À André Falconet, le 13 février 1665

Note [8]

« tel père, tel fils ».

Dans un article intitulé Un bénédictin lorrain auteur d’un « Traité du cancer » en 1698 (Mémoires de l’Académie nationale de Metz, 1996, pages 9‑24, avec mes remerciements à Jean-Marie Gilgenkrantz qui m’a indiqué cette référence, v. note [3], lettre 806), Gérard Michaux, président de cette Académie, a célébré la gloire fannée des Alliot.

Pierre Alliot, natif de Bar-le-Duc entre 1610 et 1612, et mort à une date inconnue, descendait d’une famille distinguée de Florence qui, ayant été déchue de sa noblesse, vint s’établir en France où elle s’adonna au commerce. Docteur de l’Université de Pont-à-Mousson, Alliot s’était installé à Bar en 1638, où il pratiqua la médecine avec tant d’éclat que le duc de Lorraine, Nicolas-François (v. note [32], lettre 1023), le fit venir à Paris pour soigner son fils Ferdinand qui était tombé malade. La guérison du prince avait encore accru la célébrité d’Alliot, de sorte que le duc Charles iv (v. note [37], lettre 6) lui accorda en 1661 des lettres patentes de médecin ordinaire. Sa réputation était principalement établie sur un spécifique qu’il prétendait posséder contre le cancer, et en particulier contre le cancer du sein. Cet arcane avait fait grand bruit et valait alors à Alliot d’être appelé à la cour de France auprès d’Anne d’Autriche. Le médecin lorrain ne fut pourtant pas plus heureux que ses prédécesseurs : son prétendu spécifique accrut même les douleurs de la reine qui, dégoûtée de cet essai infructueux, renonça bientôt à Alliot. Celui-ci n’en obtint pas moins une pension de 2 000 livres et le titre de médecin extraordinaire du roi. Son remède, qu’il faisait payer fort cher, et qu’il donnait pour un alcali fixe et insoluble, n’était véritablement qu’une préparation arsenicale sous forme pulvérulente (v. note [4], lettre latine 371), et comme telle, ne pouvait être efficace, à la manière de tous les caustiques, que dans le cas où le peu d’étendue et l’isolement complet de la tumeur cancéreuse permettaient de la détruire tout entière en une seule ou tout au plus, en deux applications. Le charlatanisme fut bientôt reconnu et dès que le voile du mystère n’enveloppa plus la prétendue découverte d’Alliot, lui et son arcane tombèrent dans l’oubli (J. in Panckoucke).

Jean-Baptiste Alliot, fils de Pierre, suivit les traces de son père et chercha à accroître le renom de son remède dans un livre (écrit, semble-t-il, avec l’aide de son propre fils, le moine bénédictin dom Hyacinthe Alliot) intitulé Traité du cancer où l’on explique sa nature, et où l’on propose les moyens les plus sûrs pour le guérir méthodiquement avec un examen du système et de la pratique de M. Helvétius [v. note [10] de Noël Falconet, 60 ans après]. Par M. J. B. Alliot, conseiller du roi, médecin ordinaire de Sa Majesté et de la Bastille (Paris, François Muguet, 1698, in‑4o de 168 pages).

Pierre Alliot a publié :

Il me semble tout de même que M. Michaux se soit laissé un peu abuser par cette charlatanerie familiale en tenant les Alliot pour des pionniers lorrains injustement oubliés de la cancérologie moderne.

Le Pr Gilgenkrantz m’a aussi indiqué la thèse qu’Audrey Pauchet a soutenue le 8 juin 2016 à la Faculté de médecine de Nancy : Pierre et Jean-Baptiste Alliot, médecins des cours de Lorraine et de France au xviie siècle. Traitement du cancer du sein d’Anne d’Autriche. Elle regorge de connaissances érudites sur ces deux médecins et sur leur malade, avec cette candide conclusion (pages 93‑94) :

« Si le traitement nous paraît aujourd’hui barbare, son inventeur avait le mérite de placer dans sa réflexion le patient au centre de la prise en charge. Ce médecin du xviie siècle nous invite à faire preuve d’humilité, de réserve et de sagesse. Il nous rappelle qu’il ne faut pas négliger l’état psychologique et la personnalité du malade pour proposer le meilleur plan de soin. Ainsi se révèle une autre image du médecin du xviie siècle que celui véhiculé par les farces de Molière, peut-être plus proche de nous que nous ne l’imaginons. »

Mais, chère consœur, leur ressemblons-nous encore dans l’exploitation éhontée de la crédulité publique à des fins aussi lucratives qu’honorifiques, sous ombre de belle et noble science ?

J.-M. Gilgenkrantz a depuis publié son travail sur les Alliot dans le journal Histoire des sciences médicale, tome lii, no 2, 2018, pages 209‑215.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 13 février 1665, note 8.

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(Consulté le 25/04/2024)

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