À Charles Spon, le 31 décembre 1652

Note [33]

Retz (Mémoires, pages 1099-1101) :

« Je m’occupai fort à l’étude dans tout le cours de ma prison de Vincennes qui dura 15 mois, et au point que les jours ne me suffisaient pas et que j’y employais même les nuits. J’y fis une étude particulière de la langue latine qui me fit connaître que l’on ne s’y peut jamais trop appliquer parce que c’est une étude qui comprend toutes les autres. Je travaillai sur la grecque que j’avais fort aimée autrefois et à laquelle je retrouvai encore un nouveau goût. […]

Mon exempt {a} n’oubliait rien pour troubler la tranquillité de mes études et pour tenter de me donner du chagrin. […]

Je m’étais mis, pour vous dire le vrai, assez au-dessus de toutes ces petites chicaneries qui ne me touchaient point dans le fond et pour lesquelles je n’avais que du mépris ; mais je vous confesse que je n’avais pas la même supériorité d’âme pour la substance (si l’on peut se servir de ce terme) de la prison ; et la vue de me trouver tous les matins en me réveillant entre les mains de mes ennemis me faisait assez sentir que je n’étais rien moins que stoïque. Âme qui vive ne s’aperçut de mon chagrin ; mais il fut extrême par cette unique raison ou déraison, car c’est un effet de l’orgueil humain ; et je me souviens que je me disais vingt fois le jour à moi-même que la prison d’État était le plus sensible de tous les malheurs sans exception. Je ne connaissais pas encore assez celui des dettes. Vous avez déjà vu que je divertissais mon ennui par mon étude. J’y joignais quelquefois du relâchement. J’avais des lapins sur le haut du donjon, j’avais des tourterelles dans une des tourelles, j’avais des pigeons dans l’autre. Les continuelles instances de l’Église de Paris faisaient que l’on m’accordait de temps en temps ces petits divertissements ; mais l’on les troublait toujours par mille et mille chicanes. […]

Je ne m’occupais pas si fort à ces diversions que je ne songeasse avec une extrême application à me sauver ; et le commerce que j’eus toujours au-dehors et sans discontinuation me donnait lieu d’y pouvoir penser, et avec espérance et avec fruit. »


  1. Garde.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 31 décembre 1652, note 33.

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(Consulté le 25/04/2024)

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