L. 386.  >
À Charles Spon,
le 22 décembre 1654

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 22 décembre 1654

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0386

(Consulté le 28/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous écrivis ma dernière le vendredi 18e de décembre, [1] laquelle je donnai à mon hôte M. Moreau, [2] avec ordre de vous la faire rendre en main propre par M. Hubet [3] marchand de Lyon, comme aussi l’argent qu’avez donné à M. Huguetan pour mon ballot, savoir 11 livressolsdeniers, en vertu d’un petit billet écrit de ma main.

Ce samedi 19e de décembre[2] Je viens de visiter notre bonhomme M. Riolan [4][5] que j’ai trouvé assis près de son feu. Nous avons devisé ensemble près d’une heure, il m’a dit que M. Guillemeau [6] le visita hier au soir, et qui lui dit qu’il faisait imprimer une deuxième réponse au libelle dernier de Courtaud [7] intitulé Lenonis Guillemei, fuste et poste sublimis Apotheosis, etc. ; [3][8] que quelque chose que l’on fasse contre lui à Montpellier, il y répondra toujours ; qu’il a traduit en français son Cani miuro fustis[4] et qu’il le fera par ci-après imprimer et en enverra divers paquets à Montpellier à fin de faire du dépit à un homme qui l’a si maltraité sans que jamais il lui en ait donné occasion ; duquel il n’a presque point entendu parler depuis près de 40 ans qu’il est retourné à Montpellier, et avec lequel il n’a eu nul commerce en aucune façon. En suite de ces deux livres, il a dessein de faire imprimer in‑4o un livre latin, par chapitres contre l’antimoine, [9] De venenata Stibii natura[5] où il parlera bien hardiment contre ceux qui en donnent et qui manifestement en abusent. Il soupçonne que Courtaud n’est pas si fort son ennemi, mais qu’il permet d’être haré contre lui par ces bourreaux antimoniaux de deçà qui lui envoient de très mauvais mémoires. [6] En ce cas-là et his positis[7] il me semble que vous auriez bonne grâce d’avertir (si vous le jugez ainsi à propos avec moi) ledit sieur Courtaud qu’il prenne dorénavant garde à ce qu’il prétend faire ; que quoi qu’il écrive à l’avenir, au moins qu’il prenne garde à ce qu’il dira du fait et qu’il examine mieux les mémoires qui lui seront envoyés de deçà par les ennemis cachés de M. Guillemeau, lesquels il connaît bien, quelque bonne mine qu’ils lui fassent. Voilà mon avis, jugez-en vous-même et faites ce qu’il vous plaira. Ut ut sit, ce sieur Courtaud excitavit et irritavit crabronem ; [8][10][11] M. Guillemeau est habile et savant homme, riche et courageux, qui a grand crédit, beaucoup de bien et beaucoup d’amis, et qui même a les mains bien longues et peut nuire à M. Courtaud jusque dans Montpellier. Ce n’est point l’intérêt que je prends en cette querelle qui me fait ainsi parler, je n’y en prétends nul. Soit qu’il me dise des injures ou non, je suis au-dessus de toutes ces médisances, on me connaît bien de deçà, lui-même n’en a pas si mauvaise opinion (comme il paraît par ses lettres dont vous m’avez communiqué la lecture) ; [9] soit que ce bon avis lui vienne de vous, comme je me le veux bien persuader ; soit aussi de quelques-uns de mes amis qui lui ont parlé de moi, ou de quelques-uns de mes écoliers qui sont allés à Montpellier y prendre leurs degrés ; même M. Pecquet [12] m’en a parlé de la sorte. Je vous dirai en un mot sans parler de moi davantage : il ne fait pas bon être ennemi d’un tel homme, fougueux, colère et violent, et qui a de quoi répondre et faire mauvais parti à ses ennemis ; et surtout, qu’il reconnaisse que, n’ayant eu par ci-devant rien à démêler avec lui, il se rend instrument de la colère d’autrui et minister alienæ libidinis[10][13] Au nom caché de tel ou de tel, il chante injure à un honnête homme qui a assez de crédit pour lui en causer du repentir. Qu’il laisse vider les querelles à ceux qui les ont faites sans s’en mêler du tout à l’avenir, et il fera fort bien.

Ce dimanche 20e de décembre, à six heures du soir. Je viens tout présentement de chez M. Gassendi [14] que j’ai trouvé dans une chaise auprès du feu, sain et gaillard, Dieu merci, sans fièvre et sans douleur. Il ne tousse presque point, qui est néanmoins un symptôme qui lui est fort familier à cause de son mauvais poumon, mais il expectore fort aisément, ac educit a bronchiis pulmonum viscida multa et glutinosa, quæ si diutius illic subsisterent ac supprimerentur, rationem haberent carbonis desolatorii[11] qui brûlerait le poumon de cet incomparable philosophe. Je suis ravi de sa guérison car il me semble être le meilleur homme du monde. J’ai trouvé là-dedans un jeune homme provençal nommé M. Du Périer, [15] lequel m’a récité quelques vers latins d’un poème qu’il a fait sur la maladie de M. Gassendi ; dès qu’il sera achevé, il le fera imprimer et nous en donnera. [12] M. Gassendi s’est remis au lit en ma présence, mais en fort bon état. Il commencera demain à user d’aliments un peu plus solides, i. à sucer d’un peu de volaille de son pot à dîner[16] Il n’a plus besoin d’être saigné, il l’a été sept fois en tout ; il a été assez purgé[17] nec ullo cathartico indiget[13][18][19] Si bien que, Dieu merci, le voilà garanti et délivré d’une funeste maladie sans antimoine, ex quo tam multi perierunt hactenus, pessimo suo fato ; [14] mais ce poison est encore ici décrié plus que jamais par le scandale qu’il a reçu en la mort de Guérin, [20] gendre de Guénault [21] qui, pensant gagner davantage en se donnant du renom dans les familles ex præconio pharmacopœorum quorum est infame mancipium[15] s’est lui-même fort décrié et mis en exécration de tous les gens de bien. Le livre nouveau de M. Perreau, [22] contre ce prétendu Triomphant du Gazetier [23][24] (qui n’est qu’un malheureux poison) se débite ici heureusement et avec applaudissement de plusieurs, [16] ayant par ci-devant fait porter le deuil dans tant de familles qu’il en a perdu son crédit, ex quo amisit gratiam novitatis ; [17] outre qu’il y a encore dans notre Faculté plus de 60 docteurs craignant Dieu, viri boni et eruditi[18] qui empêcheront que dorénavant on ne l’emploie et qu’il ne revienne en crédit.

Je viens de recevoir lettre de M. Le Bon, [25] médecin de Valence, [26] par laquelle j’apprends la mort d’un de mes bons amis, feu M. Froment, [27] le bonhomme, que j’avais ici connu et gouverné plusieurs années. [19] Je pense que vous vous en souvenez, il était docteur en droit en l’Université de Valence, fort honnête et fort savant homme. J’en ai sérieusement grand regret, combien qu’il fût fort vieux et merveilleusement tourmenté d’une méchante goutte, [28] très bilieuse [29] et presque atrabilaire. [30] Eius manibus bene precor, cum fuerit optimus[20]

Il a aussi couru un bruit de deçà de la mort de M. Des François, [21][31] notre collègue, qui demeure au Puy-en-Velay après avoir eu une bonne succession de son frère, [32] plus jeune que lui, qui était un riche bénéficier : pinguis est caro Christi[22] Vous nous en manderez quelques nouvelles si vous en savez.

Le bruit était venu de la mort de M. le maréchal de Schomberg [33] à Metz, [34] mais d’autant qu’il n’a pas été confirmé par les lettres suivantes, on le tient faux. [23]

Ce lundi 21e de décembre. M. Gassendi est debout, en bonne santé, Dieu merci. M. de Montmor, [35] son hôte, lui a offert en ma présence de l’essence d’ambre gris [36] pour lui fortifier son estomac. [24] Je lui ai fait signe qu’il n’en usât point, ce qu’il fera : ces essences sont le plus souvent trop chaudes ; il est en un état qu’il n’a besoin d’aucuns remèdes altératifs ni purgatifs, [37] solis indiget alimentis et somno, quæ sunt optima et proprie dicta cardiaca[25]

Je me recommande à vos bonnes grâces, et M. Du Prat [38] aussi, lequel je viens de rencontrer, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 22e de décembre 1654.

Je viens tout présentement de chez M. Gassendi, il est debout et gaillard, et se porte aussi bien que moi. Je lui ai dit que j’avais une lettre faite pour vous, qu’il n’y avait plus qu’à y ajouter sa parfaite santé. Il m’a prié de vous saluer de sa part et de vous assurer qu’il est votre très humble serviteur. [39] Je vous supplie de me faire acheter à Genève le livre nommé L’Alcoran des cordeliers [40][41][42] de la meilleure impression qui se pourra trouver, je vous en rendrai le prix. [26][43][44] On dit que M. de Guise [45] est arrivé à Marseille [46] dans une chaloupe, il est bienheureux de n’être point tombé entre les mains des Espagnols, qui l’auraient infailliblement maltraité. Je vous recommande les deux lettres incluses. Vale et me ama[27]

Je vous dis adieu pour cet an et vous souhaite le prochain tout plein de prospérités, et à mademoiselle votre femme. Vale.

Ce mardi 22e de décembre 1654, à six heures du soir.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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