À Gerardus Leonardus Blasius, le 28 janvier 1661

Note [53]

Page 210 des Commentaria, touchant et poétique passage à propos de l’ulna (ou cubitus, un des deux os de l’avant-bras) qui apparaît dans l’expression latine ulnis amplecti (serrer dans les bras, embrasser) :

Omnium horum signa facimus complexu ulnarum : amoris, favoris, obsequii. Nutricibus nihil prius, quam alumnos suos ulnis excipere, gestare, favere, tueri. Alumni vicissim matri adhærescere solent et earum parvis adducere colla lacertis, ut Naso 6. Metaph. {a} 626. canit. Conjugis amplexum venuste et pudenter exposuit Claudianus ii. in Eutr. 187. Advolat, et niveis reducem complectitur ulnis, Infunditque animo furiale per oscula virus. Sic apud Papinium i. Achill. 574. Thetis, nil mali timens, Achilles occupat ora canentis, Et ligat amplexus, et mille per oscula laudat. Adulatoribus proprium focillare et gestibus verbisque cultum atque obsequium profiteri, servitium simulare, focilia velut ad amplexum protendere, genua tangere, caput inclinare, denique pedibus mirifice saltare. Ea tamen maxima hodie urbanitas habetur. Ita olim dicebant sequiori et adulationibus corruptissimo ævo Romano, quod Gallice nunc courtosie.

[En embrassant, nous marquons tous ces sentiments : amour, faveur, soumission. Rien de plus important pour les nourrices que de prendre, porter, cajoler, protéger leurs enfants dans leurs bras. En retour, les enfants ont coutume de s’agripper à leur mère et de serrer son cou dans leurs petits bras, comme chante Ovide au livre vi, vers 626 des Métamorphoses. {b} Au livre ii des Invectives contre Eutrope, vers 187, Claudien a exprimé avec grâce et pudeur l’étreinte de l’épouse : Advolat, et niveis reducem complectitur ulnis, Infunditque animo furiale per oscula virus. {c} Ainsi dans Stace, au livre i de l’Achilléide, vers 574, Achille, sans que Thétis n’y craigne aucun mal, occupat ora canentis, Et ligat amplexus, et mille per oscula laudat. {d} C’est le propre des flatteurs de réconforter, et d’offrir hommage et déférence par les gestes et par les mots, de simuler la soumission, de tendre les bras comme pour étreindre, de fléchir les genoux, d’incliner la tête, et enfin de danser bizarrement d’un pied sur l’autre. {e} On tient cependant aujourd’hui tout cela pour des marques d’extrême politesse ; à tel point que ce qu’on disait bien autrement jadis des basses flatteries, au temps si corrompu des Romains, correspond aujourd’hui à ce qu’on nomme courtoisie en français]. {f}


  1. Sic pour Metamorph. [Métamorphoses d’Ovide, Publius Ovidius Naso], coquille que Guy Patin a omis de relever.

  2. Vers 625‑626 :

    Attulit et parvis adduxit colla lacertis
    mixtaque blanditiis puerilibus oscula iunxit
    .

    [Il lève, il tend ses petits bras pour l’embrasser. Suspendu à son cou, il lui donne de tendres baisers, il lui prodigue les douces caresses de l’enfance].

  3. « Elle [la déesse Bellone, v. note [3], lettre latine 29] accourt au-devant de lui [le guerrier Targibile], le serre dans ses bras blancs comme neige pour fêter son retour, et par ses baisers fait entrer dans son âme le poison de la fureur » (Claudien loc. cit., vers 187‑188).

  4. « s’empare de la bouche [de Déidamie] en train de chanter et l’honore de mille baisers » : Stace (Publius Papinius Statius, v. note [3], lettre 1012), lAchilléide, vers 575‑576.

    Les vers 564‑565 expliquent l’allusion à Thétis, mère d’Achille (v. notule {b}, note [48] du Borboniana 9 manuscrit) :

    Namque ut virgineo stetit in grege durus Achilles
    exsolvitque rudem genitris digressa pudorem…

    [Car à peine le noble Achille fut-il mêlé à cette troupe de vierges, à peine les dernières paroles de sa mère eurent-elles dissipé sa pudeur farouche…] (car il y choisit pour compagne la belle Déidamie).

  5. Amusante allusion au petit ballet de la révérence.

  6. Avec la correction de Patin : courtoisie au lieu de courtosie.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Gerardus Leonardus Blasius, le 28 janvier 1661, note 53.

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(Consulté le 19/04/2024)

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