L. 433.  >
À Charles Spon,
le 22 février 1656

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 22 février 1656

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(Consulté le 28/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière, laquelle fut du 21e de janvier, je vous dirai que le duc de Modène [2] est parti d’ici le lundi 24e de janvier avec force pistoles pour s’en aller être notre lieutenant général en Italie. Les assemblées contre M. Arnauld [3] en Sorbonne [4] se continuent toujours, même en présence de M. le chancelier[5] touchant la question de droit, c’est-à-dire touchant la doctrine de M. Jansenius, [6] évêque d’Ypres, [7] sur la grâce suffisante ; [1][8] mais on leur ôte la liberté de parler et l’on y apporte telle violence que la plupart des jansénistes [9] se retirent, quelque chose qui en puisse arriver. Voilà comment les gens de bien sont ici traités par les puissances quæ cælum hauserunt Aventinum, et quæ favent Loyoliticæ phalangi ; [2][10] et même, M. Arnauld leur a fait signifier une opposition par deux notaires s’opposant à tout ce qu’ils pourront faire contre lui à l’avenir, prenant ce chemin pour se garantir de tant de violences que la théologie scolastique [11] et la malice du siècle leur suggèrent. [3] Le nouvel édit de la monnaie fait ici bien du bruit, [4][12] Messieurs du Parlement se sont assemblés, où il y en a eu quelques-uns qui ont parlé bien haut et qui sont fort contre cet édit ; à cause de quoi la cour a envoyé commandement à cinq de nos conseillers de se retirer en divers lieux qui leur ont été assignés. Ce sont MM. Gaudart de Petit-Marais, [13] de Pontcarré, [14] de Villemontée, [15] de Machault, [16] et Le Cocq de Corbeville [17] qui est un fort honnête homme et bon juge ; tous les autres ont pareillement bonne réputation. [5] Aussi est-ce une certaine et bonne marque de leur vertu d’être exilés en de telles occasions. Dieu soit loué de ce qu’il y a encore d’honnêtes gens au monde et quelques restes de vertu généreuse.

M. le maréchal d’Estrées [18] avait un secrétaire ou intendant de sa maison nommé Quillet, [19] natif de Chinon, [20] pays de Rabelais. [21] Il a autrefois été médecin, puis a voyagé en Italie et en Allemagne. Il fit imprimer en Hollande il y a un an et plus un petit in‑4o de 56 pages en vers latins intitulé Calvidii Leti Callipædia, seu de pulchræ prolis habendæ ratione, Poema didacticon ad humanam speciem belle conservandam apprime utile. Lugd. Bat. Venent Parisiis apud Thomam Ioli, 1655[6] Il y a dans ce poème, plusieurs vers qui offensent l’Éminence du Mazarin, [22] en tant que cardinal, étranger, ministre d’État, etc. On l’a cherché pour le mettre prisonnier, mais il s’est infiniment et heureusement sauvé. Même le Mazarin a fait courir après lui, mais on ne l’a su attraper et je crois qu’il fera bien de ne se pas laisser prendre ; on dit qu’il s’est sauvé en Hollande. Ce M. Quillet est un gros garçon rougeaud à col court d’environ 54 ans. Je l’ai souvent entretenu, il était fort ami de M. Gassendi, [23] il a bon esprit et est fort savant ; sed non satis prudenter sibi cavit, neque satis tuto prospexit suæ securitati[7][24][25][26]

N’en déplaise aux docteurs, cordeliers, jacobins,
Pardieu les plus grands clercs ne sont pas les plus fins.

Enfin le prince Thomas [27] est mort à Turin ; [28] même après avoir pris de l’antimoine, [29] dont le Gazetier [30] s’est vanté, mais un peu trop tôt. [8] Nous avons ici M. le chancelier malade, il fut hier saigné deux fois ; [31] on dit qu’il n’en mourra pas. M. de Chevreuse [32] est aussi fort malade. La charge de grand maître de la Maison du roi, laquelle avait été donnée au prince Thomas, a été rendue au prince de Conti [33] comme appartenant au prince de Condé, [34] son frère aîné. [9] On dit que dorénavant M. de Nemours [35] n’épousera point Mlle de Longueville ; [36] mais que la princesse de Carignan, [37] qui est sa tante, lui veut donner son fils aîné [38][39] en mariage ; ils sont cousins germains, enfants des deux sœurs, mais il n’importe, ils en auront une dispense à Rome moyennant 2 000 écus[10] On dit ici que le roi de Suède [40] est menacé d’une forte armée du petit Tartare, [41] lequel vient pour le roi de Pologne ; [42] et en cas que le roi de Suède soit battu et obligé de repasser en Suède, que l’armée de l’empereur, [43] qu’il a apprêtée contre ce roi de Suède, viendra contre nous en Flandres [44] et en Italie ; voilà de terribles affaires si ce revers de fortune arrive au roi de Suède. [45] Les jansénistes [46] sont malheureusement et iniquement traités en Sorbonne, ce que j’impute à l’injustice du siècle et à l’impunité qui règne, et même aussi à l’autorité trop grande des loyolites qui sont leurs ennemis très puissants.

M. de Champigny, [47] l’intendant de votre province, se mêle, à ce que j’apprends, de trouver à Lyon un imprimeur [48] qui entreprenne les œuvres de feu M. Gassendi. [49] M. de Montmor, [50] le maître des requêtes, m’a dit que l’on avait proposé les conditions du marché à M. Anisson [51] après que l’on a vu que le fardeau était trop lourd pour les épaules et les moyens de M. Barbier ; [52] mais d’ailleurs, j’apprends aussi que les articles que M. de Montmor a envoyés d’ici à Lyon sont bien rudes, et ne pense pas que personne les entreprenne à ce prix-là ni à Lyon, ni à Paris. [11]

Ce 3e de février. Et pour réponse à la vôtre que j’ai reçue ce matin, datée du 28e de janvier, vous dirai que je vous ferai tenir la relation que M. Garnier [53] m’a envoyée touchant l’anévrisme [54] de votre épicier [55] M. Yon. [56] Que voudriez-vous que je pusse dire là-dessus puisque vous-même vous avouez qu’elle est pleine de faussetés ? Je vous dirai seulement que depuis 15 jours est morte en cette ville une marchande tourangelle, femme de M. Cadeau, [57] marchand de soie, laquelle a langui plus de deux ans avec un grand pouls fort intermittent. Tandem periit multis oppressa symptomatis[12] elle avait perdu tous les sens plus de trois mois avant que de mourir. On lui a trouvé un abcès dans la tête et une dilatation tout extraordinaire de la veine artérieuse au cœur. [58] Je ne l’ai point vue et n’en sais que cela ; même je n’en fais point grand état quia rara non sunt artis et vix conferunt ad bene medendum[13][59][60][61] Si le pouls a été intermittent et inégal in omni genere inæqualitatis[14] je suppose qu’infailliblement il y a eu de la boue quelque part, iuxta cor et in lævibus arteriis pulmonis ; [15][62] mais pour découvrir cela par la dissection, il fallait un bon médecin présent, qui sût bien l’anatomie, et non point des barbiers [63] ignorants, bavards et babillards tels qu’ils sont la plupart. [64]

Je suis bien aise que le livre de M. Perreau [65] ait votre approbation. [16] J’apprends que le Gazetier Eusèbe Renaudot n’a point le dessein de lui faire réponse, je pense qu’il n’oserait l’entreprendre. On dit ici que les jansénistes seront condamnés en Sorbonne à cause de la pluralité des moines, ce qui est l’effet de la violence avec laquelle on les a traités aux assemblées de Sorbonne jusqu’à présent. M. Arnauld est un petit homme noir et laid, né à Paris, fils d’un savant avocat [66] qui a autrefois plaidé vigoureusement contre les jésuites, [67] Inde iræ et lacrymæ[17][68] Il est docteur de Sorbonne et icelui très savant, [18] âgé d’environ 46 ans, socius Sorbonicus [19] et un des beaux esprits qui soient aujourd’hui dans le monde. Il est parlé de son père dans le président de Thou, [69] environ l’an 1594. [20] Il est auteur du livre De la fréquente Communion[70] les jésuites le craignent comme le feu à cause qu’il est bien plus savant qu’eux.

Le ballot de livres que me destinent MM. Huguetan et Ravaud viendra quand il plaira à Dieu et à un meilleur temps. Le traité de Théophraste [71] de Causis plantarum, grec et latin, ne se trouve point à part, mais toutes ses œuvres ensemble, impression de Hollande, interprete Dan. Heinsio, in‑fo ; [21][72] je vous en chercherai un si vous le désirez. Mais vous ne me dites point quand le Sennertus [73] en deux tomes sera achevé ? [22]

Je vous supplie de faire mes très humbles recommandations à MM. Gras, Garnier et Falconet, comme aussi à M. Guillemin, [74] et de savoir de lui s’il a reçu le livre que je lui ai envoyé, par M. Miget, de M. Riolan [75] adversus Pecquetum et Pecquetianos[23][76]

La princesse d’Orange [77] est aujourd’hui arrivée à Paris en grand cortège, le roi [78] et le cardinal Mazarin lui sont allés au-devant. [24] On dit qu’elle vient voir sa mère, la reine d’Angleterre ; [79] et par après, que toutes deux se retireront en Savoie [80] à cause que Cromwell [81] désire que la reine d’Angleterre ne soit pas ici ; qui sont des mystères que je n’entends pas.

Il court ici un bruit de la mort de l’empereur. Si cela est vrai, voilà la Maison d’Autriche en mauvais état et en danger de perdre l’Empire. Il y a 15 jours que l’on disait qu’il était hydropique. [82] On dit que les Hollandais se déclarent contre le roi de Suède, pour le roi de Pologne et que le Turc [83] envoie à ce dernier 15 000 hommes de secours contre les Suédois.

Il court ici un gentil épigramme latin sur les triomphes du roi de Suède dans la Pologne et sur les réjouissances que l’on fait à Rome pour la reine Christine : [84][85][86] en voici une copie que je vous envoie dont vous ferez part à qui vous voudrez :

Sarmaticos Getico dum campos milite vastat
Carolus, et rupto fœdere regna quatit ;
Dum pietas et avita fides his exulat oris,
Orbis et oppressa religione gemit :
Christina ipsa truci quæ tradidit arma Ttyranno,
Ad veneranda Petri limina tendit ovans.
Et nunc Barbaricos miraris Roma triumphos,
Gaudesque inventa iam bone Pastor ove :
At nimium vanis exultas Roma triumphis,
Quæ lucraris ovem, sed pereunte grege
[25]

Ce 4e de février. Il y a ici deux personnes de considération fort malades, savoir M. de Chevreuse âgé de 80 ans, sourd et aveugle, [87] et M. le chancelier qui depuis peu a racheté les sceaux moyennant grande somme. Un honnête homme m’a dit ce matin que le nouvel édit de la monnaie ne passerait point et que le marquis de Brandebourg [88] était d’accord avec le roi de Suède qui est encore de beaucoup le plus fort. [26]

On dit qu’il y a accord fait entre le roi, le pape [89] et le roi d’Espagne [90] de traiter sérieusement de la paix. Le lieu entre eux arrêté est Avignon [91] pour les députés, à la charge que le roi d’Espagne viendra à Barcelone [92] et que notre roi ira à Lyon ; mais auparavant, que le roi fera un voyage sur la frontière de Flandres et qu’il ira jusqu’à Brisach. [93] Omnia sunt incerta[27] hormis que les cartes se brouillent bien fort dans toute l’Europe pour l’été prochain.

Je viens de consulter [94][95] avec M. Moreau [96] auquel j’ai fait vos recommandations. C’était pour une dame de Lorraine, laquelle a eu la peste trois fois en sa vie [97] et qui ressent des douleurs à tous les changements de temps, aux endroits où elle a eu des charbons et des abcès pestilents. [28][98][99][100][101] Nous l’avons renvoyée à la saignée, [102] à la fréquente purgation[103] au petit-lait, [104] au bain d’eau tiède [105] et au lait d’ânesse, [106] et à un exact régime de vivre qui la rafraîchisse et humecte, [107] car elle est toute de soufre, fort sèche et presque hectique ; [108] sans vous parler des causes externes et des violences, exactions et concussions du maréchal de La Ferté-Senneterre [109] qui n’est point tant le gouverneur que le tyran de la Lorraine [110] et qui les fait horriblement souffrir.

Je viens de recevoir une lettre de M. Vander Linden de Hollande, professeur à Leyde, qui me mande que son Liber Selectorum n’a pu jusqu’ici être achevé faute d’imprimeurs, mais que néanmoins il espère qu’il sera achevé devant Pâques. [29][111][112] Il me mande aussi que l’on imprime à Amsterdam [113] Vossii Origines[114] je pense qu’il faut y sous-entendre Linguæ Latinæ[30] Après cela, il a dessein de travailler au Celse [115] et de nous en procurer une nouvelle édition qui soit fort belle, ex typis Elzevirianis[31] M. Pidoux, [116] doyen de la Faculté de médecine de Poitiers, [117] a fait un petit livret in‑4o de Febre purpurea dont il m’a fait présent, [32][118] et d’un autre pour M. Riolan. M. Elsevier [119] de Hollande est ici, [33] mais il n’a fait apporter aucun livre, disant que la peste a tout arrêté en Hollande [120] à cause de l’été passé ; mais il dit qu’ils s’en vont recommencer tout de bon ; et entre autres, il parle d’un livre de médecine in‑fo d’un auteur espagnol pour lequel on lui a donné de bon argent pour l’imprimer et dont l’édition est déjà annoncée.

Ce 10e de février. J’ai aujourd’hui après-midi rencontré M. Du Prat [121] chez M. de Marolles, [122] abbé de Villeloin, où nous avons agréablement causé quelque temps ; je lui ai promis de vous faire ses recommandations et je m’en acquitte. La princesse de Conti [123] est accouchée à Pézenas [124] d’une fille morte. J’ai aujourd’hui vu le bonhomme M. Riolan que j’ai trouvé dans son étude ; il m’a rendu un livre [125] qu’il avait à moi d’un certain médecin anglais nommé Franciscus Glissonius, dans lequel sont contenus deux traités, dont l’un est intitulé De Rachitide, sive morbo puerili, etc. in‑8o Londini, 1655 ; l’autre est Anatomia hepatis, ibid. 1654[34][126][127] Un homme de mes amis m’avait apporté ce livre comme un grand présent qu’il pensait me faire en revenant d’Angleterre, mais M. Riolan le méprise fort et dit que cet homme n’y entend rien et que son livre est l’ouvrage d’un novateur ignorant.

Je vous prie d’assurer MM. Gras, Garnier, Guillemin, Falconet, Huguetan et Ravaud, et même M. Sauvageon, que je me recommande à leurs bonnes grâces. Pour M. Devenet [128] à qui je dois de l’argent pour les livres qu’il m’a fait venir de Genève, M. Moreau [129] mon hôte s’apprête pour un voyage de Lyon ; je vous supplie de l’assurer de mes services et de lui dire que bientôt il aura de moi satisfaction par cette voie-là.

On dit que M. le duc d’Orléans [130] a fort bien reçu le petit Mancini, [131] neveu de Son Éminence, [132] qui l’est allé saluer à Blois [133] au nom du roi avec MM. le duc de Damville [134] et le maréchal de Clérambault ; [135] et qu’il a fait présent à ce neveu d’un diamant de 4 000 écus et qu’il l’a fait superbement traiter à Blois, et même à Orléans [136] lorsqu’il y a passé, mais aux dépens desdites villes et non pas des siens ; que le roi ira demeurer au Bois de Vincennes [137] le carême prochain, et delà qu’il ira à Fontainebleau [138] à la mi-carême où le duc d’Orléans le viendra trouver. [35]

Ce 11e de février. Aujourd’hui au matin l’on a tiré environ 500 hommes du régiment des gardes, 20 de chaque compagnie, que l’on a fait partir aussitôt. Ils vont à Senlis, [139] et delà prennent le chemin de Rocroi [140] pour delà aller empêcher que les ennemis ne viennent camper près du Quesnoy [141] ou de Condé [142] qui sont des places menacées par les Espagnols. On dit que Fuensaldagne [143] s’en va commander au Milanais [144] et que le marquis de Caracène [145] vient en sa place en Flandres ; que le prince de Condé, qui ne peut s’accorder avec Fuensaldagne, a obtenu cela du roi d’Espagne. [36]

Le duc d’Orléans a obtenu du roi par son dernier traité que le prince de Conti et sa femme ne demeureront pas plus longtemps dans le Languedoc ; [37] c’est pourquoi on leur a envoyé ordre qu’ils aient à en sortir et revenir de deçà. Le prince de Condé est bien embarrassé des Espagnols et fort malcontent d’eux. Il voudrait bien avoir refait sa paix avec le roi et la reine, dût-il être obligé d’aller servir trois ans les Vénitiens contre le Turc, pour au bout d’iceux revenir à la cour et y jouir de son bien, tant il est dégoûté des Espagnols qui sont bien plus fins qu’ils ne sont vaillants.

On dit ici que le roi [témoigne bien de la passion et de la forte amour pour la] Mancini, [38][146] nièce de Son Éminence ; mais néanmoins, jusqu’ici l’on a cru que la reine [147] l’empêchera, et même l’on dit qu’elle l’a déclaré et qu’elle ne souffrira jamais que le roi l’épouse. Peut-être que le temps et le Mazarin l’adouciront : elle avait autrefois dit que jamais Vautier [148] ne serait à la cour et qu’elle ne souffrirait point que cet homme y eût de l’emploi ; et néanmoins, six mois après, il était premier médecin du roi moyennant 20 000 écus qu’il donna au Mazarin, sans ce qu’il lui promit ; celui qui lui a succédé [149] n’en a pas été quitte à si bon marché et néanmoins, il n’est pas fort assuré d’y être encore longtemps. [39]

Le roi de Suède continue ses conquêtes dans la Pologne et à épouvanter l’Allemagne. L’électeur de Brandebourg a été obligé de traiter avec lui, de subir sa loi sans autre assurance que de sa parole royale, et même a été obligé de lui donner son armée. Il a chassé tout ce qu’il a trouvé en son chemin de chartreux[150] de jésuites et autres moines, [151] et s’est saisi de leurs biens. On dit que le duc de Saxe [152] est aussi d’accord avec lui. [40]

Le Parlement fait ici tout ce qu’il peut contre la nouvelle monnaie que l’on veut introduire, mais la présence du roi rabat les coups et empêche par divers stratagèmes qu’ils ne se puissent assembler. Je pense que cette fois-là, aussi bien que plusieurs autres, il faudra dire avec Plaute, [153] en parlant de la Fortune, [154] Centum sapientum hominum consilia sola devincit hæc Dea[41] On dit que le duc d’Orléans a fait son accord avec le roi, qu’il ira le saluer de Blois à Fontainebleau vers la mi-carême et qu’après Pâques, il viendra à Paris ; mais tout cela n’est pas fort assuré. On dit que le prince de Conti revient ici et que le comte d’Harcourt [155] ira commander ce printemps prochain en sa place dans la Catalogne. [156]

On dit que le roi de Suède est en colère contre le Mazarin pour quelque somme d’argent à lui promise qu’on ne lui a pas fait tenir ; que l’ambassadeur que nous avons près de lui, nommé M. d’Avaugour, [42][157] s’en est retiré sur le mécontentement et les menaces de ce prince et qu’il a vitement envoyé ici à la cour son secrétaire avertir le Mazarin, et de ce que ce roi en sa colère a dit contre lui-même, en se plaignant de lui et le menaçant. Ce secrétaire est ici, que l’on ne renvoie point faire réponse à son maître ; mais tout cela est peu de chose, la bonne fortune du Mazarin renversera toutes ces difficultés et n’empêchera pas que l’été prochain nous ne gagnions des batailles en divers lieux contre nos ennemis.

Enfin les molinistes, [158] les jésuites et les autres moines ont tant fait qu’il est sorti de la Sorbonne une censure contre M. Arnauld, dans laquelle il est dit que son opinion est téméraire, scandaleuse, erronée et hérétique. Nous voilà dorénavant en danger de voir venir en France l’Inquisition [159] d’Espagne par le ministère des loyolites ; et puis nous n’aurons plus que le pouvoir de dire Dat veniam corvis, vexat censura columbas[43][160]

Ce 21e de février. Voilà un jeune libraire de Lyon nommé M. Michalet [161] qui vient de partir de céans et qui m’a promis de vous aller saluer chez vous à cause de moi ; [44] il a besoin d’être saigné plusieurs fois pour un certain prurit qui le travaille, [162] et par après d’être bien purgé, comme aussi de bien tremper son vin de trois fois autant d’eau. Vous m’obligerez de ne lui pas dénier votre conseil s’il en a besoin. Je lui aurais bien donné cette lettre, mais je pense qu’elle vous sera remise entre les mains auparavant qu’il arrive à Lyon, vu qu’il ne part qu’avec le messager qui sera dix jours en chemin.

Nos antimoniaux parlent ici de s’accorder avec nous en faisant une paix plâtrée, mais je pense que cela ne tiendra pas et qu’ils nous veulent tromper ; au moins sont-ils bien plus méchants et plus déterminés que nous. [45][163] Nous avons ici deux de nos collègues qui se meurent, savoir MM. Le Soubz [164] et Cousin ; [165] et M. Allain [166] qui traîne toujours avec sa paralysie et qui est en danger de ne la pas faire longue après eux. Le bonhomme M. Riolan, qui est dans sa 77e année, est gaillard et vigoureux, et peut encore vivre longtemps pourvu qu’il se garde d’une trop grande plénitude, [46][167] à quoi il est sujet à cause qu’il ne fait guère d’exercice, et qu’il mange bien et qu’il boit de bon vin de Bourgogne qu’il ne trempe pas tant qu’il devrait. [168] Dieu le veuille bien conserver, et vous aussi, mais principalement Mlle Spon, ma bonne amie, toute votre petite famille et tout ce qui vous appartient. Je me recommande à vos bonnes grâces et serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 22e de février 1656.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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