L. 368.  >
À Claude II Belin,
le 7 septembre 1654

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 7 septembre 1654

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0368

(Consulté le 20/04/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous dois réponse en bien des façons et multiplici nomine[1] mais particulièrement pour le bon accueil et la bonne chère que vous avez faite à mon fils aîné, [2] dont je vous remercie très humblement.

Pour les médecins de Montpellier, [3] j’en connais deux des trois que vous nommez : M. de Belleval, [4] presque de tout temps ; M. de Soliniac, [5] et de l’avoir ici vu plusieurs fois, et de ce qu’il a fait chez quelques malades. Je vous conseille de ne jurer de rien, il n’y a pas de quoi s’en fâcher entre nous deux. Je sais même ce que m’en a dit M. de Belleval en particulier et en ami. Ce M. de Soliniac est un homme très du commun in arte nostra[2] qui a les deux vices de son pays, qui sont les dames philargyrie et polypharmacie ; [6] du reste, il y en a ici 80 qui le passent centum parasangis[3] quelque dépression qu’en ait faite l’auteur de la Légende[4][7] quel qu’il soit, qui est un libelle purement diffamatoire et qui par conséquent n’est nullement croyable. Je ne sais pas au vrai qui en est l’auteur, mais je vous puis jurer que ce n’est ni moi, ni vous, ni moi non plus que vous : Si natura negat, facit indignatio versum. Qualemcumque opus est irati hominis, et bilem sive rabiem evomentis in Collegas non omnino insontes[5][8] Pour M. de Belleval, je le tiens homme d’honneur, mais qui ne se soucie guère du métier, amplissime etenim dotatus est iis propter quæ studetur[6] Quand il est ici pour ses affaires au Conseil, croyez-moi qu’il ne voit guère de malades ; adde quod, etc.[7] que je vous dirai quand j’irai à Troyes. [9] Pour Courtaud, [10] je le connais d’ailleurs, mais principalement par ses écrits qui ne valent rien, ni en latin, ni en français. Pour ses leçons, je vous avertis qu’il n’en fait point et qu’il n’est point capable d’en faire ni de voir des malades, étant très ignorant et n’ayant jamais su rien apprendre de ce qui est requis à telles fonctions. Si bien que vous voyez par ce que dessus que nous sommes en ce jugement-là de fort différents avis, je ne laisse pourtant pas d’être votre serviteur.

Diversum sentire duos de rebus iisdem
Incolumi licuit semper amicitia
[8]

Pour les apothicaires, [11] quand il faut taxer leurs parties, il devrait plutôt y avoir des médecins que des apothicaires, mais cela dépend des juges et très souvent, M. le lieutenant civil [12] m’y a nommé d’office, moi tout seul, absque ullo Collega[9] pour épargner à tous les deux partis ; d’autant que je rends cet office gratuitement et de bon cœur à l’honneur que je porte au dit seigneur, qui m’en gronde quelquefois et qui s’en moque assez plaisamment quand je lui vais recommander quelque affaire pour quelqu’un de mes amis. Aussi dit-il qu’il ne m’y nommera plus. Pour ce fait de médecins ou d’apothicaires, il n’y a point de règlement ; mais la coutume est ici que ce sont toujours des médecins, ou au moins qu’il y en a toujours, car s’ils étaient seuls (j’entends les apothicaires), ils seraient récusés en tant que juges et parties ; et ordinairement il n’y a que des médecins, et si la partie demande des médecins, on ne lui en refuse jamais, joint que la plupart de nos juges n’aiment guère cette cherté d’apothicaires.

Pour la Légende, j’avoue avec vous que c’est un libelle diffamatoire qui n’a jamais dû être fait, et qui est un ouvrage injurieux et vilain, scriptum in tempore iracundiæ : dignum sane quod tardipedi Deo ustulandum committatur : Annales Volusi, cacata charta[10][13] Ces Messieurs qui ont grand tort et qui sont aujourd’hui honteux de l’avoir fait, [11] au moins plus que les deux tiers, et qui même s’offrent de s’en dédire, devraient être réfutés par raison et non point par injures de tripière, etc. Ils ont signé que l’antimoine [14] est bon en plusieurs maux pourvu qu’il soit bien préparé et bien donné à propos. Il en est de même de tous les remèdes et des poisons mêmes : on donne quelquefois de l’opium [15] par nécessité, combien qu’il soit infailliblement poison, mais c’est que nous n’avons pas meilleur ni plus certain narcotique ; mais nous avons bien d’autres et de meilleurs purgatifs [16] que l’antimoine ; en conséquence de leur dire, je pourrais jurer que tous les plus dangereux poisons sont bons et utiles remèdes pourvu qu’ils soient bien préparés et bien donnés, et même le sang d’aspic, [12][17] le sublimé, [18] etc. ; mais c’est le point de les bien préparer et bien donner, ce qu’ils n’ont encore pu faire avec leur antimoine, qui est si fort décrié de deçà par les morts qu’il a causées qu’ils n’osent plus en proposer dans les familles. Et en attendant, ils ont accusé l’impudence et l’ignorance des barbiers [19] de village de toute la France et même des villes, aussi bien que des apothicaires et des gardes, [13] qui en ont fortement abusé et en abusent encore tous les jours au grand détriment du public. Je vous en fais juge vous-même et in verbo tuo vel sto, vel cado[14]

Pour les autres médecins de Montpellier qui se sont rendus illustres par leurs écrits, ôtez Rondelet [20] et Joubert, [21] quorum est admodum mediocris gloria et qui dumtaxat fuerunt proletarii scriptores[15] desquels mêmes j’aurais bien des choses à dire, je n’en connais aucun autre si vous ne me les indiquez. Laurentius enim est potius noster quam Monspeliensis[16][22] Il avait étudié sept ans à Paris sous L. Duret, [23] était docteur d’Avignon [24] pratiquant à Carcassonne, [25] et delà mené à la cour par Mme la duchesse d’Uzès, [17][26] laquelle lui fit donner par le bon roi Henri iii [27] une place de professeur vacante à Montpellier, à quoi le roi n’avait jamais auparavant pourvu. Aussi eut-il bien de la peine d’être reçu à Montpellier et lui fallut avoir des arrêts tant du Conseil privé [28] que du Grand Conseil ; nonobstant lesquels, ils le menèrent à Toulouse [29] où il fut enfin reçu par le crédit de M. le premier président Duranti [30] et par le moyen de la composition qu’il fit avec eux. [18] Depuis, il fit fortune, laquelle ne dura guère. Pour Joubert, tout ce que nous avons de lui n’est qu’un recueil des leçons qu’il a faites en qualité de professeur et qui n’ont jamais été imprimées qu’une fois. J’en dis autant de la pratique de Rondelet ; pour son Histoire des poissons, le président de Thou [31] dit qu’il n’en est pas l’auteur, mais bien un très savant évêque de Montpellier du temps de Henri ii[32] nommé Guillaume Pellicier [33] qui depuis se fit huguenot [34] comme était Rondelet, et depuis vendit son évêché et se fit athée. [19][35] Tout le reste des écrits des professeurs de Montpellier sont un galimatias de leçons pédantesques, principalement celles de Rivière, [36] dans lesquelles il y a bien de la charlatanerie, c’est un puant marais d’ignorance et d’impostures de l’art. Unum excipio Varandeum, laude sua dignum ; [20][37] mais quelle comparaison y a-t-il de tous ces gens-là à Fernel, [38] Sylvius, [39] < Louis > Duret, Houllier, [40] Tagault, [41] les deux Piètre, [42][43] à Jean Duret, [44] aux deux Jean Martin, [45][46] à Gourmelen, [47] à Baillou, [48] à Gorræus le père, [21][49] que feu M. de Bourbon [50] disait avoir été aussi savant en grec que Galien [51] même, aux deux Riolan, [52][53] à un Guillaume Du Val, [54] à feu M. de La Vigne, [55] qui ont été des prodiges de savoir par leur polymathie et des hommes incomparables dans la pratique. [22] J’en pourrais nommer cent autres qui sont morts et qui méritent des éloges entiers en leur particulier, sans toucher à ceux qui vivent aujourd’hui, dont le nombre est toujours grand, et de gens pleins de mérite singulier, sans que l’antimoine y puisse apporter aucun ombrage, etc. Je vous remercie de la peine qu’avez eue d’envoyer au-devant de mon fils, ni lui, ni moi ne méritons pas cet honneur ; et vous remercie pareillement de l’honneur que m’avez fait en le recevant si bien et lui faisant si bonne chère. Je pense qu’il est encore à Anglure [56] avec son maître des requêtes[23] je lui permets de continuer son voyage jusqu’à Châlons [57] afin qu’il ait vu la Champagne. Ce sont ses vacances, après cela il fera retraite, durant laquelle j’espère qu’il étudiera sérieusement.

Le roi [58] est ici. Le Te Deum [59] a été chanté à Notre-Dame [60] samedi dernier en présence du roi, de la reine, [61] du cardinal Mazarin [62] et de bien du peuple. Le cardinal de Retz [63] s’est sauvé dans un vaisseau de Hambourg [64] pour delà se sauver avec plus d’assurance per mediam Germaniam[24] et delà gagner l’Italie. On dit que notre armée s’en va faire un nouveau siège, mais on ne sait pas encore quelle ville ce sera, on parle de Landrecies [65] ou d’Armentières. [25][66] Le prince de Condé [67] est à Valenciennes [68] avec 16 000 hommes, fort loué des Flamands d’avoir bien fait à la levée du siège d’Arras, [69] et les Espagnols fort haïs d’avoir pris la fuite et entre autres, l’Archiduc Léopold [70] et Fuensaldagne. [71] On dit que le roi ne fera plus de voyage de cet an et qu’il ne bougera d’ici. Nihil novi ex Anglia[26] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce 7e de septembre 1654.

On s’en va enterrer le bonhomme M. de Broussel, [72] conseiller de la Grand’Chambre, pour qui on fit les barricades [73] l’an 1648. Le roi a exilé quelques chanoines, deux grands vicaires de l’archevêché et deux curés, savoir de Saint-Jean [74][75] et de Saint-Médéric ; [76][77] on en menace encore d’autres. O tempora ! o mores ! [27] mais patience.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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