Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 4

Note [11]

Emprunt au livre i des Essais de Montaigne, chapitre xx ou xxi, selon les éditions, De la force de l’imagination, à la fin d’un paragraphe consacré aux parties du corps qui n’obéissent pas toujours à la volonté, à commencer par le pénis :

« On a raison de remarquer l’indocile liberté de ce membre, s’ingérant {a} si importunément lorsque nous n’en avons que faire, et défaillant si importunément lorsque nous en avons le plus à faire, et contestant de l’autorité si impérieusement avec notre volonté, refusant avec tant de fierté et d’obstination nos sollicitations, et mentales et manuelles. Si toutefois, en ce qu’on gourmande sa rébellion et qu’on en tire preuve de sa condamnation, {b} il m’avait payé pour plaider sa cause, à l’aventure mettrais-je en soupçon nos autres membres, ses compagnons, de lui être allés dresser, par belle envie de l’importance et douceur de son usage, cette querelle apostée, {c} et avoir, par complot, armé le monde à l’encontre de lui, le chargeant malignement seul de leur faute commune. Car je vous donne à penser s’il y a une seule des parties de notre corps qui ne refuse à notre volonté souvent son opération et qui souvent ne l’exerce contre notre volonté. {d} Elles ont chacune des passions propres, qui les éveillent et endorment sans notre congé. À quant de fois témoignent les mouvements forcés de notre visage les pensées {e} que nous tenions secrètes, et nous trahissent aux assistants. Cette même cause qui anime ce membre anime aussi, sans notre su, le cœur, le poumon et le pouls, la vue d’un objet agréable répandant imperceptiblement en nous la flamme d’une émotion fiévreuse. N’y a-t-il que ces muscles et ces veines qui s’élèvent et se couchent sans l’aveu {f} non seulement de notre volonté, mais aussi de notre pensée ? Nous ne commandons pas à nos cheveux de se hérisser et à notre peau de frémir de désir ou de crainte. La main se porte souvent où nous ne l’envoyons pas. La langue se transit et la voix se fige à son heure. {g} Lors même que, n’ayant de quoi frire, {h} nous le lui défendrions volontiers, l’appétit de manger et de boire ne laisse pas d’émouvoir les parties qui lui sont sujettes, ni plus ni moins que cet autre appétit, {i} et nous abandonne de même, hors de propos, quand bon lui semble. Les outils {j} qui servent à décharger le ventre ont leurs propres dilatations et compressions, outre et contre notre avis, comme ceux-ci destinés à décharger nos rognons. Et ce que, pour autoriser {k} la toute-puissance de notre volonté, saint Augustin allègue avoir vu quelqu’un qui commandait à son derrière autant de pets {l} qu’il en voulait, et que Vivès, son glossateur, enchérit d’un autre exemple de son temps, de pets organisés suivant le ton des vers qu’on leur prononçait, ne suppose non plus pure l’obéissance de ce membre ; car en est-il ordinairement de plus indiscret et tumultuaire. {m} Joint que j’en sais un si turbulent et revêche qu’il y a quarante ans qu’il tient son maître à péter d’une haleine et d’une obligation constante et irrémittente, {n} et le mène ainsi à la mort. » {o}


  1. Peut-être une prude coquille, pour « s’érigeant ».

  2. Défaillance.

  3. Ce piège.

  4. Pressentiment de ce qu’on a plus tard appelé le système nerveux involontaire ou autonome, sympathique et parasympathique (v. notule {e}, note [6] de la Consultation 12).

  5. « Bien souvent, les mimiques involontaires de notre visage témoignent des pensées ».

  6. Sans le consentement.

  7. Parfois.

  8. Cuisiner, préparer un repas.

  9. L’érection.

  10. Le rectum et la vessie.

  11. Prouver.

  12. V. infra notule {b}, note [12].

  13. Tumultueux.

  14. Sans rémission (relâche).

  15. Dans le chapitre précédent des Essais, Que philosopher c’est apprendre à mourir, Montaigne disait que l’homme doit tenir toute circonstance de l’existence pour un rappel de l’instance permanente de sa mort.

Pour les pets, Montaigne se référait à deux passages des grands auteurs qu’il citait.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 4, note 11.

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(Consulté le 29/04/2024)

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