L. 214.  >
À Charles Spon,
le 11 janvier 1650

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 11 janvier 1650

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0214

(Consulté le 18/04/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Outre ma grande lettre de quatre pages[1] je vous dirai encore que l’on nous assure ici que la paix de Bordeaux [2] est faite ; que les Bordelais ont accepté la déclaration que la reine [3] leur a envoyée ; qu’ils ont publié la paix et ont donné arrêt pour faire poser les armes bas ; que M. d’Épernon [4] viendra ici et que l’on l’enverra ambassadeur à Rome. Je ne doute point que touchant les conditions de ladite paix, on n’en dise plus qu’il n’en est. [2] J’apprends que depuis peu on a imprimé à Toulouse en petit volume Rerum Gallicarum liber quintus ; [3][5] que l’auteur en est un archidiacre nommé Samblançat, [6] lequel par ci-devant a voulu défendre saint Denis l’Aréopagite [7] contre le P. Sirmond ; [4][8] qu’en ce dernier œuvre, il n’a pas mis son nom ; qu’en l’année 1632, il a décrit l’histoire du procès et de la mort de M. le maréchal de Marillac, [9] où il a rudement sanglé le cardinal de Richelieu [10] et les commissaires qui le condamnèrent à mort. Je viens d’apprendre que ce livre ne se vend qu’en cachette. Je ne sais comment je ferai pour en faire venir un, je vous prie d’y penser et si vous n’y avez pas quelque expédient. Un libraire d’ici m’a promis d’en écrire ; mais il vaut mieux que j’en donne avis à M. de Marillac, [11] maître des requêtes duquel je suis le médecin et le bon ami, afin qu’il en fasse venir. [5] On m’écrit de Flandres que l’Anthropographie de M. Riolan [12] a été vue à Anvers [13] et à Bruxelles, [14] in‑4o, d’une nouvelle impression de Londres. [6][15] Si les libraires continuent de faire ainsi, à la fin ils se mangeront les uns les autres comme font les loups durant la famine ; et néanmoins, à quelque chose malheur est bon, nous en aurons les livres à meilleur marché, aussi bien que le blé pourra ici ramender si la paix de Bordeaux est bien faite. J’apprends qu’on imprime à Lyon l’Histoire de Bresse in‑fo par un nommé Guichenon [16] qui a fait par ci-devant, in‑4o, un livret des évêques de Belley, [17] et que cette histoire sera une belle chose. [7] Nouvelles sont arrivées ici qui réjouissent tous les gens de bien, savoir que ceux de Bordeaux ont accepté et publié la paix, le 5e de ce mois, que la reine leur avait envoyée ; que M. d’Épernon ne rentrera point dans Bordeaux ; que la citadelle de Libourne [18] sera rasée ; que les bourgeois seront les maîtres du château Trompette ; [19] que le roi leur donne quelque somme d’argent à reprendre sur le pays pour quelque dédommagement ; que nombre de députés viendront ici en cour remercier la reine de leur avoir donné la paix, etc.

M. Joly,  conseiller au Châtelet, ayant demandé justice au Parlement qui s’est assemblé pour cela, a aussitôt présenté requête de récusation contre le premier président[20] en tant qu’il est le père de celui qui est soupçonné avoir fait faire cet assassinat. [8][21] Les princes venus au Parlement tous les jours, on a délibéré là-dessus et après plusieurs assemblées, plusieurs brigues et plusieurs fêtes, [9] le premier président l’a gagné et n’a pas été refusé comme en bonne raison il devait être ; ce qui s’est fait par la brigue des princes, du Mazarin [22] et de la reine même, qui ont gagné les uns, intimidé les autres, de peur que si le premier président eût été absent, les frondeurs, qui se sont trouvés au nombre de 70, n’entreprissent quelque chose qui aurait déplu à la cour et au cabinet ; la lâcheté de la plupart des conseillers étant cause de cela, en tant qu’ils ont mieux aimé ne point venir au Palais que de défendre une cause fort raisonnable. Les fêtes étant passées, les assemblées se recommencent. Les deux princes y viennent aussi, mais Gaston [23] en sortit hier de bonne heure sous ombre d’indisposition ; M. le Prince [24] y demeura. Dans les informations qui en ont été faites, MM. le coadjuteur, [25] de Beaufort [26] et de Broussel, [27] conseiller de la Grand’Chambre, y sont en quelque façon chargés ; mais on croit que c’est à tort et que les témoins sont de mauvaise foi, et que ces trois hommes se laveront bien aisément de ces accusations frivoles. [10]

Le duc de Richelieu, [28] âgé de 19 ans, pour faire dépit à Mme la duchesse d’Aiguillon, [29] qui est sa tutrice en tant que sa tante ou sa mère (on ne sait pas bien lequel c’est des deux, néanmoins ce dernier est fort soupçonné), [11] a enlevé une veuve de 32 ans qui le voulait bien, nommée Mme de Pons de Miossens, [12][30] et s’en est allé avec elle au Havre-de-Grâce [31] où il pensait se rendre le plus fort en s’y saisissant de celui qui y fait la charge de lieutenant pour Mme d’Aiguillon, laquelle en a le gouvernement[13] Ce lieutenant l’y a laissé entrer avec sa femme, son frère, l’abbé de Richelieu, [14][32][33] et peu d’autres, mais ils n’y sont pas les plus forts ; joint qu’ils n’y ont point trouvé les huit millions de Mme d’Aiguillon comme ils espéraient. M. le Prince et Mme de Longueville [34] avaient conseillé cette entreprise à ce jeune seigneur, le plus riche parti du royaume, espérant d’obtenir ou de lui escroquer par après ce gouvernement pour le joindre à celui de Normandie que tient M. de Longueville. [35] Cette veuve remariée est fille de Mme du Vigean, [36] laquelle est la meilleure amie de Mme d’Aiguillon. Après le coup fait et qu’ils ont été partis, le prince de Condé est allé voir la mère, lui raconter le fait et lui faire connaître l’obligation qu’elle lui avait d’avoir fait épouser à sa fille un jeune seigneur de 19 ans, le plus riche parti du royaume. Mme du Vigean, qui n’en savait rien, fut fort étonnée et voyant qu’il s’avouait auteur de ce mariage, elle lui chanta force injures, et de lui et de toute sa race. Mme d’Aiguillon en alla dire autant à Mme la Princesse la douairière[37] où ces deux femmes se chantèrent leur belle vie ; [15] et néanmoins le mariage demeure, duquel le prince de Condé s’est mêlé tant pour tâcher d’attraper le gouvernement du Havre-de-Grâce pour son beau-frère, M. de Longueville, que pour faire dépit au Mazarin et l’empêcher de marier sa nièce [38] avec ce jeune seigneur si riche. Ainsi, le prince de Condé entreprend beaucoup et veut faire le maître, voyant le faiblesse de ceux sur qui il entreprend.

La reine, le duc d’Orléans, le prince de Condé, le Mazarin ont conjoint toutes leurs forces et ont employé tout leur crédit afin d’empêcher que le premier président ne fût récusé, [16] d’autant que si cela fut arrivé, les frondeurs eussent remonté sur leur bête et eussent été les maîtres du Parlement ; ce qui eût fait que dès le même jour ils eussent donné arrêt touchant cette affaire dont le prince de Condé fait un capital ; [17] et ayant étouffé cette chicane, eussent donné arrêt d’union pour ceux de Bordeaux et envoyé ajournement personnel à M. Le Tellier, [39] secrétaire d’État, pour venir répondre à la Cour de certaines lettres de cachet [40] qu’il a expédiées depuis peu en faveur de trois hommes qui sont à la veille de se faire faire leur procès. Ce sont les trois témoins que M. le Prince produit et qui déposent en sa faveur contre quelques particuliers ; [18] et entre autres contre M. Des Coutures, trésorier des Bâtiments du roi, [19][41] qui est caché, M. Des Martineaux, [42] homme d’honneur qui est aussi caché ou en fuite, et le marquis de La Boulaye. [20][43] MM. le coadjuteur, de Beaufort et de Broussel y sont aussi enveloppés, mais ils en sortiront plus tôt que les trois autres. La reine a dit de sa propre bouche en soupant (et je le sais d’homme qui lui a entendu dire) que l’on avait fait ce qu’on avait pu vers elle pour la tirer encore un coup de Paris avec le roi [44] et M. le duc d’Anjou, [45] son frère, comme l’on fit l’an passé ; mais qu’elle s’en gardera bien, qu’on ne l’y tient plus, qu’elle sait bien que la faute que l’on lui fit faire l’an passé a coûté au roi son fils plus de cent millions. M. le duc d’Orléans en a dit autant à de ses amis : ils n’ont point d’argent plus clair ni de plus beau revenu que celui que leur fournit Paris par ses entrées depuis un an, [46] et ont mis la campagne en un état de ne leur en guère fournir davantage que l’année qui vient. [21] L’Assemblée du Clergé [47][48] doit ici commencer le 25e de mai prochain. [22] On ne parle plus du Mazarin, il ne fait plus rien qu’à tâcher de se conserver, latet abditus agro Regina[23][49] c’est-à-dire dans le cabinet de la reine. On ne parle plus de la paix d’Espagne, ils sont résolus dorénavant d’attendre la majorité du roi qui sera dans 20 mois, à 13 ans et un jour, selon l’ordonnance de Charles v[50][51] roi de France. [24] Je suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 11e de janvier 1650.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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