque la plus infaillible de leur prédestination ; au lieu qu’ils croyaient que ceux dont les cadavres n’étaient point mangés par les bêtes étaient tombés en la puissance des démons, et c’étaient ceux-là dont les parents déploraient la misérable destinée. [24][96][97]

  24. Moréri 1707, tome 2, page 515 – Sénèque [98] parle d’un certain Didyme[99] natif d’Alexandrie et fils d’un vendeur de Salines : jamais homme n’a été si laborieux que ce Didyme, il composa jusqu’à trois mille cinq cents traités différents, ce qui le fit nommer Bibliolathas, voulant dire que ses livres étaient en si grand nombre que lui-même l’oubliait ; il a la réputation d’un habile grammairien. [25][100] Nous n’avons point d’auteurs qui produisent tant d’ouvrages : ce n’est pas qu’ils aient moins de démangeaisons d’écrire, mais le talent leur manque ; au reste, on n’en voit que trop qui pourraient fort bien se passer de mettre au jour un nombre infini de volumes, car cette fécondité de leur plume ne prouve que mieux la stérilité de leur esprit, c’est une terre fertile en chardons qui ne produit jamais de bon grain.

  25. Moréri 1707, tome 1, page 413Atticus[101] fils d’un illustre Athénien, [102] eut si peu d’esprit qu’il ne put apprendre l’alphabet. [103] Son père, qui était riche, lui donna vingt-quatre serviteurs ; chacun avait figure d’une lettre peinte sur l’estomac ; à force de les voir et de les appeler, Atticus connut ses lettres et apprit à lire, mais il n’apprit que cela. [26][104]

  26. Moréri 1707, tome 1, pages 109‑110 – L’Albane[105] fameux peintre bolonais, [106] épousa en secondes noces une femme qui n’avait pas beaucoup de biens, mais qui était belle. Ce parti lui fut plus avantageux qu’un autre : il servit à le perfectionner dans son art, car la beauté de sa femme devint son modèle toutes les fois qu’il voulait peindre une Vénus, les Grâces [107] et les autres déesses. Il eut des enfants si beaux qu’ils furent les originaux de tous les petits Amours que l’on voit représenter dans les tableaux. Monsieur Mignard [108] a suivi en cela la manière de l’Albane : tous les beaux visages que l’on voit dans la galerie de Saint-Cloud [109] sont d’après celui de sa fille. [27][110]

  27. Moréri 1707, tome 1, page 611 sur Mattheo Bissario – On loue avec raison la piété de Constantin [111] qui, pour faire honneur au pape Sylvestre, [112] dans Rome, prit la bride de son cheval. L’empereur Vinceslas témoigna le même respect pour le pape Grégoire xi[113] Anastase [114] rapporte que Pépin, [115] père de Charlemagne, [116] rendit un semblable honneur au pape Étienne iiisic pour : ii > [117] lorsqu’il vint en France. [28][118]

  28. Moréri 1674, page 630 – Les femmes ne sont plus sensibles au vrai mérite, et on n’en verrait point aujourd’hui qui porteraient l’amour des sciences aussi loin que l’a porté Hipparchia : [119] elle devint si passionnée de la sagesse de Crates [120] que ni les prières de ses parents ni les richesses des plus beaux hommes ne purent l’éloigner de celui qu’elle s’était elle-même choisi. Crates même lui représenta sa pauvreté ; l’amour de la philosophie l’attacha davantage à lui, elle l’aima jusqu’au tombeau et lui fut autant fidèle que si elle avait trouvé en sa personne tous les agréments imaginables. [29]

  29. Moréri 1674, pages 268‑269 – Une charge dont l’établissement serait fort nécessaire est la charge de censeur autrefois connue chez les Romains : [121] une de ses fonctions était de prendre garde à ce qui se passait dans les familles, et d’examiner si l’on y avait soin de l’éducation des enfants. [30] La vigilance d’un tel magistrat n’accommoderait guère certains pères avares qui craignent de pourvoir leurs enfants et qui acquièrent, en ne dépensant rien pour les élever, le droit de différer leur établissement.

  30. Moréri 1698, tome 2, page 32 – Une épitaphe bien burlesque est celle que Politien [122] a faite pour Companus, < sic pour  : Campanus > [123] célèbre auteur d’Italie :

    Ille ego laurigeros cui cinxit et infula crines,
    Campanus, Romæ delicium hic jaceo.
    Mi joca dictarunt Charites, nigro sale Momus, [124]
    Mercurius niveo, tinxit utroque Venus ;
    Mi joca, mi risus, placuit mihi uterque Cupido. [125]
    Si me fles, procul hinc, quæso, < viator, > abi
    [31]

    Il y a un plaisant fort agréable dans cette pensée : « J’ai toujours eu envie de rire, passant, ne t’avise pas de me pleurer, ou retire-toi de moi », Si me fles, abi.

  31. Moréri 1707, tome 1, pages 656‑657 – Anne de Boulen [126][127] introduisit le schisme en Angleterre [128] et causa la perte de sa patrie. L’origine de cette malheureuse est fort incertaine. Voici un extrait tiré de Sandere, auteur anglais : [32][129][130][131][132]

    « Henri viii, roi d’Angleterre, [133] devint amoureux de la femme de Thomas Boulen, chancelier < sic > de l’Ordre de la Jarretière, il le relégua en France avec la qualité d’ambassadeur. Ce commerce donna la naissance à deux filles pendant l’absence de Thomas Boulen. [33] Le roi fit successivement ses maîtresses de l’aînée et de la cadette, qui était Anne ; il ne put jamais corrompre celle-ci, quoiqu’à l’âge de quinze ans, elle eût été débauchée par le maître d’hôtel de l’aumônier de Thomas de Boulen ; François ier[134] à la cour duquel elle parut, eut aussi part à ses faveurs ; ces prostitutions la firent nommer la Mule du roi et la Haquenée d’Angleterre. Ce fut dans ce temps qu’elle embrassa les erreurs luthériennes ; [135] revenue à la cour de Henri viii, ce prince la vit et l’aima ; elle sut si bien animer sa passion par ses résistances affectées qu’il résolut de l’épouser. Thomas de Boulen, surpris de ce dessein, se rendit premièrement en Angleterre, il dit au roi qu’ayant voulu répudier sa femme, elle lui avait avoué que Sa Majesté était père de cette fille. Henri lui imposant silence, répondit que trop de gens avaient eu part aux bonnes grâces de sa femme pour connaître le véritable père de celle qu’il voulait épouser. [34] Il est nécessaire de remarquer ici que le mariage d’Artus [136] avec Catherine, fille du roi d’Espagne, [137] n’ayant point été consommé, Henri viii, frère d’Artus, épousa la même princesse avec la permission du pape. [35] Tous les enfants moururent, du moins les mâles ; cela donna aux flatteurs l’occasion de lui proposer le divorce ; il en poursuivit la dispense afin d’obtenir le droit d’épouser Anne de Boulen. La dispense refusée, il épousa en secret sa maîtresse, bien que son Conseil lui eût persuadé que c’était une débauchée ; il lui fit prendre la qualité de marquise de Pembroc. Le pape Clément vii[138] qu’on accuse d’avoir trop tôt employé les foudres du Vatican, excommunia le roi d’Angleterre ; ce prince, entier dans ses sentiments, irrité par un tel procédé, se sépara de l’Église par un schisme déplorable. Ses partisans déclarèrent son premier mariage nul, et < il > rendit le second public la veille de Pâques de l’an 1533 ; et le 2 juin suivant, Anne de Boulen fut couronnée reine d’Angleterre. Le roi fit bientôt une inclination nouvelle qui désespéra sa femme, d’autant plus que, n’ayant eu qu’une fille, étant à sa première couche, et la seconde étant devenue inutile, [139] elle perdit l’espérance d’avoir un fils de Henri. Le désir de donner des héritiers à la Couronne la détermina de s’abandonner à son propre frère. Cet inceste ne la rendit point féconde. Elle se prostitua ensuite à toutes sortes de personnes. Le roi ne put l’ignorer, mais il dissimula jusqu’à ce qu’il eût découvert que sa femme jetait de la fenêtre son mouchoir à un de ses amants. Il la fit prendre ; convaincue d’inceste et d’adultère, elle eut la tête coupée le 19 mai 1535. [140] Le roi voulut que Thomas Boulen, son père prétendu, fût un de ses juges. L’on fit aussi mourir son frère et ses autres amants, dont le nombre n’était pas petit. » [36]

  32. Moréri 1707, tome 3, page 186 – Le sujet qu’eut Henri viii de se déclarer chef de l’Église anglicane mérite d’être rapporté dans toutes ses circonstances. Ce prince, devenu amoureux d’Anne de Boulen, voulut faire dissoudre son mariage légitime et en contracter un nouveau, contre toutes les lois. Le pape nomma des juges pour examiner la chose. Henri, trop impatient, sans attendre leur décision, se servit du ministère de Thomas Crammer, archevêque de Cantorbéry, [141] qui déclara nul son mariage avec Catherine d’Aragon. Il épousa Anne de Boulen d’une manière clandestine. Le pape, qui en apprit bientôt la nouvelle, prononça sa sentence d’excommunication contre ce roi ; il différa de la publier à la prière de François ier, qui dépêcha Jean Du Bellay, [142] évêque de Paris, pour exhorter Henri à ne se point séparer de la communion de l’Église romaine. Henri le promit au prélat, pourvu que le pape différât de publier l’excommunication. Jean Du Bellay vint à Rome annoncer cette bonne nouvelle et demander du temps, afin de réduire l’esprit inquiet et variable de ce prince. Les partisans de Charles Quint firent limiter ce temps à un espace très court. Le jour fixé étant expiré sans que le courrier envoyé en Angleterre fût de retour, ils précipitèrent la publication de la sentence et la firent publiquement afficher deux jours après ; mais ce fut trop tard < que > le courrier apporta des pouvoirs très amples par lesquels le roi se soumettait au jugement du Saint-Siège. Le Saint-Père reconnut sa faute : faute à jamais irréparable, cause du schisme épouvantable qui divisa éternellement l’Angleterre de l’Église romaine. Henri, transporté de fureur de ce qu’on avait affiché cette sentence ignominieuse, n’eut plus de ménagement, il renonça à l’obéissance du pape, se déclara chef de l’Église anglicane, persécuta tous ceux qui s’opposaient à son changement. Le cardinal Jean Fisher, [143] Thomas Morus [144] et plusieurs autres perdirent la tête sur un échafaud ; une alliance ouverte fut faite avec les hérétiques, il démolit les maisons religieuses, pilla leurs biens, abolit l’Ordre de Malte [145] et poussa l’impiété jusqu’à faire faire le procès à la mémoire de saint Thomas de Cantorbéry [146] et brûler ses os. Ce roi a eu six femmes, il en répudia une et fit couper la tête à deux ; il porta les armes contre la France et l’Écosse. Près de mourir, il voulut rétablir l’Église dans sa première autorité ; il n’était plus temps ; on dit qu’il communia sous une seule espèce [147] et qu’un moment avant que d’expirer, regardant avec un œil affligé ceux qui environnaient son lit, il leur adressa ces paroles : « Mes amis, nous avons tout perdu, l’État, la renommée, la conscience et le ciel. » [37]

  33. Moréri 1674, page 747Julie de Gonzague, si renommée dans le seizième siècle par son esprit et par sa beauté, était veuve de Vespasien Colonna. [148] Barberousse, [149] qui avait ouï parler de sa beauté, envoya des troupes à Fondi [150] où elle demeurait, avec ordre de l’enlever durant la nuit pour en faire un présent à Soliman. [151] L’alarme s’étant donnée à la ville, elle prit la fuite et, sans autre habillement que sa chemise, elle monta à cheval. Les barbares, désespérés d’avoir manqué leur coup, brûlèrent cette ville. [38]

  34. Moréri 1707, tome 2, pages 434‑435 – La Providence permet que les auteurs des mauvais conseils soient les premières victimes de leur cruauté. Thomas de Cromwell [152] porta Henri viii à ordonner que les sentences rendues contre les criminels de lèse-majesté, [153] quoiqu’absents et non défendus, seraient exécutées comme celles des Douze Juges, qui est le plus célèbre tribunal d’Angleterre. Cromwell subit la première rigueur de cette loi car il fut condamné sans avoir été entendu. Voici de quelle manière : Henri, commençant à se dégoûter d’Anne de Clèves, [154] résolut d’épouser une autre ; mais premièrement, il voulut perdre Cromwell, auteur de ce mariage ; on prit pour prétexte la liberté qu’il s’était donnée de signer au nom du roi un traité avec les protestants d’Allemagne contre l’empereur ; on lui fit son procès sans lui permettre de se défendre. Tout préparé pour la ruine de ce malheureux, le roi feignit d’avoir des affaires importantes à lui communiquer : Cromwell y vint, prit sa place au Parlement, [155] commença même à parler ; le duc de Norfolk [156] l’interrompit et lui dit qu’il le faisait prisonnier de la part du roi ; dix jours après, le roi l’ayant accusé lui-même, le Parlement condamna Cromwell à la mort, pour crime d’hérésie, de trahison et de félonie. Cet arrêt fut exécuté publiquement en 1540. [39]

  35. Moréri 1707, tome 2, page 546 – La mort de Dracon[157] ancien législateur d’Athènes, fut glorieuse, mais également funeste : occupé à recevoir les acclamations du peuple pour les lois sages qu’il avait établies, il fut étouffé sous la quantité des robes et des bonnets qu’on lui jeta de tous côtés ; la manière ordinaire de prouver son estime était alors de jeter des robes et des bonnets sur celui à qui l’on voulait applaudir, comme si on eût voulu lui persuader qu’il était seul digne de porter les marques de l’autorité et les ornements de la justice. [40]

  36. Moréri 1707, tome 2, pages 117‑118 – Nos Anciens avaient une coutume que quelques gens ne seraient pas fâchés de voir rétablir : quand un homme devenait amoureux d’une femme, le mari lui cédait honnêtement plutôt que de se laisser emporter aux éclats d’une jalousie violente. Caton d’Utique [158] apprit qu’Hortensius [159] était amoureux de sa femme Martia, [160] il la lui céda avec une bonne grâce digne d’un tel philosophe ; sitôt qu’Hortensius fut mort, Caton reprit sa femme. Cela fournit occasion à César de lui reprocher qu’il l’avait donnée pauvre pour la reprendre quand elle serait plus riche. Des gens à qui ce trait d’histoire n’a pu échapper m’ont dit que s’il n’y avait plus de maris assez complaisants pour céder ainsi leur femme, il y en avait encore d’assez indulgents pour les reprendre après une infidélité publique. [41]

  37. Moréri 1707, tome 2, page 67 – On compte jusqu’à vingt mille personnes massacrées par l’ordre de l’empereur Caracalla ; [161] sa cruauté alla jusqu’à faire donner la mort aux médecins parce qu’ils ne l’avaient pas avancée à son père ; [162] il tua son frère Geta [163] entre les bras de sa mère ; le jurisconsulte Papinien, [164] qui n’avait voulu ni excuser ni défendre son parricide < sic >, fut aussi condamné à la mort. Se trouverait-il aujourd’hui des hommes assez intrépides, assez dévoués au bien de la justice, pour ne la pas trahir en faveur des grands, puisque même on s’abandonne aux sollicitations des particuliers qui savent à propos flatter l’intérêt. Caracalla avait plus d’un vice : outre les marques de sa cruauté, il en donna < bien d’autres preuves, et > je ne sais de quelle manière exprimer l’audace qu’il eut d’épouser Julie, [165] veuve de son père. Tant de crimes ne demeurèrent pas impunis : après six années d’un règne, funeste dès les premiers jours, il fut massacré par un de ses centeniers. [42]

  38. Moréri 1674, page 757 – Il y avait dans Sparte [166] une maison obscure où l’on enfermait les filles, et les jeunes hommes à marier venaient en prendre une au hasard. C’est pour cela que Lysandre [167] fut blâmé d’avoir quitté une fille laide qu’il avait prise ; le choix d’une plus belle fut regardé comme une désobéissance aux lois de la patrie. Le hasard à peu près semblable conduit les hommes dans leurs engagements, éblouis par la fortune, aveuglés par l’intérêt, ils prennent tout ce qui se présente et s’ôtent eux-mêmes la liberté de chasser le mérite personnel. [43]

  39. Moréri 1707, tome 3, pages 313‑314 – L’élection de Jean xxii[168] successeur de Clément v [169] en 1316, se fit d’une manière qui n’a point d’exemple. Le Siège avait déjà vaqué plus de deux ans et les cardinaux assemblés à Carpentras [170] ne pouvaient se déterminer. Philippe le Long, comte de Poitiers, depuis roi de France, [171] alla à Lyon par ordre du roi son frère, Louis x, dit Hutin, [172] pour travailler à remplir le Siège vacant ; il agit avec tant de zèle et d’adresse qu’ayant assemblé tous les cardinaux à Lyon, il les enferma en conclave dans le couvent des Jacobins[173] avec protestation qu’ils n’en sortiraient qu’après avoir nommé un pape. Ce compliment les étonna, et comme après quarante jours ils ne pouvaient s’accorder, ils donnèrent au cardinal Dossa le pouvoir de nommer celui qu’il voudrait ; il se nomma lui-même, disant Ego sum Papa ; cette élection fut approuvée de tous. Ce pape était fils d’un cordonnier de la ville de Cahors, [174] il se donna en sa jeunesse à Pierre, archevêque d’Arles, [175] chancelier de Charles ii, roi de Naples, comte de Provence ; [176] après la mort de ce prélat, Robert, [177] fils de Charles, lui donna les sceaux et le fit son chancelier. Depuis, il parvint à l’archevêché d’Avignon et deux ans après, il le fit cardinal. Louis de Bavière, [178] en 1328, étant à Rome, le fit dégrader de la papauté et substitua en sa place Pierre Ramuche de Corberia, [179] général des cordeliers[180] Celui-ci, après diverses aventures, s’étant laissé prendre, fut mené à Avignon, [181] où il demanda pardon au pape, la corde au col. Jean xxii mourut en 1334, âgé de 90 ans ; on lui trouva la valeur de vingt-huit millions de ducats, et d’autres disent dix-sept cent mille florins d’or. [44][182]

  40. Moréri 1707, tome 2, page 636 – La philosophie donne quelquefois la constance qu’elle inspire. Épictète [183] reçut un grand coup sur la jambe ; il dit froidement à celui qui le lui donnait, « Prenez garde de la rompre » ; l’autre redoubla, en sorte qu’il lui cassa l’os ; Épictète lui répondit avec la même tranquillité : « Ne vous avais-je pas bien dit que vous jouiez à me rompre la jambe. »

    La lampe de terre dont ce philosophe éclairait ses veilles fut vendue trois milles dragmes, c’est-à-dire près de deux cents livres de notre monnaie. [45]

  41. Moréri 1698, tome 2, page 123Charles Quint était plus grand coureur que grand conquérant. Il fit cinquante voyages différents : neuf en Allemagne, six en Espagne, sept en Italie, dix en Flandre, quatre en France, deux en Angleterre, deux en Afrique, autant sur l’Océan et huit sur la Méditerranée. [46]

  42. Moréri 1707, tome 4, page 873 – Les Romains placèrent l’Honneur au rang des divinités et lui érigèrent des statues. On les mettait ordinairement avec la Vertu[184] Les temples étaient disposés de manière qu’on ne pouvait aller à celui de l’Honneur sans passer par celui de la Vertu. Marius, [185] qui les fit bâtir, ordonna qu’on ne les élevât pas beaucoup, pour insinuer aux personnes qui y entraient de demeurer toujours dans de bas sentiments d’eux-mêmes. Une réflexion que nous devons faire est celle-ci : il n’y a pas de plus belle gloire que celle où l’on parvient par des voies innocentes, il n’y a point de solide gloire que celle dont on jouit sans orgueil. [47]

  43. Moréri 1707, tome 2, page 27 – Jacques Callot [186] était un bon graveur, encore meilleur citoyen. Louis xiii [187] ayant assiégé la ville de Nancy [188] envoya quérir Callot et lui dit de représenter cette nouvelle conquête, comme il avait fait le siège de La Rochelle [189] et la prise de l’île de Ré. [190] Callot, qui était lorrain, supplia Sa Majesté de l’en dispenser parce qu’il avait trop de répugnance à faire quelque chose contre l’honneur de son prince et la reconnaissance qu’il devait à sa patrie. Le roi approuva cette délicatesse et estima le duc de Lorraine [191] d’avoir des sujets aussi affectionnés. Plusieurs courtisans portèrent Louis xiii à se faire obéir ; Callot, qui craignait qu’on le forçât de graver le siège de Nancy, répondit avec fermeté qu’il se couperait plutôt le pouce ; mais bien loin que le roi lui fît aucune violence, il continua de le traiter favorablement et lui promit 3 000 livres de pension s’il voulait demeurer en France ; Callot, peu tenté de ces offres, témoigna qu’il ne pouvait abandonner le lieu de sa naissance, il y mourut peu de temps après. [48]

  44. Moréri 1707, tome 1, page 218 – Les habitants d’Amyclas[192] ville d’Italie, s’étaient si ridiculement attachés à la doctrine de Pythagore, [193] qui défend de tuer les animaux, qu’ils aimaient mieux se laisser piquer aux serpents et prendre la fuite que de faire mal à des insectes ; où on ajoute qu’ils se laissèrent égorger par leurs ennemis plutôt que de rompre le silence ; de là est venu le proverbe Amyclas perdidit silentiamsic pour : silentium >. [49]

  45. Moréri 1707, tome 4, pages 167‑168 – Le mot pasquinade n’est inconnu à personne. [194] Celles de Monsieur Le Noble, [195] qui parurent vers la fin du dernier siècle, ont trop diverti le public pour ne pas lui avoir donné une idée juste de la signification de ce mot. En voici l’origine : dans une des places de Rome, il y avait une statue de marbre qu’on nommait Pasquin ; ce Pasquin était un savetier qui vivait il y a environ deux cents ans, il était railleur et raillait même assez finement ; sa boutique était remplie de gens qui prenaient plaisir à entendre les traits qu’il lançait contre toutes sortes de personnes ; après sa mort, on trouva sous terre, proche de sa boutique, une statue de gladiateur à laquelle, faute de savoir son nom, on donna celui de Pasquin ; elle fut élevée en cet endroit, l’on y attachait pendant la nuit des billets satiriques contre ceux dont l’on < n’>osait médire ouvertement. Cette licence continue, et même augmente de jour en jour. Il semble qu’elle soit autorisée car ces vers latins sont gravés sur le marbre :

    Pasquinus eram, nunc lapis ;
    Forsan Apis, quia pungo.
    Dii tibi culeum, si spernis aculeum.
    Etiam mellibus ungo : veritas dat favos ;
    Et felle purgo. Si sapis,
    Audi Lapidem,
    Magis lepidum quam lividum.
    Fruere salibus, insulse,
    Ut bene sapias.
    Calcibus calceos olim optavi,
    Nunc rectos pedibus gressus inculco.
    Abi in lapidicinam, si spernis lapidicinium
    [50][196]

  46. Moréri 1707, tome 1, page 610 – Le maréchal de Biron [197] se distingua par ses services importants sous le règne de Henri le Grand. [198] Ce prince l’honora de ses bonnes grâces et le combla de bienfaits. Monsieur Biron, dont l’esprit était violent et emporté, fit quelques remuements. La perte de la charge de grand amiral de France acheva de lui faire oublier ce qu’il devait au roi : il traita avec les ennemis de l’État ; son obstination fut si grande à avouer sa faute à Henri le Grand, qui l’en sollicita quatre fois, que Sa Majesté le mit entre les mains de la justice. Le maréchal, convaincu de lèse-majesté, fut condamné d’avoir la tête coupée, ses biens confisqués et la duché de Biron éteinte. On exécuta cet arrêt dans la cour de la Bastille [199] le 31 juillet 1602 et on enterra son corps dans l’église Saint-Paul. [51][200]

  47. Moréri 1707, tome 1, pages 149‑151Alexandre le Grand aimait fort les savants. Chacun sait l’estime qu’il faisait d’Homère ; il mit son Iliade [201] dans cette précieuse cassette qu’il trouva dans les dépouilles de Darius, [202] ut pretiosissimum animi humani opus quam maxime diviti opere servaretur ; c’est ainsi que Pline [203] en parle, dans le plus fort de ses conquêtes, temps où il avait besoin d’argent pour subvenir aux dépenses de la guerre. Il fit présent à Aristote [204] de quatre cents talents qui composent près de 150 000 livres de notre monnaie, et cela pour avoir les choses nécessaires aux expériences publiques. Lorsque ce prince ordonna qu’on mît tout à feu et à sang dans la ville de Thèbes, [205] il fit défense, en même temps, qu’on touchât à la maison où Pindare, [206] ce fameux poète grec, avait demeuré cent années auparavant ; cette seule maison fut conservée. [52]

  48. Moréri 1674, page 747Julien, dit l’Apostat [207] parce qu’il abandonna lâchement la religion chrétienne, et Gallus, [208] son frère, avaient reçu la cléricature dans un même temps et exercé les mêmes fonctions ; et étaient néanmoins d’une humeur très différente, et Dieu même montra ce qu’on devait craindre de l’impiété de Julien. Ils entreprirent de bâtir à frais communs une église en l’honneur du martyr Mammas ; [209] la portion que faisait faire Gallus fut bientôt achevée ; au contraire, l’ouvrage de Julien ne pouvait avancer, la terre repoussait toujours les fondements et une main invisible abattait durant la nuit les murailles qu’on avait élevées le jour. [53]

  49. Moréri 1674, page 913Maurice[210] général des armées de l’empereur Tibère, empereur d’Orient, [211] ayant besoin de gens de guerre, ordonna en 592 que pas un soldat ne pourrait se faire moine qu’après avoir accompli le temps de la milice. Saint Grégoire, [212] qui trouvait cette loi injuste, en écrivit à l’empereur. Dans ce temps, un roi des Arabes < sic pour : Avares > [213][214] s’étant avancé dans la Thrace, [215] menaçait la ville de Constantinople [216] d’un siège terrible. La maladie contagieuse [217] qui se mit dans l’armée de ce barbare, et qui lui emporta les fils qu’il avait, l’empêcha d’avancer davantage. Il avait fait environ douze mille prisonniers, et comme on parlait de la paix, il offrit de les délivrer à condition que l’empereur donnerait un demi-écu pour la rançon de chaque soldat. Maurice le refusa et le prince barbare les fit tous passer au fil de l’épée. Le peuple de Constantinople, indigné de ce refus, se révolta. L’empereur témoigna un grand repentir et fit prier tous les saints ecclésiastiques et religieux d’offrir des vœux au ciel pour lui, afin que Dieu lui pardonnât et le punît plutôt en ce monde qu’en l’autre. Phocas, [218] qui, de simple centurion, s’était fort avancé à l’armée, se fit proclamer empereur en 601 et poursuivit Maurice jusques auprès de Calcédonie < sic pour : Chalcédoine >, [219] où il fit mourir quatre de ses fils, et ensuite il le fit mourir lui-même. On dit que, dans ce pitoyable état, il ne se plaignait jamais et qu’il prononçait seulement ces paroles de David : [220] Justus est Dominus et rectum judicium tuum, « Vous êtes juste Seigneur et votre jugement est équitable ». [54]

  50. Moréri 1707, tome 4, pages 339‑340 – Le tableau de Jalysus, fameux chasseur de l’île de Rhodes, [221] peint par Protogène[222] conserva cette ville, et voici comment : Démétrius, roi de Macédoine [223], assiégeait Rhodes ; elle ne pouvait être prise du côté où était Protogène ; ce roi aima mieux lever le siège que d’y mettre le feu et de perdre un ouvrage qui devait être à jamais conservé. Les historiens ont remarqué une autre circonstance : Demetrius ayant su que Protogène avait choisi, pendant le siège, une maison hors de la ville, où il travaillait sans être distrait par les instruments de guerre ni épouvanté par la crainte des armes, fit venir ce peintre et lui demanda s’il se croyait en sûreté au milieu des ennemis des Rhodiens ; il répondit avec confiance, « Je suis persuadé qu’un grand prince comme Demetrius ne fait la guerre qu’à ceux de Rhodes, et non pas aux arts. » [55]

  51. Moréri 1707, tome 2, pages 193‑194 – François de Vivonne La Châte<g>neraye[224] ayant reçu un démenti de Guy de Jarnac, [225] demanda au roi la permission de se battre ; la permission accordée par Henri ii, successeur de François ier, qui l’avait refusée, le combat [226] se fit le 10 juillet 1547 dans le parc de Saint-Germain. [227] Le roi voulut être témoin et toute la cour y assista. La Châte<g>neraye reçut plusieurs blessures qui le mirent bientôt hors de défense. Jarnac, qui pouvait le tuer, pria le roi d’accepter le don qu’il lui faisait de La Châte<g>neraye, qui ne voulut point se rendre. Le roi ordonna qu’il fût porté dans sa tente afin d’y être pansé. Le chagrin qu’il eut d’avoir été vaincu lui fit débander sa plaie, il mourut trois jours après. [56]

  52. Moréri 1707, tome 1, pages 359‑360 – Les ouvrages d’Aristote [228] ont eu un sort bien contraire : un concile tenu à Paris en 1209 ordonna que les livres de ce philosophe seraient brûlés, et fit défense de les lire sous peine d’excommunication, [229] parce qu’ils favorisaient, dit-on, les erreurs des hérétiques. En 1231, le pape Grégoire ix [230] renouvela les mêmes défenses jusqu’à ce qu’on eût revu et corrigé ce qui pouvait donner lieu aux hérésies. Albert le Grand [231] et saint Thomas d’Aquin [232] ne laissèrent pas néanmoins de faire des commentaires sur Aristote, on croit qu’ils en avaient une permission du pape. En 1448, le pape Nicolas v [233] approuva les ouvrages d’Aristote et en fit faire une nouvelle traduction latine. Depuis ce temps, on a continué d’enseigner sa doctrine ; et en 1624, ceux qui voulurent soutenir des opinions contraires furent condamnés par l’Université et par le Parlement de Paris. v [234] Tout cela prouve bien que les hommes ne décident pas avec lumières, et que la vérité ne se montre qu’imparfaitement à leur esprit. [57]

  53. Moréri 1674, page 623Hérode [235] poussa sa cruauté si loin qu’il entreprit de punir, même après sa mort, la joie qu’il savait que les Juifs en auraient. Il donna ordre d’égorger toutes les personnes de qualité qu’il tenait en prison, aussitôt qu’il aurait rendu l’esprit, afin que chaque famille considérable eût sujet de verser des larmes quand il sortirait du monde, et qu’on pût confondre leur douleur en l’attribuant à la perte de sa personne. [58]

  54. Moréri 1707, tome 2, pages 532‑533 – Une femme de Smyrne [236] fut accusée devant Dolabella[237] proconsul dans l’Asie, d’avoir empoisonné [238] son mari parce qu’il avait tué un fils qu’il avait eu d’un premier lit. Dolabella se trouva embarrassé : il ne pouvait absoudre une femme criminelle, mais il ne pouvait aussi condamner une mère qui n’était devenue coupable que par un juste excès de tendresse. Il renvoya la connaissance de cette affaire à l’Aréopage, qui ne put la décider ; il ordonna seulement que l’accusateur et l’accusée, c’est-à-dire le mari et la femme, comparaîtraient dans cent ans pour être jugés en dernier ressort. [59]

  55. Moréri 1707, tome 1, page 125 – Le pape Urbain v [239] demanda un jour au cardinal Albornez [240] à quoi il avait employé les grandes sommes d’argent qu’on lui avait fait tenir pendant la conquête d’Italie. Le cardinal, à qui il était glorieux de rendre compte, fit amener un chariot chargé de gonds, de verrous, de serrures et de clés, et dit au Saint-Père : « Donnez-vous la peine de regarder dans la cour de votre palais, les sommes que vous m’avez envoyées ont été employées à vous rendre maître de toutes les villes dont vous voyez les clés dans ce chariot. » Le pape, charmé de la générosité d’Albornez, l’embrassa et le remercia des grands services qu’il avait rendus à l’Église. [60]

  56. Moréri 1707, tome 1, page 651 – La Bibliothèque de Saint-Victor [241] est un effet de la libéralité de M. du Bouchet[242] conseiller au Parlement, mort en 1654, âgé de 61 ans. Il laissa ses livres au public par son testament, et les mit comme en dépôt entre les mains des chanoines réguliers de l’abbaye de Saint-Victor. [243] Il leur a légué un revenu considérable pour l’entretien et l’augmentation de cette bibliothèque. Messieurs les avocats généraux du Parlement, qu’il a suppliés de veiller à l’exécution de ses volontés, y font une visite tous les ans. Elle est ouverte le lundi, le mercredi et le samedi. [61]

  57. Moréri 1707, tome 1, page 625 – Monsieur Boileau[244] intendant des menus plaisirs du roi et frère aîné de l’illustre Monsieur Despréaux, [245] montra dès sa première jeunesse beaucoup d’inclination pour l’étude. Il eut pour père Gilles Boileau, [246] greffier de la Grand’Chambre du Parlement de Paris. Cette profession engagea le fils à suivre le Palais, il exerça quelque temps celle d’avocat. Ennuyé peut-être de ce métier ingrat pour la fortune et presque incompatible avec les belles-lettres, il prit une charge à la cour. Son père mourut avec le seul titre d’homme de probité car il ne laissa pas beaucoup de bien à ses enfants. Voici une épigramme en forme d’épitaphe que fit Monsieur Boileau, son fils aîné, qui était alors très jeune et avocat nouvellement reçu :

    « Ce greffier dont tu vois l’image,
    Travailla plus de soixante ans ;
    Et cependant, à ses enfants,
    Il a laissé pour tout partage
    Beaucoup d’honneur et peu d’héritage,
    Dont son fils Laurent < sic pour : l’avocat > enrage. » [62]

  58. Moréri 1707, tome 4, page 330 – Cambize, roi de Perse, [247] avait choisi Prexaspe [248] pour son confident. Ce favori, usant de la liberté que donne ce titre, s’avisa de remontrer à son maître que ses excès continuels obscurcissaient l’éclat de mille belles actions. Cambize, indigné de la licence de Prexaspe, résolut de s’en venger : quelques jours après, étant ivre, il tira une flèche dans le cœur du fils de cet indiscret confident, et lui demanda, pour lui insulter davantage, s’il connaissait quelqu’un qui eût plus d’adresse avant même que d’avoir bu. Prexaspe, pour ne pas irriter son roi, lui répondit qu’un dieu ne pouvait pas mieux tirer. Les hommes passent d’une extrémité à l’autre : Prexaspe reprend trop hardiment son maître, et ensuite il le loue d’une manière odieuse. La nature blessée devait lui arracher des termes d’indignation, mais la flatterie qui l’emporte sur ces sentiments lui fournit des expressions détestables. [63][249]

  59. Moréri 1674, page 66 – L’Antiquité a fourni de grands exemples de piété ; Plutarque et Valère Maxime donnent de grandes louanges à l’action de Luce Albin : [250] aussitôt qu’il aperçut le prêtre de Romulus et les vestales [251] qui emportaient à pied les images des dieux pour les sauver de la fureur impie des Gaulois vainqueurs, il fit descendre sa femme et ses enfants d’un chariot qu’il conduisait, pour mettre à leur place des personnes que leur titre lui rendait sacrées, préférant ainsi l’honneur de la religion au salut de sa famille. Il les mena jusqu’au bourg de Ceré [252] où ils se retiraient. [64]

  60. Moréri 1674, page 118Anaxarque[253] philosophe, fut particulièrement estimé d’Alexandre le Grand, qui commanda de lui donner tout ce qu’il voudrait ; il demanda cent talents ; les officiers étonnés rapportèrent la chose à Alexandre ; ce prince ordonna qu’ils lui fussent comptés et il dit : Je connais qu’Anaxarque est de mes amis puisqu’il exige une chose digne de ma grandeur et de mon pouvoir. Ce fut ce philosophe qui détourna Alexandre de la folle pensée qu’il avait de se faire appeler dieu. Un jour qu’il était à la table de ce roi qui lui demandait ce qu’il disait du repas, il lui répondit qu’il n’y aurait rien à souhaiter si l’on avait servi la tête d’un certain grand seigneur ; en même temps, il regarda Nicocréon, tyran de Chypre, [254] son ennemi. Ce dernier en fut tellement offensé qu’après la mort d’Alexandre, il le fit piler dans un mortier avec des marteaux de fer. Le philosophe intrépide bravait la cruauté de ce tyran, et comme Nicocréon menaçait de lui couper la langue, Je t’en empêcherai, bien efféminé jeune homme, répondit Anaxarque : et en effet, l’ayant coupée avec ses dents et tournée durant quelque temps en sa bouche, il la jeta contre le visage du tyran qui en écuma de colère. Il faut avouer que la philosophie a quelquefois affecté des constances aussi rares que la religion est capable de produire. [65]

  61. Moréri 1707, tome 1, page 608 – Le philosophe Bion [255] était un homme à bons mots. Plutarque en rapporte quelques-uns, en voici les meilleurs : il n’approuvait pas le mariage, fondé sur ce qu’une laide faisait mal au cœur, et une belle, à la tête ; un grand lui demandait une grâce, il lui répondit : Si vous voulez que je vous l’accorde, faites-m’en prier, mais n’y venez pas vous-même. On ne sait, disait-il d’un envieux mélancolique, [256] s’il lui est arrivé du bien, ou du mal aux autres[66]

  62. Moréri 1707, tome 1, pages 32‑36 – La plus majestueuse procession [257] que l’on ait jamais vue est celle qui se fit en 1535. Ce qui y donna lieu fut la hardiesse des hérétiques qui avaient semé publiquement des libelles remplis de blasphèmes horribles contre la Sainte Eucharistie, et de cruelles menaces contre la personne du roi, jusqu’à les afficher aux portes du Louvre [258] et à celles de la Chambre. François ier, qui était alors à Blois, [259] revint à Paris. Les auteurs et les complices d’un si abominable attentat furent pendus, [260] et on les décréta hérétiques. Il ordonna dans le même temps une procession solennelle pour réparer l’outrage fait à la religion. Tous les ordres religieux, tous les prêtres séculiers, le chancelier, le Conseil, le Parlement en robes rouges, la Chambre des comptes, les autres compagnies et la ville, avec ses officiers, y assistèrent. L’évêque de Paris, Jean Du Bellay, [261] tenait le Très-Saint-Sacrement sous un dais magnifique porté par Monseigneur le dauphin, [262] par ses deux frères, les ducs d’Orléans [263] et d’Angoulême, [264] et par le duc de Vendôme, [265] premier prince du sang. Le roi suivait immédiatement, tête nue et un flambeau à la main, accompagné des princes, des officiers de la Couronne, des cardinaux, évêques et ambassadeurs, marchant deux à deux ; et chacun tenait un cierge allumé. Cette auguste cérémonie fut mêlée d’une agréable et nombreuse symphonie. On alla ainsi jusqu’à Notre-Dame. [266] Le roi monta dans la grande salle de l’archevêché où, après s’être assis dans un trône magnifiquement préparé, il exhorta par un discours très pathétique les assistants à professer constamment la religion des rois très-chrétiens. Le même jour, vers le soir, six luthériens qui avaient été condamnés par arrêt du Parlement, furent brûlés à petit feu. Il semble que, par cette punition exemplaire, on voulût achever de réparer l’audace et l’impiété des profanateurs. [67][267]

  63. Moréri 1707, tome 2, page 245 – La loi Munérale dont Cincius[268] sénateur romain, fut l’auteur, défendait à ceux qui briguaient les charges de paraître aux assemblées avec une double robe, sous laquelle ils pussent cacher de l’argent, comme ils avaient coutume de faire, pour acheter les suffrages du peuple, qui n’était que trop disposé à les vendre. [68]

  64. Moréri 1707, tome 2, pages 181‑182 – Toutes les histoires ensemble ne renferment rien d’aussi tragique que les troubles de la Grande-Bretagne, où il est parlé de la mort funeste de Charles Stuart[269] Les Communes nommèrent un président et des commissaires pour lui faire son procès. Jean Couk, [270] procureur général, l’accusa au nom du peuple d’être tyran, meurtrier, ennemi irréconciliable des libertés d’Angleterre. Le roi, sommé de répondre, déclara qu’il ne reconnaissait point de tels juges. Cependant, il demanda un entretien avec les Seigneurs et avec les Communes. Cette grâce lui fut refusée. On le condamna d’avoir la tête tranchée. L’évêque de Londres ayant prêché le lendemain devant lui, les chefs des conjurés lui présentèrent un mémoire où les lois de la religion du royaume étaient entièrement blessées. Ils promirent, s’il le signait, de lui sauver la vie. Sa Majesté témoigna qu’elle préférait la mort la plus infâme à une aussi lâche complaisance. La Chambre des Communes, piquée de ce refus, ôta dès ce moment toutes les marques de la royauté, fit arracher les armes et briser la statue de Charles Stuart qui était dans la Bourse de Londres. Le mardi trent<ièm>e de janvier, sur les dix heures du matin, il fut conduit du palais de Saint-Jacques à celui de Witehal, environné d’un régiment d’infanterie qui marchait tambour battant, enseignes déployées. Le roi entra dans sa chambre ordinaire et se prépara à mourir chrétiennement. On a observé que l’Évangile de ce jour était le vingt-septième chapitre de saint Matthieu, [271] où est décrite la cabale des Juifs contre Jésus-Christ. L’échafaud dressé pour cette horrible exécution était couvert de drap noir. La hache était sur un billot, et le billot paraissait revêtu de quatre gros anneaux de fer pour y attacher le roi au cas de résistance. Le même < sic pour : menu > peuple accourut à ce funeste spectacle et n’eut pas le courage de s’opposer à la cruauté des conjurés. Le roi monta sur l’échafaud d’un air intrépide et déclara qu’il mourait innocent. Il aperçut deux scélérats masqués qui avaient été choisis pour exécuter cet abominable dessein, car l’exécuteur de haute justice avait refusé de tremper ses mains dans le sang de son roi. Sa tête fut abattue d’un seul coup. Elle fut mise avec son corps dans un cercueil de plomb. L’évêque de Londres le conduisit à Windsor et le fit mettre dans la chapelle royale, auprès de Henri viii, sans autre inscription que celle-ci, Charles, roi d’Angleterre, parce que les conjurés ne permirent pas les cérémonies ordinaires. Ainsi finit ce juste et malheureux prince dans la quarante-neuvième année de son âge et dans la vingt-cinquième année de son règne. Le lendemain de sa mort, arrivée le 30 janvier 1649, les Communes défendirent sur peine de trahison de proclamer roi le prince de Galles, [272] et ordonnèrent que la Nation serait gouvernée comme une république par un Conseil de quarante personnes choisies. Cromwell [273] sut habilement se rendre maître de toute l’autorité. [69]

  65. Moréri 1707, tome 2, page 652Eschine[274] Athénien de nation, fut aussi bon poète qu’orateur. Les Grecs donnèrent les noms des trois Grâces à trois oraisons qui restent de lui, et celui des neuf Muses à neuf de ses épîtres ; ce qui a été fait de même en faveur de l’Histoire d’Hérodote. Eschine ne voulait pas de bien à Démosthène ; [275] dans l’impuissance de se venger ouvertement, il accusa Ctésiphon qui le protégeait. Démosthène défendit sa cause, Eschine fut exilé, il vint à Rhodes [276] où il enseigna la rhétorique. Un jour qu’il lisait devant les Rhodiens sa pièce contre Ctésiphon, il en reçut des louanges extraordinaires, ils ne pouvaient s’imaginer qu’il avait été envoyé en exil. Après avoir prononcé cette harangue, Eschine, bien loin de se prévaloir de tant d’applaudissements qui semblaient favoriser sa jalousie contre Démosthène, leur répondit modestement : « Vous ne seriez point surpris si vous aviez entendu Démosthène. » Par ce procédé honnête et généreux, il persuada que la haine ne le dominait point assez pour le rendre injuste. L’envie qui règne aujourd’hui parmi les savants ne leur inspire pas la même modération, ils méprisent tout ce qu’ils n’ont point fait et ne peuvent jamais croire que leurs concurrents soient dignes de louanges. [70]

  66. Moréri 1707, tome 2, page 235 – Un des capitaines de Cyrus [277] nommé Chrysante [278] était si exact observateur de la discipline qu’ayant son ennemi en sa puissance, il lui fit grâce et ne voulut pas le tuer parce qu’il entendit sonner la retraite. Cyrus loua cette action. [71]

  67. Moréri 1707, tome 2, page 497Démonice, jeune fille éphésienne, [279] promit à Brennus, [280] prince des Gaulois, de lui livrer la ville d’Éphèse, [281] pourvu qu’il lui donnât tous les joyaux de cette ville. Brennus les lui promit. Aussitôt qu’Éphèse fut prise, il commanda à ses soldats de jeter dans le sein de Démonice tous les joyaux qu’ils avaient pillés. La quantité en était telle que cette fille en fut accablée, et se trouva ensevelie dans les colliers, les bracelets et les diamants. [72]

  68. Moréri 1707, tome 1, page 508 – C’est abuser de la victoire que de la signaler par des cruautés. Basile second[282] dit le Jeune, empereur d’Orient surnommé le Dompteur des Bulgares, eut en 1013 un grand avantage contre Samuel, [283] qui était leur prince. L’empereur tua une partie de ses troupes et lui prit quinze mille prisonniers. On peut dire qu’ils furent plus malheureux que ceux qui moururent les armes à la main, car Basile leur fit crever les yeux et donna un borgne pour guide à chaque compagnie de cent hommes. Il les envoya ainsi à Samuel, qui mourut de déplaisir après les avoir vues. Cette barbare action a beaucoup diminué la gloire de Basile, qui d’ailleurs était illustre par l’éclat de quelques vertus. Il mourut subitement après un règne de cinquante années. [73]

  69. Moréri 1707, tome 3, page 176 – L’Histoire des amours de Théagène et de Cariclée a pour auteur Héliodore de Phénicie[284][285] qui vivait dans le quatrième siècle. Il composa ce livre dans sa jeunesse et fut depuis élevé à l’épiscopat. Cette dignité, qui le vouait entièrement aux choses saintes, ne le rendit pas insensible à la gloire criminelle d’avoir fait un ouvrage profane. Il ne voulut ni le supprimer ni le désavouer. Cet entêtement obligea les évêques de Thrace assemblés de le déposer. Il n’y a pourtant que Nicéphore [286] qui parle de cette déposition prétendue, les autres n’en disent mot. [74]

  70. Moréri 1707, tome 4, page 260 – Simon, convaincu d’un crime, fut condamné à mourir de faim dans une prison. Sa fille obtint du geôlier la permission de le voir tous les jours, elle lui donnait à téter et lui sauva ainsi la vie. Le geôlier, surpris qu’un homme qui ne mangeait point vécût aussi longtemps, car il empêchait avec soin que cette fille ne lui portât aucune nourriture, examina ce qu’elle faisait avec son père. Il s’aperçut qu’elle lui présentait ses mamelles comme à un enfant. [287] Cette action fut rapportée aux juges, ils firent grâce au père coupable en faveur de la fille tendre et reconnaissante, et assignèrent à l’un et à l’autre une pension. Le lieu où était cette prison fut consacré par un temple à la déesse Piété[288] on y peignit un tableau qui représentait l’action dont l’on vient de parler. Les copies de ce tableau, qu’on appelle une Charité romaine, sont nombreuses. [289] Comme on prétend que celle qui nourrissait son père était fille, on regarde comme un miracle de la nature le secours qu’elle procurait à son père. [75][290]

  71. Moréri 1707, tome 3, pages 56 et 335 – Le corps de Germanicus [291] ayant été brûlé selon la coutume des Romains, son cœur parut tout entier au milieu des flammes. On a remarqué la même chose de la Pucelle d’Orléans. [292] À l’égard de Germanicus, il y avait une circonstance particulière : l’empereur Tibère [293] le fit empoisonner par le ministère de Pison, gouverneur de Syrie, [294] et c’est l’opinion commune que cette partie étant une fois imbue de venin ne peut jamais être consumée par la violence du feu. [76]

  72. Moréri 1707, tome 2, page 195 – Paul du Chastelet[295] avocat général au parlement de Rennes, [296] depuis maître des requêtes et enfin conseiller d’État, était fort considéré de Louis xiii. Un jour qu’il sollicitait avec chaleur la grâce du duc de Montmorency, [297] le roi lui dit : « Je pense que Monsieur du Chastelet voudrait avoir perdu un bras pour sauver Monsieur de Montmorency » ; il fit cette belle et prompte réponse, « Je voudrais, Sire, les avoir perdus tous deux car ils sont inutiles à votre service, et en voir sauvé un qui vous a gagné des batailles et qui vous en gagnerait encore. »

    Monsieur Pellisson remarque de lui un autre trait : Monsieur du Chastelet avait été conduit à Villepreux [298] par les ordres du roi ; quelque temps après être sorti de cette prison, il revint à la cour ; le roi feignit de ne le pas regarder, comme par une espèce de chagrin de voir un homme qu’il venait de punir ; Monsieur du Chastelet s’approcha de Monsieur de Saint-Simon [299] et lui dit : « Je vous prie, Monsieur, de dire au roi que je lui pardonne de bon cœur, et qu’il me fasse l’honneur de me regarder. » Ce trait fit plaisir au roi, il fit bonne mine à Monsieur du Chastelet et le caressa. [77]

  73. Moréri 1674, page 338 – Valère Maxime parle de deux frères nommés Coëlius [300] qui, accusés d’avoir tué leur père, Titus, qu’on avait trouvé égorgé dans une chambre voisine de la leur, furent renvoyés parce qu’on les avait surpris dans un tranquille et profond sommeil. Les juges ne purent jamais se persuader que la nature, toujours la première à nous reprocher certains crimes, permît à des parricides un repos que de moindres coupables n’auraient pas eu. En effet, on est agité malgré soi, le trouble au cœur s’empare du visage, il saisit toute la personne du criminel, et < sic pour : qui > s’accuse par son propre silence ; où s’il parle, c’est plutôt pour hâter sa condamnation que pour travailler à sa défense. [78]

  74. Moréri 1674, page 642Hunéric[301] roi des Vandales en Afrique, qui vivait dans le cinquième siècle, a été un des plus grands persécuteurs de l’Église : à la persuasion d’un évêque arien, [302] il bannit près de cinq mille ecclésiastiques, publia divers édits contre les catholiques et en fit mourir jusqu’à quatre cent mille par des tourments inouïs. Son frère et ses enfants furent les victimes de sa cruauté. [79]

  75. Moréri 1707, tome 3, page 475 – Jean de Launoy[303] docteur < en théologie > de Paris, de la Maison de Navarre, [304] originaire de Normandie, au diocèse de Coutances, [305] est mort en 1678 après avoir passé sa vie dans un travail continuel. Il n’y a pas d’homme qui ait plus écrit que lui : il a laissé près de 70 volumes de sa façon, presque tous en latin. Il était bon critique, il avait beaucoup profité des entretiens familiers qu’il avait avec le Père Sirmond. [306] Il a combattu presque toutes les anciennes traditions des églises de France, fondant son sentiment sur les époques de Sulpice-Sévère [307] et de Grégoire de Tours. [80][308]

  76. Moréri 1707, tome 1, page 365 – François Armellino [309] naquit à Pérouse [310] de parents peu illustres. Il résolut de s’établir à Rome, où il commença par solliciter des procès. Il se rendit habile maltôtier, cette industrie le fit connaître au pape Léon x[311] Ce pontife, satisfait des moyens qu’Armellino donnait pour trouver de l’argent, le créa cardinal en 1517, lui donna un gouvernement et le fit intendant de ses finances. Cette élévation lui suscita des envieux et son nom devint en exécration parmi les peuples ; jusque-là que dans un consistoire où l’on parlait de chercher un fonds pour subvenir aux nécessités de l’Église, le cardinal Pompée Colonna [312] dit hautement : « Il ne faut que faire écorcher Armellino et exiger un quatrain de tous ceux qui seront bien aises de voir sa peau. L’argent qu’on en tirera produira une somme considérable. » Mais le cardinal de Médicis, dans la famille duquel il avait été adopté, prit son parti ; et ayant depuis été élevé au pontificat sous le nom de Clément vii, il le gratifia de l’archevêché de Tarente [313] et de plusieurs autres bénéfices considérables. Bientôt après, il fut assiégé avec le pape dans le château Saint-Ange [314] et il mourut de déplaisir d’avoir perdu tous les amis qu’il avait à Rome, dans le temps que les Impériaux s’en rendirent maîtres. Le pape se consola de cette mort qui lui procurait deux cent mille écus en terres, il s’en servit pour payer sa rançon car Armellino mourut sans avoir fait de testament. [81]

  77. Moréri 1707, tome 2, page 94 – Jean de Carvayal[315] gentilhomme espagnol injustement accusé d’avoir commis un meurtre, fut précipité, par ordre de Ferdinand, roi de Castille, [316] du haut d’un rocher. [317] On remarque qu’avant son exécution, il ajourna ce prince trop crédule à comparaître devant le Tribunal de Dieu dans trente jours, et que trente jours après son exécution, Ferdinand mourut subitement. [82][318]

  78. Moréri 1707, tome 2, page 41 – Lorsque Félix Peretti, depuis appelé le cardinal de Montalte, eut été créé pape sous le nom de Sixte v[319] la Signora Camilla[320] sa sœur, fut mandée à Rome. Quelques cardinaux, avertis de son arrivée, jugèrent à propos d’aller au devant d’elle ; et croyant faire leur cour au pape, ils firent habiller en princesse cette sœur qu’il aimait avec distinction ; ils la présentèrent ainsi au pape ; mais Sixte v, surpris de la voir dans un tel équipage, feignit de ne la pas connaître ; Camilla, qui s’aperçut de la délicatesse de son frère, parut le lendemain au Vatican avec ses habits ordinaires ; alors le pape l’embrassa et lui dit : « Vous êtes à présent ma sœur, et je ne prétends pas qu’un autre que moi vous donne la qualité de princesse. » Il la pria de ne lui demander aucune grâce, chose qu’elle observa avec tant d’exactitude qu’elle se contenta d’obtenir des indulgences pour une confrérie dont on l’avait faite protectrice. [83][321]

  79. Moréri 1707, tome 3, pages 272‑273 – Jean Hus[322] qui renouvela dans le xive siècle les erreurs des vaudois [323] et de Wiclef, [324] fut condamné en 1415 à être brûlé avec ses livres. Un auteur de sa suite, qui était présent à son supplice, dit que Jean Hus monta sur le bûcher avec une intrépidité extraordinaire et qu’il mourut en chantant des psaumes et invoquant le nom de Jésus-Christ. Nous, qui sommes persuadés de la vérité de notre religion, aurions-nous à la défendre le même zèle qu’ont les hérétiques à soutenir leurs erreurs ? [84][325]

  80. Moréri 1707, tome 1, page 372 – Monsieur < Arnauld > d’Andilly[326] père de Monsieur Arnauld de Pomponne, [327] secrétaire d’État et ambassadeur en Suède, quitta le monde à l’âge de 55 ans, et il se retira en l’abbaye de Port-Royal-des-Champs, [328] où sa mère, [329] six de ses sœurs et cinq de ses filles ont été religieuses. C’est pendant tout ce temps qu’il a fait ces excellentes traductions imprimées en 8 volumes in‑fo. Il a vécu près de 86 ans. [85]

  81. Moréri 1707, tome 1, page 656 – François Brian, [330] chevalier de l’Ordre < de la Jarretière > [331] et de la Maison de Bouillon < sic pour : Boulen >, connu sous le nom de Vicaire infernal, y reçut ce titre de Henri viii, roi d’Angleterre. Ce prince, dont les désordres ont fait la honte du siècle où il a vécu, avait habitude avec la femme de Thomas Boulen, il en eut deux filles qu’il aima, dont il eut ensuite des enfants. Demandant un jour à François Brian si c’était un grand crime d’entretenir la mère et la fille, Brian, qui n’avait pas l’âme fort scrupuleuse, répondit : « C’est comme si l’on mangeait la poule et le poulet. » Le roi ayant trouvé cette réponse plaisante, lui dit qu’il le prenait pour son Vicaire infernal, le nom lui en est resté. [86]

  82. Moréri 1707, tome 2, page 28 – Ce fut une certaine femme romaine, nommée Calpurnia[332] qui plaida elle-même sa cause avec tant d’emportement et si peu de pudeur que les magistrats furent obligés de faire un édit par lequel ils défendaient aux femmes de plaider. [87]

  83. Moréri 1707, tome 3, page 489‑85Léon l’Isaurien[333] empereur de Constantinople, se nommait auparavant Conon, dans le temps qu’il n’était que petit mercier. Portant ses marchandises de village en village, il fut rencontré par deux magiciens qui lui prédirent qu’il parviendrait à l’Empire. Il quitta son métier et s’enrôla. Après s’être signalé par quelques actions, il acquit la confiance de Justinien. [334] Celui-ci fut assassiné ; Bardanès, [335] son successeur, eut les yeux crevés ; Artemius, proclamé empereur sous le nom d’Anastase, [336] donna l’armée et la préfecture de l’Orient à Léon ; Théodose, [337] à qui Artemius avait été contraint de céder l’Empire, y renonça quelque temps après en faveur de Léon. Ainsi fut accomplie la prédiction des deux magiciens. Ce Conon persécuta l’Église et introduisit l’hérésie des Iconoclastes. [88][338]

  84. Moréri 1707, tome 2, pages 519‑520 – Chacun raconte à sa fantaisie l’histoire de Lucrèce. [339][340] Ceux qui ne la peuvent point révoquer en doute y donnent des interprétations malignes ; mais voici un trait de vertu qu’il est, ce semble, impossible de ne pas admirer : lorsque la ville d’Aquilée [341] en Italie fut prise par Attila, [342] une femme nommée Dugna[343][344] voyant que ce prince, charmé de sa beauté, formait des desseins sur son honneur, le pria de monter dans une haute galerie, comme si elle eût voulu lui communiquer un secret important ; aussitôt qu’elle se vit en un lieu propre à se jeter dans la rivière qui arrosait les murailles du palais, elle se précipita en criant à ce barbare « Suis-moi si tu veux me posséder ! » Voilà une résolution bien hardie et un exemple de chasteté hors de tout soupçon. [89][345][346]

  85. Moréri 1707, tome 3, page 720 – François de Meinard[347] de l’Académie française, [348] était de très bonne famille. Il fut président au présidial d’Aurillac [349] et on l’honora avant sa mort d’un brevet de conseiller d’État ; et fut secrétaire de la reine Marguerite, [350] ami de Des Portes, [351] camarade de Régnier, [352] et disciple de Malherbe. [353] Il fut connu très particulièrement du pape Urbain viii[354] qui prenait plaisir de s’entretenir souvent avec lui de belles choses, et qui lui donna un exemplaire de ses poésies latines écrit de sa propre main. Le cardinal de Richelieu le connaissait, jamais il ne lui a fait de bien ; Meinard lui présenta un jour cette épigramme :

    « Armand, l’âge affaiblit mes yeux,
    Et toute ma chaleur me quitte,
    Je verrai bientôt mes aïeux,
    Sur le rivage du Cocyte. [355]

    C’est où je serai des suivants
    de ce bon monarque de France,
    Qui fut le père des savants,
    En un siècle plein d’ignorance. [356]

    Dès que j’approcherai de lui,
    Il voudra que je lui raconte
    Tout ce que tu fais aujourd’hui
    Pour combler l’Espagne de honte.

    Je contenterai son désir
    Par le beau récit de ta vie,
    Et charmerai le déplaisir
    Qui lui fit maudire Pavie. [357]

    Mais s’il demande à quel emploi
    Tu m’as occupé dans le monde,
    Et quels biens j’ai reçus de toi,
    Que veux-tu que je lui réponde ? »

    Le cardinal rebuta cette épigramme et il répondit brusquement, contre sa coutume, au dernier vers : « Rien ! » Cela fut cause des pièces que Meinard fit contre lui après sa mort. [358] Quelque temps avant la sienne, il avait fait mettre sur la porte de son cabinet cette inscription, qui témoignait son dégoût pour la cour et pour le siècle :

    « Las d’espérer et de me plaindre,
    Des Muses, des grands et du sort,
    C’est ici que j’attends la mort,
    sans la désirer ni la craindre. » [90]

  86. Moréri 1707, tome 2, pages 421‑422Crœsus[359] roi de Lydie, [360] eut trois fils, dont l’histoire a remarqué trois choses fort particulières. L’aîné, mis en otage dans le palais de Cyrus, trouva le secret de machiner une trahison contre ce roi ; elle fut bientôt découverte ; Cyrus, offensé de cette témérité, le fit tuer aux yeux mêmes de son père. Le puîné était muet ; Crésus consulta l’oracle sur sa cause et la durée de ce défaut naturel ; la réponse qu’il reçut fut qu’il ne devait pas souhaiter que son fils cessât d’être muet parce que le moment le plus malheureux de sa vie serait le moment où ce fils commencerait d’avoir l’usage de la parole ; la prédiction de l’oracle s’accomplit quelque temps après, car le jour même que Sardes, [361] capitale des États de Crésus, fut assiégée, un soldat persan, levant son cimeterre pour le tuer, le prince muet trouva, par un effort de crainte et de tendresse, moyen de s’expliquer ; la nature, qui le lui avait refusé, lui suggéra aussitôt ces paroles : « Arrête, soldat, ne porte point la main sur mon père » ; depuis ce moment, il continua de parler. Au contraire, le dernier des trois de Crésus eut de bonne heure la facilité de s’énoncer ; dès le berceau, il s’exprimait distinctement. [91]

  87. Moréri 1707, tome 1, pages 5‑6 – Pierre Abélard[362] qui vivait dans le douzième siècle, fut estimé comme un des plus beaux esprits de son temps. Pendant qu’il enseignait la théologie à Paris, il s’instruisait chez un chanoine nommé Fulbert, [363] dont la nièce avait beaucoup d’inclination pour les hautes sciences. Cette fille, qu’on appelait Héloïse, [364] ne résista point à la passion qu’Abélard avait conçue pour elle. Leur amour éclata, et les preuves de leur commerce devinrent publiques. Fulbert prit le parti de chasser Abélard de sa maison, et Héloïse prit aussitôt celui de l’aller trouver en Bretagne, où elle accoucha d’un fils. Ils revinrent à Paris, le docteur fit à sa maîtresse des propositions de mariage ; elle refusa de les agréer, ne voulant priver l’Université d’un si habile professeur, ni l’Église, d’un homme qui devait devenir un de ses premiers ornements. Ces raisons touchèrent peu Abélard, il épousa Héloïse en secret et il la mit chez les religieuses d’Argenteuil. [365] Fulbert se plaignit et après avoir intéressé son valet à venger un tel outrage, il le fit eunuque. [366] Ce malheur le couvrit de honte. Pour la cacher, il se retira dans l’abbaye de Saint-Denis, [367] où il prit l’habit de religieux après qu’Héloïse eut fait profession dans le monastère d’Argenteuil. Les affaires que sa doctrine équivoque lui suscita l’obligèrent de sortir de l’abbaye. Il établit enfin son séjour dans le diocèse de Troyes, [368] il nomma son oratoire le Paraclet, [369] pour exprimer les douze consolations dont le Saint-Esprit le comblait. Sa solitude fut bientôt remplie d’un grand nombre de disciples, que sa réputation lui attirait de toutes les parties de l’Europe. Alors Suger, [370] abbé de Saint-Denis, persuadé que les religieuses d’Argenteuil ne vivaient pas régulièrement, les fit sortir de ce monastère, où il envoya des bénédictins[371] Abélard offrit le Paraclet à Héloïse, elle s’y retira et vécut très saintement. Ce grand homme entretint avec elle ce pieux commerce de lettres, où il lui donne une forme de vie religieuse et l’éclaircissement de quelques endroits de l’Écriture. Sa subtilité parut suspecte à saint Bernard [372] et l’exposa à la censure d’un concile provincial. Abélard en appela au pape et il prit le chemin de Rome, et s’arrêta à l’abbaye de Cluny [373] où Pierre le Vénérable [374] lui donna l’habit de cet Ordre. [375] Ce docteur, soumettant toutes ces lumières à la pure vérité, songea moins à paraître savant qu’à vivre en saint. Ses grandes austérités abrégèrent le cours de sa vie, elle ne dura que soixante et trois ans, et fut terminée en 1145. Pierre le Vénérable apprit cette triste nouvelle à Héloïse, elle la reçut avec une tranquillité chrétienne et demanda, pour toute consolation, le corps de ce grand homme. L’abbé le lui envoya et le fit enterrer dans l’église du Paraclet. [92]

  88. Moréri 1707, tome 4, pages 669‑670 – Dresser des statues pour rendre éternelle la mémoire des hommes : il semble que cela n’était dû qu’aux grandes actions ; cette rare récompense du mérite est devenue peu à peu une invention ordinaire de la flatterie. Les Grecs établirent les premiers l’usage des statues ; il passa dans l’Italie : les statues de Romulus [376] et de ses successeurs, mises dans le Capitole, [377] furent presque les seules que l’on vit à Rome pendant qu’elle était gouvernée par les rois : celles de Brutus [378] et d’Horatius Coclès, [379] et plusieurs < autres > parurent bientôt après ; il en parut un si grand nombre que le Sénat ordonna qu’on ôterait des places publiques celles qui auraient été érigées sans son ordre ou sans l’aveu du peuple. Cette ordonnance ne fut observée que jusqu’au temps des empereurs. On vit alors plus de statues qu’auparavant. Les femmes obtinrent le droit de mettre les leurs dans les provinces, et même dans Rome. Les temples et les palais, les portiques, les amphithéâtres, les thermes et les places publiques étaient remplis de statues que le mérite ou la flatterie avait élevées. De là vint cette agréable raillerie d’un Ancien : « Il y avait dans Rome un peuple de marbre et de bronze qui égalait le nombre des citoyens. » La vanité, peu satisfaite du marbre et du bronze, employa l’argent sous le règne d’Auguste. Ses successeurs voulurent que les statues qui leur seraient consacrées dans le Capitole fussent d’or : Caligula, Claudius [380] et Commode [381] n’en voulurent point d’autres. Cette magnificence éclata encore sur la fin du quatrième siècle : Arcadius [382] fit faire la statue de l’empereur Théodose, [383] elle pesait sept mille quatre cents livres d’argent. [93][384]

  89. Moréri 1707, tome 2, page 492Demetrius Phalereus[385] philosophe péripatéticien [386] qui vivait du temps d’Alexandre le Grand, a lui seul eu autant de statues que l’ambition de plusieurs en pouvait désirer. La ville d’Athènes lui en érigea trois cent soixante, dont plusieurs étaient élevées sur des chariots attelés à deux chevaux ; de toutes ces statues, il n’y en eut point qu’il ne méritât ; l’envie lui suscita bientôt après des persécuteurs, on conspira contre lui, il prit la fuite, on le condamna à mort ; ses ennemis, fâchés de ne le pouvoir prendre, renversèrent ses statues ; Demetrius l’ayant su, s’en moqua et dit : « J’ai sujet de me consoler du tort que mes ennemis font à mes statues, puisqu’ils n’ont point de pouvoir sur la vertu qui les a fait élever. » [94]

  90. Moréri 1707, tome 2, page 612Éleogabala [387] eut la plaisante et ridicule idée d’établir un Sénat de femmes pour juger les causes des personnes de ce sexe. Sa mère en était la présidente ; il eut ce dessein tellement en tête qu’il fit mourir plusieurs sénateurs qui ne l’avaient pas approuvé. [95] Les femmes ont peut-être souhaité de ne pouvoir être citées qu’à un tel tribunal, mais il leur serait moins favorable que celui des hommes : là, on n’aurait aucun égard à leur jeunesse, à leurs charmes, au lieu qu’une belle solliciteuse trouve le moyen de se rendre son juge favorable.

  91. Moréri 1674, pages 248‑249 – Jérôme Cardan[388] médecin et astrologue de Milan, [389] vivait dans le seizième siècle. Il a beaucoup écrit. Sa vie est à la tête de ses ouvrages : quoiqu’il en soit l’auteur, il y rapporte, avec une sincérité admirable, il ne feint point de se dire illégitime. On sait que Jules Scaliger [390] fut son ennemi irréconciliable. Cardan avait pronostiqué l’an et le jour de sa mort ; le temps qu’il avait marqué étant arrivé, il jugea à propos de ne plus manger, afin de n’avoir pas le démenti de ses prédictions. Ainsi, l’amour de sa réputation l’emporta sur le plaisir de vivre : il mourut âgé de 75 ans ; sans doute aurait-il vécu davantage s’il avait eu moins d’entêtement de sa fausse science. [96][391][392]

  92. Moréri 1707, tome 2, pages 541‑542 – On voit des procureurs faire fortune, mais on n’en a jamais vu une pareille à celle de Jean de Dormans[393] qui vivait en 1347. L’aîné de ses enfants fut évêque de Beaumont < sic pour : Beauvais >, [394][395][396] peu après cardinal, ensuite chancelier de France, [397] enfin légat du pape Grégoire xsic pour : xi >, pour travailler à la paix entre le roi Charles v [398] et le roi d’Angleterre ; [399] c’est lui qui est le fondateur du Collège de Saint-Jean de Beauvais. [400] Le second des enfants de Jean de Dormans fut d’abord avocat général au Parlement de Paris, et puis chancelier ; [401] celui-ci eut plusieurs enfants, dont l’un eut aussi l’honneur de remplir cette première place de la justice. [402] En sorte que de la famille d’un procureur sont sortis trois chanceliers, un cardinal, un archevêque, car le troisième fils de Jean de Dormans eut premièrement l’évêché de Meaux [403] et bientôt après l’archevêché de Sens. [404][405] Jamais tant de dignités ne se sont rassemblées dans une famille plus obscure ni plus indigne. [97]

  93. Moréri 1707, tome 3, page 413 – Le pape Jules ii, dit auparavant Julien de la Rouvère, [406] avait l’esprit fort porté à la guerre. Il prit le nom de Jules en mémoire de Jules César, [407] et par l’imitation de celui d’Alexandre visic pour : v >. [408] On ajoute que contre la coutume de ses prédécesseurs, il portait une longue barbe pour se rendre plus terrible à ceux qui le regardaient. Le pape capitaine commandait lui-même ses armées. Peu s’en fallut qu’un coup de canon ne l’emportât, il fit pendre le boulet dans l’église de Lorette. [409] La perte de la bataille de Ravenne, en 1512, [410] l’affligea beaucoup, son légat y fut fait prisonnier. [98] Il me semble que l’épée et l’Église sont deux professions qui ne sympathisent guère : quand les hommes veulent ainsi se transplanter, et de pape devenir capitaines, il faut donc choisir des prélats parmi les officiers.

  94. Moréri 1674, page 716 – Quand Innocent iii [411] fut élevé au pontificat, il n’était que diacre. Avant son couronnement on le sacra prêtre, puis évêque. On eut peine à le faire consentir à son élection, il ne l’accepta qu’après avoir eu des marques visibles de la volonté de Dieu. Ce pape refusa de se servir de vaisselle d’argent, il en fit distribuer le prix aux pauvres qu’il servait lui-même à table, et il se contenta d’en avoir de bois et de terre : grands exemples qui tentent peu de prélats ! [99]

  95. Moréri 1707, tome 3, page 480 – Leone < sic pour : Leene >, [412] femme courtisane d’Athènes, vivait en la soixante-sixième olympiade. Elle sut la conspiration d’Harmodius et d’Aristogiton, [413] de la famille d’Alenteon < sic pour : Alcméon >, [414] opposée à celle de Pisistrate. [415] Cependant, elle aima mieux se couper la langue avec les dents que de découvrir les coupables. Les Athéniens élevèrent en son honneur une lionne sans langue. [100][416]

  96. Moréri 1674, page 839 – Tertullien [417] et saint Jérôme [418] se servent fort souvent de l’exemple de Lucresse < sic pour : Lucrèce > pour persuader la pureté aux femmes chrétiennes. Saint Augustin [419] et quelques autres ont improuvé sa fureur, et c’est en ce sens que René Laurens [420] a publié cette belle épigramme :

    Si fuit ille tibi Lucretia gradus sic pour : gratus > adulter,
    Immerito
    sic pour : immerita > ex merita præmia morte petis.
    Sin potius casto vis est allata pudori
    Quis furor est, hostis crimine velle mori ?
    Frustra igitur laudem captas, Lucretia : namque
    Vel urina revis
    sic pour : furiosa ruis >, vel scelerata cadis[101][421]

  97. Moréri 1674, page 785 – Ce fut Léonidas, premier de ce nom, [422] roi des Lacédémoniens, qui défendit le détroit des Thermopytes < sic pour : Thermopyles > [423] contre une armée effroyable de Perses, conduite par Xerxès. [424] Il s’opposa à leur passage avec trois cents hommes seulement. Tous, à la vérité, aussi bien que Léonidas, y perdirent la vie, mais est-ce mourir que d’acquérir une gloire immortelle ? On dit que quand Léonidas partit de Sparte, sa femme lui demanda s’il n’avait rien à lui recommander : « Rien, répondit Léonidas, sinon que tu te remaries après ma mort à quelque grand homme, de qui tu aies des enfants qui me ressemblent. » Ce fut ce même roi qui fit cette réponse, aussi ingénieuse qu’intrépide, que tout le monde admire : quelqu’un disait pour l’étonner que le soleil serait obscurci des flèches des Perses, « Tant mieux, dit-il, nous combattrons à l’ombre ! » Voici un autre trait qui marque encore une grande âme : Xerxès lui ayant mandé qu’en s’accommodant avec lui, il lui donnerait l’empire de la Grèce, « J’aime mieux, dit-il, mourir pour mon pays que d’y commander injustement. » Quand on lui demandait pourquoi les braves gens préféraient la mort à la vie, la raison qu’il en donnait était « qu’ils tiennent celle-ci de la Fortune, [425] et l’autre, de la Vertu ». [102]
  98. Moréri 1674, page 793 – Il y avait du temps de Cicéron [426] un orateur aussi célèbre que lui, il s’appelait Caius Licinius Calicus < sic pour : C. Licinius Calvus >, [427] fils d’un des meilleurs poètes de son temps. Ses invectives étaient si fortes et si éloquentes qu’un certain Vatinius, [428] craignant d’être condamné, l’interrompit avant qu’il eût achevé son plaidoyer, et s’adressant aux juges, il leur dit : Rogo vos, judices, nam si iste disertus est, ideo me damnari oportet[103][429][430] Ce Licinius mourut fort jeune. Où n’iraient point des hommes nés avec de si belles dispositions si la nature leur donnait une vie plus longue ?

Fin

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1.

Un tel avant-propos convient clairement que Guy Patin n’est pas auteur des 98 articles qui suivent, numérotés en chiffres romains minuscules. Leur nombre n’est que de 95 dans la version imprimée, où un défaut de composition a omis d’en distinguer trois. Pour en faciliter la lecture, j’ai mis en petites majuscules l’intitulé du Moréri, en respectant les altérations éventuellement apportées par L’Esprit de Guy Patin.

Sans surprise, « notre ami M. D… », qui les a confiés aux rédacteurs de notre Faux Patiniana, est un faux-nez : fidèles à leur méthode de plagiat sans vergogne, ils avouent ici néanmoins leur larcin, sans le dévoiler tout à fait ; néanmoins, on découvre sans peine qu’ils sont tous issus du Grand Dictionnaire historique, ou le Mélange curieux de l’histoire sacrée et profane… Ouvrage progressivement accru au fil de ses 20 éditions parues entre 1674 et 1759, il a fait la célébrité de Louis Moréri (Bargemon, Provence 1643-Paris 1680), prêtre et docteur en théologie. J’ai inséré, après le numéro de chaque article, le lien de sa référence dans l’une de trois éditions disponibles en ligne (au mois de septembre 2020) :

  1. Moréri 1674, première édition (Lyon, Jean Girin et Barthélemy Rivière, un volume, in‑fo) ;

  2. Moréri 1698, 8e édition (Amsterdam, Georges Gallet, 4 volumes in‑fo) ;

  3. et surtout Moréri 1707, 12e édition (Paris, Denys Mariette, 4 volumes in‑fo) avec des additions tirées du Dictionnaire de Pierre Bayle, qui est la dernière où L’Esprit de Guy Patin a pu puiser.

Il est difficile d’imaginer que ce florilège ait été composé à l’insu des libraires (Coignard et Mariette) qui ont imprimé les premières éditions françaises posthumes du Grand Dictionnaire (à partir de 1699, référence 3 supra), et surtout de leur compilateur, l’obscur M. Vaultier (prénom inconnu), dont la préface de la 18e édition (Bâle, 1731) a ainsi loué les mérites :

« Le débit du Dictionnaire de Moréri fut très considérable en Hollande. M. Le Clerc {a} nous apprend que depuis l’an 1690 jusqu’à l’an 1698, il s’en était vendu sept mille exemplaires. Un débit si rapide, qui sûrement était lucratif, fit ouvrir les yeux aux libraires de Paris, qui savent, de même que ceux des autres nations, quo valeat nummus. {b} Ils engagèrent donc M. Vaultier à se charger de revoir le Moréri, et à procurer une nouvelle édition qui effaçât le mérite de celles de Hollande. M. Bayle loue l’esprit, le savoir et l’application de ce nouveau réviseur : “ M. Vaultier, dit-il, est très habile, la grande vivacité de son esprit ne l’empêche pas d’être fort laborieux, et capable d’une très longue et très profonde application. ” {c} Ce fut en 1699 que M. Vaultier fit paraître sa première édition. » {d}


  1. Jean Le Clerc, compilateur des trois éditions hollandaises posthumes (1691-1698, 2 supra).

  2. « ce que vaut l’argent. »

  3. Trois pages plus loin, le même Avertissement de M. Bayle sur la seconde édition des Remarques critiques sur la nouvelle édition du Dictionnaire historique de Moréri, donnée en 1704. Ces remarques ont été premièrement imprimées à Paris, et M. Bayle les fit réimprimer à Rotterdam en 1706 in‑8o {i} a été nettement plus réservé :

    « Plus on descendrait dans les détails, plus convaincrait-on tous les lecteurs qu’une correction parfaite du Moréri ne saurait être l’ouvrage d’une seule personne. M. Vaultier seul pourrait fort bien être le directeur général, et le dernier réviseur de tout ; mais il lui faudrait des coadjuteurs, je veux dire des gens qui travaillassent sous lui selon les rôles qu’il leur partagerait. Il lui faudrait nommément un de ces critiques chagrins, bourrus, si l’on veut, et fantasques, à qui la moindre ombre d’urrégularité fait naître de grands soupçons qu’un auteur le trompe. »

    1. Œuvres diverses de M. Pierre Bayle… (La Haye, 1731, tome quatrième, page 196).
  4. À défaut de se faire mieux connaître, Vaultier avait ainsi conclu sa Préface de 1707 :

    « Telles ont été les lois que je me suis prescrites, et que j’ai tâché d’observer avec toute l’exactitude dont peut être capable un homme seul, chargé du poids d’un ouvrage presque infini par l’étendue, le nombre et la diversité de ses matières. Je m’étais flatté d’être secouru par les savants dans l’exécution d’un dessein si utile, et je les avais invités dans mon projet à me faire part de leurs lumières et de leurs réflexions ; mais ces espérances ont été vaines et, hors bon nombre de remarques qui m’ont été fournies par le R.P. Ange, provincial des augustins déchaussés, surtout pour les articles généalogiques, je n’ai rien reçu dont je me sente obligé de témoigner ici ma reconnaissance. Cependant, loin que cette disette de mémoires ait rien ralenti de l’ardeur avec laquelle j’étais entré dans une carrière si longue et si pénible, elle m’a fait rassembler tout ce que j’avais de forces pour m’empêcher d’y succomber. Trop heureux si le public me sait quelque gré de quatre années de soins et de recherches que je lui ai dévouées ! C’est l’unique fruit que je me suis proposé d’en recueillir, et l’unique ambition où se bornent tous mes vœux. »

Avec ce bouquet final de leur extravagante rhapsodie, les auteurs de L’Esprit de Guy Patin font allègrement passer le lecteur d’un faux Patiniana à un pseudo-Moreriana qui ne dit pas son nom. Tout cela peut laisser imaginer que ce supplément numéroté soit une commande que, à court d’idées et de matière, nos besogneux faussaires auraient faite à Vaultier, moyennant quelque honoraire, pour augmenter de 80 pages le volume, la bizarrerie et le profit commercial de leur livre. Quoi qu’il en soit de mon hypothèse, mes notes ont complété leurs commentaires moralisateurs avec les citations des ouvrages consultés par Moréri, Le Clerc ou Vaultier chaque fois qu’il m’a paru enrichissant ou curieux de les retrouver.

2.

Bessarion (Trébizonde, Anatolie 1403-Ravenne 1472) est le nom religieux d’un moine orthodoxe de l’Ordre de saint Basile, dont le patronyme et le prénom sont incertains. Métropolite de Nicée en 1437 et favorable à la réunion des Églises chrétiennes, il se convertit au catholicisme en 1438 et fut élu cardinal l’année suivante, puis archevêque de Thèbes (Béotie), en conservant le surnom de cardinal de Nicée. Il a accompli de nombreuses missions diplomatiques au service du Saint-Siège, dont la dernière, auprès du roi Louis xi, le mena à Saumur ; il y il tomba malade et mourut lors de son voyage de retour à Rome. Bessarion fut l’un des érudits qui ont fait connaître les philosophes grecs dans le monde latin, et ainsi contribué à fonder la Renaissance européenne (autrement nommée « le rétablissement », v. notule {e}, note [49] du Naudæana 3).

Le conclave évoqué dans cet article est celui de 1471. Paul Jove en a ainsi parlé dans son éloge de Bessarion : {a}

[…] usque adeo extra invidiam gloriosa sui fama fruebatur, ut Eugenius, Nicolaus et Pius eum sibi successorem, si fas esset, adoptare percuperent : neque optime de Republica merito, Senatorum studia deerant ; sed Paulo morte sublato, in comitiis fatalis casus tantæ spei Fortunam avertit. Ferunt enim tres summæ authoritatis cardinales, quum eo decreto, ut cum pontificem salutarent, abditum in cella conclavis adissent, nec admitterentur a Nicolao Perotto ianitore, quod tum vir ineptus lucubranti parcendum diceret, usque adeo stomachatos, ut sese indignanter avertentes, responderent. Ergo nec prensanti, nec roganti quidem, summa dignitas erit inculcanda, ut quum e cælo suffragia expectet, superbis demum ac stolidis ianitoribus pareamus ? statimque suffragia Xysto detulisse, quo repente renuntiato ador<n>atoque, Bessarion dixisse fertur : Hæc tua Nicolæ, intempestiva sedulitas, et tiaram mihi et tibi gallerum eripuit.

[(…) il jouissait d’un si glorieux renom, exempt de jalousie, que, si Dieu voulait, Eugène, Nicolas et Pie {b} désirèrent avidement l’avoir pour successeur, et le zèle des cardinaux ne manquait pas d’adhérer à ce vœu, en raison de son insigne mérite politique ; mais quand ils se réunirent après le décès de Paul, {c} un fatal incident en empêcha l’heureux accomplissement. Trois cardinaux d’éminente autorité ont en effet relaté que quand ils se présentèrent pour saluer le nouveau pontife, qui s’était enfermé dans son cabinet, Niccolo Perotti, son secrétaire, {d} leur refusa l’entrée : comme ce stupide personnage leur disait qu’il ne fallait pas déranger son maître au travail, ils en furent si estomaqués qu’ils lui répondirent avec indignation qu’ils retournaient là d’où ils étaient venus. Quand nous devons accéder à la dignité suprême, même sans la rechercher ni la solliciter, puisqu’elle dépend des suffrages célestes, sommes-nous seulement à l’abri des sots et orgueilleux secrétaires ? Les votes se sont immédiatement reportés sur Sixte, {e} qui fut promptement proclamé et intronisé, et l’on raconte que Bessarion dit alors : « Ton zèle inopportun, cher Niccolo, m’a arraché la tiare et t’a coûté le bonnet. »] {f}


  1. Page 44 des Elogia, édition de Bâle, 1577, v. note [27], lettre 925.

  2. Les papes Eugène iv (1431-1447, v. note [49] du Naudæana 2), Nicolas v (1447-1455, v. note [5], lettre 969) et Pie ii (1458-1464, v. note [45] du Naudæana 3). Callixte iii (Alonso Borgia, 1455-1458) manque à la série, probablement pour sa réputation de faiblesse politique et de népotisme outrancier.

  3. Le pape Sixte iv (1471-1484, v. note [39] du Naudæana 2).

  4. Le pape Paul ii (1464-1471, v. note [15] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii).

  5. Niccolo Perotti (Nicolaus Perottus, ici Nicolas Perrot, 1429-1480), prélat italien et éminent latiniste, s’est acquis une grande réputation pour ses travaux sur la grammaire et le vocabulaire latin, et pour ses études sur Martial et sur Phèdre. Jove a donné son éloge pages 22‑23, avec cette remarque :

    Exinde Romæ Græcas literas pertinaci studio consectatus, fretusque Bessarione generoso Mecænate, adeo exacte, feliciterque profecit, ut ab eo Polybius gravissimus historiarum scriptor, latinitati donaretur.

    [Ensuite, à Rome, il se consacra avec un zèle acharné à l’étude du grec. Sous l’égide de Bessarion, son généreux mécène, il y progressa avec tant d’application et de bonheur qu’il donna une traduction latine du très important historien Polybe].

  6. Archevêque de Manfredonia-Vieste-San Giovanni Rotondo (dans les Pouilles), Perotti ne fut jamais nommé cardinal.

3.

Citation infidèle de la lettre xvii (pages 85‑86), « À Monsieur de Vaugelas, {a} gentilhomme ordinaire de Monseigneur, frère unique du roi », {b} datée de Balzac, le 26 février 1636, dans le Recueil de nouvelles lettres de Monsieur de Balzac, {c} à propos de son édition de Quinte-Curce : {d}

« J’ai vu le siège de Tyr, la mort de Darius et le voyage des Indes, que j’ai admirés. Tout cela me semble si français et si naturel qu’il est impossible d’y remarquer une seule ligne qui sente l’original latin, et où le premier auteur ait de l’avantage sur le second. Que voulez-vous plus, Monsieur, et quel jugement me demandez-vous ? Je n’ai qu’un mot à vous dire pour la recommandation de votre travail : l’Alexandre de Philippe {e} était invincible, et celui de Vaugelas est inimitable. »


  1. Claude Favre de Vaugelas, v. note [47], lettre 229.

  2. Gaston d’Orléans, frère (légitime) unique de Louis xiii.

  3. Paris, 1637 (v. note [12], lettre 35) ; v. note [7], lettre 25, pour Jean-Louis Guez de Blazac.

  4. Paris, 1653, v. note [41], lettre 286. Vaugelas en avait soumis quelques bonnes feuilles à Balzac dès 1636.

  5. V. note [61], lettre 336, pour le roi Philippe ii de Macédoine, père d’Alexandre le Grand. « L’Alexandre de Quinte-Curce » est une variante qui passe de la généalogie à l’histoire.

Paul Pellisson-Fontanier a narré l’anecdote sur Richelieu dans la Relation de l’Histoire de l’Académie française, {a} année 1639, pages 242 :

« Enfin, le cardinal s’étant souvent plaint qu’elle {b} ne faisait rien d’utile pour le public, et s’en étant fâché, jusques à dire qu’il l’abandonnerait, ces Messieurs résolurent qu’on lui ferait pour une seconde fois la même proposition. M. de Boisrobert, {c} donc, exhorté par tous les académiciens, et en particulier par Monsieur Chapelain {d} et par quelques autres de ses plus familiers amis, témoigna au cardinal que l’unique moyen de venir bientôt à bout du Dictionnaire était d’en donner la charge principale à M. de Vaugelas, et de lui faire rétablir pour cet effet, par le roi, une pension de deux mille livres, dont il n’était plus payé ; exagérant là-dessus sa capacité, pour ce qui regardait cette entreprise, sa naissance illustre et son mérite, qui était connu depuis longtemps de toute la cour. Le cardinal reçut alors favorablement cette ouverture et répondit qu’il était prêt de donner même la pension du sien, {e} s’il était besoin, mais qu’il désirait de voir comment M. de Vaugelas s’y voudrait prendre. On lui présenta les deux projets, il goûta fort le plus long, que je vous ai rapporté presque tout entier : {f} la pension de deux mille livres fut rétablie à M. de Vaugelas ; il en fut remercier le cardinal ; et comme il avait l’esprit fort présent et fort poli, avec une longue pratique de la cour et des belles conversations, ce fut alors qu’il lui fit cette heureuse repartie, dont sans doute vous avez ouï parler. Car on dit que le cardinal, le voyant entrer dans sa chambre, s’avança avec cette majesté douce et riante qui l’accompagnait presque toujours, et s’adressant à lui : Hé bien, Monsieur, lui dit-il, vous n’oublierez pas du moins dans le Dictionnaire le mot de pension : sur quoi M. de Vaugelas, faisant une révérence fort profonde répondit, Non, Monseigneur, et moins encore celui de reconnaissance. » {g}


  1. Paris, 1653, v. note [2], lettre 329.

  2. L’Académie française.

  3. François Le Métel, abbé de Boisrobert, v. note [9], lettre 403.

  4. Jean Chapelain, v. note [15], lettre 349.

  5. De ses propres deniers.

  6. Pages 228‑235.

  7. Richelieu mourut en 1642 et Vaugelas, en 1650. La première édition du Dictionnaire de l’Académie française parut en 1694. Les définitions des deux mots échangés par Richelieu et Vaugelas n’y ont rien de remarquable :

    • pension, « ce qu’un roi, un prince, ou un grand seigneur donne annuellement à quelqu’un, ou par gratification, ou pour récompense de service, ou pour le faire entrer dans ses intérêts » ;

    • reconnaissance, « gratitude, ressentiment des bienfaits reçus. »

4.

Cet article résume fidèlement la vie de Jacques Amyot, {a} telle que l’a racontée (ou imaginée) César Vichard de Saint-Réal (Chambéry 1643-1692), prêtre savoyard et littérateur prolifique, dans le Discours troisième (pages 73‑91), « Que l’ignorance et l’erreur nous font souvent prendre pour vertueux ce qui ne l’est point », de son livre intitulé De l’Usage de l’histoire. {b} La morale tirée de ce récit (pages 90‑91) y est bien différente de celle de L’Esprit de Guy Patin :

« Cette action de Charles ix {c} est assurément très louable ; mais si l’on en voulait juger à la rigueur de la philosophie, ce serait plutôt Charles Quint {d} que lui, qu’il faudrait louer, puisque c’est la générosité de Charles Quint qui fut cause de celle de Charles ix, et que l’on peut présumer avec raison de ce récit que si Adrien {e} n’avait pas été pape, Amyot n’aurait jamais été grand aumônier. »


  1. V. note [6], lettre 116.

  2. Paris, Claude Barbin et Estienne Michallet, 1671, in‑12 de 248 pages.

  3. V. note [7], lettre 102.

  4. V. note [32], lettre 345.

  5. Adrien vi, v. note [26] du Borboniana 7 manuscrit.

Notre-Dame de Bellozanne était une abbaye de prémontrés située en Normandie, non loin de Gournay-en-Bray. Son abbé commendataire le plus célèbre a été le poète Pierre de Ronsard.

Dans le « fier discours » de la reine mère (Catherine de Médicis, v. note [35], lettre 327), bouquer signifie : « Baiser par force ce qu’on présente ; ce verbe ne se dit proprement qu’en parlant d’un singe, lorsqu’on le contraint de baiser quelque chose […] se dit aussi figurément des choses qu’on est contraint de faire par la violence ; on a beau avoir du cœur, on est contraint de bouquer quand on a affaire à de plus puissants que soi » (Trévoux).

5.

Les Entretiens sur les vies et les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes sont l’ouvrage le plus connu d’André Félibien (Chartres 1619-Paris 1695), architecte et historiographe. Cette historiette se lit dans l’Entretien viii (tome second, pages 336‑337), {a} à propos du peintre français d’origine flamande Jacques Fouquières, {b} dont certains ont cru qu’il appartenait à la famille Fouckers ou Fugger : {c}

« Ils étaient d’Augsbourg, et les plus riches et accrédités négociants de leur ville. Du temps de l’empereur Charles v, ils avaient obtenu un privilège pour faire seuls passer de Venise en Allemagne toutes les épiceries {d} qui se distribuaient en France et dans les autres pays voisins. Comme elles ne venaient alors du Levant que par la mer Rouge sur la Méditerranée, elles étaient rares et fort chères. Ainsi les Fouckers firent une si grande fortune qu’ils étaient estimés les plus opulents de toute l’Allemagne, où il y a un proverbe qui dit d’un homme fort accommodé qu’il est aussi riche que les Fouckers. Cette maison est encore en grand crédit, plusieurs de cette famille ayant rempli des charges considérables dans les armées et dans la cour des empereurs.

On rapporte de ces riches négociants une chose assez singulière et curieuse, à savoir que l’empereur Charles v, au retour de Tunis, {e} passant en Italie, et delà par la ville d’Augsbourg, fut loger chez eux ; que pour lui marquer davantage leur reconnaissance et la joie de l’honneur qu’ils recevaient, un jour, parmi les magnificences dont ils le régalaient, ils firent mettre sous la cheminée un fagot de cannelle, {f} qui était une marchandise de grand prix ; et lui ayant montré une promesse d’une somme très considérable qu’ils avaient de lui, y mirent le feu et en allumèrent le fagot, qui rendit une odeur et une clarté, d’autant plus douces et plus agréables à l’empereur qu’il se vit quitte d’une dette que ses affaires d’alors ne lui permettaient pas de payer facilement, et de laquelle ils lui firent présent de cette manière assez galante. »


  1. Paris, veuve de Sébastien Marbre-Cramoisy, 1688, in‑4o de 706 pages (deuxième édition).

  2. Vers 1580-1659, Moréri, ibid. pages 802‑803.

  3. Bayle a consacré un article de son Dictionnaire historique et critique aux Fugger.

  4. V. note [15], lettre 544.

  5. En 1535, Charles Quint avait dirigé une vaste expédition navale pour prendre Tunis, et la libérer des Turcs et de leurs pirates qui entravaient le commerce méditerranéen.

  6. V. note [4] du Mémorandum 7.

6.

Interprétation enjolivée de Suétone, Vie de Caligula, {a} chapitre lii :

Vestitu calciatuque et cetero habitu neque patrio neque civili, ac ne virili quidem ac denique humano semper usus est. Sæpe depictas gemmatasque indutus pænulas, manuleatus et armillatus in publicum processit; aliquando sericatus et cycladatus ; ac modo in crepidis vel coturnis, modo in speculatoria caliga, nonnumquam socco muliebri ; plerumque vero aurea barba, fulmen tenens aut fuscinam aut caduceum deorum insignia, atque etiam Veneris cultu conspectus est. Triumphalem quidem ornatum etiam ante expeditionem assidue gestavit, interdum et Magni Alexandri thoracem repetitum e conditorio eius.

« Ses vêtements, sa chaussure et sa tenue en général n’étaient ni d’un Romain ni d’un citoyen, ni même d’un homme. Souvent il endossait des casaques bigarrées et couvertes de pierreries, et se montrait ainsi en public avec des manches et des bracelets. Quelquefois il portait des robes de soie arrondies et traînantes. Il mettait tour à tour des sandales ou des cothurnes, des chaussures militaires ou des brodequins de femme. D’ordinaire il paraissait avec une barbe d’or, tenant en main les insignes des dieux, la foudre, {b} le trident ou le caducée. On le vit aussi avec les attributs de Vénus. Il portait habituellement les ornements du triomphe, même avant son expédition, et de temps en temps la cuirasse {c} d’Alexandre le Grand qu’il avait fait tirer de son tombeau. » {d}


  1. V. note [8] du Borboniana 2 manuscrit.

  2. Mot employé au masculin dans L’Esprit de Guy Patin, à l’ancienne mode.

  3. Thorax en latin, qu’on voit traduit par corselet, « léger corps de cuirasse » (Furetière), dans le Faux Patiniana.

  4. Traduction de Th. Cabaret-Dupaty, 1893.

Neptune, dieu romain des eaux, assimilable au Poséidon des Grecs, était fils de Saturne (v. note [31] des Deux Vies latines de Jean Héroard), et frère de Jupiter et de Pluton.

7.

Tite-Live {a} a été l’historien le plus disert sur la lex Oppia : {b} promulguée par le tribun de la plèbe Gaius Oppius en 215 av. J.‑C., durant la deuxième guerre punique, elle fut abolie en 195, sous la pression des dames romaines et malgré l’opposition de Caton l’Ancien. {c}


  1. V. note [2], lettre 127.

  2. Histoire de Rome, livre xxxiv, chapitres i‑viii, pages 146‑179, édition bilingue, Paris, C.L.F. Panckoucke, 1830, tome treizième.

  3. V. note [5] du Mémoire de Guy Patin contre les consultations charitables de Théophraste Renaudot.

V. la lettre de Guy Patin à André Falconet, datée du 3 décembre 1666, pour une lourde taxe imposée sur les carrosses sous le règne de Louis xiv.

8.

Horace, Épîtres, livre i, xvi, vers 60‑62 (traduction de Charles Leconte de Lisle, 1873) :

« Belle Laverna, accorde-moi de tromper, fais que je semble juste et pur, cache mes méfaits dans la nuit, et couvre mes vols d’un nuage ! » {a}


  1. Laverne (Trévoux) :

    « C’était la déesse des larrons, qui étaient sous sa protection. Il semble, à lire Horace, que Laverne fut aussi la déesse de l’hypocrisie : “ Laverne, lui dit-il, donnez-moi l’art de tromper et de paraître juste, saint, innocent ; répandez les ténèbres et l’obscurité sur mes crimes et sur mes tromperies. ” L’image de Laverne était une tête sans corps. Elle avait à Rome un bois sacré, et elle donnait son nom à la porte voisine qu’on appelait Lavernalis porta. Son temple s’appelait Lavernium. Les sacrifices et les prières qu’on lui offrait se faisaient en grand silence. Festus dérive ce nom de lavernio, parce que les voleurs se nommaient laverniones ; d’autres de levare [alléger], parce que Pétrone les appelle levatores ; d’autres de λαμβανω, prendre, et d’autres de λαφυρον, dépouilles, butin ; étymologies qui conviennent toutes au nom de la déesse des voleurs. »

9.

Chilon de Sparte ou le Lacédémonien est un philosophe grec du vie s. av. J.‑C., dont Diogène Laërce a donné la vie et les maximes, et décrit la mort (livre i, 72‑73) :

« Il mourut, comme le dit Hermippe, à Pisa, {a} après avoir embrassé son fils, vainqueur aux Jeux olympiques dans le pugilat. Il mourut, dit-on, d’un excès de joie, que sa faiblesse et son grand âge ne lui permirent pas de supporter. Tous les assistants des jeux le conduisirent au tombeau avec de grands honneurs. J’ai écrit sur lui cette épigramme :

“ À Pollux, messager de lumière, je rends grâces,
Le fils de Chilon a remporté au pugilat la branche d’olivier dorée,
Et si le père, voyant le fils couronné, est mort de joie,
Les dieux ne l’ont pas puni. Puissé-je avoir une mort semblable ! ”

Au bas de sa statue sont gravés ces vers :

“ Sparte la guerrière a enfanté Chilon,
Qui des sept Sages {b} fut le plus sage. ” »


  1. Ancienne ville d’Élide, dans le Péloponnèse, près d’Olympie.

  2. V. notule {e}, note [24] du Borboniana 9 manuscrit.

10.

Ce sombre épisode des annales pontificales a fait l’objet de nombreuses relations. Celle qui me semble avoir influencé le Moréri est dans L’Abrégé des Annales ecclésiastiques du cardinal Baronius, fait par Henri de Sponde, {a} L’An de Jésus-Christ, 897. Du pape Étienne vii (tome iii, année 897, pages 440‑441) :

« Boniface usurpa quinze jours le Saint-Siège, et ne doit point être mis au nombre des papes, comme ayant été condamné au concile romain sous Jean ix, comme homme méchant qu’on avait déjà dégradé par deux fois, à savoir du diaconat et du presbytérat. {b} Étienne vii, dit le six, s’éleva contre lui, le chassa du Saint-Siège et l’occupa ; {c} et tout cela étant fait par force, apporta une infamie à la sainte Église romaine. Or la cause pourquoi, de ces pontifes intrus, les uns ont été depuis reçus papes, les autres rejetés tout à fait, c’est qu’encore qu’ils aient usurpé tyranniquement le Saint-Siège, ils ont pourtant depuis été élus légitimement avec les cérémonies accoutumées, du consentement du clergé, qui jugeait plus à propos de les tolérer tels qu’ils étaient que de diviser l’Église par un schisme. Et ce qui nous contraint de parler ainsi, c’est que toute l’Église catholique les a honorés comme papes légitimes, ce qui ne fût jamais arrivé si l’on n’eût été assuré que, depuis, ils avaient été légitimement élus.

Ce fut cette année qu’advinrent les méchancetés exécrables que Liutprand et les autres racontent, et les attribuent pourtant mal à Sergius, {d} vu qu’Étienne en est l’auteur, selon les actes du concile, sous Jean, qui sont plus croyables. Étienne, donc, fit tirer du tombeau le corps du pape Formose, {e} et le fit mettre, revêtu des habits pontificaux, dans le saint siège ; et lui ayant reproché, comme s’il eût été vivant, de ce qu’étant évêque de Port, il avait occupé avec trop d’ambition le siège apostolique, il le condamna, le fit dépouiller de ses vêtements, lui coupa les trois doigts desquels on a accoutumé de faire la bénédiction, le fit jeter dans le Tibre, dégrada et réordonna tous ceux auxquels Formose avait donné les ordres ; {f} cet enragé faisant non ce que le droit, mais ce que la fureur lui suggérait ; et cette action fut violente et tyrannique, mais non pas contre la foi. Luitprand raconte plus au long ce forfait, qui fut abhorré de tous ceux qui étaient présents, dit Sigebert, et la raison pourquoi Liutprand l’attribue à Sergius est, qu’étant lors prêtre, il en fut un des principaux auteurs ; mais le pape Étienne faillit davantage, approuvant ce crime détestable en plein concile des siens, lequel fut depuis justement cassé et brûlé par le pape Jean. Après donc tant de témoignages de ce crime énorme, et d’autres que nous rapporterons ci-après, ceux-là se trompent de penser qu’il soit controuvé et non pas véritable. »


  1. Paris, 1655, v. note [19‑4] du Naudæana 3.

  2. Jean ix a dirigé l’Église de 898 à 900. Au tout début de son règne, le concile de Rome raya de la liste des pontifes Boniface vi, qui n’avait régné que quinze jours en avril 896.

  3. Pape en mai 896, Étienne vii, ou vi, mourut étranglé lors d’une émeute populaire en août 897.

  4. Liutprand de Crémone est un évêque, diplomate et historien du xe s.

    Sergius est le pape Serge iii (904-911), qui inaugura la période que Baronius a appelée la « pornocratie pontificale », soit la domination du Saint-Siège par les prostituées.

  5. Le pape Formose a régné de 891 à 896. cardinal-évêque de Port (Porto-Santa Rufina, diocèse dit suburbicaire de Rome) en 864, il avait de sa propre autorité transféré sa résidence épiscopale à Rome, puis illicitement brigué le pontificat en 872, ce qui lui avait valu d’être excommunié et privé de sa mitre jusqu’en 878. Moréri ne mentionne pas ces détails.

  6. Ce procès posthume de Formose, en 897, est surnommé le « Concile ou Synode cadavérique ».

11.

Eschyle, au ve s. av. J.‑C., et le plus ancien des trois grands tragiques grecs, avec Sophocle (v. note [4], lettre latine 100) et Euripide (v. note [16], lettre 290). Le Moréri a puisé sa matière dans Les Vies des poètes grecs, en abrégé par Mr Le Fèvre, {a} Eschyle, page 63 :

« Pour ce qui est des représentations de notre poète, elles étaient si terribles, s’il en fallait croire les scoliastes {b} grecs, que la première fois qu’il fit jouer les Euménides, plusieurs enfants, qu’on avait menés au théâtre, y moururent de frayeur. Il y a bien plus encore : quelques dames qui n’étaient pas accoutumées à voir de telles diableries (car, si vous ne le savez, les Euménides sont des diables femelles, et d’une perverse nature, Quoique leur nom pourtant soit si doux et si beau), {c} elles demeurèrent si fort saisies de frayeur, ces dames grecques, qu’il fallut accoucher dans le théâtre ; et si prestement qu’elles n’eurent pas le loisir d’invoquer Ilithyie ou Junon Lucine ; {d} ce qui donna assurément quelque scandale aux âmes tendres. »


  1. Tanneguy Le Fèvre, Paris, 1665 (v. note [7], lettre 774).

  2. Commentateurs.

  3. Les Euménides ou Érynies sont les Furies des enfers antiques. La pièce que leur a consacrée Eschyle raconte les poursuites acharnées qu’elles menèrent contre Oreste pour avoir tué sa mère, Clytemnestre. Elle appartient, avec Agamemnon et Les Choéphores, à la trilogie de L’Orestie.

  4. Ilithyie était la déesse grecque des accouchements, dont l’équivalent romain était Lucina (Lucine), elle-même assimilée à Diane ou à Junon.

12.

Valère Maxime (v. note [7], lettre 41), Des Faits et des paroles mémorables, livre viii, chapitre ix, extension 3 :

Quantum eloquentia ualuisse Hegesian Cyrenaicum philosophum arbitramur? qui sic mala uitae repraesentabat, ut eorum miseranda imagine audientium pectoribus inserta multis uoluntariae mortis oppetendae cupiditatem ingeneraret: ideoque a rege Ptolomaeo ulterius hac de re disserere prohibitus est.

[Quelle force d’éloquence ne devons-nous pas supposer à Hégésias, philosophe de l’école cyrénaïque ? {a} Il représentait les maux de la vie si vivement, il en faisait une peinture si déplorable que l’impression produite dans les âmes des auditeurs faisait naître chez beaucoup d’entre eux le désir de se donner la mort. Aussi le roi Ptolémée lui fit défense de continuer à discourir sur ce sujet]. {b}


  1. Hégésias de Cyrène est un philosophe grec du iiie s. av. J.‑C. (soit un siècle après Platon, mort en 348), dont le surnom, Peisithanatos [Qui pousse à la mort], résume la morale.

  2. Le pharaon Ptolémée ii a régné sur l’Égypte (qui avait annexé la Cyrénaïque) de 283 à 246 av. J.‑C.

13.

V. la dernière citation, note [5] du Faux Patiniana II‑1, pour la légendaire indigence d’Homère.

14.

Tanneguy ou Tanguy du Chastel (Châtel), quatrième du nom, vicomte de la Bellière, noble breton mort en 1477, occupa de hautes fonctions sous le roi de France Charles vii, {a} dont il fut grand écuyer {b} ou chambellan, puis sous Louis xi (1461-1483), mais ne fut pas maréchal de France.

En l’abrégeant, L’Esprit de Guy Patin a habilement évité la confusion entre les biographies des deux Tanneguy du Châtel, oncle et neveu, qui corrompt l’article de Louis Moréri :

« Gentilhomme breton et prévôt de Paris, < Tanneguy iii du Châtel > eut beaucoup de part dans les bonnes grâces du roi Charles vii. Il fut général de l’armée de Louis, roi de Sicile, et il défit en 1409 celle de Ladislas, roi de Hongrie. Quelque temps après, il fut prévôt de Paris, et en 1419 et 1420, il prit le titre de maréchal des guerres de M. le Dauphin, régent du royaume. En 1419, il défit Charles viisic >, alors dauphin du duc de Bourgogne, son plus dangereux ennemi ; mais ce fut d’une manière indigne, car il le tua d’un coup de hache à Montereau-faut-Yonne, dans une conférence où on l’avait attiré. En 1422, Tanneguy fut grand maître de l’Hôtel du roi ; et deux ans après, il fut obligé de se retirer de la cour, après avoir tué le Dauphin d’Auvergne en présence de Charles vii. Dans la suite, ayant été rappelé, il fut envoyé en 1445 à Gênes pour tâcher de réduire cette ville sous l’obéissance du roi ; et en 1448, il alla en ambassade à Rome. {c} Il fut encore relégué chez lui, après avoir bien servi le roi et le royaume. Néanmoins, lorsqu’il sut la mort de Charles son maître, en 1461, quoiqu’extrêmement âgé, il vint aussitôt à la cour et, par une louable reconnaissance, il dépensa trente mille écus de son bien pour faire inhumer ce prince, que tout le monde avait abandonné. C’est pour cette raison qu’on mit depuis, en 1560, cette inscription sur le drap mortuaire du roi François ii, {d} dont les funérailles étaient négligées par les Guise : Où est maintenant Tanneguy du Châtel ? Ce brave homme mourut peu après son roi, sans laisser d’enfant d’Isabeau le Vayer, sa femme.

Tanneguy < iii > du Châtel, neveu du précédent, et grand maître de la Maison du duc de Bretagne, s’attira la haine de ce prince en lui remontrant l’énormité de l’adultère qu’il commettait avec la dame de Villequier. Louis xi ménagea les mécontentements de Tanneguy, et l’attira à son service. Il vivait encore en l’an 1475. » {e}


  1. De 1422 à 1461, v. note [30], lettre 279.

  2. V. note [29] des Deux Vies latines de Jean Héroard.

  3. Ces faits appartiennent à la vie de Tanneguy iii du Châtel (1369-1449), oncle de Tanneguy iv, dont parle la suite de l’article.

    Louis ii d’Anjou fut roi de Sicile et de Naples de 1384 à sa mort (1417). En 1410, à la tête de son armée, du Châtel battit celle de Ladislas ier, roi de Naples (et éphémère roi de Hongrie en 1409), usurpateur de la couronne de Sicile.

    Le futur roi Charles vii, quand il était dauphin (alors dit de Viennois), a régenté le royaume de 1417 à 1422, tandis que la folie rendait son père, le roi Charles vi, incapable de régner.

    En 1419, ce n’est pas « Charles vii, alors dauphin du duc de Bourgogne », que du Châtel tua à Montereau, mais Jean sans Peur, duc de Bourgogne, qui était à la tête des Bourguignons contre les Armagnacs. En 1425 a couru le bruit qu’il aurait aussi tué le dauphin d’Auvergne, mais cela n’est pas confirmé par les historiens modernes. En 1429, du Châtel utilisa toute son influence pour obtenir du roi qu’il soutînt Jeanne d’Arc ; puis, son influence déclinant, il se retira de la cour en 1445, pour devenir sénéchal de Provence et assurer une ambassade à Rome l’année précédant sa mort.

  4. Roi de France de 1559 à 1590, v. note [7], lettre 102.

  5. Tanneguy iv du Châtel, mort en 1477, avait servi le roi Charles vii, comme grand écuyer, de 1454 à 1461. Plus tard, François ii, duc de Bretagne, le nomma grand maître d’hôtel de sa Maison et capitaine de Nantes. Du Châtel se remit au service du roi de France Louis xi en 1468, et mourut en combattant pour lui au siège de Bouchain.

Les éditions ultérieures du Moréri ont corrigé les erreurs de cet article, en distinguant correctement les deux Tanneguy du Châtel, avec cette excuse (Paris, 1759, tome troisième, page 553) :

« M. de Thou (liv. 26 de son Histoire) attribue mal cette reconnaissance à Tanneguy du Châtel, son oncle, {a} qui ne fut point en état de rendre ses devoirs au roi son maître, puisqu’il mourut en 1449, treize ans avant lui. »


  1. Jacques-Auguste i de Thou, Histoire universelle, livre xxvi, Charles ix, année 1560, sur les funérailles de François ii (Thou fr, volume 3, page 578) :

    « Du Châtel, d’une illustre famille de Bretagne, avait été premier chambellan de Charles vii, et après avoir rendu de grands services au roi et à l’État, avait été relégué dans ses terres. Ayant appris la mort du roi son maître, il accourut, et voyant qu’on se mettait peu en peine de lui rendre les derniers devoirs, il lui fit faire à ses frais de magnifiques funérailles, qui lui coûtèrent trente mille écus d’or. »

La vérité historique est que Tanneguy iv ne tomba jamais en disgrâce auprès de Charles vii et n’eut pas à revenir d’exil pour assurer ses funérailles, en 1461.

15.

Appian Alexandrin, {a} historien grec, des Guerres des Romains livres xi, traduits en français par feu Maître Claude de Seyssel, premièrement évêque de Marseille, et depuis archevêque de Turin…, {b} livre iv, chapitre v, pages 224 vo‑225 ro :

« Les princes, {c} qui espéraient retirer grandes sommes de deniers pour fournir à la dépense de la guerre, trouvèrent qu’il leur fallait bien encore deux cent mille talents pour leur entreprise. À cette cause, voulant recouvrer cette somme sur la cité, proscrivirent {d} quatorze cents femmes des plus riches de Rome, auxquelles enjoignirent de payer, chacune pour la valeur de ses biens, pour les nécessités de la guerre, la somme à quoi elles seraient taxées par eux. Et proposèrent peine à celles qui occulteraient aucuns de leurs biens, ou qui les estimeraient à moindre prix ; et loyer à ceux qui les révéleraient, {e} tant francs qu’esclaves. Lesquelles femmes proscrites {d} délibérèrent de faire supplier les princes {c} pour elles par celles des autres femmes qu’ils savaient leur être plus agréables : auquel besoin ne furent point reboutées ni refusées par la sœur de César ni par la mère d’Antoine, mais < le furent > par Fulvie, sa femme, tant seulement, qui leur fit fermer sa porte ; {f} dont toutes courroucées, par grande indignation, s’en allèrent au Palais, {g} où pareillement furent reboutées par les tribuns et soldats des princes ; {c} mais néanmoins, disant à haute voix qu’elles voulaient parler en la présence du peuple, eurent audience. Et Hortensia, qui avait été élue par les autres pour haranguer, parla au nom de toutes ainsi qu’il s’ensuit. […] {h} Ainsi que Hortensia continuait ce propos, les trois princes {c} (indignés et courroucés que les femmes eussent cette audace de haranguer et concionner au peuple, {i} là où les hommes n’osaient parler, et d’enquérir des choses qu’ils voulaient faire, et aussi qu’elles refusassent de contribuer argent là où les hommes ne refusaient point à servir de leurs personnes à la guerre) commandèrent à leurs sergents qu’ils les reboutassent, et fissent vider hors l’auditoire. Et voyant que le peuple le prenait mal, et s’écriait que c’était mal fait, se retinrent un petit {j} et remirent la chose au lendemain ; auquel jour modérèrent le nombre des femmes proscrites de quatorze cents à quatre cents, lesquelles devaient rendre compte de leurs facultés. {k} Mais des hommes, à savoir des plus riches, < ils > en proscrivirent, {d} pour payer argent, plus de cent mille, tant des citoyens que des étrangers, de toutes conditions, sans excepter prêtres ni autres, ainsi que jadis avait été fait par semblable forme au temps de la guerre des Celtes ; car il fut ordonné que tous devaient prêter la cinquantième part de leur vaillant, {k} et outre ce, le revenu d’une année entière. »


  1. Appien d’Alexandrie, v. note [98], chapitre ii du Traité de la Conservation de santé.

  2. Paris, Pierre du Pré, 1569, in‑fo de 586 pages.

  3. Les triumvirs : Marc Antoine, Lépide et Octave Auguste (futur premier empereur romain, et ici prématurément dénommé César) ; cette affaire s’est déroulée en 43 av. J.‑C., l’année suivant l’assassinat de Jules César.

  4. « Proscrire » est à prendre au sens atténué d’« imposer ».

  5. Récompense à ceux qui les dénonceraient.

  6. Fulvia, épouse de Marc Antoine, les « rebouta » (les chassa, leur claqua la porte au nez), alors que sa mère, une Julia apparentée à Jules César, et Octavia, la sœur d’Octave Auguste, avaient favorablement reçu les contestataires.

  7. Le Sénat.

  8. Suit l’éloquent discours d’Hortensia, qui était probablement la sœur de l’avocat romain Quintus Hortensius.

  9. Plaider devant le peuple, concionnari en latin.

  10. Se modérèrent un peu.

  11. Montant de leur fortune.

    V. note [24], lettre 360, pour le sac de Rome par les Gaulois en 390 av. J.‑C.


16.

Résumé de la belle histoire, souvent reprise, d’Androclus (Androclès, mais Androdus dans Moréri), probablement survenue sous le règne de l’empereur Caligula (35‑41, v. supra note [6]). Aulu-Gelle l’a longuement relatée dans ses Nuits attiques (v. note [40], lettre 99), livre v, chapitre xiv, Histoire racontée par Apion, surnommé Plistonicès, qui affirme avoir vu à Rome un lion et un esclave se reconnaître mutuellement. Je n’en ai pas trouvé de traduction française antérieure à la rédaction de L’Esprit de Guy Patin, mais chacun peut la lire en version bilingue dans les Œuvres complètes d’Aulu-Gelle. Traduction française de MM. de Chaumont, Flambart et Buisson (Paris, Garnier frères, 1863), tome premier, pages 267‑271.

17.

Il existe diverses versions de la légende de Lycurgue, roi des Édoniens de Thrace. L’article du Moréri ne cite pas celle qui figure dans la Bibliothèque d’Apollodore le Mytographe (Pseudo-Apollodore, écrivain grec du iie s.), livre iii, chapitre 5.1, sur Dionysos (nom grec de Bacchus) et Lycurgue (traduction d’Ugo Bratelli) :

« Après que Dionysos eut découvert la vigne, Héra le frappa de folie, {a} et c’est ainsi qu’il erra à travers l’Égypte et la Syrie. Protée, roi d’Égypte, {b} le premier l’accueillit. Il gagna ensuite le mont Cybèle, en Phrygie, où Rhéa {c} le purifia, lui enseigna les rites d’initiation et lui donna son vêtement ; il traversa ensuite la Thrace et se dirigea vers l’Inde. Lycurgue, le fils de Dryas, et roi des Édones qui habitent sur les rives du fleuve Strymon, fut le premier à outrager Dionysos et à le chasser de son pays. Dionysos se réfugia alors dans la mer, auprès de Thétis, la fille de Nérée. {d} Mais ses Bacchantes furent emprisonnées, ainsi que la multitude des Satyres de son cortège. Les Bacchantes furent aussitôt libérées, et Dionysos frappa Lycurgue de démence. Complètement fou, Lycurgue, persuadé de couper un sarment de vigne, atteignit de sa hache son fils Dryas, et le tua. Il lui avait déjà tranché toutes les extrémités, quand il recouvra la raison. Le pays fut frappé de stérilité, et le dieu prophétisa que la terre donnerait à nouveau des fruits si Lycurgue était mis à mort. Ayant entendu cela, les Édones le menèrent sur le mont Pangée et le ligotèrent ; ensuite, par la volonté de Dionysos, il fut mis en pièces par ses chevaux. » {e}


  1. Héra est le nom grec de Junon.

  2. V. note [8], lettre de Jean de Nully, datée du 21 janvier 1656 pour le dieu marin Protée, que la légende homérique disait aussi roi d’Égypte, demeurant sur l’île de Pharos (devant Alexandrie).

  3. Fille du Ciel et de la Terre, sœur des Titans, femme de Saturne (v. note [31] des Deux Vies latines de Jean Héroard), Rhéa était la mère de Jupiter, « que Saturne aurait dévoré si Rhéa n’eût substitué à son fils une pierre emmaillotée qu’il engloutit sur-le-champ » (Fr. Noël).

  4. V. notule {b}, note [48] du Borboniana 9 manuscrit.

  5. Dans ces temps mythiques, il ne faisait vraiment pas bon s’en prendre à la vigne et au vin.

18.

Moréri a emprunté ses deux articles sur Phocion (v. note [4], lettre 500) et son fils Phocus aux Vies parallèles de Plutarque (traduction de Jacques Amyot, Paris, 1622, tome second, pages 295‑329). Le passage sur sa mort (en buvant la ciguë) est transcrit dans la note [34] de la Leçon de Guy Patin sur le laudanum et l’opium.

En 388 av. J.‑C., Philippe ii, roi de Macédoine et père d’Alexandre le Grand (v. supra note [3]), avait remporté la bataille de Chéronée (en Béotie) contre les cités grecques coalisées.

Plutarque attribue à l’orateur athénien Agnonidès, accusateur de Phocion, le qualificatif de sycophante, joli mot d’origine grecque [sukophantês] unissant sukon [figue] et phaïnein [découvrir] : « il s’est dit originairement à Athènes de ceux qui rapportaient qu’ils découvraient les voleurs à ceux à qui l’on dérobait des figues, ou bien qui, contre la loi qui défendait de transporter des figues hors d’Athènes, en faisaient sortir et trompaient les commis ou les gardes des portes. Ensuite on le dit en général de tous les délateurs, des faiseurs de rapports, principalement dans les cours des princes. On le dit aussi pour un menteur, un imposteur, un trompeur. […] Ce mot n’est pas de l’usage commun dans notre langue, mais on le trouve pourtant quelquefois dans de bons auteurs » (Trévoux).

19.

À contretemps : mal à propos.

Tite-Live, Histoire de Rome, livre xxiv, chapitre xliv :

Fabius pater filio legatus ad Suessulam in castra venit. Cum obviam filius progrederetur lictoresque verecundia maiestatis eius taciti anteirent, præter undecim fasces equo prævectus senex, ut consul animadvertere proximum lictorem iussit et is ut descenderet ex equo inclamavit, tum demum desiliens “ experiri ” inquit “ Volui, fili, satin scires consulem te esse ”.

[Fabius le père se rendit au camp de Suessula pour servir sous les ordres de son fils. {a} Le fils vint à la rencontre du père, précédé des licteurs qui se taisaient par respect pour la majesté de cet homme. Déjà le vieillard avait passé à cheval onze faisceaux, quand le consul ordonna au licteur {b} le plus proche de le réprimander en lui criant de descendre de cheval ; le vieillard sauta de sa monture en disant : « J’ai voulu voir, mon fils, si tu comprenais bien que tu es consul. »]


  1. Fabius Maximus Quintus Cunctator [le Temporiseur], élu dictateur en 217 av. J.‑C., joua un rôle décisif dans la lente victoire de Rome contre Annibal. Il mourut en 203, avec le titre de pontife, après avoir été cinq fois consul. Plutarque a écrit sa vie.

    Son fils, de même nom, avait à son tour été élu consul. Suessula (aujourd’hui Sessola) était une cité de Campanie.

  2. Licteur : « ministre des magistrats romains, qui marchait devant eux, portant des haches enveloppées dans des faisceaux de verges. Il faisait l’office de sergent et de bourreau. Les consuls avaient douze licteurs ; les proconsuls, les préteurs et autres magistrats en avaient seulement six » (Trévoux).

20.

« le profit du profit qu’on a refusé. »

Cette devise attribuée à Fabrice d’Aquapendente, {a} a déjà été reprise dans un article du Patiniana I‑1. {b} Moréri renvoie aux Iacobi Philippi Tomasini Patavini illustrium virorum Elogia iconibus exornata… [Éloges d’hommes illustres de Giacomo Filippo Tomasini, natif de Padoue, {c} illustrés de leurs portraits…], {d} avec ce passage dans l’éloge de Hieronymus Fabricius (pages 313‑320) :

Ubi nec tacendum illud, quod cum Illustribus viris opera sua perbenigne præstita, oblatam ab eis mercedem constantissime recusaret, variis ab iisdem, et ingentis pretii muneribus tum aureis, tum argenteis ornatus fuerit, quibus omnibus rite, et ordine uno in cubiculo dispositis, talem præ illius foribus inscriptionem adjecit

Lucri neglecti lucrum.

[Il ne faut pas taire ici qu’autant il avait prodigué ses soins avec immense bonté à d’illustres personnages, autant il avait absolument toujours refusé les honoraires qu’ils lui avaient offerts ; et ils lui avaient fait des cadeaux de très grande valeur, en or comme en argent, qu’il avait tous entreposés en bon ordre dans un cabinet particulier, à la porte duquel il avait mis cette inscription :

Lucri neglecti lucrum].


  1. Gerolamo Fabrizio ou Fabricio, v. note [10], lettre 86.

  2. V. ses notes [58] et [59].

  3. V. note [28], lettre 277.

  4. Padoue, Donatus Pasquardus, 1630, in‑4o de 373 pages ; v. notule {a}, note [40] du Naudæana 1, pour la seconde partie de cet ouvrage, parue en 1644.

21.

Jean-Baptiste Sapin était (Popoff, no 2243) :

« chanoine et sénéchal de l’église de Saint-Martin de Tours, fils aîné de Jean Sapin, seigneur de La Bretesche, en Touraine, et de Rosière, receveur général des finances de la généralité du Languedoc, et de Marie Brosset. Il fut reçu conseiller clerc au Parlement < de Paris > le 2 août 1555. Il fut pendu à Orléans le 13 [le deux] novembre 1562, avec l’abbé de Gastines, par droit de représailles. Le corps de Sapin fut apporté à Paris [le 18 du même mois], inhumé aux Augustins. {a} Il était homme d’une vertu et d’une capacité distinguées, âgé de plus de 60 ans. Le Parlement assista en corps à son service, avec une partie de la Cour des aides, l’évêque de Tréguier officia. Le Parlement fit graver un monument latin sur son tombeau […], et le récit de sa mort, fait à la Grand’Chambre du Parlement le 12 novembre 1562, par Gilles Bourdin, procureur général, et Baptiste Du Mesnil {b} et Edmond Boucherat, avocats généraux. »


  1. V. note [7], lettre 357.

  2. V. notes [34] du Borboniana 7 manuscrit pour Gilles Bourdin, et [60] du Faux Patiniana II‑5 pour Jean-Baptiste Du Mesnil.

La place de l’Étape est la principale artère du centre historique de la ville d’Orléans.

L’Histoire du calvinisme du R.P. Louis Maimbourg {a} ajoute (livre iv, année 1562, pages 253‑255) maints détails à cet article du Moréri. L’épitaphe abrégée de Sapin y est écrite dans la marge. Le texte complet en est imprimé dans les additions au livre iv (tome second, page 27) des Mémoires de Messire Michel de Castelnau, seigneur de Mauvissière : {b}

Baptistæ Sapino, nobili familia orto, Senatori ornatissimo, Viro integerrimo, omni doctrinarum genere prædito, civi optimo : qui cum obeundi muneris ergo Turones iter faceret, a publicis hostibus, positis latronum more insidiis, in Carnotensi agro interceptus, Aureliam, impiorum et factionum arcem, abductus, perduellium exercitui traditus ac dies aliquot misere adversatus : demum quod antiquæ et Catholicæ Religionis adseror fuisset, turpissimæ neci est addictus. Patres hoc tanto scelere commoti, universi in purpura coeuntes, hanc in insontis collegæ corpore acceptam injuriam, toti amplissimo Ordini irrogatam, et communem censuerunt, et tanquam honestam et gloriosam pro Christi nomine et Christiana Republica mortem perpesso, supremis et ipsi in eum officiis fungentes ; solemnem luctum fieri, publicum parentale peragi, aram propitiatoriam extrui ; ac reliquos omnes Senatorios honores mortuo deferri, ex voto publico decreverunt anno restitutæ salutis m. d. lxii Idibus Novembris. Requiescat in pace.

[À Baptiste Sapin, issu de noble famille, très distingué conseiller, homme parfaitement intègre, doté de tout genre de savoirs, excellent citoyen : tandis qu’il était en chemin pour Tours afin d’y entrer en charge, des ennemis publics, placés en embuscade, à la manière de brigands, l’ont capturé dans le pays chartrain, puis l’ont conduit à Orléans, citadelle des impies et des factieux ; il a été livré à l’armée des traîtres et mis en procès quelques jours après ; seulement parce qu’il a professé la religion antique et catholique, il a été soumis au plus honteux des trépas. {c} Émus par cet immense crime, tous les magistrats réunis, portant la toge pourpre, ont jugé que cet attentat commis sur la personne de leur innocent collègue avait été infligé à leur Compagnie tout entière et solidaire, comme ayant enduré une mort honorable et héroïque pour la gloire du Christ et pour la république chrétienne ; {c} ils ont décrété, conformément au vœu du peuple, qu’ils s’acquitteraient eux-mêmes des ultimes devoirs à lui rendre, lui feraient des funérailles solennelles, prescriraient un deuil public, lui construiraient un tombeau, et que tous les autres membres du Parlement lui rendraient les honneurs funèbres, le 13e de novembre de l’an de grâce 1562. Qu’il repose en paix].


  1. Paris, 1686, v. note [18], lettre 128.

  2. Paris, 1659, v. note [7], lettre latine 511.

  3. Mise en exergue des passages cités par Maimbourg et repris par Moréri et L’Esprit de Guy Patin.

22.

Horace, Satires, livre i, iii, vers 86‑89 :

Odisti, et fugis, ut Drusonem debitor æris,
Qui nisi, cum tristes misero venere calendæ,
Mercedem, aut nummos, unde unde extricat, amaras
Porrecto jugulo historias, captivus ut, audit
.

[Tu le hais, tu le fuis, comme le débiteur fuit Druso, quand le triste jour des calendes {a} est venu et que, n’ayant pu, en tirant ressource de tout, ramasser de quoi rembourser le capital ou payer l’intérêt, il tend le cou, tel un captif, pour écouter ses histoires amères].


  1. Premier jour de chaque mois dans le calendrier romain.

23.

Cet article sur le consul et triumvir romain Marius Licinius Crassus {a} tire ses propos de trois historiens antiques de langue grecque, dans leurs traductions françaises publiées au xviie s. :

Le roi des Parthes qui défit Crassus à Carrhes se nommait Orodès ii, souverain asarcide (v. notule {a}, note [43] du Faux Patiniana II‑6) qui régna de 54 à 38 av. J.‑C. Moréri l’appelle Orode, je ne sais pas expliquer la corruption de son nom en « Clau » dans L’Esprit de Guy Patin.

La richesse et la cupidité sont ordinairement personnifiées par Crésus, roi de Lydie au vie s. av. J.‑C. (v. note [91] du Faux Patiniana II‑7). On pense encore à lui en disant : « riche comme Crésus ». Crassus, le plus opulent Romain de l’Antiquité, ne l’a pas détrôné dans le vocabulaire proverbial ; néanmoins, dès 44 av. J.‑C. Cicéron écrivait (Des Devoirs, livre ii chapitre xvi) :

Crassus cum cognomine dives tum copiis functus est ædificio maximo munere.

[Crassus est surnommé le riche, tant pour sa fortune que pour son extrême munificence dans l’accomplissement de sa charge].

La deuxième édition du Dictionnaire de l’Académie (1718) a attesté le substantif féminin « crasse » dans le sens d’avarice sordide. Il a été repris dans le Littré DLF, qui cite la Satire x de Nicolas Boileau-Despréaux (1666), faisant bien le lien entre « la famélique et honteuse lésine » et la saleté :

« Mais, pour bien mettre ici leur crasse en tout son lustre,
Il faut voir du logis sortir ce couple illustre :
Il faut voir le mari tout poudreux, tout souillé,
Couvert d’un vieux chapeau, de cordon dépouillé,
Et de sa robe, en vain de pièces rajeunie,
À pied dans les ruisseaux traînant l’ignominie.
Mais qui pourrait compter le nombre de haillons,
De pièces, de lambeaux, de sales guenillons,
De chiffons ramassés dans la plus noire ordure,
Dont la femme, aux bons jours, composait sa parure ?
Décrirai-je ses bas en trente endroits percés,
Ses souliers grimaçants, vingt fois rapetassés,
Ses coiffes d’où pendait au bout d’une ficelle
Un vieux masque pelé presque aussi hideux qu’elle ?
Peindrai-je son jupon bigarré de latin,
Qu’ensemble composaient trois thèses de satin :
Présent qu’en un procès sur certain privilège
Firent à son mari les régents d’un collège,
Et qui, sur cette jupe, à maint rieur encore
Derrière elle faisait lire Argumentabor ? » {a}


  1. « J’argumenterai », début latin classique d’une dissertation ou d’une leçon de collège ; le mari de cette dame était un richissime mais très pingre magistrat.

Le lien étymologique entre Crassus et « crasse » n’est pas dans Moréri : il s’agit d’un pur jeu de mots des rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin, que je n’ai vu attesté par aucun autre ouvrage.

24.

Mermeroes, ou Mihr-Mihroe, est un général perse du vie s. de notre ère qui lutta contre les armées byzantines. Moréri cite en référence L’Histoire de l’empereur Justinien écrite par Agathias, {a} publiée dans le tome ii de l’Histoire de Constantinople depuis le règne de l’ancien Justin jusqu’à la fin de l’Empire. Traduite sur les originaux grecs par M. Cousin, président en la Cour des monnaies, {b} livre ii, chapitre x (pages 575‑580), Mort de Mermeroës. Son éloge. Coutume des Perses d’exposer aux bêtes les corps morts. Réflexion sur cette coutume :

« En ce lieu-là, {c} il tomba dans une fâcheuse maladie, ce qui l’obligea de laisser la plus grande partie de ses troupes dans le pays pour la défense des places et de se faire porter à une ville d’Ibérie nommée Mechiste, {d} où il mourut.

C’était un des plus grands personnages qui ait jamais été parmi les Perses. Il était prudent dans le conseil, intrépide dans le danger et avait le courage merveilleusement élevé. Quoi qu’il fût chargé d’années et si fort incommode des deux pieds depuis longtemps qu’il ne pouvait plus monter à cheval, {e} il ne laissait pas d’entreprendre toutes les fatigues avec la même ardeur que s’il n’eût point eu d’indisposition et qu’il eût été dans la fleur de son âge. Il se faisait porter dans sa litière au milieu de son armée et, dans cet état, il imprimait de la terreur à ses ennemis, il inspirait de la hardiesse à ses soldats ; enfin il donnait tous les ordres avec une sagesse si éclairée qu’ils ont presque toujours été suivis des victoires les plus signalées. Ce qui fait bien voir que ce n’est pas la force du corps, mais la sagesse de l’esprit, qui fait les grands capitaines.

Les plus proches parents de Mermeroës portèrent son corps hors de la ville et l’exposèrent tout nu pour être mangé par les chiens et par les oiseaux infâmes qui se repaissent de carnages. Voilà la belle cérémonie que les Perses ont accoutumé de garder dans leurs funérailles. Après que ces animaux ont dévoré toutes les chairs, les os demeurent épars en divers endroits sur la terre. Parmi eux il n’est pas permis d’ensevelir les morts, ni de les enfermer dans des tombeaux {f}. Que s’il arrive qu’un corps qui a été exposé de cette sorte, ne soit pas au même moment déchiré par les chiens, ou par les oiseaux de proie, ils s’imaginent que cela vient de ce que l’âme de cette personne est encore toute souillée des crimes de sa vie passée et qu’elle est condamnée à souffrir d’horribles supplices. Pour lors, ses parents le regrettent et le pleurent amèrement comme étant véritablement mort, et comme étant dans une condition tout à fait malheureuse et digne de larmes. Ils se persuadent au contraire que ceux-là sont heureux dont les corps sont dévorés aussitôt qu’ils ont été exposés, et que c’est une marque que leur âme est sainte et divine, et qu’elle jouit d’une félicité immortelle. Quand quelque soldat est attaqué d’une maladie dangereuse, on le sépare des autres et on l’expose tout vivant avec un peu de pain et d’eau, et avec un bâton, afin qu’il puisse se nourrir et se défendre contre les bêtes tant qu’il lui restera assez de force. Que s’il arrive que la violence du mal ôte à ceux qui ont été exposés de cette manière la liberté du mouvement, sans toutefois leur ôter entièrement la jouissance de la vie, alors ils sont dévorés à demi vivants et ils perdent par la cruauté des bêtes l’espérance de la guérison. On en a vu quelquefois, qui après avoir recouvré leur santé, sont revenus dans leurs maisons et y ont paru avec des visages aussi pâles et aussi défigurés que ceux que les poètes retirent des portes de l’enfer sur les scènes et sur les théâtres ; mais quand quelqu’un retourne de cette sorte, tout le monde le fuit comme un profane et on ne permet pas qu’il rentre dans la conversation des autres hommes, ni qu’il reprenne son train de vie ordinaire sans qu’il ait été auparavant réconcilié par les mages, purifié, s’il faut ainsi dire, de l’attente de la mort et comme rétabli dans le commerce de la vie.

Il est évident que lorsqu’une Nation entière a été élevée dans quelque coutume durant une longue suite d’années, elle la croit juste et raisonnable, et qu’elle rejette tout ce qui lui est contraire comme extravagant et impie. Les hommes n’ont jamais fait de lois, qu’ils ne les aient appuyées sur quelques raisons ; mais de ces raisons, les unes ont de la solidité, et les autres n’ont que de l’apparence. C’est pourquoi je ne trouve pas étrange que les Perses emploient divers arguments pour défendre l’usage de leur pays et pour montrer qu’il doit être préféré à celui des autres peuples ; mais je m’étonne qu’ils observent un usage qui constamment a été inconnu aux plus anciens habitants de leur pays, aux Assyriens, aux Chaldéens et aux Mèdes. On voit encore aux environs de Ninive et de Babylone, et dans toute la Médie, des tombeaux semblables aux nôtres, où sont enfermés les ossements et les cendres des hommes qui ont vécu dans les premiers siècles : ce qui fait connaître qu’alors on donnait la sépulture à la façon des Grecs, et non pas à la façon que les Perses gardent maintenant. […] {g} Ce sont donc les Perses de ce temps-ci qui ont négligé, ou plutôt qui ont violé toutes leurs anciennes lois et qui se sont laissé corrompre par les mœurs des étrangers que Zoroastre a introduites. » {h}


  1. Agathias le Scolastique est un poète et historien byzantin du vie s., dont sont ici réunis les principaux ouvrages.

  2. Paris, Pierre Rocolet de Damien Foucault, 1671, in‑4o de 772 pages.

  3. V. note [22], lettre 224, pour Justinien le Grand, empereur romain d’Orient de 527 à 565.

  4. Lors de sa dernière campagne contre les Byzantins en Lazique (à l’ouest de l’actuelle Géorgie), province située sur la rive orientale de la mer Noire, au nord de l’Ibérie et de l’Arménie, Mermeroes et son armée affaiblie s’étaient retirés dans la ville de Muchirise (Mocherisis).

  5. Mtskheta en Géorgie, près de Tbilissi : Mermeroes y mourut en l’an 555.

  6. Cette paraplégie pouvait être due à diverses maladies chroniques de la moelle épinière, traumatique, dégénérative, toxique, carentielle, tumorale ou infectieuse : poliomyélite, tuberculose, voire tabes dorsalis (mais il faudrait croire à la haute antiquité de la syphilis en Europe, v. note [17] du Naudæana 2).

  7. Encore pratiquées dans certains pays d’Orient, ces obsèques à ciel ouvert sont appelées funérailles célestes.

  8. Omission d’un long passage sur toutes les formes de mariages incestueux qu’autorisaient les Perses.

  9. V. notule {b}, note [49] du Borboniana 1 manuscrit pour Zoroastre.

25.

Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître lxxxviii, sur l’inutilité des arts libéraux pour les progrès de la vertu (§ 37) :

Quattuor milia librorum Didymus grammaticus scripsit : misererer si tam multa supervacua legisset. In his libris de patria Homeri quæritur, in his de Æneæ matre vera, in his libidinosior Anacreon an ebriosior vixerit, in his an Sappho publica fuerit, et alia quæ erant dediscenda si scires. I nunc et longam esse vitam nega !

[Le grammairien Didyme {a} a écrit quatre milliers de livres: je plaindrais celui qui aurait lu tant d’inanités. Dans les uns, il recherche quelle fut la patrie d’Homère ; {b} dans d’autres, quelle fut la véritable mère d’Énée ; {c} ailleurs, il se demande si Anacréon {d} s’est plus adonné aux plaisirs charnels ou à l’ivresse ; ailleurs encore, si Sappho {e} était une fille publique ; et cent autres choses qu’il te faudrait désapprendre si tu les savais. Viens maintenant me dire que la vie n’est pas assez longue !]


  1. D’identité incertaine Didyme d’Alexandrie est un grammairien grec du ier s. av. J.‑C., dont plusieurs auteurs antiques ont parlé. Il n’est rien resté de sa production monumentale, hormis les citations qu’en ont données d’autres auteurs comme Athénée de Naucratis, écrivant notamment à son sujet, dans le livre iv, chapitre vii des Déipnosophistes :

    « C’est le célèbre grammairien que Démétrius de Trézène appelait Bibliolathe, {i} à cause du grand nombre de livres qu’il avait publiés. En effet, on en compte trois mille cinq cents. »

    1. Βιβλιολαθας, épithète réservée à Didyme, associe biblion [livres] et lanthanô [j’oublie].

      Selon l’érudit italien Ludovicus Cælius Rhodiginus (v. note [7], lettre latine 371), Lectiones antiquæ [Leçons antiques] (Francfort et Leipzig, 1666, livre xix, chapitre ix, page 1058), on donnait aussi à Didyme le surnom de Chalcenterus, Χαλκεντερος, « homme aux entrailles d’airain », à cause de son formidable zèle pour l’étude.

    J’ignore d’où Moréri a appris que Didyme était fils d’un vendeur de salines (poissons salés) ; sauf confusion avec l’île éolienne de Saline (Salina), dont Didyme était le nom antique (ce qui expliquerait la majuscule de Salines dans L’Esprit de Guy Patin).

  2. Le pays natal d’Homère demeure incertain : l’île égéenne de Chio ou la Lydie (v. notes [1] et [55] du Naudæana 1).

  3. Le mythe dit ordinairement qu’Ulysse (Énée, v. note [14], lettre d’Adolf Vorst, datée du 4 septembre 1661) était fils de Laërte et d’Anticlée, roi et reine d’Ithaque.

  4. V. note [24] du Faux Patiniana II‑1.

  5. V. première notule {c}, note [35], lettre latine 154.

26.

Hérode Atticus (Marathon 101-177), rhéteur grec, fut sénateur romain et se signala par ses discours, par sa richesse, qu’il consacra au mécénat d’art, et par ses amours, tant féminines que masculines. Philostrate d’Athènes {a} a écrit sa biographie dans le livre ii de ses Vies des sophistes, ouvrage qui n’avait été traduit qu’en latin au xviie s. L’Esprit de Guy Patin a copié mot pour mot l’article du Moréri sur « Atticus, fils d’Hérode Atticus ». D’autres sources le nomment Atticus Bradua, en disant que son père le renia, mais qu’il n’en devint pas moins consul.

Iccirco autem hasce filias tanto cum excessu lugebat, quia adversus Atticum filium ira concitatus erat, eo quod fatuus amodum esset, indocilis, ineptusque ad literas, et crassa fluxaque memoria : quare cum ille ne primas quidem literas discere posset, venit in mentem Herodi, ut una cum ipso quatuor et viginti pueros coævos aleret, a literis nominatos, ut in puerorum nominibus literas ex necessitate meditaretur ; sed eundem vinolentum quoque videbat, et amore væsano correptum ; unde vivens adhuc de suis facultatibus, hunc oracularem versum edidit, En solus stultusque relinquitur ædibus amplis.

[Hérode déplorait d’autant plus vivement la mort de ses filles qu’il éprouvait de la colère envers son fils Atticus, tant il était sot, indocile, illettré, et doté d’une mémoire lente et labile. Comme ce fils ne parvenait pas à acquérir les premiers rudiments du savoir, Hérode eut l’idée de l’éduquer en compagnie de vingt-quatre esclaves de même âge que lui, dont chacun portait le nom d’une lettre, afin de le forcer à s’entrer l’alphabet dans la tête. {c} De son vivant, Hérode vit son fils se noyer dans le vin et se corrompre dans les débauches charnelles, et fit donc courir ce vers prémonitoire sur ses capacités : Il ne subsiste de cette grande maison qu’un seul homme, et c’est un fou].


  1. V. note [41], lettre 99.

  2. Édition grecque et latine établie par Fédéric Morel, Paris, 1605, v. note [6], lettre latine 45 (avec un autre extrait de la Vita de Hérode Atticus).

  3. L’alphabet grec compte 24 lettres.

27.

À l’appui de son propos sur Francesco Albani, dit l’Albane (Bologne 1578-ibid. 1660), Moréri cite l’Abrégé de la vie des peintres, avec des réflexions sur leurs ouvrages, et un Traité du peintre parfait, de la connaissance des dessins, et de l’utilité des estampes, par le peintre et graveur français Roger de Piles (Clamecy 1635-Paris 1709), édition de Paris, Charles de Sercy, 1699, in‑8o, pages 332‑334. Il y abrège les Entretiens sur les vies et les ouvrages des plus excellents peintres d’André Félibien (Paris, 1688, v. supra note [5], entretien vii, pages 293‑298).

Pierre Mignard (Troyes 1612-Paris 1695), premier peintre du roi, est celui des Mignard qui a décoré (en 1677-1680) la galerie d’Apollon dans le château de Saint-Cloud (v. note [26], lettre 236), propriété de Monsieur, Philippe d’Orléans, frère cadet de Louis xiv. Piles en a brièvement parlé comme « l’un des plus considérables ouvrages qui ait jamais été fait en ce genre-là » (ibid. page 521).

Les trois Grâces (Charites des Grecs, Χαριτες), Euphrosyne, Thalie et Aglaé, filles de Jupiter (ou de Bacchus), étaient les compagnes de Vénus (Fr. Noël) :

« Leur pouvoir s’étendait à tous les agréments de la vie. Elles dispensaient aux hommes non seulement la bonne grâce, la gaieté, l’égalité d’humeur, la facilité des manières, et toutes les autres qualités qui répandent tant de charme dans la société, mais encore la libéralité, l’éloquence, la sagesse. {a} La plus belle de toutes leurs prérogatives, c’est qu’elles présidaient aux bienfaits et à la reconnaissance. »


  1. Euphrosyne symbolisait l’allégresse, Thalie, l’abondance, et Aglaé, la splendeur. Thalie partageait son nom avec la Muse qui présidait à la comédie (v. note [4], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 1er juillet 1673), mais en était mythologiquement distincte.

28.

Louis Moréri est un des rares à avoir écrit un article sur l’obscur Matthieu Bissario, qui mérite donc un commentaire détaillé :

« célèbre jurisconsulte, né d’une très noble famille de Vicence, {a} dans l’État de la République de Venise. Il ne sera pas inutile de parler ici d’un ancien droit que ceux de cette Maison ont de conduire le nouvel évêque de Vicence jusque dans son palais épiscopal, lorsqu’il fait son entrée dans la ville pour prendre possession de cette dignité. Ils sont tous superbement vêtus, au-devant de l’évêque, suivis de leurs domestiques et valets, et ils l’accompagnent à pied le long du chemin, l’aîné de cette famille tenant par la bride le cheval du nouvel évêque : comme fit autrefois l’empereur Constantin au pape Sylvestre dans Rome, {b} et l’empereur Venceslas au pape Grégoire xi. {c} Anastase rapporte que Pépin, père de Charlemagne, rendit le même honneur au pape Étienne iii lorsqu’il vint en France ; {d} mais il est seulement vrai qu’il le reçut avec beaucoup de soumission, sans néanmoins marcher à pied à côté de lui, en tenant la bride de son cheval, comme dit cet auteur. *Marzari, Hist. di Vicenza. » {e}


  1. V. note [6], lettre 536.

  2. En 324, le pape Sylvestre ier (314-335) a baptisé l’empereur romain Constantin ier (306-337, v. note [24] du Naudæana 3).

  3. Le Français Pierre Roger de Beaufort (mort en 1378) a été élu pape sous le nom de Grégoire xi en 1371. Son contemporain Venceslas de Luxembourg (1361-1419) n’a pas été à proprement parler empereur romain germanique, mais roi de Germanie (de 1376 à 1400) et de Bohême (de 1378 à sa mort).

  4. Anastase le Bibliothécaire (815-878) a été illégitimement élu pape (antipape) en 855 sous le nom d’Anastase iii, et destitué au bout de trois jours. Il a écrit une Historia ecclesiastica qui contient la vie des pontifes romains.

    Le père de Charlemagne, Pépin le Bref, roi des Francs de 751 à 768, a été couronné à Saint-Denis par le pape Étienne ii (et non iii) qui a régné de 752 à 757.

  5. Moréri (qui introduit toujours ses références par un astérisque) a résumé la page 141, libro secondo de La Historia di Vicenza del Sig. Giacomo Marzari, fu del sig. Gio. Pietro Nobile Vicentino : divisa in due libri… [L’Histoire de Vicence du sieur Giacomo Marzari, fils du sieur Giovanni Pietro, noble de Vicence : divisée en deux livres…] (Venise, Giorgio Angelieri, 1591, in‑4o de 214 pages) ; ce récit est daté de l’année 1427 et numérote correctement le pape Étienne ii.

29.

L’article de Moréri édulcore celui de Diogène Laërce, parlant des cyniques (livre vi, 96‑98) :

« Les discours de ces philosophes convertirent encore la sœur de Métroclès, Hipparchia. Comme lui, elle était de Maronée. Elle s’éprit si passionnément de la doctrine et du genre de vie de Cratès {a} qu’aucun prétendant, fût-il riche, noble ou bien fait, ne put la détourner de lui. Elle alla jusqu’à menacer ses parents de se tuer si elle n’avait pas son Cratès. Cratès fut invité par eux à la détourner de son projet : il fit tout ce qu’il put pour cela, mais finalement, n’arrivant pas à la persuader, il se leva, se dépouilla devant elle de ses vêtements, et lui dit : “ Voilà votre mari, voilà ce qu’il possède, décidez-vous, car vous ne serez pas ma femme si vous ne partagez mon genre de vie. ”

La jeune fille le choisit, prit le même vêtement que lui, le suivit partout, fit l’amour avec lui au grand jour, et alla avec lui aux repas. Un jour où elle vint à un banquet chez Lysimaque, elle confondit Théodore, surnommé l’Impie, {b} par le raisonnement suivant : “ Ce que Théodore ferait sans y voir une injustice, Hipparchia peut aussi le faire sans injustice. Or Théodore peut se frapper sans dommage, donc Hipparchia, en frappant Théodore, ne lui fait aucun dommage. ” L’autre ne répondit rien, mais lui souleva son vêtement ; et Hipparchia n’en fut ni frappée, ni effrayée, bien que femme.

Plus tard, comme il lui disait “ Qui donc a laissé sa navette sur le métier ? ”, elle lui répondit “ C’est moi, Théodore, mais ce faisant, crois-tu donc que j’ai mal fait, si j’ai employé à l’étude tout le temps que, de par mon sexe, il me fallait perdre au rouet ? ” » {c}


  1. Comme son frère, Métroclès, et son mari, Cratès de Thèbes (en Béotie), Hipparchia, native de Maronée en Thrace, fut une philosophe cynique du ive s. av. J.‑C.

  2. Théodore, dit l’Athée, est un philosophe sceptique (mais non cynique) du ive s. av. J.‑C.

    Lysimaque est un général d’Alexandre le Grand, qui gouverna la Thrace après la mort de son chef.

  3. Moréri et L’Esprit de Guy Patin ont éludé les passages qui montrent la liberté de mœurs des cyniques, et dénoncent la phallocratie et la soumission domestique des femmes : tout cela n’était guère convenable au début du xviiie s.

30.

Le Faux Patiniana II‑1 contient un article très similaire à celui-ci : v. sa note [52], qui donne la définition du mot censeur ultérieurement fournie par le Dictionnaire de Trévoux ; on se plagiait décidément sans scrupule au début du xviiie s.

31.

« Je gis ici, moi, Campanus, né sous les lauriers, que la mitre ceignit et qui fis les délices de Rome. {a} Les Grâces {b} m’ont dicté leurs amusements, que Momus {c} a assaisonnés de sel noir, Mercure, de blanc, et Vénus, de sel des deux couleurs. Cupidon aux deux visages {d} s’est plu à mes badinages et à mes rires. Passant, si tu me pleures, éloigne-toi, je te prie, va-t’en ! » {e}


  1. V. note [67] du Naudæana 2, pour Antonius Campanus (Giovanni Antonio Campani), prélat (mitré) et poète italien du xve s., qui serait « né dans les choux » (ici « sous les lauriers »), c’est-à-dire qui aurait été un bâtard abandonné par sa mère dans la campagne.

  2. V. note [27] du Faux Patiniana II‑7.

  3. V. note [37], lettre 301, pour Momus, dieu de la raillerie et du sarcasme : le sel noir des satires, ici opposé au sel blanc des élégies badines.

  4. V. notule {b}, note [2], lettre latine 365, pour les deux faces de Cupidon (Éros), symbolisant l’amour sage et la passion charnelle.

  5. Dans la suite de leur article, les rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin ont admiré et traduit à leur mode le dernier vers de cette épigramme d’Ange Politien (v. note [7], lettre 855) ; elle figure dans l’éloge illustré de Campanus par Paul Jove, Elogia, page 40 de l’édition de Bâle, 1577 (v. supra note [2]).

32.

Nicholas Sanders ou Sander (Charlwood, Surrey vers 1530-1581), prêtre catholique, a passé la majeure partie de sa vie loin de son Angleterre natale pour y attiser les rébellions catholiques, avec le soutien de Rome et de l’Espagne. Son principal ouvrage, intitulé De Origine ac progressu schismatis Anglicani [L’Origine et la progression du schisme anglican], a été publié pour la première fois vers 1585 et a connu de multiples rééditions, augmentations et traductions. J’ai consulté :

Les trois livres de Nicolas Sander, touchant l’origine et progrès du schisme d’Angleterre. Auxquels est contenue l’histoire principalement ecclésiastique de 60 ans ou environ, très digne d’être lue, à savoir depuis l’an 21e du règne de Henri viii, auquel il se mit à penser de répudier sa femme légitime, la sérénissime Catherine, jusqu’au 28e an d’Élisabeth, laquelle est le dernier enfant du susdit Henri. Augmentés par Édouard Rishton, et imprimés premièrement en Allemagne, et depuis l’année passée à Rome, augmentés davantage et mieux disposés, avec privilège et licence. Traduit en français, selon la copie latine de Rome, par I.T.A.C. {a}


  1. Augsbourg, Hans Mark, 1587 ou 88 [sic], in‑8o de 561 pages ; on y lit toutes les turpitudes que Moréri a résumées (v. infra notes [33], [34], [36], [37] et [86]).

Quoiqu’il n’en soit pas une copie exacte, le récit de L’Esprit de Guy Patin, qui suit, est suffisamment proche de celui de Moréri pour autoriser à le mettre entre guillemets.

Cinq membres de la famille Boleyn (Boulen suivant l’ancienne prononciation française) interviennent dans cette page essentielle de l’histoire tudorienne.

33.

Animé par son zèle catholique, Nicholas Sanders médisait sûrement quand il écrivait (livre i, pages 10 vo‑11 ro) :

« Or Anne de Boulen était fille de la femme de Thomas de Boulen, chevalier : je dis notablement {a} fille de la femme, car elle ne pouvait être fille du dit Thomas de Boulen, à raison que lui étant en ambassade en France et y ayant séjourné l’espace de deux ans, durant ce même temps, Anne fut conçue et née en Angleterre. Car, comme ainsi fût, que le roi aimât {b} la femme de Thomas de Boulen, afin que plus librement il jouît d’elle, il envoya son mari en France, sous prétexte qu’il lui faisait grand honneur. Cependant Anne de Boulen est conçue et née au pays d’Angleterre. {c} Or Thomas de Boulen, deux ans après, retourné de France, voyant que sa femme avait engendré une fille, se voulant venger de l’adultère, fit convenir sa dite femme par devant les juges délégués de l’archevêque de Cantorbéry, {d} se délibérant de la répudier. Sa femme en avertit le roi, lequel envoya le marquis de Dorchester vers Thomas de Boulen, avec mandement qu’il eût à se déporter de cette poursuite, qu’il pardonnât à sa femme et que derechef se réconciliât avec elle. Combien que de Boulen vît bien qu’il se devait donner de garde de courroucer le roi, si est-ce qu’il {e} ne voulut point obéir au mandement du roi que préalablement il n’eût entendu de sa femme que le roi l’avait sollicitée, et qu’Anne de Boulen n’était fille d’homme quelconque que du roi Henri. Cela fait, elle se prosterna à deux genoux devant son mari, le suppliant de lui remettre et pardonner cette faute, et que dorénavant elle lui sera femme loyale et fidèle. Par quoi, à la requête du marquis de Dorchester et d’autres grands seigneurs, tant en leur nom qu’au nom du roi, Thomas se réconcilia avec sa femme et nourrit Anne de Boulen pour sa fille. »


  1. Expressément ; on remarque au passage que Thomas Boulen était chevalier (et non chancelier) de l’Ordre de la Jarretière (v. infra notule {d}, note [86]).

  2. Le fait était que le roi aimait.

  3. Placé au cœur de toutes ces intrigues, Henri viii Tudor (1491-1547), roi d’Angleterre en 1509 (v. note [12], lettre 413), a pu être amant d’Élisabeth Boleyn, mais doublement incapable d’avoir engendré sa fille, Anne (v. supra note [32]) : physiquement, si on retient 1501 comme la date probable de sa naissance (mais certains historiens donnent 1507) ; et chronologiquement, car sa naissance n’eut pas lieu pendant l’ambassade de Thomas Boleyn en France (1518-1521).

    Reprenant les haineuses invraisemblances de Sanders, Moréri a recommandé d’être circonspect sur le véritable père d’Anne :

    « On doit lire avec précaution ce qui regarde ici la naissance d’Anne de Boulen. Sanderus, qui veut dire que le roi Henri viii ait été son père, appuie ce fait par des circonstances qui sont très difficiles à prouver, {i} aussi bien que la vie libertine qu’il accuse Anne de Boulen d’avoir menée en Angleterre et en France. Ce qu’il y a de sûr, c’est quelle ne parut chaste que jusques à ce qu’elle eut détrôné sa maîtresse ; {ii} car pour l’inceste et l’adultère qui la firent condamner à mort, les historiens protestants n’osent entreprendre ouvertement de l’en purger. »

    1. L’Esprit de Guy Patin a surenchéri dans l’ignominie en disant que Mary, sœur aînée d’Anne, était aussi fille du roi (il y est même complaisamment revenu, v. infra note [86]) ; ses rédacteurs interprétaient de travers Moréri citant Sanders (page 11 vo) :

      « Car le roi, dit-il, étant devenu amoureux de cette dame, relégua le mari en France avec la qualité d’ambassadeur ; et Anne de Boulen naquit deux ans après le départ de Thomas ; ainsi, elle ne pouvait être sa fille. Il {1} en avait déjà eu une nommée Marie : le roi l’ayant trouvée à son gré, en fit aussitôt sa maîtresse. On dit que ce prince ayant un jour demandé à François Brian, {2} chevalier de l’Ordre {3} et de la maison de Boulen, si c’était un grand crime d’entretenir la mère et la fille, C’est, répondit Brian, comme si l’on mangeait la poule et le poulet. » {4}

      1. Thomas Boleyn et non le roi.

      2. Francis Bryan.

      3. De la Jarretière.

      4. V. infra note [86].
    2. Catherine d’Aragon, reine consort d’Angleterre, dont Anne avait été dame d’honneur.
  4. Convenir est à prendre dans le sens de comparaître.

    De 1503 à 1532, William Warham fut le dernier archevêque catholique de Cantorbéry ; il s’opposa en vain à la suprématie du roi Henri viii sur l’Église d’Angleterre, préambule au schisme anglican.

  5. Sinon qu’il.

34.

Moréri a tiré ces détails (contestés par les historiens modernes) du fameux portrait que Nicholas Sanders a donné d’Anne Boleyn (livre i, pages 11 vo‑12 vo) :

« Or Anne de Boulen fut de haute stature de corps, ayant les cheveux noirs, la face un peu longuette, la couleur jaunâtre, comme si elle eût eu la jaunisse, ayant une dent quelque peu avançant en la gencive d’en-haut ; en sa main droite, s’engendrait un sixième doigt, comme aussi lui croissait sous le menton je ne sais quelle bosse ou enflure, dont, pour couvrir et cacher cette difformité, tant elle que les dames et damoiselles de la cour commencèrent, à son imitation, à couvrir leur col et poitrine, combien qu’auparavant elles les eussent découvertes. Quant au reste de la proportion de son corps, elle semblait plus belle et plus gentille. Il apparaissait en ses lèvres une beauté naïve ; < elle > était fort accorte à deviser, à baller, {a} à jouer des instruments de musique ; < tout > comme elle était fort propre en habillement, inventant journellement quelque nouvelle façon d’accoutrements ; en quoi elle servit comme de patron et miroir à tous les courtisans et courtisanes ; mais quant au portrait intérieur de l’âme, elle était superbe sur tout, ambitieuse, envieuse et fort abandonnée à ses plaisirs. À l’âge de quinze ans, après qu’elle eut enduré d’être dépucelée, premièrement par le sommelier de Thomas de Boulen, puis après par le chapelain ou aumônier du même Thomas, elle fut incontinent envoyée en France ; où étant nourrie aux dépens du roi Henri chez un gentilhomme non loin de Brières, {b} quelque peu de temps après, s’en alla en la cour du roi de France, où elle vécut si impudiquement que les Français l’appelaient coutumièrement la haquenée {c} ou jument d’Angleterre. Et depuis qu’elle fut reçue en la familiarité du roi de France, on commença à l’appeler la mule du roi. Davantage, elle était adonnée à la secte luthérienne, {d} afin que sa religion ne fût point différente de sa vie ; si ne laissait-elle pas pourtant d’ouïr la messe, à la manière des catholiques, étant à ce comme forcée, tant pour l’accointance qu’elle avait avec le roi très-chrétien, que pour l’ambition qu’elle s’était proposée. »


  1. Danser.

  2. Aujourd’hui Brières-les-Scellé, près d’Étampes, en Île-de-France (Essonne), à 47 kilomètres au sud-ouest de Paris.

  3. Petit cheval ou pouliche qui va à l’amble.

  4. Anne ayant séjourné en France de 1514 à 1522 (v. supra note [32]), il est impossible qu’elle y ait eu connaissance du luthéranisme, conçu à Wittemberg en 1517 et établi par la Confession d’Augsbourg en 1530 (v. note [15], lettre 97). La Réforme de Zwingli (Zurich, 1523, v. note [44], lettre 183) a diffusé en Europe avant celle de Luther, et paraît avoir exercé plus d’influence qu’elle sur le schisme anglican (v. infra note [37], notule {c}).

35.

V. notes [8] et [22] du Borboniana 8 manuscrit pour le remariage de Catherine d’Aragon, en 1509, avec son beau-frère Henri viii Tudor, frère cadet d’Arthur (Artus, mort en 1502).

36.

Henri viii créa le marquisat de Pembroke pour Anne Boleyn en 1532. Le divorce du roi est le schisme sont repris dans l’article suivant de L’Esprit de Guy Patin.

Nicholas Sanders a décrit la lamentable fin d’Anne Boleyn après la naissance d’Élisabeth en septembre 1533 (livre i, pages 88 vo‑89 vo) :

« Le temps était venu auquel Anne devait enfanter derechef, mais elle ne jeta hors, sinon quelque masse de chair sans aucune forme ni figure, et rien davantage. {a} Le roi voulant à toute force voir ce qu’Anne avait enfanté, à cette cause, après qu’elle fut délivrée, il entra dedans la chambre. Anne, non seulement dolente d’avoir avorté, mais encore jalouse et malcontente de ce que le roi avait transporté son amour autre part ; {b} “ Voici ! (ce dit-elle au roi) ne voyez-vous pas comme depuis le jour que je vis cette putain Jeanne assise en votre giron, mon ventre a bien fait son devoir ? – Mon petit cœur (lui répondit le roi), prends bon courage ! je ne te donnerai plus occasion ci-après de te plaindre de moi. ” Le roi aussitôt sortit fort fâché.

Or Anne, voyant que le roi Henri n’avait eu jusqu’alors aucun enfant mâle d’elle, et que même elle n’en espérait point de lui ci-après, elle délibéra d’essayer, par quelque autre moyen, < si > elle, qui était < dé>jà femme du roi, < ne > pourrait point aussi être mère de roi. Or elle pensait que si elle avait plutôt affaire avec son frère George de Boulen, son adultère serait d’autant plus couvert et secret que si elle avait compagnie de quelque autre ; voire, l’orgueilleuse femme qu’elle était, et très amoureuse de soi-même, voulait que de la race et sang des Boulen, des deux côtés, il y eût un mâle qui occupât le royaume d’Angleterre. Mais ne pouvant non plus, par ce détestable inceste, venir à chef {c} de ce qu’elle désirait, elle commença à s’abandonner à plusieurs, voire avec tel débordement que, outre Norris, Weston et Brereton, hommes assez nobles encore, elle, qui était reine, s’abandonna à un sien musicien, nommé Mark.

Cette tant débordée paillardise ne pouvant longuement être cachée au roi, si fit-il semblant {d} de n’en rien savoir, jusques au premier jour de mai. {e} Or ce même jour, comme le roi était à Greenwich regardant quelques passe-temps et joyeusetés, ou jeux publics, et avisant qu’Anne de Boulen avait jeté par la fenêtre un mouchoir à l’un de ses amoureux, pour essuyer son visage plein de sueur à raison de la grande chaleur qu’il faisait, il en fut si fâché que, sortant incontinent du théâtre sans saluer personne, il s’en alla à Londres, au château de Westminster, distant de Greenwich de cinq milles, accompagné seulement de six personnes pour sa suite ; ce qu’ayant été rapporté à Anne, elle se retira aussi de la troupe et, se doutant bien que le roi n’avait point fait cela sans occasion, elle ne sut < se > reposer la nuit du soin et sollicitude qu’elle avait en son esprit.

Elle fit le lendemain apprêter des nacelles et galères à trois rangées d’avirons pour être portée à Londres sur la rivière de Tamise ; et comme elle était presque au milieu du chemin, voici, sur la même rivière, les officiers du roi qui l’attendaient pour l’appréhender et mener prisonnière en la forteresse qui était sur le bord de ladite rivière. Là, Anne de Boulen se prend premièrement à s’étonner, voire à se courroucer à bon escient, puis à se plaindre et lamenter avec horribles cris ; et finalement, à supplier et très vitement requérir qu’il lui fût permis ou de parler au roi, ou du moins se présenter devant Sa Majesté. Toutefois, le roi Henri ne lui octroyait rien de tout cela car, ayant joui de Jeanne Seymour, il avait déjà désigné {f} en son esprit la mort d’Anne. Dont {g} peu de jours après, Anne étant menée au siège judicial public, et condamnée d’adultère et d’inceste, voire par Thomas de Boulen, son père putatif, lequel par commandement du roi siégeait entre les autres juges, elle fut décapitée le 19e jour de mai, n’ayant point encore joui cinq mois entières < sic > du nom de reine, après le trépas de la reine Catherine. {h} Le susdit Thomas de Boulen prit la chose si à cœur qu’il mourut bientôt après ; {i} mais George de Boulen, frère de ladite Anne, Henry Norris, William Brereton, Francis Weston, nobles, et Mark Smeaton, musicien, lesquels étaient tous de la Chambre du roi, furent décapités publiquement trois jours après le supplice et exécution d’Anne, pour l’inceste et < les > adultère<s> qu’ils avaient commis avec Anne de Boulen, étant punis pour leur paillardise comme aussi ils le méritaient. »


  1. Survenu en décembre 1534, cet avortement semble correspondre à l’expulsion d’une môle (v. note [21], lettre 419).

  2. Henri viii était déjà tombé dans les bras de Jane Seymour, qu’il épousa en mai 1536 et qui lui donna son unique héritier mâle, le futur roi Édouard vi (v. note [8] du Borboniana 8 manuscrit).

  3. À bout.

  4. Mais il fit semblant.

  5. 1536.

  6. Conçu.

  7. D’où il advint que.

  8. Catherine d’Aragon, première épouse de Henri viii, répudiée (« trépassée ») en mai 1533, mourut en janvier 1536. Anne Boleyn, couronnée le 1e juin 1533, fut détrônée le 17 mai 1536 : les « cinq mois entières » de son règne sont donc incompréhensibles, même en remplaçant « mois » par « années ».

  9. Exagération : Thomas Boleyn tomba certes en disgrâce, mais ne mourut qu’en mars 1539.

37.

Thomas Cramner (Aslockton, Nottinghamshire 1489-Oxford 1556), archevêque de Cantorbéry en 1533, fut le principal artisan religieux du divorce de Henri viii et de l’établissement de l’Église anglicane, œuvre qu’il poursuivit sous le règne d’Édouard vi ; mais en 1553, l’avènement de la catholique Marie Tudor (Marie ire, v. note [8] du Borboniana 3 manuscrit) causa la perte du prélat : destitué et condamné à mort pour hérésie, il périt sur le bûcher.

Charles Quint (v. supra note [4], notule {b}), empereur catholique et neveu de la reine Catherine d’Aragon, mit tout en œuvre pour empêcher que le pape Clément vii (v. note [50], lettre 292) n’annulât le mariage de Henri viii.

John Fisher (Beverley, Yorkshire 1469-Londres 1535), évêque de Rochester en 1504, s’opposa ouvertement au remariage de Henri viii avec Anne Boleyn. Emprisonné à la Tour de Londres en avril 1534, il fut nommé cardinal en mai 1535, provocation pontificale qui poussa le roi à décapiter Fisher le mois suivant. Il a été canonisé en 1935.

Saint Thomas Becket (Londres 1120-Cantorbéry 1170), archevêque de Cantorbéry en 1162, entra en conflit avec le roi Henri ii d’Angleterre sur les droits et privilèges de l’Église. Il fut assassiné dans sa cathédrale par les partisans du roi, et canonisé en 1173.

V. notes :

La contrition de Henri viii au moment de sa mort (28 janvier 1547) n’est pas entièrement attestée par Nicholas Sanders (livre i, page 130 ro, v. supra note [32]) :

« Le roi Henri étant alité malade et la maladie s’augmentant, comme ses amis et familiers l’admonestaient de l’article de la mort qui s’approchait, il demanda une coupe de vin blanc {a} et, se tournant vers l’un des siens : “ Nous avons, dit-il, tout perdu. ” On dit que puis après il redoubla parfois entre ses dents, comme en parlant fort lâchement, {b} le nom de “ Moines ! ”, et qu’ainsi il rendit l’esprit. »


  1. Il est osé d’en faire une communion sous une seule espèce.

  2. En marmonnant.

La version de la mort du roi donnée par Moréri (en disant que « Les protestants ne conviennent pas de ces faits ») est proche de celle qu’on lit dans la Continuation des Annales ecclésiastiques du cardinal Baronius.… par Henri de Sponde, {a} année 1547, xvii, Il avait eu dessein de se réconcilier à l’Église (tome iii, pages 204‑205) :

« On tient pareillement que, désespérant de sa santé, il traita avec quelques évêques, en particulier, du moyen de se réconcilier avec le Saint-Siège et que, < sur > la crainte qu’ils avaient que ce ne fût pour les éprouver, < il > leur ferma la bouche à tous, en sorte qu’il n’y eut que le seul Étienne Gardiner, évêque de Winchester, excellent catholique, qui lui conseilla de communiquer une affaire de si grande importance au Parlement ; ou du moins, si le temps le pressait, qu’il mît sa résolution par écrit, Dieu se contentant de la bonne volonté quand on ne pouvait faire autrement ; et qu’aussitôt qu’il s’en fut allé, une troupe de flatteurs, craignant qu’on leur fît rendre le bien de l’Église par cette réconciliation, lui persuadèrent d’ôter ce scrupule de son esprit. Il commanda, peu de jours devant sa mort, qu’on ouvrît et purifiât l’église des Cordeliers, {b} laquelle avait toujours été fermée depuis la ruine du monastère, et qu’on y dît la messe ; qu’elle fût érigée en paroisse avec cette inscription : “ L’Église de Christ fondée par Henri viii, roi d’Angleterre. ” Outre {c} le schisme qu’il avait fait à cause de sa luxure et les monastères qu’il avait ruinés pour en avoir le bien, il suivit presque entièrement la doctrine catholique : c’est pourquoi durant le schisme, il nomma quasi toujours des évêques bons et savants ; de sorte que, depuis, la plupart d’eux souffrirent les prisons sous Édouard et Élisabeth, pour la religion. Et le même roi étant prêt de communier un peu devant sa mort, sous une seule espèce, comme il avait toujours fait, et voulant se lever de sa chaise pour adorer à genoux le précieux corps de Notre Seigneur, il fit réponse aux zwingliens {d} qui lui voulaient persuader qu’il se contentât, à cause de son infirmité, de le recevoir dans sa chaise, que “ s’il pouvait même se mettre sous la terre, il ne rendrait pas assez d’honneur à ce Saint-Sacrement ”. »


  1. Paris, 1654, v. notule {a}, note [6] du Patiniana I‑4.

  2. Les ruines de Christ Church Greyfriars subsistent dans la City de Londres.

  3. Hormis.

  4. Protestants adhérant à la réforme établie par Ulrich Zwingli qui exerçaient l’nfluence protestante la plus forte dans l’anglicanisme naissant (v. supra note [34], notule {d}).

V. infra note [39] pour les deux de ses six épouses que Henri viii fit décapiter.

38.

Fondi est une ville et comté du Latium, sur la côte méditerranéenne, appartenant au Royaume de Naples. Au xvie s., les Espagnols en avaient fait un fief de la famille Colonna, et la ville devint le séjour de la cour de Giulia Gonzaga (Julie de Gonzague, 1513-1566), épouse, en 1526, de Vespasiano Colonna (1480-1528), comte de Fondi et duc de Traetto.

Les événements mentionnés dans cet article sont survenus en 1534 quand Barberousse (v. note [13] du Patiniana I‑3), amiral de la flotte ottomane, ravageait les côtes méditerranéennes d’Italie, dans la guerre de suprématie maritime qui opposait Soliman ier le Magnifique (v. note [35], lettre 547) à Charles Quint.

39.

De 1532 à sa mort (par décapitation), Thomas Cromwell (Londres vers 1485-ibid. 28 juillet 1540) fut le principal ministre de Henri viii. Il n’avait aucun lien de parenté avec Oliver Cromwell (v. infra note [69]).

Anne de Clèves, princesse allemande luthérienne (Anna von Jülich-Kleve-Berg, Düsseldorf 1515-Chelsea Manor 1557), fut la quatrième épouse de Henri viii et régna officieusement (sans avoir été couronnée reine consort) du 6 janvier au 9 juillet 1540, date de l’annulation de son mariage, liée au défaut de virginité de l’épouse, et surtout aux déséquilibres politiques intérieurs et extérieurs engendrés par cette union, tramée par Cromwell.

Thomas Howard, troisième duc de Norfolk (1473-1554), était oncle de deux des épouses de Henri viii : la deuxième, Anne Boleyn (1533-1536, v. supra note [32]), et la cinquième, Catherine Howard (1540-1542), que le roi condamna toutes deux à être décapitées.

Moréri a été plus disert sur les douze juges anglais, membres du Parlement choisis pour former la juridiction suprême du royaume, et le procédé qu’on utilisa pour condamner Cromwell, alors qu’il était au plus haut dans la faveur royale :

« Cromwell aigrissait son esprit contre les catholiques et tâcha de l’unir {a} avec les protestants d’Allemagne, par une ligue contre l’empereur Charles v. Pour en venir à bout, il lui proposa le mariage d’Anne de Clèves. Le roi y consentit et l’épousa. Ce fut alors que Henri donna à Cromwell le comté d’Essex et la charge de grand chambellan, le 13 avril de l’an 1540. Il honora encore son fils de la qualité de baron, et lui fit d’autres grâces considérables. Cinq jours après, le Parlement s’assembla. Cromwell y tenait le premier rang en faveur et en autorité. Il contraignit l’Assemblée d’accorder au roi la dixième partie et quatre de quinze {b} de tous les biens de ses sujets. Ensuite, il continua à persécuter les catholiques, et en fit mourir plusieurs avec une cruauté odieuse. Sur ce qu’on en sauva quelques-uns dans le temps qu’il était arrêté au lit par la goutte, il conseilla au roi de faire une ordonnance par laquelle il déclara les sentences rendues contre les criminels de lèse-majesté, quoiqu’absents et non défendus, seraient de pareille force que celles des douze juges, qui est le plus célèbre tribunal d’Angleterre. La Providence fit tourner ce conseil contre son auteur. »


  1. Tâcha d’unir Henri viii.

  2. Soit une sévère ponction de 12,7 pour cent.

40.

Le Moréri commence son article en disant que Dracon, législateur athénien du viie s. av. J.‑C.,

« fit des lois si rigoureuses qu’Hérodicus {a} disait qu’elles n’étaient pas d’un homme, mais d’un dragon, faisant allusion au nom de Dracon. Demades {b} disait plus spirituellement qu’elles avaient été écrites avec du sang, et non avec de l’encre. Solon {c} jugea à propos de les abolir à cause de leur trop grande sévérité, à la réserve de celles qui regardaient les meurtres. Ceux qui étaient accusés de vivre dans l’oisiveté, ou d’avoir dérobé seulement un chou, étaient punis de mort ; et lorsqu’on en demandait la raison à Dracon, il répondait qu’il avait jugé que les petites fautes méritaient cette peine, et que, pour les grandes, il n’en trouvait point de plus griève {d} que la mort. » {e}


  1. Médecin et philosophe grec du ve s. av. J.‑C.

  2. Démade, orateur athénien du ive s. av. J.‑C.

  3. V. notule {a}, note [6], lettre 380.

  4. Lourde. On appelle encore draconiennes les lois et mesures de grande sévérité.

  5. Moréri se réfère notamment à Aulu-Gelle, Eusèbe de Césarée et Diogène Laërce.

41.

V. notule {e‑ix}, note [51] du Borboniana 7 manuscrit, pour Caton d’Utique. L’étrange prêt de son épouse, la vertueuse Marcia, est tiré de Lucain (La Pharsale, livre ii, vers 337‑348) :

Pulsatæ sonuere fores, quas sancta relicto
Hortensi mærens inrupit Marcia busto.
Quondam virgo toris melioris iuncta mariti
mox, ubi conubii pretium mercesque soluta est
tertia iam suboles, alios fecunda penates
inpletura datur geminas et sanguine matris
permixtura domos; sed, postquam condidit urna
supremos cineres, miserando concita voltu,
effusas laniata comas contusaque pectus
verberibus crebris cineresque ingesta sepulchri,
non aliter placitura uiro, sic mæsta profatur :
“ Dum sanguis inerat, dum uis materna, peregi
iussa, Cato, et geminos excepi feta maritos :
visceribus lassis partuque exhausta revertor
iam nulli tradenda viro. Da fœdera prisci
inlibata tori, da tantum nomen inane
conubii ; liceat tumulo scripsisse ‘ Catonis
Marcia ’, nec dubium longo quæratur in ævo
mutarim primas expulsa an tradita tædas. ”
Non me lætorum sociam rebusque secundis
accipis : in curas venio partemque laborum.
Da mihi castra sequi : cur tuta in pace relinquar ?

[On frappa à la porte : la pieuse Marcia entra ; elle venait de rendre à Hortensius, {a} son époux, les devoirs de la sépulture. Vierge, elle avait jadis été unie à un plus noble mari ; mais bientôt, Caton, après avoir eu d’elle trois enfants, l’avait cédée à son ami, afin qu’elle portât dans une maison nouvelle les fruits de sa fécondité, et que son sang maternel fût le lien de deux familles. Mais à peine l’urne funèbre a-t-elle recueilli les cendres d’Hortensius, qu’elle revient, la pâleur sur le visage, les joues déchirées, les cheveux épars, le sein meurtri, la tête couverte de la poussière du tombeau. Elle eût vainement employé d’autres charmes pour plaire à Caton. Dans sa douleur elle lui tient ce discours : « Ô Caton, tant que mon âge et mes forces m’ont permis d’être mère, j’ai fait ce que tu as voulu, j’ai subi la loi d’un double lit. À présent que mes entrailles épuisées ne sauraient plus enfanter, je reviens à toi, dans l’espoir de n’être plus livrée à personne. Rends-moi les chastes nœuds de mon premier hymen, rends-moi le nom, le seul nom de ton épouse ! Qu’on puisse écrire sur mon tombeau “ Marcia, femme de Caton ”, et que l’avenir n’ait pas lieu de se demander si tu m’avais cédée ou bannie ! Je ne viens pas m’associer à tes prospérités, je veux partager les soucis de tes peines. Laisse-moi te suivre dans les camps ! Pourquoi donc resterais-je paisiblement en sûreté ? »]

Le propos de Jules César est tiré de Plutarque, Vie de Caton d’Utique, § 52‑53 (traduction d’Alexis Pierron, 1843) :

« C’est là surtout ce que César reproche à Caton dans le libelle qu’il a composé contre lui : il l’accuse d’avoir aimé l’argent et trafiqué de ses mariages par intérêt, “ Car, dit-il, s’il avait besoin d’une femme, pourquoi la céder à un autre ? Et s’il n’en avait pas besoin, pourquoi la reprendre ? Ne l’avait-il donnée à Hortensius que comme un appât, en la lui prêtant jeune, pour la retirer riche ? ” Mais sur ces sortes d’imputations, il faut dire, avec la modération d’Euripide, “ Ce sont de vains propos ; et quel plus grand outrage que dire qu’Alcide {b} a manqué de courage ? ” Car n’est-ce pas une aussi grande injure d’accuser Hercule de lâcheté que Caton d’avarice ? Si, sous d’autres rapports, il a commis une faute dans ce mariage, c’est une question à examiner. Après qu’il eut repris Marcia et qu’il lui eut confié le soin de sa maison, il suivit Pompée ; et depuis ce jour-là, dit-on, il ne se rasa plus ni les cheveux ni la barbe, il ne mit plus de couronne sur sa tète et persévéra jusqu’à sa mort dans le deuil, l’abattement et la tristesse, gémissant sur les calamités de sa patrie et ne changeant rien à son extérieur, que son parti fût vainqueur ou vaincu. » {c}


  1. Comme son ami Cicéron, Quintus Hortensius Hortalus, était un avocat et politique romain du ier s. av. J.‑C. (mort en 50).

  2. Alcide est un autre nom d’Hercule (v. note [3], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 21 octobre 1630).

  3. V. note [1], lettre 101, pour Pompée et la bataille de Pharsale qu’il perdit contre Jules César. Modèle du stoïcisme romain, Caton avait choisi le mauvais parti, il poursuivit sans succès la guerre civile, s’enferma dans Utique (Tunisie) et s’y donna la mort deux ans plus tard (46 av. J.‑C.).

Le commentaire final de l’article, en forme de vaudeville, appartient aux rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin.

42.

Le « divin » empereur Caracalla (mort en 217) avait succédé en l’an 211 à son père, Septime Sévère, après avoir régné à ses côtés avec son frère Geta. {a} La relation du Moréri est plus claire et détaillée :

« À son retour à Rome, il fit mourir les médecins parce qu’ils n’avaient pas abrégé la vie de son père qu’il avait voulu faire mourir. {b} Il tua son frère Geta entre les bras de sa mère, fit mourir le grand jurisconsulte Papinien, {c} qui n’avait voulu ni approuver ni défendre son parricide, {d} et même périr tous les serviteurs de son père et de son frère ; de sorte que les historiens de ce temps-là comptent jusqu’à vingt mille personnes massacrées. Quelques historiens ont dit qu’il osa même épouser Julie, {e} veuve de son père ; mais le silence de Dion Cassius, qui vivait en ce temps-là et qui n’en dit rien, non plus qu’Hérodien, doit faire croire que ce n’est qu’une fable. Caracalla étant passé en Orient, remplit la ville d’Alexandrie du sang de ses habitants, et ne consulta plus que les magiciens et les astrologues, bien qu’il se piquât d’imiter Alexandre le Grand. Tant de cruautés avancèrent sa mort. Quelques officiers conspirèrent contre lui ; et comme il allait d’Édesse {f} à Carres de Mésopotamie, un de ses centurions, {g} nommé Martial, l’assassina par ordre de Macrin, qui lui succéda. Il fit le coup dans le temps que Caracalla était descendu de cheval pour aller à quelque nécessité naturelle, et qu’il s’était éloigné de ses gardes. »


  1. V. note [11], lettre 697.

  2. L’édition suivante du Moréri (Paris, 1718, tome 2, page 87) met l’accent sur les heureuses dispositions initiales de Caracalla :

    « Il avait sucé en sa jeunesse le lait du christianisme, ayant eu pour un de ses gouverneurs Evodus, de qui la femme et le fils étaient imbus de la religion chrétienne, en sorte qu’il donnait des signes d’un naturel extrêmement doux, ce qui le rendait aimable à tout le monde ; mais son père ayant ôté d’auprès de sa personne ceux qui lui inspiraient le goût de la véritable piété, il étouffa les bonnes semences qu’il avait reçues, et en fit un monstre, pensant en faire un grand prince ; car il voulut usurper la souveraine puissance par un parricide, ayant mis la main à l’épée pour tuer son père lorsqu’il marcha un jour derrière lui pour monter à cheval ; et il l’eût fait si ceux qui étaient à l’entour, faisant un grand cri, ne l’en eussent empêché. L’horreur d’une action si noire causa à Sévère une si profonde tristesse qu’il en mourut environ un an après. »

  3. Papinien est le nom français de l’éminent jurisconsulte romain Æmilius Papinianus (mort en 212).

  4. Sic pour fratricide.

  5. Julia Domna, épouse de Septime Sévère en 193, lui donna ses deux fils rivaux, Caracalla et Geta. Après avoir dirigé l’Empire à leurs côtés jusqu’en 211, elle se laissa mourir de faim en 217, peu après l’assassinat de Caracalla.

  6. Édesse (aujourd’hui Sanliurfa en Turquie asiatique) était la capitale de la province romaine d’Orsoène (établie en 216).

  7. Centenier, mot employé dans L’Esprit de Guy Patin, est synonyme de centurion.

43.

La source de l’anecdote sur Lacédémone, {a} est dans Athénée de Naucratis (Déipnosophistes, livre xiii, chapitre 2, traduction de Philippe Remacle) :

« Quand il fit son éloge des femmes mariées, notre hôte éminent cita un passage d’Hermippos, tiré de son livre sur les Législateurs, {b} disant qu’à Lacédémone on avait l’habitude d’enfermer dans une pièce obscure des jeunes filles avec des garçons célibataires. Chacun d’eux, après avoir mis la main sur l’une d’elles, devait la ramener pour l’épouser, sans dot. Voilà pourquoi Lysandre {c} fut infligé d’une amende pour avoir abandonné la première fille qu’il avait prise pour en épouser une autre bien plus belle. »


  1. Sparte, v. note [2], lettre latine 265.

  2. V. seconde notule {a}, note [32] du Patiniana II‑3.

  3. Lysandre, général du ive s. av. J.‑C. (v. note [37], lettre 99), a été le plus célèbre Spartiate de ce nom : les historiens ont émis des doutes sur ces circonstances de son mariage.

Les rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin ont assorti cette référence d’un commentaire sur le hasard, dont la pertinence ne saute pas aux yeux.

44.

Jacques d’Euse, Duèze, Dossa ou d’Ossa (Cahors 1244-Avignon 1334), docteur en droit civil et canonique, fut successivement évêque de Fréjus (1300), archevêque d’Avignon (1310), puis cardinal en 1313 avec le titre d’évêque de Port (v. notule {d}, note [10] supra). Enfin, sous le nom de Jean xxii, il a occupé le siège pontifical d’Avignon de 1316 à 1334. Il y fit construire le toujours célèbre Palais des papes, où les pontifes légitimes résidèrent dès lors, jusqu’en 1376 (puis de deux antipapes jusqu’en 1423, v. note [10], lettre 601).

Le latin que d’Ossa aurait employé le 7 août 1316, en s’attribuant lui-même la tiare, Ego sum Papa [C’est moi qui suis le pape], est une parodie de la formule consacrée, Habemus Papam [Nous avons un pape] ; mais il s’agit d’une broderie facétieuse que la propagande antipapiste a utilisée dans les années 1520 pour diaboliser le pape Alexandre vi (fondateur de la dynastie Borgia, élu en 1492, v. note [19], lettre 113).

Plusieurs personnages et lieux font ici leur première apparition dans notre édition. Leur liste éclaircit l’abrégé touffu donné par L’Esprit de Guy Patin.

45.

Hormis l’équivalence monétaire des drachmes grecques antiques, tout cela est emprunté à l’article de Moréri sur Épictète (v. note [2], lettre 530).

L’anecdote sur la jambe rompue vient d’Origène (v. note [16] du Patiniana I‑2), livre vii Contra Celsum. Celui qui violentait le philosophe était l’empereur Néron, son maître.

46.

Cet abrégé géographique des pérégrinations de Charles Quint ne surprend guère chez un souverain qui a régné sur les deux Espagnes (ibérique et américaine), l’Empire germanique, les Flandres, la Franche-Comté et les Deux-Siciles.

47.

V. notule {a}, note [31] du Borboniana 10 manuscrit, pour le valeureux consul romain Caius Marius.

Avec un commentaire plus pompeux, L’Esprit de Guy Patin reprenait ici l’article du Moréri sur les temples antiques voués aux divinités Honneur, Honor, et Vertu, Virtus, avec les diverses représentations de cette déesse (Arété des Grecs), qui était fille de la Justice et sœur de l’Harmonie.

48.

Abrégé fidèle de l’article du Moréri sur le graveur Jacques Callot (Nancy 1592-ibid. 1635).

En guerre contre Charles iv de Lorraine (v. note [37], lettre 6), les armées royales françaises ont assiégé Nancy le 26 août 1634, et obtenu sa capitulation un mois plus tard.

V. note [27], lettre 183, pour le siège de La Rochelle (1627-1628) ; dans le même temps, les troupes françaises avaient résisté aux attaques de la flotte anglaise, menées par le duc de Buckingham (v. note [21], lettre 403) contre l’île de Ré, en Pays d’Aunis, devant La Rochelle.

49.

« Le silence a perdu Amyclæ » : le Faux Patiniana II‑4 (v. la notule {d‑i} de sa note [31]) avait déjà exploité cet article du Moréri (qui avait corrigé en 1707 sa faute de latin de 1674).

50.

« J’étais Pasquin, et me voici pierre ; peut-être suis-je une abeille, car je pique. Grands dieux ! si tu dédaignes le dard, j’ai pour toi un sac de cuir. J’enduis aussi de miel ; la vérité en procure les rayons ; et je purge la bile. Si tu es sage, entends ce que dit la pierre, elle est plus badine que jalouse. Jouis follement de mes plaisanteries afin d’être bien sage. Jadis j’ai préféré les souliers aux cailloux, maintenant j’oblige les pieds des autres à marcher droit. Ignore le graveur de pierre si tu méprises ce qu’il grave. »

Mon interprétation de cette épigramme sur Pasquin {a} et sur le savetier devenu graveur de pierre a préféré l’intelligibilité à la fidélité ; je ne l’ai pas vue traduite ailleurs car elle est peu commune. Pour son origine, le Moréri renvoie au recueil illustré intitulé :

Sculpturæ veteris Admiranda, sive delineatio vera perfectissimarum eminentissimarumque statuarum, una cum artis hujus nobilissimæ Theoria… a Joachimo de Sandrart, in Stockau.

[Les Merveilles de la sculpture antique, ou la représentation authentique des statues les plus parfaites et les plus remarquables, avec une Théorie sur cet art très noble… par Joachimus de Sandrart, {b} à Stockau]. {c}

Sur la gravure de Pasquinus qui précède le texte de la page 10, les vers cités sont écrits sur la pancarte tenue par le savetier, figurant à droite. Le torse de Pasquin repose sur un socle où est gravé cet autre poème :

Lapis loquitur forsan Lapides increpat
Romæ olim quot homines, tot Statuæ : hodie, tot lapides, quot homines.
Nisi tu faceres quæ loquor : mutus ego Lapis essem.
Lapis latrat : canis est : forsan fures videt.
Video te, et rideo : Odia non audio.
Forsan tu alapas Lapidi non læsurus læderis : impinges, non punges.
Ego neminem lædo, nisi malos accede si bonus es.
Audi me loquentem, et vitam corrige : ne vitia tua omnes loquantur.
Si me conteris : in plures Lapis lapides abibit :
Etiam Lapilli loquentur
.

[La pierre parle, peut-être réprimande-t-elle les pierres de Rome, où il y avait jadis autant d’hommes que de statues, mais aujourd’hui autant de pierres que d’hommes. {d} Si tu ne faisais pas, toi, ce que je raconte, je serais, moi, muette. La pierre aboie, c’est une chienne ; peut-être voit-elle les voleurs. Je te vois et je ris, je n’entends pas les haines. Peut-être gifleras-tu la pierre, mais tu ne la blesseras pas en l’offensant : tu la frapperas sans lui faire mal. Moi, je ne blesse personne, si tu es bon et ne viens pas à moi dans de mauvaises pensées. Écoute ce que je dis, et réforme ta vie, pour éviter que tous tes vices ne s’expriment. Si tu me brises, ma pierre éclatera en plusieurs petits morceaux, et les petites pierres parlent aussi]. {e}


  1. V. note [5], lettre 127.

  2. Le peintre et graveur Joachim von Sandrart (1606-1688) est tenu pour le premier historien allemand de l’art. Il avait hérité du château de Stockau, près d’Ingolstadt en Bavière.

  3. Nuremberg, Christianus Sigismundus Frobergius, 1680, in‑8o richement illustré de 74 pages.

  4. V. infra note [93].

  5. Sandrart dit dans son commentaire :

    Mirum sane est, neminem usque adhuc publici vexillum istud dedecoris deturbare ausum : quanquam (si fabula vera est) nonnemo e primoribus ludibrium hoc in Tiberim dejicere animo præsumserit. Sed familiaris quispiam a proposito eundem his verbis deterruit : Cave sis, inquam, ne Pasquinus plura deinceps sub aquis, quam in terris, de primoribus eloquatur ! Quo plus enim suber immergitur, eo magis ascendit et enatat.

    [Il est vraiment admirable qu’à ce jour nul n’ait osé renverser cette enseigne de l’infamie publique ; bien que (si la fable dit vraie) quelque très grand personnage {i} ait nourri le dessein de jeter cet objet de dérision dans le Tibre, mais l’un de ses courtisans l’en dissuada : Prends garde, te dis-je, qu’une fois sous les eaux, Pasquin ne médise plus encore des prélats que quand il était sur terre ! De fait , plus on enfonce un bouchon de liège dans l’eau, plus haut il rejaillit et surnage].

    1. Le Moréri désigne ici le pape Adrien vi (v. note [27] du Borboniana 7 manuscrit).

Tout ce piètre latin, tant en vers qu’en prose, me fait penser que Sandrart en est l’auteur, et qu’il a donc lui-même conçu les épigrammes dont il a orné sa gravure et que, mis à part le Moréri, fort peu d’autres ont reprises.

Eustache Le Noble (Troyes 1643-Paris 1711) est un satiriste, auteur de plusieurs pasquinades, dont Le Cibisme. Premier dialogue entre Pasquin et Marforio sur les affaires du temps (Rome, Francophile Alétophile, 1691, in‑12). C’est un de ses dialogues qui parurent ensuite mensuellement (1690‑1691) sous le titre (imité de Traiano Boccalini, v. note [55] du Naudæana 2) de La Pierre de touche politique. Moréri ne mentionne pas ce Pasquin français : il s’agit d’une cordiale référence des rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin à un de leurs confrères.

51.

V. note [15], lettre 551, pour Charles de Gontaut, maréchal-duc de Biron.

Duché (comme comté) était, au xviie s., un substantif à la fois masculin et féminin (Furetière).

52.

Histoire naturelle de Pline l’Ancien, livre vii, chapitre xxx (Littré Pli, volume 1, page 296, avec mise en exergue du passage cité) :

Ingeniorum gloræ quis possit agere delectum, per tot disciplinarum genera, et tantam rerum operumque varietatem ? nisi forte Homero vate Græco nullum felicius extitisse convenit, sive operis forma sive materia æstimetur. Iitaque Alexander Magnus (etenim insignibus judiciis optime, citraque invidiam, tam superba censura peragetur), inter spolia Darii Persarum regis unguentorum scrinio capto, quod erat auro gemmisque ac margaritis pretiosum, varios ejus usus amicis demonstrantibus (quando tædebat unguenti bellatorem et militia sordidum) : immo hercule, inquit, librorum Homeri custodiæ detur, ut pretiosissimum humani animi opus quam maxime diviti opere servaretur. Item Pindari vatis familiæ penatibusque jussit parci, quum Thebas caperet, Aristotelis philosophi patriam condidit : tantæque rerum claritati tam benignum testimonium miscuit.

« Quant à la gloire du génie, qui pourrait faire un choix au milieu de tant d’espèces de sciences, et d’une si grande variété de choses et d’ouvrages ? Peut-être cependant s’accorde-t-on à reconnaître le poète grec Homère comme le génie le plus heureux qui ait jamais existé, soit que l’on considère le succès de son poème, soit qu’on en considère le sujet. Alexandre le Grand (car ce sont des juges illustres qui décideront le mieux et en dehors de toute envie une si haute préséance), Alexandre le Grand avait pris parmi les dépouilles de Darius, roi des Perses, une cassette à parfums, ornée d’or, de pierreries et de perles ; {a} ses courtisans lui en expliquaient les différents usages ; lui, soldat souillé de la poussière des combats, et qui n’avait que faire de parfums, répondit : « Que l’on consacre cette cassette à la garde des livres d’Homère. » Il voulait que le plus riche ouvrage de l’art servît à conserver l’ouvrage le plus précieux de l’esprit humain. De même, à la prise de Thèbes, il ordonna d’épargner la famille et la maison de Pindare. {b} Il rebâtit la ville patrie du philosophe Aristote, {c} et il joignit à tout l’éclat de ses exploits une telle preuve de sa bonté. »


  1. « Les parfums vont de droit aux Perses : ils en sont toujours pénétrés, et par ce moyen ils masquent la mauvaise haleine que leur donne leur gourmandise. Le premier exemple de l’usage des parfums que je trouve est la boîte à parfums dont Alexandre s’empara, au milieu des autres dépouilles, lors de la prise du camp de Darius » (ibid. livre xiii, chapitre i, volume 1, page 498).

    V. notule {b}, note [45] des Triades du Borboniana manuscrit, pour Darius.

  2. V. note [3], lettre 530, pour le poète Pindare, originaire de Thèbes, capitale de la Béotie antique, aujourd’hui Thiva en Grèce-Centrale.

  3. Aristote (v. note [15], lettre 80), natif de Stagire en Macédoine, avait été le précepteur d’Alexandre le Grand.

53.

V. note [15], lettre 300, pour Julien dit l’Apostat (par les chrétiens), empereur de 361 à 363. Son demi-frère Constantius Gallus (325-354) fut nommé César pour la partie orientale de l’Empire en 351 ; élevé à cette dignité par son autre demi-frère, l’empereur Constance ii (337-361, v. notule {b}, note [51] du Faux Patiniana II‑2), il fut trois fois consul pendant cette période ; mais l’empereur le fit exécuter pour incompétence politique.

La cléricature reste le premier stade de la prêtrise (tonsure) : Julien « se fit moine ; mais en contrefaisant l’homme de bien en public, il faisait exercice du paganisme en secret. Avant cela, Gallus, son frère et lui avaient reçu la cléricature et exercé l’office de lecteurs dans les assemblées ecclésiastiques » (Moréri).

Saint que l’Église a toujours vénéré comme protecteur des nourrissons et des patients atteints de diverses maladies, Mammès (Mammas) de Césarée, originaire de Cappadoce, fut martyrisé vers l’âge de 16 ans pour sa foi chrétienne inébranlable, en 275, sous l’empire d’Aurélien.

54.

Cette citation latine et française des Psaumes de David (118:137), comme tout le reste, vient de l’article de Louis Moréri sur Maurice, Flavius Mauricius Tiberius Augustus (539-602), empereur romain d’Orient, qui succéda en 582 à Tibère ii Constantin, son beau-père. À cet égard, son texte est moins confus que la première phrase de L’Esprit de Guy Patin, sur les suites de la campagne victorieuse de Maurice contre les Perses en 586 :

« Après cela, il y eut de si grands désordres dans l’armée impériale qu’elle ne fit plus rien de considérable. Cependant, comme Maurice avait besoin de gens de guerre, il ordonna que pas un soldat ne se pourrait faire moine qu’après avoir accompli le temps de la milice. Saint Grégoire, {a} qui gouvernait alors l’Église, trouvant cette loi injuste, en écrivit à l’empereur, à son médecin nommé Théodose, que Maurice estimait, et à divers métropolitains d’Orient et d’Occident. »


  1. Le saint pape Grégoire le Grand (590-604, v. note [19‑2] du Naudæana 3).

Autres ennemis de l’Empire byzantin, les Avares, ou Avars (que L’Esprit de Guy Patin a écorchés en Arabes) étaient un ensemble nomade, mêlant Huns, Mongols et Turcs, qui entreprit d’envahir l’Europe centrale au vie s. et y fondèrent un empire dans la région de l’actuelle Hongrie, qui fut conquis par les Francs au début du ixe s. Moréri donne à leur roi d’alors le nom de Chagau, déformation du mot Khagan, qui signifie Khan des Khans, titre que portait Bayan ier qui a régné sur les Avares de 558 ou 565 à 602. La maladie contagieuse qui interrompit sa conquête était la peste dite de Justinien, qui a sévi dans tout le Bassin méditerranéen entre 541 et 767.

Sorti du rang, Phocas a régné en tyran sur l’Empire romain d’Orient de 602 à 610, et a lui-même été mis à mort par son successeur Héraclius.

Chalcédoine est une ancienne cité de Bithynie, sur la rive orientale du Bosphore, en face de Constantinople.

55.

V. note [5], lettre d’Alcide Musnier, datée du 9 février 1656, pour Démétrius, roi de Macédoine, et pour Protogène, peintre grec du iveiiie s. av. J.‑C. Son portrait de Lalysus (Jalyse), héros de l’île de Rhodes (v. note [3], lettre 324), qui est réputé avoir fondé la ville éponyme de Lalysos (aujourd’hui Trianta), le représentait en chasseur accompagné de son chien et faisait l’admiration de ses contemporains. La même note [5] contient un extrait de Plutarque sur cette anecdote.

Le Moréri est plus généreux encore en détails sur le talent de Protogène, qu’il a tirés des Entretiens d’André Félibien sur les vies des peintres (v. supra note [5]).

56.

Le prétexte de cet article est le fameux et noble coup de Jarnac (qui n’est pas le tir de pistolet qui tua traîtreusement le prince de Condé en 1569 à la bataille de Jarnac, v. note [16], lettre 128). Il fut porté lors du dernier duel judiciaire (c’est-à-dire public et autorisé par la loi), qui eut lieu en France le 10 juillet 1547 devant le château de Saint-Germain-en-Laye. Le démenti, c’est-à-dire la riposte écrite à une calomnie, en venait d’une médisance de cour opposant les entourages d’Anne de Pisseleu, duchesse d’Étampes, et de Diane de Poitiers, maîtresses respectives du roi François ier et du dauphin son fils, devenu le roi Henri ii le 31 mars 1547. Le combat opposa deux gentilshommes qui avaient été d’intimes amis :

Contre toute attente, Jarnac, conseillé par un habile maître d’armes, gagna en terrassant Vivonne d’un coup au jarret.

57.

L’Esprit de Guy Patin abrège maladroitement la fin de l’article du Moréri sur Aristote {a} qui commente un point intéressant de l’histoire philosophique, sur la manière dont ses œuvres ont été reçues par l’Église et l’Université {b} au fil des siècles :

« Les premiers docteurs de l’Église improuvèrent {c} d’abord Aristote, comme un philosophe qui donnait trop au raisonnement et aux sens ; mais Anatolius, évêque de Laodicée, le célèbre Didyme d’Alexandrie, saint Jérôme, saint Augustin {d} et divers autres écrivirent et parlèrent en sa faveur. Dans le vie siècle, Boëce fit entièrement connaître dans l’Occident ce philosophe, dont il mit quelques ouvrages en latin ; mais depuis Boëce {e} jusqu’à la fin du viiie siècle, il n’y eut que le seul saint Jean de Damas {f} qui fit un abrégé de la philosophie d’Aristote. Les Grecs, {g} qui firent fleurir les sciences dans le xie siècle et dans les suivants, s’attachèrent à l’étude de ce philosophe, sur qui plusieurs des plus doctes travaillèrent. Sa réputation était déjà répandue dans l’Afrique, parmi les Arabes et les Maures. Alfarabius, Algazel, Avicenne, Averroès {h} et divers autres firent honneur par leurs commentaires à la doctrine d’Aristote. Ils l’enseignèrent en Afrique, et depuis à Cordoue, où ils établirent un Collège depuis qu’ils eurent conquis l’Espagne ; {i} et les Espagnols apportèrent en France les commentaires d’Averroès et d’Avicenne sur Aristote. Ses livres y étaient déjà connus. On enseigna sa doctrine dans l’Université de Paris, mais Amaury, voulant soutenir des opinions particulières sur les principes de ce philosophe, fut condamné d’hérésie par un concile tenu en la même ville l’an 1210. {j} Les livres d’Aristote y furent brûlés et la lecture en fut défendue sous peine d’excommunication. Depuis, sa Métaphysique fut condamnée par une Assemblée d’évêques, sous Philippe Auguste. {k} L’an 1215, le cardinal du titre de Saint-Étienne, légat du Saint-Siège apostolique, {l} confirma les mêmes défenses ; mais il permit d’enseigner la Dialectique ou la Logique de ce philosophe, au lieu de celle de saint Augustin que l’on expliquait auparavant dans les Écoles de l’Université. L’an 1231, le pape Grégoire ix {m} défendit encore d’enseigner la Physique et la Métaphysique d’Aristote jusques à ce que ces livres eussent été revus et corrigés dans les endroits qui contenaient quelques erreurs. Néanmoins, peu de temps après, Albert le Grand et saint Thomas d’Aquin {n} firent des commentaires sur Aristote ; Campanella {o} croit qu’ils avaient eu quelque permission particulière du pape pour travailler à ces ouvrages. L’an 1265, Simon, cardinal du titre de Sainte-Cécile, {p} légat du Saint-Siège, défendit absolument la lecture de la Métaphysique et de la Physique d’Aristote. Toutes ces défenses cessèrent en 1366 car alors les cardinaux du titre de Saint-Marc et de Saint-Martin, commissaires députés par le pape Urbain v {q} pour réformer l’Université de Paris, permirent l’explication des livres dont la lecture avait été interdite auparavant. L’an 1448, le pape Nicolas v {r} approuva les ouvrages d’Aristote et en fit faire une nouvelle traduction latine. Enfin, l’an 1452, le cardinal d’Estouteville, {s} qui avait été nommé par le roi Charles vii pour rétablir l’Université de Paris, ordonna que les professeurs expliqueraient la Morale de ce philosophe, aussi bien que sa Logique, sa Physique, sa Métaphysique et ses autres traités de philosophie. L’an 1543, Ramus, voulant établir une autre philosophie, composa deux livres intitulés, l’un, Dialecticæ Institutiones, et l’autre, Aristotelicæ Animadversiones ; {t} mais le roi François ier fit supprimer ces livres et autorisa ceux d’Aristote, que l’on a continué de lire publiquement dans l’Université de Paris ; et lorsqu’en 1624, Antoine Villon, Étienne de Claves et Bitault voulurent publier et soutenir des thèses contre la doctrine d’Aristote, ils furent condamnés par l’Université et par le Parlement de Paris. {u} < Gassendi et Descartes ayant dans le siècle passé mis en vogue de nouveaux principes de philosophie, celle d’Aristote n’a plus le même crédit dans le monde et s’est à peine soutenue dans les Écoles >. » {v}


  1. V. note [15], lettre 80.

  2. Les collèges théologiques de Navarre et Sorbonne, et les écoles monastiques qui les ont précédés : v. note [5], lettre 19.

  3. Désapprouvèrent.

  4. Anatole, évêque de Laodicée (Syrie) au iiie s., est un philosophe aristotélicien et saint chrétien. Didyme d’Alexandrie, dit l’Aveugle, est un théologien et philosophe du ive s. V. notes [19], lettre 81, pour Jérôme de Stridon, et  [5], lettre 91, pour Augustin d’Hippone, tous deux saints, docteurs et Pères de l’Église romaine aux iveve s.

  5. Au vie s., v. note [3], lettre latine 198.

  6. Assimilé à Jean Mésué (viiie s., v. note [25], lettre 156).

  7. C’est-à-dire les Byzantins.

  8. Alfarabius est un autre nom d’Albucasis (xe s., v. note [37], lettre latine 154). Algazel (al-Ghazali) est un philosophe musulman iranien du xie s. V. notes [7], lettre 6, pour Avicenne (xie s.), et [51] du Naudæana 1 pour Averroès (xiie s.).

  9. Au viiie s.

  10. Amaury de Chartres ou de Bène (vers 1150-1206 ou 1209) a enseigné la philosophie et la théologie à Paris ; il a été excommunié pour ses conceptions panthéistes peu de temps après sa mort.

  11. Philippe Auguste a régné de 1180 à 1223.

  12. Robert Curzon, originaire d’Angleterre, cardinal en 1212, mort en 1219.

  13. Ugolino de Anagni, pape de 1227 à 1241, sous le nom de Grégoire ix.

  14. V. notes [8], lettre 133, pour Albert le Grand (xiie s.), et [24], lettre 345, pour Thomas d’Aquin (xiiie s.), tous deux saints et docteurs de l’Église romaine.

  15. Tommaso Campanella (mort en 1639, v. note [12], lettre 467).

  16. Simon de Brie, prélat français mort en 1285, a été nommé cardinal en 1261, puis élu pape en 1281 sous le nom de Martin iv.

  17. Pape élu en 1362 et mort en 1370, v. infra note [60].

    Jean de Blauzac, évêque de Nîmes mort en 1379, avait été nommé cardinal du titre de Saint-Marc en 1361. Gilles Aycelin de Montaigut, mort en 1378, avait été nommé cardinal du titre de Saint-Sylvestre et Saint-Martin en 1361.

  18. Pape de 1447 à 1455, v. note [5], lettre 969.

  19. Guillaume d’Estouteville (1403-1483), cardinal français nommé en 1439, nonce extraordinaire en France de décembre 1452 à janvier 1453. C’est en son souvenir que l’une des trois thèses de médecine parisiennes a été baptisée cardinale (v. note [1], lettre 1).

  20. V. note [7], lettre 264, pour Ramus (Pierre de La Ramée) et la censure de ses deux livres critiquant l’aristotélisme.

  21. Antoine de Villon, professeur de Sorbonne, Étienne de Clave, médecin et chimiste, et Jean Bitault (Bitaud), son élève, avaient soumis en 1624 des thèses d’histoire naturelle visant à nier l’aristotélisme : ils furent vivement censurés en dépit de leurs opiniâtres protestations. Le scandale provoqué par ces idées nouvelles contribua à l’exil de Descartes en Hollande (1628).

  22. Le passage mis entre chevrons est une addition de Moréri, édition de Paris, 1718, tome 1, page 486.

    Le Moréri, première édition de Lyon, 1674, pages 156‑157, contenait cette autre intéressante remarque sur Aristote :

    « Il a eu des interprètes célèbres, mais après ceux-ci, il s’en est trouvé d’ignorants qui, pour n’entendre pas le grec, ont introduit cent chicanes inutiles dans l’École, où l’on n’enseigne rien moins que la doctrine d’Aristote, et où la fin de la véritable philosophie, qui est la sagesse et la perfection de l’honnête homme, ne saurait s’y rencontrer dans des disputes qui ne servent à rien qu’à embarrasser l’esprit et apprendre l’opiniâtreté. Plusieurs savants de notre siècle se sont inscrits en faux contre ces abus, que l’on commence à corriger de la bonne façon en quelques universités de France. Ceux qui sont attachés aux chicanes de la philosophie inutile n’aimeront pas cette remarque ; mais ceux qui sont moins préoccupés en feront un autre jugement. »

58.

V. notule {b}, note [54] du Borboniana 3 manuscrit, pour un récit plus détaillé de la mort d’Hérode par Jacques Salian.

59.

Abrégé de Valère Maxime (Faits et paroles mémorables, livre viii, chapitre 1, addition 2) sur « la seconde de deux femmes qui faillirent être condamnées », propos daté de l’an de Rome 685 :

Eadem hæsitatione Publii quoque Dolabellæ proconsulari imperio Asiam obtinentis animus fluctuatus est. Mater familiæ Zmyrnæa virum et filium interemit, cum ab his optimæ indolis iuvenem, quem ex priore viro enixa fuerat, occisum conperisset. Quam rem Dollabella ad se delatam Athenas ad Arei pagi cognitionem relegavit, quia ipse neque liberare duabus cædibus contaminatam neque punire tam iusto dolore inpulsam sustinebat. Consideranter et mansuete populi Romani magistratus, sed Areopagitæ quoque non minus sapienter, qui inspecta causa et accusatorem et ream post centum annos ad se reverti iusserunt, eodem affectu moti, quo Dolabella. Sed ille transferendo quæstionem, hi differendo damnandi atque absolvendi inexplicabilem cunctationem vitabant.

[L’esprit de Publius Dolabella a flotté dans la même hésitation quand il détenait le pouvoir proconsulaire en Asie Mineuse : {a} une mère de famille de Smyrne avait tué son mari et son fils, {b} après avoir découvert qu’ils avaient assassiné un jeune homme d’excellent naturel qu’elle avait eu d’un précédent mariage ; l’affaire lui ayant été soumise, Dolabella la renvoya à l’Aréopage {c} d’Athènes, parce qu’il ne pouvait se résoudre ni à acquitter une femme coupable d’un double assassinat, ni à punir une mère qu’un très légitime chagrin avait poussée à un tel acte. Ce magistrat du peuple romain s’était conduit avec autant de circonspection que d’humanité ; mais les aréopagites ne montrèrent pas moins de sagesse : après examen de la cause, ils ordonnèrent aux deux parties de se représenter devant eux dans cent ans. Ils obéissaient au même sentiment que Dolabella ; mais ils échappaient à l’insoluble difficulté de choisir entre la condamnation et l’acquittement : celui-ci en se déchargeant de l’affaire sur d’autres, ceux-là en la remettant fort loin]. {d}


  1. Le Moréri commence son article sur le personnage que, comme Valère Maxime, il appelle Publius Dolabella en le disant « le même sans doute que le précédent, qui fut proconsul dans l’Asie », c’est-à-dire le même que « Publ. Cornelius Dolabella, gendre de Cicéron » ; mais les faits sont survenus en l’an 685 de Rome, soit en 68 av. J.‑C., quand Publius Cornelius Dolabella n’avait que deux ans.

    Un siècle après Valère Maxime, Aulu-Gelle (Nuits attiques, livre xii, chapitre 7) a repris son histoire en parlant de Cn. Dolabella proconsul. Il s’agissait donc probablement de Cnæus Cornelius Dolabella, consul en 81, mais je n’ai pas trouvé confirmation du fait qu’il ait été proconsul en Asie Mineure à l’époque des faits.

  2. Le poison est une fioriture de Moréri.

    Aujourd’hui Izmir, sur la côte méditerranéenne d’Anatolie (ancienne Ionie), Smyrne était un important port de commerce depuis le troisième millénaire précédant notre ère.

  3. Tribunal.

  4. Rabelais a repris cette affaire dans le chapitre xliiii du Tiers Livre (Paris, 1552, pages 145 vo‑146 vo), Comment Pantagruel raconte une étrange histoire des perplexités du jugement humain, en se référant à Cn. Dolabella, et en donnant les noms fantaisistes d’Abécé et d’Effegé aux fils nés du premier et du second lit de la dame de Smyrne.

60.

Fin de l’article de Moréri sur Gil (Egidio) Alvarez de Albornoz (Cuenca, Castille vers 1300-Viterbe 1367), à qui il donne le nom d’Albornos (Gilles Alvarés) : archevêque de Tolède en 1338 et nommé cardinal en 1350, il a joué un rôle éminent dans le rétablissement temporaire de la papauté à Rome (1367-1370), après son transfert à Avignon en 1309 (v. supra note [44]).

Guillaume Grimoard, bénédictin français mort à Avignon en 1370, avait été élu pape en 1362 sous le nom d’Urbain v.

61.

La Bibliothèque Saint-Victor de Paris avait été créée dès la fondation de cette abbaye de chanoines réguliers de Saint-Augustin {a} au xiie s. {a} Elle s’était considérablement enrichie au fil des ans.

Henri du Bouchet (1593-23 avril 1652), sieur de Bournonville, était fils d’Antoine du Bouchet, qui avait été prévôt des marchands en 1616 et était mort doyen du Parlement de Paris. Henri fut lui-même conseiller du parlement de Bretagne (1619), puis monta à Paris en 1622, reçu dans la deuxième des Enquêtes. En dépit de deux mariages, il mourut sans enfants (Popoff, no 686). Un mois avant sa mort, il avait établi un testament :

« par lequel il donne après son décès à notre abbaye Saint-Victor sa bibliothèque consistant en tous ses livres généralement quelconques, tant imprimés que manuscrits, {c} cartes, estampes, tailles-douces, figures, ses deux globes et piédestaux, tablettes, et généralement tout ce qui compose le corps de sa dite bibliothèque, à condition que les gens d’étude auront la liberté d’aller étudier en la bibliothèque de Saint-Victor, où il ordonne icelle sienne bibliothèque être conservée au meilleur ordre qu’il se pourra. Et pour cet effet, un des religieux se trouvera, aux jours pour ce désignés, pour communiquer et remettre les livres, sans qu’ils puissent être prêtés et transportés hors ledit lieu, encore moins hors la Maison. {d} Et pour agréer cette charge, il lègue et donne trois cent quarante livres, un sol, neuf deniers de rente à prendre sur les gabelles. Et en outre, pour l’entretien de ladite bibliothèque, a aussi légué trois cent soixante et dix livres de rente, à prendre sur le Clergé de France en trois parties, désirant que le P. Eustache de Blémur, {e} qu’il témoigne être son ami, et en effet promoteur de ce bienfait, prenne le soin de cette bibliothèque tout le temps qu’il sera résident en cette Maison, et en prenne la direction, nonobstant les refus humbles qu’il lui avait faits plusieurs fois de cette grâce. » {f}


  1. Génovéfains, v. note [42], lettre 324.

  2. V. note [2], lettre 877.

  3. Au nombre d’environ huit mille volumes.

  4. « Il n’y avait alors à Paris qu’une seule bibliothèque où le public fût librement admis, c’était celle de Mazarin, ouverte déjà depuis neuf ans » (Franklin, page 41, v. infra notule {d}).

  5. Mort en 1691.

  6. J’ai emprunté cette citation et les autres détails à L’Histoire de la Bibliothèque de l’abbaye de Saint-Victor à Paris, d’après des documents inédits, par Alfred Franklin, de la Bibliothèque Mazarine (Paris, Auguste Aubry, 1865, in‑16). Le Moréri ne donne pas la source de son article.

62.

Dans le dernier vers, une coquille de L’Esprit de Guy Patin a semé la confusion en remplaçant « son fils l’avocat » par « son fils Laurent » : l’article de Moréri résume la vie et les œuvres de Gilles ii Boileau (Paris 1631-ibid. 1659), avocat puis littérateur et homme de cour, qui était le fils aîné du second lit de Gilles i (v. note [11] des Décrets et assemblées de 1651-1652 dans les Commentaires de la Faculté de médecine). Gilles ii entra à l’Académie française l’année de sa mort, au milieu de vives querelles de plume avec Gilles Ménage, Pierre Costar et Paul Scarron ; mais la célébrité des vers de son petit frère, Nicolas Boileau-Despréaux (Paris 1636-ibid. 1711), ont plongé les siens dans un profond (mais juste) oubli (si on en juge sur cet échantillon).

V. note [11], lettre 617, pour Jérôme Boileau, le demi-frère aîné de Gilles ii, et Nicolas, né du premier lit de leur père.

63.

Hérodote {a} en dit pire sur cet atroce événement (Histoire, livre iii, chapitres xxxiv‑xxxv) : {b}

« Il {c} ne témoigna pas moins de fureur contre le reste des Perses : car on dit que, s’adressant à Prexaspes, {d} qu’il estimait beaucoup, et qui lui présentait les requêtes et les placets, et dont le fils avait une charge d’échanson, l’une des plus importantes de la cour : “ Que pensent de moi les Perses ? que disent-ils ? ” lui demanda-t-il un jour. “ Seigneur, ils vous comblent de louanges ; mais ils croient que vous avez un peu trop de penchant pour le vin. – Eh bien ! reprit ce prince, transporté de colère, les Perses disent donc que j’aime trop le vin, qu’il me fait perdre la raison, et qu’il me rend furieux ? Les louanges qu’ils me donnaient auparavant n’étaient donc point sincères ? ” […]

Ce prince s’étant donc rappelé les discours des Perses : “ Apprends maintenant, dit-il à Prexaspes, apprends si les Perses disent vrai, et s’ils n’ont pas eux-mêmes perdu l’esprit quand ils parlent ainsi de moi. Si je frappe au milieu du cœur de ton fils, que tu vois debout dans ce vestibule, il sera constant que les Perses se trompent. Mais si je manque mon coup, il sera évident qu’ils disent vrai et que j’ai perdu le sens. ” Ayant ainsi parlé, il bande son arc et frappe le fils de Prexaspes. Le jeune homme tombe ; Cambyse le fait ouvrir pour voir où avait porté le coup, et la flèche se trouva au milieu du cœur. Alors ce prince, plein de joie, s’adressant au père du jeune homme : “ Tu vois clairement, lui dit-il en riant, que je ne suis point un insensé, mais que ce sont les Perses qui ont perdu l’esprit. Dis-moi présentement si tu as vu quelqu’un frapper le but avec tant de justesse ? ” Prexaspes, voyant qu’il parlait à un furieux et craignant pour lui, répondit : “ Seigneur, je ne crois pas que le dieu lui-même puisse tirer si juste. ” C’est ainsi qu’il en agit avec Prexaspes ; mais une autre fois, il fit, sans aucun motif, enterrer vifs jusqu’à la tête douze Perses de la plus grande distinction. »


  1. V. note [31], lettre 406.

  2. Traduction de Pierre-Henri Larcher, Paris, Musier et Nyon, 1786, in‑4o, tome 3, pages 29‑31.

  3. Cambyse ou Cambize ii, roi des Perses au vie s. av. J.‑C., était fils et successeur de Cyrus le Grand ; il conquit l’Égypte et en devint pharaon.

  4. Prexaspes, mage perse, a été le plus influent confident de Cambize : « celui de tous les Perses en qui il avait le plus de confiance », à qui le roi ordonna de tuer son propre frère, Smerdis (Hérodote, ibid., chapitre xxx, page 26).

    Après la mort de Cambize, un mage prétendit être Smerdis et monta sur le trône. Appelé à légitimer l’usurpateur en disant qu’il n’avait pas tué Smerdis, Prexaspes préféra dire la vérité aux Perses : il prononça son discours du haut d’une tour, d’où il se précipita après l’avoir terminé (ibid., chapitre lxxv, page 65).


64.

Narré par Plutarque, dans sa Vie de Camille, et par Valère Maxime, dans ses Faits et paroles mémorables (livre i, chapitre i), cet acte pieux de l’humble plébéien romain Lucius Albinus est le seul qui l’a fait connaître à la postérité ; il a eu lieu pendant le sac de Rome par les Gaulois en 390 av. J.‑C. (v. supra note [15], notule {j}).

Deux détails fournis par Louis Moréri viennent de Tite-Live (Histoire de Rome, livre v, chapitre xl) :

65.

Diogène Laërce (livre ix, 58‑60), biographie d’Anaxarque d’Abdère, philosophe grec du ive s. av. J.‑C. :

« Anaxarque vivait dans la familiarité d’Alexandre, et fleurissait vers la cent dixième olympiade. {a} Il avait pour ennemi Nicocréon, tyran de Chypre. {b} Alexandre lui ayant un jour demandé dans un festin ce qu’il pensait de l’ordonnance du repas, il répondit : “ Grand roi, tout y est magnifique ; il n’y manque qu’une seule chose : la tête de certain satrape ”, désignant par là Nicocréon. Celui-ci garda souvenir de l’injure et, après la mort d’Alexandre, Anaxarque ayant été poussé par les vents contraires sur la côte de Chypre, il s’empara de lui et le fit jeter dans un mortier, pour y être broyé à coups de masse de fer. Ce fut alors qu’Anaxarque, sans s’inquiéter du supplice, prononça ces mots célèbres : “ Broie tant que tu voudras l’enveloppe d’Anaxarque, tu ne broieras pas Anaxarque. ” Le tyran irrité ordonna de lui arracher la langue ; mais il se la coupa lui-même avec les dents, et la lui cracha au visage. […]

On l’avait surnommé l’Eudémonique, {c} à cause de son caractère impassible et de sa tranquillité d’âme. Les orgueilleux trouvaient en lui un censeur plein de sagacité et de finesse. Par exemple, il donna cette leçon indirecte à Alexandre, qui se croyait un dieu : voyant le sang couler d’une blessure qu’il s’était faite, il le lui montra et lui dit “ C’est bien là du sang, ce n’est pas Cette liqueur céleste qui coule dans les veines des dieux. ” {d} Plutarque met ces mots dans la bouche d’Alexandre lui-même s’adressant à ses amis. {e} Une autre fois, il passa à Alexandre la coupe dans laquelle il venait de boire, et lui dit : Un dieu sera frappé par la main d’un mortel. » {f}


  1. 340-336 av. J.‑C.

  2. Nicocréon a été le dernier roi de Salamine de Chypre de 332 à 311 av. J.‑C.

  3. Ευδαιμονικος, l’Heureux.

  4. Homère, L’Iliade, chant v, vers 340. Le sang des dieux portait le nom d’ichor.

  5. Vie d’Alexandre, chapitre xxxix :

    « Blessé d’un trait qui lui causait une vive douleur, il dit à ses officiers : “ Mes amis, c’est un sang véritable qui coule de ma plaie, et non cette liqueur subtile que l’on dit circuler dans les veines des dieux. ” »

  6. Euripide, Oreste, vers 265.

L’anecdote sur les cent talents (équivalant à 60 000 écus du xviie s., s’ils étaient d’argent, et à 675 000 écus, s’ils étaient d’or) demandés par Anaxarque vient aussi de Plutarque (Apophtegmes des rois de Macédoine et des successeurs d’Alexandre).

66.

Bion de Borysthène (à l’embouchure du fleuve Dniepr dans la mer Noire) est un philosophe grec cynique et athée du iiie s. av. J.‑C. Le Patininana omettait le quatrième de ses bons mots cités par le Moréri :

« Se trouvant sur mer avec des pirates, qui lui disaient qu’ils étaient perdus si on les reconnaissait : Et moi aussi, leur répondit-il, si on ne me reconnaît pas. »

Diogène Laërce en a cité d’autres encore dans sa vie de Bion (livre iv, 46‑57).

67.

L’article Calvinisme du Moréri convient que son titre est en partie anachronique, car son début se réfère aux premiers temps de la Réforme en France, avec la diffusion rapide, principalement au sein des universités et de la cour royale, des dogmes nouveaux de Martin Luther et d’Ulrich Zwingli, dont l’établissement a précédé d’au moins six ans ceux de Jean Calvin.

L’Esprit de Guy Patin (mais non le Moréri) mentionne le libelle anonyme, composé de quatre articles, qui avait mis le feu aux poudres : intitulé Articles véritables sur les horribles, grands et importables {a} abus de la messe papale, inventée directement contre la Sainte Cène de notre Seigneur, seul médiateur et seul Sauveur, Jésus-Christ, il avait été placardé en divers lieux du royaume au mois d’octobre 1534. Cette éclatante affaire mit fin aux espérances que nourrissait François ier de réconcilier les religions par l’entremise de Melanchthon, {b} que refusèrent catégoriquement les prélats catholiques de la cour. Aux six luthériens qui « furent brûlés à petit feu » (c’est-à-dire enfumés et rôtis le plus longuement possible), le Moréri ajoute ces précisions de grande conséquence historique :

« Depuis ce temps-là, le roi ne voulut plus souffrir qu’on lui parlât des hérétiques que pour les faire rigoureusement punir par le feu, comme on fit par toute la France. Il sut même ramener, par ses puissantes remontrances, la reine de Navarre, sa sœur, qui protesta n’avoir jamais prétendu renoncer à la foi catholique, non plus que le roi son mari. {c} Les docteurs de l’hérésie prirent presque tous la fuite et se retirèrent, les uns en Allemagne, les autres en Suisse ; et la plupart à Genève, où ceux du canton de Berne avaient introduit les erreurs de Zwingli, et où la religion romaine fut entièrement abolie en 1535. Calvin s’y retira en 1536 et fut fort bien reçu par Guillaume Farel, {d} qui partagea avec lui les emplois de ministère, et qui le fit professeur en théologie. Peu après, ils furent tous deux chassés de la ville comme des séditieux, l’an 1538. Farel se retira à Neuchâtel, et Calvin à Strasbourg, d’où quelque temps après il fut rappelé à Genève. » {e}


  1. Insupportables.

  2. V. note [12], lettre 72.

  3. Henri ii, roi de Navarre, et son épouse Marguerite de Valois-Angoulême (v. note [49] du Borboniana 10 manuscrit) se convertirent néanmoins par la suite.

  4. V. notule {c}, note [3] du Patiniana I‑4.

  5. V. notule {c}, note [3], lettre 475, pour l’épître à François ier (Bâle, août 1535) que Jean Calvin mit en tête de son Institution, en conséquence directe de ces événements.

La procession expiatoire défila du Louvre à Notre-Dame de Paris le 21 janvier 1535. Le dauphin était François de France (1518-1536, v. note [3], lettre 966), fils aîné de François ier ; il était accompagné de ses deux frères, Henri de France, duc d’Orléans et futur roi Henri ii, et Charles de France, duc d’Angoulême (1522-1545). Charles de Bourbon (1489-1536), duc de Vendôme, premier prince du sang depuis 1527, allait être grand-père du futur roi Henri iv.

68.

Marcus Cincius Alimentus, tribun de la plèbe, proposa en 204 av. J.‑C. la Lex Muneralis [Loi dite Munérale], ou Lex Cincia de donis et muneribus [Loi Cincia sur les dons et cadeaux].

69.

V. note [118], lettre 166, pour une autre relation de l’exécution du roi Charles ier d’Angleterre, le 9 février 1649 (dans le calendrier grégorien, nouveau style, décalé de dix jours par rapport au calendrier julien, ancien style, qui a retenu la date du 30 janvier). Ce fut sans doute le drame qui heurta le plus vivement les consciences politiques au xviie s.

Seigneurs (Lords) et Communes (Commons) sont les noms français des deux chambres (houses) du Parlement (Parliament) britannique (v. note [11], lettre 95).

Le chapitre 27 de l’Évangile de Matthieu relate le procès et la mort du Christ.

John Cook (1608-1660), procureur général (Solicitor General) de la haute Cour de justice qui fit le procès du roi, fut lui-même pendu comme régicide en octobre 1660.

V. note [9], lettre 152, pour le prince de Galles, que la mort de son père plaçait virtuellement sur le trône d’Angleterre, sous le nom de Charles ii.

Oliver Cromwell (v. note [16], lettre 266), élu de Cambridge à la Chambre des Communes depuis 1640, avait été l’un des principaux acteurs de la guerre civile anglaise et l’un des signataires de la condamnation du roi. Immédiatement après l’exécution de Charles, il fut nommé président (Chairman) du Conseil d’État, fondateur de la République (Commonwealth) d’Angleterre.

70.

Eschine (Athènes vers 390-Rhodes 314 av. J.‑C.) fut partisan de la paix d’Athènes avec Philippe ii, roi de Macédoine (v. supra notule {e}, note [3]), ce qui en fit un opposant de Démosthène (v. note [4], lettre 244). Eschine connut l’exil après avoir perdu son procès contre l’orateur Ctésiphon, qui avait décerné une couronne d’or à Démosthène. La harangue d’Eschine Contre Ctésiphon, qui fit l’admiration des Rhodiens, a été conservée (édition bilingue annotée par Édouard Somner, Paris, 1908).

V. supra note [27] pour les trois Grâces. L’attribution du nom d’une Muse à chacun des neuf livres de l’Histoire d’Hérodote (v. supra note [63]) daterait du ier s. de notre ère ; mais cette remarque ne figure pas dans l’article du Moréri.

71.

La principale source sur ce Chrysante (Chrysantas dans Moréri) est la Question romaine numéro 39 de Plutarque, Pourquoi les citoyens qui n’ont pas prêté le serment militaire ne peuvent-ils pas, lorsqu’ils se trouvent dans le camp, tuer un ennemi ni le blesser ? :

« Croient-ils que la nécessité seule peut donner le droit de faire périr quelqu’un, et que le tuer sans une loi et un ordre exprès, c’est être homicide ? C’est pour cela sans doute que Cyrus {a} loua Chrysante, qui, ayant le bras levé pour percer un ennemi et entendant sonner la retraite, se retint et ne le frappa point, parce qu’il ne croyait plus en avoir le droit. {b} Serait-ce que tout soldat qui, dans une bataille, vient à lâcher le pied, doit pouvoir être cité et puni parce que sa fuite est d’un plus mauvais exemple que la mort ou la blessure d’un ennemi ne peut être utile ? Or, celui qui a son congé n’est plus sujet aux lois militaires ; mais s’il demande à remplir les devoirs de soldat, il est soumis aux lois et justiciable de son général. »


  1. V. note [8], lettre 971, pour Cyrus ii le Grand, roi de Perse au vie s. av. J.‑C.

  2. Sans rapporter ce propos, Xénophon a plus abondamment parlé des talents militaires de Chrysante dans le livre iii de sa Cyropédie [Éducation de Cyrus].

72.

Les deux personnages de cette anecdote ne sont pas ceux qui viennent en premier à l’esprit :

73.

Basile ii, dit Boulgaroktonos [Tueur de Bulgares] a régné seul sur l’Empire byzantin de 976 à 1025, après avoir partagé le pouvoir avec quatre autres de 960 à 976. Parmi ses nombreuses guerres et conquêtes, il a vaincu et sévèrement châtié l’armée de Samuel, tsar de Bulgarie de 967 à 1014, lors de la bataille de la Passe de Kleidion (ou Kimbalongos), le 29 juillet 1014 (et non 1013).

74.

V. note [1], lettre 1006 pour L’Histoire éthiopique d’Héliodore, traduite du grec par Jacques Amyot (Paris, 1559). Son Proesme du translateur [Prologue du traducteur] (page iij ro‑vo) fonde la relation du Moréri :

« Quant à l’auteur, la première fois que je fis imprimer ma traduction, je ne savais point encore qui il était ; mais depuis, étant à Rome, en visitant la Librairie vaticane, entre plusieurs autres meilleurs livres en toutes disciplines que j’y ai vus, j’y trouvai un fort vieil exemplaire de celui-ci, écrit à la main, en parchemin, au devant duquel il y avait la substance de ces paroles en grec :

“ Heliodorus, celui qui a composé l’Histoire éthiopique, était évêque de Tricca du temps de Theodosius le Grand, et a aussi écrit en vers iambiques {a} la manière de faire de l’or, au même Theodosius ; ainsi l’écrit Georgius Cedrenus. ” {b}

En la même page, un peu plus bas, < il > y avait Socrates, qui a écrit l’Histoire ecclésiastique, {c} < qui > témoigne que Heliodorus, auteur de l’Histoire éthiopique était évêque de Tricca, ville de Thrace, que les paysans appellent maintenant Triecala ; et un peu au-dessous :

“ Æliodorus < le > Phénicien, fils de Theodosius, a proposé aux jeunes gens un tableau de chasteté afin que, voyant le grand loyer qui lui est promis, {d} ils s’étudient d’en mériter la couronne ; mais depuis, j’ai trouvé, au trente-quatrième chapitre du douzième livre de l’Histoire ecclésiastique de Nicephorus Callistus, {e} ces paroles en substance :

La coutume qui se garde en ce cas par la Thessalie a pris sa première origine de cet Heliodorus, jadis évêque de Tricca, duquel on trouve encore aujourd’hui des livres amatoires {f} qu’il composa en sa jeunesse, et les intitula L’Histoire éthiopique ; et maintenant, on les appelle Chariclea, comme qui dirait La Gloire des Grâces{g} pour lesquels livres son évêché lui fut ôté ; car, comme {h} plusieurs jeunes gens, par la lecture d’iceux livres, tombassent en péril, le concile provincial ordonna que tous tels livres, qui incitaient les jeunes gens à l’amour, seraient brûlés, ou que ceux qui les auraient composés seraient déposés et privés de la dignité épiscopale. Heliodorus aima mieux perdre son évêché que supprimer ses livres. ”

Voilà ce qu’il en est écrit, en quoi je ne sais lequel faut le plus admirer : ou la sévère austérité de ces bons Pères, ou l’affection que porta cet évêque à une composition de sa jeunesse. » {i}


  1. V. notule {a}, note [5], lettre 47.

  2. Ecclésiastique du ive s., Héliodore de Phénicie fut évêque de Trikka (Trikala) en Thessalie.

    V. notes [3] de l’Observation i sur les us et abus des apothicaires pour Théodose le Grand, dernier souverain de l’Empire romain uni (379-395), et [54] du Borboniana 3 manuscrit, notule {a‑i}, pour Georges Cédrène, historien byzantin du xie s.

  3. Socrate le Scolastique, historiographe chrétien byzantin du ve s.

  4. La grande récompense qui lui est promise.

  5. V. notule {a}, note [16] du Borboniana 6 manuscrit.

  6. Courtois, voire érotiques.

  7. V. supra note [27] pour les Grâces ou Charites.

  8. Pour éviter que.

  9. Les critiques modernes attribuent généralement l’Histoire éthiopique à Héliodore d’Émèse (v. note [1], lettre 1006), écrivain grec païen contemporain de l’évêque de Trikka.

75.

Le Moréri relate différemment cette histoire dans son article sur la déesse romaine Piété (Pietas) :

« La Piété avait un temple à Rome, dans la place aux Herbes, suivant le témoignage du même Cicéron, qui dit in foro Olitorio. {a} M. Acilius Glabrio, duumvir, consacra ce temple sous le consulat de Quintus et d’Atilius, et y fit placer un tableau qui représentait l’action de cette fille célèbre pour sa piété, laquelle voyant sa mère condamnée par la justice à mourir de faim, dans son extrême vieillesse, demanda avec instance au geôlier la permission de la voir tous les jours dans sa prison jusqu’à sa mort ; ce que le geôlier lui accorda par compassion, prenant toutefois un soin très exact d’empêcher qu’elle n’apportât aucun aliment. Comme cela durait plus de jours qu’une personne n’en peut naturellement passer sans manger, le geôlier épia ce que cette fille faisait avec sa mère, et vit avec étonnement cette pauvre femme téter sa fille, qui étant alors nourrice, lui donnait la mamelle comme à son enfant, pour l’empêcher de mourir de faim. Cette action étant rapportée aux juges, < ils > firent donner la liberté à la mère, avec une pension pour elle et pour sa fille. Le lieu où était la prison fut consacré par ce temple à la déesse Piété. Festus dit que c’était le père de cette fille qui était condamné à mort ; {b} mais tous les auteurs, comme Cicéron, Tite-Live, Valère Maxime et Pline, marquent que c’était sa mère. {c} * Rosin, Antiq. Rom. liv. 2, c. 18. » {d}


  1. Ce témoignage n’est pas dans Cicéron, je l’ai trouvé chez Tite-Live (Histoire de Rome, livre xl, chapitre xxxiv, § 4) :

    Ædes duæ eo anno dedicatæ sunt, una Veneris Erycinæ ad portam Collinam […], altera in foro holitorio Pietatis, eam ædem dedicavit M. Acilius Glabrio duumvir.

    [Cette année {i} aussi eut lieu la dédicace de deux temples : l’un à Vénus Érycine, près de la porte Colline […] ; l’autre de la Piété, dans le marché aux légumes, ce fut le duumvir M. Acilius Glabrio qui en fit la dédicace].

    1. 191 av. J.‑C.
  2. Pompeius Festus, La Signification des mots, livre xiv, sur Pietas :

    Pietati ædem consecratam ab Acillo aiunt eo loco, quo quondam mulier habitaverit, quæ patrem suum inclusum carcere mammis suis clam aluerit : ob hoc factum, impunitus ei concessa est.

    [Acilius a, dit-on, consacré un temple à la Piété là même où avait jadis habité la femme qui nourrit secrètement du lait de ses mamelles son père emprisonné ; pour avoir fait cela, elle obtint sa grâce].

  3. Pline (Histoire naturelle, livre vii, chapitre xxxvi, Littré Pli, volume 1, page 299) :

    Humilis in plebe, et ideo ignobilis puerpera, supplicii causa carcere inclusa matre, quum impetrasset aditum, a janitore semper excussa ante, ne quid inferret cibi, deprehensa est uberibus suis alens eam. Quo miraculo, matris salus donata filiæ pietati est, ambæque perpetuis alimentis, et locus ille quidem consecratus deæ, C. Quinctio M Acilio coss., templo Pietatis extructo in illius carceris sede, ubi nunc Marcelli theatrum est.

    « Une femme du peuple, dont la condition obscure nous a dérobé le nom, venait d’accoucher quand sa mère fut mise dans une prison pour y subir le supplice de la faim. Elle obtint d’aller la voir ; mais, fouillée à chaque fois par le geôlier, de peur qu’elle n’apportât quelque aliment, on la surprit allaitant sa mère. Saisis d’admiration, les magistrats accordèrent le salut de la mère à la piété de la fille ; ils allouèrent des aliments à l’une et à l’autre leur vie durant, et le lieu où la scène s’était passée fut consacrée à la déesse Piété, à laquelle, sous le consulat de C. Quinctius et Manius Acilius (an de Rome 604 < 149 av. J.‑C. >), un temple fut érigé sur l’emplacement de la prison ; c’est là qu’est aujourd’hui le théâtre de Marcellus. »

    Valère Maxime (Faits et paroles mémorables, livre v, chapitre iv, De pietate in parentes [La piété filiale]), raconte exactement la même histoire (non datée) d’une mère allaitée par sa fille, sans la dire vierge.

  4. L’article du Moréri est intégralement et fidèlement tiré du livre ii, chapitre xviii, De Diis, propter quæ datur ascencus in cœlum [Les dieux grâce auxquels il est donné de monter au ciel], De Pietate [La Piété], page 237 du livre intitulé :

    Antiquitatum Romanarum Corpus absolutissimum, in quo præter ea quæ Ioannes Rosinus delineaverat, infinita supplentur, mutantur, adduntur : ex criticis, et omnibus utriusque linguæ auctoribus collectum, Poetis, Oratoribus, Historicis, Iurisconsultis, qui laudati, explicati, correctique Thoma Demestero a Muresk, I.C. Scoto, Auctore. Editio Postrema, emendatior.

    [Corpus le plus complet des Antiquités romaines, dans lequel, outre celles que Joannes Rosinus {i} a décrites, une infinie quantité a été augmentée, modifiée ou ajoutée : Thomas Demsterus a Muresk, jurisconsulte écossais, {ii} l’a recueilli chez les critiques et tous les auteurs des deux langues, {iii} poètes, orateurs, historiens, jurisconsultes. Dernière édition, revue et corrigée]. {iv}

    1. L’historien allemand Johann Roszfeld (1551-1626).

    2. Thomas Demster, baron de Muresk (1579-1625).

    3. Grecque et latine.

    4. Genève, Pierre et Jacques Chouët, 1640, in‑8o illustré de 1 063 pages.

    On ne lit là aucune justification de l’interprétation donnée par L’Esprit de Guy Patin, qui transforme la mère en père et qui christianise le récit païen, en y ajoutant le miracle d’une vierge allaitante.

    Dans les tableaux qu’on appelle Charités romaines, la tradition artistique chrétienne représente un vieillard allaité par sa fille, et leur donne les noms de Cimon (ou Mycon) et de Péro (ou Pera).


76.

V. notes [38] du Grotiana 2 pour l’assassinat de Germanicus par Pison sur l’ordre de Tibère, et [17], lettre 925, pour la crémation de la Pucelle d’Orléans à Rouen en 1431.

L’Esprit de Guy Patin a emprunté ses extravagances à deux articles du Moréri.

77.

V. notes :

Villepreux était un bourg d’Île-de-France (aujourd’hui une commune du département des Yvelines), situé 12 kilomètres à l’ouest de Versailles, et alors un fief de la famille de Gondi. Pour sa partialité en faveur de l’accusé dans le procès du maréchal de Marillac (1632, v. note [17], lettre 10), du Chastelet y fut brièvement emprisonné.

78.

Valère Maxime (Actions et paroles mémorables, livre viii, chapitre i, § 13) appelle Cælius ces deux frères Coëlius, en les disant issus d’une illustre famille de Terracine (Terracina, v. troisième notule {a}, note [22] du Naudæana 3).

79.

Hunéric fut le deuxième roi des Vandales et des Alains {a} au ve s. Ces peuples barbares (au sens de non romains), originaires d’Espagne, avaient conquis l’Afrique du Nord et les îles de la Méditerranée occidentale. Adeptes de l’arianisme, qui niait la divinité du Christ (v. note [15], lettre 300), ils luttèrent avec ardeur contre le christianisme orthodoxe, dit nicéen (issu du concile de Nicée). Louis Moréri cite les historiens chrétiens qui ont maudit la mémoire d’Hunéric :

« Il mourut en la huitième année de son règne. {b} Victor d’Utique dit qu’il fut mangé des vers qui sortaient de toutes les parties de son corps. {c} Grégoire de Tours {d} écrit qu’étant entré en frénésie, il se mangea les mains ; et Isidore {e} ajoute que les entrailles sortirent de son corps et qu’il eut la même fin qu’Arius dont il avait voulu établir la secte par tant de massacres. »


  1. V. notule {a}, note [29], lettre 401, pour les Vandales. Les Alains peuplaient originellement le nord du Caucase.

  2. À Carthage en 484.

  3. Victor de Vita, saint évêque de Byzacène (province de Tunisie dont la principale cité était Utique) au ve s., a laissé une Historia persecutionis Africanæ provinciæ, temporibus Geiserici et regum Hunirici Vandalorum [Histoire de la persécution de la province d’Afrique au temps de Genséric et Hunéric, rois des Vandales], qui est la source principale, mais fort partisane, de ce qu’on sait sur cette période. La mort de Hunéric rappelle la phtiriase qui aurait emporté plusieurs autres souverains maudits, comme le roi Philippe ii d’Espagne ou le dictateur romain Sylla (v. note [4], lettre 831).

  4. V. note [11], lettre 52, pour saint Grégoire de Tours.

  5. Saint Isidore de Séville, v. note [22], lettre 101.

80.

Une édition ultérieure du Moréri (Paris, 1718, tome 3, page 63) a transcrit l’épitaphe de Jean de Launoy : {a}

« qui avait été faite par M. Le Camus, {b} président à la Cour des aides, pour être mise sur son tombeau : {c}

D.O.M.
Hic jacet Joannes Launoius, Constantiensis,
Parisiensis Theologus :
Qui veritatis assertor perpetuus, jurium
Ecclesiæ et Regis acerrimus vindex, vitam
Innoxiam exegit :
Opes neglexit, et quantulumcumque, ut relicturus,
Satis habuit :
Multa scripsit nulla spe, nullo timore ;
Optimam famam maximamque venerationem
Apud probos adeptus.
Annum septimum et septuagesimum excessit :
animam Christo consignavit die 10. Martii,
Anno m. dc lxxviii
. » {d}


  1. Le très méritant et redoutable docteur de Sorbonne qui était surnommé le dénicheur de saints (v. note [9], lettre 91).

  2. Denis Le Camus, fils aîné d’Antoine (v. note [2], lettre 233).

  3. Launoy « tint pendant longtemps chez lui des conférences tous les lundis, où se trouvaient quantité de savants. Elles ne furent interrompues qu’en 1676. Il tomba malade au mois de mars 1678 dans l’hôtel du cardinal d’Estrées [César d’Estrées (1628-1714), fils de François-Annibal (v. note [7], lettre 26)], où il logeait, et y mourut après avoir reçu tous les sacrements le 10e du même mois. Il fut enterré, comme il l’avait ordonné, dans l’église des Minimes de la place royale, où il disait d’ordinaire sa messe » (Moréri, 1718).

  4. « Dieu Tout-Puissant.
    Ci-gît Jean de Launoy, natif de Coutances, théologien parisien : inlassable défenseur de la vérité, très ardent vengeur des droits de l’Église et du roi, il a mené une vie immaculée ; il a négligé les richesses, satisfait du très peu de biens qu’il abandonnerait en mourant ; il a beaucoup écrit, sans peur ni espoir de récompense ; il s’est acquis un très haut renom et la plus grande vénération parmi les honnêtes gens. Il est mort en sa 77e année d’âge, recommandant son âme au Christ le 10e de mars 1678. »

V. notes :

81.

Francesco Armellini de Médicis (Pérouse, Ombrie 1470-Rome 1527), prêtre et juriste, n’était pas issu des illustres Médicis de Florence : il fut d’abord secrétaire du pape Jules ii (1503-1513), puis reçu cardinal en 1517 et adopté par le pape Léon x, Jean de Médicis (1513-1521, v. note [7], lettre 205), ce qui l’autorisa à accoler son nom au sien. Il servit avec beaucoup de zèle le pape Clément vii (Jules de Médicis, 1523-1534, v. note [50], lettre 292), qui le nomma archevêque de Tarente (v. note [61] du Patiniana I‑3) en 1525.

Pompeo Colonna (Rome 1479-Naples 1532), membre de la noble famille napolitaine des Colonna, avait été nommé cardinal en même temps qu’Armellini. Son hostilité envers les Médicis lui avait valu d’être destitué en 1526. En mai 1527, il collabora à la prise et au sac de Rome par les troupes impériales que dirigeait le connétable de Bourbon (v. notule {b}, note [22] du Borboniana 4 manuscrit). Le quatrain qu’il était prêt à demander aux Romains pour voir la peau écorchée d’Armellino était une menue monnaie d’Italie équivalant à un liard français, piécette qui valait 3 deniers.

82.

Le Moréri cite en référence l’Histoire générale d’Espagne comprise en xxxvi livres. […] Par Louis de Mayerne Turquet, Lyonnais {a} (Paris, Samuel Thiboust, 1635, in‑fo), année 1312 (livre treizième, pages 560‑561) :

« Cependant, le roi {b} s’arrêta en Castille, faisant faire des saisies et prenant de force quelques châteaux appartenant à ses rebelles. Après, il s’en vint en personne en Andalousie ; et arrivé qu’il fut à Martos, {c} il fit empoigner deux chevaliers frères, accusés d’un meurtre commis en la personne de D. Jean Alfonse de Benavides, {d} lequel avait été tué à Palence, sortant du logis du roi. Ces deux frères, qu’on appelait Pierre et Jean de Carvajal, {e} étant condamnés, sans grande probation du fait, à être précipités du haut de la roche de Martos, ainsi qu’on les exécutait, protestant de leur innocence, ajournèrent {f} le roi à comparaître devant le tribunal de Dieu dans trente jours, pour donner raison de la mort qu’il leur faisait souffrir injustement. Nonobstant cela, ils passèrent et furent exécutés. Le roi étant venu au camp d’Alcaudete, {g} se commença à sentir mal et vint à Jaén ; et là, se contint quelques jours avec peu d’obéissance aux médecins qui le pansaient […].

S’étant icelui mis à dormir une après-dînée, au trentième jour justement de l’assignation à lui baillée par les deux gentilshommes exécutés à Martos, comme il semblait à ses chambellans qu’il dormait plus que de raison, ils entrèrent pour voir ce qu’il faisait en sa chambre, où ils le trouvèrent raide mort, ce qui fut rapporté au jugement de Dieu. Cette mort inopinée, advenue l’an 1312, troubla grandement le royaume : il était âgé seulement d’environ vingt-cinq ans, avait régné < un > peu plus de dix-sept, {h} et fut enseveli à Cordoue en la grande église. »


  1. V. note [6], lettre 128.

  2. Ferdinand iv (1285-1312), roi de Castille en 1295.

  3. Martos, ville d’Andalousie dans la province de Jaén, est surplombée par le Peña de Martos, éminence rocheuse haute de 250 mètres et surmontée d’une citadelle.

  4. Un des favoris du roi.

  5. Pedro Alfonso et Juan Alfonso de Carvajal étaient chevaliers de l’Ordre militaire et religieux de Caltrava. Ils furent exécutés le 7 août 1312, après avoir été exposés quelque temps au public dans une cage de fer garnie de pointes.

  6. Assignèrent.

  7. Place fortifiée de la province de Jaén.

  8. Le roi Ferdinand est mort le 7 septembre 1312 dans sa 27e année d’âge, après avoir régné 17 ans et 4 mois. Ce trépas singulier a alimenté la légende populaire des frères (hermanos) Carvajal.

83.

Le Moréri a tiré son anecdote de La Vie du pape Sixte cinquième (tome premier, livre v, pages 313‑315) de Gregorio Leti (Paris, 1683, v. note [32] du Faux Patiniana II‑4), expliquant en outre que la Signora Camilla (v. note [10] du Borboniana 4 manuscrit) :

« était femme d’un habitant du village des Grottes, proche la ville de Montalte, dans la Marche d’Ancône en Italie. Lorsque son frère Félix Peretti, appelé depuis le cardinal de Montalte, {a} eut été créé pape sous le nom de Sixte v, l’an 1585, elle fut mandée à Rome et y vint accompagnée des enfants de sa fille. » {b}


    Quand il avait été nommé cardinal, en 1570, le franciscain Felice Peretti, {i} natif du bourg littoral de Grottammare (ici Grottes), près de Montalto (Montalte), {ii} dans les Marches, avait pris le nom de Montalto, en souvenir du couvent où il avait fait ses vœux en 1536.

    1. Le futur pape Sixte Quint (avril 1585 à 1590), v. note [45] du Naudæana 1.

    2. Pour l’anecdote, Blaise Pascal n’en a pas tiré le pseudonyme de Louis de Montalte, qu’il a utilisé pour signer ses Provinciales (v. note [23], lettre 446) : c’est plutôt, me semble-t-il, une allusion déguisée à ses origines auvergnates (Clermont-Ferrand, Claromontium).

  1. Leti parle de « ses trois enfants, deux garçons et une fille ; l’aîné desquels, nommé Alexandre Peretti [Alessandro Damasceni Peretti], fut fait cardinal à quelque temps de là [mai 1585], sous le titre de Saint-Jérôme-des-Esclavons ; mais le pape voulut qu’il s’appelât, comme lui, le cardinal de Montalte. » Le précieux site des cardinals of the Holy Roman Church donne raison au Moréri en disant qu’Alessandro était petit-fils, et non fils, de Camilla.

    Son frère nomma tout de même Camilla marquise de Venafro.


84.

L’article du Moréri sur le théologien réformateur tchèque Jean Hus (Jan Huss, 1373-1415) est bien plus riche que l’abrégé moralisateur fourni par L’Esprit de Guy Patin :

« Recteur de l’Université de Prague, son nom, qui signifie oie, était celui d’un petit bourg de Bohème {a} où il naquit de parents de la lie du peuple. Il [reçut le degré de bachelier ès arts à Prague l’an 1393, et celui de maître en 1395, et fut fait prêtre en 1400. Presqu’aussitôt qu’il eut été ordonné, il] entreprit de renouveler les erreurs des vaudois et de Wiclef, {b} qu’il commença à publier en Bohème l’an 1407 avec une ardeur incroyable. Il ajouta depuis de nouvelles erreurs à celles de Wiclef, se joignit à Jérôme de Prague {c} et se fit un grand nombre de disciples. Ils prêchaient que les réprouvés ne sont point membres de l’Église, que saint Pierre n’en a point été le chef, et d’autres erreurs que nous marquerons en parlant des hussites. {d} Ces hérétiques causèrent des maux incroyables dans la Bohème. Le roi Venceslas {e} s’en mit peu en peine parce qu’il ne songeait qu’à ses plaisirs et à la bonne chère ; mais l’empereur Sigismond, {f} frère et héritier présomptif de ce roi, crut avec raison qu’il ne devait pas négliger d’apaiser ces troubles. Il écrivit à Venceslas et envoya de ses gens à Jean Hus pour lui persuader de venir défendre sa doctrine devant le concile de Constance, {g} où cet empereur devait se trouver. Jean Hus ne le refusa pas et fit d’abord afficher, devant la porte du palais et devant celle des églises de Prague, qu’il irait à Constance rendre compte de sa foi. Il fit encore afficher cet écrit dans plusieurs villes d’Allemagne. Ensuite, il se mit en chemin et arriva à Constance au mois de novembre 1414. L’empereur lui avait envoyé un sauf-conduit. On employa sept mois à examiner ses opinions. On envoya deux évêques en Bohème pour informer de la doctrine qu’il avait prêchée et enseignée, dont ils firent leur rapport au concile. On nomma des commissaires pour recevoir la déposition des témoins et pour examiner les propositions qu’on avait tirées de ses livres, et il eut lui-même la permission de parler et de se défendre. Les plus habiles hommes qui étaient à Constance travaillèrent à lui persuader d’abjurer ses erreurs. Il le promit, puis il le refusa ; de sorte que, persistant à soutenir ses erreurs, il fut condamné à être brûlé avec ses livres ; ce qui fut exécuté le 16e de juillet 1415. Un auteur de sa secte qui était présent à son supplice dit que Jean Hus monta sur le bûcher avec une grande intrépidité, et qu’il mourut en chantant des psaumes et en invoquant le nom de Jésus-Christ. Les protestants se plaignent de ce qu’on le fit mourir malgré le sauf-conduit que lui avait donné l’empereur Sigismond. On répond à cela qu’ils n’ont peut-être pas examiné ce sauf-conduit, que nous avons dans Cochlæus, dans Bzovius et ailleurs, {h} car il paraît que le concile n’y avait point de part ; et qu’outre cela, ce n’était qu’une recommandation aux villes, chez qui Jean Hus arrivait, de le bien recevoir et de le laisser passer librement. Ses disciples le mirent au nombre de leurs martyrs. Les protestants rapportent beaucoup de fables au sujet de Jean Hus, et disent qu’en mourant, il s’était écrié qu’on faisait mourir une oie ; mais que cent ans après sa mort, il renaîtrait un cygne de ses cendres, qui soutiendrait la vérité qu’il avait défendue. Ce cygne est, selon les protestants, Luther {i} et ses disciples […], qui firent graver diverses pièces de monnaie de l’un et de l’autre, sous la forme d’une oie et d’un cygne. »


  1. Aujourd’hui Husinec en Tchéquie. Le passage qui suit, mis entre crochets, vient du Moréri de 1718, tome 3, page 604.

  2. V. note [11], lettre 403, pour les vaudois, qui adhéraient à l’hérésie propagée par Pierre Valdo au xiie s.

    Jean Wiclef (John Wyclif ou Wyckiffe), prêtre et théologien anglais natif du Yorkshire (vers 1330-1384), est tenu pour avoir été le plus ancien précurseur de la Réforme anglicane (1531, v. note [42] du Borboniana 10 manuscrit) : en se fondant sur l’étude et l’autorité de la Bible, il a contesté le pouvoir de l’Église, romaine comme anglaise, sur les âmes de ses fidèles.

  3. Jeronym Prazsky (1379-1416), théologien tchèque, ami de Hus, périt sur le bûcher un an après lui.

  4. Moréri, 1716, page 605 :

    « Ces errants soutenaient presque les mêmes opinions que les calvinistes soutiennent aujourd’hui contre le pape et les prêtres, et pour ce qui regarde la communion sous une seule espèce ou, pour nous servir de leurs termes, le retranchement de la coupe ; mais ils ne niaient pas la présence réelle du corps et du sang Jésus-Christ dans l’Eucharistie. Ils prétendaient que l’Église est le corps des prédestinés et que les réprouvés n’en peuvent être les membres ; que la condamnation des quarante-cinq articles de Wiclef, faite par les docteurs orthodoxes, était impie et déraisonnable ; etc. »

  5. Venceslas de Luxembourg (1361-1419), dit l’Ivrogne, roi de Bohème en 1378.

  6. Sigismond de Luxembourg (1368-1437), roi de Hongrie en 1387, roi des Romains en 1411, roi de Bohème en 1419, empereur germanique en 1433.

  7. Réuni à Constance (v. note [6], lettre 26) de novembre 1414 à avril 1418, par Sigismond et l’antipape Jean xxiii (1410-1415) pour mettre fin au grand schisme d’Occident (v. note [67] du Faux Patiniana II‑5).

  8. V. notes [25], lettre 348, pour Iohannes Cochlæus, et [21], lettre 408, pour Abraham Bzovius.

  9. Fondateur de la Réforme protestante définitive un siècle plus tard (1517, v. note [15], lettre 97).

85.

V. notes :

Réunies en partie dans les Œuvres diverses de Monsieur Arnauld d’Andilly, {a} ses principales traductions ont aussi paru séparément :

86.

Bref et nouvel emprunt à l’article du Moréri sur Anne Boleyn (v. supra notule {c‑i}, note [33]), à propos de Sir Francis Bryan (vers 1490-1550), favori du roi Henri viii, qui en fit le premier gentilhomme de sa chambre (privy chamber) et premier juge (Lord Justice) d’Irlande. Cousin d’Anne Boleyn, il était si renommé pour ses débauches et son cynisme que le roi le surnomma le Vicar of Hell [Vicaire de l’enfer]. Nicholas Sanders a parlé de lui en deux endroits de ses Origine et progrès du schisme d’Angleterre (livre i, v. supra note [32]).

87.

Le Faux Patiniana II‑4 a déjà cité cette anecdote (v. sa note [11]) dont je n’ai pas trouvé la source antique, et qu’Antoine Furetière (Fureteriana, 1696) a aussi reprise.

88.

De 705 à 717, quatre souverains ont précédé l’empereur Léon iii (717-741), qui fut d’abord un « petit mercier [marchand ambulant] qui portait ses marchandises dans les villages sur un âne » (Moréri), originaire d’Isaurie (ancienne région d’Asie Mineuse, située au centre de l’Anatolie) :

Le Moréri de 1718 (tome 3, page 84) a mieux commenté la fulgurante ascension et les égarements de Léon iii, qui lui valurent ses surnoms de Brisimage le cruel et de Bête farouche :

« Des biens si considérables lui devaient inspirer quelque gratitude envers Dieu, à qui il les devait. Il témoigna au contraire, par ses erreurs, qu’il n’y avait jamais eu de prince ni plus impie ni plus cruel que lui. Un nommé Bézère qui, étant né de parents chrétiens, s’était fait mahométan en Syrie où il avait été mené esclave, se mit bien dans l’esprit de l’empereur, lequel, à sa persuasion et à celle de quelques juifs qui lui avaient prédit qu’il parviendrait à l’Empire, déclara une cruelle guerre aux saintes Images. Il fit brûler une statue de Jésus-Christ qui était en bronze et qu’on avait placée sur une des portes de la ville. Cela excita une très grande sédition, dont Léon entra si fort en fureur qu’il abolit par un édit toutes les saintes images. {a} Il exerça des cruautés horribles contre ceux qui les révéraient et fit brûler la nuit, dans leurs maisons avec tous leurs livres, douze ecclésiastiques admirables en sainteté et en doctrine, que les empereurs mêmes consultaient dans les grandes affaires, parce qu’il n’avait pu par tous ses efforts les faire entrer dans son erreur. Saint Germain, patriarche de Constantinople, fut le seul qui osa résister à Léon, qui dissimula au commencement, croyant le gagner, et qu’il envoya depuis en exil. Le pape Grégoire ii, ayant inutilement averti l’empereur, l’excommunia ; sur quoi, ce tyran arma une grande flotte pour passer en Italie, mais une tempête la fit périr. Grégoire iii travailla aussi inutilement auprès de ce prince aveuglé, qui se moqua de ses lettres et maltraita ceux qui les lui portaient ; de sorte que ce pape, ayant assemblé un synode à Rome, il y excommunia tous ceux qui combattraient les saintes images. Dieu, pour le châtier, lui envoya toutes sortes de malheurs, entre lesquels furent des tremblements de terre épouvantables ; et enfin il mourut d’hydropisie, avec d’étranges douleurs, le 18 juin de l’an 741, en ayant régné 24 ans, 2 mois et 25 jours. »


  1. Léon promulgua l’édit iconoclaste en janvier 730. L’hérésie byzantine des Iconoclastes, qui s’ensuivit, dura jusqu’en 787. Elle connut une autre vague de 813 à 843.

  2. Le pape saint Grégoire ii (715 à 731) a eu pour successeur Grégoire iii (731 à 741).

89.

V. notes [5] et [6] du Faux Patiniana II‑4, et [101] infra, pour les jugements moraux discordants sur la mort volontaire de la Romaine Lucrèce, après avoir été violée.

Il est ici question du suicide, plus spectaculaire encore, d’une autre femme à qui a été donné le nom éloquent (mais probablement fictif) de Digna (ailleurs appelée Dugna ou Dougna). En 452, Attila (vers 395-453), roi des Huns (v. note [56] du Patiniana I‑4) qui a ravagé les Empires romains d’Orient et d’Occident, investit Aquilée (Aquileia, province d’Udine), ancienne capitale de la Vénétie. Le Moréri a emprunté son récit du sac de la ville aux :

Antonii Bonfinii Rerum Hungaricarum rerum decades quatuor cum dimidia. His accessere Joan. Sambuci aliquot appendices et alia : una cum priscorum Regum Ungariæ Decretis, seu constitutionibus : quarum narrationes Bonfinii obiter meminere : et qua pagina 16. indicat. Tertium omnia recognita, emandata, et aucta per Ioann. Sambucum, Cæsar. Maiest. consiliarium et historicum. Cum indice copiosiss.

[Quatre Décades et demie des Histoires hongroises d’Antonius Bonfinius, {a} auxquelles on a ajouté quelques appendices et autres textes de Joan. Sambucus, {b} ainsi que les décrets ou constitutions des anciens rois de Hongrie, que les narrations de Bonfinius ont largement cités. La page 16 {c} procure le sommaire de cette édition que Ioann. Sambucus, conseiller et historiographe de Sa Majesté impériale a revue, corrigée et augmentée pour la troisième fois. Avec un très copieux index]. {d}

Livre vi, décade i,page 92, lignes 24‑42) :

Rex a mœnibus prædam, cædem, incendium et ruinam exclamat. In urbe et publico et privato prælio res agitur, frementes hinc voces, miserabiles illinc intonant ululatus. Aquileienses ad unum cæsi omnes. Hos pulcherrime mori, vilius alios cernere erat, mortem plerique lacessendo carpebant, occurrebant fortius aliqui. Multi prædæ dulcedine allecti, dum per latrebas incautius evagantur, miserrime cæduntur. Mulieres quæ superfuerunt, captæ omnes et prostitutæ sunt nulla, honestatis, pudicitiæ, ætatis et clementiæ habita ratio. Ne sexui quidem aliquid indultum, distrahebantur passim virgines, ingenuæque matronæ, et pro hostis libidine vis cuique illata. Templa, viæ, fora, item publice privatimque cædibus, furtis et rapinis omnia fœdari. Præ virorum oculis uxores incestari, cædi ante ora parentum immanissime filii, infantes matribus erepti parietibus illidi. Vastati omnia ferro et igni, cruoris rivos passim agi, extincta misericordia, planctis ac cædibus omnia misceri. At una præstantis pudicitiæ matrona commemoratur, quæ a fœdo hoste petita, dum in tecta fugit, ut eam tueretur, postquam non alia via, nisi morte impollutum corpus servare posse cognovit, e summis ædibus in subjectum Natisonem fluvium ultro se præcipitem dedit. Inter divas non immerito referenda, quando tam præclarum servandæ pudicitiæ, universæ posteritati legavit exemplum.

[Du haut des remparts, le roi crie l’ordre de piller, de tuer, et d’incendier et raser les édifices. Son ordre est exécuté au cours de combats, tant groupés que singuliers, qui font résonner la ville ici de murmures sourds, et là de hurlements déchirants. Tous les habitants d’Aquilée sont assassinés en même temps. On en voyait certains mourir très noblement, et d’autres plus vilement ; la plupart se laissaient tuer, quelques-uns luttaient avec grand courage. Beaucoup, attirés par l’appât du butin, étaient misérablement occis tandis qu’ils erraient sans méfiance d’une cachette à l’autre. Toutes les femmes qui survécurent furent enlevées et violées sans le moindre respect pour leur honneur, leur chasteté, leur âge ou leur candeur : sans nul égard pour leur sexe, vierges et nobles dames étaient appréhendées de tous côtés, et chacune était soumise de force à la lubricité de l’ennemi. Églises, rues, places étaient souillées de meurtres, de vols et de pillages, tant privés que publics. Sous les yeux de leurs maris, les épouses étaient violées ; sous ceux de leurs parents, les fils étaient très cruellement massacrés ; arrachés des bras de leurs mères, les petits enfants étaient jetés contre les murs. Quand tout eut été dévasté par le fer et le feu, des ruisseaux de sang s’écoulaient de tous côtés ; au mépris de toute miséricorde, les hurlements de douleur se mêlaient partout aux massacres. En a subsisté le souvenir d’une femme unique pour son insigne chasteté : recherchée par l’ignoble ennemi, elle s’était enfuie sur les toits pour y trouver refuge ; quand elle ne vit pas d’autre moyen que la mort pour pouvoir conserver son corps inviolé, elle se précipita du haut des maisons dans le fleuve Natissa. {e} On l’a, non sans raison, rangée parmi les saintes pour avoir livré à toute la postérité un si remarquable exemple de volonté à préserver sa chasteté]. {f}


  1. Antonio Bonfini (1427-1502).

  2. Johannes Sambucus (1531-1584), médecin et érudit hongrois.

  3. Index eorum quæ hoc opere præter tres Bonfinii priores decades exhibentur [Index de ce que contient cet ouvrage, en supplément des trois premières décades de Bonfinius].

  4. Hanau, Claudius Marnius et les héritiers de Ioannes Aubrius, 1606, in‑fo de 943 pages.

  5. Fleuve côtier de 15 kilomètres qui traverse Aquilée.

  6. Le Moréri cite aussi les :

    Caroli Sigonii Historiarum de Occidentali Imperio libri xx… Pertextitur autem in illis historia ab anno recuperatæ Salutis cclxxxiiii, usque a annum dlxv. Et absolvitur Indice rerum et verborum copiosissimo.

    [Vingt livres des Histoires de l’Empire d’Occident de Carolus Sigonius {i}… Ils couvrent les années 284 à 545 suivant la restauration de notre Salut, et sont résumés par un très copieux index des matières et des mots]. {ii}

    Le livre xiii, pages 224‑225, {iii} se réfère à Paul Diacre {iv} pour décrire les mêmes événements, en donnant à cette vertueuse héroïne le nom de Digna. Aucune des deux sources ne lui prête les dernières paroles rapportées par le Moréri.

    1. V. note [20] du Patiniana I‑2.

    2. Hanau, Daniel et David Aubrius, et Clemens Schleichius, 1618, in‑fo de 358 pages.

    3. Sur le règne de Valentinien iii, empereur romain d’Occident de 425 à 455.

    4. Chroniqueur bénédictin du viiie s.

90.

L’épigramme de François Maynard (Mainard, Ménard ou Meinard ; Toulouse 1582-Aurillac, ville de Haute-Auvergne, actuelle préfecture du Cantal 1646) contre Richelieu n’est pas dans l’article que le Moréri lui a consacré. Les rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin l’ont prise (et transcrite avec maintes coquilles que j’ai corrigées) à la page 204 des Œuvres de Maynard (Paris, Augustin Courbé, 1646, in‑4o de 384 pages).

V. notes :

Maynard mourut quatre ans après Richelieu, mais je n’ai pas vu dans ses Œuvres les « vers [peut-être anonymes] qu’il fit contre lui sous la régence de la reine Anne d’Autriche » (Moréri).

91.

Crésus fut, au vie s. av. J.‑C., le dernier roi de Lydie (ou Méonie), État situé en Asie Mineure, au centre de l’Anatolie, dont Sardes était la capitale. Sa défaite contre Cyrus le Grand détrôna Crésus qui devint conseiller et favori de son vainqueur, puis de son fils Cambize ii (v. supra note [63]). Cyrus affecta à Crésus les revenus d’une ville proche de la rivière Pactole, dont les sables regorgeaient d’or, ce qui établit la richesse proverbiale du roi déchu.

92.

Bon abrégé du long article élogieux du Moréri sur Pierre Abélard ou Abailard (Le Pallet, près de Nantes 1079-Chalon-sur-Saône 1142), éminent théologien et philosophe, qui fut l’un des fondateurs français de la scolastique (v. note [3], lettre 433). Il doit sa plus grande célébrité à son ardent et fidèle amour pour son élève, Héloïse (vers 1092-1164), nièce du sous-diacre Fulbert, chanoine de Paris, qui fut démis de son bénéfice après l’ignoble forfait perpétré sur la virilité d’Abélard.

La vie singulière d’Abélard et son génie de penseur chrétien, jugé sulfureux et hérétique par la plupart de ses contemporains, ne sont apparus au grand jour qu’avec la parution des :

Petri Abælardi, Sancti Gildasii in Britannia Abbatis, et Heloisæ coniugis eius, quæ postmodum prima cœnobii Paraclitensis Abbatista fuit, Opera, nunc primum ex mms. Codd. eruta in lucem edita, studio ac diligentia Andreæ Quercetani, Turonensis.

[Œuvres de Pierre Abélard, abbé de Saint-Gildas (de Rhuys) en Bretagne, {a} et d’Héloïse, son épouse, qui fut ensuite la première abbesse du couvent du Paraclet. Le travail et la diligence d’Andreas Quercetanus, natif de Touraine, {b} les ont tirées des manuscrits et mises au jour pour la toute première fois]. {c}

Parues à la fin du xviie ou au début du xviiie s., les Lettres et épîtres amoureuses d’Héloïse et d’Abeilard, traduites librement en prose et en vers par MM. de Bussy-Rabutin, Pope, Colardeau, Dorat, G. Dourxigné, C***, Saurin et Mercier {d} ont donné un tour galant à cette histoire, que les romantiques du xixe s. ont exploitée avec grand succès. Les libertins érudits du xviie s. n’en ont pourtant pas fait un modèle louable. Dans l’article qu’il lui a consacré, Bayle a dénigré celui de Moréri {e} et sévèrement fustigé Abélard :

« Comme il avait l’esprit fort subtil, il n’y eut rien dans ses études à quoi il s’appliquât avec autant de succès qu’à la logique. Il voyagea en divers lieux par la seule envie de s’aguerrir dans cette science, disputant partout, lançant de toutes parts des syllogismes et cherchant avec ardeur les occasions de se signaler contre une thèse. Jamais chevalier errant ne chercha avec plus d’avidité les occasions de rompre une lance en l’honneur des dames. […] Il est remarquable qu’il ne fît nul scrupule de son mariage, quoiqu’il fût dans la cléricature et possesseur d’un canonicat. […] Il effrayait les gens par le moyen de cette science, et les foudroyait et terrassait par tant de sortes d’ergoteries qu’il ne les rendait pas moins étonnés que confus. » {f}


  1. Saint-Gildas-de-Rhuys, près de Vannes, dans l’actuel département du Morbihan.

  2. L’historiigraphe André Du Chesne (L’Île-Bouchard 1584-Paris 1640), en collaboration avec François d’Amboise (v. note [13] du Borboniana 6 manuscrit).

  3. Paris, Nicolaus Buon, 1616, in‑4o de 725 pages.

  4. Au Paraclet, sans nom ni date, 2 volumes in‑12.

  5. La note BB de Bayle dresse le « catalogue des erreurs de Moréri ».

  6. Citation de Gabriel Naudé qui a aussi éreinté Abélard aux pages 160‑161 de son Addition à l’histoire de Louis xi (Paris, 1630, v. note [17], lettre 238).

    Dans son article sur François d’Amboise Bayle a aussi rudement critiqué les Opera d’Abélard.


93.

Pour principale source secondaire de son article, le Moréri cite le :

Emundi Figrelii de Statuis illustrium Romanorum. Livre singularis.

[Livre particulier d’Emundus Figrelius {a} sur les Statues des illustres Romains]. {b}

Dans une autre formulation que celle du Moréri, on y lit (début du chapitre vii, page 54) :

Unde tot ornamenta habuerunt Romani, hoc loco breviter quoque indicandum est ; Et quidem certum est magna copia in Italia factas statuas fuisse. Cassiodor. Var. vii. 15. Has primum Thusci in Italia invenisse referuntur, quas amplexa posteritas, pene parem populum urbi dedit, quam Natura procreavit.

[Les Romains ont eu tant d’ornements qu’il me faut ici en dire un mot. Il est bien certain qu’une grande quantité de statues ont été sculptées en Italie ; Cassiodore (Diverses, livre vii, chapitre xv) : {c} « Les Étrusques en furent, dit-on, les premiers inventeurs, et leur postérité cumulée en a garni Rome d’un peuple presque égal à celui que la nature a engendré].


  1. Emundus Figrelius (1622-1675) professa l’histoire à l’Université d’Uppsala puis fut, sous le nom d’Emund Gripenhielm, bibliothécaire chancelier de la cour de Charles xi, roi de Suède (v. note [16], lettre 603), dont il avait été le précepteur.

  2. Stockholm, Johannes Janssonius, 1656, in‑8o de 327 pages.

  3. Cassiodori Opera omnia [Œuvres complètes de Cassiodore] (Paris, 1588, v. notule {b}, note [16] du Patiniana I‑2), Formula ad Præfectum Urbis de architceto faciendo [Édit au préfet de Rome pour nommer un architecte], bas de la page 113 vo.

V. notes :

Figures légendaires romaines de la fin du vie s. av. J.‑C., Horatius Coclès a défendu la ville contre les Étrusques, et le consul Lucius Junius Brutus fut le fondateur de sa République, à la suite du scandale que Sextus, prince du sang royal, provoqua en violant Lucrèce (v. notes [89] supra, et [101] infra).

94.

Poursuivant sur les statues, L’Esprit de Guy Patin en venait à Démétrios de Phalère. Philosophe péripatéticien du iveiiie s. av. J.‑C., disciple d’Aristote et de Théophraste d’Érèse, Dénétrios gouverna Athènes de 317 à 307, puis connut l’exil à Alexandrie, où il mourut en 282. Rien n’est resté du très grand nombre de ses ouvrages, hormis quelques citations.

Le Moréri s’est principalement inspiré de Diogène Laërce (livre v, 75‑82), qui conclut sa vie de Démétrios sur ces quelques Apophtegmes :

« C’est lui qui, ayant entendu que les Athéniens avaient renversé ses effigies, dit : “ mais pas la vertu qui fut cause qu’ils les ont érigées. ” Il disait que les sourcils ne sont pas une partie minime du visage : ils peuvent bel et bien assombrir la vie entière. Non seulement, disait-il, la richesse est aveugle, mais aussi le hasard qui la guide. Autant le fer est puissant à la guerre, autant en politique la force est à la parole. Voyant une fois un jeune homme dissolu, “ Voici, dit-il, un Hermès carré : {a} la traîne, le ventre, le sexe, la barbe. ” Des hommes à la superbe exagérée, il disait qu’il faut prendre la grandeur, mais laisser leur esprit. Les jeunes gens, disait-il, doivent à la maison respecter leurs parents, sur les routes, ceux qui viennent à leur rencontre, et dans la solitude, eux-mêmes. Dans la prospérité les amis ne s’éloignent que s’ils y sont invités ; mais dans le malheur, spontanément. »


  1. Une statue d’Hermès (Mercure) placée à un carrefour : v. la triade 58 du Borboniana manuscrit (note [32]).

95.

Le commentaire misogyne qui suit ce propos sur une des multiples extravagances de l’empereur Héliogabale (v. note [48] du Faux Patiniana II‑5) ne figure pas dans le Moréri.

96.

V. notes :

Sur la bâtardise alléguée de Cardan, Louis Moréri avance exactement ceci :

« Il a lui-même écrit sa vie, où il avoue, au ier chap., que sa mère avait pris plusieurs médicaments pour se faire avorter. {a} Et dans le troisième livre de la Consolation, il reconnaît que le Collège des médecins de Milan ne le voulait pas admettre sur le soupçon qu’on avait qu’il n’était pas légitime. » {b}


  1. Le Hieronymi Cardani de propria vita, liber [Livre de Jérôme Cardan sur sa propre vie] (tome premier, pages 2‑3, des Opera omnia, Lyon, 1663, v. note [8], lettre 749) traite de ses origines.

    • Chapitre ii, Nativitas nostra [Ma naissance] :

      Tentatis, ut audivi, abortivis medicamentis frustra, ortus sum an. m.d.viii. Calend. Octobris, hora noctis prima non exacta, sed paulo magis dimidia besse minore.

      [J’ai vu le jour le 1er octobre 1508, {i} avant une heure du matin, exactement quarante minutes après minuit. Ma mère avait, m’a-t-on dit, vainement pris des médicaments pour essayer d’avorter]. {ii}

    • Chapitre iii, Communia quædam quæ parentibus meis contigere [Quelques généralités sur mes parents] :

      Pater purpura vestiebatur, insolito civitatis more, quamquam capitium nigrum retinuerit, eratque blæsus in loquendo : variorum studiorum amator : ruber, oculis albis et quibus noctu videret ; usque ad extremum vitæ, usu perspiciliorum non opus habuit. In ore illud semper ei erat, Omnis spiritus laudet Dominum, quia ipse est fons omnium virtutum. Iuveni ex vulnere capitis detracta fuerunt ossa, ut absque capitio diu manere non posset. Caruit dentibus omnibus a lv. anno supra. Erat Euclidis operum studiosus, et humeris incurvis : et filius meus natu maior ore, oculis, incessu, humeris, illi simillimus : sed lingua forsan ob ætatem, expeditior. […] Mater fuit iracunda, memoria et ingenio pollens, parvæ staturæ, pinguis, pia.

      [Mon père se vêtait de pourpre, contrairement aux coutumes de la cité, mais respectait celle de porter un chapeau noir. Fort amateur de savoirs divers, il était bègue, roux, avec des yeux clairs qui voyaient la nuit ; jusqu’à la fin de sa vie, il n’a pas eu besoin de lunettes. Il avait toujours ces mots à la bouche : Tout esprit louera le Seigneur, {iii} car il est la source de toutes les vertus. Il ne pouvait rester longtemps sans porter un chapeau car, dans sa jeunesse, une blessure lui avait disloqué les os de la tête. Il avait perdu toutes ses dents dès l’âge de 55 ans. Il étudiait avec grande attention les œuvres d’Euclide et avait les épaules voûtées. Mon fils aîné lui ressemble énormément, pour le visage, les yeux, la démarche, les épaules ; mais, peut-être en raison de son âge moins avancé, il a l’élocution plus déliée. {iv} (…) Ma mère était irascible, intelligente et dotée d’une grande mémoire, elle était de petite taille, replète et pieuse].

    • Chapitre iv, Vitæ ab initio ad præsentem diem (finem scilicet Octobris, an. 1575) enarratio brevis [Brève relation de ma vie, depuis son commencement jusqu’à ce jour (soit la fin d’octobre 1575)] :

      Sub initio decimi anni domum quasi infaustam pater commutavit, e regione in eadem via : ubi trienno toto mansi ; sed non mutata sors mea, nam rursus pater me ut servum ducebat secum mira pertinacia, ne dicam sævitia, ut divino potius consilio factum, ex his quæ port sequuta sunt credas quam patris culpa : tum maxime quod mater, et matertera simul consenserint. Longe tamen mitius mecum egit, nam nepotes duos interim, unum post alium habuit, quorum servitute levior tanto mea facta est, si non irem secum, et minus molesta est sis imul comitaret

      [Au début de ma dixième année, mon père, trouvant sa maison sinistre, déménagea de l’autre côté de la même rue. J’y demeurai trois ans, mais mon sort ne s’en trouva pas changé car mon père, avec étonnante obstination, pour ne pas parler de cruauté, continua à me traiter en esclave, et la suite vous portera à croire que ce fut plutôt par un effet de la volonté divine que par la faute de mon père ; et ce tout particulièrement parce que ma mère et ma tante, sa sœur, se sont alliées à lui].

      1. À Pavie, mais tous les biographes de Cardan l’y font naître le 24 septembre 1501 : sans la résoudre, Bayle s’est interrogé sur cette discordance manifeste dans sa note A sur Cardan.

        Cardan continue sa Vita en décrivant longuement la configuration du ciel à la date très ultérieure qu’il donne pour celle de sa naissance : peut-être l’a-t-il sciemment modifiée pour l’adapter à ses impénétrables rêveries astrologiques.

      2. La mère de Cardan se nommait Clara Micheria. Son père, le jurisconsulte Facio Cardano, mourut en 1524 âgé de 80 ans. Bien des auteurs se sont interrogés sur leur ménage, sans trouver de preuve formelle qu’ils se soient jamais mariés, bien qu’ils aient vécu longtemps sous le même toit.

      3. Psaumes, 150:6.

      4. V. note [4], lettre 109, pour Giovanni Battista Cardano, fils aîné de Jérôme.

  2. Le gros livre de Cardan de Utilitate ex adversis capienda [sur le Profit à tirer des infortunes] {i} parle en plusieurs endroits de son exclusion du Collège médical de Milan, mais je n’y ai pas lu qu’il la liait clairement à l’illégitimité de sa naissance.

    En feuilletant cet ouvrage, mon regard s’est néanmoins attardé sur ce passage du livre ii, chapitre x (pages 281‑282), De Veneris Impotentia [L’Impuissance sexuelle] : {ii}

    Fateor ingenue hoc unum mihi malorum fuisse gravissimum. Non servitus paterna, non paupertas, non morbi, non inimicitiæ, lites, injuriæ civium, repulsa medicorum, falsæ calumniæ, infinitaque illa malorum congeries me ad desperationem, vitæ odium, voluptatum contemtum, tristiamque perpetuam adigere potuerunt : hoc unum certe potuit. […] Anno trigesimo inchoante pernitiosa illa tabe laborare cœpi, inops, sine fratribus aut sororibus, anu matre, extra patriam a collegio medicorum rejectus, cumque multis inimicis atque potentibus affinium litibus involutus. Verum ita prostrato Deus voluit ostendere, quam ipsi deberem. Præter spem enim, liberatus tabe, post septem menses statim et hoc vinculo sum solutus, sic ut ne vestigium remanserit, quin aliquando, quam deceret, pronior essem ad venerem, et quam mihi utile.

    [J’avoue ingénument que ce fut le plus pénible de tous mes maux. Ni la tyrannie de mon père, ni la pauvreté, ni les maladies, ni les inimitiés, ni les procès, ni les insultes de mes concitoyens, ni le rejet des médecins, ni les fausses calomnies, ni cette accumulation infinie de malheurs n’ont pu me pousser au désespoir, à la haine de la vie, au mépris des plaisirs, et à la tristesse perpétuelle ; mais cette impuissance y est bel et bien parvenue. (…) En entrant dans ma trente et unième année d’âge, j’ai commencé à souffrir de ce fléau qu’est le dénûment : sans frères ni sœurs, avec une vieille mère, loin de ma patrie, {iii} rejeté par le Collège des médecins, et engagé dans des procès avec de nombreux ennemis et de puissants membres de ma famille ; c’est néanmoins dans cette prostration que Dieu a voulu me montrer à quel point je lui étais redevable. En effet, contre toute espérance, au septième mois de cette année-là, je fus subitement libéré de ma déliquescence, et délivré de cette entrave, qui ne laissa aucune trace, sauf à être parfois plus assidu à l’amour charnel qu’il ne convenait, et ce bien inutilement pour moi].

    1. Bâle, 1561, v. note [30], lettre 6.

    2. Cardan décrit sans ambages l’impuissance qui l’a affligé entre les âges de 20 et 30 ans.

    3. À Milan.

Antoine Teissier (v. note [12] du Faux Patiniana II‑2) a poussé l’interprétation plus loin encore dans son addition à l’éloge de de Thou sur Cardan (Genève, 1683, page 495) :

« Il a voulu faire croire au public que celle qui l’avait engendré était une putain, commençant l’histoire de sa vie par décrire l’action criminelle de sa mère, qui avait fait tout ce qu’elle avait pu pour se blesser étant enceinte de lui. »

Sans rejeter la bâtardise, Bayle a été plus circonspect dans sa note B sur Cardan.

97.

La famille de Dormans, originaire de la petite ville champenoise de même nom (v. note [3], lettre 317), s’illustra en France aux xive et xve s. (Popoff, no 2551) ; mais L’Esprit de Guy Patin a commis quelques erreurs dans sa transcription du Moréri.

98.

Neveu du pape Sixte iv (1471-1484, v. note [39] du Naudæana 2), Giuliano della Rovere (1443-1513), nommé cardinal en 1471, fut ensuite titulaire de plusieurs évêchés (Carpentras, Lausanne, Viviers), puis archevêque d’Avignon (1474), avant d’être élu pape en 1503, sous le nom de Jules ii. Le Moréri cite en référence la Continuation des Annales ecclésiastiques de Baronius par Henri de Sponde, où on lit ce propos sur l’élection de ce pape, tome ii, année 1503, pages 682‑683 : {a}

« Or, d’autant que la ville de Rome était troublée, après le décès du pape Pie, {b} par les divisions entre le duc de Valence et les Ursins, l’élection de son successeur fut résolue, selon Guichardin, {c} hors du conclave, pource que Julien Rovere était si puissant en amis et en richesses que, personne n’osant s’opposer à sa promotion, il fut assuré d’être pape auparavant que d’entrer dans le conclave et qu’il fût fermé, à savoir la dernière nuit d’octobre ; ensuite de quoi, il prit le nom de Jules, iie du nom, non point pour l’amour de Jules premier, qui était doué d’un esprit doux et pacifique, mais de Jules César, excellent capitaine qu’il se proposait d’imiter ; sur quoi, on remarque que depuis la naissance de Jules César jusqu’au pontificat de Jules, il y a eu justement 1 600 ans entiers. {d} Il prit pour devise Le Seigneur sera mon aide, je ne craindrai point ce que l’homme me fera. L’on tient que pour paraître plus effroyable, il porta la barbe longue, contre l’ordinaire des papes ; peut-être était-ce pour se rendre plus vénérable, il paraît toutefois par ses médailles que ce ne fut pas au commencement de son pontificat. »


  1. Traduction française, Paris, 1654, v. notule {a}, note [4] du Patiniana I‑4.

  2. Pie iii, pape du 22 septembre au 18 octobre 1503.

  3. Francesco Guiccardini, v. note [14], lettre 816.

  4. Calcul approximatif si l’on retient 100 av. J.‑C. pour l’année où naquit Jules César.

    L’« imitation » {i} d’Alexandre vi {ii} est une erreur du Moréri, reprise par L’Esprit de Guy Patin, car c’est sur l’élection de l’antipape Alexandre v {iii} que Sponde a écrit : {iv}

    « Il avait 70 ans quand il fut élu […], il prit le nom d’Alexandre v, et justement, puisqu’en libéralité et grandeur de courage on le peut comparer à Alexandre le Grand, et à tout autre excellent prince. »

    1. « Émulation » dans le Moréri.

    2. Rodrigo Borgia, 1492-1503, v. note [19], lettre 113.

    3. Le Crétois Pierre Phylargis, pape de 1409 à 1410.

    4. Ibid. année 1409, page 142.

Après avoir été leur ami et protégé, le belliqueux Jules ii mit grande énergie à chasser les Français d’Italie ; ce qui advint paradoxalement après leur victoire de Ravenne en Romagne (11 avril 1512), quand le roi Louis xii constata que son armée épuisée était incapable de prolonger l’occupation de la Lombardie.

V. note [22], lettre 467, pour le sanctuaire marial de Lorette (Loreto) dans la province d’Ancône.

99.

Lotario dei conti di Segni (Segni, près de Rome vers 1160-Pérouse 1216), neveu du pape Clément iii (1187-1191), fut nommé cardinal diacre en 1190, puis élu pape en janvier 1198 sous le nom d’Innocent  iii, et ordonné prêtre le mois suivant.

100.

Le Moréri a dit à peu près tout ce qui est connu de Léène ou Leæna (la Lionne, Λεαινα), courtisane athénienne héroïque du vie s. av. J.‑C., en citant un propos de Pline l’Ancien sur les statues admirables de l’Antiquité (Histoire naturelle, livre xxxiv, chapitre xix, Littré Pli, volume 2, pages 440‑441) :

Amphicrates Leæna laudatur. Scortum hæc, lyræ cantu familiaris Harmodio et Aristogitoni, consilia eorum de tyrannicidio, usque ad mortem excruciata a tyrannis, non prodidit. Quamobrem Athenienses et honorem habere ei volentes, nec tamen scortum celebrasse, animal nominis eius fecere : atque ut intellegeretur causa honoris, in opere linguam addi ab artifice vetuerunt.

« On estime La Lionne d’Amphicrate : {a} une courtisane appelée la Lionne, que son habileté à jouer de la lyre avait mise dans l’intimité d’Harmodius et d’Aristogiton, {b} souffrit la torture jusqu’à la mort, sans révéler leur complot de tuer les tyrans. Les Athéniens, voulant l’honorer sans cependant rendre un tel hommage à une courtisane, firent exécuter la figure de l’animal dont elle portait le nom, et, pour signifier l’idée du monument, ils ordonnèrent que cette lionne fût représentée sans langue. »


  1. Sculpteur athénien du vieve s. av. J.‑C.

  2. Aristogiton et Harmodius (Harmodios), son ami, engagés dans un conflit d’honneur avec le tyran athénien Hipparque, fils de Pisistrate (v. notule {e}, note [11] du Faux Patiniana II‑1), l’ont assassiné en 514 av. J.‑C. Punis de mort, ils figurent parmi les héros de la Grèce antique, sous le nom de tyrannoctones (τυρρανοκτονοι, tyrannicides).

    Le Moréri, comme certains historiens grecs qu’il cite en référence (Hérodote, Thucydide), les rattache aux alcméonides, descendants d’Alcméon (défiguré en Alenteon par L’Esprit de Guy Patin), treizième et dernier archonte perpétuel d’Athènes au viiie s. av. J.‑C.


Tertullien a loué l’abnégation de Leæna (Ad Martyras [Aux Martyrs], chapitre iv, § 7) :

Itaque cessit carnifici meretrix Atheniensis ? Quæ conscia coniurationis cum propterea torqueretur a tyranno, et non prodidit coniuratos et novissime linguam suam comestam in faciem tyranni exspuit, ut nihil agere in se sciret tormenta, etsi ultra perseverarent.

[A-t-elle donc cédé au bourreau, la courtisane d’Athènes, qui, plutôt que de révéler le nom des complices, broya sa langue sous ses dents et la cracha au visage du tyran {a} qui essayait par les supplices de lui arracher son secret, afin de lui apprendre par là qu’il aurait beau prolonger les tortures, il n’y gagnerait pas davantage ?]


  1. V. supra note [65] pour Anaxarque qui procéda de la même manière face à Nicocéron.

101.

« Si, Lucrèce, tu pris plaisir à l’adultère, tu as tort d’en réclamer la mort pour juste récompense. S’il s’agit plutôt, au contraire, d’une violence portée contre ta chaste pudeur, quelle est alors cette folie qui te fait vouloir mourir pour le crime d’un ennemi ? Tu recherches donc vainement la louange, car soit tu t’égares, comme insensée, soit tu succombes, comme criminelle. »

102.

Léonidas ier, roi de Sparte de 489 à 480 av. J.‑C. a été le héros de la bataille des Thermopyles, la plus célèbre de l’Antiquité grecque : menée contre les armées dirigées par Xerxès ier, roi des Perses, elle eut lieu à l’entrée du défilé des Thermopyles, étroit passage jouxtant le profond golfe Maliaque au pied de la montagne du Pinde, au nord-ouest d’Athènes. Le sacrifice héroïque de Léonidas et de ses 300 Spartiates n’arrêta pas la marche des ennemis, mais fut le prélude à la bataille de Salamine qui permit aux Grecs de chasser l’envahisseur.

V. notes [9], lettre 138, pour la déesse Fortune, et [47] supra pour la déesse Vertu.

103.

Controverses de Sénèque l’Ancien, {a} livre vii, addition à la quatrième controverse :

Calvus, qui diu cum Cicerone iniquissimam litem de principatu eloquentiæ habuit, usque adeo violentus actor et concitatus fuit, ut in media actione ejus surgeret Vatinius reus, et exclamaret : “ Rogo vos, judices, num si iste disertus est, ideo me damnari oportet ”.

[Calvus, {b} qui disputa longuement et très injustement la palme de l’éloquence à Cicéron, était si chaud et véhément avocat qu’au beau milieu d’une de ses plaidoiries, Vatinius, l’accusé, se leva et s’exclama : « Juges, je vous demande si la faconde de cet homme vous donne une raison pour me condamner ! »] {c}


  1. Dit le Rhéteur, v. note [22] du Naudæana 4.

  2. Caius Licinius Macer Calvus (vers 82-47 av. J.‑C.), poète et orateur romain, rival de Cicéron en talent, était le fils de Caius Licinius Macer, historien (et non poète).

  3. Le poème liii de Catulle est intitulé Ad Caium Licinium Calvum [À (mon ami) Caius Licinius Calvus] :

    Risi nescio quem modo e corona,
    qui, cum mirifice Vatiniana
    meus crimina Calvus explicasset
    admirans ait hæc manusque tollens,
    “ Di magni, salaputtium disertum ! ”

    [J’ai bien ri quand, tandis que, mon cher Calvus, tu exposais merveilleusement les forfaits de Vatinius, je ne sais qui dans l’auditoire, admirant tes paroles et levant les mains, a dit : « Grands dieux, que ce nabot est éloquent ! »]

    Louis Moréri a aussi cité fort à propos ces autres vers de Catulle à Calvus qui lui avait donné à lire les œuvres de mauvais poètes (iv, 1‑3) :

    Nei te plus oculis meis amarem,
    iucundissime Calve, munere isto
    odissem te odio Vatiniano
    .

    [Si je ne t’aimais plus que mes yeux, délicieux Calvus, pour prix d’un pareil présent, je te haïrais d’une haine vatinienne].

    V. note [17], lettre 315, pour Vatinius, suppôt de Jules César, et pour la « haine vatinienne » qu’il inspirait à ses adversaires.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Ana de Guy Patin : L’Esprit de Guy Patin (1709), Faux Patiniana II-7

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(Consulté le 16/04/2024)

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