À Charles Spon, le 24 décembre 1658

Note [8]

Guy Patin ne parlait ici que d’une assez banale dissection à la Faculté de médecine quand venait d’y exploser une querelle de la plus haute importance : le premier d’une série continue d’accidents et de disputes qui marqua le décanat du fulminant François Blondel. Cet événement, dont Patin ne fut apparemment pas acteur, ni même témoin direct, vaut d’être rapporté car il aide à comprendre la longue période de dissensions qui allait embraser la Faculté jusqu’à la victoire finale du clan antimonial.

Le jeudi 12 décembre 1658, Antoine Jean Morand, qui avait disputé la veille son acte pastillaire, présidait, selon la coutume, sa première thèse quodlibétaire : An homo extra uterum gigni potest ? [L’homme peut-il être engendré hors de l’utérus ?] (conclusion négative, bachelier Antoine Ruffin). Présents au début de l’acte, deux des neuf examinateurs convoqués (domini doctores disputaturi), Philippe Hardouin de Saint-Jacques et Armand-Jean de Mauvillain, ayant à s’occuper ailleurs d’affaires « dont la remise de délai ne se pouvait faire », prièrent deux de leurs collègues, respectivement Mathurin et Alexandre-Michel Denyau (v. note [8], lettre 983), père et fils, de disputer pour eux en leur lieu et place et à l’heure qui leur était prescrite.

La suite se lit dans la requête que les trois régents condamnés déposèrent devant le Parlement dès le lendemain, 13 décembre (Comment. F.M.P., tome xiv, fos 406‑408) :

« Saint-Jacques se retirant auparavant l’heure que ledit Denyau l’aîné devait disputer pour lui, s’est approché de M. François Blondel, des mains duquel il a reçu sans difficulté quelconque le droit {a} qui lui était dû pour son assistance. Et quelque temps après, ledit de Mauvillain, se voulant retirer pareillement auparavant la dispute que ledit Denyau le jeune devait faire pour lui, s’est aussi approché dudit sieur Blondel, doyen, pour recevoir son droit d’assistance, dont il lui a fait refus ; de la cause duquel s’étant informé, ledit Blondel lui a reparti une chose qu’il n’avait point opposée audit sieur de Saint-Jacques, savoir qu’il lui refusait son droit d’assistance puisqu’étant présent, il ne disputait pas ; à quoi il {b} a répliqué qu’il ne prétendait pas le droit pour la dispute et qu’il appartenait audit Denyau le jeune qui devait disputer pour lui, ses affaires ne lui permettant pas d’attendre l’heure de sa dispute ; mais que son droit d’assistance, qui est autre que celui de la dispute, lui devait être baillé, ainsi qu’au sieur de Saint-Jacques […] ; et dans cette conférence étant arrivé que le bonnet dudit Blondel est tombé de sa tête, ledit Mauvillain l’a dans sa chute recueilli de ses mains ; mais cet office, qui était de civilité et courtoisie, a été pris pour injure par ledit Blondel, mettant en avant que ledit Mauvillain lui avait ôté le bonnet de la tête. Et sur ce y ayant eu du bruit, Hureau et Denyau le jeune {c} ayant témoigné que le droit d’assistance ne pouvait et ne devait être refusé audit de Mauvillain, non plus qu’au sieur de Saint-Jacques, cela a pareillement été pris pour injure par ledit Blondel ; lequel à l’instant s’est levé, a interrompu l’acte et de violence, commanda aux bedeaux {d} de le suivre ; < et > accompagné de MM. Nicolas Cappon, François Le Vignon et autres docteurs de ladite Faculté, s’est porté près dudit Hureau et voulant lui-même < se > venger et se faire justice de la prétendue injure qu’il disait lui avoir été faite par ledit Hureau, il l’a violenté, pris par sa robe d’écarlate, icelle déchirée, < pour > le mettre hors de sa place et < de > son rang de dispute, le chasser et expulser honteusement de l’École, et fait plusieurs outrages dont toute l’assistance a été scandalisée et offensée. Et n’ayant pu réussir tout à fait dans cette mauvaise entreprise, il s’est remis en sa place, témoignant qu’il s’était suffisamment bougé ; mais ce n’était qu’en apparence, parce que lors dans la salle de la dispute il n’<y > avait pas présents et n’étaient pas encore venus les docteurs de sa faction et de sa cabale, qu’il a attendus. Ce fait, s’est retiré de sa place sans dire mot pendant la continuation de l’acte ; et ayant fait avertir secrètement aucuns des docteurs de sa faction, ils sont montés dans la salle haute, et prétendant s’être assemblés […], pendant la continuation dudit acte où assistaient plusieurs docteurs, ils ont voulu mettre en question ce qui s’était passé dans la salle de la dispute, sur le récit desdits Blondel, Le Vignon et Cappon, leurs parties intéressées, et en présence des docteurs qui n’avaient point assisté ni vu ce qui s’était passé. De laquelle assemblée clandestine l’avis ayant été donné au sieur Denyau l’aîné, au moment de sa dispute finie, il serait monté en haut revêtu de sa robe rouge ; et entré dans cette prétendue assemblée, < aurait > déclaré qu’il s’opposait à icelle, demandant à être ouï avec ledit Denyau son fils et que l’affaire fût remise dans une assemblée légitimement convoquée ; mais on a refusé de l’entendre, et même < il > a été repoussé de force et de violence par lesdits Cappon et Le Vignon, de même par le sieur Merlet {e} qui lui a par trois fois porté le poing à la poitrine. Et ce fait, ledit Blondel a lui-même prononcé un prétendu décret par lequel, et sur les suppositions y contenues, ils ont exclu et interdit de l’entrée de l’École ledit de Mauvillain pendant quatre ans et lesdits Hureau et Denyau le jeune pendant deux ans. Et ensuite ledit Blondel étant descendu, rentré et < ayant > repris sa place dans la salle de la dispute, et voyant que ledit Denyau le jeune disputait, lui a commandé de se taire et se retirer < pour > attendre le prétendu décret susdit, dont néanmoins on ne savait encore rien dans ladite salle ; ce qui a surpris ledit Denyau le jeune, lequel continuant sa dispute en sa place, ledit Blondel a commandé au bedeau de prendre ledit Denyau par les oreilles et par sa robe, le tirer et le chasser de l’École ; auquel commandement ledit bedeau ayant obéi, s’est approché dudit Denyau le jeune, et honteusement et avec scandale l’a voulu tirer de sa place en laquelle néanmoins il s’est maintenu pour continuer sa dispute, laquelle a été interrompue par le désordre causé de la part dudit Blondel, en sorte que Me Michel de La Vigne a continué la dispute, et l’acte s’est parachevé. »


  1. Jeton de présence.

  2. Mauvillain.

  3. Germain Hureau et Alexandre-Michel Denyau.

  4. V. note [1] des Actes de 1650‑1651 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris.

  5. Jean Merlet.

Le même jour, avertis de cette plainte, le doyen et la Faculté renouvelèrent leur décret contestable de la veille. Cette mauvaise querelle fit plusieurs allers et retours entre le Parlement et la Faculté jusqu’au 20 février 1659 où, devant l’assemblée des docteurs régents et deux conseillers au Parlement, Michel Ferrand et Charles de Saveuse, (fo 419) :

« ledit de Mauvillain entré en nos présences a déclaré qu’il se désiste de l’appel par lui < interjeté > et y acquiesce, et supplie le sieur Blondel et la Faculté de lui faire grâce, et a demandé pardon audit sieur doyen et à la Faculté de ce qui s’est passé. Ce fait, ledit Me François Blondel, doyen, a dit et déclaré qu’il n’a poursuivi la cause que pour la dignité de la Faculté, et non pour son intérêt particulier, qu’il a toujours volontiers remis et remet encore et consent, en tant qu’à lui est, que ledit Mauvillain soit dès à présent rétabli, et que la Faculté a consenti tout d’une voix dont acte et ont signé lesdits Mauvillain, Hureau, Denyau et Blondel. »

Mauvillain en conserva une vive rancœur à l’encontre de Blondel (qui était borgne) : quand il fut à son tour élu doyen, en novembre 1666, il fit frapper sur son jeton décanal l’allégorie d’Ulysse aveuglant le cyclope Polyphème (v. note [51] du Borboniana 9 manuscrit), terrassé, avec une torche enflammée : Vero lumine cœcat [Il aveugle par la lumière de vérité]. La devise frappée sur le jeton de Blondel était Crescit in adversis virtus [La vertu s’accroît dans l’adversité]. Celle que Patin avait mise sur le sien était Felix qui potuit [Heureux qui a pu, v. note [6], lettre 438].

Christian Warolin (page 121) a supposé que l’amitié de Mauvillain et Molière date de cette période :

« Molière, de retour à Paris en 1658 après un long séjour en province, devint le protégé de Gaston d’Orléans dès la représentation devant Louis xiv du Docteur amoureux, le 24 octobre. Or Mauvillain, fils du chirurgien de Monsieur et très au fait des réalisations botaniques princières au château de Blois, avait accès à l’entourage de l’Altesse royale. Une rencontre entre le célèbre comédien et le médecin fort courroucé de son exclusion de la Faculté cette année-là, était donc possible dès cette époque. »

V. notule {a}, note [23] de Thomas Diafoirus et sa thèse, pour les sérieux doutes de Georges Forestier sur cette question.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 décembre 1658, note 8.

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(Consulté le 28/03/2024)

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