Autres écrits
Une thèse cardinale de Guy Patin :
« La Sobriété » (1647)

Quæstio medica,
cardinalitis disputationibus mane discutienda in Scholis medicorum die Jovis xiv. Martii,
M. Guidone Patin, Doctore Medico, et Chirurgiæ Professore, Præside.

Estne longæ ac iucundæ vitæ tuta certaque Sobrietas ? [1][1][2]

Article i [Texte latin]

« Tous veulent vivre longtemps et agréablement ; mais pour y parvenir, presque tous sont affligés de myopie quant à ce qui procure une telle existence ; à tel point qu’il n’y a pas de question plus ardue que la science de vivre correctement. Presque personne ne vit bien et longtemps, hormis tous ceux qui veillent à appliquer correctement et longtemps un petit nombre de moyens assurant l’intégrité de tout un chacun. L’isthme de cette vie est vraiment très court, et comme le passage d’une ombre ; [2][3] mais plus souvent par notre faute que par celle de la Nature. Elle exige légitimement son dû, que ce soit soit tôt pour certains, ou tard pour d’autres. Elle est tantôt bienveillante, tantôt sévère : à l’instar du juge décidant de châtier d’abord ceux dont la faute a été la plus vénielle, elle condamne à une mort prématurée quantité de parfaits innocents, avant qu’ils n’aient commencé à vivre, au moment même où ils s’y disposaient, [3][4] sans rien leur permettre que de voir le jour ; elle interrompt la course d’autres en la fleur de leur âge ; elle mène le reste jusqu’à l’extrême vieillesse, mais, si long soit-il, leur parcours ne compte que peu d’années. Il a certes duré tant qu’il a pu, mais à nos yeux, il paraît s’être écoulé rapidement, car il s’use en égarements : [4][5] on le passe à ne rien faire, à faire autre chose, ou à mal faire. [5][6] Chacun répugne distribuer ses biens à autrui, quand la seule avarice honorable est celle du temps dont on dispose, mais nous gaspillons notre vie presque entière à faire n’importe quoi ; et quand vient la fin, après l’avoir ainsi dissipée, nous voilà qui devenons prévoyants, nous méditons sur la fraction qui nous en reste et déplorons sa brièveté. Elle sera suffisamment longue si elle est tout entière bien employée, [6] si nous en avons confié plus que des miettes à de salubres conseils. Comment se fait-il que nous passions le plus clair du temps à trahir notre propre salut, et à nous ruiner la santé par la pire sorte de nourriture ? À la fois dociles et pervers, nous nous poussons mutuellement au vice ; [7] et dans cette folie qui nous est commune, nous nous perdons à suivre, sur l’exemple des autres et à la manière du bétail, les premiers à s’être engagés sur le mauvais chemin, car c’est par où on veut aller, et non par où il faut aller qu’il convient de passer. [8][7] Voilà pourquoi peu de gens jouissent d’une longue vie, et bien moins encore d’une agréable vie. En sont fort éloignés ceux dont les maladies sont les assidues compagnes, car ils traînent une âme misérable qui tire derrière elle, jour après jour, souffrance après souffrance. Nous ne savons compter le nombre de ceux pour qui la félicité n’est que déguisement, qui trouvent nécessaire de sembler heureux au milieu des chagrins qui leur rongent le cœur. [9] Si on ouvrait les cœurs des tyrans, que de coups et de déchirures ne pourrait-on y voir ! Comme le corps par le fouet, l’esprit est dilacéré par la violence, la débauche, le désir de vengeance, les mauvais desseins. [10][8] Que de gens sont profondément malheureux pour la seule raison qu’ils craignent constamment de le devenir un jour ! À ce troupeau appartiennent ceux qui, exhalant tous les parfums d’Arabie, cousus d’or et d’argent, aussi décorés que l’extérieur de leurs murailles, [11][9] ne possèdent pas, à l’intérieur, la moindre once d’esprit sain. Tout un chacun ne trouve-t-il pas sage de dire heureux ceux qu’une agitation stérile tient en haleine, et ceux qu’absorbe une molle tranquillité, comme sur une mer d’huile, ou le loisir de faire ce qu’ils veulent ? La paix du corps et de l’esprit procure certainement une riante et excellente raison de vivre. Pourtant, quant aux biens du corps, la condition d’une tête de bétail ne se mesure-t-elle pas autrement mieux que celle d’un homme ? Dénuée et privée de raison, la vie des mouches et des vers est un bien, [12] mais celle de l’homme en est un s’il est en bonne santé et s’il pense droit. De fait, nous ne vivons vraiment et agréablement que si, exempts de tout désagrément du corps, nous travaillons à acquérir une bonne intelligence : malade est celui qui, jouissant d’un corps solide, est moins valide d’esprit. La santé est donc parfaite seulement quand ces deux parties sont à égalité, comme deux chevaux attelés à un char, sans qu’aucun ne s’appuie sur l’autre. Bien que la possession d’un si grand bien soit aussi rare que fugace, a-t-on tort de juger qu’une vie sans but est brève et ingrate ? »

Article ii [Texte latin]

« Nous courons pour fuir le destin, mais nul ne lui échappe, bien qu’il saisisse les uns tôt, les autres plus tard. Personne ne s’oppose impunément à lui : même ceux qui ont soumis les peuples à grand fracas lui tendent à regret le cou. [10] Certes, nous naissons tous de manière semblable, mais nous affrontons la mort de façon dissemblable, tout autant qu’à des âges inégaux. Beaucoup s’en vont avant la maturité, mais peu hors des exigences de la nature. Nul ne vit au delà du temps imparti, [13][11] et nul n’a jamais, par faveur ou par artifice, retardé le terme fixé pour chacun. Esculape [12] en personne ne saurait pas même y ajouter un instant, sans parler d’un chimiste [13] vendeur de fumée avec son or potable (comptable) [14][14] Souvent pourtant les conseils d’un sage médecin retarderont la date du trépas, que hâte une erreur de régime. À qui veut jouir d’une très longue durée de vie, il faut un sang pur et un corps irrigué par une abondante chaleur native, bien tempérée par l’humide radical. [15][15] La riche conjonction de ces deux qualités ne garantit pourtant pas à tout homme de vivre extrêmement longtemps, bien qu’il lui appartienne entièrement d’empêcher cette salutaire humeur de se corrompre profondément ou de s’engorger. Parce qu’elle est le moindre de nos soucis, la mort s’avance en général à pas de loup et avant l’heure, elle est partout en embuscade, tant pour les jeunes qui quittent le port que pour les vieillards qui s’en rapprochent. Maints malheurs nous entourent en permanence, ils œuvrent pour elle et nous entraînent de-ci de-là, comme ballottés par les flots que secouent les ouragans du grand large. [16][16] La débilité innée n’y prend pas une part négligeable, car elle nous expose à toutes sortes d’accidents : le froid, la chaleur, le labeur nous offensent ; en revanche, l’inaction et l’oisiveté suffisent à nous anéantir. Nous ne tolérons pas tous les climats ; la faim et la soif nous menacent si nous n’y remédions pas promptement ; le défaut comme l’excès de boisson et de nourriture nous brisent ; le goût, l’odorat, l’éveil, le sommeil, etc., sont indispensables à la vie, mais il n’est pas rare qu’ils soient mortifères. Il est surprenant que l’homme supporte une telle accumulation de dommages, quand il peine à n’en supporter qu’un à la fois. Il s’agit de nous en tirer sains et saufs quand la tempérance ne nous a pas préservés en nous modérant ; mais qui jamais n’est séduit par les doux attraits de la volupté, [17][17] ou anéanti par un quelconque accident ? Un animal venimeux tue sur l’instant certains imprudents ; cet autre succombe, imprégné de vinaigre italien ; [18][18][19] ceux-ci sont emportés par la mer, ceux-là par la foudre ou par un éboulement ; des quantités meurent à la guerre, et ceux qui ont survécu aux batailles sont écrasés par leur maison, brûlés dans les incendies. Le jour et le lieu de la mort, qui est certaine, sont à ce point incertains que, pour l’éviter à toute heure, l’homme n’est jamais suffisamment sur ses gardes. À tant de causes si diverses de mort prématurée, s’ajoutent les maladies : bien plus fréquentes, elles sont dans la plupart des cas engendrées par nos propres vices. Quand par hasard elles ne nous ont pas tués, elles sont suivies d’affaiblissement et diminuent le nombre des années qui nous restent. Si une d’elles nous affecte intimement, nous courons sottement vers d’autres gens, chez qui on promet à chacun la vie pour de l’argent, [19][20][21] et où, la plupart du temps, c’est la mort qu’on achète à grand prix : les étiquettes des boîtes donnent le nom de remèdes, mais elles contiennent des poisons, ou peut-être souvent rien d’autre que de la crotte de souris. Quand la bourse qu’ils ont vidée chez ceux-là n’a pas atténué leur mal, vous verrez les malades caresser les genoux des médecins, très sérieusement résolus à dépenser tous leurs biens pour vivre et être soustraits au gibet de la mort, puis s’exposer sans relâche à de nouvelles souffrances [20][22] Une seule chaîne nous tient ici-bas liés les uns aux autres, c’est l’amour de la vie. [21] Pourtant, si la vie n’est rien d’autre qu’un mot, c’est en revanche et en réalité un pénible labeur, ou une lente mort, elle a bien plus le goût de l’aloès [23] que du miel. L’homme ne dispose-t-il vraiment de rien qui puisse balayer ces désagréments ? Nous en détournerions certes une grande partie et ne mendierions pas, par de honteux vœux pieux, une prolongation de quelques années, ou même quelques jours, si nous nous appliquions à prévenir les maladies, tout autant qu’à terrasser celles qui nous accablent ; mais une telle négligence de la santé nous possède que nous ne savons rien faire d’autre que la ruiner. Tu peineras à recouvrer celle que tu as perdue, même en ajoutant de l’argent à tes prières, mais il existe un chemin aisé et fort court pour conserver celle dont tu jouis à présent, pourvu que tu t’y engages sous de bons auspices. Toute l’affaire se résume au point qui suit. »

Article iii [Texte latin]

« Tu veux faire ton bonheur : sois frugal et sobre. Apprends que la plus grande maxime de l’art est de manger quand tu as faim. Fuis la diversité des vins [24] et les mets variés qui stimulent et flattent l’appétit, comme par enchantement. [22][25] Emploie le boire et le manger comme le viatique de ton existence, tout comme de ton trépas, et non pas comme de quoi remplir un récipient. Que ta main soit parcimonieuse, pour ne prendre que ce qui est suffisant, et que la modération des aliments te rende plus heureux que leur consommation. Le plus grand des biens est d’être privé de nourriture, au plus près du minimum indispensable. La plus salubre façon de vivre est de se conformer à la nature : elle demande peu, mais ce que désire l’opinion est sans limites. [23][26] C’est folie d’en désirer tant quand tu possèdes si peu. [24][27] Songe à quel point ton corps est petit : bien que l’intelligence le rende plus grand, elle n’en fera pas un géant. Nous avons souvent l’appétit plus gros que le ventre. [25] Du pain avec du sel l’apaisera quand il aboie, une collation l’aura calmé quand il gronde ; [26] s’il est bien éduqué, il ne sera pas un fâcheux trouble-fête, [27][28] un rien le fera taire, si tu lui donnes ce que tu dois, et non ce que tu peux, sinon il réclame tout ; s’il obéit mal, il te faut devenir sa marâtre, [28] car presque la seule faute à commettre est d’être clément à son égard. Ceci est l’unique et plus éminent précepte des médecins, qui te permettra de te passer d’eux : pour son maître, une bouche qui supporte d’être gouvernée vaut cent médecins. [29][29] Qu’on change une seule virgule à cette sentence quasi divine, et advient, finalement et dans tout son éclat, cette vieillesse que nul n’appelle de ses vœux, même malveillants : celle que proclament repousser les menteurs et les crédules, tout autant que les souffleurs chimistes, avec leurs tout-puissants artifices, leurs panacées, [30] leurs pantomimes, et autres herbes hermétiques, huiles incombustibles ou liqueurs énergiques. [30][31] Jamais le moly d’Homère, [32] le théômbrôtion [33] de Pline ou le dôdécathéos [31][34][35] n’ont égalé la puissance du précepte que j’ai énoncé : les maladies n’auront aucune prise sur celui qui ne se sera rien autorisé par delà ce que recommande la sobriété. Il n’est nul besoin d’avaler toutes ces pilules, de laper tous ces sirops et de vider presque toutes les pharmacies pour que la dégoûtante saburre des humeurs, fille de la gloutonnerie et mère des maladies, soit évacuée par le kermès de Cnide, [36] l’ellébore, [37] la scammonée, [38] l’antimoine (monstre diabolique parmi les remèdes) [32][39] et autres médicaments insensés, exotiques et souvent frelatés ; nous devrions plutôt en purger nos ordonnances, que les employer à nous purger le corps sans péril. [40] Ces remèdes sont propres aux intempérants qui, sachant bien qu’on troue les draps de lin aussitôt qu’on les lave avec du savon et du salpêtre, pensent qu’en avalant souvent des cathartiques [41] ils se nettoient promptement le ventre. Qui vit sobrement, sauf peut-être si sa naissance l’y a autrement destiné et si certaines de ses parties sont mal conformées, sera à l’abri de toute maladie et de toute corruption des humeurs, tant et si bien que jamais il ne manquera de remèdes. Si un coup le blesse, sa plaie n’ulcérera pas, mais cicatrisera toute seule et rapidement ; la peste elle-même, la reine des maladies, quel que puisse être son acharnement à tuer, respectera son excellence, comme elle s’inclina jadis à Athènes devant la tempérance et la quasi-divinité de Socrate. [33][42][43][44] Il va de soi que la vivacité de l’air, du lieu, du froid, du chaud et des causes externes s’affaiblit profondément quand ce que mangent et boivent les habitants ne procure aucune aide à l’ennemi. Mieux encore, sous l’empire d’un état paisible du corps, ce qui charme les sens procure un plus grand plaisir et paraît plus délicieux. Une mer calme est propice à l’éclosion des alcyons, [45] comme une bonne santé l’est à celle de la volupté. [34] Bien plus encore que le corps, l’âme tire grand profit d’une alimentation fort parcimonieuse. Une intelligence acérée fuit un gros ventre, et s’allie plus volontiers à un corps un peu mieux proportionné. Telle une étoile dans un ciel clair, l’esprit brille dans un corps svelte ; moins aussi il a de connivence avec le corps, moins il est habité par le vice. Un cœur paisible et maître de lui-même n’est pas troublé par la colère, n’agite pas de querelles, ne trame pas de révoltes ; il ne brûle pas d’assouvir ses envies ; la nourriture qu’il supporte n’est pesante ni pour son corps ni pour ses biens ; les voluptés ne le consument pas de feux dont il aurait à rougir. [35] Celui qui goûte à peine aux banquets sait imposer silence à son estomac en révolte. C’est à du pain, et non à des aliments sophistiqués, que songe une faim vraiment amie de la chasteté. [36] Les anachorètes chrétiens [46] (comme furent les Esséniens [47] en Palestine, peuple éternel chez qui pourtant nul ne naît) [37][48] veillaient jadis à la pureté de leurs mœurs par une alimentation simple, pour demeurer en bonne santé jusqu’à même atteindre l’âge de cent ans : le pain ou la datte du palmier, qui leur fournissait aussi de quoi se vêtir, composait leurs repas ; ils considéraient comme des gourmandises ce qui se mange chaud ou cuit ; ils buvaient de l’eau fraîche tirée de la source la plus proche ; ils se tenaient aussi éloignés du vin que des villes. Par la grâce de Dieu, les tout premiers tenants de cette frugalité et leurs successeurs vivaient quatre-vingt-dix ans, dans l’ignorance de la viande comme de la fourberie, mais satisfaits de ce que la Nature leur concédait d’elle-même ; nul en effet n’était encore contraint de répandre son propre sang pour ceux qui en sont altérés. [38][49] Avec la si rigoureuse et persévérante abstinence qui produisait ces anciens, dont les entrailles étaient presque d’érable et d’airain, nous irions vers le déclin d’un monde, où notre âge décrépit voudrait être traité plus mollement : [39] nous aimons tant notre intempérance que nous préférons l’excuser que la secouer, et c’est ainsi que le gosier tuerait plus de gens que le glaive. » [40]

Article iv [Texte latin]

« Dans la manière de se nourrir, qui ne sait tenir le juste milieu est en proie à la maladie et au vice. De même qu’une éducation relâchée ruine profondément les ressources de l’esprit et du corps, une frugalité trop stricte diminue l’entrain de l’un comme de l’autre : ainsi, pour apaiser leur faim, quelques-uns mènent une pénible vie de mulet [41][50] et se glorifient de ne pas dépenser un sou pour se nourrir. Priser la crasse, détester les plus simples raffinements, se nourrir de mets aussi dégoûtants que répugnants : voilà le propre de celui qui n’a jamais sacrifié aux Grâces. [42][51][52] Poursuivre avec ardeur les voluptés est luxure, mais fuir ce que l’usage a consacré et qui ne coûte guère est folie. Exigeons de nous la frugalité et non la mortification. [43] Que ta table soit belle mais chiche, et qu’un ami en soit le principal condiment : avec lui tu irrigueras et épanouiras l’amitié, qui est moins convive du ventre que de l’esprit. [44] Nourris-toi de pain : celui du vulgaire si tu n’en as pas d’autre, celui des maîtres si tu peux te le permettre. [45][53][54] Quant aux aliments que tu sers à ta table, qu’ils ne soient pas, s’il te plaît, ceux que prise l’opinion des hommes, [23] qu’artifice ou volupté a corrompue, mais ceux qui sont bien plus amis de ton estomac que de ton palais : ils ne manqueront pas d’agrément, pourvu que les condiments spartiates [55] n’y fassent pas défaut, bien plus salubres que ceux qu’on fait venir des Indes. [46] Qui a faim ne méprise rien, l’appétit n’est pas prétentieux, il te recommandera tout ce que tu devras prendre. Tu veux être mieux disposé de corps et d’esprit, tu veux garder raison et échapper à tout furieux mélange : [22] bois donc de l’eau ! [56] C’est l’aliment de la sagesse : l’eau nourrit, elle aide la digestion, elle vivifie les sens, aiguise le jugement, clarifie l’esprit et le dispose à l’étude ; si bien qu’elle est ce qu’il y a de meilleur pour les animaux, et même pour tous les êtres vivants, y compris pour les humains de quelque âge, sexe ou tempérament qu’ils soient. Le vin est le ciment d’un festin, le lait de l’amour charnel, la semence de la gaieté ; rien n’est plus agréable, la Nature n’a rien donné de meilleur aux hommes ; [47][57][58][59] on en boit par plaisir, et non par nécessité, c’est pourtant un fourbe lutteur, qui s’en prend d’abord au foie, [60] ensuite à la tête et aux pieds ; [48][61][62][63] sa couleur est rutilante, mais aussitôt il mord comme un serpent, et tel le basilic, [64] il répand son venin par tout le corps. [49][65] Les rois, tout autant que les autres hommes, font mieux de n’en pas abuser, s’ils doivent rester maîtres d’eux-mêmes. Certains pensent qu’il exalte l’esprit : sobres, ils sont timides et comme figés, mais s’ils viennent à trinquer, les voilà semblables à des statues de Jupiter cramoisi, [66][67] ils s’évaporent à la manière de l’encens que la chaleur a saisi. [50][68] Le vin pur [69] est le plus scélérat, plus il est fort et plus il est nocif : c’est un miel pour le palais, et un fiel pour la tête ; il a bon goût, il chauffe le ventre, il enfume la tête, mais il finit par attaquer à la gorge ceux qui l’aiment excessivement. [51][70][71] Alors que les plus robustes peinent à le supporter, il est étonnant de voir que certains médecins bafouent ce qu’autorise la Faculté, tant par ignorance que par impudence : ça n’est pas assez qu’à lui tout seul il fasse du tort aux malades, ils le leur font boire imprégné de vénéneux antimoine ; [72] et, Dieu me pardonne, aux remèdes de ceux que la puissance du destin a épargnés, ils mêlent deux poisons, comme si leur combinaison les rendait secourables ; [73] quelles mœurs, quelle époque ! [52][74] La jeune fille qui quittera les nymphes pour l’amour de Bacchus [75] te donne la marque certaine d’une virginité qui va s’envoler sous peu ; [53] et celle qui a abandonné la fleur de sa jeunesse au mari [54][76] est d’autant moins chaste qu’elle s’adonne fort au vin. Même dilué, tu n’en donneras ni aux nourrissons ni aux enfants. À mesure qu’ils avancent en âge, les vieillards le mouillent de plus en plus, et ne boivent plus que de l’eau quand ils approchent de la fin. Il intoxique agréablement les adolescents et les jeunes hommes ; mais quand ils en boivent trop libéralement, leurs entrailles, comme enflammées par les torches qu’elles ont approchées, bouillonnent du feu volcanique de l’amour ; alors, le délicieux méfait semble agréable, les yeux, qui expriment et perçoivent le désir, s’égarent, prêts à s’envoler vers toutes sortes de lascivetés, les mains les plus hardies enfreignent toutes les lois de la pudeur ; [55] alors, quand la furie incendie le foie, [77] la passion se rue à sa guise ; et ils ne font jamais cela furtivement, mais ouvertement, et nulle nuit n’est assez sombre pour les cacher ; [78] le pas qui mène de Liber pater [79] à Vénus, [80] qui brise les reins, [81] est si précipité [82] qu’il faut les dompter en leur interdisant purement et simplement le vin pour châtiment de leur gloutonnerie. [56] Tout le monde observe-t-il vraiment aujourd’hui la loi du régime alimentaire soigneux que les princes des médecins [57][83][84] ont ratifié ? Chacun cherche-t-il déjà à régler sa propre vie ? La sobriété est rare, et une santé solide et constante l’est tout autant, quand une telle cohorte de maladies s’est abattue sur nous parce que ce siècle ne s’est ingénié qu’à faire croître le luxe. [58] Devant un tel étalage de mets, s’il en est un qui ne se laisse emporter au-delà des barrières du strict nécessaire, celui-là est tout à fait remarquable ! [59][85] Le monde entier vénère deux divinités, Edulia et Potina : [86] partout rôdent à présent d’innombrables goinfres, dont le corps est noyé dans la graisse, et l’esprit perdu dans la maigreur. [60] Semblables à l’âne marin, [87] ils ont le cœur dans le ventre : [61][88][89] leurs mains saisissent tout ce qui s’avale, le plus grand de leurs soucis est ce qu’ils mangeront, ce qu’ils boiront, ils rêvent même de nourriture ; ils dévorent comme s’ils avaient un loup dans la panse ; l’indigestion les brise ; repus, ils sont près d’éclater ; ils cherchent des ragoûts [90] pour réveiller la paresse de leur estomac écœuré ; [62] et quand leur bouche est lasse, ils l’inciteraient à mordre encore. D’autres sombrent dans une si profonde hébétude qu’ils sont incapables de se rendre eux-mêmes compte qu’ils mangent : vois comme ils mâchonnent tout d’une dent dédaigneuse, et comment, rebelle, la nourriture s’accumule entre leurs molaires. [63][91] Ceux-là ont besoin d’un cuisinier qui déploie toute son adresse, afin que leur appétit émoussé éprouve quelque sensation de faim capable de leur faire passer au travers du gosier un aliment que la ruse a maquillé ; [64] et ce qu’elle y aura fait entrer sera facilement rendu, non sans quelque arrière-goût de bile. Le ventre ne cause que des souffrances, il est le pire organe du corps : la plus grande partie des mortels vit pour le satisfaire, mais en périt misérablement. Ô monstruosités de la gloutonnerie, hélas ! [65][92] Pour s’alimenter, leur désert suffit aux bêtes sauvages, et une seule forêt, à un tout un troupeau d’éléphants ; mais l’homme se gave de la terre et de la mer ; et pire, il ne se sent pas bien tant qu’il n’a pas accaparé la terre entière pour combler ses délices. On a connu un homme qui, à lui seul, a dépensé en un unique repas le revenu de < trois > provinces, et à qui une table ne semblait pas assez riche s’il n’y couvait pas du regard les animaux venus de tous les pays, pour n’en choisir que les meilleurs morceaux ; à tel point qu’il ne laisse ces bêtes en paix que s’il s’en est dégoûté. [66] La viande de bœuf, d’agneau, de mouton, de chevreau, de veau ne flatte pas le goût si elle n’est arrosée de sauce exotique. [67][93] On traîne sur les tables lièvre, daim, chevreuil, sanglier, cerf et tous les animaux qui sillonnent champs et forêts ; mais aussi tout ce qui vole dans le ciel, oiseaux de Scythie, [94] francolin d’Ionie, perdrix, pintades, [95] dindes, becfigues d’Afrique, bécasses, qu’accompagne très souvent le foie d’oie blanche engraissé par les figues. [68][96][97] Les eaux sont aussi invitées à nous fournir à profusion les poissons qu’elles cachent en leur sein : brochet, rouget-barbet, surmulet, turbot [98] plus que césarien, [69][99] esturgeon qui n’est réservé qu’à peu de gens ; [70][100][101][102] et d’autres, dont le prix tient moins à leur goût qu’à la difficulté de se les procurer, doivent se déposséder de leur chair dans nos ventres pleins. Le naufrage cherche aussi à engloutir les huîtres, qui sont les truffes de la mer ; [71][103][104] et encore ne plaisent-elles que venant du Lucrin. [72][105][106][107] Les champignons suspects ne font pas non plus défaut dans les dîners douteux : on les croit venus des prés, mais à tort car voilà un voluptueux poison qui vous tord les tripes, et que même les rudes intestins des moissonneurs sont incapables de supporter. [73][108][109] Pour ne rien omettre des sacrifices qu’on consent à la gourmandise, une infinité de fruits concluent ces somptueux festins : crus, cuits, confits, dénaturés par quantité de sucre ; [110] pommes adoucies au miel, [111] pain d’épices, friandises miellées, et autres vétilles pesantes pour l’estomac et tout à fait indigestes, engendrent un fâcheux amas de bile [112] et une abondance inouïe d’excréments. La débauche de boisson [113] n’est pas moins effrénée que celle de nourriture. Le froid se conserve pendant les chaleurs estivales et on obtient que dans les mois où elle fond la neige, qui est l’écume des eaux du ciel, reste glacée ; et l’ingéniosité du vice est allée jusqu’à découvrir qu’ainsi l’eau enivre aussi ; mais la plupart des hommes, séduits par l’ébriété, ne conçoivent pas d’autre plaisir qu’elle dans la vie. [74][114][115][116] Peu s’en abstiennent, et on se moquerait presque d’eux ; beaucoup sont des piliers de cabaret et des rameurs de coupes[117] comme s’ils étaient nés pour gaspiller les vins. Très stupidement, pires que bétail, ils se poussent les uns les autres à boire. Ces hommes, ou plutôt ces amphores, n’appellent-ils pas perdre leur vie, [75] quand, dans de feintes réjouissances, ils passent souvent des jours et des nuits à boire, ajoutant une nouvelle ivresse à celle de la veille, pour, comme ils disent, dissiper la crapule par la crapule ? [76] Cela aide d’avoir la folie drôle et de délirer en plaisantant. [77] Pour ces veillées de Bacchus, par serment de la main droite, ils engagent leur parole que nul ne s’en ira ni ne déposera les étendards, pour tenir et lutter jusqu’à la dernière goutte. [78] Dans ce combat dionysiaque, on dispute à qui boira le plus et on loue pour leur crime ceux qui parviennent à l’emporter ; [79] les derniers de tous à devenir soûls, ceux qui se montrent capables d’ingurgiter le plus de vin, emportent la palme, et la seule chose qui les attriste est d’avoir été vaincus par les tonneaux eux-mêmes. Mais quelle débauche barbare ! quel amour monstrueux et presque incroyable de l’ébriété ! Même les peuples qui n’ont ni vignes ni vin s’enivrent : Indiens, [118] Perses, [119] Messagètes, [80][120] Tartares, [121] Chinois, [122] Américains [123] n’en ont point, mais ils ont découvert certains genres nouveaux de boissons qui induisent l’ivresse ; à tel point que l’ébriété n’est à tenir pour inexistante où que ce soit dans le monde. Pourquoi l’homme, qui est un être sacré et la représentation de Dieu sur Terre[81][124] se tue-t-il donc à tant boire ? Et souvent étouffé par l’angine de vin, [82][125][126] il part au tombeau, après avoir été tant de fois englouti par d’immenses flots de vin. Il n’y a vraiment rien de bon dans le vin, à part la vérité, car il est une douce torture qui permet de la découvrir. [83] Sinon, il est une source de crimes et de toutes sortes de maux, et le père de quantité de maladies qui, pour la plupart, ont la mort pour seul remède, si l’abstinence n’y a pourvu dès le début. »

Article v [Texte latin]

« Tout va donc bien pour ceux qui placent leurs intérêts hors du gosier, ce très funeste fléau du genre humain : [127] affranchis de la soumission à la pernicieuse gloutonnerie, ils n’accordent à leur corps rien de plus que ce qui suffit à protéger leur santé. La punition suit bien sûr de près le péché d’intempérance : [84] enchaînement continu de maladies, ou mort aussi prématurée que méritée. Ainsi, en récompense de leur frugalité, les gens sobres récoltent-ils une abondante moisson, et y recueillent-ils une véritable vigueur : leur esprit et leur corps montrent qu’ils ont préféré une longue et heureuse santé à la volupté que procurent les délices de la nourriture et de la boisson, laquelle est brève, de funeste issue et sœur de la souffrance. Sur leur visage comme en toute l’habitude de leur corps, reluisent ce teint remarquable, et cette couleur verdoyante et inconnue du vieillard ; [85] leur esprit lui-même est heureux et gai, et semble déverser sa vivacité dans un corps qui jouit pleinement de toutes ses fonctions vitales, sans place pour le chagrin ni pour la souffrance. Tout danger de tomber malades leur est étranger : même si leur hérédité, leur faible constitution ou leur précédente manière de vivre les y a prédisposés, ils y échapperont, car s’y opposeront la salubrité de leurs organes et la conformité de leur régime alimentaire à la règle. [86][128] Pas même la vieillesse, elle qui désagrège tout, ne parvient à les briser, [87][129] et parvenus au port de leurs jours, ils apparaissent parfaitement gaillards : [88] leurs yeux jouissent de la pleine lumière, [130] leurs pieds ne traînent pas sur le sol ; leur ouïe est nette et perçante, leurs dents sont blanches et inébranlables, leur voix est éclatante, et leur corps solide et plein de bon suc ; leurs blancs cheveux contrastent avec leur teint vermeil ; leur vigueur dément leur âge ; une vieillesse fort avancée n’éparpille pas la ténacité de leur mémoire ; un sang refroidi n’émousse pas l’acuité de leur intelligence, [131] leur main ne tremble pas et tient fermement la plume sans s’égarer hors de la droite ligne ; [89][132] ils miment la jeunesse et ne diffèrent d’elle que par leur sagesse. La conservation d’une bonne santé ne requiert pas grand-chose : la nature se contente de peu, [90][133][134] le pain et l’eau satisfont le désir du sage ; et si tu y ajoutes un petit rien, il pourra disputer du bonheur avec Jupiter. [91][135][136] Polyphagie et polyposie sont, crois-moi, affaire d’habitude, et non de nature. [92][137] Qui consomme peu de vin, en le diluant beaucoup, [138] aime sa propre vie et se gratifie lui-même d’une infinité d’avantages ; mais une iliade de maux [93][139] immenses découle de son abus, en minant la substance qui produit la chaleur innée, [140] et en dissipant et engloutissant l’humide radical. Le vin est un douteux ami, un Protée [141] à deux têtes : aujourd’hui, il procure fort peu d’avantages, mais demain ses méfaits seront extrêmement pesants. Il rend la vie plus gaie et plus vaillante, mais plus courte. Il procure au corps ce que fait la chaux qu’on répand au pied d’un arbre, qui accélère certes la venue des fruits, mais tue l’arbre : ainsi en va-t-il du vin qui, par l’ardeur qu’il engendre, stimule les esprits et leurs facultés, mais qui en vérité hâte le trépas, [94] car il ouvre la porte à une infinité de maux que presque aucune massue d’Hercule [95][142][143] n’est capable d’abattre. Aucun émétique ne guérit l’apoplexie. [144][145] Nulle herbe de Phébus [146] ni nul amulette [147][148] ne vient à bout de l’épilepsie (qui n’est pas proprement la convulsion). [96][149] Nul sudorifique [150] ne guérit la paralysie, ni l’éphialte, qu’on dit mensongèrement être le fait de mauvais génies. [97][151] La saignée [152] et la consommation d’eau froide [153] sont les plus éminents remèdes du rhumatisme, [154] lequel vient d’une effusion des veines, phénomène presque inconnu des Anciens, mais qui est l’équivalent des synoques de Galien. [98][155] Rien ne soigne mieux l’angine que la saignée des veines jugulaires. [156][157] Dans les fièvres pestilentes, [158] pourprées et malignes, [159][160] aucun secours n’est à attendre du bézoard, [161] cette idole des sots, de la thériaque, [162] cette composition d’extravagance, [99] ou du mithridate, [163] cet infâme chaos d’herbes, masse informe et confuse d’une multitude de simples, qui sont ennemis de la chaleur innée par leur ferveur excessive, leur acrimonie ou leur nocivité ; non plus que de la confection d’alkermès [164] et d’hyacinthe, [165] du diamargariton, [166] ou d’autres chimères des Arabes ; [100][167][168] Les péripneumonies [169] ne rendent les armes devant aucun de leurs sirops ou de leurs béchiques, [170] dont il est inutile de donner les noms. La phtisie [171] n’est curable par aucun lait, pas même celui de femme. [172] Les aselles aquatiques n’ont aucun pouvoir contre l’asthme, et ceux qui les prescrivent sont pis que petits ânes. [101][173][174] Ni l’emploi des hydragogues [175] ni la paracentèse [176] ne suppriment l’hydropisie, [177] qui résulte d’une cause chaude, mais ne siégeant pas toujours dans le foie. La puissance ignée des diurétiques ne fait pas bouger, ne serait-ce que d’une ligne, un calcul des reins qui irrite le collet de l’uretère en provoquant d’atroces souffrances ; [178] pour celui de la vessie, [179] nul lithotritique [180] n’est capable de le dissoudre ni de le briser. La rhubarbe torréfiée [181] et les myrobolans [182] aggravent la dysenterie, [183] mais la phlébotomie [184] la supprime. Boire de l’eau froide atténue le flux hémorroïdaire. [185] La purgation [186] supprime chiragre [187] et podagre, qui sont les rejetons de mauxmuets >. [102] Quand les sobres finiront par en venir là où tous ont à en venir, ils quitteront paisiblement le monde des vivants, pour sembler s’endormir et non pas mourir, en jouissant, en récompense de leur frugalité heureuse et bénie, de cette fameuse euthanasie [188] des vieux princes, que tant de gens ont vainement désirée. [103][189] À quoi bon en dire plus ? Nous conseillons de vivre dans la modération, non seulement pour notre propre bien, mais aussi et surtout pour celui de nos enfants : tant il est vrai que la sobriété, en bonne nourrice des hommes, accroît la vigueur de leur descendance ; car si on l’applique à la procréation, elle rend la semence saine et féconde, et l’utérus solide, et comble les heureux parents d’une belle et nombreuse progéniture ; et après qu’ils auront vécu très vieux et en bonne santé, ils vivront encore longtemps au travers de leurs enfants. Enfin, celui qui aura érigé la tempérance en principe de vie ne sera jamais incommodé d’aucune calamité ni d’aucune misère. [104][190]

Une sobriété prudente et déterminée est donc la mère d’une longue et agréable vie.

Question que Jean de Montigny[105][191] natif d’Avranches, [192] a soumise en la 1647e année de la rédemption du salut humain. »

Dédicace [Texte latin]

« Au très noble et illustre M. Nicolas Le Bailleul, [106][193] président au Parlement de Paris et chancelier de la reine[194] etc.

Si la vertu impose de ne pouvoir porter un jugement sur soi-même, sauf à y être astreint, je ne puis vous prier (très illustre président) d’être le juste et impartial arbitre des avantages que procure une sobriété de vie observée en tout point. C’est elle qui a non seulement nourri, mais aussi accru et fait briller la gloire de la très noble famille des Le Bailleul ; celle dont a joui celui de vos ancêtres qui, au cours d’une bataille, à la tête des Bretons, fut désarçonné et presque saisi par les ennemis, mais remonta courageusement sur son cheval, ce qui lui a justement mérité les enseignes de Bretagne qui figurent sur vos armoiries. [107] Cela vous a été autorisé par les rois Henri le Grand [195] et Louis le Juste[196] comme leurs prédécesseurs l’avaient fait pour votre très vigoureux père, dont la sobriété apparaît clairement, car nous ne doutons point de son mérite. [108][197][198] La tempérance est en effet la mère de toutes les autres vertus ou, pour parler comme Ficin, elle est toute la vertu. [109][199] C’est elle qui vous a mené à servir l’Église, le roi et le peuple, car vous avez été nommé magistrat, maître des requêtes, président au grand Conseil[200] président au mortier, et enfin surintendant des finances. Votre sagesse à diriger une si éminente charge vous a valu toute la considération de notre grande reine, car elle a compris que seul un homme tempérant pouvait la mettre à l’abri de la cupidité. [110] Ainsi établi dans le royaume, à l’instar d’une grande maison, vous devez administrer les biens du roi comme notre patrimoine commun, c’est-à-dire avec autant de zèle que de fidélité ; vous appliquez en vérité tant de soin à cette affaire que vous ne laisserez pas d’autre héritier de vos biens personnels que le peuple, comme s’il s’agissait d’un domaine négligeable. Quelle est cependant la source de tout cela, sinon cette sobriété qui vous soustrait à tant et tant de plaisirs, et vous rappelle que vous n’êtes pas né pour votre bien propre, mais pour celui du public ? Il s’agit donc d’une vertu remarquable que doivent cultiver tous les éminents personnages, non parce qu’elle fuit les voluptés, mais parce qu’elle en poursuit de bien plus élevées. Le ciel vous rendra ce que vous avez donné à la terre : il vous procurera généreusement l’absence de chagrin que tous désirent vivement, la longévité que souhaitent les gens heureux, l’euthanasie qu’espèrent les sages, [103] et l’immortalité à laquelle aspirent les chrétiens. En effet, le tempérant ne redoute pas l’atrocité des souffrances que procure la mort car elle ne lui arrache pas violemment la vie, mais la lui soustrait furtivement ; son esprit quitte l’asile de son corps comme on sort d’une maison délabrée, mais sans en être expulsé, car les sobres paraissent plutôt s’endormir que périr. La fin d’une vie sobre ne peut être qu’aisée. Jouissez donc (très éminent Monsieur) du bien que vous possédez, vous qui menez une vie digne d’être vécue, dont tous admirent le renom, mais que peu imitent, et à peine quelques-uns y parviennent. Voilà ce pourquoi prie, sans peut-être en être digne, mais du fond du cœur,

très illustre président,

votre très obéissant et dévoué serviteur, Jean de Montigny. »

Commentaires (Loïc Capron)

Strictement consacrée aux « choses non naturelles », c’est-à-dire à l’hygiène, [201] cette thèse est parfaitement conforme à l’esprit d’une question cardinale. [111]

Sans aucune originalité, Patin liait avec conviction et enthousiasme la santé à la sobriété, vertu qu’il tenait pour l’unique véritable panacée, au profond mépris de toutes celles que, de bonne ou de mauvaise foi, les charlatans de tout poil vantaient alors, et vantent encore de nos jours. Pour l’essentiel, les mœurs de l’homme sont responsables de ses maladies et de sa trop brève existence. On retrouve ici les préceptes que Patin avait développés avec moins d’intransigeance et plus d’esprit (à mon goût) dans son Traité de la Conservation de santé (1632). Sa démonstration se fonde sur des convictions morales, et non sur une observation rigoureuse et objective des faits : bel exemple du dogmatisme [202] opposé à l’empirisme, [203] en pleine fidélité avec le courant qui prévalait encore dans l’École médicale parisienne. La sobriété promet, voire garantit une longue et agréable vie, sans se pencher un instant sur le paradoxe entre les tempérants qui peuvent mourir tôt (Jean de Montigny n’en a été qu’un exemple), [105] et les libertins effrénés [204] à qui il arrive de vivre fort vieux. La seule limite que Patin met à son tout-puissant principe est, à la fin de l’article iii, une timide réserve sur ce que deviendrait le monde si tous y respectaient l’ascèse des anachorètes antiques. [37]

La Sobriété de 1647, consacrée au rôle de l’acquis (environnement) sur la santé, se faisait le pendant de L’homme est par nature tout entier maladie de 1643, consacrée à l’inné (hérédité), mais sans intention d’en être le complément, car la seconde ne dit presque rien de la première, hormis de brèves allusions aux « parfaits innocents », innocentissimi, qu’une « débilité innée », innata imbecillitas, a défavorisés. Patin laissait aux bienveillants lecteurs le soin de concilier à leur guise les deux points de vue, en apparence contradictoires, sur la « grâce » que représente la santé humaine. [112]

Les deux textes recourent toutefois au même sidérant procédé d’écriture. La Sobriété est aussi un long centon : du début à la fin, elle coud bout à bout des citations latines empruntées à des écrivains qui ne sont jamais nommés. Sans prétendre les avoir tous identifiés, j’ai compté 146 emprunts à 40 auteurs.

Ainsi rapiécé, le latin de Patin n’est ni limpide, ni partout des plus simples à comprendre : pour en trouver le sens exact, j’aurais parfois peiné à le traduire correctement sans remonter aux sources où il a puisé. En fouillant pour les identifier, j’ai d’ailleurs constaté que maints auteurs ultérieurs ont repris ses phrases, bien souvent sans citer, eux non plus, leur origine. Je me suis aussi dit que les apothicaires parisiens, en dehors des attaques transparentes et frontales des articles iii et v contre plusieurs médicaments, avaient dû peiner à entendre ce texte sans la complicité de quelques docteurs antimoniaux de la Faculté, ennemis de son clan antistibial, alors encore majoritaire. [207]

Tout cela ne surprend en rien qui a lu les lettres de Patin antérieures à 1647, mais ses propos y étaient privés, tandis que sa thèse proclamait publiquement ses avis du haut des bancs de la Faculté, avec une emphase et une virulence bien plus acérées que dans son Traité de la Conservation de santé.

Le plus notable point commun à la quodlibétaire de 1643, L’homme est par nature tout entier maladie, et à la cardinale de 1647, sur la Sobriété, mère de longue et agréable vie, est d’avoir toutes deux traîné Patin devant le Parlement pour répondre aux plaintes respectives de Théophraste Renaudot [208] et des pharmaciens. [209] Absolument sûr de son fait, sans la moindre crainte du ridicule et soutenu par la cabale dogmatique de la très salubre Faculté, il est sorti vainqueur de ces deux procès et en a tiré une grande part de sa célébrité naissante, pour sa meilleure comme pour sa pire fortune.


1.

« Question médicale,

qui doit être disputée dans les Écoles de médecine, parmi les thèses cardinales, le matin du jeudi 14 mars, {a} sous la présidence de
M. Guy Patin, docteur en médecine et professeur de chirurgie. {b}

“ Une sobriété prudente et déterminée n’est-elle pas la mère d’une longue et agréable vie ? ” » {c}


  1. L’année, 1647, est indiquée à la fin.

    V. note [1], lettre 1, pour la définition d’une thèse cardinale et pour sa place dans le cursus médical parisien.

  2. Patin a été élu professeur de chirurgie le 9 novembre 1645 pour exercer cet enseignement à la Faculté de médecine d’octobre 1646 à octobre 1647 : v. note [4], lettre 142.

  3. V. note [6], lettre 143, pour le scandale que cette cardinale provoqua chez les apothicaires de Paris, et le retentissant procès qu’ils perdirent contre Patin dès le lendemain de sa soutenance.

    Dans ses lettres, Patin s’est copieusement flatté d’avoir été l’auteur de cette thèse et, là-dessus, sa lecture ne laisse aucune place au doute.


Cette cardinale a été réimprimée dans les Medici officiosi Opera [Œuvres du Médecin charitable] de Philippe Guybert (Paris, 1649, v. note [13], lettre 207), pages 446‑464. Elle est ici traduite et annotée pour la première fois (à ma connaissance).

2.

Livre de la Sagesse (2:5, latin de la Vulgate) :

Umbræ enim transitus est tempus nostrum, et non est reversio finis nostri.

[Notre vie est le passage d’une ombre ; sa fin est sans retour].

3.

Sénèque le Jeune, De Brevitate vitæ [La Brièveté de la vie], chapitre i, § 1 :

Maior pars mortalium, Pauline, de naturæ malignitate conqueritur, quod in exiguum ævi gignimur, quod hæc tam velociter, tam rapide dati nobis temporis spatia decurrant, adeo ut exceptis admodum paucis ceteros in ipso vitæ apparatu vita destituat.

[La plupart des mortels, cher Paulin, déplorent amèrement la méchanceté de la nature : nous naissons pour une vie bien courte ; le peu d’années qui nous sont données fuient si vite et si rapidement que, hormis un fort petit nombre, la vie délaisse les autres au moment même où ils se disposaient à y entrer].

4.

Sénèque le Jeune, De Vita beata [La Vie heureuse] (chapitre i, § 1) : conteretur vita inter errores [la vie s’usera en égarements].

5.

Sénèque le jeune, Lettres à Lucilius, épître i :

Magna pars vitæ elabitur male agentibus, maxima nihil agentibus, tota vita alius agentibus.

[Une grande part de la vie se passe à mal faire, la plus grande à ne rien faire, et entièrement à faire autre chose que ce qu’on devrait].

6.

Sénèque le Jeune, De Brevitate vitæ (v. supra note [3]), chapitre i, § 3 :

Satis longa vita et in maximum rerum consummationem large data est, si tota bene collocaretur.

[La vie est suffisamment longue et donne largement le temps d’accomplir de très grandes choses, si elle est tout entière bien employée].

7.

Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius (épître xli) : in vitia alter alterum trudimus.

8.

Double emprunt à Sénèque le Jeune :

9.

Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître lxxx :

Si vis scire quam nihil in illa mali sit, compara inter se pauperum et diuitum vultus : saepius pauper et fidelius ridet ; nulla sollicitudo in alto est ; etiam si qua incidit cura, velut nubes levis transit: horum qui felices vocantur hilaritas ficta est aut gravis et suppurata tristitia, eo quidem gravior quia interdum non licet palam esse miseros, sed inter ærumnas cor ipsum exedentes necesse est agere felicem. […] Idem de istis licet omnibus dicas quos supra capita hominum supraque turbam delicatos lectica suspendit : omnium istorum personata felicitas est.

[Si tu veux savoir comme les pauvres sont malheureux, compare donc leurs mines à celles des riches. Le pauvre rit plus souvent et plus franchement ; nul souci n’a grande importance pour lui ; et qu’il en vienne un, il passera comme un nuage. Quant à ceux qu’on qualifie d’heureux, leur gaieté est feinte : elle cache la lourde tristesse qui suppure au fond d’eux, et elle est d’autant plus pesante qu’il ne leur est pas permis d’être ouvertement malheureux, et qu’au milieu des chagrins qui leur rongent le cœur, il leur faut sembler heureux. (…) Tu peux en dire autant de tous ces mignons dont le regard plane, du haut de leur litière, sur nos têtes et sur la foule : leur félicité n’est que déguisement].

10.

Emprunt mot pour mot à Tacite, Annales (livre vi, chapitre 6), citant praestantissimus sapientiæ [le plus éminent des sages] (mais sans le nommer) pour parler de l’empereur Tibère (v. note [3], lettre 17) :

si recludantur tyrannorum mentes, posse aspici laniatus et ictus, quando ut corpora verberibus, ita sævitia, libidine, malis consultis animus dilaceretur.

11.

Sénèque le Jeune, La Providence (chapitre vi) : ad similitudinem parietum suorum extrinsecus culti.

12.

Sénèque le Jeune, De Beneficiis [Les Bienfaits] (livre iii, chapitre xxxi), s’adressant à son père :

Non est bonum vivere, sed bene vivere. At bene vivo : sed potui et male : ita hoc tantum est tuum, quod vivo. Si vitam imputas mihi per se, nudam, egentem consilii, et id ut magnum bonum iactas, cogita te mihi imputare muscarum ac vermium bonum.

[Le bien n’est pas de vivre, mais de bien vivre. Oui, je vis bien, mais j’aurais pu vivre mal : ainsi la seule chose que je tienne de toi, c’est de vivre. Si tu me fais valoir la vie en soi, toute nue et dépourvue de raison, et me la vantes comme un grand bien, songe que tu me fais valoir un bien dont disposent les mouches et les vers].

13.

Ce latin de Guy Patin vient de deux sources.

14.

Putabilis est un adjectif latin inventé, forgé sur le contraire d’inexputabilis, qui signifie « incalculable ». Le mot « calculable » n’étant apparu en français qu’au xviiie s., j’ai choisi « comptable » pour donner un sens imparfait à putabilis et conserver la rime (tout en perdant la probable allusion à la prostitution).

Ce mordant jeu de mots, sans antériorité que j’aie su trouver, entend avilir l’or potable des alchimistes. {a} Guy Patin n’en est probablement pas l’inventeur car je n’ai pas vu son nom dans le curieux opuscule d’un chercheur de panacée qui a repris putabilis dans son titre :

Johannis Frickii, Med. Doctoris, Facultatis Kiloniensis Adsessoris, in Patria Poliatri, Diatribe Medico-Spagirica de Auro potabili Sophorum, et Putabili Sophistarum, Ιατροσοφοις candide proponens Artis Spagiricæ Subjectum genuinum, modum operandi legitimum, et medicamentorum revera Polychrestorum præparationem secretissimam

[Diatribe médico-spagirique de Johann Frick, docteur en médecine, assesseur de la Faculté de Kiel, médecin de sa ville natale, sur l’Or potable des sages, et comptable des sophistes, exposant de bonne foi aux iatrosophes {b} son appartenance authentique à l’art spagirique, son mode légitime d’action, et la très secrète préparation des médicaments véritablement polychrestes]. {c}


  1. V. note [6], lettre 155.

  2. Sages de la médecine ; v. note [33] du Faux Patiniana II‑1 pour les sophistes.

  3. Hambourg, aux dépens de l’auteur, 1702, in‑4o de 75 pages.

    V. première notule {a}, note [32] de L’ultime procès de Théophraste Renaudot contre la Faculté de médecine de Paris, pour le mot polychreste (synonyme de panacée).

15.

V. notes [8], lettre 544, pour l’humide radical, et [18], lettre 192, pour une description (par Jean ii Riolan) du lent circuit que le sang aurait parcouru dans le corps, censé (selon Galien) y distribuer la chaleur, dite native, émanant du cœur et dissipée par les poumons.

La plume dont je suis le truchement étant celle de Guy Patin, j’ai bien sûr évité de traduire circumfluere par « circuler » : v. sa thèse de 1670 contre la circulation.

16.

Jean Fernel, Universa Medicina [Médecine universelle] (Genève, 1627, v. note [1], lettre 36), Pathologia [Pathologie], livre i, De morbis eorumque causis [Les Maladies et leurs causes], chapitre xii, Evidentium causarum genera [Genres des causes évidentes], page 355 :

Naturalem igitur vitæ cursum complebit, qui turbulentis externarum procellarum fluctibus minime iactabitur.

[Celui qu’auront donc le moins ballotté les flots que secouent les ouragans du grand large ira jusqu’au bout du cours naturel de son existence]. {a}


  1. Ma traduction s’écarte sciemment de celle qu’a donnée l’édition française de la Pathologie (Paris, 1655, page 42), où il n’y a pas d’allégorie marine :

    « Celui-là donc achèvera le cours naturel de la vie, lequel ne sera point agité par les efforts violents des choses nuisibles qui sont hors de lui. »

17.

Columella (v. note [32], lettre 99), à propos de la génisse saillie par le taureau, dans son De Re rustica [L’Économie agricole] (livre vi, chapitre xxiv) :

Nam quamvis plena fœtu non expletur libidine. Adeo ultra naturæ terminos etiam in pecudibus plurimum pollent blandæ voluptatis illecebræ !

[Quoique pleine, elle n’est pas rassasiée de plaisir : tant sont impérieux, même chez le bétail, les doux attraits de la volupté, bien au delà de ce qu’exige la nature !]

18.

De poison, mais avec méprise sur le sens qu’Horace (v. note [3], lettre 22) a donné à l’acetum Italum [vinaigre italien] : v. note [13] du Borboniana 1 manuscrit.

19.

Sans surprise, pour médire des pharmaciens, Guy Patin a ici emprunté à la vigoureuse diatribe de Pline l’Ancien contre les médicaments venus d’Orient (Histoire naturelle, livre xxiv, chapitre i, Littré Pli, volume 2, pages 133‑134) :

Hæc sola naturæ placuerat esse remedia, parata vulgo, inventu facilia ac sine inpendio, et quibus vivimus. Postea fraudes hominum et ingeniorum capturae officinas invenire istas, quibus sua cuique homini venalis promittitur vita. Statim compositiones et mixturæ inexplicabiles decantantur. Arabia atque India in medio æstimantur, ulcerique parvo medicina a Rubro mari inputatur ; cum remedia vera quotidie pauperrimus quisque cœnet. Nam si ex horto petantur, aut herba, vel frutes, quæratur, nulla artium vilior fiat. Ita est profecto : magnitudo populi Romani perdidit ritus, vincendoque victi sumus. Paremus externis, et una artium imperatoribus quoque imperaverunt.

« Les seuls remèdes que la nature nous avait destinés sont ceux qu’on trouve facilement, tout préparés et sans aucune dépense ; les substances mêmes qui nous font vivre. Plus tard la fraude humaine et des inventions lucratives ont produit ces officines, où l’on promet à chacun la vie pour de l’argent. Aussitôt on nous vante des compositions et des mélanges inexplicables. On prise parmi nous l’Inde et l’Arabie : pour un petit ulcère on demande un remède à la mer Rouge, tandis que chaque jour le plus pauvre d’entre nous dîne avec de vrais remèdes. Si on prenait les remèdes dans nos jardins, si on employait l’herbe ou l’arbrisseau qui y croissent, la profession médicale serait sans crédit. Nous en sommes venus là : le peuple romain, en étendant ses conquêtes, a perdu ses anciennes mœurs ; vainqueurs, nous avons été vaincus. Nous obéissons aux étrangers ; et à l’aide d’une seule profession, ils commandent à leurs conquérants. »

20.

Horace :

21.

Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître xxvi, § 10 : Una est catena quæ nos alligatos tenet, amor vitæ.

22.

Les Symposiaques ou Propos de table de Plutarque, {a} mis en latin, figurent dans ses :

Opuscula varia : quæ magna ex parte sunt philosophica : vulgo autem Moralia opuscula nimis angusta appellatione vocantur. Ex diversorum interpretationibus, quarum quædam sunt Henrici Stephani, non antea editæ. Indici superioribus multo locupletiori adiunctæ sunt Annotationes eiusdem Henr. Stephani.

[Opuscules variés, qui sont en grande partie philosophiques, auxquels on donne aussi le nom trop restreint d’Œuvres morales. Tirés de diverses traductions, dont celles d’Henri Estienne {b} n’ont pas été précédemment publiées. À un index beaucoup plus riche que dans les précédentes édiitons, ont été ajoutées les annotation du dit Henri Estienne]. {c}

Ne maîtrisant pas le grec, Guy Patin leur a emprunté ce passage du Symposiaque  iv, question i, Multiplexne cibus, an vero simplex concoctu sit facilior [S’il est plus facile de digérer plusieurs espèces d’aliments qu’une seule], tome 2, pages 541 et 544 :

Multæ autem et variæ qualitates invicem nonnihil contrariæ, repugnando sese mutuo abolent, (instar multitudine convenarum ac promiscuæ turbæ in civitate) neque consentientem admittunt constitutionem, dum unaquævis suapte natura alienis reluctans, coitionem respuit. Vinum nobis evidens huius rei indicium suppeditat : celerrime enim inebriat diversorum vinorum usus, quas allœnias Græci dicunt ; similis autem est ebrietas cruditati a vino non cocto profectæ ; ideoque vitant mixtum vinum potiores ; et qui miscent, clam id faciunt, ut qui insidias struant. […]

Atqui (inquis) varietas excitat et allicit quasi præstigiis captam appetentiam, suiipsius non compotem : nimirum, lepidum caput, mundities, et stomacho succus congruens, odor bonus, atque omnino suavitas facit ut plus edamus et bibamus.

[Quand ils {d} possèdent des qualités multiples et variées, se combattant les unes les autres (tels une multitude d’aventuriers étrangers affluant dans une cité), ils peinent pourtant à prendre une consistance uniforme : chacun d’eux dédaigne ce qui ne lui est pas semblable et refuse de s’y unir. Le vin nous en procure une preuve évidente : l’usage de vins mêlés, ce que les Grecs nomment l’allœnie, {e} enivre très promptement ; de même, l’ivresse est-elle semblable à une indigestion due à la crudité du vin ; c’est pourquoi les buveurs évitent de mélanger les vins, et ceux qui les brouillent ainsi le font en cachette, comme s’ils tendaient un piège. (…)

Mais, dis-tu, la diversité des mets excite et flatte, comme par enchantement, un appétit qui n’est plus maître de lui-même. Assurément, mon délicieux ami, la propreté du service, le suc harmonieux qui emplit l’estomac, la bonne odeur, bref, tout ce qui concourt à la suavité nous fait boire et manger davantage]. {f}


  1. V. note [9], lettre 101.

  2. Henri ii Estienne, dit le Grand Estienne, v. note [31], lettre 406.

  3. Paris, Henri Estienne, 1572, 3 tomes in‑8o.

  4. Les aliments.

  5. Diversité des vins, alloïnias.

  6. Voici, par pure curiosité, la loquace traduction française de Jacques Amyot, {i} Œuvres morales et mêlées de Plutarque, {ii} volume 1, pages 389 ro et 390 ro :

    « Là où quand il y a plusieurs diverses qualités contraires en facultés les unes aux autres, elles s’en corrompent plus facilement, d’autant qu’elles s’empêchent les unes les autres, ne plus ne moins qu’une ville et une tourbe confuse de gens ramassés de toutes pièces, difficilement peut prendre consistance bien unie et accordante, parce que chacune partie tire à son profit particulier et à sa privée affection, à l’encontre de l’autre, et ne se peut jamais accorder et entendre avec ce qui lui est étranger. Ce que l’on peut voir évidemment par un exemple bien familier du vin, pour ce qu’il n’est rien qui enivre plus promptement que le vin mêlé de plusieurs. Or semble<-t->il que l’ivresse ne soit autre chose qu’une indigestion de vin qu’on ne peut cuire : c’est pourquoi ceux qui font profession de bien boire fuient le plus qu’ils peuvent le vin brouillé, et ceux qui le brouillent aussi le font à cachette, le plus secrètement qu’il leur est possible, comme ceux qui dressent une embûche. […]

    Voire mais, {iii} la pluralité et diversité des viandes ravit et transporte hors de soi l’appétit, de manière qu’il n’est pas maître de soi-même. Je te réponds aussi qu’elle tire après soi la netteté, qu’elle fait bon estomac, qu’elle rend l’haleine douce et, bref, qu’elle tient l’homme plus joyeux et plus gai, et nous dispose à mieux boire et mieux manger. »

    1. V. note [6], lettre 116.

    2. Paris, 1572, v. note [32], lettre 223.

    3. En vérité.

23.

Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître xvi :

Istuc quoque ab Epicuro dictum est : “ Si ad naturam vives, nunquam eris pauper ; si ad opinionem, nunquam eris dives. ” Exiguum natura desiderat, opinio immensum.

[Épicure a aussi dit : « Si tu vis en conformité avec la nature, jamais tu ne seras pauvre ; en conformité avec l’opinion, {a} jamais tu ne seras riche. » La nature demande peu, ce que désire l’opinion est sans limites].


  1. L’opinion est celle que les autres se font de soi.

24.

Sénèque le jeune, Consolatio ad Helviam [Consolation à Helvie], chapitre x, § 6 :

Nonne furor et ultimus mentis error, cum tam exiguum capias, cupere multum ?

[N’est-ce pas folie et comble de l’égarement mental que d’en désirer tant quand tu possèdes si peu ?]

25.

Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître lxxxix, avec remplacement de vos [vous (avez)] par nos [nous (avons)].

26.

Horace, Satires, livre ii, 2, vers 17‑18 :

                           Cum sale panis
latrantem stomachum bene leniet
.

[Du pain avec du sel apaisera bien un estomac qui aboie].

27.

Molestus interpellator venter [le ventre est un fâcheux trouble-fête] est un adage (no 2909) qu’Érasme (v. supra notule {e}, note [13]) a tiré de trois vers d’Homère (chant vii de L’Iliade), qu’il a ainsi traduits en latin :

Non est improbrior res altera ventre molesto,
Quippe vel invitum meminisse sui jubet, et si
Valde animo crucieris et angat pectora mæror

[Il n’y a pas chose plus impudente qu’un ventre fâcheux : il t’oblige malgré toi à ne pas l’oublier, même si tu as l’esprit inondé de douleur et le cœur serré par le chagrin].

28.

Érasme (adage no 1195) a fait de l’odium novercale [la haine de marâtre] l’égale de l’odium Vatinianum [la haine vatinienne] (v. note [17], lettre 315).

Marâtre est le synonyme péjoratif de belle-mère (au sens de seconde épouse du père d’un enfant) : « mère dénaturée qui désavoue, qui expose ses enfants, qui n’a point de tendresse pour eux, qui n’a pas soin de leur éducation, ni de leur fortune » (Furetière).

29.

Emprunté à Jeremias Drexel, {a} ce précepte figure dans son traité posthume intitulé Tobias morali doctrina illustratus [Tobie rendu lumineux par la doctrine morale], {b} seconde partie, page 242, fin du chapitre i, Tobias Junior sanitatis a Deo impetrandæ cupidissimus [Tobie le Jeune {c} très désireux d’obtenir de Dieu la santé] :

Germani veteres verbo tam celebri, quam utili monebant : Os hominis, aut carnifex est, aut Medicus stomachi. Os gulosum et intemperantiæ assuetum, tam stomachum quam alia corporis membra jugulat ; os regi patiens, et temperentiæ amicum suo domino pro centum medicis est.

[Un vieil adage allemand, aussi fameux qu’utile, énonçait que « La bouche de l’homme est soit son bourreau, soit le médecin de son estomac. » Une bouche gloutonne et esclave de l’intempérance tue l’estomac, aussi bien que les autres parties du corps ; pour son maître, une bouche qui supporte d’être gouvernée et qui aime la tempérance vaut cent médecins].


  1. Théologien jésuite mort en 1638, dont Guy Patin prisait les écrits, v. note [62], lettre 150.

  2. Anvers, veuve de Jan Cnobbaert, 1642, in‑12 de 476 pages.

  3. V. note [17], lettre latine 29.

30.

Pour brocarder en bloc charlatans, chimistes et pharmaciens, Guy Patin déballait leur arsenal, en ajoutant à la panacée (v. note [2] de l’Observation x contre les apothicaires) des remèdes aussi singuliers qu’extravagants, peut-être enfouis dans les traités d’alchimie. Je me suis contenté de traduire leurs noms, issus du grec et du latin, à peu près mot à mot, sans trop chercher à savoir ce qu’étaient exactement ces préparations, ni même si elles avaient réellement existé : κρατιστο χειρουργημασι [tout-puissants artifices], mimia [pantomimes], herbis Hermeticis [herbes hermétiques], incombustis oleis [huiles incombustibles], vividis laticibus [liqueurs énergétiques]. Rabelais a très souvent recouru à cette sorte d’énumération grotesque.

31.

Guy Patin dénigrait trois curieuses panacées de l’Antiquité, que n’avaient jamais débitées ou ne débitaient plus les apothicaires de Paris. Toutes étaient végétales, et non minérales (chimiques) comme celles de la note [30] supra.

32.

Hormis le séné et la manne, Guy Patin était résolument ennemi de tous les purgatifs violents (drastiques) ; v. notes :

33.

Élien, {a} Histoires diverses (livre xiii, chapitre 27) :

« Nous savons par tradition que Socrate avait un corps robuste ; et on ne peut douter qu’il n’en fût redevable à sa frugalité. Aussi, dans une maladie épidémique qui ravageait Athènes, {b} tandis que la plupart des citoyens mouraient, ou étaient mourants, Socrate seul ne souffrit aucune altération dans sa santé. Quelle devait donc être l’âme qui habitait un corps si bien constitué ? » {c}


  1. V. note [2], lettre 618.

  2. V. note [3], lettre 561.

  3. Traduction de Bon-Joseph Dacier, 1827.

34.

Guy Patin s’inspirait des Préceptes de santé de Plutarque traduits en latin par Henri Estienne, {a} tome 1, page 218 :

Neque enim veneri locus in ingurgitatione, quin magis in corporis serenitate tranquillitateque. Nam veneris finis voluptas est, quemadmodum et esus ac potus. At bona valetudo voluptatibus, haud aliter atque cæli tranquillitas alcyonibus, præbet ut tuto commodeque generent incubentque.

[De fait, la gloutonnerie ne procure pas de plaisir, lequel tient bien plus à la sérénité et tranquillité du corps. La volupté est le but de l’amour charnel, comme celui de manger et de boire. Une bonne santé est propice aux voluptés, comme l’est un ciel paisible aux alcyons, car il leur permet de pondre et de couver à l’aise et en sûreté]. {b}


  1. Opuscula varia, Paris, 1572, v. supra note [22].

  2. V. note [8], lettre de Reiner von Neuhaus datée du 1er août 1669, pour les vertus attribuées aux alcyons, mythiques oiseaux de l’Antiquité.

35.

Horace, Odes, livre i, xxvii, vantant la tempérance à ses compagnons (vers 14‑17) :

     Quæ te cumque domat Venus
non erubescendis adurit
ignibus ingenuoque semper
amore peccas
.

[Quelles qu’elles soient, les voluptés auxquelles tu cèdes ne te consument pas de feux dont tu aurais à rougir, et la passion qui t’égare est toujours honnête].

36.

Jeremias Drexel, {a} Daniel Prophetarum Princeps descriptus et morali doctrina illustratus [Daniel, le prince des prophètes, décrit et rendu lumineux par la doctrine morale], {b} page 16 du chapitre ii, Illustrissima Danielis et sociorum abstinentia [Très illustre abstinence de Daniel et de ses compagnons] :

Edomandæ carni Abstinentia subsidium opportunissimum. Luxuria saturitati semper vicina ! Carnem subjugat, luxuriam refrenat abstinentia. Nam eodem Bernardo teste, Pereunt Cupidinis arcus, cum corpori subtrahitur cibus et potus. Amica Castitati fames panem cogitat non adulteria.

[S’abstenir de toute viande procure une aide extrêmement opportune. La luxure est toujours voisine de la satiété ! L’abstinence met les viandes sous le joug, réfrène la luxure. Au témoignage du susdit saint Bernard, {c} c’est ainsi que se dissipe la tyrannie du désir quand on prive le corps de nourriture et de boisson. C’est à du pain, et non à des aliments sophistiqués, que songe une faim vraiment amie de la chasteté].


  1. V. supra note [29].

  2. Anvers, de veuve de Jan Cnobbaert, 1641, in‑12 de 319 pages.

  3. Bernard de Clairvaux (v. note [36], lettre 524), que Drexel a cité dans son paragraphe précédent.

37.

V. notes 

38.

Prudence (v. note [59] du Grotiana 2), Cathêmerinon [Hymnes quotidiens], hymne v, Ad incensum lucernæ [Pour allumer les lampes (de Pâques)], sur la traversée de la mer Rouge (vers 69‑72) :

Pubes quin etiam decolor asperis
Irritata odiis rege sub impio
Hebræum
sitiens fundere sanguinem
Audet se pelago credere concavo
.

[Sur l’ordre de son pharaon impie, la jeunesse guerrière au teint hâve, emportée par ses âpres haines, assoiffée de répandre le sang des Hébreux, ose se lancer dans le creux de mer].

39.

Horace, Satires, livre ii, 2, vers 84‑88 :

                                           ubique
accedent anni,
tractari mollius ætas
imbecilla volet : tini quidnam accedet ad istam
quam puer et validus præsumis mollitiem, seu
dura valetudo inciderit seu tarda senectus ?

[Les années s’accumuleront et ton âge décrépit voudra être traité plus mollement : quand te viendra fâcheuse santé ou insidieuse vieillesse, comment pourras-tu donc, toi qui es jeune et vigoureux, ajouter quoi que ce soit à la mollesse dont tu jouis aujourd’hui ?]

L’érable est réputé pour la dureté de son bois, qui n’égale pas bien sûr celle du bronze ; mais ces deux curieuses métaphores ne m’ont mené vers aucun auteur à qui Guy Patin aurait pu les emprunter. V. notule {a‑i}, note [25] du Faux Patiniana II‑7, pour le grammairien grec Didyme d’Alexandrie qu’on surnommait l’« homme aux entrailles d’airain ».

40.

Guy Patin continuait à cultiver le stoïcisme de Sénèque le jeune (Lettres à Lucilius, fin de l’épître cxvi) :

Occurres hoc loco mihi illa publica contra Stoicos voce : “ Nimis magna promittitis, nimis dura præcipitis. Nos homunciones sumus; omnia nobis negare non possumus. Dolebimus, sed parum ; concupiscemus, sed temperate ; irascemur, sed placabimur. ” Scis quare non possimus ista ? Quia nos posse non credimus. Immo mehercules aliud est in re : vitia nostra quia amamus defendimus et malumus excusare illa quam excutere. Satis natura homini dedit roboris si illo utamur, si vires nostras colligamus ac totas pro nobis, certe non contra nos concitemus. Nolle in causa est, non posse praetenditur.

[Ici tu vas m’opposer le reproche qu’on fait communément aux stoïciens : « Trop hautes sont vos promesses ; trop rigoureux, vos préceptes. Chétifs humains que nous sommes, nous ne pouvons tout nous interdire. Nous souffrirons, mais modérément ; nous convoiterons, mais sans excès ; nous nous mettrons en colère, mais nous calmerons. » Sais-tu pourquoi nous sommes incapables de tout cela ? Parce que nous ne croyons pas en être capables. Et puis, bon sang ! il y a cette autre raison : parce que nous aimons nos vices, nous les défendons, et préférons les excuser que les secouer. La nature a donné suffisamment de vigueur à l’homme : si nous l’utilisons, si nous réunissons nos forces et les mettons toutes à notre service, nous ne nous nuirons pas ; mais nous ne le voulons pas, sous prétexte que nous ne le pouvons pas].

Je n’ai pas vu la comparaison du glaive et du gosier ailleurs que dans Patin. Julien Bineteau la lui a courageusement resservie dans leur brève querelle épistolaire au sujet de l’antimoine : v. note [5] de sa lettre datée du 6 octobre 1651.

41.

Mugilis vitam degere [Mener une vie de mulet] est un adage tiré des fabulistes grecs, Κερεως βιον τριβειν, que Paul Manuce a commenté dans son augmentation des Adages d’Érasme (page 1299) : {a}

Mugilis vitam agere dicitur, qui non habet quod edat, hoc est, esuriem et inediam patitur. […] Mugil vero solus in genere piscium ieiunus sive famelicus audit, eo quod nulla capiatur esca animata, non carne, non alia re quapiam vitali, ut ab Aristotele proditum est, aut piscium aliorum esca.

[De celui qui n’a pas de quoi manger, on dit qu’il mène une vie de mulet, tenaillé par la faim et le jeûne. […] Le mulet est vraiment le seul genre de poissons dont on dise qu’il est famélique et jeûneur, parce qu’il n’attrape aucune proie : ni chair, ni quoi que ce soit de vivant, comme a raconté Aristote ; ni ce que mangent les autres poissons]. {b}


  1. V. infra note [42].

  2. Poisson des mers tempérées, autrement nommé muge, le mulet ne se nourrit que de matière organique en décomposition.

42.

43.

Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître v :

Quemadmodum desiderare delicatas res luxuriae est, ita usitatas et non magno parabiles fugere dementiae. Frugalitatem exigit philosophia, non poenam.

[Poursuivre avec ardeur les voluptés est luxure, tout comme fuir ce que l’usage a consacré et qui ne coûte guère est folie. La philosophie exige la frugalité et non la mortification].

44.

Plutarque, préambule du Symposiaque iv, dans la traduction latine de Henri Estienne (Paris, 1572, v. supra note [22]), tome  2, seconde partie, page 539 :

Qui sapiunt, inconvivium veniunt non minus amicorum parandorum quam præsentes delectandi causa. Ideo opera dare aliquid inde ut asportes, illiberale profecto est importuni hominis : amico auctum abire, iucundum est et honestum ; contraque is qui id facere negligit, ingratam sibi et inutilem facit consuetudinem, itaque discedit ut qui ventre, non animo, conviva fuerit.

[Les sages vont moins à un repas pour rencontrer leurs amis que pour s’en faire de nouveaux. Emporter quelque chose de ce qui est sur la table est une impolitesse absolument indigne d’un honnête homme ; mais il est plaisant et honorable d’en sortir avec un ami de plus. Celui qui manque à cette coutume la rend au contraire désagréable et inutile pour lui : il s’en va en ayant été convive de ventre et non d’esprit].

45.

Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre xix, chapitre xix (Littré Pli, volume 1, page 719) :

Ferendum sane fuerit exquisita nasci poma, alia sapore, alia magnitudine, alia monstro pauperibus interdicta : inveterari vina, saccisque castrari ; nec cuiquam adeo longam esse vitam, ut non ante se genita potet : e frugibus quoque quoddam alimentum sibi excogitasse luxuriam, ac medulla tantum earum ; superque pistrinarum operibus et cælaturis vivere, alio pane procerum, alio vulgi, tot generibus usque ad infimam plebem descendente annona.

« Il nous faudra souffrir qu’il naisse des fruits recherchés, les uns à cause de leur saveur, les autres à cause de leur grosseur ou de quelque monstruosité, tous interdits aux pauvres. Il nous faudra souffrir qu’on laisse vieillir les vins, qu’on les affaiblisse en les passant à la chausse, {a} et qu’il n’y ait pas d’hommes si vieux qu’il ne trouve des vins plus vieux que lui. Il nous faudra souffrir que le luxe ait imaginé de tirer même des blés pour lui seul un aliment qui n’est que la moelle du grain. Il nous faudra souffrir que la pâte travaillée et façonnée dans les boulangeries distingue le pain des grands de celui du vulgaire, et qu’il y ait pour les grains une échelle descendant par tant de degrés jusqu’à la plus basse classe du peuple. »


  1. Chausse : « sorte de sac d’étoffe de laine, de forme conique, que l’on emploie à filtrer certaines liqueurs trop denses pour passer au filtre de papier » (Littré DLF).

46.

Je n’ai trouvé les « aromates spartiates » que dans le livre i, Quare jejunandum [Pourquoi jeûner] du traité intitulé :

Aloe amari sed salubris succi Ieiunium quod in aula Sermi utriusque Bavariæ Ducis Maximiliani S.R.I. Archidapiferi Electoris, etc. explicavit, et latine scripsit Hieremias Drexelius e Societate Iesu.

[Le Jeûne est comme l’aloès, {a} dont la sève est amère mais salubre : Jeremias Drexel, {b} de la Compagnie de Jésus, l’a exposé devant la cour du sérénissime duc Maximilien des deux Bavière, grand sénéchal et électeur du saint Empire romain, etc., {c} puis rédigé]. {d}

Cette locution originale est expliquée en deux endroits du chapitre v, Iejunium, medicamentorum omnium medicamentum prorsus opportunissimum [Le jeûne est de très loin le plus secourable de tous les remèdes]. {e}

L’amertume de l’aloès, comparée à la douceur du miel, est apparue dans la dernière partie de l’article ii, mais sans emprunt au latin de Drexel.

47.

Ce passage emprunte à deux nouvelles sources antiques.

48.

Guy Patin prenait un malin plaisir à puiser dans des sources inattendues. Après les pieux traités de Jeremias Drexel venaient les :

Dionysii Lebey-Batillii Regii Mediomatricorum Præsidis Emblemata. Emblemata a Iano Iac. Boissardo Vesuntino delineata sunt. Et a Theodoro de Bry sculptæ et nunc recens in lucem edita.

[Emblèmes de Denis Lebey de Batilly, chef du présidial royal Metz, {a} publiés pour la première fois avec les commentaires de Jean-Jacques Boissard, natif de Besançon, {b} et les gravures de Theodor de Bry]. {c}

L’emblème xl (page 80), Eberius {d} insano est similis [Qui est ivre est semblable au fou] est accompagné de ce commentaire (en prose) :

Magnum hoc vitium vino est ; pedes captat primum, luctator dolosus est.

[Le grand vice du vin est d’être un fourbe lutteur : il s’en prend d’abord aux pieds]. {e}


  1. Denis Lebey de Batilly (1551-1607), maître des requêtes.

  2. V. note [9], lettre latine 228.

  3. Francfort, sans nom, 1596, in‑4o illustré de 103 pages.

  4. Sic pour Ebrius.

  5. Les deux derniers vers de l’emblème de Lebey et, plus encore, le vieillard allongé qui figure au premier plan de la gravure (page 81) désignent plus clairement la goutte du pied (podagre, v. note [30], lettre 99) :

    Luctator vafer est, et decipit arte dolosa :
    Nam primum captat debilitatque pedes
    .

    [C’est un roué lutteur, dont la fourbe ruse surprend, car il s’en prend d’abord aux pieds et les estropie].

    Il fallait avoir lu cet emblème pour comprendre que Patin voulait ici parler de la goutte.


49.

Proverbes, 23:31‑32, dans le latin de la Vulgate :

Ne intuearis vinum quando flavescit cum splenduerit in vitro color eius ingreditur blande, sed in novissimo mordebit ut coluber et sicut regulus venena diffundet.

[Ne regarde pas le vin : comme il est vermeil ! comme il brille dans la coupe ! comme il coule suavement ! Il finira par mordre comme un serpent et, tel un basilic, {a} par répandre ses venins].


  1. Animal légendaire de l’Antiquité, le basilic (Furetière) était un « serpent qu’on dit tuer {i} par ses regards, et être le roi {ii} des serpents. Galien dit que le basilic est un serpent jaunâtre, ayant la tête munie de trois petites éminences, marquetée de taches blanchâtres en forme de couronne, ce qui l’a fait nommer roi des serpents. Sa morsure, son sifflement et son toucher font mourir tous les autres animaux. Pas une bête n’ose manger de sa charogne quand il est mort. On meurt subitement pour en avoir mangé, ou même pour avoir mangé des bêtes mortes par sa morsure. Ælian {iii} dit qu’il n’a pas plus d’un palme {iv} et que son venin est si pénétrant qu’il fait mourir les plus grands serpents par sa seule vapeur, {v} et qu’il tue soudain ceux qui l’ont touché de loin avec une perche, ou autre arme d’hast ; {vi} qu’il fait mourir toutes les plantes par où il passe ; qu’il brûle les herbes et rompt les pierres, tant sa vapeur est venimeuse. »

    1. Capable de tuer.

    2. Basileus en grec.

    3. Élien le Sophiste, v. note [2], lettre 618.

    4. Quatre largeurs de doigts (une paume de main).

    5. Haleine.

    6. Pique.

    Dans sa traduction des Proverbes, l’École biblique de Jérusalem a judicieusement préféré « vipère » à « basilic », pour éviter toute confusion avec l’herbe aromatique homonyme.


50.

51.

52.

V. notes :

53.

Fr. Noël a résumé la fable de la Nymphe (naïade) Nicée (Nicæa) :

« fille du fleuve Sangar {a} et mère des Satyres, {b} qu’elle eut de Bacchus, {c} après que ce dieu l’eut enivrée en changeant en vin l’eau d’une source dont elle avait coutume de boire. » {d}


  1. En Phrygie, aujourd’hui le fleuve Sakaraya en Turquie.

  2. Faunes des Latins : « divinités champêtres, représentées comme de petits hommes fort velus, avec des cornes et des oreilles de chèvre, la queue, les cuisses et les jambes du même animal ; quelquefois, ils n’ont que les pieds de chèvre » (ibid.).

    « On croit que ce mot vient de sathin, qui en vieux grec signifiait le membre viril, {i} parce que de leur naturel ils étaient fort enclins à la paillardise » (Furetière).

    1. Bailly donne sathê, σαθη, comme synonyme archaïque de posthê, ποσθη, pénis.

  3. Dionysos des Grecs, v. note [23], lettre 260.

  4. Guy Patin avait pu lire les mésaventures de Nicée dans le livre xvi des :

    Nonni Panopolitae Dionysiaca, nunc denuo in lucem edita, et Latine reddita per Eilhardum Lubinum Poëseos in Academia Rostochina professorem…

    [Dionysiaques de Nonnas de Panopolis, {i} publiées pour la première fois et traduites en latin par Eilhard Lubin, {ii} professeur de poésie en l’Université de Rostock…]. {iii}

    1. Nonnas ou Nonnos de Panopolis, poète grec du iveve s. de l’ère chrétienne.

    2. V. note [15], lettre 407.

    3. Hanau, Claudius Marnius et les héritiers de Johannes Aubrius, 1605, in‑8o de 1 360 pages, édition bilingue, grecque et latine.

    Je n’y ai pas retrouvé les mots employés par Patin, mais la même idée dans ces quatre vers (page 455) :

    Et dolosæ nuptiæ erant, somnolenti imaginem cubilis,
    Somnum habens certaminis socium. Privabatur v. virginitate
    Puella dormiens, et vidit ducem amorum
    Somnum ministrum ab ebrietate deceptarum nuptiarum

    [Ce furent de fourbes noces, comme un rêve dans une couche assoupie, où le sommeil s’allia au combat. La jeune fille perdit sa virginité sans cesser de dormir, et vit le sommeil, messager des amours, devenir le ministre d’un hymen leurré par l’ivresse].


54.

Érasme, Virginis et martyris Comparatio [Comparaison de la vierge et de la martyre] {a} (Bâle, Johann Froben, 1524, in‑8o), page [h1 vo] :

Habent mundi virgines suas sodales, habent ornamenta, habent lusus, habent cantiones et choreas, sed hæc qualiacunque sunt, tantisper habent donec ætatis florem marito prostituerint. Verum hæc omnia Chrisi virginibus ut vera sunt et interna, ita sunt et perennia.

[Les vierges laïques ont leurs compagnes, elles ont des parures, elles ont des divertissements, elles ont des chansons et des danses ; mais quoi qu’elles puissent avoir, elles ne le possèdent que jusqu’au jour où elles auront abandonné la fleur de leur jeunesse à un mari. Toutefois, pour les vierges du Christ, tout ce qu’elles ont est perpétuel, quand il s’agit de biens véritables et intimes].


  1. Court ouvrage destiné à honorer les religieuses de Cologne qui veillaient sur les reliques des Maccabées : cette famille martyre préchrétienne (iie s. av. J.‑C.), composée de sept fils, dont Judas (v. notule {f}, note [24] du Borboniana 9 manuscrit), et de leur mère, fut mise à mort pour punir sa résistance à l’hellénisation d’Israël ; il en naquit la dynastie des Maccabées qui gouverna les Juifs jusqu’en 37 av. J.‑C.

55.

Guy Patin avait retenu ce qu’il avait lu dans le Tobias de Jeremias Drexel (Anvers, 1642, v. supra note [29]), sur les distractions qu’on offre aux convives d’un banquet (première partie, chapitre vi, pages 80‑81) :

Acroama pessimum est diversæ libidinum formæ, quas ebriorum verba et gestus exprimunt, cum non pocula tantum, sed et oscula fiunt ambulatoria, cum morsiunculæ ac compressiunculæ, similesque Veneris imitatiunculæ in orbem eunt animi causa, cum oculis, cum et linguæ, ac manibus summa libertas est, cum oculi ad omnem lasciviam vagi evolant, cum lingua promittit quidquid animus diu celarat, cum petulantissimæ manus omnem verecundiæ legem perfringunt.

[La pire bouffonnerie est celle qui mime les diverses formes de la débauche, avec les paroles et les gestes des gens ivres. Tantôt ce sont les coupes, mais aussi les baisers qui circulent autour de la table. Tantôt ce sont les mordillements, les petites étreintes et autres simulacres de l’amour charnel qui s’échangent de loin, en toute franchise, par œillades, et mouvements de la langue et des mains : les yeux s’égarent, prêts à s’envoler vers toutes sortes de lascivetés ; la langue promet ce que le cœur avait longtemps tenu secret ; les mains les plus hardies enfreignent toutes les lois de la pudeur].

56.

Ce passage mêle des emprunts à quatre sources.

  1. Juvénal, Satire vi, vers 646‑649, à propos des mères qui tuent leurs enfants :

                              minor admiratio summis
    debetur monstris, quotiens facit ira nocentem
    hunc sexum et
    rabie iecur incendente feruntur
    præcipites
    .

    [De telles monstruosités doivent moins étonner : ce sexe se précipite dans l’abîme chaque fois que la colère le rend pernicieux et que la rage lui incendie le foie]. {a}


    1. Dans l’ancienne médecine, le foie était le siège des passions.

  2. Sénèque le Jeune, Questions naturelles (livre i, chapitre xvi), à propos d’un certain Hostius Quadra, que ses esclaves avaient tué pour venger les outrages qu’il leur avait fait subir :

    At illud monstrum obscenitatem suam spectaculum fecerat et ea sibi ostentabat, quibus abscondendis nulla satis alta nox est.

    [Mais ce monstre avait transformé son ignominie en spectacle, il se mirait dans ces actes que la plus sombre nuit ne saurait cacher]. {a}


    1. Sénèque a expliqué avec force détails que ledit H. Quadra employait des miroirs grossissants pour mieux jouir des copulations passives dont il se délectait.

  3. L’adjectif néolatin lumbifragus, « qui brise les reins », est tout à fait exceptionnel ; je ne l’ai vu précédemment imprimé avec un sens lubrique que dans les Ioannis Leochæi Epigrammatum libri quatuor [Quatre livres des Épigrammes de John Leech], {a} livre iv, xxxi, De Franciscano vinum dilutum fugiente [Le franciscain qui fuit le vin dilué] :

    Dum parat apposito lymphas sociare Lyæo,
    temperet ut mixtis vina minister aquis,
    cordiger acclarans : “ Puer, o puer improbe, siste.
    Non facit stomachum res, ait, ista meum.
    Non mihi
    lumbifraga lassatus Cypride Bacchus,
    sed sine concubitus crimine purus eat. ”

    [Tandis qu’on apprête l’onde {b} à côté de Lyæus, {c} afin que le prêtre tempère le vin en l’y mêlant, le cordelier refuse nettement : « Arrête, méchant garçon ! voilà qui ne convient pas à mon estomac. En mon corps, Cypris, qui brise les reins, {d} n’a point épuisé Bacchus : qu’il y entre donc pur, pour se coucher avec moi sans crime ! »] {e}


    1. Londres, Bernardus Alsopus, 1623, numérisé par l’Early English Books Online Text Creation Partnership.

      John Leech est un poète néolatin écossais, actif au début du xviie s.

    2. Nom poétique de l’eau, équivalent de la lympha latine.

    3. Épithète de Bacchus (le dieu qui délivre des soucis, luaïos en grec), mais aussi dénomination poétique du vin.

    4. Cypris est le nom sous lequel on vénérait Vénus à Chypre.

      V. notule {c}, note [30], lettre 195, pour le substantif lumbifragium, inventé par Plaute (avec le sens de bastonnade), qui a donné naissance à l’adjectif lumbifragus.

    5. La satire des moines et le lien entre le vin et la luxure m’ont convaincu qu’il n’était pas absurde de déterrer ces vers pour en faire la source d’un emprunt caché de Guy Patin.

  4. Valère Maxime (v. note [7], lettre 41), Faits et dits mémorables, livre ii, chapitre i, § 5 :

    Quia proximus a Libero patre intemperentiæ gradus ad inconcessam Venerem esse consuevit.

    [Car il n’y a d’ordinaire qu’un pas de l’intempérance de Bacchus {a} à l’impiété de Vénus].


    1. Liber pater, dieu romain de la fécondité, est assimilé à Bacchus.

57.

Hippocrate et Galien, v. note [6], lettre 6.

58.

Imitation de Sénèque le Jeune, De Brevitate vitæ (v. supra note [3]), chapitre 12, § 8 :

tanta incredibilium vitiorum copia ingenioso in hoc unum sæculo processit, ut iam mimorum arguere possimus neglegentiam.

[notre siècle ne s’est ingénié qu’à promouvoir une telle abondance de vices que l’on ferait bien d’accuser nos acteurs comiques de nonchalance].

59.

Saint Augustin, Confessions, livre x, chapitre xxxi, § vii :

In his ergo temptationibus positus, certo quotidie adversus concupiscentiam manducandi et bibendi. Non enim est quod semel præcidere et ulterius non attingere decernam, sicut de concubitu potui. Itaque freni gutturis temperata relaxatione et constrictione tenendi sunt. Et quis est, Domine, qui non rapiatur aliquantum extra metas necessitatis ? Quisquis est, magnus est, magnificet nomen tuum. Ego autem non sum, quia peccator homo sum, sed et ego magnifico nomen tuum, et interpellat te pro peccatis meis qui vicit sæculum, numerans me inter infirma membra corporis sui, quia et imperfectum eius viderunt oculi tui, et in libro tuo omnes scribentur.

[Cerné par ces tentations, je lutte chaque jour contre le vif désir de boire et de manger ; car ce n’est pas appétit dont je puisse me priver une bonne fois pour toutes, et il en va de même pour celui de m’accoupler. Il me faut donc dans la bouche un mors qui me relâche et me freine à propos. Et, Seigneur, quel est celui qui ne se laisse emporter quelquefois au delà des barrières du strict nécessaire ? S’il en est un, il est remarquable, qu’il te glorifie pour sa perfection ! {a} Moi, je ne suis pas cet homme ; je suis un pécheur, et je glorifie pourtant ton nom, assuré que celui qui a vaincu le siècle {b} intercède auprès de toi pour mes péchés, et qu’il m’a compté entre les membres infirmes de son corps, dont tes yeux ne dédaignent pas les imperfections, et qui sont tous inscrits dans ton livre].


  1. Mise en exergue du passage qui a inspiré Guy Patin.

  2. Le Christ.

60.

61.

Sermon xx, de Dominica Quinquagesimæ [sur le dimanche de Quinquagésime (précédant le premier dimanche du carême)], Contra Bacchanalia [Contre le Mardi gras], Descriptio Bacchi [Description de Bacchus], pages 189‑190 des :

Roberti Bellarmini ex Societate Iesu S.R.E. Tit. S. Mariæ in Via, Presbyteri cardinalis Conciones…

[Sermons de Roberto Bellarmino, {a} prêtre de la Compagnie de Jésus, cardinal de la sainte Église romaine, au titre de Santa Maria in Via…]. {b}

Piscis quidam reperitur, quem Aristoteles tradit, cor in ventre reconditum, atque inclusum habere : quo circa Epicharmus comicus eleganter unico verbo eum εκτραπελογαστρον appellavit, hoc est, a communi ventris ratione descendentem, Græci communi vocabulo ονον, nos asinum marinum nominamus. Huius igitur monstri Clemens Alexandrinus simillimos dicit esse Bacchi sectatores. Si vero tales sunt ii, qui aliquam Bacchi similitudinem in seipsis exprimere conantur : certe licebit nobis Bacchum definire, Principem illorum asinorum, qui cor in ventre reconditum habent. Bacchus igitur, et eius sectatores, quod pace ipsorum dicam, primum asinorum similes sunt tardi, pigri, torpentes, desidiosi, stupidi ; denique fustibus, et verberibus melius, quam verbis erudiuntur. Hæc enim omnia ex eo nascuntur, quod cor habeant in ventre.

[On trouve un poisson qu’Aristote dit avoir le cœur tapi dans le ventre, et y être enfermé. Le poète comique Épicharme l’a élégamment baptisé du nom soudé d’ektrapélogastron. {c} À l’instar des Grecs, qui l’appellent onon, parce que son ventre ressemble à celui d’un âne, nous le nommons « âne marin ». {d} Clément d’Alexandrie {e} a donc dit que les adeptes de Bacchus sont parfaitement semblables à ce monstre. S’il est vrai que, par leur aspect, ils tâchent de ressembler tant soit peu à leur maître, il nous sera certainement permis de définir Bacchus comme étant le prince de ces ânes, qui ont le cœur dans le ventre. Étant semblables à des ânes, Bacchus et ses disciples, soit dit sans vouloir les offenser, sont d’abord lents, paresseux, fainéants, oisifs, stupides ; ensuite, on les éduque mieux avec des coups de bâton et de fouet qu’avec des mots ; et tout cela tient au fait qu’ils ont le cœur dans le ventre].


  1. V. note [16], lettre 195.

  2. Venise, Ambrosius Deus, 1617, in‑fo de 969 pages.

  3. Le sens de ce nom vient des deux mots grecs qu’il soude : ektrapélos, « énorme », et gastron, « ventre ».

    V. note [4], lettre 324, pour Épicharme, et notule {b} infra pour sa citation exacte.

  4. En grec onos est l’âne. V. notule {b}, note [27] du Grotiana 2 pour la morue, surnommée âne marin, asellus en latin et onos en grec, dans l’Histoire des animaux d’Aristote.

    Athénée de Naucratis, Dépinosophistes (livre vii, chapitre xviii, § 99), sur onos [âne] et oniskos [ânon] :

    « L’âne de mer, dit Aristote, dans son Traité des Animaux, a la bouche très fendue, comme les mustelles, {i} et il n’est pas grégaire. C’est le seul poisson qui ait le cœur dans le bas-ventre, {ii} et, dans la cervelle, des pierres semblables, pour la forme, à des meules. C’est aussi le seul qui se cache dans des trous, pendant les jours caniculaires ; car les autres poissons ne se cachent que dans le fort de l’hiver. Épicharme en fait mention dans ses Noces d’Hébé : “ Des serrans à bouche très béante, des ânes de mer à ventre très proéminent. ” {iii} L’onos est un poisson différent de l’oniskos, selon ce qu’écrit Dorion, dans son Traité des Poissons. » {iv}

    1. Ou mostelles : γαλεοις, datif pluriel de galeos, belette (mustela en latin).

    2. Athénée n’attribue pas ce propos à Aristote, où je ne l’ai d’ailleurs pas trouvé.

    3. Μεγαλοχασμονας τε χαννας και εκτραπελογαστορας ονους (Mégalochasmonas te channas kai ektrapélogastoras onous).

      Le serran (channa en grec) est un poisson de mer vorace, proche du mérou.

    4. Ouvrage et auteur que je n’ai pas identifiés.
  5. V. note [34], triade 63, du Borboniana 11 manuscrit.

62.

Sénèque le Jeune, La Providence (v. supra note [11]), chapitre iii, § 6, vantant la frugalité d’un nommé Fabricius :

Quid ergo, felicior esset, si in ventrem suum longinqui litoris pisces et peregrina aucupia congereret, si conchyliis Superi atque Inferi maris pigritiam stomachi nauseantis erigeret ?

[Pourquoi donc serait-il plus heureux s’il se gavait de poissons venus de lointains rivages et d’oiseaux exotiques, ou s’il devait, avec les coquillages des deux mers, réveiller la paresse d’un estomac écœuré ?]

V. note [4], lettre 436, pour ragoût pris dans son sens de premier d’apéritif ; la note [64‑ 2] infra donne plusieurs exemples de mets qui ouvraient l’appétit au xviie s.

63.

Deux satiristes latins que vénérait Guy Patin l’ont de nouveau inspiré, avec mise en exergue des fragments cités.

64.

Guy Patin empruntait son latin à deux passages de Jeremias Drexel, Aloe amari sed salubris succi Ieiunium… [Le Jeûne est comme l’aloès dont la sève est amère mais salubre…] (Anvers, 1638, v. supra note [46]), avec mise en exergue des fragments cités.

  1. Livre i, chapitre iii, § iii, page 37 :

    Plerumque cocus laudari vult, ideo focum luculentiorem instruit, et quidquid habet artis expromit.

    [La plupart du temps, le cuisinier veut être loué : voilà pourquoi il fait reluire son foyer de tous ses feux et y déploie toute son adresse].

  2. Livre i, chapitre iv, § iii, page 100 :

    Nimirum ubi Spartana desunt aromata, ibi omnis cibo deest gratia. Hinc illi opulenti et fastidiosi homines, qui plerumque prandium cenamque adeunt velut jam pransi et cenati, tot gulæ irritamentntis egent, adsint necesse est oliva, cappatis, sinapi, embamma, oxigarum, intinctus, diversi generis acetum ; tot insuper condimentis, tot jusculis, tot scitamentis, tot sorbitiunculis est opus ad proritandum os, ut denique famis aliquid sentiat, quæ cibum per guttur artificio deceptum trajiciat.

    [Assurément, sans les aromates spartiates, {a} la nourriture n’a aucun agrément. Voilà pourquoi ces hommes opulents et dégoûtés qui, le plus souvent, se présentent au déjeuner et au dîner comme s’ils avaient déjà déjeuné et dîné, sont si avides de ragoûts : {b} il leur faut disposer d’olives, de câpres, de moutarde, de sauce piquante, d’oxygarum, {c} de vinaigrette, de vinaigres en tout genre. Il leur faut ajouter tant de condiments, de bouillons, de friandises, de petits breuvages pour s’exciter la bouche, pour qu’enfin ils éprouvent quelque sensation de faim, capable de leur faire passer au travers du gosier une nourriture que la ruse a maquillée].


    1. V. supra note [46].

    2. V. supra note [62].

    3. Mélange de vinaigre et de garum (saumure, v. note [20], lettre 1019). V. note [45] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii, pour la moutarde (sénevé).

65.

Guy Patin adaptait deux passages de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, avec mise en exergue des fragments cités.

Ajustées au contexte de la thèse, mes traductions ne reproduisent pas exactement celles d’Émile Littré.

66.

Guy Patin enchaînait rien de moins que cinq passages de Sénèque le Jeune, où j’ai mis en exergue ses emprunts. Ici comme ailleurs dans sa thèse, ils aident à traduire convenablement le latin compliqué de sa rhapsodie.

  1. Lettres à Lucilius, épître lx :

    Taurus paucissimorum iugerum pascuo impletur ; una silva elephantis pluribus sufficit : homo et terra et mari pascitur. Quid ergo ? tam insatiabilem nobis natura alvum dedit, cum tam modica corpora dedisset, ut vastissimorum edacissimorumque animalium aviditatem vinceremus ?

    [Le taureau se contente d’une pâture de quelques arpents, une seule forêt suffit à tout un troupeau d’éléphants ; mais l’homme se gave de la terre et de la mer. Pourquoi donc la nature nous a-t-elle donné un si petit corps, mais un ventre si insatiable que nous surpassons en avidité les animaux les plus monstrueux et les plus voraces ?]

  2. Consolation à Helvie, chapitre x, § 4 :

    C. Cæsar, quem mihi videtur rerum natura edidisse ut ostenderet quid summa vitia in summa fortuna possent, centiens sestertio cenavit uno die ; et in hoc omnium adiutus ingenio vix tamen invenit quomodo trium provinciarum tributum una cena fieret.

    [La nature semble n’avoir mis C. César {a} au monde que pour montrer jusqu’où peuvent aller les vices les plus monstrueux chez un homme immensément fortuné : il dévora en un souper pour dix millions de sesterces ; et quoique soutenu par les encouragements de toute sa cour, il peina à y trouver le moyen de dépenser en un unique repas le revenu de trois provinces]. {b}


    1. L’empereur Caligula, v. note [8] du Borboniana 2.

    2. Pour donner du sens à la phrase de Patin, je me suis permis d’y ajouter le trium [trois] qu’il a omis, défaut que n’ont pas corrigé les rééditions.

  3. La Vie heureuse, chapitre xi, § 4 :

    Aspice Nomentanum et Apicium, terrarum ac maris, ut isti vocant, bona conquirentis et super mensam recognoscentis omnium gentium animalia.

    [Voyez un Nomentanus, un Apicius, {a} recherchant à grands frais ce qu’ils appellent les biens de la terre et de la mer, et couvant du regard sur leur table les animaux venus de tous les pays].


    1. Marcus Gavius Apicius était un richissime Romain, célèbre pour le luxe de sa table, sous les règnes d’Auguste et Tibère.

      L’obscur Nomentanus devait être originaire de Nomentum, ville antique située à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Rome.

  4. Lettres à Lucilius, épître cx, § 12 :

    Non magnam rem facis quod vivere sine regio apparatu potes, quod non desideras milliarios apros nec linguas phœnicopterorum et alia portenta luxuriæ iam tota animalia fastidientis et certa membra ex singulis eligentis.

    [Je n’admire guère que tu puisses vivre sans un faste royal, que tu ne désires ni sangliers de mille livres, ni langues de flamants roses, ni toutes les merveilles de ce luxe où, dégoûté de voir les animaux entiers sur la table, on en choisit les meilleurs morceaux].

  5. ibid. livre xiv, épître lxxxix, § 22 :

    Ad vos deinde transeo quorum profunda et insatiabilis gula hinc maria scrutatur, hinc terras, alia hamis, alia laqueis, alia retium variis generibus cum magno labore persequitur : nullis animalibus nisi ex fastidio pax est.

    [J’en viens maintenant à vous, dont l’insondable et insatiable gloutonnerie fouille tantôt les mers, tantôt les terres : munis de hameçons, de lacs, de filets en tous genres, vous y chassez à grand-peine et inlassablement, et ne laissez les animaux en paix qu’après vous en être dégoûtés].

67.

Apulée (v. note [66], lettre 99), L’Âne d’or (Les Métamorphoses), livre x, chapitre 18 :

Nam et quid potissimum abhorreret asino, excogitantes scrupulose, ad explorandam mansuetudinem id offerebant mihi, carnes lasere infectas, altilia pipere inspersa, pisces exotico iure perfusos.

[Pour éprouver ma complaisance, on s’étudiait à choisir et à me présenter tous les mets dont un âne a le plus horreur : viandes assaisonnées au laser, {a} volaille à la poivrade, poissons arrosés à la sauce exotique].


  1. Le laser ou laserpicium était un condiment tiré du silphium, plante aromatique et médicinale ; on le tient pour identique à l’assa fœtida (v. seconde notule {a}, note [1], lettre 247).

68.

Le bestiaire gastronomique de Guy Patin conduit à des renseignements sur la cuisine romaine et sur quelques animaux fabuleux.

69.

Turbot : « poisson de mer plat et en figure de losange. C’est un mets friand qu’on sert sur les bonnes tables les jours maigres. Juvénal fait une Satire sur une consultation que fit Domitien en plein Sénat de la manière qu’on devait accommoder un turbot extraordinaire dont on lui avait fait présent. On l’appelle en latin rhombus, à cause de sa figure » (Furetière).

Rhombus est le sous-titre de la Satire iv de Juvénal ; elle contient (vers 37‑56) l’explication de l’épithète « plus que césarien », plusquam Cæsareum, bien qu’on ne l’y lise pas exactement :

Cum iam semianimum laceraret Flavius orbem
ultimus et calvo serviret Roma Neroni,
incidit Adriaci spatium admirabile rhombi
ante domum Veneris, quam Dorica sustinet Ancon,
implevitque sinus ; nec enim minor hæserat illis
quos operit glacies Mæotica ruptaque tandem
solibus effundit torrentis ad ostia Ponti
desidia tardos et longo frigore pingues.
Destinat hoc monstrum cumbæ linique magister
pontifici summo. Quis enim proponere talem
aut emere auderet, cum plena et litora multo
delatore forent ? Dispersi protinus algæ
inquisitores agerent cum remige nudo
non dubitaturi fugitivum dicere piscem
depastumque diu vivaria Cæsaris, inde
elapsum veterem ad dominum debere reverti.
Si quid Palfurio, si credimus Armillato,
quidquid conspicuum pulchrumque est æquore toto,
res fisci est, ubicumque natat. Donabitur ergo,
ne pereat
.

Élégante traduction de Pierre de Labriolle et François Villeneuve (1962) :

« Au temps où le dernier des Flaviens déchirait l’univers expirant, où Rome était l’esclave du Néron chauve, {a} devant le temple de Vénus qui domine Ancône, la ville dorienne, {b} un turbot de l’Adriatique, stupéfiant de grosseur, vint se prendre dans un filet qu’il remplit. Accroché là, il ne cédait point pour la taille à ceux qu’emprisonne la glace du Palus Méotide, {c} et qu’une fois dissoute aux rayons du soleil, elle livre, tout engourdis d’oisiveté et engraissés par les longs frimas, aux rives du Pont impétueux. {d} Le maître de la barque et du filet destine ce monstre au Souverain Pontife : {e} mettre en vente ou acheter une telle pièce, qui l’oserait ? Les rivages mêmes sont peuplés de délateurs. Postés ici et là, les inspecteurs de plage feraient une méchante affaire au pauvre marin, et n’hésiteraient pas à proclamer qu’il s’agit d’un poisson fugitif, longtemps nourri dans les viviers de César, et qui, s’en étant échappé, doit revenir à son ancien propriétaire. À en croire Palfurius et Armillatus, {f} tout ce qu’il y a de rare et de remarquable dans l’Océan appartient au fisc, en quelque endroit que cela nage. On donnera donc ce poisson pour ne pas le perdre. »


  1. Venu après Vespasien et Titus, Domitien (Cæsar Domitianus Augustus Germanicus, v. note [8], lettre 851) a été le dernier des trois empereurs flaviens qui ont régné sur Rome de 69 à 96. Juvénal le surnomme ici « le Néron chauve » (calvus Nero) en raison de sa cruauté et de sa calvitie tardive.

  2. Ancône, dans les Marches, sur la rive occidentale de la mer Adriatique, est une ancienne colonie grecque (dorienne).

  3. Mer d’Azov, v. note [20], lettre 197.

  4. Le Pont-Euxin (mer Noire, v. note [48], lettre 348) communique au nord avec la mer d’Azov, par le détroit de Kertch (v. note [2], lettre latine 475).

  5. « Domitien prit le titre de Pontifex Maximus à l’automne de 81 » (note des traducteurs).

  6. Marcus Palfurius, officier du trésor impérial, fut plus tard banni par Domitien. Les annotateurs de Juvénal n’ont pas identifié Armillatus, qui appartenait sans doute à la même administration fiscale.

70.

Macrobe (v. note [2], lettre 52), Saturnales, livre ii, chapitre xii, De acipensere, mullo, scaro, lupo [L’esturgeon, le mulet, le scare et le loup] :

Nec acipenser, quem maria prodigis nutriunt, illius sæculi delicias evasit ; et, ut liqueat secundo Punico bello celebre nomen hujus piscis fuisse, accipite ut meminerit ejus Plautum fabula quæ inscribitur Baccharia, ex persona parasiti :

Quis est mortalis tanta fortuna affectus unquam,
Qum ego nunc sum, cujus hæc ventri portatur pompa ?
Vel nunc qui mihi in mari acipenser latuit antehac,
Cujus ego latus in latebras reddam meis dentibus et manibus.

Et, ne vilior sit testis poeta, accipite, assertore Cicerone, in quo honore fuerit hic piscis apud P. Scipionem Africanum illum et Numantinum. Hæc sunt in dlialogo de Fato verba Ciceronis : « Nam quum esset apud se ad Lavernium Scipio, unaque Pontius, allatus est forte Scipioni acipenser, qui admodum raro capitur, sed est piscis, ut ferunt, in primis nobilis. Quum autem Scipio unum et alterum ex his, qui eum salutatum venerant invitasset, pluresque etiam invitaturus videretur : in aurem Pontius : “ Scipio, inquit, vide quid agas, acipenser iste paucorum hominum est. ” »

[L’esturgeon, {a} que les mers nourrissent pour les gaspilleurs, n’a pas échappé aux raffinements de ce siècle. Ce propos du parasite dans la Baccharia de Plaute montre bien la haute faveur dont il jouissait au temps de la deuxième guerre punique :

Quel mortel fut jamais plus favorisé de la fortune que je le suis à cette heure ? C’est à ma panse qu’est destiné ce régal ! Cet esturgeon, qui jusqu’ici a vécu pour moi tapi au fond de la mer, je vais à mon tour l’engloutir en le dépeçant de mes doigts et de mes dents. {b}

Si le témoignage d’un poète te semble trop futile, apprends de Cicéron quel cas Scipion l’Africain, dit aussi le Numantin, {c} faisait de ce poisson, à ce qu’il en a dit dans son dialogue du Destin : {d} « Scipion étant dans sa maison de Lavernium avec Pontius, {e} on vint lui apporter un esturgeon, poisson qu’on capture rarement, mais qu’on rangeait, dit-on, parmi les plus estimés. Comme Scipion avait convié un puis deux invités qui étaient venus le saluer, et semblait vouloir en appeler d’autres, Pontius lui dit à l’oreille : “ Fais attention ! Cet esturgeon n’est réservé qu’à peu de gens. ” »]


  1. Esturgeon (Furetière) :

    « gros poisson de mer, qui monte dans les rivières, qui a le museau pointu, le ventre plat et le dos bleu. Le caviar est fait d’œufs d’esturgeon. On a vu un esturgeon qui était une fois aussi gros qu’un buffle. Aldrovandus {i} dit qu’on ne saurait prendre l’esturgeon qu’avec des filets, car il ne mord point à l’hameçon, et vit de limon. L’esturgeon au lieu d’arêtes a un cartilage tendre et gros d’un doigt, qui s’étend depuis la tête jusqu’au bout de la queue, et qui soutient tout son corps. On lève ce cartilage, qui s’étend comme un boyau et qu’on sèche au soleil ; et c’est la meilleure chose qu’on puisse manger en carême. Du ventre de l’esturgeon on fait la colle de poisson. En latin acipenser, suivant Rondelet, {ii} ou turcio, selon Pline. »

    1. Ulisse Aldrovandi, v. note [13], lettre 9.

    2. Guillaume Rondelet, v. note [13], lettre 14
  2. Ce fragment est tout ce qui a survécu de la Baccharia de Plaute (iiie s. av. J.‑C., v. note [11], lettre 6).

  3. V. note [32] du Borboniana 3 manuscrit, pour Scipion l’Africain le Jeune, surnommé Numantinus après sa conquête de Numance, en Espagne.

  4. Ce fragment du de Fato de Cicéron n’est aujourd’hui connu que grâce au témoignage de Macrobe.

  5. On ne sait rien d’autre de ce Pontius (Ponce), ami de Scipion le Jeune. Lavernium est une localité de Campanie antique.

71.

Remarques d’Isaac Casaubon sur le livre ii (chapitre xxi, colonne 128, lignes 51‑54), des Déipnosophistes d’Athénée de Naucratis : {a}

Scitum est, quod ostrea vocavit Matro parodus tubera maris, isto versu, Οστρεα τ’ ηνεγκεν, Θετιδος Νηρηιδος υδνα.

[On sait que Matron le parodique {b} a appelé les huîtres truffes de la mer, dans ce vers : {c} Il apporta des coquillages qui sont les truffes de Téthis, fille de Nérée]. {d}


  1. Lyon, 1621, v. note [1], lettre 543.

  2. Matron de Pitale (Éolie) est un poète grec du ive s. av. J.‑C., auteur de parodies dont il ne reste que quelques fragments.

  3. Dans son chapitre, qui porte sur les truffes, Athénée cite ce vers de Matron et le dit tiré de son Souper (Δειπνον) ; mais sans parler explicitement des huîtres, qui sont une interprétation de Casaubon.

  4. Thétis était la plus belle des 50 filles du dieu marin Nérée ; toutes portaient le nom de néréides, divinités plus ou moins assimilables aux sirènes.

72.

Le lac Lucrin (Lucrinus lacus), aujourd’hui presque entièrement comblé, se situait dans une dépression volcanique de Campanie, près de Pouzzoles (v. 2e notule {a}, note [22] du Naudæana 3). Martial a chanté l’excellence des huîtres qu’on y élevait, appelées Lucrina, dans deux épigrammes :

73.

Trois auteurs antiques venaient alimenter la détestation de Guy Patin pour les champignons.

74.

Succession de quatre emprunts à Pline l’Ancien (Histoire naturelle), dont j’ai adapté la traduction d’Émile Littré au propos de Guy Patin :

  1. livre xix, chapitre xix, § 6 (Littré Pli, volume 1, page 719),

    Servatur rigor æstibus, excogitaturque ut alienis mensibus nix algeat,

    « Le froid est conservé pendant les chaleurs, et l’on obtient que dans les mois où elle fond, la neige reste glacée » ;

  2. livre xvii, chapitre ii, § 4 (ibid. page 610),

    nix aquarum cælestium spuma est,

    « la neige est l’écume des eaux du ciel » ;

  3. livre xiv, chapitre xxix (ibid. page 542),

    Heu, mira vitiorum solertia ! inventum est quemadmodum aqua quoque inebriaret,

    « Funeste industrie du vice ! on a trouvé moyen de rendre l’eau même enivrante » ;

  4. livre xiv, chapitre xxviii, § 4& (ibid. page 540),

    At nos vinum bibere et jumenta cogimus : tantoque opere, tanto labore et impendio constat, quod hominis mentem mutet, ac furorem gignat, millibus scelerum huic deditis : tanta dulcetudine, ut magna pars non aliud vitæ præmium intelligat,

    « Mais nous forçons les bêtes de somme même à boire du vin. C’est à tant d’efforts, à tant de travail et de dépenses, qu’est due une substance troublant l’esprit de l’homme et excitant la fureur, cause de mille crimes ; une substance si attrayante que beaucoup ne voient pas d’autre plaisir dans la vie. »

75.

V. note [43] du Borboniana 1 manuscrit pour les « rameurs de coupes » (kulikiôn érétaï), adage grec commenté par Érasme et repris par Juste Lipse dans une de ses lettres.

Suivent deux nouveaux emprunts au livre xiv, chapitre xxviii, de l’Histoire naturelle (v. supra note [74‑ 4]) :

76.
Érasme (adage no 3363), Spes servat afflictos [L’espoir sauve ceux qui sont abattus] :

Quod autem sit illud provebium quod intemperantiæ suæ prætexunt homines, declarat in his quæ sequuntur : Ως οινω δη τον οινον κραιπαλη δε κραιπαλην εξελοντας και διαφορησαντας, id est Tamquam vinum vino et crapulam crapula eiecerint ac discusserint. Ex his apparet Plutarchum allusisse ad proverbium Clavum clavo pellere.

[Il dit ainsi quel est le proverbe dont les gens se servent pour justifier leur intempérance : {a} « Comme s’ils avaient chassé et dissipé le vin par le vin et la crapule par la crapule. » {b} Ses mots font apparaître que Plutarque faisait allusion au proverbe « Un clou chasse l’autre »].


  1. Érasme commentait ce passage de Plutarque (Préceptes de santé, chapitre 11) :

    « Un plus grand nombre s’abandonnent à leur intempérance ; et d’après ce proverbe favorable à leur mollesse… »

  2. Crapule : « vilaine et continuelle débauche de vin, ou d’autres liqueurs qui enivrent » (Furetière).

77.

Sénèque le Jeune, La Vie heureuse (chapitre xii, § 1), à propos des esprits égarés (sans nier la difficulté de la traduction) :

hilarem insaniam insanire ac per risum furere.

[ils ont la folie drôle et délirent en riant].

78.

Jeremias Drexel, Tobias (Anvers, 1642, v. supra note [29]), première partie, chapitre vi, § ii, pages 78‑79 :

Sanctissima sunt ista Bacchi et Veneris pervigilia, ad quæ popinones, et symposiastæ punctis digitorum, et sacramento dexteram fidem suam obligant, ne quis fugitivus hoc poculorum prœlio excedat, ne quis signa deserat, standum et pugnandum ad usque guttam ultimam.

[Les plus sacrées des veillées de Bacchus et de Vénus sont celles où les piliers de taverne et les banqueteurs, en se piquant les doigts et en levant la main droite, engagent leur parole qu’aucun déserteur ne quittera ce combat de coupes et que nul n’abandonnera les étendards, pour tenir et lutter jusqu’à la dernière goutte].

79.

Saint Augustin (Sermon 232) :

Maiora pocula providentur, certa bibendi lege contenditur ; qui poterit vincere, laudem meretur ex crimine.

[Ils se munissent de très grandes coupes, on dispute à qui boira le plus et on loue pour leur crime ceux qui parviennent à l’emporter].

80.

Les Messagètes étaient un peuple de nomades scythes qui, dans l’Antiquité, voyageaient entre la mer d’Aral et la mer Caspienne (v. note [24], lettre 197).

Dans le chapitre iii, Du boire, de son Traité de la Conservation de santé (1632), Guy Patin a parlé du vin et d’autres boissons enivrantes (cidres, bières, hydromels) avec bien plus de complaisance ; sans y détailler non plus celles que consommaient les habitants des contrées lointaines, mais toutes recouraient à la fermentation alcoolique du sucre.

81.

Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître xcv, § 33, contre les combats de gladiateurs :

Homo, sacra res homini, iam per lusum ac iocum occiditur et quem erudiri ad inferenda accipiendaque vulnera nefas erat, is iam nudus inermisque producitur satisque spectaculi ex homine mors est.

[L’homme, cet être sacré pour l’homme, est tué par jeu et par divertissement. L’homme avait appris qu’il est sacrilège d’infliger ou d’endurer des blessures, mais on l’exhibe nu et sans armes, et on est satisfait d’assister à sa mise à mort].

L’essence divine de l’homme terrestre est un enseignement du Nouveau Testament. L’expression θεος επιγειος (théos épigéïos) n’y figure pas, mais saint Paul en a bien exprimé l’idée dans sa Seconde épître aux Corinthiens (5:1) :

« Nous savons, en effet, que, si cette tente, notre demeure terrestre [épigéïos], vient à être détruite, nous avons une maison qui est l’ouvrage de Dieu [théou], une demeure éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, dans le ciel. »

82.

Vinaria angina [L’angine de vin] est l’adage no 3702 d’Érasme :

At Festus Pompeius indicat joco jactatum in eos qui vino præfocantur, laborare vinaria angina, quam οιναγχην possis dicere. Ipse novi Romæ quemdam haud vulgariter eruditum qui hac angina serio periit. Hermicus appellabatur natione Lusitanus. Correptus erat febricula vir corpore supra modum obeso et ob id spirituosus. Decumbentem invisit Christophorus Fischerus, patria Anglus. Vin tu inquit Hermice, auscultare medicis meras nugas præscribentibus ? Bono vino rectius proluetur hoc malum simulque jussit adferri vinum Corsicum quadrimum. Propinavit ægroto, jubens bono esse animo. Ille persuasus hausit affatim ac mox intercluso spiritu cœpit animam agere. Quosdam ebrietas e taciturnis reddit loquacissimos, quosdam contra tam mutos quam ullus est piscis, citra valetudinis periculum. Utinam hæc οιναγχη minus frequens esset apud Germanos !

[Selon Festus Pompeius, {a} pour se moquer de ceux que le vin étouffait, on prétendait qu’ils souffraient de l’« angine de vin », que tu pourrais appeler oïnankhê en grec. {b} J’ai moi-même connu à Rome un homme d’érudition peu commune qui mourut bel et bien de cette angine, c’était un Portugais nommé Hermicus, {c} dont le corps était surchargé d’humeurs, car fort obèse. Comme il était alité avec une petite fièvre, l’Anglais Christophorus Fischerus {d} lui rendit visite et lui dit : « Mon cher Hermicus, vas-tu donc te fier aux pures fariboles que les médecins te prescrivent ? Du bon vin dissipera bien mieux ton mal », en même temps qu’il ordonnait de lui apporter un vin corse de quatre ans d’âge. Il trinqua à la bonne santé du malade et le persuada d’en boire en telle quantité qu’il en eut le souffle coupé et entreprit sur l’heure de rendre l’âme. Il en est certains que, de taciturnes, l’ébriété rend bavards, et d’autres, au contraire, qu’elle rend aussi muets qu’une carpe, mais sans mettre leur santé en péril. Puissent les Allemands être moins coutumiers de cette oïnankhê !]


  1. V. note [12], lettre 460.

  2. Mot inventé par Érasme, par contraction de οινος (oïnos, « vin ») et de συναγχη (sunankhé, « angine », v. note [4], lettre 490).

  3. L’humaniste Henrique Caiado (Hermicus Cajadus, Lisbonne vers 1470-Rome 1509).

  4. Christopher Fischer était protonotaire apostolique : le troisième tome (première partie) des Opera omnia [Œuvres complètes] d’Érasme (Leyde, Peter Vander Aa, 1703, in‑fo) contient une lettre qu’il a adressée à Fischerus (de Paris en 1505, lettre ciii, colonnes 96‑99).

83.

In vino veritas [La vérité est dans le vin] est un célèbre dicton antique qu’Érasme a longuement commenté (adage no 617), avec ce premier paragraphe :

Εν οινω αληθεια, id est, In vino veritas passim apud auctores usupratum adagium significans ebrietatem animi fucum tollere et quicquid in pectore conditum est, in apertum proferre. Unde divinæ litteræ vetant vinum dari regibus, quod ibi nullum sit arcanum, ubi regnet ebrietas.

[En oïnô alêthéia, « La vérité est dans le vin », est un adage qu’on rencontre fréquemment chez les auteurs, pour dire que l’ébriété arrache les déguisements de la pensée et met à découvert ce qui est recelé au fond des cœurs. Voilà pourquoi les Saintes Écritures interdisent de donner du vin aux rois, car le secret n’aurait nulle part où se loger là où régnerait l’ivresse].

Guy Patin empruntait l’oxymore de la « douce torture », lene tormentum, à Horace (Odes, livre iii, xxi, vers 11‑15), où le poète s’adresse à une amphore pleine de vin :

Narratur et prisci Catonis
sæpe mero caluisse uirtus.
Tu
lene tormentum ingenio admoves
plerumque duro ; tu sapientium
curas et arcanum iocoso
consilium retegis Lyæo
.

[La vertu de Caton l’Ancien {a} fut, dit-on, souvent échauffée par le vin. Tu {b} appliques une douce torture aux caractères les plus rigides, tu dévoiles, avec l’aide du riant Lyæus, {c} les soucis des sages et leur secrète pensée].


  1. V. note [5] du Manuscrit de Guy Patin contre les consultations charitables de Théophraste Renaudot.

  2. Toi, le vin.

  3. À la fois Bacchus et le vin, v. supra notule {b}, note [56].

84.

Guy Patin a successivement puisé dans trois sources latines antiques.

85.

Érasme, Virginis et martyris Comparatio [Comparaison de la vierge et de la martyre], {a} page [g7 ro] :

Animi flos est virginitas, sed relucet etiam in vultu, in oculis, totoque corporis habitu angelica quædam puritas ac nitor virens seniique nescius, hic veluti meditans esse, quod omnes expectant post hanc vitam, qui pie vixerint in Christo Iesu.

[La virginité est une fleur de l’esprit ; mais reluisent alors aussi, sur le visage, dans les yeux et dans toute l’habitude du corps, cette pureté angélique, cet éclat verdoyant et inconnu du vieillard, qui semble exprimer ce qu’attendent, après leur existence terrestre, tous ceux qui auront pieusement vécu dans l’amour de Jésus-Christ].


  1. Bâle, 1524, v. supra note [54].

86.

Déclaration nettement moins pessimiste que la conclusion affirmative de la thèse de 1643 : « Par nature, l’homme est donc tout entier maladie. »

87.

Tite-Live, Histoire de Rome, {a} livre xxxix, chapitre 40, § 11‑12, sur la vertu intacte de Caton l’Ancien {b} à la fin de sa vie :

In parsimonia, in patientia laboris periculique ferrei prope corporis animique, quem ne senectus quidem, quæ solvit omnia, fregerit, qui sextum et octogesimum annum agens causam dixerit, ipse pro se oraverit scripseritque, nonagesimo anno Ser. Galbam ad populi adduxerit iudicium.

[Économe, infatigable, intrépide, il avait presque une âme et un corps de fer, que pas même la vieillesse, qui désagrège tout, ne parvint à briser : à l’âge de quatre-vingt-six ans il défendit lui-même sa cause, écrivant et prononçant son propre plaidoyer ; à quatre-vingt-dix ans, il attaqua Ser. Galba devant le tribunal du peuple]. {c}


  1. V. note [2], lettre 127.

  2. Caton le Censeur (v. supra notule {a}, note [83]), né vers 234 av. J.‑C.

  3. En 149 av. J.‑C. (année où mourut Caton, sans avoir atteint 90 ans), le tribun militaire Servius Sulpicius Galba comparut devant le Sénat pour les exactions qu’il avait commises au cours de sa campagne de Lusitanie (Portugal).

88.

J’ai emprunté à Sénèque le Jeune le sens que j’ai donné à in ipso ætatis portu, « parvenus au port même de leurs jours », quand il parle du suicide de Diodore {a} (La vie heureuse, chapitre xix) :

Ille interim beatus ac plenus bona conscientia reddidit sibi testimonium vita excedens laudavitque ætatis in portu et ad ancoram actæ quietem et dixit quod vos inviti audistis, quasi vobis quoque faciendum sit : “ Vixi et quem dederat cursum fortuna peregi. ”

[Lui-même, cependant, heureux et plein de bonne conscience, en a témoigné en quittant la vie quand, vantant la quiétude d’être parvenu au port et à l’ancrage de ses jours, il a dit : « J’ai vécu et achevé la carrière que m’avait concédée la fortune » ; mais pourquoi donc, vous autres, l’avez-vous entendu à contrecœur, comme si vous deviez en faire autant que lui ?]


  1. Diodore d’Iasos est un philosophe grec du ive s. av. J.‑C., que Sénèque qualifiait d’épicurien (Epicureus), et dont Diogène Laërce a transmis la légende (livre ii, 111‑112) :

    « Alors qu’il vivait à la cour de Ptolémée Sôter, {i} Stilpon, {ii} lui soumit des raisonnements dialectiques. Incapable de les résoudre sur-le-champ, il s’attira des reproches de la part du roi ; entre autres, il s’entendit appeler Cronos, {iii} par manière de plaisanterie. Il quitta alors le banquet et, après avoir écrit un traité sur le problème posé, de découragement, il se suicida. »

    1. V. 4e notule {a}, note [43] du Faux Patiniana II‑6.

    2. Stilpon de Mégare a tant excellé dans la joute oratoire qu’on le tient pour le fondateur de cet art.

    3. Κρονος, nom grec de Saturne (v. note [31] des Deux Vies latines de Jean Héroard), mais ici pris au sens dérivé de « vieux fou, vieux radoteur ».

89.

Longue et sidérante broderie de Guy Patin sur l’éloge de la vieillesse écrit par saint Jérôme, {a} dans sa lettre x : {b}

Ecce jam centenus ætatis circulus volvitur, et tu semper Domini præcepta custodiens, futuræ beatitudinem vitæ per præsentia exempla meditaris. Oculi puro lumine vigent ; pedes imprimunt certa vestigia ; auditus penetrabilis ; dentes candidi, vox sonora ; corpus solidum, et succi plenum ; cani cum rubore discrepant ; vires cum ætate dissentiunt. Non memoriæ tenacitatem, ut in plerisque cernimus, antiquior senecta dissolvit. Non calidi acumen ingenii, frigidus sanguis obtundit. Non contractam rugis faciem, arata frons asperat. Non denique tremula manus per curvos ceræ tramites errantem stylum ducit.

[Te voici déjà qui parcours la centième année de ton âge ; et toujours exact à garder les commandements du Seigneur, tu préfigures par le modèle de ta vie présente le bonheur de celle qui t’attend. Tes yeux jouissent de la pleine lumière ; {c} tes pieds ne traînent pas sur le sol ; {d} tu as l’ouïe perçante, les dents blanches, la voix éclatante, le corps sain et robuste ; tes blancs cheveux contrastent avec ton teint vermeil ; ta vigueur dément ton âge ; une vieillesse fort avancée n’éparpille pas la ténacité de ta mémoire, comme elle fait chez tant d’autres ; un sang refroidi n’émousse pas l’acuité de ton intelligence ; les rides n’ont pas flétri ton visage, ton front n’est pas labouré de rugueux sillons ; enfin, ta main ne tremble pas et tient fermement le stylet sur les tablettes de cire, sans s’égarer hors de la droite ligne].


  1. V. note [16], lettre 81.

  2. Écrite du désert, en 373, « à Paul, vieillard de Concordia ».

  3. Absence de cataracte.

  4. Littéralement : « vos pieds impriment des traces nettes ».

90.

Sentence souvent citée, mais rarement attribuée à Boèce, {a} son véritable auteur, dans la Consolation de la philosophie (livre ii, prose 5) :

Paucis enim minimisque natura contenta est ; cuius satietatem si superfluis urgere velis, aut iniucundum, quod infuderis, fiet aut noxium.

[La nature se contente de peu, et même de très peu ; si tu veux outrepasser ta satiété par des mets superflus, ce que tu auras enfourné te rendra malheureux ou te nuira].


  1. V. note [3], lettre latine 198.

La note [12], lettre 619, cite le passage où Botal a employé cet adage pour condamner la polypharmacie (multiplicité des médicaments), à laquelle Guy Patin allait maintenant s’attaquer de front, au grand dam des apothicaires parisiens.

91.

Guy Patin devait avoir eu accès aux bonnes feuilles des huit livres de son ami Pierre Gassendi de Vita et moribus Epicuri [sur la Vie et règles d’Épicure] (Lyon, 1647, v. note [1], lettre 147), dont l’achevé d’imprimer est daté du 24 septembre 1647. On y lit en effet ces remarques très similaires dans le chapitre intitulé Epicuri Sobrietas Frugalitasque eximia probatur [Preuves de la sobriété et frugalité remarquable d’Épicure] (livre vi, chapitre iii, page 156) :

Ille enim esitare panem, et bibere aquam summas ducebat delitias, βρυαζω (inquit apud Stobæum) τω κατα το σοματιον ηδει, υδατι, και αρτω χρωμενος, και προσωτυω ταις εκ πολυτελειας ηδοναις. Aqua, et pane utens, suavitate perfundor in corpusculo, inspuoque in voluptates, quas ex splendidis captant mensis, hoc est, quod apud eumdem dicebat : ετοιμως εχεν και τω Διι υπερ δι δαιμονιας διαγωνιζεοθαι, μαζαν εχων, και υδωρ, habentem se mazam, et aquam, paratum esse etiam cum Iove de felicitate certare.

[Manger du pain et boire de l’eau lui procurait en effet d’immenses délices, disant (selon Stobée) : {a} En usant de pain et d’eau, j’inonde mon petit corps de délice, et je crache sur les voluptés dont ils {b} cherchent à se saisir sur de somptueuses tables. Et voici ce qu’il disait aussi (selon la même source) : Quand j’ai une galette {c} et de l’eau, je suis même disposé à disputer avec Jupiter].


  1. Jean Stobée, compilateur grec du ve s. de notre ère, a laissé une Anthologie contenant de très nombreux fragments, parfois exclusifs, d’auteurs grecs antiques.

  2. Sous-entendu « les humains ».

  3. Maza est un mot latin que Gaffiot traduit par « sorte de pâtée » (bouillie). Son origine est grecque, μαζα, avec les sens de « pâte », « galette », « pain d’orge » (Bailly). L’idée est celle d’un aliment de pauvre, moins cher que le pain de froment : μαζαγρετας (mazagrétas) signifie « mendiant » (chasseur de maza).

92.

Érasme, Colloques familiers, Opulentia sordida [L’opulence sordide], dialogue entre Iacobus [Jacques, Ia.], et Gilbertus [Gilbert, Gi.] :

Gi. Nam ipse forte per viam ambulans redibam a sacro, et comes admonverat illic habitare medicum ; libuit videre regnum illius. Erat autem dies dominicus. Pulsavi fores : apertæ sunt ; ascendi ; offendo medicum cum filio et eodem famulo prandentem. Apparatus erat duo ova, præterea nihil.
Ia. Oportuit esse exangues homines.
Gi. Imo ambo erant pulchre habito corpore, colore vivido ac rubido, oculis lætis.
Ia. Vix credibile est.
Gi. At ego compertissima narro. Nec ille solus ad istum vivit modum, sed complures alii et imaginibus clari et re lauta.
Polyphagia et polyposia, crede mihi, consuetudinis res est, non naturæ. Si quis paulatim assuescat, tandem eo proficiet, ut idem faciat quod Milo, qui bovem eodem die totum absumpsit.

[Gi. « Un jour, revenant de la messe, je passai dans la rue où, m’avait dit un ami, habitait le médecin. J’eus envie de voir son royaume. C’était un dimanche. Je poussai la porte, qui était ouverte, et montai. Je trouvai le médecin déjeunant avec son fils qui était aussi son serviteur : deux œufs composaient tout leur repas, sans une miette de plus. »
Ia. « Ces gens devaient être exsangues ! »
Gi. « Pas du tout ! Ils avaient un bel embonpoint, le teint vif et vermeil, l’œil gai. »
Ia. « C’est à peine croyable ! »
Gi. « Je t’assure que c’est absolument vrai. Cet homme n’est d’ailleurs pas le seul à vivre ainsi. Quantité d’autres gens en font autant, tout distingués qu’ils soient par leur naissance et leur fortune. Polyphagie et polyposie sont, crois-moi, affaire d’habitude, et non de nature. {a} Quiconque s’y habitue petit à petit parviendra à ce qu’il veut, comme fit Milon qui, en une journée, avala un bœuf entier. »] {b}


  1. J’ai mis en exergue la phrase reprise par Guy Patin. Polyphagie et polyposie (ou polydipsie) sont deux mots savants d’origine grecque pour désigner l’habitude de manger et boire en abondance. Quand elles sont involontaires, ce sont deux signes révélateurs (dits cardinaux) du diabète (v. note [27] de Diafoirus et sa thèse).

  2. Milon de Crotone est un athlète grec du vie s. av. J.‑C., dont la force herculéenne et l’appétit légendaire ont été contés par maints écrivains. Solin a rapporté l’anecdote du taureau dans son Polyhistor (v. note [6], lettre 52).

    Victor Develay a entièrement traduit L’opulence sordide dans le tome 3 des Colloques (Paris, 1876, pages 215‑232).


93.

Guy Patin a emprunté son « iliade de maux », morborum ilias, à la Schola Salernitana [École de Salerne] éditée par René Moreau (Paris, 1625) : v. notule {a}, note [6] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii.

94.

Guy Patin copiait presque mot à mot un passage des Pathologiæ libri vii [Sept livres de la pathologie] de Jean Fernel, {a} livre i, De morbis eorumque causis [Les maladies et leurs causes], chapitre xiiii, Qua ratione quotque modis esculenta et potulenta nos afficiant [Pourquoi et de quelles manières ce qu’on mange et boit nous affecte] (Orléans, 1604, page 361) :

Ut enim calx ad arboris radicem conspersa fructum accelerat, arborem vero perimit, ita calidius alimentum maximeque vinum suscitato calore, spiritus facultatesque erigit, mortem vero maturat. Dum enim corporis calorem auget, substantiam minuit : dumque innati calidi spiritum et calorem halitu fovet, eius substantiam, quæ humidum est primigenium, dissipat exsorbetque : omnem vitam alacriorem ac vegetiorem, sed tamen breviorem facit.

[Tout comme la chaux qu’on répand au pied d’un arbre accélère la venue des fruits, mais tue l’arbre, {b} un aliment trop chaud, et tout particulièrement le vin, par l’ardeur qu’il engendre, éveille les esprits et leurs facultés, mais hâte le trépas. Tandis qu’il augmente la chaleur du corps, il mine en effet sa substance ; et tandis qu’il attise de son haleine l’esprit et le degré de la chaleur innée, {c} il dissipe et engloutit sa substance, qui est l’humide radical. Il rend toute vie plus gaie et plus vaillante, mais plus courte]. {d}


  1. V. supra note [16].

  2. Le lait de chaux est encore utilisé de nos jours pour badigeonner le tronc des arbres fruitiers (chaulage), en vue d’en supprimer les parasites (champignons, larves d’insectes) ; mais répandre de la chaux au pied de l’arbre n’est plus de pratique courante.

  3. V. première notule {a}, note [14], lettre 150.

  4. Traduction d’A.D.M. (Paris, 1655, pages 53‑54) :

    « Car comme la chaux semée à la racine d’un arbre lui fait avancer son fruit, mais aux dépens de l’arbre, qui en meurt, de même l’aliment trop chaud, et principalement le vin, réveillant la chaleur, récrée les esprits et les facultés, mais il abrège la vie ; d’autant qu’à mesure qu’il augmente la chaleur du corps, il en diminue la substance ; et pendant que de sa vapeur et de ses fumées il va fomentant les esprits et la chaleur de l’humeur radicale, il dissipe et consomme quant et quant [en même temps] la substance d’icelle, qui n’est autre que la naturelle humidité. La vie en devient à la vérité plus allègre et plus vigoureuse, mais aussi plus courte. »

V. note [8], lettre de Jean de Nully, datée du 21 janvier 1656, pour Protée, que Fernel n’a pas appelé au secours de sa démonstration.

95.

La « massue d’Hercule qui vient heureusement à bout de toutes les maladies », clava Herculis [qua] omnes morbi feliciter debellantur, figure dans la lettre latine que Guy Patin a écrite à Christiaen Utenbogard le 28 mars 1664 {a} et renvoie à Hercules Alexicacos. {b}

Outre son sens mythique, clava Herculis est le nom latin du nénuphar, plante dont la racine était dotée de nombreuses vertus médicinales : {c} Patin pouvait aussi y faire ici allusion.


  1. V. sa note [7].

  2. V. note [2], lettre latine 376.

  3. V. note [13], lettre de François Teveneau datée du 25 février 1657.

96.

Guy Patin voyait trois fois juste sur l’épilepsie : {a}

97.

La crédulité populaire attribuait l’éphialte aux esprits démoniaques. C’était le nom savant de l’incube, {a} maladie nocturne aujourd’hui oubliée, dont Thomas Corneille a donné cette définition médicale :

« Maladie de la poitrine, que l’on appelle autrement coche-vieille, {b} et que les Latins nomment incubus. Cette maladie n’est autre chose que la respiration empêchée et difficile qui survient quand on dort couché sur le dos, en songeant qu’on a un poids sur la poitrine et que l’on va étouffer. Cela est cause que les mélancoliques {c} s’imaginent qu’une personne ennemie leur pèse sur l’estomac, Fernel et Platerus {d} ont établi pour la cause prochaine de l’éphialte une humeur grossière et pituiteuse, retenue autour de la poitrine qui, étant émue {e} ou se gonflant, presse le diaphragme et les poumons. Ils ont ajouté que la voix est ensuite étouffée par les vapeurs qui exhalent et qui, montant au cerveau, y troublent les esprits animaux, d’où le songe de suffocation et de pressement s’ensuit. Les modernes mettent la cause prochaine de l’éphialte dans tout ce qui peut empêcher le mouvement du diaphragme en en bas. Ce mouvement est blessé ou par le vice de quelque objet qui presse le diaphragme et s’oppose à son mouvement en en bas, ou par le vice des nerfs qui servent à sa contraction. Ceux qui mènent une vie réglée, ou qui songent {f} peu, sont moins exposés à cette maladie que ceux qui ont trop d’aliments. Ainsi ce mal est familier aux enfants, à cause qu’ils mangent goulûment. Il est facile de le prévenir en dormant sur le côté et la tête haute, parce que moins on est sur le dos et couché, moins le ventricule {g} presse le diaphragme. On appelle l’incube, ou l’éphialte, épilepsie nocturne, ou petite épilepsie, à cause des convulsions des muscles du thorax, telles qu’elles arrivent dans tous les paroxysmes épileptiques, ce qui cause la difficulté de respirer dans l’épilepsie véritable et l’écume à la bouche. Ce mot vient du grec “ se jeter dessus ”, {h} parce que ceux qui sont atteints de ce mal s’imaginent que quelqu’un se jette sur leur estomac pour les étouffer. »


  1. V. note [42] de L’homme n’est que maladie.

  2. Bizarre sobriquet qui pourrait se référer à l’un des deux sens du mot « coche » donnés par Furetière :

    • avec pléonasme, au substantif désignant une « truie vieille et grasse qui a eu plusieurs cochons » ;

    • avec connotation lubrique et accent circonflexe (que Corneille n’a pas mis), à la conjugaison du verbe côcher, qui « se dit de l’action du coq qui se joint avec la poule pour rendre ses œufs féconds. »

  3. V. note [5], lettre 53.

  4. Jean Fernel (v. supra note [94]) et Felix i Platter (v. note [12], lettre 363).

  5. Mise en mouvement.

  6. Rêvent.

  7. L’estomac.

  8. En grec εφιαλτης, éphialtês, veut dire « cauchemar » ; εφιαλτια, éphialtia, était une herbe censée en empêcher la survenue ; et εφικνεομαι, éphiknéomaï, signifie « je parviens à saisir ». Cette étymologie peut se référer au verbe « côcher » de la notule {a} supra.

98.

V. note [3], lettre latine 104, pour les fièvres continues qu’on appelait synoques. Je n’ai pas trouvé où Galien les a assimilées aux rhumatismes, dont la forme principale était la goutte.

Dans les deux chapitres sur les fièvres synoques (iv et v, livre ii, pages 227‑233) de sa Pathologie (édition française de Paris, 1655, v. supra notule {d}, note [94]), Jean Fernel les a liées aux états inflammatoires, mais n’a parlé ni de Galien ni des rhumatismes.

99.

Histoire naturelle de Pline l’Ancien, v. note [24], lettre 117.

100.

Dans l’édition des Medici officiosi Opera [Œuvres du Médecin charitable], page 463, {a} Guy Patin, enhardi par son triomphe dans le procès que lui avaient intenté les pharmaciens de Paris, {b} a alourdi ce passage, en remplaçant aliaque Arabum figmenta, « et autres chimères des Arabes », par :

et aliæ putidæ Arabum quisquiliæ, quæ non magis prosunt ad eiusmodi affectuum curationem, quam calx aut cinis, inanisque pulvis, cum sint meræ nugæ, ab ignaris nebulonibus confictæ, et in sanctissimæ nostræ Medicinæ sacrarium malis artibus et infaustis avibus deportatæ.

[et autres puants déchets des Arabes, qui ne sont pas plus utiles au traitement de cette sorte d’affections que ne sont la chaux, la cendre ou une poudre inerte, car ce sont de pures sornettes, que d’ignorants fripons ont fabriquées, et qu’arts maléfiques et oiseaux de mauvais augure ont introduites dans le sanctuaire de notre médecine très sacrée].


  1. Paris, 1649, v. supra note [1].

  2. V. supra notule {c} de la susdite note [1].

101.

L’asellus aquarius ou aquaticius, « âne aquatique » (d’eau douce), est distinct de l’asellus marinus, « âne de mer » ou morue : {a} autrement nommé aselle, c’est un petit crustacé (mesurant moins de deux centimètres), qui porte aussi le nom de cloporte d’eau douce, millepeda, « mille-pattes », en latin.

Guy Patin connaissait les écrits de Daniel Sennert {b} sur le bout des ongles car il avait édité ses Opera [Œuvres]. {c} Sennert a mentionné l’emploi médicinal de cet animal dans le livre ii de sa Medicina practica [Médecine pratique], troisième partie, De Symptomatibus, quæ pulmonibus et thoraci accidunt [Symptômes qui touchent les poumons et le thorax], chapitre ii, De Asthmate et orthopnœa [Asthme et orthopnée], {d} page 412 :

Commendantur et millipedæ vel aselli, qui sub vasis aquariis stabulantur, si scilicet panno lineo excepti in vino macerentur et vinum sine expressione propinetur.

[On recommande fort les mille-pattes ou aselles, qui vivent et se nourrissent dans les limons d’eau douce : enveloppés dans un morceau de toile, on les fait macérer dans du vin, qu’on donne ensuite à boire sans les avoir écrasés].


  1. V. supra note [61].

  2. V. note [21], lettre 6.

  3. Trois tomes, Paris, 1641, v. note [12], lettre 44.

  4. Lyon, 1630, v. note [5], lettre 8.

102.

Je n’ai pas su traduire ce passage autrement qu’en modifiant la ponctuation du texte latin :

fluxum hæmorrhoïdalem, quem aquæ potus imminuit ; purgatio tollit chiragram et podagram…, « boire de l’eau froide atténue le flux hémorroïdaire ; la purgation supprime la chiragre et podagre… » ;

au lieu de :

fluxum hæmorrhoïdalem, quem aquæ potus imminuit, purgatio tollit : chiragram et podagram…, « boire de l’eau froide atténue le flux hémorroïdaire que la purgation supprime ; tout comme la chiragre et podagre… »

En séparant ainsi les hémorroïdes des manifestations de la goutte (chiragre et podagre), je ne suis toutefois pas certain d’avoir parfaitement compris Guy Patin car il a employé trois fois la locution βλαστηματα των ενεοντων κακως εχοντων (blastêmata tôn énéontôn kakôs ékhontôn) pour parler soit des hémorroïdes seules, {a} soit de leur association avec la goutte et la lithiase urinaire, {b} soit des métastases cancéreuses. {c} Il a ici remplacé βλαστηματα, « rejetons », par εκγονα, « descendants », mots que le contexte rend synonymes. Faute de meilleure solution pour aboutir à une traduction intelligible, j’ai ajouté ενεοντων, « muets », en pensant qu’il l’avait sous-entendu ou involontairement omis (mais il n’a été rétabli dans aucune des rééditions de la thèse que j’ai regardées).


  1. V. note [5], lettre 700.

  2. V. note [14], lettre 644.

  3. V. note [8], lettre 831.

V. notes :

103.

V. note [12], lettre latine 4, pour l’euthanasie, au sens étymologique de « bonne ou heureuse mort », telle que l’avait souhaitée l’empereur Auguste dans Suétone.

104.

Guy Patin avait lu le :

I. Antonii Saraceni Lugdunæi de Peste Commentarius. In quo præter pestis naturæ, præcautionis etiam atque curationis ipsius uberiorem explicationem, non pauca quæ super eadem materia hoc nostro seculo et cœlo in contentionem plerunque veniunt obiter strictimque pertractantur.

[Commentaire de Jean-Antoine Sarrasin, {a} natif de Lyon, sur la Peste. Outre de très riches explications sur la nature, la prévention et le traitement de la peste, y sont traités, au passage et rapidement, quelques points sur la même matière dont on débat aujourd’hui dans notre pays]. {b}

On y retrouve en effet ce propos, page 181 du chapitre vi, Aeris ac morborum pestilentium præcautio [Précaution contre l’air et les maladies pestilentielles], :

Qua ratione autem et quibus ex causis fiant recensiti ante affectus quamque varie nos afficiciant, abunde traditum comperiet quivis a Marco Tullio ex Stoicorum acutissime in hac quæstione versatorum fontibus. Iure autem una benignitatis Divinæ erga fideles firma assensio totius iucundæ et absque perturbatione traductæ vitæ moderatrix est, nec ulla unquam vel calamitate vel ærumna premetur qui vitæ fundamentum iecerit pietatem ac fidem : non erit sua sorte aut conditione non contentus, qui Christi familiæ omnia bene fœliciterque succedere persuasum habuerit, ac rerum omnium tum opificem tum moderatorem eumdem sibi benignum esse partem crediderit.

[Qui voudra savoir pourquoi et d’où viennent les affections dont j’ai précédemment parlé, {c} et pourquoi elles nous touchent diversement, en trouvera une copieuse relation dans Cicéron, tirée des auteurs stoïciens qui se sont très soigneusement penchés sur cette question. {d} Toutefois et à juste titre, le solide attachement de la bonté divine à l’égard de ses fidèles garantit seul de mener une vie prospère et sans désordre, car qui aura érigé la piété et la foi en principe de vie ne sera jamais incommodé d’aucune calamité ni d’aucune misère ; {d} qui se sera persuadé de bien et heureusement suivre tout ce qui est commun à la famille du Christ ne sera pas mécontent de son sort ou de sa condition, et croira que l’artisan et le maître de toutes choses aura été généreux pour lui].


  1. V. note [3], lettre 253.

  2. Sans lieu, Ioannes Gregorius, 1572, in‑8o de 345 pages.

  3. Les 45 premières pages de ce chapitre passent en revue les manières de vivre qui peuvent prédisposer à la peste, avec un long développement sur le régime alimentaire.

  4. Renvoi dans la marge au livre iv des Tusculanes, où les interlocuteurs discutent tout particulièrement la philosophie stoïcienne, préchrétienne certes, mais la moins incompatible avec la vie et les enseignements du Christ.

  5. J’ai mis en exergue le passage que Patin a repris, et qu’il a adapté à son propos médical en y remplaçant pietatem et fidem, « la piété et la foi », par temperentiam, « la tempérance ».

105.

V. note [3], lettre 157, pour Jean de Montigny, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en janvier 1649. En dépit des préceptes de longue et agréable vie que Guy Patin lui avait fait défendre dans la cardinale de la Sobriété, il mourut trois ans plus tard, en plongeant son maître dans un profond chagrin :

106.

V. note [5], lettre 55, pour Nicolas ii Le Bailleul et sa douteuse noblesse, qu’il entendait marquer en se faisant appeler de Bailleul.

107.

L’auteur de la dédicace (sans doute Guy Patin) s’est clairement inspré de l’éloge de Nicolas ii Le Bailleul (Nicolaus Balliolus) par Scévole i de Sainte-Marthe, {a} livre v, page 155 :

Gens illa nobilis est et antiqua, quæ pluribus abhinc sæculis in eadem provincia floret, vigetque, insigniaque Britannici Ducatus gestat ob egregiam in prælio navatam operam ab uno ex familia, qui Ducem Armoricorum equo disiectum fortiter in equum sustulit.

[Cette famille est ancienne et de noble race. Elle fleurit et prospère depuis des siècles dans la même province. {b} Elle arbore les enseignes du duché de Bretagne {c} en raison des zélés services rendus par un de ses membres qui, étant à la tête des Bretons, fut désarçonné puis remonta courageusement sur son cheval].


  1. Elogia, Paris, 1630, v. note [1], lettre 1018.

  2. En Normandie.

  3. Les hermines bretonnes figurent sur les armoiries de Nicolas ii Le Bailleul gravées sous son portrait, en tête de la thèse.

108.

Prudente allusion à Nicolas i Le Bailleul (mort en 1610), célèbre renoueur (rebouteux) parisien, qui devint par la suite valet de chambre ordinaire de Henri iv.

Le français du xviie s. utilisait le mot bailleul pour désigner « un renoueur de membres disloqués ; quand on s’est démis un bras, on envoie quérir le bailleul » (Furetière). Gilles Ménage a aussi défini le mot, modifié en « bailleu », en disant qu’il appartenait à la langue de Paris et qu’il venait « de M. de Bailleul, père de M. de Bailleul, président au mortier du Parlement de Paris, chancelier de la reine mère régente, Anne d’Autriche, et surintendant des finances de France » (Dictionnaire étymologique…, Paris, 1750, volume 1, page 133).

Tallemant des Réaux (Historiettes, tome ii, pages 396‑397), Le président Le Bailleul :

« quoiqu’il se dise d’une bonne maison de Normandie, qui s’appelle de Bailleul, < il > n’en est point ; car il serait tout de même descendu des Balliol, rois d’Écosse, si le nom y faisait quelque chose. Son père était normand, fort expert à remettre les os disloqués et rompus, et panser les descentes de boyaux ; {a} il épousa une bourgeoise. Il est vrai qu’il n’avait point de boutique, car il n’était pas chirurgien, et qu’il se mit je ne sais quelle vision de noblesse dans la tête : on dit qu’il avait toujours l’épée au côté. »


  1. Hernies.

109.

Ceci est l’unique mention de Marsile Ficin (Marsilius Ficinus, Marsilio Ficino, 1433-1499) dans les écrits de Guy Patin. Humaniste toscan néoplatonicien {a} qu’Érasme admirait, {b} il eut pour élève Jean Pic de la Mirandole. {c} Parmi les nombreux ouvrages qu’il a publiés, j’ai consulté ses trois livres de triplici Vita [sur la triple Vie]. Une édition {d} est pourvue d’un index qui m’a mené aux dernières lignes du livre ii, De vita longa [La longue vie], chapitre xx, page n ro :

Tris parcas fere omnes poetæ canunt. Tris quoque nos non poetæ canimus. Prudens quidem in omni victu parcitas vitam nobis longam incohat. Constans quoque in curis subeundis parcitas producit vitam : parcitas vero in cœlo fruendo negligens vitam occat. Tres pythagoras temperentias ante omnia celebrat : tres etiam nos impræsentia celebramus. Temperantiam in affectibus conservato, temperantiam in omni victu servato. Temperiem aeris observato : Hac enim providentia humorum intemperiem quæ citæ senectutis et tempestivæ mortis causa est aspirante deo procul admodum propulsabis. Aspirabit autem auctor ille vitæ : si ea tantum conditione vitam optaveris diuturnam : ut diutius cum generi humano vivas : tum maxime vivas illi : quo mundus totus inspirante vivit.

[Presque tous les poètes chantent les trois Parques. {e} Nous, qui ne sommes pas poètes, en chantons aussi trois : une sage modération en toute nourriture est certes pour nous le début d’une longue vie ; une constante modération dans les soucis à subir prolonge aussi la vie ; mais une modération qui ne se soucie pas de tirer sa jouissance du ciel brise la vie. {f} Pythagore {g} loue trois tempérances par-dessus toutes choses, et à présent, nous en louons aussi trois formes : celle qui contient nos sentiments, celle qui est observée en toute nourriture, et celle qui veille à la température de l’air. {h} Par cette prévoyance, en effet, tu écarteras l’intempérie des humeurs, qui est une cause de vieillissement rapide et de mort prématurée, si Dieu souffle favorablement ; mais ce Créateur de la vie ne soufflera ainsi que si tu as opté pour ce qui prolonge l’existence, car tu vivras d’autant plus longtemps ici-bas que tu vivras pour celui dont l’inspiration permet au monde tout entier de vivre]. {i}


  1. V. note [46] du Borboniana 7 manuscrit.

  2. V. note [45] du Patiniana I‑1.

  3. V. note [53] du Naudæana 2.

  4. Bologne, Benedicto Hectoris, 1501, in‑4o de 27 feuilles.

  5. V. note [31], lettre 216, pour les trois Parques qui présidaient à la vie et à la mort des humains.

  6. J’ai maintenu la construction négative de cette proposition, mais elle est peut-être plus compréhensible et harmonieuse en étant traduite positivement : « une modération qui se soucie de tirer sa jouissance du ciel (de l’au-delà) maintient la vie. »

  7. V. note [27], lettre 405, pour Pythagore, dont la philosophie est une des sources du néoplatonisme.

  8. Pour dire : à se préserver de ce que nous entendons à présent par intempéries (climat trop chaud, trop froid, etc.).

  9. Ficin était fils de médecin et avait entrepris de le devenir lui-même avant de se consacrer à la philosophie. Il ne dit certes pas que la tempérance est omnis virtus, « toute la vertu », mais il l’explique clairement dans la conclusion de son livre, dont l’auteur de la dédicace n’avait peut-être qu’entendu parler.

110.

Nicolas ii Le Bailleul était surintendant des finances de France depuis 1643 ; mais malheureux en cette charge, car sa trop scrupuleuse probité le rendait de moins en moins capable d’assurer une fonction éminemment complexe face à de ruineuses guerres et aux insatiables exigences des grands du royaume. Anne d’Autriche et Mazarin allaient le congédier en juillet 1647, pour le remplacer par le moins sobre Michel i Particelli d’Émery (v. note [6], lettre 46).

111.

V. notes :

112.

La question est développée dans le deuxième paragraphe de mes commentaires sur L’homme n’est que maladie.

s.

Vivere omnes diu iucundéque volunt, sed ad pervivendum quid eiusmodi vitam efficiat, penè omnes cæcuciunt, adeo nullius rei difficilior, quàm rectè vivendi scientia. Vix ulli quàm bene vivant ; quàm diu, cuncti curant, cùm unicuique integrum sit, ut bene, ut diu, paucis. Sanè hujus vitæ isthmus perbrevis est, ac velut umbræ transitus : sed nostrâ sæpius, quàm Naturæ culpâ. Ab aliis quidem hæc pro jure suo citiùs, ab aliis tardiùs debitum exigit : ut Iudex eos primùm plecti jubet, qui minùs flagitii admisere, sic plerosque innocentissimos, sive hac in parte benignior, sive rigidior, antè cogit mori quàm cœperunt vivere, in ipsóque vitæ apparatu, nihil aliud sinit, quàm lucem prospicere. Aliorum in ipso flore cursum interrumpit, alios adducit ad extremam usque ætatem, quæ quantacumque sit, paucorum annorum circuitus est. Nobis verò tametsi tantum patuit quantum potuit, rapidè tamen videtur decurrere, quia vel inter errores conteritur : aut nihil, aut aliud, aut malè agentibus elabitur. Pecuniam ægrè quis alteri dividat ; tempus cujus unius honesta avaritia est, et totam propè vitam cuivis ultro impendimus : atque ita dissipatam dum terminum providemus, et quota ex parte nostra fuerit, reputamus, brevem fuisse conquerimur. Satis longa foret, si tota bene collocaretur, si plusquam reliquias sanis consiliis destinaremus. Quid quod plerumque nostræ ipsi salutis proditores sumus et pessimo victus genere sanitati decoquimus ? In vitia, pravi, dociles, alter alterum trudimus : et quæ communis est insania, priores malè iter ingressos, pecudum more, non quà eundum est, sed quà itur sequendo, alienis perimus exemplis. Sic paucis contingit longa vita, sed et paucioribus adhuc iucunda. Ab hoc longè absunt quibus assiduum est cum morbis negotium, qui miseram trahunt animam tot in dies tormenta trahentem. Nescimus quàm multorum sit personata felicitas, quibus inter ærumnas Cor ipsum exedentes, necesse est agere felices. O si Tyrannorum mentes recluderentur, quanti possent laniatus et ictus aspici ! ut corpora verberibus, ita sævitia, libidine, ultionis cupiditate, malis consultis animus dilaceretur ! Quàm multi ob id unum miserrimi, quod ne aliquando miseri sint, semper timent. De grege illo sunt qui totam spirantes Arabiam, auro argentóque ornati, et adinstar parietum suorum extrinsecus culti, intus sanæ mentis hilum non habent : et quos strenua exercet inertia, ac velut in mari lento tranquillitas iners detinet, vel otium negotiosum, beatósne dixerit, quisquis sapit ? certè hilaris et optima vivendi ratio corporis animique pace continetur : nec tamen bonis corporis metienda, alioqui pecudis conditio melior quàm hominis ? Nuda et ratione defecta vita muscarum ac vermium bonum est, hominis verò, rectè valere et sapere : nec enim verè felicitérque vivimus nisi cùm omni corporis molestia vacui, bonæ menti laboramus : æger est qui corpore validus, minùs valet animo : tunc tantùm perfecta sanitas est, cùm partis utriusque veluti iunctorum ab bigas equorum quædam æquabilitas est ; neutra incumbit alteri : tanti verò boni cùm tam rara sit, quàm fugax possessio, an abs re vita brevis et ingrata iudicatur ?

t.

Fata fugiendo incurrimus, et ut alios ocyùs, alios seriùs comprehendant, neminem tamen prætereunt. His vel inviti colla submittunt qui sibi populos tanto tumultu subijciunt, nemo impunè refragatur. Omnes quidem simili ratione nascimur : Verùm ut modo dissimili, sic ætate dispari mortem oppetimus : plures immaturi decedunt, ex Naturæ necessitate pauci. Nullus ultra pensum vivit, nec fixum cuique terminum gratia aut industria, ulteriùs unquam promovit. Huic ne momentum quidem adjiciat ipse Æsculapius, multòminùs auro suo potabili (putabili) Chymista fumivendulus. Sæpe tamen quem interitus diem victus error accelerat, prudens Medicus consiliis suis retardat. Ut quis longissimum vitæ spatium sanus compleat, is necesse est puro sanguine, et copia nativi caloris humido primigenio probè temperati circumfluat : neque tamen quisquis utroque abundat, diutissimè vivit : quanquam et id in manu nostra est, modò ne salutarem hunc humorem diripi affatim sinamus, vel obrui. At quia nihil minùs curamus, ferè et ante diem obrepit mors, quæ ubique in insidiis est, juvenibus in propinquo, senibus in limine ; scilicet agunt eius negotium multa quæ nos assiduè circumstant incommoda, quibus ceu turbulentis externarum procellarum fluctibus iactati huc illuc traducimur : nec minùs favet, quæ nos ad omnem ictum exponit, innata imbecillitas : nempe frigore, æstu, labore offendimur ; ipso rursus situ et otio corrumpimur ; non omne cælum ferimus, fames et sitis mortem minantur, nisi remedium adhibeas ; cùm interim potus et alimenta, quorum modò inopiâ, modò copiâ rumpimur, sapor, odor, vigilia, somnus, et cætera sine quibus moriendum est, non rarò sint mortifera, ut mirum sit tot iniuriis patere hominem, vix unius patientem. Sed ut ex his tuti emergamus, quem blandæ voluptatis illecebræ non aliquando irretiunt ? aut quem si moderatrix temperantia sedulò conservavit, casus aliquis non obterit ? quosdam incautos momento interimit venenatum animal, perit ille alter Italo perfusus aceto : Hos mare, alios fulmen, alios assumit terra, bello permulti cadunt, et hos bello superstites, opprimit domus, delet ignis, usque adeo certæ mortis incertus est dies ac locus, nec ut hanc vitet, unquam homini satis cautum est in horas. Tot ac tam variis brevioris ævi causis accedunt et multò frequentiores morbi, nostro utplurimum vitio nati : hos sequitur languor, et minor annorum numerus, si fortè non sequatur interitus : cuius uni periculum propiùs admotum est, dum stolidè ad illos concurritur, apud quos sua cuique vænalis vita promittitur, magno plerumque mors emitur : pyxidibus quæ titulo ostenta remedia, intus venena, aut ut ferè sit, nihil planè præter muscerdam recondentibus. Ab his ubi crumena non ægritudo levior facta est, videas ægros Medicorum genua tangentes, suaque omnia, sed seriùs paratos impendere, ut mortis laqueis expediti vivant, et novis usque suppetant doloribus : ita nos una catena hîc alligatos tenet, amor vitæ : si tamen aliter quàm nomine vita est, prorsus reipsâ labor, aut lenta mors, tanto plus aloës quàm mellis habet. An verò nihil habet homo quo has possit abstergere molestias ? magnam quidem earum partem facilè declinaremus, nec paucorum annorum, imò et dierum accessionem votis turpiter mendicaremus, si tantum in præcavendis morbis, quantum in iis dum nos exercent, profligandis, operæ poneremus. Sed tanta nos valetudinis negligentia tenet, ut quanti facienda sit, haud aliter quàm perdendo cognoscamus : amissam ægrè recuperaveris, etiamsi adhibeas preces argenteas : ut sine impendiis præsentem retineas, facilis est et compendiaria via, modò bonis auspiciis ineatur : tota puncto res constat.

u.

Vis te beatum facere, frugi ac sobrius esto : disce quod maximæ artis est, inter epulas esurire : fuge αλλοινιας, et varios missus qui excitant alliciúntque veluti præstigiis, captam appetentiam. Ad cibum et potum, ut vitæ, sic mortis viaticum, non tanquam ad vas implendum accedito, sed ut sumas parcâ quod satis est, manu, nec tam eorum usu sis, quàm temperantia lætus. Summum bonum est nullo alimento egere, ab hoc proximum, quamminimum requirere. Saluberrima vitæ forma est secundum naturam vivere : exiguum hæc desiderat, immensum opinio. Furor est cùm tam exiguum capias, cupere multum : cogita quàm parvum tibi sit corpus : sensus licèt augeatur, non id tamen laxabitur : nos sæpe maiorem habemus famem quàm ventrem : hunc cum sale panis latrantem leniet, vel prima iratum facilè placaverit esca : si bene institutus est, non erit molestus interpellator : parvo dimittetur, si das illi quæ debes, non quæ potes, aut petit omnia : ne malè pareat, ipsi noverca sis oportet : ferè enim in hunc solâ peccatur clementiâ. Hoc unum est et quidem summum Medicorum præceptum, per quod semper careas Medico, nempe os regi patiens, domino pro centum Medicis est. Hac una ratione quasi divina quadam virgula differtur, ac demum floridior contingit votis vel malignis nulli non optata senectus, quam suis κρατιστο χειρουργημασι, Panaceâ, Mimiâ, et herbis Hermeticis, incombustis oleis, vividis laticibus, arcere falsò prædicant æquè mendaces ac creduli, putidique ciniflones Chymistæ. Huius præsidij vim adversus cuncta vitæ incommoda, nec Moly Homericum, nec Plinij Theombrotion, aut Dodecatheos unquam æquaverint : nihil in illum licebit morbis, qui ultra quod suadet Sobrietas, nihil sibi licere putaverit. Non opus est tot glutire catapotia, tot lambere syrupos, tot pharmaca, ac penè tota exhaurire pharmacopolia, ut fœda humorum saburra ingluviei soboles, et morborum parens exhauriatur coccis Gnidiis, helleboratis, scammoniatis, antimonio (diabolico inter remdia monstro) et aliis infensis, peregrinis, ac sæpe adulteratis medicamentis, quæ purgari potiùs debeant, quàm ut tutò nostra purgare queant corpora. Intemperantium ista sunt, qui, ceu lintea dum sapone et nitro detergentur, citiùs pertunduntur, cathartica sæpius sorbendo, celeriùs detergentur. Qui sobriè degit, nisi fortè sit ab ortu αλλο σπαρτος, et quasdam habeat causarias partes, tam vacat omni morbo, quàm humorum cœno ; ut proinde nullo egeat medicamento. Si qua ex ictu vulnera, indéque ulcera facta sint, et citò et sponte coëunt. Pestis ipsa morborum caput quantumcumque sæviat, æquè illum habebit eximium, quàm olim Athenis temperantem penéque divinum Socratem : scilicet aëris, loci, frigoris, æstus, externarúmque causarum vis omnino elanguescit, ubi nihil adiuvant inquilini hostes, cibus et potus. Quinetiam sub hoc tranquillo corporis statu quæ sensuum iudicio iucunda sunt, magis oblectant, videntúrque suaviora : quippe ut serenitas Alcyonibus, sic sanitas voluptatis commodum præbet ortum : neque solùm à parciori victu perbellè habet corpus, sed et optimè habet anima. Subtilis animus molem ventris refugit, et corpore meliusculè habito ad cognatas illi actiones inclinatur ; mens sicco corpore fulget, ut stella nitido cælo ; quóque ipsi minus est cum corpore commercij, minus inest et vitij : non disrumpitur irâ, non movet iurgia, non coquit seditiones placidus et sui compos animus : non æstuat habendi desiderio, quem sustinet cibus nec corpori gravis nec patrimonio : non illum venus erubescendis adurit ignibus qui vix libatis epulis, silentium indicit indignanti stomacho : amica castitati fames panem cogitat, non adulteria. Hanc morum innocentiam, innocenti victu tuebantur olim Christiani Anachoretæ, (ut in Palæstina Esseni, gens æterna, in qua nemo nascitur) ipso adhuc anno centesimo sani : veniebat in cibum panis aut palma, quæ et vestitum præbebat : nam cocti aut calidi aliquid comesse, inter cupedias erat, in potum hausta è proximo fonte frigida : à vino tam procul aberant, quàm ab urbibus. Eiusdem frugalitatis tenacissimi primi, et à Deo recentes homines nongentos annos vivebant, carnis perinde ac fraudis nescij, sed his quæ natura sponte tribuebat, contenti : nondum enim cogebatur suum sitientibus fundere sanguinem. Nos tam rigida ac pertinaci abstinentia, quæ priscos illos penè acernos χαλκεντερους efficiebat, prætendimus mundi senium, sub quo nostra hæc tractari molliùs ætas imbecilla velit. Adeo nempe nostram amamus intemperantiam, eam ut excusare quàm excutere malimus : sicque plures interimat gula quàm gladius.

v.

In victu qui modum tenere nescit, et morbo tenetur, et vitio. Ut mollis educatio nervos omnes mentis et corporis frangit, sic utriusque alacritatem minuit attentior parsimonia, quâ nonnulli malignè famem extinguendo mugilis vitam agunt, glorianturque se non pasci toto asse. Squallorem appetere, faciles odisse munditias, vesci tetris et horridis cibis, eius est qui Gratiis litavit nunquam : res delicatas prosequi, luxuriæ est ; usu receptas, nec magno parabiles fugere, dementiæ : frugalitatem exigimus, non pœnam. Parca sit, sed nitida cœna, cuius præcipuum condimentum sit amicum, cum quo riges diffundásque amicitiam, minùs ventre quàm animo conviva. Cibus tibi sit panis, si non alius, vulgi et si licet, procerum. Obsonia si lubet, inferantur aliqua, non hominum opinione cara, non per artem voluptatémque corrupta, sed stomacho magis quàm palato amica : sua illis non deerit gratia, modò non desint Spartana aromata, his quæ ab Indis advehuntur, longè salubriora : nihil contemnit esuriens, nec est ambitiosa fames, ipsa tibi commendabit quodcumque comprehenderis. Vis mente et corpore acutiùs cernere, vis sapere, omnemque stultitiæ mixturam effugere, bibas aquam, Sapientiæ fomitem : nutrit illa, coctionem iuvat, vividos facit sensus, acre iudicium, limpidum et studiis aptum igenium, adeoque ut animantibus, imò et viventibus omnibus, sic cuiuslibet ætatis, sexus, et temperamenti hominibus αριστευει. Vinum convivii coagulum, lac veneris, hilaritatis seminarium, quo nihil est iucundius, quo nihil melius dedit Natura hominibus, voluptatis, non necessitatis potus est, sed dolosus luctator, hepar captat primùm, mox caput atque pedes : splendet color eius, sed statim mordet ut coluber, et tanquam regulus venenum suum in totum corpus diffundit. Ab eo non solos Reges, sed etiam, si quisque sibi rex esse debet, cæteros homines abstinere satius foret : quamquam conferre creditur aliquibus eximio quidem ingenio, sed dum sicci sunt, minùs audaci, et quasi concreto, qui cùm ad pocula ventum est, tanquam miniati Ioves, thuris in morem à calore correpti exhalant. Merum nulli non noxium, quò potentius, hoc nocentius : mel est ori, fel capiti, sapit in ore, ardet in ventre, fumat in capite, suisque amantissimis tandem iugulum petit. Mirum quod cùm vix ferendo sint sanorum robustissimi, nonnulli tamen qui pari inscitia et impudentia Medicorum auctoritatem arripiunt, ægris quasi per se non satis officiat, etiam venenato stibio infectum propinant : ac si qui fati ope evaserint, ceu bina hæc venena iuverint (o mores ! o tempora !) inter remedia, si Diis placet, annumerantur. Quæ virgo nymphas deserit amore Bacchi, dat tibi certum brevi perituræ virginitatis indicium : et quæ ætatis florem marito prostituit, quò magis vino dedita, hoc minùs pudica : pueris et infantibus ne dilutum quidem dederis. Senes quò ætate provectiores tantò dilutiùs bibant, tandémque metæ proximi, solam aquam. Adolescentibus et iuvenibus suave toxicum est, quo liberaliùs epoto, eorum medullæ velut admotis facibus inflammatæ, Æthnæo amoris igne æstuant : tunc placet iucundum nefas, oculi institores exactoresque libidinis, ad omnem lasciviam vagi evolant, petulantissimæ manus omnem verecundiæ legem perfringunt, tunc rabie iecur incendente libido, quâ visum est, sese impingit, nec iam furtim, sed palam illa fiunt, quibus abscondendis nulla sit satis alta nox : tam præceps est gradus a Libero patre ad lumbifragam Venerem, solâ vini fugâ, et gulæ castigatione domandam. An verò accuratam hanc victus rationem quam Principum Medicorum lex sanxit, quisquam nunc ad unguem observat ? quotusquisque iam in vitæ suæ rationem inquirit ? Rara nunc constans et firma sanitas, quia rara Sobrietas, quantúsque nostro seculo in hoc unum ingenioso succrevit luxus, tanta et morborum incubuit cohors. In tam amabili ferculorum serie si quis iam est, qui non rapiatur extra metas necessitatis, is profectò magnus est. Totus Orbis duo Numina colit, Eduliam et Potinam : lucrones jam passim grassantur innumeri, quorum corpus est in sagina, animus in macie. Asello similes cor habent in ventre, ad omnia fercula manibus involant : summa curarum est, quid edant, quid bibant vel eorum insomnia cibi sunt : perinde vorant, acsi lupum in alvo gerant, cum cruditate dissiliunt, ac penè saturitate crepant : quærunt irritamenta, quæ pigritiam nauseantis stomachi erigant, et fessum os, in novos morsus excitent. Tanto alii languore solvuntur, ut per se scire non possint, an esuriant : adspice quàm tangant malè singula dente superbo, quàm difficilis crescat inter molares cibus : his opus est quidquid habet artis, expromat coquus : ut obtusus appetitus famis aliquid sentiat, ut per deceptum guttur traiiciatur alimentum, hac qua intraverat, facilè rediturum, sed non sine bile regustandum. Tantum negotii exhibet pessimum corporis vas, cujus causâ maxima pars mortalium vivit, et perit miserè. Heu, prodigia gulæ ! feris ad alimoniam solitudo sua, multis elephantis una sylva sufficit : homo terrâ pascitur et mari : imò sibi bene esse non putat, nisi ad delicias totum mundum irretiat. Est ubi < trium > provinciarum tributum uni homini una cœna sit, nec satis lauta videtur mensa, supra quam non recognoscit omnium gentium animalia, è singulis certa tantùm electurus membra, adeo nulla his est nisi ex fastidio pax. Non sapit caro bubula, agnina, ovilla, hœdina, vitulina, nisi exotico jure perfusa : lepus, dama, pygargus, aper, cervus, et quidquid animalium sylvas et agros pererrat, in mensas extrahitur ; advolant et omnis generis altilia, Scythicæ volucres, attagen Ionicus, perdices, meleagrides, gallinæ Numidicæ, Africanæ ficedulæ, gallinagines, quibus et comes est, pinguibus ficis pastum iecur anseris albi. Aqua ipsa suppeditare iubetur, quos celat pisces, lucium, barbatulum, mullum, rhombum plusquam Cæsareum, et paucorum hominum Acipenserem, reliquos denique non tam sapore, quàm parandi difficultate pretiosos, sæpe in plenum carnibus ventrem deiiciendos. Etiam ostrea maris tubera, naufragio exquiruntur ; nec admodum placent nisi Lucrina : neque dubiis cœnis desunt ancipites fungi, quibus vel pratensibus malè creditur ; cùm id voluptuarii veneni sævit in præcordiis, ne ferendo quidem sint dura messorum ilia. Ne non omni ex parte Cupediæ parentetur, hasce opiparas mensas claudunt fructus innumeri, crudi, cocti, conditi, multo saccharo adulterati : unde molesta bilis congeries, et novus excrementorum proventus, melimela, artolagana, scitamenta mellita, et aliæ nebulæ, stomacho graves, et coctioni impares. Quòd si tanta in cibo licentia, non minor est in potu. Servatur algor æstibus, excogitaturque ut alienis mensibus cælestis aquæ spuma nix algeat : eò processit vitiorum solertia, ut compertum sit quemadmodum aqua quoque inebriaret, quanquam maior pars hominum vini dulcedine capti, non aliud vitæ præmium intelligunt : pauci nunc, et qui ferè rideantur, abstemii, multi popinones et κυλικιων ερεται, tanquam ad perdenda vina geniti, pecude deteriores, se ipsos ad bibendum stultissimè cogunt : isti hominésne, an potiùs amphoræ, rapere se vitam prædicant, dum falsa inter gaudia, totos sæpe dies ac noctes sedent ad pocula, hesternæ temulentiæ novam adiicientes, sed crapulam crapulâ, ut aiunt discussuri : Iuvat hilarem insaniam insanire, ac per iocum furere. Ad hæc Bacchi pervigilia sacramento dexterarum fidem suam obligant, ne quis exeat, et signa deserat, standum et pugnandum ad usque guttam ultimam : in hoc Dionysiaco agone certa bibendi lege contenditur : qui possunt vincere, laudem merentur ex crimine : palmam referunt qui inter plures ultimi fiunt ebrij, qui se præbent meri capacissimos, hoc solo tristes quod ab ipsis vincantur doliis. Sed o barbaram libidinem ! o monstrosum penéque incredibilem ebrietatis amorem ! et ipsi populi vitibus vinóque carentes inebriantur, Indi, Persæ, Massagetæ, Tartari, Sinenses, Americani, novis quibusdam potuum generibus excogitatis, ebrietatem inducentibus, etsi vino careant : adeo ut nulla mundi parte videatur cessare ebrietas. Quid quod homo sacra res, et θεος επιγειος potitando seipsum iugulat ? ac sæpe anginâ vinariâ præfocatus conditur tumulo, antè toties decumanis meri fluctibus obrutus. Planè vino nihil inest boni præter veritatem, cui detegendæ lene tormentum est, scelerum alioqui malorumque omnium metropolis, et parens quarumlibet ægritudinum, quibus plerumque sola medeatur mors, nisi priùs medeatur abstinentia.

w.

Bono itaque loco sunt res eorum qui ab ingluvie, qua nulla hominum generi capitalior pestis, et à pernicioso gulæ obsequio liberi, non plus indulgent corpori quàm tuendæ valetudini satis est ; quippe ut intemperantiæ culpam pœna premit comes, catenata videlicet morborum series, aut tam merita quàm immatura mors : sic pro frugalitate messem opimam metunt, verúmque robur colligunt sobrii, qui corpore animoque præstantes, voluptatem quæ inter cibi potusque delicias capitur, brevem exitu fœdam dolorique cognatam pensant longa iucundaque sanitate. Prælucet in eorum vultu totóque corporis habitu, color quidam eximius, nitórque virens, et senii nescius, mens ipsa læta et alacris suum vigorem veluti transfundit in corpus, omnibus vitæ muniis optimè comparatum ; nullus molestiæ, nullus dolori locus. Tam procul absunt ab omni ægrotandi periculo, ut si qua olim morbi semina à parentibus vel natura invalidis, vel parum cautè viventibus traxerint, contranitente partium robore, et legitima victus lege vanescant. Hos ne senectus quidem quæ solvit omnia, frangit, in ipso ætatis portu vegetissimi apparent, oculi puro lumine vigent, pedes certa imprimunt vestigia, liquidus est et penetrabilis auditus, dentes candidi et immoti, vox sonora, corpus solidum succique plenum, cani cum rubore discrepant, vires cum ætate dissentiunt, non memoriæ tenacitatem antiquior senecta dissolvit, non calidi acumen ingenii frigidus sanguis obtundit, non tremula manus errantem incerto tramite stylum ducit ; adolescentiam mentiuntur in senectute, à qua solam habent prudentiam. Ad bonæ valetudinis conservationem non tam multa requiruntur : paucis natura contenta est : homini sapere cupienti panis et aqua sufficiunt : quibus si quid exiguum addideris, poterit ille cum Iove de felicitate certare. Polyphagia et Polyposia, crede mihi, consuetudinis res est, non Naturæ. Qui pauco vino utitur, eoque dilutissimo, ille vitam suam amat, et infinitis seipsum beat commodis : ex eius abusu, maximorum morborum ilias profluit, calidi innati substantiam minuendo, humidum primigenium dissipando ac exsorbendo. Vinum dubius est amicus, et anceps Proteus, bonum præsens exiguum, malum emergens gravissimum : vitam facit alacriorem ac vegetiorem, sed breviorem : idemque præstat corpori quod calx ad arboris radicem conspersa, fructum quidem accelerat, arborem autem perimit, ita vinum suscitato calore, spiritus facultatesque erigit, mortem verò maturat, dum infinitos affectus invehit, nullà ferè Herculis clavâ debellandos : apoplexiam nullo emeticorum usu curabilem : epilepsiam (quæ propriè non est convulsio) nullâ pæoniâ, nullo amuleto superabilem : paralysin, quæ nullis iuvatur sudorificis : ephialten, falsò dæmonas mentientem : rheumatismum qui fit per ναυσιωσιν των φλεβων, antiquis penè ignotum, cuius ut et synochorum Galeni, summa remedia sunt venæ sectio et frigidæ potus : Anginam, cui non meliùs succuritur, quàm iugularium sectione : pestilentes, purpuratas malignásque febres, quibus nihil auxiliantur bezoüar, idolum faturorum : Theriaca, compositio luxuriæ : Mithridatium, herbarum deforme chaos, rudis indigestáque moles multorum simplicium, nimio fervore, acrimonia vel malignitate, nativo calori adversantium : confectio Alkermes et de Hyacintho, Diamargaritum, aliáque Arabum figmenta : peripneumonicos affectus, nullis cedentes Arabum syrupis, bechicis, frustra nuncupatis : phthisin nullo lacte, nequidem muliebri, sanabilem : asthma, in quod aquarij nihil possunt aselli ; imò plusquam aselli sunt, qui præscribunt : hydropem, ut plurimum à causa calida, nec semper ab hepate, qui nullo hydragogorum usu tollitur, ut nec paracentesi : calculum renum, quem dum caput ureteris tentat, doloresque ciet atrocissimos, nihil promovet diureticorum vis ignea : aut vesicæ, qui nullis imminuitur aut frangitur lithontripticis : dysenteriam quam irritant rheum tostum et myrobalani, tollit autem venæsectio : fluxum hæmorrhoïdalem, quem aquæ potus imminuit, purgatio tollit : chiragram et podagram τα εκγονα των κακως < ενεοντων > εχοντων. Quod si tandem eò venerint, quò vel cunctantibus veniendum, tam placidè è vivis excedunt, ut obdormire, non emori videantur, per beatam et auream frugalitatem, famosæ illius veterum Principum, à tam multis frustra concupitæ ευθανασιας participes facti. Quid multa ? non solùm nobis, sed et posteris quoque nostris temperanter vivendo consulimus : nam et spem vegetæ prolis auget hominum bona nutrix Sobrietas, ut si creandis liberis incumbatur, dum validum fœcundumque semen, et tenacem reddit uterum, pulchra ac numerosa prole beatos faciat parentes, postquam ipsi sani diutissimè vixerint, suis adhuc in liberis diu victuros. Denique, nulla calamitate vel ærumna premetur unquam, qui vitæ fundamentum iecerit Temperantiam.

Est igitur longæ ac iucundæ vitæ tuta certáque parens Sobrietas.

Proponebat Lutetiæ Parisiorum Ioannes de Montigny, Abrincensis, Anno R.S.H. m. dc. xlvii.

x.

Nobilissimo Illustrissimoque Viro, Nicolao de Bailleul Regi a Consiliis in Senatu Præsidiærarii Præfecto, et Reginæ Cancellario, etc.

Si Virtutis ea est conditio, ut de ipsa iudicium ferri non possit, nisi teneatur (Pæses Illustrissime) non possum de Sobrietatis viribus æquiorem Arbitrum aut sapentiorem Te quærere, quem in omni vita sequuta est. Hæc non modò aluit, sed et auxit illustravitque gloriam Nobilissimæ Balliolorum Gentis, quam ei peperit ex Majoribus tuis Ille qui Ducem Armoricorum in acie ex equo deiectum et penè ab hostibus oppressum, fortiter in equum sustulit, et Britanniæ Insignia quæ Tibi gentilitia sunt, à servato Principe promeritus est. Hæc Te Henrico Magno et Ludovico Iusto conciliavit, ut et superioribus Regibus fortissimum Parentem tuum, de cujus Sobrietate constat, quia de illius virtute non dubitamus. Est enim Temperantia reliquarum omnium virtutum procreatrix, vel, ut cum Ficino loquar, omnis virtus. Hæc Te Ecclesiæ, Regi, Populóque addixit, cùm Senator, Libellorum supplicum Magister, Præses Consistorianus, Parisiensis Prætor, in Senatu præses, ac tandem Ærarii Tribunus factus es. In quo certè Reginæ omni laude majoris enituit Sapientia, quæ Te tanto Muneri præfecit, cùm intelligeret neminem à cupiditate sibi temperare posse, nisi Temperantem. Te scilicet in Regno quasi in magna domo sic constitutum existimas, ut bona Regis quasi communis Parentis pari diligentiâ ac fide Tibi administranda sint : Ita verò rem privatas curas quasi in parvo Regno non alium hæredem Tibi relicturus sis, quam Populum. Sed ex quo fonte ducta sunt ista omnia nisi ex Sobrietate, quæ cùm plurima Tibi subtrahat, Te non Tibi, sed Reipublicæ natum esse admonet ? Est igitur tam eximia virtus omnibus summis Viris colenda, non quia voluptates fugit, sed quia longè maximas sectatur. Illa Te terris datum, Cælo reddet. Tibi largietur αλπιαν, quam omnes ; μακροβιοτηταν, quam felices ; ευθανασιαν, quam Sapientes ; αθανασιαν, quam Christiani exoptant. Non enim mors dolorum atrocitate terribilis est Temperanti, cui vitam non eripit, sed subducit, cuius animum è corporis hospitio, ut è ruinososa domo dimittit, non avellit, ut sobrij non tam emori quàm obdormiscere videantur. Vitæ sobriæ non potest non esse facilis meta. Fruere igitur illo Tuo bono, (Vir Maxime) qui vitam verè vitalem degis, cuius gloriam demirantur omnes, imitantur pauci, vix assequentur aliqui, et quam Tibi æternam, si non ex dignitate, at certè ex animo precatur

Præses Illustrissime,

Tibi addictissimus et obsequentissimus Ioannes de Montigny.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Une thèse cardinale de Guy Patin : « La Sobriété » (1647)

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(Consulté le 29/03/2024)

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