Quæstio medica,
cardinalitis disputationibus mane discutienda in Scholis medicorum die Jovis xiv. Martii,
M. Guidone Patin, Doctore Medico, et Chirurgiæ Professore, Præside.
Estne longæ ac iucundæ vitæ tuta certaque Sobrietas ? [1][1][2]
Article i [Texte latin]
« Tous veulent vivre longtemps et agréablement ; mais pour y parvenir, presque tous sont affligés de myopie quant à ce qui procure une telle existence ; à tel point qu’il n’y a pas de question plus ardue que la science de vivre correctement. Presque personne ne vit bien et longtemps, hormis tous ceux qui veillent à appliquer correctement et longtemps un petit nombre de moyens assurant l’intégrité de tout un chacun. L’isthme de cette vie est vraiment très court, et comme le passage d’une ombre ; [2][3] mais plus souvent par notre faute que par celle de la Nature. Elle exige légitimement son dû, que ce soit soit tôt pour certains, ou tard pour d’autres. Elle est tantôt bienveillante, tantôt sévère : à l’instar du juge décidant de châtier d’abord ceux dont la faute a été la plus vénielle, elle condamne à une mort prématurée quantité de parfaits innocents, avant qu’ils n’aient commencé à vivre, au moment même où ils s’y disposaient, [3][4] sans rien leur permettre que de voir le jour ; elle interrompt la course d’autres en la fleur de leur âge ; elle mène le reste jusqu’à l’extrême vieillesse, mais, si long soit-il, leur parcours ne compte que peu d’années. Il a certes duré tant qu’il a pu, mais à nos yeux, il paraît s’être écoulé rapidement, car il s’use en égarements : [4][5] on le passe à ne rien faire, à faire autre chose, ou à mal faire. [5][6] Chacun répugne distribuer ses biens à autrui, quand la seule avarice honorable est celle du temps dont on dispose, mais nous gaspillons notre vie presque entière à faire n’importe quoi ; et quand vient la fin, après l’avoir ainsi dissipée, nous voilà qui devenons prévoyants, nous méditons sur la fraction qui nous en reste et déplorons sa brièveté. Elle sera suffisamment longue si elle est tout entière bien employée, [6] si nous en avons confié plus que des miettes à de salubres conseils. Comment se fait-il que nous passions le plus clair du temps à trahir notre propre salut, et à nous ruiner la santé par la pire sorte de nourriture ? À la fois dociles et pervers, nous nous poussons mutuellement au vice ; [7] et dans cette folie qui nous est commune, nous nous perdons à suivre, sur l’exemple des autres et à la manière du bétail, les premiers à s’être engagés sur le mauvais chemin, car c’est par où on veut aller, et non par où il faut aller qu’il convient de passer. [8][7] Voilà pourquoi peu de gens jouissent d’une longue vie, et bien moins encore d’une agréable vie. En sont fort éloignés ceux dont les maladies sont les assidues compagnes, car ils traînent une âme misérable qui tire derrière elle, jour après jour, souffrance après souffrance. Nous ne savons compter le nombre de ceux pour qui la félicité n’est que déguisement, qui trouvent nécessaire de sembler heureux au milieu des chagrins qui leur rongent le cœur. [9] Si on ouvrait les cœurs des tyrans, que de coups et de déchirures ne pourrait-on y voir ! Comme le corps par le fouet, l’esprit est dilacéré par la violence, la débauche, le désir de vengeance, les mauvais desseins. [10][8] Que de gens sont profondément malheureux pour la seule raison qu’ils craignent constamment de le devenir un jour ! À ce troupeau appartiennent ceux qui, exhalant tous les parfums d’Arabie, cousus d’or et d’argent, aussi décorés que l’extérieur de leurs murailles, [11][9] ne possèdent pas, à l’intérieur, la moindre once d’esprit sain. Tout un chacun ne trouve-t-il pas sage de dire heureux ceux qu’une agitation stérile tient en haleine, et ceux qu’absorbe une molle tranquillité, comme sur une mer d’huile, ou le loisir de faire ce qu’ils veulent ? La paix du corps et de l’esprit procure certainement une riante et excellente raison de vivre. Pourtant, quant aux biens du corps, la condition d’une tête de bétail ne se mesure-t-elle pas autrement mieux que celle d’un homme ? Dénuée et privée de raison, la vie des mouches et des vers est un bien, [12] mais celle de l’homme en est un s’il est en bonne santé et s’il pense droit. De fait, nous ne vivons vraiment et agréablement que si, exempts de tout désagrément du corps, nous travaillons à acquérir une bonne intelligence : malade est celui qui, jouissant d’un corps solide, est moins valide d’esprit. La santé est donc parfaite seulement quand ces deux parties sont à égalité, comme deux chevaux attelés à un char, sans qu’aucun ne s’appuie sur l’autre. Bien que la possession d’un si grand bien soit aussi rare que fugace, a-t-on tort de juger qu’une vie sans but est brève et ingrate ? »
Article ii [Texte latin]
« Nous courons pour fuir le destin, mais nul ne lui échappe, bien qu’il saisisse les uns tôt, les autres plus tard. Personne ne s’oppose impunément à lui : même ceux qui ont soumis les peuples à grand fracas lui tendent à regret le cou. [10] Certes, nous naissons tous de manière semblable, mais nous affrontons la mort de façon dissemblable, tout autant qu’à des âges inégaux. Beaucoup s’en vont avant la maturité, mais peu hors des exigences de la nature. Nul ne vit au delà du temps imparti, [13][11] et nul n’a jamais, par faveur ou par artifice, retardé le terme fixé pour chacun. Esculape [12] en personne ne saurait pas même y ajouter un instant, sans parler d’un chimiste [13] vendeur de fumée avec son or potable (comptable) [14][14] Souvent pourtant les conseils d’un sage médecin retarderont la date du trépas, que hâte une erreur de régime. À qui veut jouir d’une très longue durée de vie, il faut un sang pur et un corps irrigué par une abondante chaleur native, bien tempérée par l’humide radical. [15][15] La riche conjonction de ces deux qualités ne garantit pourtant pas à tout homme de vivre extrêmement longtemps, bien qu’il lui appartienne entièrement d’empêcher cette salutaire humeur de se corrompre profondément ou de s’engorger. Parce qu’elle est le moindre de nos soucis, la mort s’avance en général à pas de loup et avant l’heure, elle est partout en embuscade, tant pour les jeunes qui quittent le port que pour les vieillards qui s’en rapprochent. Maints malheurs nous entourent en permanence, ils œuvrent pour elle et nous entraînent de-ci de-là, comme ballottés par les flots que secouent les ouragans du grand large. [16][16] La débilité innée n’y prend pas une part négligeable, car elle nous expose à toutes sortes d’accidents : le froid, la chaleur, le labeur nous offensent ; en revanche, l’inaction et l’oisiveté suffisent à nous anéantir. Nous ne tolérons pas tous les climats ; la faim et la soif nous menacent si nous n’y remédions pas promptement ; le défaut comme l’excès de boisson et de nourriture nous brisent ; le goût, l’odorat, l’éveil, le sommeil, etc., sont indispensables à la vie, mais il n’est pas rare qu’ils soient mortifères. Il est surprenant que l’homme supporte une telle accumulation de dommages, quand il peine à n’en supporter qu’un à la fois. Il s’agit de nous en tirer sains et saufs quand la tempérance ne nous a pas préservés en nous modérant ; mais qui jamais n’est séduit par les doux attraits de la volupté, [17][17] ou anéanti par un quelconque accident ? Un animal venimeux tue sur l’instant certains imprudents ; cet autre succombe, imprégné de vinaigre italien ; [18][18][19] ceux-ci sont emportés par la mer, ceux-là par la foudre ou par un éboulement ; des quantités meurent à la guerre, et ceux qui ont survécu aux batailles sont écrasés par leur maison, brûlés dans les incendies. Le jour et le lieu de la mort, qui est certaine, sont à ce point incertains que, pour l’éviter à toute heure, l’homme n’est jamais suffisamment sur ses gardes. À tant de causes si diverses de mort prématurée, s’ajoutent les maladies : bien plus fréquentes, elles sont dans la plupart des cas engendrées par nos propres vices. Quand par hasard elles ne nous ont pas tués, elles sont suivies d’affaiblissement et diminuent le nombre des années qui nous restent. Si une d’elles nous affecte intimement, nous courons sottement vers d’autres gens, chez qui on promet à chacun la vie pour de l’argent, [19][20][21] et où, la plupart du temps, c’est la mort qu’on achète à grand prix : les étiquettes des boîtes donnent le nom de remèdes, mais elles contiennent des poisons, ou peut-être souvent rien d’autre que de la crotte de souris. Quand la bourse qu’ils ont vidée chez ceux-là n’a pas atténué leur mal, vous verrez les malades caresser les genoux des médecins, très sérieusement résolus à dépenser tous leurs biens pour vivre et être soustraits au gibet de la mort, puis s’exposer sans relâche à de nouvelles souffrances [20][22] Une seule chaîne nous tient ici-bas liés les uns aux autres, c’est l’amour de la vie. [21] Pourtant, si la vie n’est rien d’autre qu’un mot, c’est en revanche et en réalité un pénible labeur, ou une lente mort, elle a bien plus le goût de l’aloès [23] que du miel. L’homme ne dispose-t-il vraiment de rien qui puisse balayer ces désagréments ? Nous en détournerions certes une grande partie et ne mendierions pas, par de honteux vœux pieux, une prolongation de quelques années, ou même quelques jours, si nous nous appliquions à prévenir les maladies, tout autant qu’à terrasser celles qui nous accablent ; mais une telle négligence de la santé nous possède que nous ne savons rien faire d’autre que la ruiner. Tu peineras à recouvrer celle que tu as perdue, même en ajoutant de l’argent à tes prières, mais il existe un chemin aisé et fort court pour conserver celle dont tu jouis à présent, pourvu que tu t’y engages sous de bons auspices. Toute l’affaire se résume au point qui suit. »
Article iii [Texte latin]
« Tu veux faire ton bonheur : sois frugal et sobre. Apprends que la plus grande maxime de l’art est de manger quand tu as faim. Fuis la diversité des vins [24] et les mets variés qui stimulent et flattent l’appétit, comme par enchantement. [22][25] Emploie le boire et le manger comme le viatique de ton existence, tout comme de ton trépas, et non pas comme de quoi remplir un récipient. Que ta main soit parcimonieuse, pour ne prendre que ce qui est suffisant, et que la modération des aliments te rende plus heureux que leur consommation. Le plus grand des biens est d’être privé de nourriture, au plus près du minimum indispensable. La plus salubre façon de vivre est de se conformer à la nature : elle demande peu, mais ce que désire l’opinion est sans limites. [23][26] C’est folie d’en désirer tant quand tu possèdes si peu. [24][27] Songe à quel point ton corps est petit : bien que l’intelligence le rende plus grand, elle n’en fera pas un géant. Nous avons souvent l’appétit plus gros que le ventre. [25] Du pain avec du sel l’apaisera quand il aboie, une collation l’aura calmé quand il gronde ; [26] s’il est bien éduqué, il ne sera pas un fâcheux trouble-fête, [27][28] un rien le fera taire, si tu lui donnes ce que tu dois, et non ce que tu peux, sinon il réclame tout ; s’il obéit mal, il te faut devenir sa marâtre, [28] car presque la seule faute à commettre est d’être clément à son égard. Ceci est l’unique et plus éminent précepte des médecins, qui te permettra de te passer d’eux : pour son maître, une bouche qui supporte d’être gouvernée vaut cent médecins. [29][29] Qu’on change une seule virgule à cette sentence quasi divine, et advient, finalement et dans tout son éclat, cette vieillesse que nul n’appelle de ses vœux, même malveillants : celle que proclament repousser les menteurs et les crédules, tout autant que les souffleurs chimistes, avec leurs tout-puissants artifices, leurs panacées, [30] leurs pantomimes, et autres herbes hermétiques, huiles incombustibles ou liqueurs énergiques. [30][31] Jamais le moly d’Homère, [32] le théômbrôtion [33] de Pline ou le dôdécathéos [31][34][35] n’ont égalé la puissance du précepte que j’ai énoncé : les maladies n’auront aucune prise sur celui qui ne se sera rien autorisé par delà ce que recommande la sobriété. Il n’est nul besoin d’avaler toutes ces pilules, de laper tous ces sirops et de vider presque toutes les pharmacies pour que la dégoûtante saburre des humeurs, fille de la gloutonnerie et mère des maladies, soit évacuée par le kermès de Cnide, [36] l’ellébore, [37] la scammonée, [38] l’antimoine (monstre diabolique parmi les remèdes) [32][39] et autres médicaments insensés, exotiques et souvent frelatés ; nous devrions plutôt en purger nos ordonnances, que les employer à nous purger le corps sans péril. [40] Ces remèdes sont propres aux intempérants qui, sachant bien qu’on troue les draps de lin aussitôt qu’on les lave avec du savon et du salpêtre, pensent qu’en avalant souvent des cathartiques [41] ils se nettoient promptement le ventre. Qui vit sobrement, sauf peut-être si sa naissance l’y a autrement destiné et si certaines de ses parties sont mal conformées, sera à l’abri de toute maladie et de toute corruption des humeurs, tant et si bien que jamais il ne manquera de remèdes. Si un coup le blesse, sa plaie n’ulcérera pas, mais cicatrisera toute seule et rapidement ; la peste elle-même, la reine des maladies, quel que puisse être son acharnement à tuer, respectera son excellence, comme elle s’inclina jadis à Athènes devant la tempérance et la quasi-divinité de Socrate. [33][42][43][44] Il va de soi que la vivacité de l’air, du lieu, du froid, du chaud et des causes externes s’affaiblit profondément quand ce que mangent et boivent les habitants ne procure aucune aide à l’ennemi. Mieux encore, sous l’empire d’un état paisible du corps, ce qui charme les sens procure un plus grand plaisir et paraît plus délicieux. Une mer calme est propice à l’éclosion des alcyons, [45] comme une bonne santé l’est à celle de la volupté. [34] Bien plus encore que le corps, l’âme tire grand profit d’une alimentation fort parcimonieuse. Une intelligence acérée fuit un gros ventre, et s’allie plus volontiers à un corps un peu mieux proportionné. Telle une étoile dans un ciel clair, l’esprit brille dans un corps svelte ; moins aussi il a de connivence avec le corps, moins il est habité par le vice. Un cœur paisible et maître de lui-même n’est pas troublé par la colère, n’agite pas de querelles, ne trame pas de révoltes ; il ne brûle pas d’assouvir ses envies ; la nourriture qu’il supporte n’est pesante ni pour son corps ni pour ses biens ; les voluptés ne le consument pas de feux dont il aurait à rougir. [35] Celui qui goûte à peine aux banquets sait imposer silence à son estomac en révolte. C’est à du pain, et non à des aliments sophistiqués, que songe une faim vraiment amie de la chasteté. [36] Les anachorètes chrétiens [46] (comme furent les Esséniens [47] en Palestine, peuple éternel chez qui pourtant nul ne naît) [37][48] veillaient jadis à la pureté de leurs mœurs par une alimentation simple, pour demeurer en bonne santé jusqu’à même atteindre l’âge de cent ans : le pain ou la datte du palmier, qui leur fournissait aussi de quoi se vêtir, composait leurs repas ; ils considéraient comme des gourmandises ce qui se mange chaud ou cuit ; ils buvaient de l’eau fraîche tirée de la source la plus proche ; ils se tenaient aussi éloignés du vin que des villes. Par la grâce de Dieu, les tout premiers tenants de cette frugalité et leurs successeurs vivaient quatre-vingt-dix ans, dans l’ignorance de la viande comme de la fourberie, mais satisfaits de ce que la Nature leur concédait d’elle-même ; nul en effet n’était encore contraint de répandre son propre sang pour ceux qui en sont altérés. [38][49] Avec la si rigoureuse et persévérante abstinence qui produisait ces anciens, dont les entrailles étaient presque d’érable et d’airain, nous irions vers le déclin d’un monde, où notre âge décrépit voudrait être traité plus mollement : [39] nous aimons tant notre intempérance que nous préférons l’excuser que la secouer, et c’est ainsi que le gosier tuerait plus de gens que le glaive. » [40]
Article iv [Texte latin]
« Dans la manière de se nourrir, qui ne sait tenir le juste milieu est en proie à la maladie et au vice. De même qu’une éducation relâchée ruine profondément les ressources de l’esprit et du corps, une frugalité trop stricte diminue l’entrain de l’un comme de l’autre : ainsi, pour apaiser leur faim, quelques-uns mènent une pénible vie de mulet [41][50] et se glorifient de ne pas dépenser un sou pour se nourrir. Priser la crasse, détester les plus simples raffinements, se nourrir de mets aussi dégoûtants que répugnants : voilà le propre de celui qui n’a jamais sacrifié aux Grâces. [42][51][52] Poursuivre avec ardeur les voluptés est luxure, mais fuir ce que l’usage a consacré et qui ne coûte guère est folie. Exigeons de nous la frugalité et non la mortification. [43] Que ta table soit belle mais chiche, et qu’un ami en soit le principal condiment : avec lui tu irrigueras et épanouiras l’amitié, qui est moins convive du ventre que de l’esprit. [44] Nourris-toi de pain : celui du vulgaire si tu n’en as pas d’autre, celui des maîtres si tu peux te le permettre. [45][53][54] Quant aux aliments que tu sers à ta table, qu’ils ne soient pas, s’il te plaît, ceux que prise l’opinion des hommes, [23] qu’artifice ou volupté a corrompue, mais ceux qui sont bien plus amis de ton estomac que de ton palais : ils ne manqueront pas d’agrément, pourvu que les condiments spartiates [55] n’y fassent pas défaut, bien plus salubres que ceux qu’on fait venir des Indes. [46] Qui a faim ne méprise rien, l’appétit n’est pas prétentieux, il te recommandera tout ce que tu devras prendre. Tu veux être mieux disposé de corps et d’esprit, tu veux garder raison et échapper à tout furieux mélange : [22] bois donc de l’eau ! [56] C’est l’aliment de la sagesse : l’eau nourrit, elle aide la digestion, elle vivifie les sens, aiguise le jugement, clarifie l’esprit et le dispose à l’étude ; si bien qu’elle est ce qu’il y a de meilleur pour les animaux, et même pour tous les êtres vivants, y compris pour les humains de quelque âge, sexe ou tempérament qu’ils soient. Le vin est le ciment d’un festin, le lait de l’amour charnel, la semence de la gaieté ; rien n’est plus agréable, la Nature n’a rien donné de meilleur aux hommes ; [47][57][58][59] on en boit par plaisir, et non par nécessité, c’est pourtant un fourbe lutteur, qui s’en prend d’abord au foie, [60] ensuite à la tête et aux pieds ; [48][61][62][63] sa couleur est rutilante, mais aussitôt il mord comme un serpent, et tel le basilic, [64] il répand son venin par tout le corps. [49][65] Les rois, tout autant que les autres hommes, font mieux de n’en pas abuser, s’ils doivent rester maîtres d’eux-mêmes. Certains pensent qu’il exalte l’esprit : sobres, ils sont timides et comme figés, mais s’ils viennent à trinquer, les voilà semblables à des statues de Jupiter cramoisi, [66][67] ils s’évaporent à la manière de l’encens que la chaleur a saisi. [50][68] Le vin pur [69] est le plus scélérat, plus il est fort et plus il est nocif : c’est un miel pour le palais, et un fiel pour la tête ; il a bon goût, il chauffe le ventre, il enfume la tête, mais il finit par attaquer à la gorge ceux qui l’aiment excessivement. [51][70][71] Alors que les plus robustes peinent à le supporter, il est étonnant de voir que certains médecins bafouent ce qu’autorise la Faculté, tant par ignorance que par impudence : ça n’est pas assez qu’à lui tout seul il fasse du tort aux malades, ils le leur font boire imprégné de vénéneux antimoine ; [72] et, Dieu me pardonne, aux remèdes de ceux que la puissance du destin a épargnés, ils mêlent deux poisons, comme si leur combinaison les rendait secourables ; [73] quelles mœurs, quelle époque ! [52][74] La jeune fille qui quittera les nymphes pour l’amour de Bacchus [75] te donne la marque certaine d’une virginité qui va s’envoler sous peu ; [53] et celle qui a abandonné la fleur de sa jeunesse au mari [54][76] est d’autant moins chaste qu’elle s’adonne fort au vin. Même dilué, tu n’en donneras ni aux nourrissons ni aux enfants. À mesure qu’ils avancent en âge, les vieillards le mouillent de plus en plus, et ne boivent plus que de l’eau quand ils approchent de la fin. Il intoxique agréablement les adolescents et les jeunes hommes ; mais quand ils en boivent trop libéralement, leurs entrailles, comme enflammées par les torches qu’elles ont approchées, bouillonnent du feu volcanique de l’amour ; alors, le délicieux méfait semble agréable, les yeux, qui expriment et perçoivent le désir, s’égarent, prêts à s’envoler vers toutes sortes de lascivetés, les mains les plus hardies enfreignent toutes les lois de la pudeur ; [55] alors, quand la furie incendie le foie, [77] la passion se rue à sa guise ; et ils ne font jamais cela furtivement, mais ouvertement, et nulle nuit n’est assez sombre pour les cacher ; [78] le pas qui mène de Liber pater [79] à Vénus, [80] qui brise les reins, [81] est si précipité [82] qu’il faut les dompter en leur interdisant purement et simplement le vin pour châtiment de leur gloutonnerie. [56] Tout le monde observe-t-il vraiment aujourd’hui la loi du régime alimentaire soigneux que les princes des médecins [57][83][84] ont ratifié ? Chacun cherche-t-il déjà à régler sa propre vie ? La sobriété est rare, et une santé solide et constante l’est tout autant, quand une telle cohorte de maladies s’est abattue sur nous parce que ce siècle ne s’est ingénié qu’à faire croître le luxe. [58] Devant un tel étalage de mets, s’il en est un qui ne se laisse emporter au-delà des barrières du strict nécessaire, celui-là est tout à fait remarquable ! [59][85] Le monde entier vénère deux divinités, Edulia et Potina : [86] partout rôdent à présent d’innombrables goinfres, dont le corps est noyé dans la graisse, et l’esprit perdu dans la maigreur. [60] Semblables à l’âne marin, [87] ils ont le cœur dans le ventre : [61][88][89] leurs mains saisissent tout ce qui s’avale, le plus grand de leurs soucis est ce qu’ils mangeront, ce qu’ils boiront, ils rêvent même de nourriture ; ils dévorent comme s’ils avaient un loup dans la panse ; l’indigestion les brise ; repus, ils sont près d’éclater ; ils cherchent des ragoûts [90] pour réveiller la paresse de leur estomac écœuré ; [62] et quand leur bouche est lasse, ils l’inciteraient à mordre encore. D’autres sombrent dans une si profonde hébétude qu’ils sont incapables de se rendre eux-mêmes compte qu’ils mangent : vois comme ils mâchonnent tout d’une dent dédaigneuse, et comment, rebelle, la nourriture s’accumule entre leurs molaires. [63][91] Ceux-là ont besoin d’un cuisinier qui déploie toute son adresse, afin que leur appétit émoussé éprouve quelque sensation de faim capable de leur faire passer au travers du gosier un aliment que la ruse a maquillé ; [64] et ce qu’elle y aura fait entrer sera facilement rendu, non sans quelque arrière-goût de bile. Le ventre ne cause que des souffrances, il est le pire organe du corps : la plus grande partie des mortels vit pour le satisfaire, mais en périt misérablement. Ô monstruosités de la gloutonnerie, hélas ! [65][92] Pour s’alimenter, leur désert suffit aux bêtes sauvages, et une seule forêt, à un tout un troupeau d’éléphants ; mais l’homme se gave de la terre et de la mer ; et pire, il ne se sent pas bien tant qu’il n’a pas accaparé la terre entière pour combler ses délices. On a connu un homme qui, à lui seul, a dépensé en un unique repas le revenu de < trois > provinces, et à qui une table ne semblait pas assez riche s’il n’y couvait pas du regard les animaux venus de tous les pays, pour n’en choisir que les meilleurs morceaux ; à tel point qu’il ne laisse ces bêtes en paix que s’il s’en est dégoûté. [66] La viande de bœuf, d’agneau, de mouton, de chevreau, de veau ne flatte pas le goût si elle n’est arrosée de sauce exotique. [67][93] On traîne sur les tables lièvre, daim, chevreuil, sanglier, cerf et tous les animaux qui sillonnent champs et forêts ; mais aussi tout ce qui vole dans le ciel, oiseaux de Scythie, [94] francolin d’Ionie, perdrix, pintades, [95] dindes, becfigues d’Afrique, bécasses, qu’accompagne très souvent le foie d’oie blanche engraissé par les figues. [68][96][97] Les eaux sont aussi invitées à nous fournir à profusion les poissons qu’elles cachent en leur sein : brochet, rouget-barbet, surmulet, turbot [98] plus que césarien, [69][99] esturgeon qui n’est réservé qu’à peu de gens ; [70][100][101][102] et d’autres, dont le prix tient moins à leur goût qu’à la difficulté de se les procurer, doivent se déposséder de leur chair dans nos ventres pleins. Le naufrage cherche aussi à engloutir les huîtres, qui sont les truffes de la mer ; [71][103][104] et encore ne plaisent-elles que venant du Lucrin. [72][105][106][107] Les champignons suspects ne font pas non plus défaut dans les dîners douteux : on les croit venus des prés, mais à tort car voilà un voluptueux poison qui vous tord les tripes, et que même les rudes intestins des moissonneurs sont incapables de supporter. [73][108][109] Pour ne rien omettre des sacrifices qu’on consent à la gourmandise, une infinité de fruits concluent ces somptueux festins : crus, cuits, confits, dénaturés par quantité de sucre ; [110] pommes adoucies au miel, [111] pain d’épices, friandises miellées, et autres vétilles pesantes pour l’estomac et tout à fait indigestes, engendrent un fâcheux amas de bile [112] et une abondance inouïe d’excréments. La débauche de boisson [113] n’est pas moins effrénée que celle de nourriture. Le froid se conserve pendant les chaleurs estivales et on obtient que dans les mois où elle fond la neige, qui est l’écume des eaux du ciel, reste glacée ; et l’ingéniosité du vice est allée jusqu’à découvrir qu’ainsi l’eau enivre aussi ; mais la plupart des hommes, séduits par l’ébriété, ne conçoivent pas d’autre plaisir qu’elle dans la vie. [74][114][115][116] Peu s’en abstiennent, et on se moquerait presque d’eux ; beaucoup sont des piliers de cabaret et des rameurs de coupes, [117] comme s’ils étaient nés pour gaspiller les vins. Très stupidement, pires que bétail, ils se poussent les uns les autres à boire. Ces hommes, ou plutôt ces amphores, n’appellent-ils pas perdre leur vie, [75] quand, dans de feintes réjouissances, ils passent souvent des jours et des nuits à boire, ajoutant une nouvelle ivresse à celle de la veille, pour, comme ils disent, dissiper la crapule par la crapule ? [76] Cela aide d’avoir la folie drôle et de délirer en plaisantant. [77] Pour ces veillées de Bacchus, par serment de la main droite, ils engagent leur parole que nul ne s’en ira ni ne déposera les étendards, pour tenir et lutter jusqu’à la dernière goutte. [78] Dans ce combat dionysiaque, on dispute à qui boira le plus et on loue pour leur crime ceux qui parviennent à l’emporter ; [79] les derniers de tous à devenir soûls, ceux qui se montrent capables d’ingurgiter le plus de vin, emportent la palme, et la seule chose qui les attriste est d’avoir été vaincus par les tonneaux eux-mêmes. Mais quelle débauche barbare ! quel amour monstrueux et presque incroyable de l’ébriété ! Même les peuples qui n’ont ni vignes ni vin s’enivrent : Indiens, [118] Perses, [119] Messagètes, [80][120] Tartares, [121] Chinois, [122] Américains [123] n’en ont point, mais ils ont découvert certains genres nouveaux de boissons qui induisent l’ivresse ; à tel point que l’ébriété n’est à tenir pour inexistante où que ce soit dans le monde. Pourquoi l’homme, qui est un être sacré et la représentation de Dieu sur Terre, [81][124] se tue-t-il donc à tant boire ? Et souvent étouffé par l’angine de vin, [82][125][126] il part au tombeau, après avoir été tant de fois englouti par d’immenses flots de vin. Il n’y a vraiment rien de bon dans le vin, à part la vérité, car il est une douce torture qui permet de la découvrir. [83] Sinon, il est une source de crimes et de toutes sortes de maux, et le père de quantité de maladies qui, pour la plupart, ont la mort pour seul remède, si l’abstinence n’y a pourvu dès le début. »
Article v [Texte latin]
« Tout va donc bien pour ceux qui placent leurs intérêts hors du gosier, ce très funeste fléau du genre humain : [127] affranchis de la soumission à la pernicieuse gloutonnerie, ils n’accordent à leur corps rien de plus que ce qui suffit à protéger leur santé. La punition suit bien sûr de près le péché d’intempérance : [84] enchaînement continu de maladies, ou mort aussi prématurée que méritée. Ainsi, en récompense de leur frugalité, les gens sobres récoltent-ils une abondante moisson, et y recueillent-ils une véritable vigueur : leur esprit et leur corps montrent qu’ils ont préféré une longue et heureuse santé à la volupté que procurent les délices de la nourriture et de la boisson, laquelle est brève, de funeste issue et sœur de la souffrance. Sur leur visage comme en toute l’habitude de leur corps, reluisent ce teint remarquable, et cette couleur verdoyante et inconnue du vieillard ; [85] leur esprit lui-même est heureux et gai, et semble déverser sa vivacité dans un corps qui jouit pleinement de toutes ses fonctions vitales, sans place pour le chagrin ni pour la souffrance. Tout danger de tomber malades leur est étranger : même si leur hérédité, leur faible constitution ou leur précédente manière de vivre les y a prédisposés, ils y échapperont, car s’y opposeront la salubrité de leurs organes et la conformité de leur régime alimentaire à la règle. [86][128] Pas même la vieillesse, elle qui désagrège tout, ne parvient à les briser, [87][129] et parvenus au port de leurs jours, ils apparaissent parfaitement gaillards : [88] leurs yeux jouissent de la pleine lumière, [130] leurs pieds ne traînent pas sur le sol ; leur ouïe est nette et perçante, leurs dents sont blanches et inébranlables, leur voix est éclatante, et leur corps solide et plein de bon suc ; leurs blancs cheveux contrastent avec leur teint vermeil ; leur vigueur dément leur âge ; une vieillesse fort avancée n’éparpille pas la ténacité de leur mémoire ; un sang refroidi n’émousse pas l’acuité de leur intelligence, [131] leur main ne tremble pas et tient fermement la plume sans s’égarer hors de la droite ligne ; [89][132] ils miment la jeunesse et ne diffèrent d’elle que par leur sagesse. La conservation d’une bonne santé ne requiert pas grand-chose : la nature se contente de peu, [90][133][134] le pain et l’eau satisfont le désir du sage ; et si tu y ajoutes un petit rien, il pourra disputer du bonheur avec Jupiter. [91][135][136] Polyphagie et polyposie sont, crois-moi, affaire d’habitude, et non de nature. [92][137] Qui consomme peu de vin, en le diluant beaucoup, [138] aime sa propre vie et se gratifie lui-même d’une infinité d’avantages ; mais une iliade de maux [93][139] immenses découle de son abus, en minant la substance qui produit la chaleur innée, [140] et en dissipant et engloutissant l’humide radical. Le vin est un douteux ami, un Protée [141] à deux têtes : aujourd’hui, il procure fort peu d’avantages, mais demain ses méfaits seront extrêmement pesants. Il rend la vie plus gaie et plus vaillante, mais plus courte. Il procure au corps ce que fait la chaux qu’on répand au pied d’un arbre, qui accélère certes la venue des fruits, mais tue l’arbre : ainsi en va-t-il du vin qui, par l’ardeur qu’il engendre, stimule les esprits et leurs facultés, mais qui en vérité hâte le trépas, [94] car il ouvre la porte à une infinité de maux que presque aucune massue d’Hercule [95][142][143] n’est capable d’abattre. Aucun émétique ne guérit l’apoplexie. [144][145] Nulle herbe de Phébus [146] ni nul amulette [147][148] ne vient à bout de l’épilepsie (qui n’est pas proprement la convulsion). [96][149] Nul sudorifique [150] ne guérit la paralysie, ni l’éphialte, qu’on dit mensongèrement être le fait de mauvais génies. [97][151] La saignée [152] et la consommation d’eau froide [153] sont les plus éminents remèdes du rhumatisme, [154] lequel vient d’une effusion des veines, phénomène presque inconnu des Anciens, mais qui est l’équivalent des synoques de Galien. [98][155] Rien ne soigne mieux l’angine que la saignée des veines jugulaires. [156][157] Dans les fièvres pestilentes, [158] pourprées et malignes, [159][160] aucun secours n’est à attendre du bézoard, [161] cette idole des sots, de la thériaque, [162] cette composition d’extravagance, [99] ou du mithridate, [163] cet infâme chaos d’herbes, masse informe et confuse d’une multitude de simples, qui sont ennemis de la chaleur innée par leur ferveur excessive, leur acrimonie ou leur nocivité ; non plus que de la confection d’alkermès [164] et d’hyacinthe, [165] du diamargariton, [166] ou d’autres chimères des Arabes ; [100][167][168] Les péripneumonies [169] ne rendent les armes devant aucun de leurs sirops ou de leurs béchiques, [170] dont il est inutile de donner les noms. La phtisie [171] n’est curable par aucun lait, pas même celui de femme. [172] Les aselles aquatiques n’ont aucun pouvoir contre l’asthme, et ceux qui les prescrivent sont pis que petits ânes. [101][173][174] Ni l’emploi des hydragogues [175] ni la paracentèse [176] ne suppriment l’hydropisie, [177] qui résulte d’une cause chaude, mais ne siégeant pas toujours dans le foie. La puissance ignée des diurétiques ne fait pas bouger, ne serait-ce que d’une ligne, un calcul des reins qui irrite le collet de l’uretère en provoquant d’atroces souffrances ; [178] pour celui de la vessie, [179] nul lithotritique [180] n’est capable de le dissoudre ni de le briser. La rhubarbe torréfiée [181] et les myrobolans [182] aggravent la dysenterie, [183] mais la phlébotomie [184] la supprime. Boire de l’eau froide atténue le flux hémorroïdaire. [185] La purgation [186] supprime chiragre [187] et podagre, qui sont les rejetons de maux < muets >. [102] Quand les sobres finiront par en venir là où tous ont à en venir, ils quitteront paisiblement le monde des vivants, pour sembler s’endormir et non pas mourir, en jouissant, en récompense de leur frugalité heureuse et bénie, de cette fameuse euthanasie [188] des vieux princes, que tant de gens ont vainement désirée. [103][189] À quoi bon en dire plus ? Nous conseillons de vivre dans la modération, non seulement pour notre propre bien, mais aussi et surtout pour celui de nos enfants : tant il est vrai que la sobriété, en bonne nourrice des hommes, accroît la vigueur de leur descendance ; car si on l’applique à la procréation, elle rend la semence saine et féconde, et l’utérus solide, et comble les heureux parents d’une belle et nombreuse progéniture ; et après qu’ils auront vécu très vieux et en bonne santé, ils vivront encore longtemps au travers de leurs enfants. Enfin, celui qui aura érigé la tempérance en principe de vie ne sera jamais incommodé d’aucune calamité ni d’aucune misère. [104][190]Une sobriété prudente et déterminée est donc la mère d’une longue et agréable vie.Question que Jean de Montigny, [105][191] natif d’Avranches, [192] a soumise en la 1647e année de la rédemption du salut humain. »
Dédicace [Texte latin]
« Au très noble et illustre M. Nicolas Le Bailleul, [106][193] président au Parlement de Paris et chancelier de la reine, [194] etc.Si la vertu impose de ne pouvoir porter un jugement sur soi-même, sauf à y être astreint, je ne puis vous prier (très illustre président) d’être le juste et impartial arbitre des avantages que procure une sobriété de vie observée en tout point. C’est elle qui a non seulement nourri, mais aussi accru et fait briller la gloire de la très noble famille des Le Bailleul ; celle dont a joui celui de vos ancêtres qui, au cours d’une bataille, à la tête des Bretons, fut désarçonné et presque saisi par les ennemis, mais remonta courageusement sur son cheval, ce qui lui a justement mérité les enseignes de Bretagne qui figurent sur vos armoiries. [107] Cela vous a été autorisé par les rois Henri le Grand [195] et Louis le Juste, [196] comme leurs prédécesseurs l’avaient fait pour votre très vigoureux père, dont la sobriété apparaît clairement, car nous ne doutons point de son mérite. [108][197][198] La tempérance est en effet la mère de toutes les autres vertus ou, pour parler comme Ficin, elle est toute la vertu. [109][199] C’est elle qui vous a mené à servir l’Église, le roi et le peuple, car vous avez été nommé magistrat, maître des requêtes, président au grand Conseil, [200] président au mortier, et enfin surintendant des finances. Votre sagesse à diriger une si éminente charge vous a valu toute la considération de notre grande reine, car elle a compris que seul un homme tempérant pouvait la mettre à l’abri de la cupidité. [110] Ainsi établi dans le royaume, à l’instar d’une grande maison, vous devez administrer les biens du roi comme notre patrimoine commun, c’est-à-dire avec autant de zèle que de fidélité ; vous appliquez en vérité tant de soin à cette affaire que vous ne laisserez pas d’autre héritier de vos biens personnels que le peuple, comme s’il s’agissait d’un domaine négligeable. Quelle est cependant la source de tout cela, sinon cette sobriété qui vous soustrait à tant et tant de plaisirs, et vous rappelle que vous n’êtes pas né pour votre bien propre, mais pour celui du public ? Il s’agit donc d’une vertu remarquable que doivent cultiver tous les éminents personnages, non parce qu’elle fuit les voluptés, mais parce qu’elle en poursuit de bien plus élevées. Le ciel vous rendra ce que vous avez donné à la terre : il vous procurera généreusement l’absence de chagrin que tous désirent vivement, la longévité que souhaitent les gens heureux, l’euthanasie qu’espèrent les sages, [103] et l’immortalité à laquelle aspirent les chrétiens. En effet, le tempérant ne redoute pas l’atrocité des souffrances que procure la mort car elle ne lui arrache pas violemment la vie, mais la lui soustrait furtivement ; son esprit quitte l’asile de son corps comme on sort d’une maison délabrée, mais sans en être expulsé, car les sobres paraissent plutôt s’endormir que périr. La fin d’une vie sobre ne peut être qu’aisée. Jouissez donc (très éminent Monsieur) du bien que vous possédez, vous qui menez une vie digne d’être vécue, dont tous admirent le renom, mais que peu imitent, et à peine quelques-uns y parviennent. Voilà ce pourquoi prie, sans peut-être en être digne, mais du fond du cœur,
très illustre président,votre très obéissant et dévoué serviteur, Jean de Montigny. »
Commentaires (Loïc Capron)
Strictement consacrée aux « choses non naturelles », c’est-à-dire à l’hygiène, [201] cette thèse est parfaitement conforme à l’esprit d’une question cardinale. [111]
Sans aucune originalité, Patin liait avec conviction et enthousiasme la santé à la sobriété, vertu qu’il tenait pour l’unique véritable panacée, au profond mépris de toutes celles que, de bonne ou de mauvaise foi, les charlatans de tout poil vantaient alors, et vantent encore de nos jours. Pour l’essentiel, les mœurs de l’homme sont responsables de ses maladies et de sa trop brève existence. On retrouve ici les préceptes que Patin avait développés avec moins d’intransigeance et plus d’esprit (à mon goût) dans son Traité de la Conservation de santé (1632). Sa démonstration se fonde sur des convictions morales, et non sur une observation rigoureuse et objective des faits : bel exemple du dogmatisme [202] opposé à l’empirisme, [203] en pleine fidélité avec le courant qui prévalait encore dans l’École médicale parisienne. La sobriété promet, voire garantit une longue et agréable vie, sans se pencher un instant sur le paradoxe entre les tempérants qui peuvent mourir tôt (Jean de Montigny n’en a été qu’un exemple), [105] et les libertins effrénés [204] à qui il arrive de vivre fort vieux. La seule limite que Patin met à son tout-puissant principe est, à la fin de l’article iii, une timide réserve sur ce que deviendrait le monde si tous y respectaient l’ascèse des anachorètes antiques. [37]
La Sobriété de 1647, consacrée au rôle de l’acquis (environnement) sur la santé, se faisait le pendant de L’homme est par nature tout entier maladie de 1643, consacrée à l’inné (hérédité), mais sans intention d’en être le complément, car la seconde ne dit presque rien de la première, hormis de brèves allusions aux « parfaits innocents », innocentissimi, qu’une « débilité innée », innata imbecillitas, a défavorisés. Patin laissait aux bienveillants lecteurs le soin de concilier à leur guise les deux points de vue, en apparence contradictoires, sur la « grâce » que représente la santé humaine. [112]
Les deux textes recourent toutefois au même sidérant procédé d’écriture. La Sobriété est aussi un long centon : du début à la fin, elle coud bout à bout des citations latines empruntées à des écrivains qui ne sont jamais nommés. Sans prétendre les avoir tous identifiés, j’ai compté 146 emprunts à 40 auteurs.
Ainsi rapiécé, le latin de Patin n’est ni limpide, ni partout des plus simples à comprendre : pour en trouver le sens exact, j’aurais parfois peiné à le traduire correctement sans remonter aux sources où il a puisé. En fouillant pour les identifier, j’ai d’ailleurs constaté que maints auteurs ultérieurs ont repris ses phrases, bien souvent sans citer, eux non plus, leur origine. Je me suis aussi dit que les apothicaires parisiens, en dehors des attaques transparentes et frontales des articles iii et v contre plusieurs médicaments, avaient dû peiner à entendre ce texte sans la complicité de quelques docteurs antimoniaux de la Faculté, ennemis de son clan antistibial, alors encore majoritaire. [207]
Tout cela ne surprend en rien qui a lu les lettres de Patin antérieures à 1647, mais ses propos y étaient privés, tandis que sa thèse proclamait publiquement ses avis du haut des bancs de la Faculté, avec une emphase et une virulence bien plus acérées que dans son Traité de la Conservation de santé.
Le plus notable point commun à la quodlibétaire de 1643, L’homme est par nature tout entier maladie, et à la cardinale de 1647, sur la Sobriété, mère de longue et agréable vie, est d’avoir toutes deux traîné Patin devant le Parlement pour répondre aux plaintes respectives de Théophraste Renaudot [208] et des pharmaciens. [209] Absolument sûr de son fait, sans la moindre crainte du ridicule et soutenu par la cabale dogmatique de la très salubre Faculté, il est sorti vainqueur de ces deux procès et en a tiré une grande part de sa célébrité naissante, pour sa meilleure comme pour sa pire fortune.
1. |
« Question médicale, qui doit être disputée dans les Écoles de médecine, parmi les thèses cardinales, le matin du jeudi 14 mars, {a} sous la présidence de Cette cardinale a été réimprimée dans les Medici officiosi Opera [Œuvres du Médecin charitable] de Philippe Guybert (Paris, 1649, v. note [13], lettre 207), pages 446‑464. Elle est ici traduite et annotée pour la première fois (à ma connaissance). |
2. |
Livre de la Sagesse (2:5, latin de la Vulgate) : Umbræ enim transitus est tempus nostrum, et non est reversio finis nostri. |
3. |
Sénèque le Jeune, De Brevitate vitæ [La Brièveté de la vie], chapitre i, § 1 : Maior pars mortalium, Pauline, de naturæ malignitate conqueritur, quod in exiguum ævi gignimur, quod hæc tam velociter, tam rapide dati nobis temporis spatia decurrant, adeo ut exceptis admodum paucis ceteros in ipso vitæ apparatu vita destituat. |
4. |
Sénèque le Jeune, De Vita beata [La Vie heureuse] (chapitre i, § 1) : conteretur vita inter errores [la vie s’usera en égarements]. |
5. |
Sénèque le jeune, Lettres à Lucilius, épître i : Magna pars vitæ elabitur male agentibus, maxima nihil agentibus, tota vita alius agentibus. |
6. |
Sénèque le Jeune, De Brevitate vitæ (v. supra note [3]), chapitre i, § 3 : Satis longa vita et in maximum rerum consummationem large data est, si tota bene collocaretur. |
7. |
Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius (épître xli) : in vitia alter alterum trudimus. |
8. |
Double emprunt à Sénèque le Jeune :
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9. |
Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître lxxx : Si vis scire quam nihil in illa mali sit, compara inter se pauperum et diuitum vultus : saepius pauper et fidelius ridet ; nulla sollicitudo in alto est ; etiam si qua incidit cura, velut nubes levis transit: horum qui felices vocantur hilaritas ficta est aut gravis et suppurata tristitia, eo quidem gravior quia interdum non licet palam esse miseros, sed inter ærumnas cor ipsum exedentes necesse est agere felicem. […] Idem de istis licet omnibus dicas quos supra capita hominum supraque turbam delicatos lectica suspendit : omnium istorum personata felicitas est. |
10. |
Emprunt mot pour mot à Tacite, Annales (livre vi, chapitre 6), citant praestantissimus sapientiæ [le plus éminent des sages] (mais sans le nommer) pour parler de l’empereur Tibère (v. note [3], lettre 17) : si recludantur tyrannorum mentes, posse aspici laniatus et ictus, quando ut corpora verberibus, ita sævitia, libidine, malis consultis animus dilaceretur. |
11. |
Sénèque le Jeune, La Providence (chapitre vi) : ad similitudinem parietum suorum extrinsecus culti. |
12. |
Sénèque le Jeune, De Beneficiis [Les Bienfaits] (livre iii, chapitre xxxi), s’adressant à son père : Non est bonum vivere, sed bene vivere. At bene vivo : sed potui et male : ita hoc tantum est tuum, quod vivo. Si vitam imputas mihi per se, nudam, egentem consilii, et id ut magnum bonum iactas, cogita te mihi imputare muscarum ac vermium bonum. |
13. |
Ce latin de Guy Patin vient de deux sources.
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14. |
Putabilis est un adjectif latin inventé, forgé sur le contraire d’inexputabilis, qui signifie « incalculable ». Le mot « calculable » n’étant apparu en français qu’au xviiie s., j’ai choisi « comptable » pour donner un sens imparfait à putabilis et conserver la rime (tout en perdant la probable allusion à la prostitution). Ce mordant jeu de mots, sans antériorité que j’aie su trouver, entend avilir l’or potable des alchimistes. {a} Guy Patin n’en est probablement pas l’inventeur car je n’ai pas vu son nom dans le curieux opuscule d’un chercheur de panacée qui a repris putabilis dans son titre : Johannis Frickii, Med. Doctoris, Facultatis Kiloniensis Adsessoris, in Patria Poliatri, Diatribe Medico-Spagirica de Auro potabili Sophorum, et Putabili Sophistarum, Ιατροσοφοις candide proponens Artis Spagiricæ Subjectum genuinum, modum operandi legitimum, et medicamentorum revera Polychrestorum præparationem secretissimam [Diatribe médico-spagirique de Johann Frick, docteur en médecine, assesseur de la Faculté de Kiel, médecin de sa ville natale, sur l’Or potable des sages, et comptable des sophistes, exposant de bonne foi aux iatrosophes {b} son appartenance authentique à l’art spagirique, son mode légitime d’action, et la très secrète préparation des médicaments véritablement polychrestes]. {c} |
15. |
V. notes [8], lettre 544, pour l’humide radical, et [18], lettre 192, pour une description (par Jean ii Riolan) du lent circuit que le sang aurait parcouru dans le corps, censé (selon Galien) y distribuer la chaleur, dite native, émanant du cœur et dissipée par les poumons. La plume dont je suis le truchement étant celle de Guy Patin, j’ai bien sûr évité de traduire circumfluere par « circuler » : v. sa thèse de 1670 contre la circulation. |
16. |
Jean Fernel, Universa Medicina [Médecine universelle] (Genève, 1627, v. note [1], lettre 36), Pathologia [Pathologie], livre i, De morbis eorumque causis [Les Maladies et leurs causes], chapitre xii, Evidentium causarum genera [Genres des causes évidentes], page 355 : Naturalem igitur vitæ cursum complebit, qui turbulentis externarum procellarum fluctibus minime iactabitur. |
17. |
Columella (v. note [32], lettre 99), à propos de la génisse saillie par le taureau, dans son De Re rustica [L’Économie agricole] (livre vi, chapitre xxiv) : Nam quamvis plena fœtu non expletur libidine. Adeo ultra naturæ terminos etiam in pecudibus plurimum pollent blandæ voluptatis illecebræ ! |
18. |
De poison, mais avec méprise sur le sens qu’Horace (v. note [3], lettre 22) a donné à l’acetum Italum [vinaigre italien] : v. note [13] du Borboniana 1 manuscrit. |
19. |
Sans surprise, pour médire des pharmaciens, Guy Patin a ici emprunté à la vigoureuse diatribe de Pline l’Ancien contre les médicaments venus d’Orient (Histoire naturelle, livre xxiv, chapitre i, Littré Pli, volume 2, pages 133‑134) : Hæc sola naturæ placuerat esse remedia, parata vulgo, inventu facilia ac sine inpendio, et quibus vivimus. Postea fraudes hominum et ingeniorum capturae officinas invenire istas, quibus sua cuique homini venalis promittitur vita. Statim compositiones et mixturæ inexplicabiles decantantur. Arabia atque India in medio æstimantur, ulcerique parvo medicina a Rubro mari inputatur ; cum remedia vera quotidie pauperrimus quisque cœnet. Nam si ex horto petantur, aut herba, vel frutes, quæratur, nulla artium vilior fiat. Ita est profecto : magnitudo populi Romani perdidit ritus, vincendoque victi sumus. Paremus externis, et una artium imperatoribus quoque imperaverunt. |
20. |
Horace :
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21. |
Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître xxvi, § 10 : Una est catena quæ nos alligatos tenet, amor vitæ. |
22. |
Les Symposiaques ou Propos de table de Plutarque, {a} mis en latin, figurent dans ses : Opuscula varia : quæ magna ex parte sunt philosophica : vulgo autem Moralia opuscula nimis angusta appellatione vocantur. Ex diversorum interpretationibus, quarum quædam sunt Henrici Stephani, non antea editæ. Indici superioribus multo locupletiori adiunctæ sunt Annotationes eiusdem Henr. Stephani.[Opuscules variés, qui sont en grande partie philosophiques, auxquels on donne aussi le nom trop restreint d’Œuvres morales. Tirés de diverses traductions, dont celles d’Henri Estienne {b} n’ont pas été précédemment publiées. À un index beaucoup plus riche que dans les précédentes édiitons, ont été ajoutées les annotation du dit Henri Estienne]. {c} Ne maîtrisant pas le grec, Guy Patin leur a emprunté ce passage du Symposiaque iv, question i, Multiplexne cibus, an vero simplex concoctu sit facilior [S’il est plus facile de digérer plusieurs espèces d’aliments qu’une seule], tome 2, pages 541 et 544 : Multæ autem et variæ qualitates invicem nonnihil contrariæ, repugnando sese mutuo abolent, (instar multitudine convenarum ac promiscuæ turbæ in civitate) neque consentientem admittunt constitutionem, dum unaquævis suapte natura alienis reluctans, coitionem respuit. Vinum nobis evidens huius rei indicium suppeditat : celerrime enim inebriat diversorum vinorum usus, quas allœnias Græci dicunt ; similis autem est ebrietas cruditati a vino non cocto profectæ ; ideoque vitant mixtum vinum potiores ; et qui miscent, clam id faciunt, ut qui insidias struant. […] |
23. |
Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître xvi : Istuc quoque ab Epicuro dictum est : “ Si ad naturam vives, nunquam eris pauper ; si ad opinionem, nunquam eris dives. ” Exiguum natura desiderat, opinio immensum. |
24. |
Sénèque le jeune, Consolatio ad Helviam [Consolation à Helvie], chapitre x, § 6 : Nonne furor et ultimus mentis error, cum tam exiguum capias, cupere multum ? |
25. |
Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître lxxxix, avec remplacement de vos [vous (avez)] par nos [nous (avons)]. |
26. |
Horace, Satires, livre ii, 2, vers 17‑18 : Cum sale panis |
27. |
Molestus interpellator venter [le ventre est un fâcheux trouble-fête] est un adage (no 2909) qu’Érasme (v. supra notule {e}, note [13]) a tiré de trois vers d’Homère (chant vii de L’Iliade), qu’il a ainsi traduits en latin : Non est improbrior res altera ventre molesto, |
28. |
Érasme (adage no 1195) a fait de l’odium novercale [la haine de marâtre] l’égale de l’odium Vatinianum [la haine vatinienne] (v. note [17], lettre 315). Marâtre est le synonyme péjoratif de belle-mère (au sens de seconde épouse du père d’un enfant) : « mère dénaturée qui désavoue, qui expose ses enfants, qui n’a point de tendresse pour eux, qui n’a pas soin de leur éducation, ni de leur fortune » (Furetière). |
29. |
Emprunté à Jeremias Drexel, {a} ce précepte figure dans son traité posthume intitulé Tobias morali doctrina illustratus [Tobie rendu lumineux par la doctrine morale], {b} seconde partie, page 242, fin du chapitre i, Tobias Junior sanitatis a Deo impetrandæ cupidissimus [Tobie le Jeune {c} très désireux d’obtenir de Dieu la santé] : Germani veteres verbo tam celebri, quam utili monebant : Os hominis, aut carnifex est, aut Medicus stomachi. Os gulosum et intemperantiæ assuetum, tam stomachum quam alia corporis membra jugulat ; os regi patiens, et temperentiæ amicum suo domino pro centum medicis est. |
30. |
Pour brocarder en bloc charlatans, chimistes et pharmaciens, Guy Patin déballait leur arsenal, en ajoutant à la panacée (v. note [2] de l’Observation x contre les apothicaires) des remèdes aussi singuliers qu’extravagants, peut-être enfouis dans les traités d’alchimie. Je me suis contenté de traduire leurs noms, issus du grec et du latin, à peu près mot à mot, sans trop chercher à savoir ce qu’étaient exactement ces préparations, ni même si elles avaient réellement existé : κρατιστο χειρουργημασι [tout-puissants artifices], mimia [pantomimes], herbis Hermeticis [herbes hermétiques], incombustis oleis [huiles incombustibles], vividis laticibus [liqueurs énergétiques]. Rabelais a très souvent recouru à cette sorte d’énumération grotesque. |
31. |
Guy Patin dénigrait trois curieuses panacées de l’Antiquité, que n’avaient jamais débitées ou ne débitaient plus les apothicaires de Paris. Toutes étaient végétales, et non minérales (chimiques) comme celles de la note [30] supra.
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32. |
Hormis le séné et la manne, Guy Patin était résolument ennemi de tous les purgatifs violents (drastiques) ; v. notes :
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33. |
Élien, {a} Histoires diverses (livre xiii, chapitre 27) : « Nous savons par tradition que Socrate avait un corps robuste ; et on ne peut douter qu’il n’en fût redevable à sa frugalité. Aussi, dans une maladie épidémique qui ravageait Athènes, {b} tandis que la plupart des citoyens mouraient, ou étaient mourants, Socrate seul ne souffrit aucune altération dans sa santé. Quelle devait donc être l’âme qui habitait un corps si bien constitué ? » {c} |
34. |
Guy Patin s’inspirait des Préceptes de santé de Plutarque traduits en latin par Henri Estienne, {a} tome 1, page 218 :
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35. |
Horace, Odes, livre i, xxvii, vantant la tempérance à ses compagnons (vers 14‑17) : Quæ te cumque domat Venus |
36. |
Jeremias Drexel, {a} Daniel Prophetarum Princeps descriptus et morali doctrina illustratus [Daniel, le prince des prophètes, décrit et rendu lumineux par la doctrine morale], {b} page 16 du chapitre ii, Illustrissima Danielis et sociorum abstinentia [Très illustre abstinence de Daniel et de ses compagnons] : Edomandæ carni Abstinentia subsidium opportunissimum. Luxuria saturitati semper vicina ! Carnem subjugat, luxuriam refrenat abstinentia. Nam eodem Bernardo teste, Pereunt Cupidinis arcus, cum corpori subtrahitur cibus et potus. Amica Castitati fames panem cogitat non adulteria. |
37. |
V. notes |
38. |
Prudence (v. note [59] du Grotiana 2), Cathêmerinon [Hymnes quotidiens], hymne v, Ad incensum lucernæ [Pour allumer les lampes (de Pâques)], sur la traversée de la mer Rouge (vers 69‑72) : Pubes quin etiam decolor asperis |
39. |
Horace, Satires, livre ii, 2, vers 84‑88 : ubique L’érable est réputé pour la dureté de son bois, qui n’égale pas bien sûr celle du bronze ; mais ces deux curieuses métaphores ne m’ont mené vers aucun auteur à qui Guy Patin aurait pu les emprunter. V. notule {a‑i}, note [25] du Faux Patiniana II‑7, pour le grammairien grec Didyme d’Alexandrie qu’on surnommait l’« homme aux entrailles d’airain ». |
40. |
Guy Patin continuait à cultiver le stoïcisme de Sénèque le jeune (Lettres à Lucilius, fin de l’épître cxvi) : Occurres hoc loco mihi illa publica contra Stoicos voce : “ Nimis magna promittitis, nimis dura præcipitis. Nos homunciones sumus; omnia nobis negare non possumus. Dolebimus, sed parum ; concupiscemus, sed temperate ; irascemur, sed placabimur. ” Scis quare non possimus ista ? Quia nos posse non credimus. Immo mehercules aliud est in re : vitia nostra quia amamus defendimus et malumus excusare illa quam excutere. Satis natura homini dedit roboris si illo utamur, si vires nostras colligamus ac totas pro nobis, certe non contra nos concitemus. Nolle in causa est, non posse praetenditur. Je n’ai pas vu la comparaison du glaive et du gosier ailleurs que dans Patin. Julien Bineteau la lui a courageusement resservie dans leur brève querelle épistolaire au sujet de l’antimoine : v. note [5] de sa lettre datée du 6 octobre 1651. |
41. |
Mugilis vitam degere [Mener une vie de mulet] est un adage tiré des fabulistes grecs, Κερεως βιον τριβειν, que Paul Manuce a commenté dans son augmentation des Adages d’Érasme (page 1299) : {a} Mugilis vitam agere dicitur, qui non habet quod edat, hoc est, esuriem et inediam patitur. […] Mugil vero solus in genere piscium ieiunus sive famelicus audit, eo quod nulla capiatur esca animata, non carne, non alia re quapiam vitali, ut ab Aristotele proditum est, aut piscium aliorum esca. |
42. |
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43. |
Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître v : Quemadmodum desiderare delicatas res luxuriae est, ita usitatas et non magno parabiles fugere dementiae. Frugalitatem exigit philosophia, non poenam. |
44. |
Plutarque, préambule du Symposiaque iv, dans la traduction latine de Henri Estienne (Paris, 1572, v. supra note [22]), tome 2, seconde partie, page 539 : Qui sapiunt, inconvivium veniunt non minus amicorum parandorum quam præsentes delectandi causa. Ideo opera dare aliquid inde ut asportes, illiberale profecto est importuni hominis : amico auctum abire, iucundum est et honestum ; contraque is qui id facere negligit, ingratam sibi et inutilem facit consuetudinem, itaque discedit ut qui ventre, non animo, conviva fuerit. |
45. |
Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre xix, chapitre xix (Littré Pli, volume 1, page 719) : Ferendum sane fuerit exquisita nasci poma, alia sapore, alia magnitudine, alia monstro pauperibus interdicta : inveterari vina, saccisque castrari ; nec cuiquam adeo longam esse vitam, ut non ante se genita potet : e frugibus quoque quoddam alimentum sibi excogitasse luxuriam, ac medulla tantum earum ; superque pistrinarum operibus et cælaturis vivere, alio pane procerum, alio vulgi, tot generibus usque ad infimam plebem descendente annona. |
46. |
Je n’ai trouvé les « aromates spartiates » que dans le livre i, Quare jejunandum [Pourquoi jeûner] du traité intitulé : Aloe amari sed salubris succi Ieiunium quod in aula Sermi utriusque Bavariæ Ducis Maximiliani S.R.I. Archidapiferi Electoris, etc. explicavit, et latine scripsit Hieremias Drexelius e Societate Iesu. Cette locution originale est expliquée en deux endroits du chapitre v, Iejunium, medicamentorum omnium medicamentum prorsus opportunissimum [Le jeûne est de très loin le plus secourable de tous les remèdes]. {e}
L’amertume de l’aloès, comparée à la douceur du miel, est apparue dans la dernière partie de l’article ii, mais sans emprunt au latin de Drexel. |
47. |
Ce passage emprunte à deux nouvelles sources antiques.
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48. |
Guy Patin prenait un malin plaisir à puiser dans des sources inattendues. Après les pieux traités de Jeremias Drexel venaient les : Dionysii Lebey-Batillii Regii Mediomatricorum Præsidis Emblemata. Emblemata a Iano Iac. Boissardo Vesuntino delineata sunt. Et a Theodoro de Bry sculptæ et nunc recens in lucem edita. [Emblèmes de Denis Lebey de Batilly, chef du présidial royal Metz, {a} publiés pour la première fois avec les commentaires de Jean-Jacques Boissard, natif de Besançon, {b} et les gravures de Theodor de Bry]. {c} L’emblème xl (page 80), Eberius {d} insano est similis [Qui est ivre est semblable au fou] est accompagné de ce commentaire (en prose) : Magnum hoc vitium vino est ; pedes captat primum, luctator dolosus est. |
49. |
Proverbes, 23:31‑32, dans le latin de la Vulgate : Ne intuearis vinum quando flavescit cum splenduerit in vitro color eius ingreditur blande, sed in novissimo mordebit ut coluber et sicut regulus venena diffundet. |
50. |
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51. |
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52. |
V. notes :
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53. |
Fr. Noël a résumé la fable de la Nymphe (naïade) Nicée (Nicæa) : « fille du fleuve Sangar {a} et mère des Satyres, {b} qu’elle eut de Bacchus, {c} après que ce dieu l’eut enivrée en changeant en vin l’eau d’une source dont elle avait coutume de boire. » {d} |
54. |
Érasme, Virginis et martyris Comparatio [Comparaison de la vierge et de la martyre] {a} (Bâle, Johann Froben, 1524, in‑8o), page [h1 vo] : Habent mundi virgines suas sodales, habent ornamenta, habent lusus, habent cantiones et choreas, sed hæc qualiacunque sunt, tantisper habent donec ætatis florem marito prostituerint. Verum hæc omnia Chrisi virginibus ut vera sunt et interna, ita sunt et perennia. |
55. |
Guy Patin avait retenu ce qu’il avait lu dans le Tobias de Jeremias Drexel (Anvers, 1642, v. supra note [29]), sur les distractions qu’on offre aux convives d’un banquet (première partie, chapitre vi, pages 80‑81) : Acroama pessimum est diversæ libidinum formæ, quas ebriorum verba et gestus exprimunt, cum non pocula tantum, sed et oscula fiunt ambulatoria, cum morsiunculæ ac compressiunculæ, similesque Veneris imitatiunculæ in orbem eunt animi causa, cum oculis, cum et linguæ, ac manibus summa libertas est, cum oculi ad omnem lasciviam vagi evolant, cum lingua promittit quidquid animus diu celarat, cum petulantissimæ manus omnem verecundiæ legem perfringunt. |
56. |
Ce passage mêle des emprunts à quatre sources.
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57. |
58. |
Imitation de Sénèque le Jeune, De Brevitate vitæ (v. supra note [3]), chapitre 12, § 8 : tanta incredibilium vitiorum copia ingenioso in hoc unum sæculo processit, ut iam mimorum arguere possimus neglegentiam. |
59. |
Saint Augustin, Confessions, livre x, chapitre xxxi, § vii : In his ergo temptationibus positus, certo quotidie adversus concupiscentiam manducandi et bibendi. Non enim est quod semel præcidere et ulterius non attingere decernam, sicut de concubitu potui. Itaque freni gutturis temperata relaxatione et constrictione tenendi sunt. Et quis est, Domine, qui non rapiatur aliquantum extra metas necessitatis ? Quisquis est, magnus est, magnificet nomen tuum. Ego autem non sum, quia peccator homo sum, sed et ego magnifico nomen tuum, et interpellat te pro peccatis meis qui vicit sæculum, numerans me inter infirma membra corporis sui, quia et imperfectum eius viderunt oculi tui, et in libro tuo omnes scribentur. [Cerné par ces tentations, je lutte chaque jour contre le vif désir de boire et de manger ; car ce n’est pas appétit dont je puisse me priver une bonne fois pour toutes, et il en va de même pour celui de m’accoupler. Il me faut donc dans la bouche un mors qui me relâche et me freine à propos. Et, Seigneur, quel est celui qui ne se laisse emporter quelquefois au delà des barrières du strict nécessaire ? S’il en est un, il est remarquable, qu’il te glorifie pour sa perfection ! {a} Moi, je ne suis pas cet homme ; je suis un pécheur, et je glorifie pourtant ton nom, assuré que celui qui a vaincu le siècle {b} intercède auprès de toi pour mes péchés, et qu’il m’a compté entre les membres infirmes de son corps, dont tes yeux ne dédaignent pas les imperfections, et qui sont tous inscrits dans ton livre]. |
60. |
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61. |
Sermon xx, de Dominica Quinquagesimæ [sur le dimanche de Quinquagésime (précédant le premier dimanche du carême)], Contra Bacchanalia [Contre le Mardi gras], Descriptio Bacchi [Description de Bacchus], pages 189‑190 des : Roberti Bellarmini ex Societate Iesu S.R.E. Tit. S. Mariæ in Via, Presbyteri cardinalis Conciones… |
62. |
Sénèque le Jeune, La Providence (v. supra note [11]), chapitre iii, § 6, vantant la frugalité d’un nommé Fabricius : Quid ergo, felicior esset, si in ventrem suum longinqui litoris pisces et peregrina aucupia congereret, si conchyliis Superi atque Inferi maris pigritiam stomachi nauseantis erigeret ? V. note [4], lettre 436, pour ragoût pris dans son sens de premier d’apéritif ; la note [64‑ 2] infra donne plusieurs exemples de mets qui ouvraient l’appétit au xviie s. |
63. |
Deux satiristes latins que vénérait Guy Patin l’ont de nouveau inspiré, avec mise en exergue des fragments cités.
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64. |
Guy Patin empruntait son latin à deux passages de Jeremias Drexel, Aloe amari sed salubris succi Ieiunium… [Le Jeûne est comme l’aloès dont la sève est amère mais salubre…] (Anvers, 1638, v. supra note [46]), avec mise en exergue des fragments cités.
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65. |
Guy Patin adaptait deux passages de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, avec mise en exergue des fragments cités.
Ajustées au contexte de la thèse, mes traductions ne reproduisent pas exactement celles d’Émile Littré. |
66. |
Guy Patin enchaînait rien de moins que cinq passages de Sénèque le Jeune, où j’ai mis en exergue ses emprunts. Ici comme ailleurs dans sa thèse, ils aident à traduire convenablement le latin compliqué de sa rhapsodie.
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67. |
Apulée (v. note [66], lettre 99), L’Âne d’or (Les Métamorphoses), livre x, chapitre 18 : Nam et quid potissimum abhorreret asino, excogitantes scrupulose, ad explorandam mansuetudinem id offerebant mihi, carnes lasere infectas, altilia pipere inspersa, pisces exotico iure perfusos. |
68. |
Le bestiaire gastronomique de Guy Patin conduit à des renseignements sur la cuisine romaine et sur quelques animaux fabuleux.
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69. |
Turbot : « poisson de mer plat et en figure de losange. C’est un mets friand qu’on sert sur les bonnes tables les jours maigres. Juvénal fait une Satire sur une consultation que fit Domitien en plein Sénat de la manière qu’on devait accommoder un turbot extraordinaire dont on lui avait fait présent. On l’appelle en latin rhombus, à cause de sa figure » (Furetière). Rhombus est le sous-titre de la Satire iv de Juvénal ; elle contient (vers 37‑56) l’explication de l’épithète « plus que césarien », plusquam Cæsareum, bien qu’on ne l’y lise pas exactement : Cum iam semianimum laceraret Flavius orbem Élégante traduction de Pierre de Labriolle et François Villeneuve (1962) : « Au temps où le dernier des Flaviens déchirait l’univers expirant, où Rome était l’esclave du Néron chauve, {a} devant le temple de Vénus qui domine Ancône, la ville dorienne, {b} un turbot de l’Adriatique, stupéfiant de grosseur, vint se prendre dans un filet qu’il remplit. Accroché là, il ne cédait point pour la taille à ceux qu’emprisonne la glace du Palus Méotide, {c} et qu’une fois dissoute aux rayons du soleil, elle livre, tout engourdis d’oisiveté et engraissés par les longs frimas, aux rives du Pont impétueux. {d} Le maître de la barque et du filet destine ce monstre au Souverain Pontife : {e} mettre en vente ou acheter une telle pièce, qui l’oserait ? Les rivages mêmes sont peuplés de délateurs. Postés ici et là, les inspecteurs de plage feraient une méchante affaire au pauvre marin, et n’hésiteraient pas à proclamer qu’il s’agit d’un poisson fugitif, longtemps nourri dans les viviers de César, et qui, s’en étant échappé, doit revenir à son ancien propriétaire. À en croire Palfurius et Armillatus, {f} tout ce qu’il y a de rare et de remarquable dans l’Océan appartient au fisc, en quelque endroit que cela nage. On donnera donc ce poisson pour ne pas le perdre. » |
70. |
Macrobe (v. note [2], lettre 52), Saturnales, livre ii, chapitre xii, De acipensere, mullo, scaro, lupo [L’esturgeon, le mulet, le scare et le loup] : Nec acipenser, quem maria prodigis nutriunt, illius sæculi delicias evasit ; et, ut liqueat secundo Punico bello celebre nomen hujus piscis fuisse, accipite ut meminerit ejus Plautum fabula quæ inscribitur Baccharia, ex persona parasiti :Quis est mortalis tanta fortuna affectus unquam, |
71. |
Remarques d’Isaac Casaubon sur le livre ii (chapitre xxi, colonne 128, lignes 51‑54), des Déipnosophistes d’Athénée de Naucratis : {a} Scitum est, quod ostrea vocavit Matro parodus tubera maris, isto versu, Οστρεα τ’ ηνεγκεν, Θετιδος Νηρηιδος υδνα. |
72. |
Le lac Lucrin (Lucrinus lacus), aujourd’hui presque entièrement comblé, se situait dans une dépression volcanique de Campanie, près de Pouzzoles (v. 2e notule {a}, note [22] du Naudæana 3). Martial a chanté l’excellence des huîtres qu’on y élevait, appelées Lucrina, dans deux épigrammes :
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73. |
Trois auteurs antiques venaient alimenter la détestation de Guy Patin pour les champignons.
Vilibus ancipites fungi ponentur amicis, |
74. |
Succession de quatre emprunts à Pline l’Ancien (Histoire naturelle), dont j’ai adapté la traduction d’Émile Littré au propos de Guy Patin :
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75. |
V. note [43] du Borboniana 1 manuscrit pour les « rameurs de coupes » (kulikiôn érétaï), adage grec commenté par Érasme et repris par Juste Lipse dans une de ses lettres. Suivent deux nouveaux emprunts au livre xiv, chapitre xxviii, de l’Histoire naturelle (v. supra note [74‑ 4]) :
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76. |
Érasme (adage no 3363), Spes servat afflictos [L’espoir sauve ceux qui sont abattus] :
Quod autem sit illud provebium quod intemperantiæ suæ prætexunt homines, declarat in his quæ sequuntur : Ως οινω δη τον οινον κραιπαλη δε κραιπαλην εξελοντας και διαφορησαντας, id est Tamquam vinum vino et crapulam crapula eiecerint ac discusserint. Ex his apparet Plutarchum allusisse ad proverbium Clavum clavo pellere. |
77. |
Sénèque le Jeune, La Vie heureuse (chapitre xii, § 1), à propos des esprits égarés (sans nier la difficulté de la traduction) : hilarem insaniam insanire ac per risum furere. |
78. |
Jeremias Drexel, Tobias (Anvers, 1642, v. supra note [29]), première partie, chapitre vi, § ii, pages 78‑79 :
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79. |
Saint Augustin (Sermon 232) :
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80. |
Les Messagètes étaient un peuple de nomades scythes qui, dans l’Antiquité, voyageaient entre la mer d’Aral et la mer Caspienne (v. note [24], lettre 197). Dans le chapitre iii, Du boire, de son Traité de la Conservation de santé (1632), Guy Patin a parlé du vin et d’autres boissons enivrantes (cidres, bières, hydromels) avec bien plus de complaisance ; sans y détailler non plus celles que consommaient les habitants des contrées lointaines, mais toutes recouraient à la fermentation alcoolique du sucre. |
81. |
Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître xcv, § 33, contre les combats de gladiateurs : Homo, sacra res homini, iam per lusum ac iocum occiditur et quem erudiri ad inferenda accipiendaque vulnera nefas erat, is iam nudus inermisque producitur satisque spectaculi ex homine mors est. L’essence divine de l’homme terrestre est un enseignement du Nouveau Testament. L’expression θεος επιγειος (théos épigéïos) n’y figure pas, mais saint Paul en a bien exprimé l’idée dans sa Seconde épître aux Corinthiens (5:1) : « Nous savons, en effet, que, si cette tente, notre demeure terrestre [épigéïos], vient à être détruite, nous avons une maison qui est l’ouvrage de Dieu [théou], une demeure éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, dans le ciel. » |
82. |
Vinaria angina [L’angine de vin] est l’adage no 3702 d’Érasme : At Festus Pompeius indicat joco jactatum in eos qui vino præfocantur, laborare vinaria angina, quam οιναγχην possis dicere. Ipse novi Romæ quemdam haud vulgariter eruditum qui hac angina serio periit. Hermicus appellabatur natione Lusitanus. Correptus erat febricula vir corpore supra modum obeso et ob id spirituosus. Decumbentem invisit Christophorus Fischerus, patria Anglus. Vin tu inquit Hermice, auscultare medicis meras nugas præscribentibus ? Bono vino rectius proluetur hoc malum simulque jussit adferri vinum Corsicum quadrimum. Propinavit ægroto, jubens bono esse animo. Ille persuasus hausit affatim ac mox intercluso spiritu cœpit animam agere. Quosdam ebrietas e taciturnis reddit loquacissimos, quosdam contra tam mutos quam ullus est piscis, citra valetudinis periculum. Utinam hæc οιναγχη minus frequens esset apud Germanos ! |
83. |
In vino veritas [La vérité est dans le vin] est un célèbre dicton antique qu’Érasme a longuement commenté (adage no 617), avec ce premier paragraphe : Εν οινω αληθεια, id est, In vino veritas passim apud auctores usupratum adagium significans ebrietatem animi fucum tollere et quicquid in pectore conditum est, in apertum proferre. Unde divinæ litteræ vetant vinum dari regibus, quod ibi nullum sit arcanum, ubi regnet ebrietas. Guy Patin empruntait l’oxymore de la « douce torture », lene tormentum, à Horace (Odes, livre iii, xxi, vers 11‑15), où le poète s’adresse à une amphore pleine de vin : Narratur et prisci Catonis |
84. |
Guy Patin a successivement puisé dans trois sources latines antiques.
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85. |
Érasme, Virginis et martyris Comparatio [Comparaison de la vierge et de la martyre], {a} page [g7 ro] : Animi flos est virginitas, sed relucet etiam in vultu, in oculis, totoque corporis habitu angelica quædam puritas ac nitor virens seniique nescius, hic veluti meditans esse, quod omnes expectant post hanc vitam, qui pie vixerint in Christo Iesu. |
86. |
Déclaration nettement moins pessimiste que la conclusion affirmative de la thèse de 1643 : « Par nature, l’homme est donc tout entier maladie. » |
87. |
Tite-Live, Histoire de Rome, {a} livre xxxix, chapitre 40, § 11‑12, sur la vertu intacte de Caton l’Ancien {b} à la fin de sa vie : In parsimonia, in patientia laboris periculique ferrei prope corporis animique, quem ne senectus quidem, quæ solvit omnia, fregerit, qui sextum et octogesimum annum agens causam dixerit, ipse pro se oraverit scripseritque, nonagesimo anno Ser. Galbam ad populi adduxerit iudicium. |
88. |
J’ai emprunté à Sénèque le Jeune le sens que j’ai donné à in ipso ætatis portu, « parvenus au port même de leurs jours », quand il parle du suicide de Diodore {a} (La vie heureuse, chapitre xix) : Ille interim beatus ac plenus bona conscientia reddidit sibi testimonium vita excedens laudavitque ætatis in portu et ad ancoram actæ quietem et dixit quod vos inviti audistis, quasi vobis quoque faciendum sit : “ Vixi et quem dederat cursum fortuna peregi. ” |
89. |
Longue et sidérante broderie de Guy Patin sur l’éloge de la vieillesse écrit par saint Jérôme, {a} dans sa lettre x : {b} Ecce jam centenus ætatis circulus volvitur, et tu semper Domini præcepta custodiens, futuræ beatitudinem vitæ per præsentia exempla meditaris. Oculi puro lumine vigent ; pedes imprimunt certa vestigia ; auditus penetrabilis ; dentes candidi, vox sonora ; corpus solidum, et succi plenum ; cani cum rubore discrepant ; vires cum ætate dissentiunt. Non memoriæ tenacitatem, ut in plerisque cernimus, antiquior senecta dissolvit. Non calidi acumen ingenii, frigidus sanguis obtundit. Non contractam rugis faciem, arata frons asperat. Non denique tremula manus per curvos ceræ tramites errantem stylum ducit. |
90. |
Sentence souvent citée, mais rarement attribuée à Boèce, {a} son véritable auteur, dans la Consolation de la philosophie (livre ii, prose 5) : Paucis enim minimisque natura contenta est ; cuius satietatem si superfluis urgere velis, aut iniucundum, quod infuderis, fiet aut noxium. La note [12], lettre 619, cite le passage où Botal a employé cet adage pour condamner la polypharmacie (multiplicité des médicaments), à laquelle Guy Patin allait maintenant s’attaquer de front, au grand dam des apothicaires parisiens. |
91. |
Guy Patin devait avoir eu accès aux bonnes feuilles des huit livres de son ami Pierre Gassendi de Vita et moribus Epicuri [sur la Vie et règles d’Épicure] (Lyon, 1647, v. note [1], lettre 147), dont l’achevé d’imprimer est daté du 24 septembre 1647. On y lit en effet ces remarques très similaires dans le chapitre intitulé Epicuri Sobrietas Frugalitasque eximia probatur [Preuves de la sobriété et frugalité remarquable d’Épicure] (livre vi, chapitre iii, page 156) : Ille enim esitare panem, et bibere aquam summas ducebat delitias, βρυαζω (inquit apud Stobæum) τω κατα το σοματιον ηδει, υδατι, και αρτω χρωμενος, και προσωτυω ταις εκ πολυτελειας ηδοναις. Aqua, et pane utens, suavitate perfundor in corpusculo, inspuoque in voluptates, quas ex splendidis captant mensis, hoc est, quod apud eumdem dicebat : ετοιμως εχεν και τω Διι υπερ δι δαιμονιας διαγωνιζεοθαι, μαζαν εχων, και υδωρ, habentem se mazam, et aquam, paratum esse etiam cum Iove de felicitate certare. |
92. |
Érasme, Colloques familiers, Opulentia sordida [L’opulence sordide], dialogue entre Iacobus [Jacques, Ia.], et Gilbertus [Gilbert, Gi.] :
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93. |
Guy Patin a emprunté son « iliade de maux », morborum ilias, à la Schola Salernitana [École de Salerne] éditée par René Moreau (Paris, 1625) : v. notule {a}, note [6] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii. |
94. |
Guy Patin copiait presque mot à mot un passage des Pathologiæ libri vii [Sept livres de la pathologie] de Jean Fernel, {a} livre i, De morbis eorumque causis [Les maladies et leurs causes], chapitre xiiii, Qua ratione quotque modis esculenta et potulenta nos afficiant [Pourquoi et de quelles manières ce qu’on mange et boit nous affecte] (Orléans, 1604, page 361) : Ut enim calx ad arboris radicem conspersa fructum accelerat, arborem vero perimit, ita calidius alimentum maximeque vinum suscitato calore, spiritus facultatesque erigit, mortem vero maturat. Dum enim corporis calorem auget, substantiam minuit : dumque innati calidi spiritum et calorem halitu fovet, eius substantiam, quæ humidum est primigenium, dissipat exsorbetque : omnem vitam alacriorem ac vegetiorem, sed tamen breviorem facit. V. note [8], lettre de Jean de Nully, datée du 21 janvier 1656, pour Protée, que Fernel n’a pas appelé au secours de sa démonstration. |
95. |
La « massue d’Hercule qui vient heureusement à bout de toutes les maladies », clava Herculis [qua] omnes morbi feliciter debellantur, figure dans la lettre latine que Guy Patin a écrite à Christiaen Utenbogard le 28 mars 1664 {a} et renvoie à Hercules Alexicacos. {b} Outre son sens mythique, clava Herculis est le nom latin du nénuphar, plante dont la racine était dotée de nombreuses vertus médicinales : {c} Patin pouvait aussi y faire ici allusion.
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96. |
Guy Patin voyait trois fois juste sur l’épilepsie : {a}
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97. |
La crédulité populaire attribuait l’éphialte aux esprits démoniaques. C’était le nom savant de l’incube, {a} maladie nocturne aujourd’hui oubliée, dont Thomas Corneille a donné cette définition médicale : « Maladie de la poitrine, que l’on appelle autrement coche-vieille, {b} et que les Latins nomment incubus. Cette maladie n’est autre chose que la respiration empêchée et difficile qui survient quand on dort couché sur le dos, en songeant qu’on a un poids sur la poitrine et que l’on va étouffer. Cela est cause que les mélancoliques {c} s’imaginent qu’une personne ennemie leur pèse sur l’estomac, Fernel et Platerus {d} ont établi pour la cause prochaine de l’éphialte une humeur grossière et pituiteuse, retenue autour de la poitrine qui, étant émue {e} ou se gonflant, presse le diaphragme et les poumons. Ils ont ajouté que la voix est ensuite étouffée par les vapeurs qui exhalent et qui, montant au cerveau, y troublent les esprits animaux, d’où le songe de suffocation et de pressement s’ensuit. Les modernes mettent la cause prochaine de l’éphialte dans tout ce qui peut empêcher le mouvement du diaphragme en en bas. Ce mouvement est blessé ou par le vice de quelque objet qui presse le diaphragme et s’oppose à son mouvement en en bas, ou par le vice des nerfs qui servent à sa contraction. Ceux qui mènent une vie réglée, ou qui songent {f} peu, sont moins exposés à cette maladie que ceux qui ont trop d’aliments. Ainsi ce mal est familier aux enfants, à cause qu’ils mangent goulûment. Il est facile de le prévenir en dormant sur le côté et la tête haute, parce que moins on est sur le dos et couché, moins le ventricule {g} presse le diaphragme. On appelle l’incube, ou l’éphialte, épilepsie nocturne, ou petite épilepsie, à cause des convulsions des muscles du thorax, telles qu’elles arrivent dans tous les paroxysmes épileptiques, ce qui cause la difficulté de respirer dans l’épilepsie véritable et l’écume à la bouche. Ce mot vient du grec “ se jeter dessus ”, {h} parce que ceux qui sont atteints de ce mal s’imaginent que quelqu’un se jette sur leur estomac pour les étouffer. » |
98. |
V. note [3], lettre latine 104, pour les fièvres continues qu’on appelait synoques. Je n’ai pas trouvé où Galien les a assimilées aux rhumatismes, dont la forme principale était la goutte. Dans les deux chapitres sur les fièvres synoques (iv et v, livre ii, pages 227‑233) de sa Pathologie (édition française de Paris, 1655, v. supra notule {d}, note [94]), Jean Fernel les a liées aux états inflammatoires, mais n’a parlé ni de Galien ni des rhumatismes. |
99. |
Histoire naturelle de Pline l’Ancien, v. note [24], lettre 117. |
100. |
Dans l’édition des Medici officiosi Opera [Œuvres du Médecin charitable], page 463, {a} Guy Patin, enhardi par son triomphe dans le procès que lui avaient intenté les pharmaciens de Paris, {b} a alourdi ce passage, en remplaçant aliaque Arabum figmenta, « et autres chimères des Arabes », par : et aliæ putidæ Arabum quisquiliæ, quæ non magis prosunt ad eiusmodi affectuum curationem, quam calx aut cinis, inanisque pulvis, cum sint meræ nugæ, ab ignaris nebulonibus confictæ, et in sanctissimæ nostræ Medicinæ sacrarium malis artibus et infaustis avibus deportatæ. |
101. |
L’asellus aquarius ou aquaticius, « âne aquatique » (d’eau douce), est distinct de l’asellus marinus, « âne de mer » ou morue : {a} autrement nommé aselle, c’est un petit crustacé (mesurant moins de deux centimètres), qui porte aussi le nom de cloporte d’eau douce, millepeda, « mille-pattes », en latin. Guy Patin connaissait les écrits de Daniel Sennert {b} sur le bout des ongles car il avait édité ses Opera [Œuvres]. {c} Sennert a mentionné l’emploi médicinal de cet animal dans le livre ii de sa Medicina practica [Médecine pratique], troisième partie, De Symptomatibus, quæ pulmonibus et thoraci accidunt [Symptômes qui touchent les poumons et le thorax], chapitre ii, De Asthmate et orthopnœa [Asthme et orthopnée], {d} page 412 : Commendantur et millipedæ vel aselli, qui sub vasis aquariis stabulantur, si scilicet panno lineo excepti in vino macerentur et vinum sine expressione propinetur. |
102. |
Je n’ai pas su traduire ce passage autrement qu’en modifiant la ponctuation du texte latin : fluxum hæmorrhoïdalem, quem aquæ potus imminuit ; purgatio tollit chiragram et podagram…, « boire de l’eau froide atténue le flux hémorroïdaire ; la purgation supprime la chiragre et podagre… » ; au lieu de : fluxum hæmorrhoïdalem, quem aquæ potus imminuit, purgatio tollit : chiragram et podagram…, « boire de l’eau froide atténue le flux hémorroïdaire que la purgation supprime ; tout comme la chiragre et podagre… » En séparant ainsi les hémorroïdes des manifestations de la goutte (chiragre et podagre), je ne suis toutefois pas certain d’avoir parfaitement compris Guy Patin car il a employé trois fois la locution βλαστηματα των ενεοντων κακως εχοντων (blastêmata tôn énéontôn kakôs ékhontôn) pour parler soit des hémorroïdes seules, {a} soit de leur association avec la goutte et la lithiase urinaire, {b} soit des métastases cancéreuses. {c} Il a ici remplacé βλαστηματα, « rejetons », par εκγονα, « descendants », mots que le contexte rend synonymes. Faute de meilleure solution pour aboutir à une traduction intelligible, j’ai ajouté ενεοντων, « muets », en pensant qu’il l’avait sous-entendu ou involontairement omis (mais il n’a été rétabli dans aucune des rééditions de la thèse que j’ai regardées). V. notes :
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103. |
V. note [12], lettre latine 4, pour l’euthanasie, au sens étymologique de « bonne ou heureuse mort », telle que l’avait souhaitée l’empereur Auguste dans Suétone. |
104. |
Guy Patin avait lu le : I. Antonii Saraceni Lugdunæi de Peste Commentarius. In quo præter pestis naturæ, præcautionis etiam atque curationis ipsius uberiorem explicationem, non pauca quæ super eadem materia hoc nostro seculo et cœlo in contentionem plerunque veniunt obiter strictimque pertractantur. On y retrouve en effet ce propos, page 181 du chapitre vi, Aeris ac morborum pestilentium præcautio [Précaution contre l’air et les maladies pestilentielles], : Qua ratione autem et quibus ex causis fiant recensiti ante affectus quamque varie nos afficiciant, abunde traditum comperiet quivis a Marco Tullio ex Stoicorum acutissime in hac quæstione versatorum fontibus. Iure autem una benignitatis Divinæ erga fideles firma assensio totius iucundæ et absque perturbatione traductæ vitæ moderatrix est, nec ulla unquam vel calamitate vel ærumna premetur qui vitæ fundamentum iecerit pietatem ac fidem : non erit sua sorte aut conditione non contentus, qui Christi familiæ omnia bene fœliciterque succedere persuasum habuerit, ac rerum omnium tum opificem tum moderatorem eumdem sibi benignum esse partem crediderit. |
105. |
V. note [3], lettre 157, pour Jean de Montigny, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en janvier 1649. En dépit des préceptes de longue et agréable vie que Guy Patin lui avait fait défendre dans la cardinale de la Sobriété, il mourut trois ans plus tard, en plongeant son maître dans un profond chagrin :
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106. |
V. note [5], lettre 55, pour Nicolas ii Le Bailleul et sa douteuse noblesse, qu’il entendait marquer en se faisant appeler de Bailleul. |
107. |
L’auteur de la dédicace (sans doute Guy Patin) s’est clairement inspré de l’éloge de Nicolas ii Le Bailleul (Nicolaus Balliolus) par Scévole i de Sainte-Marthe, {a} livre v, page 155 : Gens illa nobilis est et antiqua, quæ pluribus abhinc sæculis in eadem provincia floret, vigetque, insigniaque Britannici Ducatus gestat ob egregiam in prælio navatam operam ab uno ex familia, qui Ducem Armoricorum equo disiectum fortiter in equum sustulit. |
108. |
Prudente allusion à Nicolas i Le Bailleul (mort en 1610), célèbre renoueur (rebouteux) parisien, qui devint par la suite valet de chambre ordinaire de Henri iv. Le français du xviie s. utilisait le mot bailleul pour désigner « un renoueur de membres disloqués ; quand on s’est démis un bras, on envoie quérir le bailleul » (Furetière). Gilles Ménage a aussi défini le mot, modifié en « bailleu », en disant qu’il appartenait à la langue de Paris et qu’il venait « de M. de Bailleul, père de M. de Bailleul, président au mortier du Parlement de Paris, chancelier de la reine mère régente, Anne d’Autriche, et surintendant des finances de France » (Dictionnaire étymologique…, Paris, 1750, volume 1, page 133). Tallemant des Réaux (Historiettes, tome ii, pages 396‑397), Le président Le Bailleul :
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109. |
Ceci est l’unique mention de Marsile Ficin (Marsilius Ficinus, Marsilio Ficino, 1433-1499) dans les écrits de Guy Patin. Humaniste toscan néoplatonicien {a} qu’Érasme admirait, {b} il eut pour élève Jean Pic de la Mirandole. {c} Parmi les nombreux ouvrages qu’il a publiés, j’ai consulté ses trois livres de triplici Vita [sur la triple Vie]. Une édition {d} est pourvue d’un index qui m’a mené aux dernières lignes du livre ii, De vita longa [La longue vie], chapitre xx, page n ro : Tris parcas fere omnes poetæ canunt. Tris quoque nos non poetæ canimus. Prudens quidem in omni victu parcitas vitam nobis longam incohat. Constans quoque in curis subeundis parcitas producit vitam : parcitas vero in cœlo fruendo negligens vitam occat. Tres pythagoras temperentias ante omnia celebrat : tres etiam nos impræsentia celebramus. Temperantiam in affectibus conservato, temperantiam in omni victu servato. Temperiem aeris observato : Hac enim providentia humorum intemperiem quæ citæ senectutis et tempestivæ mortis causa est aspirante deo procul admodum propulsabis. Aspirabit autem auctor ille vitæ : si ea tantum conditione vitam optaveris diuturnam : ut diutius cum generi humano vivas : tum maxime vivas illi : quo mundus totus inspirante vivit. |
110. |
Nicolas ii Le Bailleul était surintendant des finances de France depuis 1643 ; mais malheureux en cette charge, car sa trop scrupuleuse probité le rendait de moins en moins capable d’assurer une fonction éminemment complexe face à de ruineuses guerres et aux insatiables exigences des grands du royaume. Anne d’Autriche et Mazarin allaient le congédier en juillet 1647, pour le remplacer par le moins sobre Michel i Particelli d’Émery (v. note [6], lettre 46). |
111. |
V. notes :
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112. |
La question est développée dans le deuxième paragraphe de mes commentaires sur L’homme n’est que maladie. |
s. |
Vivere omnes diu iucundéque volunt, sed ad pervivendum quid eiusmodi vitam efficiat, penè omnes cæcuciunt, adeo nullius rei difficilior, quàm rectè vivendi scientia. Vix ulli quàm bene vivant ; quàm diu, cuncti curant, cùm unicuique integrum sit, ut bene, ut diu, paucis. Sanè hujus vitæ isthmus perbrevis est, ac velut umbræ transitus : sed nostrâ sæpius, quàm Naturæ culpâ. Ab aliis quidem hæc pro jure suo citiùs, ab aliis tardiùs debitum exigit : ut Iudex eos primùm plecti jubet, qui minùs flagitii admisere, sic plerosque innocentissimos, sive hac in parte benignior, sive rigidior, antè cogit mori quàm cœperunt vivere, in ipsóque vitæ apparatu, nihil aliud sinit, quàm lucem prospicere. Aliorum in ipso flore cursum interrumpit, alios adducit ad extremam usque ætatem, quæ quantacumque sit, paucorum annorum circuitus est. Nobis verò tametsi tantum patuit quantum potuit, rapidè tamen videtur decurrere, quia vel inter errores conteritur : aut nihil, aut aliud, aut malè agentibus elabitur. Pecuniam ægrè quis alteri dividat ; tempus cujus unius honesta avaritia est, et totam propè vitam cuivis ultro impendimus : atque ita dissipatam dum terminum providemus, et quota ex parte nostra fuerit, reputamus, brevem fuisse conquerimur. Satis longa foret, si tota bene collocaretur, si plusquam reliquias sanis consiliis destinaremus. Quid quod plerumque nostræ ipsi salutis proditores sumus et pessimo victus genere sanitati decoquimus ? In vitia, pravi, dociles, alter alterum trudimus : et quæ communis est insania, priores malè iter ingressos, pecudum more, non quà eundum est, sed quà itur sequendo, alienis perimus exemplis. Sic paucis contingit longa vita, sed et paucioribus adhuc iucunda. Ab hoc longè absunt quibus assiduum est cum morbis negotium, qui miseram trahunt animam tot in dies tormenta trahentem. Nescimus quàm multorum sit personata felicitas, quibus inter ærumnas Cor ipsum exedentes, necesse est agere felices. O si Tyrannorum mentes recluderentur, quanti possent laniatus et ictus aspici ! ut corpora verberibus, ita sævitia, libidine, ultionis cupiditate, malis consultis animus dilaceretur ! Quàm multi ob id unum miserrimi, quod ne aliquando miseri sint, semper timent. De grege illo sunt qui totam spirantes Arabiam, auro argentóque ornati, et adinstar parietum suorum extrinsecus culti, intus sanæ mentis hilum non habent : et quos strenua exercet inertia, ac velut in mari lento tranquillitas iners detinet, vel otium negotiosum, beatósne dixerit, quisquis sapit ? certè hilaris et optima vivendi ratio corporis animique pace continetur : nec tamen bonis corporis metienda, alioqui pecudis conditio melior quàm hominis ? Nuda et ratione defecta vita muscarum ac vermium bonum est, hominis verò, rectè valere et sapere : nec enim verè felicitérque vivimus nisi cùm omni corporis molestia vacui, bonæ menti laboramus : æger est qui corpore validus, minùs valet animo : tunc tantùm perfecta sanitas est, cùm partis utriusque veluti iunctorum ab bigas equorum quædam æquabilitas est ; neutra incumbit alteri : tanti verò boni cùm tam rara sit, quàm fugax possessio, an abs re vita brevis et ingrata iudicatur ? |
t. |
Fata fugiendo incurrimus, et ut alios ocyùs, alios seriùs comprehendant, neminem tamen prætereunt. His vel inviti colla submittunt qui sibi populos tanto tumultu subijciunt, nemo impunè refragatur. Omnes quidem simili ratione nascimur : Verùm ut modo dissimili, sic ætate dispari mortem oppetimus : plures immaturi decedunt, ex Naturæ necessitate pauci. Nullus ultra pensum vivit, nec fixum cuique terminum gratia aut industria, ulteriùs unquam promovit. Huic ne momentum quidem adjiciat ipse Æsculapius, multòminùs auro suo potabili (putabili) Chymista fumivendulus. Sæpe tamen quem interitus diem victus error accelerat, prudens Medicus consiliis suis retardat. Ut quis longissimum vitæ spatium sanus compleat, is necesse est puro sanguine, et copia nativi caloris humido primigenio probè temperati circumfluat : neque tamen quisquis utroque abundat, diutissimè vivit : quanquam et id in manu nostra est, modò ne salutarem hunc humorem diripi affatim sinamus, vel obrui. At quia nihil minùs curamus, ferè et ante diem obrepit mors, quæ ubique in insidiis est, juvenibus in propinquo, senibus in limine ; scilicet agunt eius negotium multa quæ nos assiduè circumstant incommoda, quibus ceu turbulentis externarum procellarum fluctibus iactati huc illuc traducimur : nec minùs favet, quæ nos ad omnem ictum exponit, innata imbecillitas : nempe frigore, æstu, labore offendimur ; ipso rursus situ et otio corrumpimur ; non omne cælum ferimus, fames et sitis mortem minantur, nisi remedium adhibeas ; cùm interim potus et alimenta, quorum modò inopiâ, modò copiâ rumpimur, sapor, odor, vigilia, somnus, et cætera sine quibus moriendum est, non rarò sint mortifera, ut mirum sit tot iniuriis patere hominem, vix unius patientem. Sed ut ex his tuti emergamus, quem blandæ voluptatis illecebræ non aliquando irretiunt ? aut quem si moderatrix temperantia sedulò conservavit, casus aliquis non obterit ? quosdam incautos momento interimit venenatum animal, perit ille alter Italo perfusus aceto : Hos mare, alios fulmen, alios assumit terra, bello permulti cadunt, et hos bello superstites, opprimit domus, delet ignis, usque adeo certæ mortis incertus est dies ac locus, nec ut hanc vitet, unquam homini satis cautum est in horas. Tot ac tam variis brevioris ævi causis accedunt et multò frequentiores morbi, nostro utplurimum vitio nati : hos sequitur languor, et minor annorum numerus, si fortè non sequatur interitus : cuius uni periculum propiùs admotum est, dum stolidè ad illos concurritur, apud quos sua cuique vænalis vita promittitur, magno plerumque mors emitur : pyxidibus quæ titulo ostenta remedia, intus venena, aut ut ferè sit, nihil planè præter muscerdam recondentibus. Ab his ubi crumena non ægritudo levior facta est, videas ægros Medicorum genua tangentes, suaque omnia, sed seriùs paratos impendere, ut mortis laqueis expediti vivant, et novis usque suppetant doloribus : ita nos una catena hîc alligatos tenet, amor vitæ : si tamen aliter quàm nomine vita est, prorsus reipsâ labor, aut lenta mors, tanto plus aloës quàm mellis habet. An verò nihil habet homo quo has possit abstergere molestias ? magnam quidem earum partem facilè declinaremus, nec paucorum annorum, imò et dierum accessionem votis turpiter mendicaremus, si tantum in præcavendis morbis, quantum in iis dum nos exercent, profligandis, operæ poneremus. Sed tanta nos valetudinis negligentia tenet, ut quanti facienda sit, haud aliter quàm perdendo cognoscamus : amissam ægrè recuperaveris, etiamsi adhibeas preces argenteas : ut sine impendiis præsentem retineas, facilis est et compendiaria via, modò bonis auspiciis ineatur : tota puncto res constat. |
u. |
Vis te beatum facere, frugi ac sobrius esto : disce quod maximæ artis est, inter epulas esurire : fuge αλλοινιας, et varios missus qui excitant alliciúntque veluti præstigiis, captam appetentiam. Ad cibum et potum, ut vitæ, sic mortis viaticum, non tanquam ad vas implendum accedito, sed ut sumas parcâ quod satis est, manu, nec tam eorum usu sis, quàm temperantia lætus. Summum bonum est nullo alimento egere, ab hoc proximum, quamminimum requirere. Saluberrima vitæ forma est secundum naturam vivere : exiguum hæc desiderat, immensum opinio. Furor est cùm tam exiguum capias, cupere multum : cogita quàm parvum tibi sit corpus : sensus licèt augeatur, non id tamen laxabitur : nos sæpe maiorem habemus famem quàm ventrem : hunc cum sale panis latrantem leniet, vel prima iratum facilè placaverit esca : si bene institutus est, non erit molestus interpellator : parvo dimittetur, si das illi quæ debes, non quæ potes, aut petit omnia : ne malè pareat, ipsi noverca sis oportet : ferè enim in hunc solâ peccatur clementiâ. Hoc unum est et quidem summum Medicorum præceptum, per quod semper careas Medico, nempe os regi patiens, domino pro centum Medicis est. Hac una ratione quasi divina quadam virgula differtur, ac demum floridior contingit votis vel malignis nulli non optata senectus, quam suis κρατιστο χειρουργημασι, Panaceâ, Mimiâ, et herbis Hermeticis, incombustis oleis, vividis laticibus, arcere falsò prædicant æquè mendaces ac creduli, putidique ciniflones Chymistæ. Huius præsidij vim adversus cuncta vitæ incommoda, nec Moly Homericum, nec Plinij Theombrotion, aut Dodecatheos unquam æquaverint : nihil in illum licebit morbis, qui ultra quod suadet Sobrietas, nihil sibi licere putaverit. Non opus est tot glutire catapotia, tot lambere syrupos, tot pharmaca, ac penè tota exhaurire pharmacopolia, ut fœda humorum saburra ingluviei soboles, et morborum parens exhauriatur coccis Gnidiis, helleboratis, scammoniatis, antimonio (diabolico inter remdia monstro) et aliis infensis, peregrinis, ac sæpe adulteratis medicamentis, quæ purgari potiùs debeant, quàm ut tutò nostra purgare queant corpora. Intemperantium ista sunt, qui, ceu lintea dum sapone et nitro detergentur, citiùs pertunduntur, cathartica sæpius sorbendo, celeriùs detergentur. Qui sobriè degit, nisi fortè sit ab ortu αλλο σπαρτος, et quasdam habeat causarias partes, tam vacat omni morbo, quàm humorum cœno ; ut proinde nullo egeat medicamento. Si qua ex ictu vulnera, indéque ulcera facta sint, et citò et sponte coëunt. Pestis ipsa morborum caput quantumcumque sæviat, æquè illum habebit eximium, quàm olim Athenis temperantem penéque divinum Socratem : scilicet aëris, loci, frigoris, æstus, externarúmque causarum vis omnino elanguescit, ubi nihil adiuvant inquilini hostes, cibus et potus. Quinetiam sub hoc tranquillo corporis statu quæ sensuum iudicio iucunda sunt, magis oblectant, videntúrque suaviora : quippe ut serenitas Alcyonibus, sic sanitas voluptatis commodum præbet ortum : neque solùm à parciori victu perbellè habet corpus, sed et optimè habet anima. Subtilis animus molem ventris refugit, et corpore meliusculè habito ad cognatas illi actiones inclinatur ; mens sicco corpore fulget, ut stella nitido cælo ; quóque ipsi minus est cum corpore commercij, minus inest et vitij : non disrumpitur irâ, non movet iurgia, non coquit seditiones placidus et sui compos animus : non æstuat habendi desiderio, quem sustinet cibus nec corpori gravis nec patrimonio : non illum venus erubescendis adurit ignibus qui vix libatis epulis, silentium indicit indignanti stomacho : amica castitati fames panem cogitat, non adulteria. Hanc morum innocentiam, innocenti victu tuebantur olim Christiani Anachoretæ, (ut in Palæstina Esseni, gens æterna, in qua nemo nascitur) ipso adhuc anno centesimo sani : veniebat in cibum panis aut palma, quæ et vestitum præbebat : nam cocti aut calidi aliquid comesse, inter cupedias erat, in potum hausta è proximo fonte frigida : à vino tam procul aberant, quàm ab urbibus. Eiusdem frugalitatis tenacissimi primi, et à Deo recentes homines nongentos annos vivebant, carnis perinde ac fraudis nescij, sed his quæ natura sponte tribuebat, contenti : nondum enim cogebatur suum sitientibus fundere sanguinem. Nos tam rigida ac pertinaci abstinentia, quæ priscos illos penè acernos χαλκεντερους efficiebat, prætendimus mundi senium, sub quo nostra hæc tractari molliùs ætas imbecilla velit. Adeo nempe nostram amamus intemperantiam, eam ut excusare quàm excutere malimus : sicque plures interimat gula quàm gladius. |
v. |
In victu qui modum tenere nescit, et morbo tenetur, et vitio. Ut mollis educatio nervos omnes mentis et corporis frangit, sic utriusque alacritatem minuit attentior parsimonia, quâ nonnulli malignè famem extinguendo mugilis vitam agunt, glorianturque se non pasci toto asse. Squallorem appetere, faciles odisse munditias, vesci tetris et horridis cibis, eius est qui Gratiis litavit nunquam : res delicatas prosequi, luxuriæ est ; usu receptas, nec magno parabiles fugere, dementiæ : frugalitatem exigimus, non pœnam. Parca sit, sed nitida cœna, cuius præcipuum condimentum sit amicum, cum quo riges diffundásque amicitiam, minùs ventre quàm animo conviva. Cibus tibi sit panis, si non alius, vulgi et si licet, procerum. Obsonia si lubet, inferantur aliqua, non hominum opinione cara, non per artem voluptatémque corrupta, sed stomacho magis quàm palato amica : sua illis non deerit gratia, modò non desint Spartana aromata, his quæ ab Indis advehuntur, longè salubriora : nihil contemnit esuriens, nec est ambitiosa fames, ipsa tibi commendabit quodcumque comprehenderis. Vis mente et corpore acutiùs cernere, vis sapere, omnemque stultitiæ mixturam effugere, bibas aquam, Sapientiæ fomitem : nutrit illa, coctionem iuvat, vividos facit sensus, acre iudicium, limpidum et studiis aptum igenium, adeoque ut animantibus, imò et viventibus omnibus, sic cuiuslibet ætatis, sexus, et temperamenti hominibus αριστευει. Vinum convivii coagulum, lac veneris, hilaritatis seminarium, quo nihil est iucundius, quo nihil melius dedit Natura hominibus, voluptatis, non necessitatis potus est, sed dolosus luctator, hepar captat primùm, mox caput atque pedes : splendet color eius, sed statim mordet ut coluber, et tanquam regulus venenum suum in totum corpus diffundit. Ab eo non solos Reges, sed etiam, si quisque sibi rex esse debet, cæteros homines abstinere satius foret : quamquam conferre creditur aliquibus eximio quidem ingenio, sed dum sicci sunt, minùs audaci, et quasi concreto, qui cùm ad pocula ventum est, tanquam miniati Ioves, thuris in morem à calore correpti exhalant. Merum nulli non noxium, quò potentius, hoc nocentius : mel est ori, fel capiti, sapit in ore, ardet in ventre, fumat in capite, suisque amantissimis tandem iugulum petit. Mirum quod cùm vix ferendo sint sanorum robustissimi, nonnulli tamen qui pari inscitia et impudentia Medicorum auctoritatem arripiunt, ægris quasi per se non satis officiat, etiam venenato stibio infectum propinant : ac si qui fati ope evaserint, ceu bina hæc venena iuverint (o mores ! o tempora !) inter remedia, si Diis placet, annumerantur. Quæ virgo nymphas deserit amore Bacchi, dat tibi certum brevi perituræ virginitatis indicium : et quæ ætatis florem marito prostituit, quò magis vino dedita, hoc minùs pudica : pueris et infantibus ne dilutum quidem dederis. Senes quò ætate provectiores tantò dilutiùs bibant, tandémque metæ proximi, solam aquam. Adolescentibus et iuvenibus suave toxicum est, quo liberaliùs epoto, eorum medullæ velut admotis facibus inflammatæ, Æthnæo amoris igne æstuant : tunc placet iucundum nefas, oculi institores exactoresque libidinis, ad omnem lasciviam vagi evolant, petulantissimæ manus omnem verecundiæ legem perfringunt, tunc rabie iecur incendente libido, quâ visum est, sese impingit, nec iam furtim, sed palam illa fiunt, quibus abscondendis nulla sit satis alta nox : tam præceps est gradus a Libero patre ad lumbifragam Venerem, solâ vini fugâ, et gulæ castigatione domandam. An verò accuratam hanc victus rationem quam Principum Medicorum lex sanxit, quisquam nunc ad unguem observat ? quotusquisque iam in vitæ suæ rationem inquirit ? Rara nunc constans et firma sanitas, quia rara Sobrietas, quantúsque nostro seculo in hoc unum ingenioso succrevit luxus, tanta et morborum incubuit cohors. In tam amabili ferculorum serie si quis iam est, qui non rapiatur extra metas necessitatis, is profectò magnus est. Totus Orbis duo Numina colit, Eduliam et Potinam : lucrones jam passim grassantur innumeri, quorum corpus est in sagina, animus in macie. Asello similes cor habent in ventre, ad omnia fercula manibus involant : summa curarum est, quid edant, quid bibant vel eorum insomnia cibi sunt : perinde vorant, acsi lupum in alvo gerant, cum cruditate dissiliunt, ac penè saturitate crepant : quærunt irritamenta, quæ pigritiam nauseantis stomachi erigant, et fessum os, in novos morsus excitent. Tanto alii languore solvuntur, ut per se scire non possint, an esuriant : adspice quàm tangant malè singula dente superbo, quàm difficilis crescat inter molares cibus : his opus est quidquid habet artis, expromat coquus : ut obtusus appetitus famis aliquid sentiat, ut per deceptum guttur traiiciatur alimentum, hac qua intraverat, facilè rediturum, sed non sine bile regustandum. Tantum negotii exhibet pessimum corporis vas, cujus causâ maxima pars mortalium vivit, et perit miserè. Heu, prodigia gulæ ! feris ad alimoniam solitudo sua, multis elephantis una sylva sufficit : homo terrâ pascitur et mari : imò sibi bene esse non putat, nisi ad delicias totum mundum irretiat. Est ubi < trium > provinciarum tributum uni homini una cœna sit, nec satis lauta videtur mensa, supra quam non recognoscit omnium gentium animalia, è singulis certa tantùm electurus membra, adeo nulla his est nisi ex fastidio pax. Non sapit caro bubula, agnina, ovilla, hœdina, vitulina, nisi exotico jure perfusa : lepus, dama, pygargus, aper, cervus, et quidquid animalium sylvas et agros pererrat, in mensas extrahitur ; advolant et omnis generis altilia, Scythicæ volucres, attagen Ionicus, perdices, meleagrides, gallinæ Numidicæ, Africanæ ficedulæ, gallinagines, quibus et comes est, pinguibus ficis pastum iecur anseris albi. Aqua ipsa suppeditare iubetur, quos celat pisces, lucium, barbatulum, mullum, rhombum plusquam Cæsareum, et paucorum hominum Acipenserem, reliquos denique non tam sapore, quàm parandi difficultate pretiosos, sæpe in plenum carnibus ventrem deiiciendos. Etiam ostrea maris tubera, naufragio exquiruntur ; nec admodum placent nisi Lucrina : neque dubiis cœnis desunt ancipites fungi, quibus vel pratensibus malè creditur ; cùm id voluptuarii veneni sævit in præcordiis, ne ferendo quidem sint dura messorum ilia. Ne non omni ex parte Cupediæ parentetur, hasce opiparas mensas claudunt fructus innumeri, crudi, cocti, conditi, multo saccharo adulterati : unde molesta bilis congeries, et novus excrementorum proventus, melimela, artolagana, scitamenta mellita, et aliæ nebulæ, stomacho graves, et coctioni impares. Quòd si tanta in cibo licentia, non minor est in potu. Servatur algor æstibus, excogitaturque ut alienis mensibus cælestis aquæ spuma nix algeat : eò processit vitiorum solertia, ut compertum sit quemadmodum aqua quoque inebriaret, quanquam maior pars hominum vini dulcedine capti, non aliud vitæ præmium intelligunt : pauci nunc, et qui ferè rideantur, abstemii, multi popinones et κυλικιων ερεται, tanquam ad perdenda vina geniti, pecude deteriores, se ipsos ad bibendum stultissimè cogunt : isti hominésne, an potiùs amphoræ, rapere se vitam prædicant, dum falsa inter gaudia, totos sæpe dies ac noctes sedent ad pocula, hesternæ temulentiæ novam adiicientes, sed crapulam crapulâ, ut aiunt discussuri : Iuvat hilarem insaniam insanire, ac per iocum furere. Ad hæc Bacchi pervigilia sacramento dexterarum fidem suam obligant, ne quis exeat, et signa deserat, standum et pugnandum ad usque guttam ultimam : in hoc Dionysiaco agone certa bibendi lege contenditur : qui possunt vincere, laudem merentur ex crimine : palmam referunt qui inter plures ultimi fiunt ebrij, qui se præbent meri capacissimos, hoc solo tristes quod ab ipsis vincantur doliis. Sed o barbaram libidinem ! o monstrosum penéque incredibilem ebrietatis amorem ! et ipsi populi vitibus vinóque carentes inebriantur, Indi, Persæ, Massagetæ, Tartari, Sinenses, Americani, novis quibusdam potuum generibus excogitatis, ebrietatem inducentibus, etsi vino careant : adeo ut nulla mundi parte videatur cessare ebrietas. Quid quod homo sacra res, et θεος επιγειος potitando seipsum iugulat ? ac sæpe anginâ vinariâ præfocatus conditur tumulo, antè toties decumanis meri fluctibus obrutus. Planè vino nihil inest boni præter veritatem, cui detegendæ lene tormentum est, scelerum alioqui malorumque omnium metropolis, et parens quarumlibet ægritudinum, quibus plerumque sola medeatur mors, nisi priùs medeatur abstinentia. |
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Bono itaque loco sunt res eorum qui ab ingluvie, qua nulla hominum generi capitalior pestis, et à pernicioso gulæ obsequio liberi, non plus indulgent corpori quàm tuendæ valetudini satis est ; quippe ut intemperantiæ culpam pœna premit comes, catenata videlicet morborum series, aut tam merita quàm immatura mors : sic pro frugalitate messem opimam metunt, verúmque robur colligunt sobrii, qui corpore animoque præstantes, voluptatem quæ inter cibi potusque delicias capitur, brevem exitu fœdam dolorique cognatam pensant longa iucundaque sanitate. Prælucet in eorum vultu totóque corporis habitu, color quidam eximius, nitórque virens, et senii nescius, mens ipsa læta et alacris suum vigorem veluti transfundit in corpus, omnibus vitæ muniis optimè comparatum ; nullus molestiæ, nullus dolori locus. Tam procul absunt ab omni ægrotandi periculo, ut si qua olim morbi semina à parentibus vel natura invalidis, vel parum cautè viventibus traxerint, contranitente partium robore, et legitima victus lege vanescant. Hos ne senectus quidem quæ solvit omnia, frangit, in ipso ætatis portu vegetissimi apparent, oculi puro lumine vigent, pedes certa imprimunt vestigia, liquidus est et penetrabilis auditus, dentes candidi et immoti, vox sonora, corpus solidum succique plenum, cani cum rubore discrepant, vires cum ætate dissentiunt, non memoriæ tenacitatem antiquior senecta dissolvit, non calidi acumen ingenii frigidus sanguis obtundit, non tremula manus errantem incerto tramite stylum ducit ; adolescentiam mentiuntur in senectute, à qua solam habent prudentiam. Ad bonæ valetudinis conservationem non tam multa requiruntur : paucis natura contenta est : homini sapere cupienti panis et aqua sufficiunt : quibus si quid exiguum addideris, poterit ille cum Iove de felicitate certare. Polyphagia et Polyposia, crede mihi, consuetudinis res est, non Naturæ. Qui pauco vino utitur, eoque dilutissimo, ille vitam suam amat, et infinitis seipsum beat commodis : ex eius abusu, maximorum morborum ilias profluit, calidi innati substantiam minuendo, humidum primigenium dissipando ac exsorbendo. Vinum dubius est amicus, et anceps Proteus, bonum præsens exiguum, malum emergens gravissimum : vitam facit alacriorem ac vegetiorem, sed breviorem : idemque præstat corpori quod calx ad arboris radicem conspersa, fructum quidem accelerat, arborem autem perimit, ita vinum suscitato calore, spiritus facultatesque erigit, mortem verò maturat, dum infinitos affectus invehit, nullà ferè Herculis clavâ debellandos : apoplexiam nullo emeticorum usu curabilem : epilepsiam (quæ propriè non est convulsio) nullâ pæoniâ, nullo amuleto superabilem : paralysin, quæ nullis iuvatur sudorificis : ephialten, falsò dæmonas mentientem : rheumatismum qui fit per ναυσιωσιν των φλεβων, antiquis penè ignotum, cuius ut et synochorum Galeni, summa remedia sunt venæ sectio et frigidæ potus : Anginam, cui non meliùs succuritur, quàm iugularium sectione : pestilentes, purpuratas malignásque febres, quibus nihil auxiliantur bezoüar, idolum faturorum : Theriaca, compositio luxuriæ : Mithridatium, herbarum deforme chaos, rudis indigestáque moles multorum simplicium, nimio fervore, acrimonia vel malignitate, nativo calori adversantium : confectio Alkermes et de Hyacintho, Diamargaritum, aliáque Arabum figmenta : peripneumonicos affectus, nullis cedentes Arabum syrupis, bechicis, frustra nuncupatis : phthisin nullo lacte, nequidem muliebri, sanabilem : asthma, in quod aquarij nihil possunt aselli ; imò plusquam aselli sunt, qui præscribunt : hydropem, ut plurimum à causa calida, nec semper ab hepate, qui nullo hydragogorum usu tollitur, ut nec paracentesi : calculum renum, quem dum caput ureteris tentat, doloresque ciet atrocissimos, nihil promovet diureticorum vis ignea : aut vesicæ, qui nullis imminuitur aut frangitur lithontripticis : dysenteriam quam irritant rheum tostum et myrobalani, tollit autem venæsectio : fluxum hæmorrhoïdalem, quem aquæ potus imminuit, purgatio tollit : chiragram et podagram τα εκγονα των κακως < ενεοντων > εχοντων. Quod si tandem eò venerint, quò vel cunctantibus veniendum, tam placidè è vivis excedunt, ut obdormire, non emori videantur, per beatam et auream frugalitatem, famosæ illius veterum Principum, à tam multis frustra concupitæ ευθανασιας participes facti. Quid multa ? non solùm nobis, sed et posteris quoque nostris temperanter vivendo consulimus : nam et spem vegetæ prolis auget hominum bona nutrix Sobrietas, ut si creandis liberis incumbatur, dum validum fœcundumque semen, et tenacem reddit uterum, pulchra ac numerosa prole beatos faciat parentes, postquam ipsi sani diutissimè vixerint, suis adhuc in liberis diu victuros. Denique, nulla calamitate vel ærumna premetur unquam, qui vitæ fundamentum iecerit Temperantiam. Est igitur longæ ac iucundæ vitæ tuta certáque parens Sobrietas. Proponebat Lutetiæ Parisiorum Ioannes de Montigny, Abrincensis, Anno R.S.H. m. dc. xlvii. |
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Nobilissimo Illustrissimoque Viro, Nicolao de Bailleul Regi a Consiliis in Senatu Præsidiærarii Præfecto, et Reginæ Cancellario, etc. Si Virtutis ea est conditio, ut de ipsa iudicium ferri non possit, nisi teneatur (Pæses Illustrissime) non possum de Sobrietatis viribus æquiorem Arbitrum aut sapentiorem Te quærere, quem in omni vita sequuta est. Hæc non modò aluit, sed et auxit illustravitque gloriam Nobilissimæ Balliolorum Gentis, quam ei peperit ex Majoribus tuis Ille qui Ducem Armoricorum in acie ex equo deiectum et penè ab hostibus oppressum, fortiter in equum sustulit, et Britanniæ Insignia quæ Tibi gentilitia sunt, à servato Principe promeritus est. Hæc Te Henrico Magno et Ludovico Iusto conciliavit, ut et superioribus Regibus fortissimum Parentem tuum, de cujus Sobrietate constat, quia de illius virtute non dubitamus. Est enim Temperantia reliquarum omnium virtutum procreatrix, vel, ut cum Ficino loquar, omnis virtus. Hæc Te Ecclesiæ, Regi, Populóque addixit, cùm Senator, Libellorum supplicum Magister, Præses Consistorianus, Parisiensis Prætor, in Senatu præses, ac tandem Ærarii Tribunus factus es. In quo certè Reginæ omni laude majoris enituit Sapientia, quæ Te tanto Muneri præfecit, cùm intelligeret neminem à cupiditate sibi temperare posse, nisi Temperantem. Te scilicet in Regno quasi in magna domo sic constitutum existimas, ut bona Regis quasi communis Parentis pari diligentiâ ac fide Tibi administranda sint : Ita verò rem privatas curas quasi in parvo Regno non alium hæredem Tibi relicturus sis, quam Populum. Sed ex quo fonte ducta sunt ista omnia nisi ex Sobrietate, quæ cùm plurima Tibi subtrahat, Te non Tibi, sed Reipublicæ natum esse admonet ? Est igitur tam eximia virtus omnibus summis Viris colenda, non quia voluptates fugit, sed quia longè maximas sectatur. Illa Te terris datum, Cælo reddet. Tibi largietur αλπιαν, quam omnes ; μακροβιοτηταν, quam felices ; ευθανασιαν, quam Sapientes ; αθανασιαν, quam Christiani exoptant. Non enim mors dolorum atrocitate terribilis est Temperanti, cui vitam non eripit, sed subducit, cuius animum è corporis hospitio, ut è ruinososa domo dimittit, non avellit, ut sobrij non tam emori quàm obdormiscere videantur. Vitæ sobriæ non potest non esse facilis meta. Fruere igitur illo Tuo bono, (Vir Maxime) qui vitam verè vitalem degis, cuius gloriam demirantur omnes, imitantur pauci, vix assequentur aliqui, et quam Tibi æternam, si non ex dignitate, at certè ex animo precatur Præses Illustrissime, Tibi addictissimus et obsequentissimus Ioannes de Montigny. |