À Charles Spon, le 21 avril 1655

Note [35]

V. note [2], lettre 380, pour l’« Apothéose du maquereau de Guillemeau, etc. ».

L’autre livre, Genius Παντουλιδαμασ ad diam Scholam apud Parisios Empirico-Methodicam in cauto nuper igne raptam in Lyra [Le Génie Pantoulidamas (maître absolu de tout) en faveur de la dive École empirico-méthodique, qui était sur ses gardes, mais qu’un poème a récemment enflammée à Paris] (Paris, sans nom 1654, in‑4o de 133 pages, soit à peu près 17 feuilles) porte en sous-titre deux vers empruntés (sans le dire) à Hésiode (Les Travaux et les Jours, chant i, vers 263-264) : « L’injure que l’on fait aux autres revient à son auteur, et tout jugement inique accablera son juge » (traduction de L. Coupé, 1834). La prose latine de cette virulente attaque des Montpelliérains s’assortit de nombreux vers français et grecs.

Pages 36‑42, est imprimée une partition à quatre voix (dessus, haute-contre, taille et basse), qui chante par anticipation la mort de Charles Guillemeau :

« Faculté dresse des autels
À Charles Guillemeau ton frère,
Car ses vertus, du cimetière,
L’ont fait passer aux immortels ;
Il n’est plus, mais son ombre trotte
Encore ici bas. Sur son corps
Verse du vin, verse du vin. Lors chez les morts,
On chantera iô, iô, iô, pour cet héros qui rote.

Qui trouble ici notre repos ?
Qui que tu sois, ombre, silence.
Je suis Oc, quoi je vous offense,
Des boccans, {a} Oc, le grand héros.
Va sale infâme tu radotes,
Ingrat médisant hors ces bors, {b}
Car chez les morts
On n’entend point d’héros qui rote

Va-t’en de ce pas chez Pluton {c}
Expier ton malheureux crime.
Là tu serviras de victime
Aux violences d’Alecton. {d}
Là seul tu seras la marotte
À Minos et à ses recors, {e}
Car chez les morts
On ne veut point d’héros qui rote.

École, ce n’est pas assez
D’enfler nos rives Stygiales {f}
Aux yeux des plaines infernales,
De corps l’un sur l’autre entassés,
Si tu ne veux qu’on les picote, {g}
Dis-leur qu’ils cèlent leurs rapports,
Car chez les morts
On ne reçoit aucun qui rote. »


  1. Boccan ou boucan : bordel.

  2. Bors : confins, frontières.

  3. Pluton : dieu des enfers.

  4. Alecto (l’Implacable) : des trois Furies (déesses infernales), celle qui ne cesse pas de persécuter et de nuire ; les deux autres étant Mégère (la Haine) et Tisiphone (la Vengeance, v. note [8], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 1er août 1669).

  5. Recors : assistants.

  6. Stygiales : du Styx, fleuve des enfers.

  7. Picoter : quereller quelqu’un doucement.

Pages 47‑48, c’est un assaut contre le Rabat-Joie de l’Antimoine triomphant de Jacques Perreau :

« Perreau ton Rabat-joie enfanté d’une houe,
Chargé de vieils haillons, de centons, de lambeaux,
Sera si tu n’y prends bien garde dans les eaux
De la Seine embrouillé en dépit de ta moue.

Il n’en peut déjà plus, et pendant qu’on s’en joue
On le voit chez Thétis {a} se faire des tombeaux.
Si tu ne sais briser le cours de ses ruisseaux,
Et ton École et toi périrez dans la boue.

Ce naufrage est présent. Crois-moi, ne pense pas
Que cet enfant mal fait soit maître du trépas,
Il est par trop faiblet pour vaincre les années ;

Et quoique secouru par ses braves Blondel,
Guillemeau, Germain, Richard, Merlet, Patin, Mentel,
Si faut-il qu’il s’abaisse aux lois des destinées. »


  1. Mère d’Achille (v. note [48] du Borboniana 9 manuscrit).

Page 75, les attaques nominales s’aiguisent sous le couvert d’anagrammes transparentes :

« Remlet l’enrechigné en écrits ridicule,
Tapin le bruscambille {a} et le futé bouffon,
Mguileau l’effronté et le stupide ânon
Boldnel l’enchevêtré, quand il est sur sa mule,

Ces quatre charlatans sans art et sans scrupule,
Et l’ignare Tamnel avec son beau jargon
Sont tes originaux, École, ce dit-on,
Pour porter ton honneur à Vaugirard sans bulle. {b}

Ne crains plus désormais la perte de ton art,
Dont l’ignorance entière a formé ce brocard, {c}
L’École de Paris est riche en âneries.

Puisque ce quincumvir {d} porte une qualité
Qui peut remettre en vogue avec facilité
Ton envie, ton faste, {e} ton jeu, tes rêveries. »


  1. Bruscambille : nom d’un comédien bouffon.

  2. On disait d’un homme qui se méprenait grandement qu’il prenait Vaugirard pour Rome.

  3. Brocard : raillerie mordante.

  4. Groupe de cinq hommes : Jean Merlet, Guy Patin, Charles Guillemeau, François Blondel et Jacques Mentel, suivant leur ordre d’apparition dans le texte.

  5. Faste : orgueil apparent, affectation de vanité, d’un éclat qui paraît aux yeux des hommes.

Jean Merlet est directement attaqué pages 113‑114 (où, comme dans les suivants, chaque point remplace une lettre du nom de la personne attaquée) :

« Paix M..L.. à longues oreilles,
Qui fais en tuant des merveilles,
Cache ta plume au calemal, {a}
Tiens ton esprit en ta caboche,
Car pour nous endosser taloche
Il est trop lâche et trop brutal.

Ne parlons plus de cet infâme,
Ô l’ingrate, ô la perfide âme,
Qui vient ici nous tourmenter,
Et laissons là ce ver de terre,
C’est trop peu pour livrer la guerre
À ces descendants de Luther.

Tout beau M..L.. ! Là, tête d’âne,
N’échauffe plus si fort ton crâne,
De peur d’entrer dans des combats,
Fais mieux ton rôle en ta boutique,
Et ne fais plus du satirique,
Ton ignare style est trop bas. »


  1. Calemal ou calemar : étui pour ranger les plumes.

Guy Patin était qualifié de Parisiensis ganeo loquacissimus conviciorum pater disertissimus, quiescente Sponio [le plus bavard coureur parisien de tavernes, père fort habile d’invectives qu’il confie au paisible Spon] (page 30) ou de incultarum rerum inordinato ordine munitus et obrutus [rempart et ruine de choses en friche sens dessus dessous] (page 76). Il recevait aussi quelques flèches bien décochées (page 114) dans le long poème français qu’il attribuait à Jean Chartier :

« Triaire. vieil cloaque d’ordures,
Tabarin {a} puant sac d’injures,
Pensant t’accroître du crédit
En médisant des hommes sages,
En te mettant au rang des mages,
Tu t’es acquis un mauvais bruit.

Triaire. regratier de vieux livres, {b}
Hableur parfois quand tu délivres
Quelqu’un d’un mal qu’il n’avait pas,
Prône, afin que mieux on te gratte,
Que tu sais plus que l’Hippocrate
À ceux qui ne te voient pas. {c}

Fais-toi traîner dans ta charrette
Dans Paris paysan d’une traite, {d}
À la façon du fol Thespis, {e}
Et là par tes contes frivoles
Tu feras voir tes babioles
Aux fils puisaînés d’Iapis. » {f}


  1. Tabarin : farceur de théâtre ambulant.

  2. Regratier : revendeur.

  3. Possible allusion perfide au goût qu’avait Patin d’entretenir une riche correspondance avec des gens qu’il ne rencontrait jamais (ou guère).

  4. D’une traite : du fin fond de la campagne (du Beauvaisis).

  5. Thespis d’Icare, inventeur de la tragédie, allait de ville en ville jouer ses pièces sur un chariot.

  6. Iapis, fils d’Iasus, avait reçu d’Apollon (v. note [8], lettre 997) l’art de guérir par les plantes.

Preuve que la querelle de Montpellier dépassait celle de l’antimoine, François Guénault n’échappait pas non plus aux saillies du versificateur quand il défendait Antoine Madelain (pages 99 et 107‑108) :

« Complotez dans vos assemblées,
Contre lui sans cesse endiablées
De le mettre en mauvaise odeur,
L’impudence de votre audace
Ne peut assez être efficace
Pour fouler au pied sa candeur.

Que du G.....T, par son envie
Qui ne peut point être assouvie,
Partout le grippe à belles dents,
Ses traits et son impertinence
N’ont aucun effet dans l’absence
De l’objet de ces accidents. […]

Dis à G.....T, ce maître fourbe,
Ce bigle qui rit quand il fourbe,
Que Montpellier est sans fripons,
Que lorsque Mad’lain chez un prince
L’entreprit, à faute de pince,
Il prit le chemin des poltrons.

Dis-lui que sa traître Méthode
Creuse des cercueils à la mode
À ceux qui l’appellent chez eux ;
Que ses trop niaises consultes,
Par intelligences occultes,
Ne sauvent que par les cheveux.

Dis à ce vieil rongé d’usure
Dont les épaules en masures {a}
Font un demi-cercle pansu,
Qu’il est mal séant que son envie
Gagne aux dépens d’autrui sa vie
Dans l’air d’un esprit mal conçu. »


  1. En ruine.

Page 133, le Genius Pantoulidamas s’achève sur « L’ombre du lion Le Tourneur, {a} jadis physicien, apparu le 21e décembre … {b} à son École, sur la perte mortelle de ses ongles arrachés par le chien Tourne-broche, et sans queue, de Charles Guillemeau son collègue, et dont il est décédé » qui laisse fort à penser que Siméon Courtaud en est l’inspirateur, sinon l’auteur :

« J’étais, je ne suis plus, et la dent meurtrière
De notre petit chien me tient sur la poussière,
Sans être secouru par votre lâcheté.
Tremblez, ce coup fatal vous a-t-il pas dompté ?

Or pour vous souvenir tous les jours à toute heure
De ce mortel poison qui fait votre blessure,
Gravez d’un fort burin sans craindre aucun affront
Ces quatre petits vers au haut de votre front :

Faculté pleine de désordre,
Qui aboyez sans pouvoir mordre,
Ne faites plus les entendus,
Le petit chien vous a mordus.

Adieu pour jamais. »


  1. Léon Le Tourneurs, docteur régent de la Faculté de médecine en 1637, inhumé le 16 novembre 1654, v. note [9], lettre 380.

  2. Année écrite en numérotation probablement alchimique que je n’ai pas su comprendre.

Ce curieux ouvrage contient aussi la précieuse version latine de la vie de Jean Héroard (v. note [30], lettre 117), écrite par les Montpelliérains (pages 48‑60). Elle complète et contredit celle qui se lit dans le Cani miuro de Charles Guillemeau (Paris, 1654, v. note [14], lettre 258). Toutes deux sont transcrites et traduites dans Les deux vies de Jean Héroard, premier médecin de Louis xiii.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 21 avril 1655, note 35.

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(Consulté le 19/04/2024)

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