Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 3 manuscrit

Note [28]

V. notes :

La badine allusion du Borboniana aux mauvaises mœurs du cardinal Duperron ouvrait une perspective beaucoup plus vaste sur le gallicanisme, qui était la grande question politico-religieuse de l’époque, et allait bientôt trouver un nouvel essor avec la querelle du jansénisme.

Les Résolutions et arrêtés de la Chambre du tiers état, touchant le premier article de leur cahier, présenté au roi. Les doctes harangues et répliques du sieur cardinal Duperron y sont contenues, et les discours graves et éloquents des sieurs archevêque et évêques d’Aix, Montpellier, Mâcon et Beauvais, comme aussi d’autres signalés personnages (sans lieu ni nom, 1615, in‑8o) contiennent plusieurs pièces qui éclairent le propos du Borboniana.

  1. Objet du litige, le Premier article du cahier de Paris et Île-de-France (pages 9‑10), présenté par le tiers état, était une requête hardie contre Rome, en faveur du gallicanisme (richérisme, v. note [27], lettre 337) :

    « Que pour arrêter le cours de la pernicieuse doctrine, qui s’introduit depuis quelques années, contre les rois et puissances souveraines établies de Dieu, par esprits séditieux, qui n’entendent qu’à les troubler et subvertir, le roi {a} sera supplié de faire arrêter en l’assemblée de ses états, pour loi fondamentale du royaume, qui soit inviolable et notoire à tous.

    Que comme il est reconnu souverain en son État, ne tenant sa couronne que de Dieu seul, il n’y a puissance en terre, quelle qu’elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun droit sur son royaume pour en priver les personnes sacrées de nos rois, ni dispenser ou absoudre leurs sujets de la fidélité et obéissance qu’ils lui doivent, pour quelque cause ou prétexte que ce soit.

    Que tous les sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient, tiendront cette loi pour sainte et véritable, comme conforme à la parole de Dieu, sans distinction, équivoque ou limitation quelconque ; laquelle sera jurée et signée par tous les députés des états ; et dorénavant, par tous les bénéficiers et officiers du royaume, avant que d’entrer en possession de leurs bénéfices et d’être reçus en leurs offices ; tous précepteurs, régents, docteurs et prédicateurs, tenus de l’enseigner et publier.

    Que l’opinion contraire, même qu’il soit loisible de tuer et déposer nos rois, s’élever et rebeller contre eux, secouer le joug de leur obéissance, pour quelque occasion que ce soit, est impie, détestable, contre vérité et contre l’établissement de l’État de la France, qui ne dépend immédiatement que de Dieu.

  2. Que tous livres qui enseignent telle faute et perverse opinion seront tenus pour séditieux et damnables, tous étrangers qui l’écriront et publieront, pour ennemis jurés de la Couronne ; tous sujets de Sa Majesté qui y adhéreront, de quelque qualité et condition qu’ils soient, pour rebelles, infracteurs des lois fondamentales du royaume et criminels de lèse-majesté au premier chef. {b} Et s’il se trouve aucun livre ou discours écrit par étranger, ecclésiastique ou d’autre qualité, qui contienne proposition contraire à ladite loi, directement ou indirectement, seront les ecclésiastiques des mêmes ordres établis en France obligés d’y répondre : {c} les impugner {d} et contredire incessamment, sans respect, ambiguïté ni équivocation, {e} sur peine d’être punis de même peine que dessus, comme fauteurs {f} des ennemis de cet État.

    Et sera ce premier article lu par chacun an, tant aux cours souveraines qu’aux bailliages et sénéchaussées du dit royaume, à l’ouverture des audiences, pour être gardé et observé avec toute sévérité et rigueur. »


    1. Louis xiii.

    2. V. note [3], lettre 832.

    3. Allusion à peine voilée aux jésuites, alors chassés du royaume car suspectés d’avoir armé la main des régicides qui avaient poignardé Henri iii (Jacques Clément, 1589, v. note [16], lettre 551) et Henri iv (François Ravaillac, 1610, v. note [90], lettre 166).

    4. Combattre.

    5. « Sans hésitation, ambiguïté ni équivoque ».

    6. Complices.

  3. « Le mercredi matin, dernier jour du dit mois de décembre [1614], Monsieur le cardinal Duperron se fit porter en la Chambre de la noblesse et, les remerciant de leur bonne volonté, leur fait un grand et docte discours, touchant le premier article du dit tiers état. Sommaire de la harangue de Monsieur le cardinal Duperron, en la Chambre de la noblesse » (page 39), dont le principal se lit dans ces trois paragraphes :

    « Cette Église, pour qui nous avons exposé ce prix précieux de notre sang et de notre vie, que l’on voudrait maintenant abattre par la proposition d’un article, le plus dangereux et le plus pernicieux qui fût jamais. Nous lisons que Julien l’Apostat, {a} pour contraindre les chrétiens ou d’être idolâtres, ou d’être criminels de lèse-majesté, se servant de la coutume que l’on avait d’adorer la statue de l’empereur, fit faire la sienne et mettre < de>dans la statue de Mercure et de Vénus, Pallas et autres faux dieux, afin que, par nécessité, en adorant la statue, ils adorassent, par même moyen, les faux dieux qui étaient dedans et se rendissent, en ce faisant, idolâtres ; ou bien, refusant d’adorer la sienne, ils se rendissent criminels de lèse-majesté. Que ceux qui avaient dressé cet article avaient eu la même intention de faire adorer de faux dieux dans la statue du prince ; qu’en proposant la puissance souveraine du roi, qui était indubitable, et le salut de sa personne, qui nous doit être très cher, ils y cachaient une hérésie et un schisme, voulant juger une question qui avait été problématique, et laquelle ne pouvait être décidée que par un concile général, {b} n’appartenant à nous, ni à une partie de l’Église, de décider ce que tout le reste devait croire. […]

    Que si ce malheureux Ravaillac, Jean Chastel, {c} Jacques Clément et autres, eussent cru qu’en faisant ce qu’ils faisaient, ils étaient excommuniés et damnés à tous les diables, sans doute qu’ils ne l’auraient pas entrepris. Que pour eux, qu’ils n’étaient pas capables de les déterminer, et que c’était à un concile général de le faire ; et qu’il n’y en avait point qui l’exprimât plus clairement et plus directement que le concile de Constance, {d} lequel il {e} avait fait porter pour le lire, comme il fit ; lequel déclare qu’aucun tyran, sous quelque prétexte que ce soit, ne peut être tué, ou par embûches, ou par flatterie, {f} ou autrement ; et quiconque le fait est excommunié et soumis aux peines des excommuniés (il le lut en latin, puis il l’expliqua en français). […]

    Pendant son discours, il pria deux diverses fois la Compagnie de l’excuser s’il était un peu long, mais que la matière était si importante qu’il ne pouvait pas la raccourcir, qu’il se fût volontiers déchargé de cette action sur quelque autre de leur Compagnie, qui eût plus éloquemment, plus disertement et plus doctement traité cette matière que lui ; que néanmoins, ils l’en avaient voulu charger, qu’il était fils d’obéissance et qu’humilité passe sacrifice ; qu’il connaissait bien ses manquements. » {g}


    1. V. notes [15], lettre 300, et [36] du Naudæana 3.

    2. Le concile de Trente (v. note [4], lettre 430), dont la réception en France était le véritable enjeu du débat.

    3. Auteur d’un attentat manqué contre Henri iv en 1594, v. note [13] du Grotiana 1.

    4. Réuni de 1414 à 1418 à Constance (Bade-Wurtemberg). Duperron voulait dire que, si toutes les résolutions de tous les conciles avaient été reçues en France, les régicides n’auraient pas agi, par crainte de l’excommunication.

    5. Duperron.

    6. La flatterie peut être une arme redoutable pour amadouer un tyran, mais sans tout de même aller jusqu’à son élimination physique.

    7. « Passe » est à prendre dans le sens d’« accepte ».

      Ce commentaire laisse deviner qu’il dut y avoir des murmures dans la salle, probablement en lien avec le passé trouble et les mœurs du cardinal Duperron qui s’acharnait à défendre la cause de Rome (le pape, ses moines et ses jésuites) contre les gallicans (tenus pour schismatiques).


  4. Bien plus houleuse encore dut être la réunion du vendredi matin 2 janvier 1615, où « Monsieur le cardinal Duperron, accompagné de plusieurs archevêques, évêques, abbés, et plus de soixante gentilshommes députés de la Chambre de la Noblesse, pour l’assister sur le sujet du premier article du cahier du tiers état, se fait porter en ladite Chambre, où il fait ce noble et renommé discours, duquel on a pu recueillir ce qui ensuit » (pages 52‑70).

    Suit la relation des nombreux échanges qui eurent lieu entre les trois chambres des états (noblesse, clergé et tiers) et le roi, pour aboutir, le samedi 21 février 1615, à la conclusion, de portée beaucoup plus large, qui satisfaisait le tiers état (pages 123‑124) :

    « Ledit jour, la Compagnie étant assemblée, ledit sieur évêque de Beauvais {a} est député par lesdits sieurs du clergé, vient à la Chambre du tiers état pour derechef l’inviter à se joindre aux sieurs du clergé pour demander la publication dudit concile de Trente. Et après avoir discouru sur ce sujet, lecture est faite de la demande que lesdits sieurs faisaient au roi du dit concile, à laquelle demande s’était jointe la noblesse, requérant pareille adjonction {b} du tiers état.

    L’article contenait la demande du dit concile, sans néanmoins préjudicier aux cérémonies de l’Église de France, ni aux droits de l’État, pour lesquels sa Sainteté {c} serait suppliée de modifier ledit concile.

    Monsieur le président Miron {d} fait réponse au dit sieur de Beauvais que la Compagnie ne pouvait quant à présent recevoir ledit concile ; que néanmoins elle embrassait la foi y contenue, mais que, pour la police, {e} on n’y pouvait entendre, puisqu’elle était préjudiciable aux droits de l’État ; que Messieurs du clergé pouvaient garder et observer eux-mêmes ledit concile entre eux, et en donner le premier exemple en quittant la pluralité des bénéfices ; que ceux d’entre eux qui en avaient deux ou trois en pouvaient quitter à ceux qui n’en avaient point.

    Prie Messieurs de l’Église d’avoir pour agréables les excuses et raisons par lui ci-devant déduites.

    Le vingt-troisième du dit mois, les cahiers sont présentés au roi, en la salle de Bourbon. {f} Monsieur l’évêque de Luçon {g} présente le cahier du clergé ; Monsieur le baron de Sennecey, {h} président de la Chambre de la noblesse, présente celui de la Noblesse ; Monsieur Miron, président, présente celui du tiers état. »


    1. René Potier, frère d’Augustin et son prédécesseur sous la mitre de Beauvais (v. notes [6], lettre 83, et [51] du Borboniana 6 manuscrit).

    2. Adhésion.

    3. Paul v, v. note [5], lettre 25.

    4. Robert i Miron, président au mortier et prévôt des marchands de Paris, v. note [20], lettre 180.

    5. Opposition des pouvoirs spirituel (la foi) et temporel (la police).

    6. Grande salle du Louvre où se réunissait l’assemblée générale de ces états généraux en présence du roi.

    7. Armand Jean du Plessis, le futur cardinal de Richelieu.

    8. Henri de Bauffremont (1578-1662), baron de Sennecey.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 3 manuscrit, note 28.

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(Consulté le 25/04/2024)

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