Annexe
Jacob Spon et Charles Patin, premiers éditeurs des Lettres choisies de feu M. Guy Patin

En 1677, Jacob Spon, [1] né en 1647, deuxième fils de Charles[2] était médecin à Lyon. Charles Patin, [3] né en 1633, deuxième fils de Guy, était exilé à Padoue, où il enseignait la médecine. [4] Une solide et ancienne amitié les liait, cimentée par leur passion commune pour les antiquités[1]

La thèse de doctorat en histoire qu’Yves Moreau a présentée le 8 juillet 2013 à l’Université Lyon 3, intitulée Édition critique de la correspondance de Jacob Spon (1647-1685), contient 425 lettres, jusque-là inédites, que Spon a écrites ou reçues entre 1667 et 1685. Quatre-vingt-deux viennent de Charles Patin, et sont conservées dans le ms BnF naf 24171, Lettres de divers érudits adressées à Charles et Jacob Spon (1650 à 1681). J’ai extrait de cette correspondance ce que les deux amis se sont écrit en 1677-1679 sur leur édition des Lettres choisies de feu Monsieur Guy Patin, qui parut pour la première fois à Francfort (sic pour Genève) en 1683[2][5]

Extraits de neuf lettres que Charles Patin a écrites de Padoue à Jacob Spon

Extrait d’une lettre de Jacob Spon

À Claude Nicaise, [27][28] sans lieu ni date écrits (1679) (Moreau, no 230, page 522 ; ms BnF fr 9360, Correspondance de l’abbé Nicaise, f o 323) :

« On m’écrit que l’on veut imprimer à Rome un volume in‑fo des lettres de Baronius, [29] ou qui lui ont été écrites. [28] De la manière dont m’a écrit M. Chouët, [29][30] je vois qu’il ne se soucie pas d’imprimer les lettres de M. Patin. Si c’était un méchant livre, il l’aurait déjà fait, car les libraires se trompent souvent aux choix de leurs auteurs. Pour moi, je tiens que c’est un livre à en faire beaucoup d’éditions. J’y ferai, s’il plaît à Dieu, travailler ici dans un mois. »

Commentaires

Ces précieux courriers établissent que Charles Patin et Jacob Spon, avec l’approbation et l’aide de Charles Spon et d’André Falconet, les deux amis lyonnais de Guy Patin, ont énergiquement travaillé à éditer un choix de ses lettres entre 1677 et 1679. Dès lors, ce dessein était à deux doigts d’être réalisé : on avait corrigé les dernières feuilles du manuscrit, et on songeait déjà au portrait de l’auteur qui devait orner l’ouvrage et au deuxième tome qui l’enrichirait bientôt ; mais il restait à écrire la préface du livre, à trouver un imprimeur assez audacieux pour le publier, et à libérer Charles de la condamnation qui entravait sa liberté d’agir au grand jour en France.

Yves Moreau a fourni la preuve formelle que le projet a bien été mené jusqu’à son terme dans la lettre no 371 de sa thèse (page 759), écrite par Jacob au libraire genevois Jean-Louis Du Four, [30][31] datée de Lyon le 7 mars 1683 :

« Il faudrait dans votre titre Lettres choisies de feu Monsieur Guy Patin, docteur en médecine de la Faculté de Paris et professeur au Collège royal. Si le nom de Genève n’y était pas, elles passeraient en France et en Italie avec moins de difficulté, et même elles se vendront mieux, vos impressions étant fort décriées. M. de Fléchères [32] me dit encore hier qu’il n’avait rien reçu de vous ; et en ayant demandé à la douane des nouvelles, on ne m’en fut < sic pour : voulut ? > point donner. Si vous avez envoyé cet exemplaire pour lui par le chasse-marée, [33] il devrait être arrivé. [31] J’ai jusque là le N, mais il me manque le M. Si vous pouviez m’envoyer cette suite par un courrier comme le précédent, je vous prie de lui recommander. [32] S’il y a quelque ami qui s’en veuille charger d’un ou deux exemplaires pour moi, vous pourrez lui remettre. D’abord qu’il sera fait et la planche tirée, vous pouvez en faire un paquet d’une vingtaine que vous enverrez par commodité à Padoue à M. Charles Patin, professeur en médecine, de ma part. »

Le décalage de quatre ans entre l’achèvement de l’édition (1679) et la parution de l’ouvrage (1683) est sans doute lié à l’amnistie de Charles Patin, qui ne fut prononcée qu’en juin 1681, [33] puis à la difficulté de convaincre un imprimeur. En poussant un peu loin le bouchon, j’en conviens, on peut voir dans cette parution retardée une vengeance longuement ruminée de Charles contre une cour et une Faculté de médecine qui lui avaient valu une immense infortune ; mais ce fut un éphémère délice qu’il paya fort cher.

Dans son acharnement à reprendre rang sur le tableau des docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris, [34] Charles alla jusqu’au parjure, en écrivant le 1er juin 1686 au doyen Claude Puilon : [34][35]

« On m’objecte principalement d’avoir édité ou aidé à faire paraître un petit livre contenant les lettres françaises de mon père, Guy Patin. Comme elles sont entrelardées de médisances, je dois être châtié sans mériter la moindre pitié de la très salubre Faculté si j’en ai été l’instigateur, l’auteur ou le divulgateur. […]

J’atteste solennellement n’avoir été ni l’auteur ni le divulgateur des injures dont on m’accuse injustement. Cela devrait suffire si on accordait quelque foi à ma parole, mais j’affirme en outre n’avoir jamais possédé ce livre, ni l’avoir attentivement lu ; il a seulement fini par me tomber entre les mains pendant deux heures, un jour qu’on me l’avait prêté. Tous ceux qui connaissent ma vie savent bien que je n’ai hérité ni lettres, ni opuscules, ni manuscrits de mon père, ni même la moindre chose qui lui appartînt. »

Le labourage des archives sait décidément déterrer de cruelles découvertes.


1.

V. notes :

Au début des années 1660, Jacob était venu étudier à Paris sous le patronage de Guy Patin. Charles avait alors fait la connaissance du jeune homme, que son calvinisme contraignit à partir pour Montpellier afin d’y être gradué en médecine.

2.

Outre la présente annexe, la précieuse thèse d’Yves Moreau a alimenté plusieurs notes de notre édition : v. notre Actualité du site, en date du 22 mai 2017.

Lors de nos longs échanges du printemps et de l’été 2020 (v. note [38], lettre 477), Gianluca Mori a très pertinemment attiré mon attention sur les propos de Charles Patin qui prouvent sans l’ombre d’un doute sa contribution majeure à l’édition des Lettres choisies de son père. Je suis profondément reconnaissant à G. Mori de m’avoir permis d’éclaircir ce point de bibliologie.

3.

Jean Baptiste Colbert (v. note [26], lettre 549), alors au faîte de sa carrière, était le ministre d’État dont Charles Patin voulait se gagner les faveurs : il espérait son intercession pour obtenir la grâce de sa condamnation de 1668, liée aux mauvais services qu’il avait rendus à la Couronne (détaillés dans les Déboires de Carolus).

Charles avait déjà dédicacé à Colbert sa splendide édition illustrée de la Stultitiæ Laus [L’Éloge de la folie] d’Érasme (Bâle, 1676), s’y disant alors in hoc rerum mearum naufragio [dans ce naufrage de mes affaires] (v. note [142], ibid.). Les Lettres choisies de 1683 n’ont pas d’épître dédicatoire. Je peine à m’imaginer le ministre acceptant de voir son nom figurer en tête de ce livre, quelle que fût sa bienveillance à l’égard de Charles.

4.

V. infra note [9] pour la méthode que Charles Patin a suivie pour amender les Lettres choisies de son père.

5.

Dans « censure de satire », « censure » est à prendre au sens de « jugement » : « censure signifie aussi la correction ou réprimande que fait un supérieur ou le public ; il faut déférer à la censure de nos supérieurs, de ceux qui sont plus sages que nous ; tous les auteurs sont exposés à la censure du public » (Furetière).

Les jugements moqueurs ne font défaut dans presque aucune des lettres de Guy Patin réunies dans notre édition. Les plus acerbes, notamment contre les ecclésiastiques et les gouvernants du royaume, ont été éliminés de celles qui ont paru avant le xxe s.

6.

« Antoine du Plessis, vulgairement dit le moine, etc. »

V. notes [13], lettre 77, et [2], lettre 961, pour cette citation sur Antoine du Plessis de Richelieu, grand-oncle du cardinal-ministre, et [12], lettre 546, pour les convictions de Guy Patin à son sujet : il tenait la décapitation de François-Auguste de Thou en 1642, châtiant son étroite complicité dans la conspiration de Cinq-Mars (v. note [12], lettre 65), pour une revanche de Richelieu contre la famille du supplicié, car Jacques-Auguste i de Thou, père (et non grand-père) de François-Auguste, avait médit du moine soldat dans son Histoire universelle, à l’année 1560 (conjuration d’Amboise).

7.

« Je n’enlèverai ».

8.

Charles Patin n’avait pas oublié sa première formation d’avocat :

9.

Charles Patin a ici décrit précisément la méthode qu’il a suivie pour éditer les lettres de son père : il voulait en ôter tout ce qui pourrait être insultant ou compromettant, en fabriquant, si besoin, des lettres factices qui recousaient les bons morceaux de celles qu’il châtrait, sans compromettre en apparence la cohérence du tout. Le titre de Lettres choisies lui donnait cette licence.

Joseph-Henri Reveillé-Parise ne s’est pas privé d’en faire autant dans son édition de 1846, dont le titre ne disait pas que les lettres en étaient « choisies », mais avec ce préambule de Jean-Baptiste Baillière (tome 1, première page de l’Avertissement de l’éditeur) :

« Si, à l’imitation des anciens éditeurs, nous ne publions qu’un choix de ses lettres, nous n’ignorons pas cependant qu’on pourrait en imprimer davantage : mais, nous l’affirmons, l’ouvrage, quoique alors plus volumineux, ne serait pas plus complet que ne l’est notre édition. N’est-il pas reconnu que le mérite d’un ouvrage s’estime par ce qu’il contient, et non pas par le nombre des volumes ? »

Charles travaillait, semble-t-il, sur les originaux des lettres (v. infra note [13]) que lui envoyait Jacob Spon, après les avoir lui-même triées et annotées. Il est impossible de reconnaître précisément ses corrections et ses censures, mais les nombreuses biffures, substitutions de mots et consignes de transfert qu’on voit sur les lettres manuscrites de Guy Patin viennent en partie de son fils (ou du moins pointilleux Jacob Spon), et non des éditeurs ultérieurs.

Tout compte fait (et refait), nous disposons aujourd’hui des manuscrits de 36 des 193 lettres que contient l’édition de 1683 : voilà amplement de quoi travailler pour qui voudrait mener une méticuleuse recherche sur la manière dont Charles a édité les lettres de son père ; je me suis limité à un seul examen précis de la question dans la note [34] de la lettre 334, et y ai bien mesuré la difficulté de cet exercice.

Il est impossible d’identifier les lettres que Charles a personnellement ajoutées à la Correspondance aujourd’hui connue ; sans parler bien sûr de celles qu’il en a retranchées. Néanmoins, on comprend pourquoi rien n’y figure des courriers qu’il a lui-même échangés avec son père (qui n’en a écrit à ses amis que rarement et par discrètes allusions). Ils furent probablement nombreux, mais détruits, car clandestins et transmis par des mains sûres, en raison de la condamnation aux galères perpétuelles qui a pesé sur Charles : prononcée le 28 février 1668 (v. notes [136][140] des Déboires de Carolus), elle le menaçait encore de lourdes sanctions à la mort de Guy Patin (le 30 mars 1672). L’amnistie de Charles n’a été prononcée qu’en juin 1681 (v. note [145], ibid.).

10.

Les paragraphes manuscrits de Guy Patin correspondaient à une session continue de rédaction : ses alinéas ne suivaient pas ses idées, mais sa plume et son envie d’écrire, avec une constante volonté d’économiser le papier. Un saut de ligne y correspond à un changement d’heure ou, plus souvent, de jour.

Comme tous les précédents éditeurs des Lettres, j’ai été confronté au dilemme de leur mise en page : pour celles dont l’original est encore disponible, j’ai généralement respecté les paragraphes compacts de Patin, en dépit de ses incessants changements de sujet ; pour les autres, j’ai choisi la présentation qui m’a semblé la plus confortable à lire.

11.

« Génie » ne peut ici être pris que dans son sens militaire : « art de fortifier, d’attaquer, de défendre par des ouvrages les places, les postes, les camps ; et l’exercice de cet art, les fonctions, les emplois de ceux qui l’exercent, qu’on appelle ingénieurs » (Trévoux).

12.

Curieux emploi d’« être » pour « est-ce ? », ou « peut-être ? ».

Hormis quelques remplacements de mots jugés importuns, les manuscrits des lettres de Guy Patin ne montrent aucune addition conséquente, qu’elle soit attribuable à Charles ou à un éditeur ultérieur : leurs seules surcharges indiquent des suppressions ou des transferts.

Dans notre édition, j’ai partout modernisé la syntaxe de Guy Patin (et de tout le vieux français que j’ai transcrit dans les notes) ; mais j’ai fait une exception pour le Journal des Sçavans, où Sçavans rappelait probablement de mauvais souvenirs à Charles Patin (v. note [6], lettre 814).

13.

Une large déchirure oblique du coin inférieur gauche de la feuille a mutilé le début des sept dernières lignes : les crochets marquent ces lacunes ou mes propositions de restauration du texte.

En dépit de ces défauts, on comprend que Charles Patin a refusé la publication de deux lettres originales que son père a écrites à la mort de son fils aîné Robert, le 1er juin 1670. Seuls en ont subsisté deux courts témoignages que Guy Patin a confiés à André Falconet (issus des éditions imprimées et non de manuscrits). Il y a exprimé  :

Les deux lettres supprimées par Charles devaient être celles où son père a confié ses mêmes tourments à Charles Spon, car aucune de celles qui nous restent ne parle de ce drame. Dans l’avant-dernier paragraphe de celle du 4 juin 1670, Guy écrivait à Falconet :

« Je suis si fort abattu de douleur de cette mort et si fort fatigué des voyages que cette maladie m’a fait faire que je ne suis capable de rien. Je vous prie d’en témoigner ma douleur à notre bon ami M. Spon auquel je n’écris rien de ce malheur tant que je suis affligé, et dont même je ne demande point de consolation. »

Cette curieuse assertion pourrait être un pieux raccord de Charles pour justifier que les courriers de son père à Spon ne disent rien d’un événement familial aussi considérable. Il est impossible de le vérifier car toutes les lettres à André Falconet, à l’exception d’une seule, ont été accidentellement brûlées : v. l’Éditions avortées des Lettres et la destruction partielle de leurs manuscrits en 1895.

14.

V. infra note [24] pour la préface des Lettres, ici appelée « avis de l’imprimeur au lecteur ».

George Wheler (Bréda 1651-Durham 1724), ecclésiastique anglican qui avait la passion des antiquités et des voyages, était intime ami de Jacob Spon. Il a notamment publié :

A Journey into Greece by George Wheler Esq. in company of Dr Spon of Lyons. In six books. Containing i. A Voyage from Venice to Constantinople. ii. An Account of Constantinople and the Adjacent Places. iii. A Voyage through the Lesser Asia. iv. A Voyage from Zant through several Parts of Greece to Athens. v. An Account of Athens. vi. Several Journeys from Athens, into Attica, Corinth, Bœotia, etc. With variety of Sculptures.

[Un voyage en Grèce, {a} par le sieur George Wheler, en compagnie du Dr Spon de Lyon. En six livres contenant : i. un Voyage de Venise à Constantinople ; ii. une Description de Constantinople et de ses environs ; iii. un Voyage au Proche-Orient ; iv. un Voyage depuis Zante {b} passant par plusieurs contrées de la Grèce jusqu’à Athènes ; v. une Description d’Athènes ; vi. plusieurs périples depuis Athènes, en Attique, à Corinthe, en Béotie, etc. Avec diverses gravures]. {c}

Notre édition ne contient aucune correspondance de Guy Patin avec Wheler ni avec aucun autre Britannique. Sauf à croire que Wheler conservait une partie des lettres que Patin avait échangées avec ses nombreux amis hollandais, je ne comprends donc pas pourquoi Charles écrivait que cet Anglais « soufrirait aparemment » {d} de communiquer de tels courriers à Jacob Spon.


  1. 1675-1676.

  2. V. notule {a}, note [11], lettre 821.

  3. Londres, William Cademan, Robert Kettlewell et Awnsham Cruchill, 1682, in‑4o illustré de 483 pages ; ce récit est la traduction de son Voyage de Dalmatie, de Grèce et du Levant… avec Spon (Lyon, 1678, v. note [28], lettre 433).

  4. Sic dans l’orthographe encore tolérée au xviie s.

15.

Notre édition contient de copieux échanges de Guy Patin avec Christiaen Utenbogard (58 lettres) et avec Sebastian Scheffer (55 lettres). Il ne s’y trouve pas trace d’une correspondance avec Pierre Hommetz (v. note [6], lettre 698), son collègue parisien et le beau-père de son fils Charles. Comme ce médecin était mort en 1666, Charles devait parler de son beau-frère, François Hommetz, avocat en Parlement, à qui Carolus pouvait avoir confié une partie de ses archives personnelles.

Patin a correspondu avec quatre médecins de Bâle : Johann Caspar i et Hieronymus Bauhin (22 lettres), Johannes Rodolphus Burcardus (1 lettre), et Bernhard Verzascha (6 lettres). Tous étaient encore en vie en 1677, à l’exception de Hieronymus Bauhin, et aucun n’avait de parenté connue avec la famille Fesch ou Faesch, alors l’une des plus riches de Bâle. Charles Patin la connaissait et en a parlé avec admiration dans ses Relations historiques et curieuses de voyages, en Allemagne, Angleterre, Hollande, Bohême, Suisse, etc. (Lyon, Claude Muguet, 1676, in‑12, seconde édition ; v. note [9], lettre 996 pour la première, parue à Bâle en 1673), troisième relation, pages 120‑122 :

« Le célèbre professeur M. Bauhin s’est fait assez connaître par ses ouvrages, sans qu’il ait besoin ici de moi ; aussi ne lui ferai-je point d’éloge qu’en le faisant connaître pour un des plus polis hommes du monde, qui m’aime, qui aime mon père et qui est aimé de toutes les personnes d’honneur. {a} Ce pays, au reste, en est tout plein. […] Outre que la famille des Fesch est une des plus considérables de la ville, permettez-moi de vous dire qu’elle est aussi une des plus nombreuses. Ce seul exemple le prouvera : Rodolphe Fesch, bourgmestre et fils de bourgmestre, a vu, après soixante ans de mariage avec Anne Gebveiler, cent soixante-cinq enfants nés de lui, de ses enfants ou de ses petits-enfants. L’un de ceux-ci s’appelle Sébastien et est possesseur d’un des plus beaux cabinets d’Allemagne. {b} […] Rien n’y manque : il y a de la peinture, de la sculpture, des livres et des curiosités de toute sorte. Pour les médailles, […] il y en a quelques-unes si singulières qu’elles sont surprenantes, sans qu’elles aient aucun rapport aux mémoires que j’ai des autres cabinets, ou aux descriptions des auteurs, ou à celles que j’ai vues ailleurs. Le possesseur n’a pas seulement pour moi cette amitié sincère qu’ont tous les honnêtes gens qui me connaissent ; il a de plus cette douceur de conversation que les Grecs appelaient eutrapélie, {c} ce qui ne s’accommode pas avec ce qu’on dit des Suisses. »


  1. Dans le 4e paragraphe de sa lettre datée du 10 mars 1648, Guy Patin s’est plaint à Charles Spon de la rareté et de la sécheresse des réponses de Johann Caspar i à ses courriers.

  2. Pour les Français d’alors, l’Allemagne pouvait inclure la Suisse alémanique, bien qu’elle ne fît pas partie de l’Empire germanique.

    Sébastien Fesch (Faesch ou Fäsch, 1647-1712) professait le droit à Bâle et administrait le cabinet fondé en 1653 par son oncle Remigius Fesch (1595-1667). Sébastien a signé le quatrain mélancolique imprimé sous les deux portraits distincts de Charles Patin mis en tête de ses Relations historiques, publiées à Bâle en 1673 et à Lyon en 1676 :

    Non quis frontis honor, decor oris, lumina mentis
    Sint ea, Principibus quæ placuere, rogat.
    Hic lege fata ; æquis nonne est tibi dignus, iniqua
    Ferre potens ? Sed quæ, dic mihi Phœbe, manem
    .

    [Noblesse du visage, élégance du discours, lumières de l’esprit : nul ne demande si elles n’étaient pas là pour plaire aux princes. Choisis maintenant la mort : en pouvant supporter les injustices, ne t’es-tu pas rendu digne d’être traité avec justice ? Mais, dis-moi Phébus, quels pleurs je répandrais alors].

  3. Ευτραπελια : « manières gaies, agréables, ingénieuses, affables, façon d’agir plaisante, facétieuse, qui plaît. Ce mot ne se dit guère qu’entre les savants. Il est grec, et vient d’eu, bien, et trépô, je tourne. L’eutrapélie est une qualité qui fait bien tourner ce que l’on dit. L’eutrapélie est une manière de plaisanter agréablement. L’eutrapélie, pour être parfaite, demande un esprit délicat et fin. En grec, ce mot se prend aussi en mauvaise part, pour scurrilité [farce de mauvais goût], dicacité [raillerie]. Aussi est-il vrai que l’eutrapélie dégénère souvent en bouffonnerie ; mais en notre langue on ne lui donne point ce mauvais sens. Comme on pourrait faire de grands recueils des eutrapélies des Anciens, on pourrait aussi composer des volumes de leurs inepties » (Trévoux).

Cet extrait et ses deux premières notules peuvent aider à comprendre pourquoi Charles Patin aurait préféré l’intermédiaire de son influent ami bâlois pour solliciter l’ombrageux et hautain Bauhin, dont le fils Hieronymus avait épousé Anna Fesch, fille de Hans Ludwig (v. notule {d}, note [1] de la notice biographique des Bauhin).

Charles semblait curieusement ignorer l’existence de deux correspondants français importants de son père : Claude ii Belin et Hugues ii de Salins.

16.

Charles Patin consacre ici quelques lignes à ses achats de médailles, à ses lectures et à ses recherches de livres.

V. infra note [24] pour la préface des Lettres, dont la rédaction préoccupait fort Carolus.

17.

Charles Patin souhaitait se faire dédommager de ses éventuels frais de gravure avec des médailles (dont il était grand collectionneur depuis sa jeunesse), plutôt qu’avec de l’argent (« déboursé ») ou des copies gratuites des Lettres choisies à paraître.

18.

« Voici Patin, illustre descendant d’Esculape !
Grâce à lui, il n’est pas permis aux mortels de périr. »

V. notes [4], lettre latine 243, et [5], lettre latine 443, pour ce distique d’Adrien de Valois (v. note [42], lettre 336), qui n’étouffait guère la modestie de Guy Patin : c’étaient ceux qu’il souhaitait voir figurer sous son portrait.

La gravure exécutée en 1631-1632 (v. note [2], lettre 231) a servi de modèle pour le portrait qui illustre la première édition des Lettres ; mais il a été exécuté à Lyon, et non pas à Padoue (v. note [a] de la Préface de la première édition des Lettres), et n’est pas accompagné des vers de Valois.

19.

« S’enquêter » était synonyme de s’enquérir : « s’informer, demander une chose qu’on ne sait pas à une personne qu’on croit la savoir » (Furetière). La suite fait comprendre que Charles Patin cherchait le meilleur moyen de renvoyer à Jacob Spon les dernières lettres qu’il avait relues et corrigées.

20.

V. supra notule {b}, note [15], pour le médiocre portrait de Charles Patin qui orne ses Relations historiques… (Lyon, 1676).

21.

Épouvanter signifiait « étonner », au sens fort de « faire peur » (Furetière). L’emploi de ce verbe peut traduire la frustration de Charles, exilé à Padoue, avec la volonté d’être craint et respecté par ses collègues italiens ; mais sa maîtrise de la plume était loin d’égaler celle de son père.

VLa bibliothèque de Guy Patin et sa dispersion : Charles n’en avait rien récupéré, son frère aîné, Robert, l’avait acquise et sa veuve l’avait vendue à l’encan, du vivant même de son beau-père.

22.

Charles Patin employait ici le mot avarie dans le second de ses sens commerciaux d’origine : « [1] dommage arrivé à un vaisseau ou aux marchandises dont il est chargé ; et encore [2] le coût, les dépenses extraordinaires et imprévues faites pendant le voyage, soit pour le vaisseau, soit pour les marchandises, soit pour tous les deux ensemble » (Furetière).

« À cela près » veut dire hormis ce long délai d’un mois (que compensait la gratuité du transport).

23.

Virgile, Énéide, chant iii, vers 121‑124, sur Idoménée, roi de Crète :

Fama volat pulsum regnis cessisse paternis…

[Le bruit se répand {a} que, chassé, il a fui du royaume de ses pères…]


  1. La locution fama volat a changé de sens pour signifier, comme ici, « la renommée vole (de bouche en bouche) ».

V. note [6], lettre 157, pour François Henry, érudit avocat lyonnais mort en 1686, dont Guy Patin a surtout parlé, avec estime, comme éditeur des œuvres de Gassendi en 1658, mais il le vouait aux gémonies pour avoir édité celles de Paracelse (Genève, même année, v. note [8], lettre 392).

En écrivant « j’y contribuerai volontiers », Charles pouvait vouloir dire à Jacob Spon qu’il désirait : soit participer aussi à accroître la bonne renommée de son jeune ami ; soit lui rembourser de bon cœur l’exemplaire des Lettres qu’il lui demandait d’envoyer à Henry de sa part.

24.

Charles Patin voulait alors rapidement voir ce que deviendrait l’Avis au lecteur des Lettres de feu M. Guy Patin) après que Jacob Spon l’aurait « rajusté » (revu et corrigé). La Préface de la première édition des Lettres (1683) et ses auteurs conclut que ce texte a été écrit par les deux amis, et qu’il s’agit bien de celui dont Charles parlait ici.

25.

« Tant que je vis, j’espère » : fameux dicton antique attribué à Théocrite, et moins littéralement traduit en « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ».

V. note [20], lettre 183, pour Charles Borromée, évêque de Milan mort en 1584, canonisé en 1610.

26.

Les recherches assidues que nous avons menées auprès des bibliothèques d’Europe qui conserveraient des lettres oubliées de Guy Patin n’ont pas été infructueuses, mais sans mettre au jour une seule de ces copies latines recueillies par Charles Patin. Je me console en espérant qu’il s’agissait principalement de celles dont son père avait lui-même gardé les brouillons, conservés dans le ms BIU Santé no 2007 (recueil Peÿrilhe), où notre édition a puisé la plus grande partie de sa correspondance latine.

27.

V. note [1] du Point d’honneur médical de Hugues ii de Salins pour l’abbé Claude Nicaise, chanoine de la Sainte-Chapelle de Dijon.

28.

V. note [6], lettre 119, pour le cardinal Cesare Baronio, auteur des célèbres Annales ecclesiastici [Annales ecclésiastiques] (Rome, 1596-1607). Ses Epistolæ et opuscula pleraque nunc primum ex archetypis in lucem eruta… [Lettres et nombreux opuscules, tirés des originaux et publiés pour la première fois…] n’ont paru qu’en 1759 (Rome, Komarek, 4 tomes in‑4o).

29.

L’imprimeur genevois Léonard Chouët (1645-1691) était le fils et successeur de Samuel (v. note [20], lettre 301).

30.

L’imprimeur genevois Jean-Louis Du Four fit faillite en 1684 et fut emprisonné l’année suivante, avec Gabriel de Tournes, fils de Samuel, pour trafic de livres interdits.

Le nom de J.-L. Du Four est imprimé sur la couverture de la première édition des Lettres choisies…, mais avec Francfort à la place de Genève pour lieu de son impression.

31.

Mathieu de Sève, baron de Fléchères (1633-1698), magistrat lyonnais, fut premier président au présidial et prévôt de marchands de Lyon.

Dans son article intitulé Le marché du poisson à Lyon au xviie siècle, contrôle et enjeux d’une filière et d’un espace marchand (Rives méditerranéennes, 2012, no 43, pages 13‑25), Anne Montenach a précisément décrit les statuts, l’économie et le fonctionnement du chasse-marée (v. note [52], lettre 292) qui véhiculait, entre Lyon et Genève, le poisson pêché en Méditerranée, dans le Rhône et la Saône, et dans les grands lacs alpins. Ce colportage servait aussi de messagerie pour les paquets et les lettres.

32.

Les lettres choisies… de 1683, in‑12 de 522 pages, comptent 22 cahiers (feuilles) de 24 pages, signés de A à Y (en omettant les lettres J, U et W). Du Four les expédiait non reliées et fragmentées. Jacob Spon avait reçu l’Avis au lecteur et les feuilles signées A à N (pages 1‑312), mais il y manquait la feuille M (pages 265‑288).

33.

V. la note [145] des Déboires de Carolus pour la « Lettre de rémission en faveur de Charles Patin, médecin » imprimée dans la Correspondance administrative sous le règne de Louis xiv (Paris, 1851).

La première édition des Lettres choisies en contient 193. La répartition de leurs destinataires, principalement André Falconet et Charles Spon (188 lettres à eux deux), est détaillée dans la note [152], ibid.

34.

V. note [159] des Déboires de Carolus pour ces navrants passages de sa lettre, que j’ai traduite du latin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Annexe. Jacob Spon et Charles Patin, premiers éditeurs des Lettres choisies de feu M. Guy Patin

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8224

(Consulté le 19/04/2024)

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