L. 113.  >
À Charles Spon,
le 21 octobre 1644

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 21 octobre 1644

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0113

(Consulté le 29/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

J’ai reçu votre dernière avec la feuille des Institut. de C. Hofmannus. [2] Utinam brevi perducatur ad umbilicum[1] tant pour l’honneur de l’auteur, de l’érudition singulière duquel je fais grand cas, que pour le bien public. J’ai aussi le même jour, savoir le 21e de septembre, reçu le paquet de la voie de Gesselin, [3] où j’ai trouvé pour moi Epitome Instit. Sennerti[4] Fr. Ranchini Posthuma[5] la Thériaque[6] la thèse de philosophie et l’Idea regia du P. Labbé, [2][7] et les deux autres paquets que j’ai le même jour rendus moi-même à MM. Moreau [8] et Masclari. [3][9] Je vous remercie de tout bien humblement, utinam aliquando possim retaliare[4] Je n’ai langui dans l’attente des vôtres le mois passé que pour la peur que j’avais qu’il ne vous fût arrivé quelque chose. Je me réjouis bien fort de ce qu’êtes en bonne santé et souhaite de tout mon cœur qu’y demeuriez longues années avec Mlle Spon [10] et le fils [11] que Dieu vous a donné. [5] Ce que vous me dites des libraires de Paris est très vrai, il y a longtemps que je le sais très bien, sunt pessimi nebulones et lucriones tenacissimi, villissimi, mendacissimi[6][12] Il n’y a rien que je déteste et que je haïsse plus que le mensonge, que j’abhorre plus que les démons de Loudun [13][14] et de Louviers ; [15] et cette espèce de gens me déplaît encore davantage de ce qu’ils mentent à toute heure fort impunément et sans aucune nécessité. Ce sont gens qui n’ont non plus de foi que d’esprit et qui sont purement indignes de ce beau nom de marchand. J’en excepte les bons, comme vous, qui sont en petit nombre. Le Macé [16] que vous m’indiquez est un tyran en son métier, rude et barbare, et qui n’y connaît rien ; mais il n’est pas tout seul, il y en a encore plus d’une douzaine d’autres qui ne valent pas mieux que lui et qui sont aussi ignorants. [7][17] Dieu les veuille bien amender, autrement ils gâtent un beau et très innocent commerce. Ils sont si sots et si superbes qu’ils s’imaginent qu’on leur doit encore de reste quand on les a bien payés. M. Meyssonnier [18] se trompe sur le fait de Louis Guyon, [8][19] qui ne fut jamais médecin de Paris. Je doute pareillement s’il a gagné tant de bien à la pratique ; ce n’est point qu’il n’eût bon esprit, mais il paraît en beaucoup d’endroits qu’il ne pratiquait pas le métier dont il parle. Il avait beaucoup voyagé et beaucoup lu, mais il n’a jamais guère vu de malades. Je sais bien qu’il était trésorier, mais je ne crois point qu’il ait beaucoup pratiqué, ce qu’il eût fallu faire en ce temps-là aussi bien qu’en celui-ci pour gagner 100 000 écus ; outre que je voudrais savoir quand il est mort et en quel lieu. [9] Puisque M. Meyssonnier a changé de casaque, voilà les affaires de la Prétendue en mauvais état, et le parti du pape fortifié ex tanta accessione[10][20] J’ai peur qu’il ne fasse bien du bruit, mais je n’ai pas peur que de papiste il devienne fou, car il l’est déjà et y a longtemps que je le tiens pour tel. Quiconque lira ses écrits ne manquera pas de le deviner. La sainte bigotise du siècle superstitieux dans lequel nous vivons a fêlé la cervelle à beaucoup d’autres ; mais la folie de M. Meyssonnier n’est pas de cette nature, elle ne lui est venue que par la bonne opinion qu’il a de soi. Il eût pu enfin quelque jour devenir savant s’il n’eût pensé l’être déjà, mais ce sien malheur est commun à beaucoup d’autres. Il n’a plus qu’à continuer, il fera fortune puisqu’il s’est avisé de ce grand secret de mettre le pape, les cardinaux et les moines de son côté, Romanos, rerum dominos gentemque togatam[11][21] M. Moreau vous baise les mains, et est bien aise quand il entend parler de vous et que je lui raconte de vos nouvelles après que j’ai reçu vos lettres. J’apprends ici de bonne part que le P. Théophile Raynaud [22] a de nouveau fait un livre intitulé Heteroclita christiana que les sotériques [23] ont supprimé. [12] Je vous prie de vous en enquérir et de savoir si nous ne pourrions pas en avoir un à quelque prix que ce fût. On dit ici que ce père est petit-fils de La Renaudie [24] qui avait fait la conspiration d’Amboise [25] et qui, pour l’avoir lui-même révélée, en fut mauvais et malheureux marchand[13] Qu’en croyez-vous, Monsieur, l’avez-vous jamais ouï dire ? J’ai vu ici la Chirurgie de Fabricius Aquapendente [26] en français, nouvellement imprimée à Lyon par M. Ravaud. [27] Je vous prie de m’apprendre qui en est le traducteur. [14] Enfin les cardinaux nous ont fait un pape qui se nomme Pamfili, et a voulu être appelé Innocent x[28] Utinam nemini noceat, præsertim Gallis, quibus parum faviturus creditur[15] Je suis bien aise d’avoir vu la feuille des Institutions de Hofmannus, je souhaite de les voir bientôt achevées. Je vous prie de me mander à votre loisir ce qu’en pensez et si vous ne savez rien de l’auteur, ou s’il fait imprimer quelque chose de nouveau, et dans quel temps ce livre présent pourra être achevé d’imprimer et de quelle grosseur il pourra être. J’ai grand dessein de le voir et ai bien envie de le recommander si fort que j’espère d’en faire débiter ici bon nombre. Gesselin, libraire du Pont-Neuf à qui j’en ai donné l’avis, m’a promis qu’il traitera avec M. Huguetan [29] pour en avoir quelque nombre des premiers par le moyen d’un frère qu’il a à Lyon. Il serait bien à propos que plusieurs en eussent afin de le faire connaître ; au contraire du Zacutus [30] qui n’est ici que chez Robert Le Duc, [16][31] qui est un petit garçon capable de faire enrager les marchands, et qui est aussi impertinent en son art que votre Macé, que vous m’avez fort bien dépeint. Si plusieurs en avaient, il s’en ferait un plus grand débit. Je serais bien marri que les Institutions de C. Hofmannus n’allassent tout autrement mieux.

Quelques jours avant l’élection du pape, est mort à Rome, hors du conclave, [32] le bon et sage cardinal Bentivoglio [33] qui méritait mieux d’être pape que la plupart des autres. Il avait fait un livre de Vita sua [17] et des emplois qu’il avait eus durant icelle ; j’aurais grand regret que ce livre ne fût enfin imprimé comme il est en danger d’être perdu. Le pape d’aujourd’hui a eu autrefois un oncle cardinal sous Clément viii [34] qui s’appelait Hieronymus Pamphylius. [35] Celui-ci est un fort habile homme, grand politique, combien que peu savant, mais bien résolu et fort intelligent aux affaires. De malheur pour lui, il est vieux, âgé de 72 ans. Il a fait loger dans son même palais deux siens favoris cardinaux, savoir Pallotta [36] et Panciroli, [18][37] desquels ce dernier est ennemi juré de notre cardinal Mazarin. [38] Ce pape a été autrefois dataire du cardinal Barberin [39][40] in legatione Gallica et Hispanica, puis nonce à Naples [41] et enfin, en Espagne ; à la fin de laquelle nonciature il a été fait cardinal en l’an 1630. Il a bâtards et bâtardes qui sont des marques de son humanité ; aussi est-il d’une Maison qui est descendue d’une bâtarde d’Alexandre vi[19][42] Il a un neveu qui épousera, par accord fait avant son élection, la nièce du cardinal Barberin ; et par ce mariage toute la case barberine prétend se maintenir, [20] malgré la haine qu’on leur porte à Rome et malgré tous les ennemis qu’ils y ont. Deux maréchaux de France sont morts depuis peu, savoir le maréchal de Saint-Luc [43] à Bordeaux et M. de Vitry [44] à six lieues d’ici. [21] Si Dieu vous a donné un fils comme vous avez pu le désirer, vous et mademoiselle votre femme, il nous a donné aussi une fille [45] qui vient de naître, laquelle était summa votorum uxoris meæ : en sororculam quatuor habentem fratres, et quorum unusquisque sororem habet[22]

J’attends de vous et espère que vous me manderez ce qui sera arrivé du procès entre les apothicaires [46] et les jésuites [47] de Lyon. [23] On travaille de deçà contre eux, mais l’impression ne va pas fort vite pour la peur qu’on a du chancelier [48] qui les favorise trop. M. le cardinal Mazarin [49] est malade à Fontainebleau [50] d’une double-tierce. [51] M. de Noyers, [52] vehementissimus et acerrimus fautor gregis loyolotici[24] a eu charge de se retirer de la cour, en laquelle il se fourrait trop avant pour tâcher d’y être employé, et de s’en aller en sa maison des champs où il a tout loisir de planter des choux. [25] Le cardinal Mazarin ne l’aime point, ni les jésuites non plus, qui sont autant de couteaux pendants qu’il a à son service. Il est ici arrivé de Hollande un petit livre nouveau intitulé Religio medici, fait par un Anglais [53] et traduit en latin par quelque Hollandais. C’est un livre tout gentil et curieux, mais fort délicat et tout mystique[26] Vous le recevrez dans le premier paquet ou par la première commodité que je trouverai. M. Le Roy, [54] marchand de Lyon, est ici, je pourrai bien lui bailler en s’en retournant. L’auteur ne manque pas d’esprit, vous y verrez d’étranges et ravissantes pensées. Il n’y a encore guère de livres de cette sorte ; s’il était permis aux savants d’écrire ainsi librement, on nous apprendrait beaucoup de nouveautés ; il n’y eut jamais Gazette qui valût cela ; [55] la subtilité de l’esprit humain se pourrait découvrir par cette voie. Nous attendons tous les jours de Hollande un livre nouveau de M. de Saumaise, [56] intitulé de Cæsarie, touchant une querelle qui est survenue en ce pays-là, s’il est plus séant à un ministre de faire son prêche avec de courts cheveux qu’avec une grande perruque. Au même temps, un professeur nommé Polyander [57] a écrit un autre livre de Coma sur le même sujet. [27] Et de tout cela rien n’est encore arrivé, ils sont en chemin. M. le cardinal Mazarin a enfin fait conclure l’affaire depuis deux mois, qui était sur le bureau il y a plus de quatre ans, savoir de faire revenir M. de Saumaise en France, ce qui lui est accordé sans aucune condition ni restriction. Il viendra demeurer ici moyennant 6 000 livres de pension annuelle qu’on lui donne à prendre sur l’élection de Paris. M. le président de Bailleul, [58] surintendant des finances, est aussi fort de ses amis, ce qui lui aidera fort pour être bien payé. [28]

Ce 11e d’octobre. Le nonce [59][60] du pape est aujourd’hui parti d’ici pour aller à Fontainebleau présenter à Leurs Majestés les lettres du nouveau pape, qu’il leur a écrites de sa main. [29] M. le Mazarin se porte mieux, il n’a plus que de petits ressentiments de sa fièvre. Je vous remercie du bon accueil qu’il vous a plu faire à un jeune homme de Beauvais [61] nommé M. Pol [62] qui venait de Valence [63] où il avait pris ses degrés de médecine ; comme aussi du Divorce céleste [64] que vous lui avez donné et qu’il m’a rendu. [30] Je souhaiterais fort qu’il me vînt quelque occasion pour me pouvoir revancher de tant de courtoisies et de tant d’obligations que je vous ai. Les tailles-douces du Suétone [65] du Louvre [66] ne sont pas encore achevées, il y a neuf mois qu’on y travaille, mais le corps du livre est fait. [31] Le nouveau pape commence à se gaudir du papat : il a donné tous les offices et bénéfices vacants, a fait du bien à tous ses domestiques, mais n’a pas fait encore de cardinaux, dont il a plein pouvoir et dix lieux vacants. [32] Nous avons eu nouvelles comme le duc d’Enghien [67] a pris Trèves [68] et Coblence, qui sont places sur le Rhin, difficiles à garder, mais qui seront bien propres à faire hiverner nos troupes. [33] D’un autre côté, le roi d’Espagne [69] se rend le plus fort dans la Catalogne [70] et reprend petit à petit les places qui l’avaient abandonné. [34] Don Francisco de Melo, [71] qui était chef du Conseil en Flandres, [72] a été remandé ; il a passé par ici, s’en va en Espagne, redditurus rationem suæ villicationis[35] Quelques politiques disent ici qu’il sera, étant arrivé à Madrid, employé pour les affaires du Portugal ; et que, comme il est homme de grande négociation, il sera employé à faire révolter ce royaume, duquel il est natif, par les intelligences qu’il y a. M. Le Roy, marchand de Lyon, m’a fait l’honneur de me venir voir céans et m’a promis de ne point partir d’ici qu’il ne m’en avertisse ; je vous enverrai de mes nouvelles par cette voie. Quand vous prendrez la peine de m’écrire, qui sera tout à votre loisir, s’il vous plaît, je vous prie de me mander dans quel temps vous espérez que seront achevées les Institutions de Caspar Hofmannus et quels autres livres on imprime présentement à Lyon, de médecine. L’Hippocrate de Foesius [73][74] serait bien à propos et fort bon ici, [36] tandis qu’il ne vient rien ou fort peu d’Allemagne. Nos libraires de deçà n’impriment rien que des livres de dévotion et des romans. Le malheureux siècle auquel Dieu nous a réservés, sot, impertinent, profane et superstitieux, ne requiert que ces bagatelles et ne pourrait qu’à peine souffrir quelque chose de meilleur. Toute la cour revient de Fontainebleau. Il n’y a ici de nouvelles, sinon que l’on croit à la mort de l’archevêque de Bordeaux [75] par la nouvelle qui est venue de son grand mal ; si celui-là meurt, ce sera une bonne chape-chute, [37] tant de son archevêché que de trois bonnes abbayes. J’ai vu ici un honnête homme lyonnais, M. Van Schore, [38][76] qui vous connaît bien et qui vous entretiendra quand il retournera à Lyon. Je lui ai dit et lui ai fait connaître que j’étais et comme je serai toute ma vie, de cœur et d’affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 21e d’octobre 1644.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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