À Charles Spon, le 3 septembre 1649

Note [30]

Dominicus Baudius (Dominique Baudier, Lille 1564-1613) était issu d’une famille protestante. Les rigueurs du duc d’Albe (v. note [24], lettre 601) l’avaient forcé de se réfugier à Aix-la-Chapelle. Il acheva ses études à Genève où il reçut les leçons de Théodore de Bèze, prit le grade de docteur en droit en 1585, fit partie, la même année de l’ambassade envoyée à la reine Élisabeth ire d’Angleterre par les états généraux ; et après avoir été quelque temps avocat à La Haye, il partit pour Paris où il resta dix ans. Il s’y lia avec les hommes les plus éminents du temps, Sully-Mornay, de Thou, du Harlay dont l’amitié lui permit de devenir avocat au Parlement de Paris. Établi à Leyde vers 1602, il y fut nommé successivement professeur d’éloquence et d’histoire, et historiographe des états généraux conjointement avec Meursius (v. note [9], lettre 443). Doué d’une brillante imagination, possédant une érudition prodigieuse, à la fois éloquent et passionné, Baudius gâta ses belles qualités par les désordres de sa vie privée, par son amour désordonné du vin et des femmes (v. note [24] et [25] du Grotiana 2), et mourut dans la misère (G.D.U. xixe s.).

Baudius a laissé des poèmes latins (v. notes [36], [37] et [38] du Patiniana I‑3 pour quatre savoureux échantillons), et quelques traités de droit et d’histoire flamande. Son renom littéraire a surtout tenu à ses épîtres. Publiées pour la première fois en 1615, elles ont été réimprimées et complétées jusqu’en 1662. La dernière édition alors disponible était Epistolarum centuriæ tres, lacunis aliquot suppletis, accedunt eiusdem Orationes [Trois centuries d’épîtres, où on a comblé certaines lacunes et ajouté ses Discours] (Amsterdam, Jan Jansson, 1647, in‑12).

Guy Patin venait de citer {a} l’épître lvi de la iie centurie (pages 241‑243 de l’édition de 1650), {b} écrite à Adriaan van Blyenborgh, poète latin de Dordrecht, non datée (mais sans doute de 1606), où Baudius s’échauffe contre l’Amphitheatrum honoris in quo Calvinistarum in Societatum Iesu criminationes iugulatæ [Amphithéâtre de l’honneur où sont abattues les calomnies des calvinistes contre la Compagnie de Jésus] (1606) de Clarus Bonarscius : {c}

Nihil unquam vidi illaudatius, execrabilius, monstrosius. Deest scilicet hostis, et seges ac materies metendæ gloriæ non suppetit, nisi ex labe et ruina celebratissimi in literis viri, et honorifice a bonis nominandi, tametsi famam suam misere decoxerit duplici illa publicatione Virginum, quibus sæpe incolumi authore lumbifragium exoptavi.

[Je n’ai jamais rien vu de plus indigne de louange, de plus odieux, de plus monstrueux. Il {c} manque sans doute d’adversaire, mais ni le champ ni la matière ne lui font défaut pour tirer gloire de l’écroulement et de la ruine de l’homme qu’on a le plus célébré dans la république des lettres, {d} et que les honnêtes gens ne doivent nommer qu’en l’honorant ; même s’il a misérablement dissipé sa bonne réputation par ces deux livres des Vierges, dont j’ai souvent souhaité que l’auteur résistât sans dommage à ceux qui lui veulent briser les reins]. {e}


  1. Vsupra note [28].

  2. V. note [8], lettre 334.

  3. Clarus Bonarscius est un pseudonyme du jésuite flamand Charles Scribani, v. note [26], lettre 128.

  4. Baudius avait une profonde affection pour « son bon maître » Juste Lipse (v. note [8], lettre 36) et l’a vigoureusement défendu pendant les dernières années de sa vie contre les attaques que lui valaient sa conversion catholique et sa dévotion pour la Vierge Marie (v. notes [26] du Grotiana 1).

  5. Patin a ajouté crucifragium, « et les jambes ».

    Selon Robert Estienne (Dictionnarium, Paris, 1531, volume 1, page 54 ro), c’est en jouant sur le mot naufragium [naufrage] que Plaute a forgé lumbifragium [rupture des reins] (par des coups de bâton), dans son Amphitryon (vers 454). Inspiré par le poète anglais John Leech, Guy Patin usé de l’adjectif lumbifragam [briseuse de reins] pour qualifier Vénus dans sa thèse sur la Sobriété (1647) : v. note [56‑3].



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 3 septembre 1649, note 30.

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(Consulté le 24/04/2024)

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