L. 250.  >
À Charles Spon,
le 18 novembre 1650

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 18 novembre 1650

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0250

(Consulté le 26/04/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière qui fut du vendredi 4e de novembre à neuf heures du soir, ce qui arriva le plus tôt après, c’est que le lendemain, 5e de novembre à neuf heures du matin, je fus élu doyen de notre Faculté pour deux ans et pour être successeur à M. Piètre [2] qui s’est fort bien acquitté de cette charge, per integrum biennium ; [1] je voudrais bien être assuré de faire à peu près comme lui. Ex illo decanatu, sentio humeris meis impositum grave onus, et durissimam sarcinam[2] Je ferai néanmoins tout ce que je pourrai pour m’en acquitter et ne lairrai point, s’il vous plaît, de m’entretenir quelquefois avec vous per literas animi interpretes ; [3][3] que si je vous écris un peu plus rarement que par ci-devant, dabis hoc occupationibus meis, quas Scholæ nostræ studium adaugebit ; [4] ce ne sera point faute de bonne volonté et je crois que vous n’en doutez point.

Le lundi 7e de novembre, le roi, [4] la reine, [5] le Mazarin [6] et toute la cour arrivèrent à Fontainebleau [7] de leur voyage de Bordeaux. On dit que le Mazarin voudrait bien ne point revenir à Paris, mais aller à Troyes [8] y faire passer l’hiver au roi sous ombre de faire assiéger Rethel [9] et de chasser les Espagnols qui se sont cantonnés dans la Champagne tandis que le Mazarin chicanait Bordeaux [10] en faveur de M. d’Épernon. [11] Même, les Espagnols ont pris aussi Mouzon, [5][12] petite ville près de Sedan [13] qui leur servira de retraite à faire des courses bien avant. Et voilà comment la guerre entretient la guerre : le siège de Bordeaux a ruiné la Champagne ; et à tous ces jeux, il n’y a que le ministre qui y gagne puisqu’il y a trouvé son compte. On a pris trois des voleurs qui attaquèrent le carrosse de M. de Beaufort. [14] Ils ont été mis à la question [15] et ensuite ont été condamnés à être rompus [16] tout vifs à la Grève. [17] Le 15e de novembre, le roi, la reine, et le Mazarin avec eux dans le carrosse du roi, arrivèrent à Paris sur les cinq heures du soir. Le jour d’auparavant, trois des voleurs du carrosse de M. de Beaufort furent roués à la Croix du Trahoir. [6][18][19] Nouvelles sont ici venues que le prince d’Orange, [20] gendre du feu roi d’Angleterre, [21] est mort de la petite vérole [22] en Hollande ; dont la reine d’Angleterre [23] est fort affligée, vu qu’elle avait grande espérance du rétablissement de son fils [24][25] par les armes et le crédit de ce prince. Il est mort sans enfants, mais quelques-uns disent que sa femme est grosse. On dit aussi qu’il y a deux princes de la Maison de Nassau qui briguent la place qu’il tenait, savoir d’être général des armées des Hollandais. [7] Le 15e de novembre, les trois princes [26][27][28] furent enlevés de Marcoussis ; [29] par 800 chevaux et 600 hommes de pied furent emmenés à Versailles [30] où ils couchèrent ; delà à Vernon-sur-Seine puis à Rouen, [8][31] pour être menés dans Le Havre-de-Grâce, [32] dont le Mazarin a eu le gouvernement par la cession que lui en a faite la duchesse d’Aiguillon. [33] Enfin, voilà le prince de Condé dans le lieu même où il envoya, trois semaines avant qu’être arrêté, le jeune duc de Richelieu [34] avec sa nouvelle femme [35] qu’il lui avait conseillé d’épouser. Mme d’Aiguillon n’ayant pu lui ôter sa femme ni la séparer de lui, a eu le crédit vers le Mazarin et la reine de lui faire ôter ce gouvernement, et de plus la charge de général des galères [36] puisqu’étant en Provence, [37] les capitaines de marine n’ont pas voulu recevoir ses commandements, par ordre qu’ils lui ont montré avoir reçu de la cour. [9] Ce pauvre duc de Richelieu, qui n’a point beaucoup d’esprit, éprouve maintenant furens quid fœmina possit ; [10][38] joint que, comme elle est fort riche et la plus pernicieuse de la cour, elle obtient aisément, avec les pistoles que feu son oncle le cardinal de Richelieu [39] a volées à toute la France, ce qu’elle désire du Cabinet de la reine, laquelle n’a guère d’argent. Curia venalis, venalis curia patrum[11][40] voilà le bonheur du temps auquel nous avons été réservés, savoir le gouvernement des prêtres et des Italiens, avec les partisans et leur séquelle.

Votre M. Meyssonnier [41] m’a fait l’honneur de m’écrire par un de vos libraires nommé Duhan [42] et m’a envoyé deux petits livrets de sa façon ; [12] quand vous le verrez, je vous prie de lui faire mes recommandations et de l’assurer que je lui ferai réponse. Voilà que je l’ai faite, je vous prie de la lui faire tenir et de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce vendredi 18e de novembre 1650.

On dit que le Mazarin s’en va lundi matin en Champagne y commander l’armée et faire assiéger Rethel sur les Espagnols. M. de Beaufort est fort en disgrâce. La reine n’est pas bien, elle est fort dolente, toute faible et extrêmement décolorée.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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