Autres écrits : Une thèse cardinale de Guy Patin :
« La Sobriété » (1647)

Note [69]

Turbot : « poisson de mer plat et en figure de losange. C’est un mets friand qu’on sert sur les bonnes tables les jours maigres. Juvénal fait une Satire sur une consultation que fit Domitien en plein Sénat de la manière qu’on devait accommoder un turbot extraordinaire dont on lui avait fait présent. On l’appelle en latin rhombus, à cause de sa figure » (Furetière).

Rhombus est le sous-titre de la Satire iv de Juvénal ; elle contient (vers 37‑56) l’explication de l’épithète « plus que césarien », plusquam Cæsareum, bien qu’on ne l’y lise pas exactement :

Cum iam semianimum laceraret Flavius orbem
ultimus et calvo serviret Roma Neroni,
incidit Adriaci spatium admirabile rhombi
ante domum Veneris, quam Dorica sustinet Ancon,
implevitque sinus ; nec enim minor hæserat illis
quos operit glacies Mæotica ruptaque tandem
solibus effundit torrentis ad ostia Ponti
desidia tardos et longo frigore pingues.
Destinat hoc monstrum cumbæ linique magister
pontifici summo. Quis enim proponere talem
aut emere auderet, cum plena et litora multo
delatore forent ? Dispersi protinus algæ
inquisitores agerent cum remige nudo
non dubitaturi fugitivum dicere piscem
depastumque diu vivaria Cæsaris, inde
elapsum veterem ad dominum debere reverti.
Si quid Palfurio, si credimus Armillato,
quidquid conspicuum pulchrumque est æquore toto,
res fisci est, ubicumque natat. Donabitur ergo,
ne pereat
.

Élégante traduction de Pierre de Labriolle et François Villeneuve (1962) :

« Au temps où le dernier des Flaviens déchirait l’univers expirant, où Rome était l’esclave du Néron chauve, {a} devant le temple de Vénus qui domine Ancône, la ville dorienne, {b} un turbot de l’Adriatique, stupéfiant de grosseur, vint se prendre dans un filet qu’il remplit. Accroché là, il ne cédait point pour la taille à ceux qu’emprisonne la glace du Palus Méotide, {c} et qu’une fois dissoute aux rayons du soleil, elle livre, tout engourdis d’oisiveté et engraissés par les longs frimas, aux rives du Pont impétueux. {d} Le maître de la barque et du filet destine ce monstre au Souverain Pontife : {e} mettre en vente ou acheter une telle pièce, qui l’oserait ? Les rivages mêmes sont peuplés de délateurs. Postés ici et là, les inspecteurs de plage feraient une méchante affaire au pauvre marin, et n’hésiteraient pas à proclamer qu’il s’agit d’un poisson fugitif, longtemps nourri dans les viviers de César, et qui, s’en étant échappé, doit revenir à son ancien propriétaire. À en croire Palfurius et Armillatus, {f} tout ce qu’il y a de rare et de remarquable dans l’Océan appartient au fisc, en quelque endroit que cela nage. On donnera donc ce poisson pour ne pas le perdre. »


  1. Venu après Vespasien et Titus, Domitien (Cæsar Domitianus Augustus Germanicus, v. note [8], lettre 851) a été le dernier des trois empereurs flaviens qui ont régné sur Rome de 69 à 96. Juvénal le surnomme ici « le Néron chauve » (calvus Nero) en raison de sa cruauté et de sa calvitie tardive.

  2. Ancône, dans les Marches, sur la rive occidentale de la mer Adriatique, est une ancienne colonie grecque (dorienne).

  3. Mer d’Azov, v. note [20], lettre 197.

  4. Le Pont-Euxin (mer Noire, v. note [48], lettre 348) communique au nord avec la mer d’Azov, par le détroit de Kertch (v. note [2], lettre latine 475).

  5. « Domitien prit le titre de Pontifex Maximus à l’automne de 81 » (note des traducteurs).

  6. Marcus Palfurius, officier du trésor impérial, fut plus tard banni par Domitien. Les annotateurs de Juvénal n’ont pas identifié Armillatus, qui appartenait sans doute à la même administration fiscale.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Une thèse cardinale de Guy Patin :
« La Sobriété » (1647), note 69.

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(Consulté le 29/03/2024)

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