L. 417.  >
À Charles Spon,
le 28 septembre 1655

Codes couleur
Citer cette lettre
Imprimer cette lettre
Imprimer cette lettre avec ses notes

×
  [1] [2] Appel de note
  [a] [b] Sources de la lettre
  [1] [2] Entrée d'index
  Gouverneur Entrée de glossaire
×
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 28 septembre 1655

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0417

(Consulté le 29/03/2024)

 

Monsieur mon bon ami, [a][1]

Je délivrai le mardi 21e de septembre à M. du Guebi, marchand de Lyon, lequel partit ce même jour, un livre pour vous de notre bonhomme M. Riolan [2] contra Pecquetum et Pecquetianos[1][3] J’en enverrai un de ces jours à Lyon un petit paquet que je vous adresserai pour Messieurs vos collègues, nos bons amis, où il y aura encore quelque autre chose pour vous. Ce même jour, 21e de septembre, je vous envoyai une lettre de quatre grandes pages qui est un pot-pourri de toute sorte de nouvelles, lanx satura[2] Depuis ce temps-là, nous apprenons ici que le duc de Mantoue [4] s’en retourne en Italie sans que personne sache au vrai ce qu’il y était venu faire ; savoir s’il a vendu les trois duchés qu’il a en France, s’il a vendu au roi Casal [5] et le Montferrat, et s’il s’est mis, comme l’on dit, dans la protection du roi ou autrement. Omnia sunt dubia, Elias veniet qui revelabit[3][6][7] c’est-à-dire le temps qui apprend tout. Je voudrais bien ne vous être pas importun, mais ma curiosité m’en empêche, voire même me pousse à vous prier à m’acheter à Lyon, s’ils s’y trouvent car je ne sais où ils ont été imprimés (mais au moins ils l’ont été et j’en suis très assuré, ut mihi constat ex quodam Nomenclatore propria authoris manu scripto quem habeo ante oculos), [4] les livres suivants du P. Théophile Raynaud : [8] De Agno Dei, in‑8o ; Christus geminæ gigas substantiæ, in‑fo ; Titulus conceptionis immaculatæ immaculatus, sub nomine Amedæi Salyi, in‑8o ; De bono regimine humano, in‑8o ; Iudæ posteri Apostatæ a religiosis ordinibus, in‑4o ; Epi[phanii] Paulus 2 cum tractatu de apparitionibus sacramentalibus, in‑8o ; [9] S. Ioannes Benedictus [Pastor] et Pontifex, in‑8o ; [10] Raymundus Iordanus totus, cum Notis, in‑4o[5][11] J’espère que les libraires [qui ont] coutume d’imprimer pour lui vous en pourront fournir ou vous en donner quelques nou[velles] ; mais surtout, je vous supplie de me faire avoir s’il y a moyen celui qui a pour ti[tre] Iudæ posteri Apostatæ a religiosis ordinibus, in‑4o. Peut-être que M. Huguetan en a[ura.] Je vous demande très humblement pardon de tant de peines que je vous donne.

Ce 24e de septembre. M. Gassendi [12] se porte un peu mieux ; mais ce n’est de guérir, ce n’est qu’un répit, il a plus de facilité en son mal à cause d’un flux d’urine qui lui est survenu en une nuit et qui l’a un peu déchargé ; mais tout le soulagement qu’il a n’est pas pour longtemps. Nous le purgeons [13] [par inter]valles et dum vires sinunt, ad fata proferanda et proroganda[6] Le bonhomme, quelque […] ne laisse pas toujours d’espérer, quelque mal que nous lui ayons fait ; tantus […] m’a dit qu’il avait fait une disposition testamentaire pour ses œuvres à imprimer, […] plût à Dieu qu’il en pût voir l’exécution lui-même. On parle de le mettre au lai[t d’ânesse, [14] auquel] il n’a pu s’accommoder autrefois, à ce qu’il m’a dit, et qu’il lui avait donné la [fièvre. Il y a] deux ans passés que je lui proposai et qu’il me le refusa. Il m’en fit encore [reproche lors] de sa dernière grande maladie, il y a tantôt un an. Je lui en parlai encore […], il ne peut goûter ce remède, il dit que ce lait est son ennemi, que c’est […] impur et mal nourri, qu’il prendra du lait de vache si je veux, sed absit[7] […] vrai, quelque bon que pût être le lait d’ânesse, son excellence ne parviend[ra à combler] les brèches de la santé de ce grand personnage. J’ai bien peur que ce qu’il en [adviendra n’est] pas bien loin et que le premier froid n’emporte tout, summo nostro dolore et [maximo] [rei]publicæ literaris incommodo[8] Voilà qu’on nous apprend que le siège de Pavie [15] [est levé : [9] voilà] les prouesses du prince Thomas ; [16] cet homme est bon à faire tuer de pauvres [huguenots [17] innocents], [10][18] mais il ne saurait faire une bonne exécution sur le roi d’Espagne [19] son cousin[ ; voilà nos] capitaines et nos soldats récompensés de la charité et de toutes les autres bo[nnes œuvres qu’ils] ont prêtées à leurs hôtes durant le quartier d’hiver, tant en Bresse qu’[en Dauphiné !] Je voudrais que tous ces bourreaux fussent abîmés et que la terre en eû[t englouti le der]nier, les princes et les favoris iraient eux-mêmes faire la guerre ; ainsi les [armées ne seraient] guère grandes, les pauvres gens de la campagne ne seraient pas foulés de leur retrai[te. [11] La peste] [20] continue toujours bien fort en Hollande. On attend les nouvelles de Pologne, [de ce qu’y] peuvent avoir fait le roi de Suède [21] et le grand-duc de Moscovie. [22][23][24]

Ce 25e de septembre. Mais Dieu soit loué, voilà votre belle et agréable lettre du mardi 21e de septembre qui vient de m’être rendue, pro qua singulares ago gratias[12] J’attendrai en bonne dévotion votre Hollandais, médecin de Padoue. [25] Dieu veuille bien conduire M. Müller, [26] c’est un honnête jeune homme. Pour M. Devenet, [27] je ne pense pas que l’on puisse faire une bonne apologie pour ce coquin de Van Helmont, [28] mais les imprimeurs [29] enragent de nouveautés, qui est une marchandise dont le peuple raffole. De quoi s’avise ce médecin d’Aix, [30][31] de faire des apologies d’un tel sujet ? Il faut que cet homme ait bien du loisir. [13]

Je n’ai point hâte du Sennertus [32] non plus que du Theatrum vitæ humanæ[33] ceux-là viendront quand il plaira à Dieu ; mais je ne puis dire la même chose du Matthiæ Martinii Lexicum etymologicum[34] duquel je me servirais très heureusement et très volontiers si je l’avais ; mais néanmoins, quelque besoin et quelque envie que j’en aie, je suis résolu d’attendre que ces Messieurs se mettent en état d’exécuter leur bonne volonté, je tâcherai d’employer mon temps et de faire autre chose en attendant. [14]

Ce 26e de septembre. M. Gassendi vivit et spirat, sed non sine difficultate : Tantæ molis erat imbecillam partem pene confectam reparare[15][35] J’ai très peur pour lui dès le premier froid qui viendra le mois prochain : frigus enim, ut ex Tullio nosti, extenuatis corporibus, et ex Hippocrate, pulmonibus est inimicissimum[16][36][37]

Je souhaite très fort que les députés de Cromwell [38] tirent bonne raison de la duchesse de Savoie [39] pour le massacre qu’elle a fait faire de ces pauvres huguenots des vallées de Savoie. [10] [40] En voilà déjà le prince Thomas puni.

Je ne sais qui est celui qu’entend M. Le Noble [41] page 22, je le demanderai à M. Riolan et vous le manderai. [17]

Le cardinal Mazarin [42] est à La Fère, [43] pour faire passer un convoi dans la Flandre [44] à nos villes de nouvelle conquête ; mais l’on dit que ce convoi est arrêté et que l’on n’ose entreprendre de le faire passer à cause que le prince de Condé [45] est là auprès, sur le bord d’une rivière, avec 10 000 chevaux qui empêchent nos gens de passer outre. Voilà des nouvelles de mauvais présage et qui nous menacent de ne pas garder longtemps nos conquêtes en pays étranger.

On persécute ici de bénéfices saisis et impétrables le curé de la Madeleine [46] nommé Chassebras, [18][47] docteur en Sorbonne, [48] pour avoir eu la hardiesse de faire afficher par les carrefours un monitoire [49] en faveur du cardinal de Retz [50] et n’avoir pas voulu aller à la cour où il avait été mandé, où on lui voulait défendre de se mêler en aucune façon des affaires du dit cardinal, ni comme particulier, ni comme archiprêtre.

M. Gassendi est un peu mieux et n’a presque plus de fièvre. Il expectore un peu plus aisément, et même il lui est survenu un petit flux de ventre [51] qui le soulage de quelque chose ; si bien que j’ai aujourd’hui plus d’espérance de lui que je n’en ai encore eu depuis un mois entier.

Notre ambassadeur [52] a eu grosse querelle à Rome contre le cardinal de Retz pour la solennisation de la fête de saint Louis. [19] L’armée des Anglais est revenue de l’Amérique [53] en assez mauvais ordre, ils se vont raccommoder pour y retourner l’an prochain. Le roi [54] et la reine [55] sont à Fontainebleau. [56] La peste continue en Hollande où l’on a de nouveau imprimé un livre intitulé Georgii Hornii Dissertationes historicæ et politicæ[20][57] dans lequel il y a un chapitre entier de Seianismo[58][59] où il est fort parlé du marquis d’Ancre, [60] de Buckingham, [61] du cardinal de Granvelle, [62] et autres sangsues du peuple. [21] C’est M. l’abbé Margotin [63] qui ne me l’a que montré et qui m’a dit que l’on n’en osait faire venir, de peur qu’ils ne fussent saisis à cause que ce livre était fort contre le Mazarin. [22] J’espère pourtant qu’à la fin nous n’en manquerons point.

Ce 28e de septembre. J’apprends de bonne part que M. Bouvard, âgé de 83 ans, fait imprimer un livre en latin in‑4o touchant la réformation de la médecine, [64] qu’il dédie et adresse à Messieurs les Gens du roi du Parlement de Paris, auxquels il demande justice de tant d’abus qui se trouvent aujourd’hui en notre métier. [23] On m’a rapporté qu’il en veut particulièrement contre les apothicaires, les chirurgiens [65] et les sages-femmes [66] qu’il appelle sagas[24] qu’il n’en fait tirer que 200 et que tout l’ouvrage étant achevé, s’il ne lui plaît fort, il le supprimera ; sinon, en ayant pris avis de ses amis, il le corrigera et l’augmentera, et puis après le fera réimprimer afin de le donner tout de bon au public. Il est plus d’à moitié imprimé et < on > espère que ce sera fait à la Toussaint. Nous avons ici deux de nos pauvres collègues bien malades, savoir M. Allain [67] et M. Chasles. [25][68] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 28e de septembre 1655, à six heures du soir.

Tout est si peu assuré au fait de M. Gassendi que je viens tout présentement de lui ordonner une petite saignée de cinq onces de sang si la nuit prochaine il est tourmenté de son étouffement, [69] comme il l’a été la semaine passée ; alias enim suffocaretur, et vivere desineret, vir optimus, […] longiore vita, imo æternitate si fas esset, et per naturam homini liceret, dignissimus. Vale […] [26]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.
Une réalisation
de la BIU Santé