Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-2

Note [51]

Ammien Marcellin, Ammianus Marcellinus, est un écrivain latin du ive s. qui a laissé une histoire de Rome, intitulée Res gestæ [Faits historiques], couvrant la période allant de 96 à 378, dont il ne subsiste que 18 des 31 livres.

Cet article de L’Esprit de Guy Patin reprend les propos de Pierre Bayle {a} dans ses Pensées diverses, écrites à un docteur de Sorbonne, à l’occasion d’une comète qui parut au mois de décembre 1680, {b} § vi, Que les historiens se plaisent fort aux digressions (tome premier, pages 8‑9) :

« L’envie de paraître savants jusque dans les choses qui ne sont pas de leur métier leur fait aussi faire quelquefois des digressions très mal entendues ; comme lorsqu’Ammien Marcellin, à l’occasion d’un tremblement de terre qui arriva sous l’empire de Constantius, {c} nous débite tout son Aristote et tout son Anaxagoras, {d} raisonne à perte de vue, cite des poètes et des théologiens ; {e} et à l’occasion d’une éclipse de Soleil arrivée sous le même Constantius, se jette à corps perdu dans les secrets de l’astronomie, fait des leçons sur Ptolomée, et s’écarte jusques à philosopher sur la cause des parélies. {f} Mais il ne s’ensuit pas pour cela que les remarques des historiens doivent autoriser l’opinion commune, parce qu’elles ne sont pas sur des choses qui soient du ressort de l’historien. »


  1. Rotterdam, Reinier Leers, 2 tomes in‑12, pour la quatrième édition, dont la première a paru à Cologne en 1682.

  2. Pierre Bayle (Carla-le-Comte, aujourd’hui Carla-Bayle, près de Pamiers 1647-Rotterdam 1706) est un littérateur protestant français et un penseur sceptique, précurseur des Lumières, dont le plus volumineux ouvrage est le Dictionnaire historique et critique, auquel notre édition a souvent recouru ; il a aussi produit une abondante correspondance, et quelques textes philosophiques et politiques. Bayle est réputé avoir édité le Naudæana et Patiniana.

  3. Constance ii (Constantius) a été empereur romain de 337 à 361. L’Esprit de Guy Patin l’a ici confondu avec son prédécesseur Constantin ier (Constantinus), 310-337 (v. note [24] du Naudæana 3).

  4. Anaxagoras (Anaxagore) est un philosophe et astronome grec du ve s. av. J.‑C. Seuls des fragments de son œuvre ont subsisté, concernant notamment sa vision du monde (cosmogonie).

  5. Le chapitre 7, livre xvii, des Res gestæ de Marcellin relate le grand séisme qui secoua la Macédoine, l’Asie Mineure et le Pont, avec de copieux commentaires qui irritaient Bayle, dont le paragraphe 11 n’est que le début :

    Accidunt autem, ut opiniones æstimant, inter quas Aristoteles æstuat et laborat, aut in cavernis minutis terrarum, quas Græce syriggas appellamus, inpulsu crebriore aquis undabundis : aut certe, ut Anaxagoras adfirmat, ventorum vi subeuntium ima terrarum ; qui cum soliditatibus concrustatis inciderint, eruptiones nullas reperientes, eas partes soli convibrant, quas subrepserint umidi. Unde plerumque observatur terra tremente ventorum apud nos spiramina nulla sentiri, quod in ultimis eius secessibus occupantur.

    Traduction de Guillaume de Moulines (Lyon, Jean-Marie Bruyset, 1778, in‑18, tome premier, pages 262‑263) :

    « Selon les diverses opinions qui ont occupé et fait suer Aristote, ces tremblements se forment dans ces petits canaux souterrains, qu’en Grèce nous appelons syringes, par la fréquente agitation des eaux qui s’y portent avec force ; ou du moins, ainsi que le soutient Anaxagore, par la violence des vents qui pénètrent dans les entrailles de la terre : parvenus à ces masses endurcies et ne pouvant s’y faire un passage, ils déploient leur action sur ces parties qu’ils pénètrent de leur humidité. De là vient que la plupart du temps, les vents ne se font point sentir pendant que la terre tremble parce qu’ils sont occupés dans les enfoncements les plus éloignés. »

  6. Les paragraphes 1‑2 du chapitre 3, livre xx des Res gestæ, entament une longue explication astronomique :

    Eodem tempore per eoos tractus cælum subtextum caligine cernebatur obscura, et a primo auroræ exortu ad usque meridiem intermicabant iugiter stellæ hisque terroribus accedebat, quod, cum lux cælestis operiretur, e mundi conspectu penitus lance abrepta defecisse diutius solem pavidæ mentes hominum æstimabant : primo adtenuatum in lunæ corniculantis effigiem, deinde in speciem auctum semenstrem posteaque in integrum restitutum.

    Quod alias non evenit ita perspicue, nisi cum post inæquales cursus iter menstruum lunæ ad idem revocatur initium certis temporum intervallis, id est cum in domicilio eiusdem signi tota reperitur luna sub sole, liniamentis obiecta rectissimis, atque in his paulisper consistit minutis, quæ geometrica ratio partium partes appellat.

    Traduction de Moulines (ibid. tome second, pages 5‑6) :

    « Dans ce même temps, le ciel fut couvert, dans les parties de l’Orient, d’épaisses ténèbres, au travers desquelles les étoiles brillèrent sans discontinuer depuis l’aube du jour jusqu’à midi. À ce phénomène effrayant se joignit encore ceci : c’est que, tandis que le Soleil était aussi obscurci que si sa lumière eût entièrement disparu, le peuple alarmé estima que cet astre restait éclipsé plus longtemps qu’à l’ordinaire ; sa clarté diminua d’abord jusqu’à ne lui laisser que l’apparence du premier croissant de la Lune ; il revint ensuite à la moitié de sa forme, qu’il reprit enfin tout à fait.

    Ceci n’arrive d’ailleurs d’une manière si marquée que lorsqu’après diverses révolutions inégales, la Lune se retrouve, au bout d’un certain temps, au même point, c’est-à-dire lorsqu’étant tout entière dans le même signe, opposée en ligne droite au Soleil, elle s’y arrête quelques minutes, que les géomètres appellent parties des parties. »

    Plus loin, Marcellin étend son discours aux parélies (parhélies) ou faux soleil, halos créés par la réflexion de la lumière solaire dans les couches de l’atmosphère.


Il est raisonnable de penser que Bayle n’a pas reproduit sans le dire un propos de Guy Patin : comme ils l’ont déjà fait dans le Faux Patiniana II‑1 (v. ses notes [11], [13] et [14]), ce sont les rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin qui ont copié Bayle (en se méprenant sur le nom de l’empereur Constance).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-2, note 51.

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(Consulté le 28/03/2024)

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