L. française reçue 7.  >
De François-Philippe Boullanger,
le 29 août 1654

À Amiens, ce 29e août 1654.

Monsieur, [a][1][2]

Je n’ose pas, sans beaucoup de confusion, < vous dire > que je me sens obligé, tout au commencement de ma lettre, de vous demander pardon de mes importunités, puisque je vois qu’elle croît dans la suite et qu’elle n’est remplie que de prières très humbles qui ne seraient jamais reçues, si je ne connaissais l’inclination que vous avez à l’honneur de la profession, qui paraît tellement dans tout le cours de votre vie que vous n’avez laissé échapper aucune occasion sans la ménager à l’avantage de la médecine ; et comme j’en ai eu des marques très sensibles dans notre affaire contre le Sr de Bourlène, je crois que suivant votre naturel et vos maximes vous agréerez que vous supplie très humblement, Monsieur, d’assister le Sr Le Cointe, l’un des plus habiles chirurgiens du pays et le doyen de sa Compagnie, [3] dans un affaire qu’ils ont au Grand Conseil contre le lieutenant du premier barbier du roi, dit Boudet, [4][5] où nous sommes intervenants, de vos bons avis et crédit. [1] Je suis assuré que je ne serai pas refusé puisque j’en supplie le plus affectionné au bien public et à la gloire de la médecine, dont la chirurgie fait partie, qu’il y ait au monde ; et qu’en me comblant de bienfaits, vous m’accorderez en outre la qualité de,

Monsieur,

votre très humble très obéissant serviteur,

Boullanger.

Je vous envoie trois thèses de défunt M. Roussel, docteur en médecine en l’Université de Paris ; [2] de plus, les deux petits livres de controverse pour quelques airements durant la peste. [3][6]

Avec votre permission, Messieurs vos enfants trouveront ici mes très humbles respects et devoirs.


a.

Lettre autographe de François-Philippe Boullanger « À Monsieur/ Monsieur Patin, conseiller médecin du roi/ docteur et professeur du roi en médecine/ demeurant en la cour du Chevalier du Guet/ à Paris » : ms BIU Santé no 2007 fo 378 ro‑378 bis vo. Ce commentaire manuscrit a été ajouté en haut du premier feuillet, sous la date :

« Cette lettre et la précédente, datée du 27 août, sont écrites par un Boullanger, père de M. Boullanger, avocat au Conseil, {a} mon confrère que j’honore et estime infiniment, et je les garde soigneusement comme un monument de l’estime que j’ai pour leur auteur et pour son fils.
Henry. » {b}


  1. Ce fils de François-Philippe Boullanger, médecin auteur de deux lettres à Guy Patin, se prénommait Charles-Joseph (1664-1741) : reçu au serment d’avocat en Parlement en 1684, puis admis à une charge d’avocat aux conseils en 1688, il fut pourvu en 1698 du double office de conseiller du roi et d’expéditionnaire en cour de Rome (Histoire littéraire de la ville d’Amiens, à laquelle on a joint, dans l’ordre chronologique, les hommes célèbres dans les arts et les personnes qui se sont distinguées par la pratique constante des plus hautes vertus. Par l’abbé Daire, ancien célestin (v. note [46] du Naudæana 3), de l’Académie de Rouen ; Paris, Didot, 1782, page 268‑270).

  2. François Henry (1615-1686 ; v. note [6], lettre 157), qui avait connu Guy Patin et se serait chargé de classer les maigres reliques de sa bibliothèque.

1.

Intervenant : « celui qui se rend partie en un procès pour y conserver ses intérêts » (Furetière).

Amiens était dans la juridiction du Parlement de Paris. On ne trouve aucun écho de cette querelle de chirurgiens amiénois dans la Correspondance de Guy Patin. Le sieur de Bourlène n’a pas laissé de trace dans les répertoires.

Jean Boudet, sieur de La Bellière, était premier barbier et valet de la chambre, et chirurgien ordinaire du roi et de la reine régente, dès 1618. Le chirurgien dénommé le Cointe devait être apparenté au médecin mentionné dans la note [2] infra.

2.

Je n’ai trouvé aucun docteur régent nommé Roussel dans le catalogue de Baron ; à moins qu’il ne s’agît de Claude Rousselet, docteur et doyen de la Faculté de médecine de Paris au xvie s. (v. note [6] de la lettre de Samuel Sorbière datée de janvier 1651).

3.

Trente-cinq ans plus tôt, le Collège des médecins d’Amiens avait approuvé un ouvrage intitulé : La Chasse-Peste, ou les remèdes singuliers et familiers, donc chacun se pourra servir pour se préserver en temps pestiféré, et se guérir soi-même s’il est atteint de la peste par M. Louis du Gardin, docteur en médecine et professeur ordinaire (Arras, Guillaume de la Rivière, 1619, in‑4o de 32 pages) avec dédicace au peuple de Douai. Pour 5e moyen préservatif (page 6), l’auteur y prescrivait des airements (ou airiements, c’est-à-dire des fumigations) :

« Ayez soin de mettre au milieu des places, pour les aérer et parfumer, quelque réchauffoir, ou quelque autre foyer plein de braises ou de charbons allumé, dans lequel vous jetterez du sel, de l’encens, de la résine, du colophon, {a} du gummi anime, {b} des grains de genièvre, et choses semblables, ou l’un ou l’autre, ou allumés des hasches, poyaces, ou des falots et des tonneaux de terke. » {c}


  1. Colophon ou colophane : « matière résineuse, sèche, transparente, jaune ou brune, qui est le résidu de la distillation de la térébenthine » (Littré).

  2. Gomme anime : « résine qu’on distingue en occidentale et en orientale. La première se tire par l’incision d’un arbre de la Nouvelle Espagne ; elle est transparente et d’une couleur qui approche de celle de l’encens ; on l’apporte en grains, comme l’encens, mais qui sont plus gros ; ces grains étant rompus paraissent d’un jaune clair, de même que la résine ; son odeur est très douce et très agréable ; si on la jette dans le feu, elle se consume facilement. La gomme anime orientale est de trois sortes : une blanche ; une noirâtre, qui ressemble en quelque manière à la mirrhe ; une pâle résineuse et sèche. Toutes ces espèces d’anime servent pour les parfums, à cause de leur odeur agréable. On les emploie aussi extérieurement dans les affections froides de la tête et des nerfs, dans les paralysies et dans les catarrhes » (Trévoux).

  3. Diverses sortes de flambeaux (mais sans comprendre le sens précis de tous les mots employés).

En 1634, le Collège fut entraîné dans une vive querelle au sujet des puantes vapeurs répandues par l’« aérieur » Henri Le Cointe. On a trouvé deux opuscules qui parurent alors :

Ce post-sciptum de Boullanger n’est incongru qu’en apparence : il prolongeait le propos principal de sa précédente lettre, où il parlait à Guy Patin des déboires du Collège des médecins d’Amiens avec le fils de du Moulin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De François-Philippe Boullanger, le 29 août 1654

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(Consulté le 19/04/2024)

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