À André Falconet, le 11 avril 1670

Note [5]

Guy Patin accréditait ici les thèses des « mythographes survivalistes » qui tiennent que Jeanne d’Arc ne fut pas brûlée à Rouen en 1431 (v. note [17], lettre 925), mais qu’elle réapparut à Metz en 1436 sous les traits d’une femme prénommée Claude qui prétendit être Jeanne du Lys, la Pucelle de France. Elle épousa Robert des Armoises, chevalier seigneur de Tichémont, et lui donna deux fils. Cela avait permis, vers 1630, à la famille Sermoise, descendante de celle des Armoises, de revendiquer son appartenance à la plus haute et prestigieuse noblesse de France. Bien des arguments font pourtant penser que Claude des Armoises ne fut qu’une usurpatrice (Colette Beaune, chapitre 11, Vraie Claude, fausse Jeanne).

Patin en appelait à Étienne Pasquier, qui a pourtant vilipendé ceux qui ne croyaient pas en la sainte histoire de Jeanne d’Arc dans ses Recherches de la France, livre vi (pages 459‑466), chapitre v, Sommaire du procès de Jeanne la Pucelle : {a}

« Grande pitié, jamais personne ne secourut la France si à propos et plus heureusement que cette Pucelle, et jamais mémoire de femme ne fut plus déchirée que la sienne. Les Anglais l’estimèrent et sorcière et hérétique, et sous cette proposition la firent brûler. Quelques-uns des nôtres se firent accroire que ce fut une feintise {b} telle que Numa Pompilius dans Rome quand il se vantait communiquer en secret avec Égérie la Nymphe pour s’acquérir plus de créance envers le peuple, et telle est l’opinion du seigneur de Langey au troisième livre de la Discipline militaire, chapitre 3e. À quoi les autres ajoutent et disent que les seigneurs de la France supposèrent cette jeune garce, feignant qu’elle était envoyée de Dieu pour secourir le royaume ; même < que >, quand elle remarqua le roi Charles à Chinon entre tous les autres, on lui avait donné un certain signal pour le reconnaître. J’en ai vu de si impudents et éhontés qui disaient que Baudricourt, capitaine de Vaucouleur, en avait abusé et que, l’ayant trouvée d’entendement capable, il lui avait fait jouer cette fourbe. Quant aux premiers, je les excuse, ils avaient été malmenés par elle et nul ne sait combien douce est la vengeance de celui qui a reçu l’injure. Quant aux seconds, bien qu’ils méritent quelque réprimande, si est-ce que je leur pardonne aucunement {c} parce que le malheur de notre siècle aujourd’hui est tel que pour acquérir réputation d’habile homme il faut machiavéliser. Mais par le regard des troisièmes, non seulement je ne leur pardonne, mais au contraire, ils me semblent être dignes d’une punition exemplaire pour être pires que l’Anglais et faire le procès extraordinaire à la renommée de celle à qui toute la France a tant d’obligation. Ceux-là lui ôtèrent la vie, ceux-ci l’honneur, et l’ôtent par un même moyen à la France, quand nous appuyons le rétablissement de notre État sur une fille déshonorée. De ma part, je répute son histoire un vrai miracle de Dieu. La pudicité que je vois l’avoir accompagnée jusqu’à sa mort, même au milieu des troupes, la juste querelle qu’elle prit, la prouesse qu’elle y apporta, les heureux succès de ses affaires, la sage simplicité que je recueille de ses réponses aux interrogatoires qui lui furent faits par des juges du tout voués à la ruine, ses prédictions qui depuis sortirent effet, la mort cruelle qu’elle choisit, dont elle se pouvait garantir s’il y eût eu de la feintise en son fait. Tout cela, dis-je, me fait croire (joint les voix du Ciel qu’elle oyait) que toute sa vie et histoire fut un vrai mystère de Dieu.

[…] Et puis au bout de tout cela, après tant de bons actes, après tant de prédictions véritables en une querelle si juste, après tant d’heureux succès, nous dirions que c’étaient illusions du diable ? Certes, il ne faut point avoir de piété en la tête qui le soutiendra. Ajoutez, et cestui {d} est un trait d’Histoire fort mémorable : si les anciennes histoires sont vraies, on trouve une Sémiramis et < une > Jeanne qui, sous habillement d’hommes, exercèrent, celle-là une royauté, celle-ci la papauté ; toutefois, avant que la partie fût parachevée, elles nous servirent d’un plat de leur métier parce que chacune fit un enfant, chose qui leva leur masque. Mais notre Jeanne, encore que l’Anglais recherchât tous les moyens de la calomnier, si ne lui impropéra-t-il {e} impudicité par tout le discours de son procès, jaçoit qu’elle {f} eût vécu au milieu de plusieurs grandes armées où telle débauche est plus que souvent en usage. Et c’est pourquoi la postérité, non sans grande raison, lui donna le titre de Pucelle qui lui est demeuré jusques à hui. {g} Ce néanmoins, il y a aujourd’hui quelques plumes si éhontées qui ne doutent de la pleuvir {h} pour garce de Baudricourt. Au demeurant je ne veux oublier que sa mémoire fut de si grande recommandation entre nous après sa mort qu’en l’an 1440 le commun du peuple se fit accroire que la Pucelle vivait encore et qu’elle était échappée des mains des Anglais qui en avaient fait brûler une autre en son lieu ; et pour ce qu’il en fut trouvé une en la gendarmerie {i} en habillement déguisé, le Parlement fut contraint de la faire venir, la représenter sur la pierre de marbre du Palais au peuple, pour montrer que c’était une imposture. Je serais ingrat envers la mémoire du roi Charles {j} premièrement, puis de cette miraculeuse guerrière, si pour clôture de ce chapitre, je n’y enchassais cet éloge qui me semble d’une singulière recommandation. Elle avait trois frères, Jaquemin, Jean et Pierre dit Pierrelot, dont les deux derniers s’embarquèrent à pareille fortune que leur sœur, faisant profession des armes. Le roi, en considération des grands et signalés services qu’il avait reçus de la Pucelle, tant à la levée du siège d’Orléans que son sacre, dont elle avait été le principal porte-bannière, l’anoblit, ensemble ses père, mère, frères et leur postérité tant masculine que féminine, par ses patentes en forme de charte, données à Mehun-sur-Yèvre, au mois de décembre 1429, vérifiées le 16e de janvier ensuivant en la Chambre des comptes de Paris, lors transférée à Bourges.

[…] Or pour plus signalée remarque de cette gratification, le roi Charles voulut que les frères de la Pucelle portassent en leurs armoiries un écu en champ d’azur auquel y aurait deux fleurs de lys d’or et au milieu, une couronne ; et en outre, qu’au lieu de surnom d’Arc qu’ils avaient apporté du ventre de leur mère, ils fussent de là en avant surnommés du Lys, comme si la Couronne de France et le Lys eussent par les paradoxes {k} exploits et chefs-d’œuvre de la Pucelle repris leur ancienne force, dignité et vertu. »


  1. Édition de Paris, 1621, v. note [16], lettre 151.

  2. Feinte.

  3. « il est bien certain que je ne leur pardonne aucunement ».

  4. Ceci.

  5. « même s’il ne lui reprocha pas ».

  6. Bien qu’elle.

  7. Ce jour.

  8. Tenir.

  9. Cavalerie.

  10. Le roi Charles vii (mort en 1461).

  11. Extraordinaires.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 11 avril 1670, note 5.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0980&cln=5

(Consulté le 19/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.