À Charles Spon, le 12 août 1650

Note [11]

Journal de la Fronde (volume i, fos 268 vo‑270 ro, août 1650) :

« Le 8 au matin, {a} M. le duc d’Orléans s’étant rendu au Parlement avec MM. le duc de Beaufort, le coadjuteur et le maréchal de l’Hospital, on lut les propositions que M. le duc d’Orléans avait faites dans la dernière assemblée {b} pour l’accommodement de Bordeaux […]. Ensuite, l’on commença la délibération, dans laquelle il y eut 7 ou 8 avis différents qu’on débita avec beaucoup de liberté et de chaleur contre M. le cardinal, lesquels néanmoins aboutissaient à deux principaux, dont le premier s’arrêtait aux propositions de S.A.R., {c} et ainsi les Bordelais à recevoir le roi, sans parler en aucune façon de MM. les princes. Le deuxième n’approuvait en aucune façon ce que les Bordelais ont fait, s’attachant à supplier la reine de rendre la liberté aux princes, bien que tous ne la demandassent pas de la même façon, les uns ayant conclu qu’on leur donnât la liberté, les autres seulement dans quelque temps, d’autres qu’on les mît entre les mains de leurs juges naturels pour leur être fait le procès conformément à la déclaration du roi. MM. Coquelay, Payen, Machaut et Courtin, maître des requêtes, Laisné, les présidents Viole, de Thou, Molé, Blancmenil et quelques autres approuvaient particulièrement ce dernier avis, et quelques-uns de ceux-ci parlèrent fort au désavantage de Son Éminence. M. Payen, qui l’ouvrit, ayant fait récit des misères de la France, de la prise de La Capelle, de la puissante armée des Espagnols qui est une fois plus forte que la nôtre, de la guerre du Berry et du dessein que les Anglais ont de nous faire la guerre, fit passer M. le cardinal pour la cause de ces malheurs, ayant non seulement fait éclater sa mauvaise conduite dans le voyage de Bordeaux, qu’il ne devait point entreprendre sans être assuré que les intrigues qu’il a dans cette ville-là pour le ruiner lui réussiraient, puisqu’autrement il engageait inconsidérément l’honneur et le crédit du roi, mais encore la haine qu’il a toujours eue pour cette province dans le dessein qu’il avait de la perdre. M. Coquelay loua fort Messieurs les princes et fit connaître par un mot de Tibère tiré de Sénèque que tout l’État était intéressé dans leur bonne ou mauvaise fortune, bona aut mala principum ad rempublicam pertinent. {d} M. Laisné s’étendit fort sur la fidélité inviolable des cours souveraines, qui ne se départaient jamais des intérêts du roi, ce qui ne se rencontrera pas dans tous les gouverneurs des provinces, qui n’ont pas toujours de saintes intentions ; ainsi, qu’on devait croire que le parlement de Bordeaux avait eu raison d’agir de la sorte et que le roi ne pouvait être plus en sûreté que parmi eux ; et partant, qu’il n’était pas besoin de proposition d’accommodement, mais qu’on devait laisser cela à leur prudence puisqu’ils ne pouvaient jamais rien faire qui ne soit utile au service du roi. M. Viole remarqua qu’on devait supplier la reine de ne permettre point que M. le cardinal fût dans la province quand on traiterait, attendu qu’il en était ennemi juré ; et que cela n’était point extraordinaire puisque l’on l’avait ainsi pratiqué en la conférence de Rueil, dans laquelle cette Compagnie ne put jamais souffrir qu’il y assistât. Ensuite, ayant comparé l’état où était la France et la réputation de ses armes, quand il en prit le gouvernement, avec les misères qui l’accablent à présent et les pertes survenues, il fut d’avis de réitérer les supplications à la reine et de vouloir éloigner du ministère M. le cardinal, n’imputant pas néanmoins à sa malice tous ces désordres, mais seulement à son ignorance ou à son malheur, sans se soucier lequel des deux en est la cause, pourvu qu’on reconnaisse qu’il n’est pas juste que la France périsse par l’insuffisance ou le malheur du ministre, ce qu’il {e} confirma par l’exemple du cardinal Ximénes, lequel, quoique très fidèle à son prince et très intelligent dans ses affaires, ne laissa pas pourtant d’être éloigné du ministère par Ferdinand, roi de Castille, lorsque les peuples l’en conjurèrent. S.A.R. répéta souvent, pendant tous ces discours, que ce n’était pas là le sujet de la délibération et qu’il avait déjà averti la Compagnie que si l’on y disait quelque chose qu’il ne peut pas entendre, il serait obligé de se retirer ; sur quoi plusieurs repartirent, et notamment le président Le Coigneux, que les suffrages étaient libres et qu’il devait être permis de dire ce qu’on pensait. Le président Molé ayant dit que, quoique S.A.R. eût intention de faire exécuter les paroles qu’elle donnait, néanmoins on pourrait les éluder ; à quoi elle fit une réponse qui fut fort remarquée, ayant dit que si on les éludait, elle serait la première à venir prendre sa séance au Parlement pour s’y déclarer contre ceux qui s’y opposeraient à ses volontés. Après que le président de Blancmenil eut parlé, l’heure sonna et la délibération fut remise au lendemain. Sadite Altesse étant sur le pas de la porte de la Grand’Chambre pour sortir, la canaille commença à crier Vive le roi, Monsieur le duc d’Orléans, et point de Mazarin ! et la foule y fut si grande que ses gardes, ayant peine à fendre la presse pour lui faire faire place, furent obligés de pointer leurs hallebardes et abattre le chien de leurs carabines, menaçant de les décharger ; ce qui obligea quelques séditieux à crier aux armes et S.A.R. à rentrer dans la Grand’Chambre, d’où MM. de Beaufort et le coadjuteur étant sortis avec le maréchal de l’Hospital, quelques-uns reprochèrent au premier qu’il était devenu Mazarin pour le don de 80 mille livres de rente qu’on lui avait fait. Ce maréchal ayant voulu traiter de coquins ceux qui faisaient ce bruit, on le traita de cornard. {f} M. le duc d’Orléans étant sorti ensuite sans faire semblant d’entendre ces cris, on l’avertit que dès 5 heures du matin quelques personnes de condition avaient ramassé 12 ou 15 personnes de néant dans les Augustins et leur avaient donné 4 livres à chacun pour faire ces cris, et que parmi cette canaille l’on avait vu quantité de poignards et de marteaux. Le soir, S.A.R. envoya quérir le prévôt des marchands et les échevins, et leur dit qu’elle avait fait des propositions fort raisonnables au Parlement, savoir d’accommoder l’affaire de Bordeaux, d’en faire changer le gouverneur et donner amnistie générale, faire exécuter la déclaration d’octobre et faire revenir le roi dans Paris ; et que néanmoins, il y avait quantité de séditieux envoyés par le duc de Bouillon et autres de sa faction avec des insolences étranges, et qu’elle avait mandé ces Messieurs pour savoir leurs sentiments là-dessus ; à quoi ils répondirent qu’il n’y avait aucun bourgeois qui eût part dans cette action et qu’ils donneraient ordre dans tous les quartiers de la ville à ce qu’il n’y arrivât aucune rumeur ; mais que pour l’enclos du Palais, ils n’en pouvaient pas répondre parce qu’ils n’en étaient pas les maîtres. »


  1. Lundi.

  2. Le 6.

  3. Son Altesse Royale.

  4. « bonnes comme mauvaises actions des princes importent à l’État » (sans source identifiée).

  5. Viole.

  6. Cocu.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 12 août 1650, note 11.

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(Consulté le 29/03/2024)

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